HISTOIRE POÉTIQUE DES MÉROVINGIENS

 

ADDITIONS & CORRECTIONS.

 

 

Introduction.

Historicité des Légendes. — En 1851, Pétigny, qui ne manque pourtant pas d’une certaine critique, reste convaincu de l’absolue historicité de toutes les légendes épiques des Francs : l’épisode d’Aurélien lui-même ne le choque pas. (V. Études Mérovingiennes, III, p. 168, 195, 403-410, 544-547, 551-553.)

Les prédécesseurs de Rajna. — M. Gaston Paris n’est donc pas tout à fait dans le vrai lorsqu’il écrit dans la Romania, t. XIII (1884). p. 599 : C’est à notre pays qu’appartiennent les prédécesseurs que M. Rajna rencontre sur son chemin tantôt pour les accompagner, tantôt pont les combattre. Les Allemands, au contraire, chose étrange, ont fait très peu dans ce domaine.

L’opinion de Fustel de Coulanges. — Jusque dans ses derniers jours, Fustel de Coulanges est resté obstinément fidèle au point de vue étroit qui lui faisait nier l’existence de l’épopée franque, parce qu’elle n’était pas explicitement affirmée dans des textes. L’autorité qui s’attache au nom de cet écrivain ne permet pas de laisser passer ses dernières assertions sans les caractériser au passage ; la réfutation en est généralement faite d’avance dans les diverses parties de ce livre. Fustel consent à admettre, parce que Tacite le dit formellement que les Germains avaient des chants nationaux, mais ajoute-t-il, rien de tout cela n’est venu jusqu’à nous. (L’Invasion Germanique, p. 228.) Mais qui donc lui a dit que parmi les chants épiques qui ont circulé au moyen âge, plus d’un ne plonge pas ses racines jusque dans ces âges barbares ? Le Sigfried des Nibelungen n’est-il pas lui-même un héros que probablement célébraient déjà les Germains du premier siècle ?

Il veut bien accorder encore, puisqu’il y a un passage d’Eginhard qui y oblige, que Charlemagne a fait mettre par écrit les vieux chants barbares : c’est donc qu’il y en avait tout au moins, au VIIIe siècle, assez pour en faire un volume, bien qu’aucun texte antérieur à Eginhard n’ait formellement dit qu’ils existaient. Mais, cette concession faite, Fustel prend immédiatement sa revanche, et s’autorisant de ce qu’aucun texte postérieur à Eginhard ne reparle de ce recueil, il écrit hardiment : Non seulement ces poésies ne nous sont pas parvenues, mais aucun auteur du moyen âge ne les mentionne ; on ne voit plus trace d’elles après Charlemagne (p. 228). Il déclare avec la même sérénité que le poème des Nibelungen ne contient aucun souvenir de l’époque des invasions et conclut magistralement par ces paroles qui sont dignes du début : On admettra volontiers que ces anciens Germains avaient des traditions, des légendes, des souvenirs comme tons les peuples en ont. Ce seraient pour nous des documents précieux. Mais aucune de ces traditions ne s’est conservée dans la mémoire des hommes. Les Francs n’en ont transporté aucune en Gaule. Je ne crois pas qu’on en ait trouvé jusqu’ici en Allemagne. Aucun document du moyen âge n’en signale l’existence. Les légendes mêmes avaient péri, etc. Ces quelques lignes contiennent de véritables énormités. On ne saurait avec plus de désinvolture biffer tous les résultats acquis par un siècle de recherches philologiques. Il eût mieux valu de déclarer qu’on s’était tenu absolument en dehors de cet ordre d’études. Cela eût épargné la peine de conclure, après plusieurs pages du même goût, par les lignes suivantes, dont la naïveté a quelque chose de comique : Il semble que ces Francs eux-mêmes eussent déjà oublié leur ancienne histoire et leur ancienne patrie. On a peine à s’expliquer une si complète disparition des souvenirs nationaux des anciens Germains (p. 234). Cette disparition serait en effet tout à fait inexplicable, si elle était réelle. Si Fustel avait pris la peine d’ouvrir, le volume de W. Grimm intitulé Die Deutsche Heldensage, il y aurait trouvé, je pense, assez de témoignages du moyen âge sur les traditions épiques des Germains pour le faire changer à avis.

La thèse de Rajna. — M. Gaston Paris dit même dans la Romania, t. XIII (1884), p. 601, que depuis son Histoire poétique de Charlemagne, il s’est de plus en plus rapproché de la thèse de Rajna : Si M. Rajna n’avait pas écrit son livre, ajoute-t-il ; j’en aurais probablement écrit un sur le même sujet.

Livre I. — Chapitre I.

Le chiffre trois dans épopée. — Dans le Jugement de Liboucha, le célèbre poème épique des Slaves Bohême, Tchekh arrive dans un pays après avoir traversé trois rivières. Plusieurs critiques se sont donné la peine de chercher ces rivières, mais Schafarik et Palacky croient que le nombre trois est employé ici comme déterminatif poétique. V. L. Léger, Chants héroïques et chansons populaires des Slaves de Bohême, p. 52.

La conquête de la Saxe par les Saxons. — On trouve déjà la tradition saxonne consignée au IXe siècle dans la Translatio S. Alexandri de Rodolphe et de Meginhard : Saxonum gens, sicut tradit antiquitas, ab Anglis Britanniæ incolis egressa, per omnum navigans, Germaniæ litotibus studio et necessitate quærendarum sedium appulsa est in loco qui vocatur Haduloba, eo tempore quo Thiotricus rex Francorum contra Irminfridum generum suum ducem Thoringorum dimicans, terram eorum crudeliter ferro vastavit et igni, etc. (Pertz, Script., II, p. 6). Les divergences de cet écrit avec celui de Widukind sont d’ailleurs grandes, et la supériorité de ce dernier incontestable.

Chants populaires des Francs. — Tacite parle d’une Sugambra cohors qui servait au premier siècle dans les armées romaines en Mésie ; il la dit promptam ad pericula, centuum et armorum tumultu trucem (Annales, IV, 41).

Fortunat écrit dans le prologue de ses poésies : Ubi mihi tantumdem valebat raucum gemere quod cautare apud quos nihil disparat aut stridor anseris aut canor coloris, sola saepe bombicans barbares leudos arpa relidens : ut inter illos egomet non musicus poeta sed muricus deroso flore carminis poema non canerem sed garrirem, quo residentes auditores inter acernea pocula salute bibentes insana Baccho judice debaccharent. C’est au VIe siècle, le même point de vue que celui de Julien l’Apostat au IVe.

Le recueil de Charlemagne. — L’origine de l’opinion erronée de De Smedt se trouve elle-même dans une erreur de Desroches, érudit beige du XVIIIe siècle, qui, dans son Mémoire sur la religion des peuples de l’ancienne Belgique (Mém. de l’Acad. imp. et roy. de Belgique, t. I, p. 429), avait cru, sur la foi de quatre vers mal interprétés de Claes Colyn, que les chants des bardes (!) se conservaient encore au XIIe siècle à l’abbaye d’Egmond. Voici ces vers d’après la citation de Desroches :

En ti barden woizen lezen

Ti noch overich hebben wezen

Minen daghe binnen Hegmonde

Zulcks heb ic zo bevonden.

Comme le même Desroches, quelques lignes avant ce passage, avait parlé aussi du recueil de Charlemagne, De Smedt qui  parait l’avoir lu trop vite, se sera persuadé qu’il identifiait le recueil d’Egmond avec celui de Charlemagne, et a écrit que celui-ci se conservait à Egmond. Voilà comment s’élaborent les erreurs historiques !

Grégoire de Tours savait-il le franc ? — M. Max Bonnet, dans son livre intitulé Le latin de Grégoire de Tours, Paris, 1890, p. 28 et 29, fait une réponse négative à cette question et apporte des arguments nouveaux.

Livre I. — Chapitre III.

L’allitération familiale. — Lire sur ce procédé Stark, Die Kosenamen der Germanen, p 343 et suiv.

Livre I. — Chapitre V.

Paragraphe à rétablir. - Après le premier alinéa, il a été sauté un paragraphe contenant l’histoire de Mérovée d’après Frédégaire ; je le rétablis ici.

On rapporte que, comme Clodion était assis sur le rivage de la mer avec sa femme pendant la saison d’été, sa femme alla vers midi prendre un bain dans la mer, et qu’une bête de Neptune semblable au Quinotaure se jeta sur elle. Elle conçut bientôt, soit de cette bête, soit de son mari, et elle mit au monde un fils du nom de Mérovée ; à cause de lui les princes francs ont été appelés ensuite Mérovingiens  (Frédégaire, III, 9).

La filiation de Mérovée. — L’expression ambiguë de Grégoire de Tours a été interprétée par beaucoup d’écrivains dans ce sens qua Mérovée ne serait pas fils de Clodion, mais seulement son parent. Ainsi déjà le Liber Historiæ ne veut voir dans Mérovée qu’un parent de Clodion (de genere ejus) et Àimoin ne lui accorde pas d’autre qualité (ejus affinis), tandis que d’autres, aspirant à plus de précision, comme pas exemple la généalogie des rois francs composée au XIIIe siècle, font Mérovée le neveu de Clodion (Bouquet, II, p. 697) et que d’autres encore, comme Hugues de Flavigny, omettent purement le nom de Mérovée, sur la liste des rois francs (Bouquet, III, p. 353). Encore Robert Gaguin écrit : Nullis relictis liberis.... Clodio vita excessit. Qui autem illi sanguine proprior erat Meroveus regno praefectus est. (Compendium super gestis Francorum, Paris 1504, fol. IIII.) Mais ce n’était pas assez, et d’autres, faisant un pas de plus, ont cru savoir non seulement que Mérovée n’était pas le fils de Clodion, mais encore que les fils de celui-ci avaient été détrônés par leur ambitieux cousin. On s’est enquis de ce qu’étaient devenus ces princes victimes de l’ambition de leur cousin, et, naturellement, on a fini par le découvrir : voir ce qu’au XIVe siècle Jacques de Guyse raconte dans ses Annales du Hainaut, IV, 6, 9, d’un certain Auberon de Mons, dernier fils de Clodion et adversaire acharné de Mérovée. Étienne Pasquier, lui, rattache assez ingénieusement les prétendus fils de Clodion aux rois mis à mort par Clovis : Clodion, deuxiesme roy des François mourant, laissa trois petits princes ses enfants : Ranchaire, Renaut et Aulbert, sous la conduite de la Royne leur mère, et cognoissant la foiblesse du sexe de la mère, et du bas aage de ses enfants, il leur ordonna pour gouverneur Mérovée, sien parent grand capitaine. Lequel prenant ceste occasion à son advantage, se fit proclamer roy des François. De manière que la pauvre princesse fut contrainte de se blottir avec ses enfants dedans quelques villes des Pays-Bas, conquises par le feu roy son mary, où ils prindrent le nom et tiltre de roy de Cambresy Tournay et Cologne, mais au petit pied. Tiltre qui ne leur fut envié par Mérovée, etc. (Les recherches de la France, V, ch. I, dans ses Œuvres, t. I, col. 433.)

L’historicité de Mérovée. — Nous ne possédons aucun témoignage contemporain sur Mérovée. Tous ceux qui en ont parlé sont les échos de Grégoire de Tours. Le premier écrit qui le mentionne comme ayant assisté à la bataille de Mauriac est le Vita Lupi qui est du IXe siècle (Acta Sanct. t. VI de juill. p. 77 E), mais on peut croire qu’il n’y a là qu’une conjecture explicative du texte de Grégoire de Tours, II, 7, d’après lequel un roi des Francs, qu’il ne nomme d’ailleurs pas, aurait assisté à la bataille (Simili et Francorum regem dolo fugavit). On s’est autorisé de cette absence de témoignages contemporains pour révoquer en doute l’existence même de Mérovée. C’est une erreur et une faute de méthode. Clodion, que Grégoire de Tours ne connaissait non plus que d’après les traditions, et qui, précédant Mérovée, devrait être plus problématique encore, appartient positivement à l’histoire, de par le témoignage de Sidoine Apollinaire étudié plus haut. Si ce témoignage n’avait pas été accidentellement conservé, on raisonnerait a fortiori sur Clodion comme sur Mérovée, et on serait dans le faux. Le silence des textes du VIe siècle sur des choses du Ve ne peut d’aucune manière être invoqué contre celles-ci. Au surplus, cette discussion elle-même n’aurait pas de raison d’être si l’on pouvait faire état d’une ligne qu’on lit dans le Chronicon Imperiale (vulgairement appelé Chronique de Prosper Tiro) à la 25e année de Théodose II : Meroveus regnat in Francia. Mais déjà Henschen a démontré (Acta Sanct., mai. t. XVI, praef. p. XL) que ce renseignement et tous les autres de cette chronique sur les premiers rois francs sont des interpolations tirées de la chronique de Sigebert de Gembloux, et l’on peut Bétonner que des érudits comme Roth (Germania, I, p. 41) et Zarncke (Berichte der koen. saeshsiscten Gesellsch. des Wissensch. Phil-Hist. Klasse, XVIII, (1866), p. 285 et suiv.) aient encore cru à l’authenticité du passage en question. Il est vrai que le dernier s’est rétracté plus tard. (V. Literarisches Zentralblatt, 1859). Lire sur le Chronicon Imperiale l’importante étude de Holder-Egger (Neues Archiv., I (1876), p. 91-120), qui s’exprime ainsi au sujet des notices sur les rois francs : Daas ein Chronist des Ve Jahrhunderts, welcher sonst die Franken niemals erwaehnt, nicht wird die sagenhaften fraenkischen Kœnige aufzachlen und ihnen eine bestimmte Regierungsdauer zuweisen kœnnen, ist selbstverstaendlich, ebenso wird ihm der Begriff Francia gaeuzlich unbekannt sein. (O. c. p. 97.)

Livre I. — Chapitre VII.

Bar le Duc. — V. dans Pétigny, II, p. 197, une excellente note où il établit l’identité du Barrant de Frédégaire avec Bar-le-Duc (Bar-sur-Ornain). Il ajoute : Remarquons encore que l’arrivée de Childéric à Bar s’accorde bien avec la tradition qui le fait venir d’Italie, car sil était venu de la Thuringe, il serait entré dans la Belgique par le nord et non par le midi. L’observation est juste, mais ne prouve rien pour l’historicité du fait. Il en résulte seulement que la légende de l’arrivée de Childéric à Bar fait partie intégrante de celle qui le fait venir de Constantinople, et cela vaut en effet la peine d’être noté.

Les motifs individuels dans l’épopée. — L’épopée, c’est-à-dire l’imagination populaire, incapable de saisir les raisons politiques des événements, les explique toujours par des motifs individuels. Parmi ceux-ci, le libertinage des rois est très fréquemment allégué comme la cause de leur chute. je ne sais si l’histoire du meurtre de Valentinien III, causé par l’outrage qu’il avait infligé à la femme du sénateur Petronius Maximus, ne rentre déjà pas dans cette catégorie, mais à coup sûr il faut y faire rentrer la légende de l’empereur Avitus, telle qu’elle est racontée par Frédégaire, III, 7. — M. Gaston Paris, Romania, XIV, p. 603, fait remarquer qu’il y a trois chansons de geste françaises qui contiennent ce même motif : Lohier et Mallard, Baudouin de Sebourc et Hugues Capet. On peut aussi faire rentrer dans cette catégorie de légendes l’histoire du roi visigoth Rodrigue et de la fille du comte julien, et celle du ressentiment de Henri de Schwerin contre le roi Waldemar de Danemark.

Le Vita Genovefae. — Le renseignement que j’emprunte à ce écrit sur la présence de Childéric à Paris a perdu beaucoup de son autorité : depuis la dissertation de M. Krusch, Die Faelschung der Vita Genovefae (Neues Archiv., t. XVIII), je suis loin d’accorder à M. Krusch que cet ouvrage ne soit qu’un faux, dont l’auteur aurait connu de ce sujet tout autant que nous-mêmes, c’est-à-dire rien du tout ; toutefois je reconnais que, selon toute vraisemblance, nous ne possédons du Vita Genovefae qu’une recension de l’époque carolingienne, et c’en est assez pour infirmer singulièrement l’historicité de l’épisode où figure Childéric.

Livre II. — Chapitre III.

Erratum. — La citation de la lettre de saint Avitus à Aridius doit être rectifiée et complétée comme suit : Epist. II dans Baluze, Miscell., I, 358.

Livre II. — Chapitre IV.

Animal montrant un gué à une armée. — En 971, au siège du château de Warcq, près de Givet, par l’archevêque Adalbéron de Reims, une génisse traversant la Meuse à gué montra le passage aux assiégeants. Historia Monasterii Mosomensis, c. 8, dans Pertz, Script., XIV, p. 605.

Livre II. — Chapitre V.

Qualités physiques d’un roi barbare. — La Lex Bajuvariorum, II, 9, dit : Si quis filius ducis tam superbus vel stultus fuerit vel patrem suum dehonestare voluerit per consilio malignorum vel per fortiam, et regnum ejus auferre ab eo, dum pater ejus adhuc potest judicium contendere, in excercitu ambulare, populum judicare equum viriliter ascendere, arma sua vivaciter bajulare, non est nudus nec cecus, in omnibus jussionem regis potest implere, sciat se ille filius contra legem fecisse, etc. (Pertz, Leges, III, p. 286.)

Livre II. — Chapitre VI.

Les excitations de Clotilde. — Robert Gaguin a parfaitement compris que si Clotilde a poussé ses fils à la deuxième guerre de Burgondie, elle doit avoir à plus forte raison poussé son mari à la première. Aussi n’hésite-t-il pas à écrire à l’occasion de celle-ci : Paternam deinde necera animo frequenter volvens Clotildis ultionis percupida muiier Clodoveum adit queriturque paternum sibi regnum fraude Gundobaldi Burgundionis ereptum : necato ejus patre, matre vero in profluentum abjecta. Id inhumanum facinus causam maximam regi esse debere belli adversus Gundobaldum gerendi, quo et indigna parentum ejus necem ulcisceretur, et Burgundorum regnum reciperet. (Compendium super Francorum gestis, fol. V)

Livre II. — Chapitre VIII.

Fossés creusés pour y faire tomber l’ennemi. — Procope, Bell. Pers., I, 4, p 21 (Bonn) raconte une histoire semblable des Huns Ephthalites, qui, en guerre avec Perozes, roi des Perses, creusent des fossés où leurs ennemis viennent tomber.