HISTOIRE POÉTIQUE DES MÉROVINGIENS

LIVRE II. — Clovis et ses fils.

CHAPITRE IV. — La guerre des Visigoths.

 

 

DANS l’histoire de la guerre de Clovis contre les Visigoths, on sent passer comme un souffle de croisade. Je m’ennuie fort, dit Clovis aux siens, de voir ces ariens occuper une partie de la Gaule. Courons leur donc sus avec l’aide de Dieu, et, après les avoir vaincus, mettons leur terre sous notre puissance. Tout le monde applaudit, et l’armée s’ébranle[1]. Voilà comment débute le récit de Grégoire de Tours, et la suite n’est pas indigne de ce début. C’est vraiment une guerre sainte que le roi des Francs va faire aux hérétiques. Les bienheureux patrons du pays protègent l’expédition : ils prisent la victoire à Clovis, ils éclairent sa marche, ils lui montrent le chemin, ils font tomber devant lui les murailles des villes. Lui, de son côté, leur prodigue les marques de son respect et de sa reconnaissance, il défend que l’on touche à ce qui leur appartient, il leur fait porter ses présents et leur demande des oracles. Il semble que nous soyons ici, plus qu’ailleurs, sur le terrain de prédilection de l’épopée, et cependant, les récits en question n’ont rien d’épique. On y reconnaît la différence qu’il y a entre le chant épique et de simples traditions. Celles-ci consistent dans des anecdotes isolées, non élaborées par le génie poétique de la multitude, et bien distinctes, sous ce rapport, des légendes étudiées plus haut, qui se présentent comme un tout organique. Elles se font remarquer d’ailleurs par leur caractère ecclésiastique ; un miracle en est d’ordinaire la conclusion ; on voit qu’elles ne se sont pas formées au sein des masses, mais plutôt dans des milieux cléricaux, où l’on se bornait à acter des faits surnaturels comme preuve de la puissance du saint local. De plus, elles se détachent très nettement sur la trame grise et unie du récit annalistique qui a été sous les yeux de Grégoire, et qu’il doit avoir reproduit plus ou moins textuellement. Voici, si je ne me trompe, la substance de ce récit, antérieurement à sa combinaison avec les épisodes fournis par la tradition orale.

La vingt-cinquième année de son règne, Clovis marche contre Alaric. Il le rencontre dans les champs de Vouillé, à dix railles de Poitiers. Les Goths furent vaincus, et Alaric tomba sous les coups de Clovis. Alaric avait régné vingt-deux ans. Clovis envoya son fils Théodoric par Alby et Rodez, soumettre tout ce pays jusqu’à l’Auvergne, et de là jusqu’aux frontières des Burgondes. Clovis passa l’hiver à Bordeaux, où il avait emporté tout le trésor d’Alaric trouvé à Toulouse. En revenant, il s’empara d’Angoulême, puis il revint à Tours.

Tout cela est rigoureusement historique, et se trouve confirmé par les autres documents contemporains. En ce qui concerne le champ de bataille, Isidore le place dans les environs de Poitiers, et l’appendice de Victor de Tunnuna le nomme Boglodoreta. Les mêmes auteurs, et, en outre, le pseudo-Sulpice Sévère disent qu’Alaric périt dans la bataille, et Isidore laisse entendre qu’il fut tué par Clovis. C’est Isidore également qui donne la durée du règne d’Alaric[2]. Mais, si nous devons tenir pour historique le noyau du récit de Grégoire, nous n’en dirons pas autant de la cou-leur de l’ensemble, et des épisodes dont il est émaillé. Il est permis de croire qu’en réalité, lorsqu’il conduisit ses soldats contre les Visigoths, Clovis fit appel au mobile religieux, et rappela aux siens la nécessité d’enlever à l’arianisme les belles provinces de la Gaule méridionale. Mais aucun texte contemporain ne nous l’affirme d’une manière positive, et l est manifeste que les paroles mises par Grégoire dans la bouche de Clovis expriment au moins autant les sentiments du narrateur et du public que ceux du héros[3]. En d’autres termes, Grégoire conjecture que Clovis a parlé ainsi, et il est probable que sa conjecture est fondée ; mais, dans tous les cas, c’est une conjecture, tout au plus une tradition., ce n’est pas un témoignage historique. Voilà pour ce que j’ai appelé la couleur du récit.

Quant au récit lui-même, abstraction faite des éléments historiques qui y représentent les Annales consultées par Grégoire, il se décompose en un certain nombre d’historiettes sans lien logique entre elles. J’en reproduis la suite ci-dessous, en y ajoutant celles qui sont propres au Liber Historiæ[4].

1. Avant de partir pour la guerre contre les Visigoths, Clovis, sur le conseil de Clotilde, décide de bâtir une église en l’honneur de saint Pierre. Il jette au loin sa francisque en disant : Ainsi soit faite l’église Saint-Pierre, si nous revenons victorieux avec l’aide de Dieu[5].

2. Clovis, en route pour le pays des Visigoths, défend aux siens de piller le domaine de saint Martin. Il punit de mort un soldat qui a enfreint sa défense, et il ajoute ces paroles : Où serait pour nous l’espoir de vaincre, si nous offensons saint Martin ?[6]

3. Clovis envoie quelques-uns des siens, avec des cadeaux, dans la basilique de Saint-Martin à Tours, dans l’espoir qu’ils y trouveront un présage favorable. En effet, ses envoyés, en entrant dans l’église, entendent chanter l’antiphone : Præcinxisti me Domine virtute ad bellum, etc. Pleins de joie, ils rapportent cette nouvelle à leur maître[7].

4. Clovis, arrivé avec son armée sur les bords de la Vienne gonflée par les pluies, ne sait comment la passer : il prie Dieu, et, le lendemain matin, on voit apparaître une biche d’une grandeur prodigieuse, qui franchit la rivière à gué, indiquant ainsi le chemin aux soldats[8].

5. Clovis, arrivé en vue de Poitiers, venait d’y planter ses tentes, lorsque, du haut de la basilique Saint-Hilaire, un rayon de lumière descendit jusqu’à lui, comme pour lui apprendre qu’il vaincrait les ariens grâce à la protection de saint Hilaire, le grand adversaire de l’arianisme[9].

6. Clovis, en revenant de Bordeaux où il a passé l’hiver après sa campagne d’Aquitaine, arrive devant Angoulême, où Dieu lui accorde une faveur signalée à sa seule vue, les murailles de la ville croulèrent[10].

7. Clovis, pour témoigner sa reconnaissance à saint Martin, lui fait cadeau de son cheval de guerre, puis verse cent sous d’or à sa basilique pour le racheter. Mais l’animal ne veut pas quitter l’église ; le roi est obligé de verser encore cent sous d’or, et alors seulement la bête consent à le suivre. Saint Martin, dit Clovis en riant, est un bon patron, mais un peu cher en affaires[11].

Voilà les matériaux fragmentaires que la voix publique a fournis à nos chroniqueurs. Ce sont, on le voit, autant d’anecdotes recueillies sur place, et il n’y a nulle trace d’un chant épique qui, comme dans l’épisode du mariage de Clovis, raconterait une histoire suivie. La provenance ecclésiastique de chacun de ces fragments est d’ailleurs manifeste. Le premier a été trouvé à Paris même, dans l’église Sainte-Geneviève, par le moine de Saint-Denis, qui a écrit le Liber Historiæ ; le deuxième et le troisième ont été découverts par Grégoire dans sa propre basilique de Saint-Martin à Tours ; le quatrième et à coup sûr le cinquième viennent de Saint-Hilaire de Poitiers, le sixième est originaire des environs d’Angoulême ; le septième enfin, qui met dans la bouche de Clovis le premier bon mot de l’histoire de France, a été conservé dans le clergé d’une des églises voisines de Tours, et peut-être à Tours même.

Et non seulement toutes ces anecdotes se présentent à nous sans unité poétique et sans aucune fusion entre elles, mais, à travers chacune, il est facile de reconnaître un noyau historique peu ou point altéré.

L’histoire de la fondation de Sainte-Geneviève de Paris par Clovis, rapportée à la fois par Grégoire pie Tours et par le Liber Historiæ[12], n’a rien d’épique : c’est un souvenir qui a dû se conserver dans l’église même, et dont le ‘moine de Saint-Denis a très bien pu être informé sur place. Remarquez qu’ici il n’a pas copié Grégoire : en effet, non seulement celui-ci passe sous silence la légende relative à la fondation, mais encore il désigne l’église sous le vocable des Saints-Apôtres, tandis que le Liber Historiæ l’appelle église Saint-Pierre, nom qu’elle paraît avoir porté avant de prendre celui de Sainte-Geneviève[13]. Que ce sanctuaire ait été réellement bâti par Clovis, cela ne paraît pas douteux : rien de mieux connu et de mieux gardé, dans les établissements religieux, que le souvenir de leur fondateur, et, à l’époque où celui-ci fut consigné pour la première fois par écrit, il n’y avait que deux générations d’écoulées. Quant aux circonstances pittoresques dans lesquelles aurait eu lieu cette fondation, au dire du Liber Historiæ, il faut d’abord écouter celui-ci : Clovis étant venu à Paris, dit à la reine et à son peuple : je m’ennuie fort de voir les Goths ariens occuper la meilleure partie de la Gaule. Allons, et, avec l’aide de Dieu, chassons-les de cette terre et soumettons-la à notre pouvoir, car elle est très bonne. Ces paroles plurent aux grands du peuple franc. Alors Clotilde donna un conseil au roi, disant : Que le Seigneur donne la victoire aux mains de mon seigneur le roi. Écoutez votre servante, et faisons une église en l’honneur du bienheureux Pierre, prince des apôtres, pour qu’il soit notre auxiliaire dans cette guerre. — Et le roi dit : je goûte ce conseil ; faisons ainsi. — Alors le roi jeta droit devant lui sa hache, c’est-à-dire sa francisque, et dit : Qu’ainsi soit faite l’église des bienheureux apôtres, si nous revenons avec l’aide de Dieu[14].

Nous avons dans ce curieux épisode le souvenir, conservé avec beaucoup de précision, de la cérémonie symbolique avec laquelle, conformément à l’usage des Germains, Clovis aura fondé l’église Saint-Pierre. Selon la mythologie primitive, quand le redoutable dieu du ciel voulait prendre possession d’un terrain, il le consacrait en y laissant tomber son tonnerre, que l’on se figurait, chez les Germains, sous la figure d’une hache de pire, c’est-à-dire d’un marteau : l’endroit était dès lors, comme le bidental des Romains, inviolable et sacré. Eh bien, le guerrier barbare imitait son dieu dans la prise de possession d’un domaine : il y jetait son arme, et il marquait de la sorte qu’il le revendiquait comme sien. Cette arme, simple marteau de pierre à l’origine, fut plus tard une hache en fer lorsque ce métal se fut répandu, mais toujours son contact avec l’objet eut pour signification, dans !e symbolisme du droit, de le consacrer à l’usage du propriétaire. On retrouve en divers pays des traces manifestes de ce concept très antique. Chez les Scandinaves, on consacrait les nouvelles mariées en leur mettant sur les genoux un marteau[15]. Chez les Grecs, le prisonnier s’appelait αίχμάλωτος, c’est-à-dire pris par la lance. Chez les Romains, la forme la plus complète de la propriété était celle qu’on appelait quiritaire, c’est-à-dire celle qu’on tenait de sa quir ou lance. C’est pour la même raison encore qu’au moyen âge, la propriété allodiale, qui représentait pour les gens de la féodalité à peu près la même chose que la propriété quiritaire pour les Romains, était celle qu’on ne relevait que de Dieu et de son épée. Enfin, pour ne pas allonger outre mesure la série de ces exemples, j’ajouterai que, chez les nègres d’Afrique, la lance et le bouclier sont encore aujourd’hui, au rapport de Stanley, les emblèmes de la propriété[16].

Or, en conformité de cette idée, les Germains avaient une cérémonie spéciale pour marquer la prise de possession : c’était ce qu’ils appelaient le hammerwurf, c’est-à-dire le jet du marteau ou le jet de la hache. Nous la trouvons : répandue chez tous les peuples germaniques, depuis l’extrême nord scandinave jusque dans les Alpes bavaroises, et cela pendant tout le moyen âge. J. Grimm en a- réuni une soixantaine d’exemples de toute date jusqu’au XVIe siècle[17]. Le hammerwurf ne servait pas seulement à marquer une prise de possession initiale ; on y recourut aussi, par la suite, pour délimiter les frontières d’un domaine. Dans les terrains contestés ou limitrophes, l’autorité de chaque propriétaire s’étendait aussi loin qu’il pouvait jeter son marteau (ou sa lance), en restant sur son propre sol. Plus tard, enfin, l’usage se perdit peu à peu, mais la légende en garda le souvenir, et, comme elle n’en comprenait plus la portée, elle lui attribua quelque chose comme une valeur oraculaire. Chaque fois qu’elle eut à raconter une histoire où il figurait, elle supposa que la volonté divine faisait tomber le marteau où elle voulait, et elle le montra qui prenait son essor pour aller retomber à une grande distance[18]. Telles furent les longues destinées de la coutume connue loua le nom de jet du marteau.

Or donc, Clovis ne faisait qu’appliquer un procédé familier du droit’ germanique- en marquant, par le jet du marteau, l’endroit où il voulait bâtir l’église Sainte-Geneviève. Il n’y a par conséquent rien de légendaire dans ; le récit de cet acte, qui faisait partie de la coutume juridique franque. Mais son symbolisme bizarre aura frappé les populations romaines de Paris, et c’est pour cette raison qu’elles auront retenu le fait, à titre de singularité. Voilà comment on s’explique que le moine neustrien qui est l’auteur du Liber Historiæ nous ait conservé la mémoire de la cérémonie en question ; il est d’ailleurs manifeste qu’il n’en a pas compris le sens.

L’épisode du jet du marteau ne contient donc, on le voit, aucun élément imaginatif ; bien plus, la parole de Clovis, qui est de toute l’anecdote la partie substantielle, me semble trahir son ancienneté par ce fait que là reparaît le nom archaïque de l’église, abandonné partout ailleurs par notre narrateur pour celui, plus moderne, de Saint-Pierre[19]. Il n’en est pas de même des autres circonstances rapportées par le Liber Historiæ. Selon lui, Clovis aurait procédé au jet du marteau à la suite d’un vœu fait sur le conseil de Clotilde, et avant l’expédition des Visigoths. Ce détail me semble postérieur à Grégoire, qui ne se serait pas abstenu de nous le communiquer s’il en avait eu connaissance ; il est, de plus, en contradiction avec son texte, duquel il ressort que Clovis ne s’est établi à Paris qu’après la guerre contre les Visigoths[20]. On comprend d’ailleurs qu’une fois mise en relation avec cette guerre, l’histoire de la fondation de Saint-Pierre se soit bientôt transformée et ait été présentée comme le fruit d’un vœu : rien de plus fréquent dans les légendes ecclésiastiques. Mais l’esprit populaire n’a contribué en rien à cette transformation il n’y a ici qu’une tradition conservée sous les voûtes de l’église, parmi le clergé qui la dessert, et on n’y retrouve aucune trace de cette imagination épique qui se saisit des faits pour les remanier profondément, et pour les organiser en un tout logique. Le langage même est tout biblique ; faciens faciat est un véritable hébraïsme suggéré par la familiarité avec la Vulgate, et qui ne s’est jamais trouvé dans la bouche de Clovis.

Je n’ai pas besoin de m’appesantir sur l’origine des légendes reprises sous les numéros 2 et 3. Elles portent, si je puis ainsi parler, leur signature, et elles appartiennent à la catégorie des récits qui remplissent en si grand nombre le Miracula Martini et les autres recueils hagiographiques sortis de la plume féconde de notre auteur. Vraie ou fausse, la parole de Clovis sur le respect dû à saint Martin n’a pu être transmise que par le clergé de Tours, et quant à l’histoire des antiennes entendues en entrant dans l’église, elle ressemble d’une, manière frappante à celle des oracles rendus par saint Martin au malheureux Mérovée[21]. Le peuple, encore une fois, était et devait rester étranger à ces traditions, qui supposent, dans le milieu où elles se produisent, une connaissance approfondie des Livres Saints.

La quatrième légende n’a rien qui la distingue de beaucoup d’autres du même genre : ce peut être fort bien le souvenir d’un fait naturel, auquel on aura prêté une signification surnaturelle, Effarouché par le mouvement et le bruit d’une grande multitude d’hommes, le gibier fuit, en plein jour, des retraites qui semblent avoir perdu toute sécurité, et, acculé aux cours d’eau, les franchi s’il trouve un gué. Il n’y a là rien que de fort explicable, mais il est facile de comprendre qu’aux yeux des multitudes, en pareille circonstance, des événements si importants par leurs suites changent facilement de caractère. L’imagination populaire ne concevra pas autrement l’intervention des puissances divines qui veulent montrer leur protection à des armées dans -l’embarras. Il existe quantité de légendes analogues. C’est une biche qui, miraculeusement, montre à des heurs hunniques le passage à gué du Palus Méotide[22]. C’est, au dire de Frédégaire, une bête sauvage qui, en passant à gué le détroit de Gibraltar devant les Vandales, leur sert de guide et les amène en Mauritanie[23]. Quand le général burgonde Mummolus va au secours de Grenoble assiégée par les Lombards, c’est une bête sauvage qui, en traversant l’Isère, montre le gué de cette rivière à son armée[24]. Des particuliers qui portent des aumônes aux pauvres de saint Séverin dans le Norique sont guidés à travers les neiges des Alpes par un ours[25], et, comme on l’a vu plus haut, l’aïeul de Paul Diacre, en fuyant de chez les Avares, a pour guide un loup qui disparaît lorsqu’il approche de la terre d’Italie. Enfin, lorsque Charlemagne, battu par les Saxons au rapport de la tradition saxonne, chercha un gué dans le 1Vlein pour repasser ce fleuve, ce fut une biche qui le lui montra en le passant elle-même, et l’endroit a gardé depuis lors le nom de Francfort (Francorum vadum), c’est-à-dire passage des Francs[26].

Le miracle se renouvelle même à plusieurs reprises en faveur de ce héros. Lorsqu’il revint de son expédition d’Espagne, il arriva devant la Gironde, sur laquelle il n’y avait ni pont ni bateau. Le roi se mit en prière, et aussitôt on voit un cerf blanc qui passe le fleuve, et indique ainsi à l’armée le gué qu’elle doit suivre[27]. Pareillement, en franchissant les Alpes pour aller délivrer Rome assiégée par les Sarrazins, Charlemagne fut guidé avec toute son armée par un cerf blanc qui leur fit suivre un itinéraire sûr et commode[28]. Enfin, pendant qu’il était en route avec son armée pour Jérusalem, c’est un oiseau apparu miraculeusement qui lui montra son chemin au travers d’une sombre forêt dans laquelle il s’était égaré[29].

Il est fort possible que l’épisode raconté dans l’histoire de Clovis soit dû à un fait réel, interprété dans le sens d’un miracle ; mais, dans tous les cas, on voit qu’il n’a pas été élaboré par l’esprit populaire, et -qu’il est resté à l’état d’anecdote.

J’en dirai autant de la cinquième légende. C’est certainement un souvenir historique, altéré peut-être, mais reposant sur une donnée réelle. Je n’en jeux d’autre preuve que le caractère même du récit, qui n’a pas de conclusion. S’il était légendaire, il contiendrait sa justification en lui-même, car c’est le propre de la légende qu’elle ne raconte rien sans but. C’est parce que ce récit ne prouve rien qu’il est peu probable qu’on l’ait inventé. Il faut d’ailleurs noter que Fortunat de Poitiers raconte la même chose dans sa Vie de saint Hilaire[30], et que les deux récits sont indépendants l’un de l’autre. Il serait assez oiseux de chercher à expliquer la légende. Soit que le trait de lumière en question ait été un signal donné à Clovis par ses partisans de Poitiers, soit qu’il faille croire à un événement fortuit qui aura été transformé en miracle par l’imagination des narrateurs, elle n’a pas à nous préoccuper autrement.

Que croire de la chute des murs d’Angoulême, racontée dans la légende sixième ? En soi, un accident de ce genre — abstraction faite du caractère surnaturel que lui prête le récit — n’a rien d’invraisemblable, et l’histoire des invasions nous fait connaître des aventures semblables arrivées à Metz[31] et à Aquilée[32]. Il est vrai que, pour la première, Frédégaire la considère comme merveilleuse, mais nous n’avons pas à discuter son interprétation du fait, et il suffit de constater la réalité de celui-ci. Il se peut d’ailleurs fort bien aussi que notre épisode ne soit autre chose que le souvenir déjà altéré d’un de ces tremblements de terre qui alors n’étaient pas Inconnus en Gaule, comme le prouve celui de 467[33], celui de Mienne sous saint Mamert (avant 477)[34], celui d’Auvergne en 485[35], celui de Chinon en 577[36], ceux d’Angers en 582[37] et en 584[38], celui de Saintes en 815[39], celui de Mayence en 858[40]. J’admettrai moins facilement que nous soyons ici devant une fiction inspirée par les souvenirs bibliques relatifs à la prise de Jéricho. On trouve plus tard, dans l’épopée carolingienne, plus d’une légende qui a sa source dans le récit du livre des Juges. Devant Charlemagne nous verrons crouler les murailles de Pampelune, de Grenoble, de Narbonne et de Tremogne[41]. Mais nous serons alors dans l’époque de la fiction délibérée et consciente, et qui travaille d’après des modèles littéraires. Il n’en peut être question ici m s’il y avait fiction poétique, nous nous trouverions en présence, encore une fois, de tout un récit stylisé, et non d’un simple trait. Embellie ou non, l’histoire de la prise d’Angoulême repose, selon moi, sur un événement historique, et n’a pas peu contribué à populariser, parmi les chansons de geste, les récits du même genre.

Je n’ai rien à ajouter à ce que j’ai dit de la septième anecdote. C’est une de ces joyeuses saillies comme le clergé lui-même s’en permettait beaucoup vis à vis des siens, à une époque où la religion et l’autorité du prêtre n’étaient pas encore attaquées. Rien de plus fréquent, pendant tout le moyen âge, que des plaisanteries de ce genre, auxquelles aujourd’hui des écrivains naïfs prêtent l’esprit d’hostilité qu’ils y mettraient eux-mêmes. Disons ici, une fois pour toutes, que, dans les origines surtout, la très grande majorité des traits satiriques lancés contre le clergé ont été décochés par des clercs, aussi exempts d’arrière-pensée que les plaisants d’aujourd’hui qui raillent les médecins ou les femmes. C’est un clerc ou un moine qui, dans la simplicité de son cœur, a imaginé le bon mot de Clovis : paix à sa cendre, et honni soit qui mal y pense !

Cette anecdote est intéressante en outre au point de vue de la critique. Ou je me trompe fort, ou le trait final qui lui donne, à nos yeux, un caractère satirique, a été ajouté après coup. Le miracle qui fait l’objet du récit est tout à fait à l’honneur de l’église de Tours, et il ne serait pas difficile d’en trouver le pendant chez nos vieux hagiographes[42]. C’est, à n’en pas douter, le clergé de l’église Saint-Martin qui a mis la légende en circulation ; quant au trait final, rien ne nous empêche de supposer qu’il aura été aiguisé dans une des églises neustriennes voisines de Tours.

Nous n’avons pas épuisé les matériaux légendaires qui ‘ont servi à la constitution de l’histoire de la guerre des Visigoths. Il reste à classer quelques autres faits de diverse provenance. D’abord l’histoire de la rencontre de saint Maixent avec les soldats de Clovis, des excès de ceux-ci, et des miracles par lesquels le saint manifeste sa puissance. Cet épisode, comme Grégoire de Tours nous le dit lui-même, est tiré de la biographie du saint : j’ai montré ailleurs que celle-ci est perdue, et qu’on ne doit pas l’identifier avec le Vita Maxentii qui nous a été conservé[43].

Grégoire raconte encore, au sujet de la bataille de Vouillé, quelques faits qu’il ne semble pas avoir puisés dans une source écrite : du moins on ne voit aucun document qui aurait contenu un récit assez détaillé pour comporter tant d’épisodes. A la bataille assistaient, dit-il, beaucoup d’Arvernes venus sous la conduite d’Apollinaire, et les principaux de leurs sénateurs y périrent. La source est ici apparente. C’est à Clermont, dans sa ville natale, de la bouche de ses parents et dans la conversation de tout le monde, que Grégoire a appris cet épisode. Il a pu connaître personnellement certains de ses concitoyens qui avaient été à Vouillé, où ils combattaient dans les rangs des Visigoths et contre Clovis, et c’est leur récit, d’ailleurs très dépourvu d’enthousiasme pour le vainqueur, que Grégoire a enregistré. L’Apollinaire dont il s’agit était un des plus grands personnages de Clermont, et il n’est pas étonnant que Grégoire se souvienne de lui. Fils de Sidoine Apollinaire, qui était la gloire de sa ville natale, neveu de l’illustre Ecdicius, le héros chéri de Dieu, il parvint, en 515, à la dignité épiscopale de Clermont, grâce surtout, nous dit Grégoire qui rapporte ici des souvenirs précis, aux intrigues de sa femme Placidina et de sa sœur Alchima. Mais il ne jouit que trois ou quatre mois de cette haute dignité, dont il ne semble pas avoir fait un bon usage[44]. Son fils Arcadius, après avoir trahi Théodoric, appelé Childebert et attiré sur sa patrie toutes les horreurs de la guerre, se réfugia à Bourges, auprès de ce dernier roi : quelque temps après, nous le retrouvons mêlé à l’odieux assassinat des enfants de Clodomir, et c’est là le honteux épilogue de l’histoire d’une des grandes familles de la Gaule romaine[45].

Comme on le voit, malgré sa richesse apparente de détails, l’histoire de la guerre des Visigoths n’est nullement, dans Grégoire de Tours, un récit suivi, un tout homogène qui lui aurait été fourni de toutes pièces par la tradition : c’est, au contraire, une mosaïque construite par lui, au moyen de quantité de pièces de rapport assez ingénieusement combinées pour donner l’illusion de l’unité, même à des critiques exercés[46]. Tours, Poitiers, Angoulême, Saint-Maixent et Clermont ont fourni chacune son anecdote ; plus tard, Paris y a encore ajouté la sienne.

Toute une poussière légendaire tourbillonne autour de l’histoire de la guerre des Visigoths, mais quant à la poésie épique, nous ne l’y avons pas encore rencontrée. Preuve incontestable qu’à cette date, à l’heure où les Francs redisaient de si fraîches et si vieilles cantilènes héroïques, l’imagination des peuples de la Gaule méridionale ne s’était pas encore éveillée à la voix de l’épopée, bais ici, je me sens obligé de répondre à une autre question que le lecteur n’aura pas manqué de se poser déjà : Les Francs eux-mêmes n’avaient-ils donc pas de récit épique sur la guerre d’Aquitaine ?

Je réponds : oui, ils en avaient, et si Grégoire en fait un usage plus réservé ici qu’ailleurs, c’est précisément parce qu’il croit tenir, dans les souvenirs locaux dont il vient d’être question, assez de renseignements pour n’être pas obligé de recourir à des chansons barbares. Un seul trait emprunté à la tradition franque lui a semblé digne d’être mentionné : c’est la part prise à la bataille de Vouillé par Chlodéric, fils de Sigebert le Boiteux, roi des Ripuaires. Ce Sigebert, ajoute notre chroniqueur, devait cette infirmité à une blessure au genou, qu’il avait reçue en combattant contre les Alamans près de la ville de Tolbiac[47]. Nous voici de nouveau en pleins souvenirs barbares, c’est-à-dire épiques. Ce ne sont à coup sûr ni les Annales d’Angers, beaucoup trop sommaires, ni les souvenirs locaux de Clermont, où le nom même du jeune prince ripuaire était sans doute inconnu, qui ont pu être ici la source de Grégoire. D’ailleurs, les Francs seuls ont pu porter un intérêt assez vif à Chlodéric pour le mentionner, et, s’ils l’ont fait, ce ne peut avoir été que dans un chant. Il est manifeste que le chant était à la gloire de Chlodéric : l’ampleur même de la place qui lui est faite en est un indice assez clair, car si l’on parle ici de son père Sigebert et des combats dans lesquels il a contracté son infirmité, ce n’est qu’à son occasion, et pour mieux le présenter comme un héros fils de héros. Mais quel était ici l’exploit, qui a valu à Chlodéric l’honneur d’être glorifié par la chanson ? Grégoire nous a condamnés à l’ignorer, soit parce que l’histoire lui parait trop invraisemblable, soit parce qu’elle mettait dans un trop beau jour le jeune homme qui jouera un si. laid rôle plus tard, et que l’invraisemblance interne de toute son histoire épique aura une fois de plus poussé Grégoire à pratiquer ici la rigoureuse discrétion qu’il met dans l’emploi de ses matériaux épiques. Il n’a pu, cependant, se défendre si complètement contre eux qu’il n’ait fait grâce au détail relatif à la claudication de Sigebert. Qu’il ait trouvé ce détail dans notre chanson et pas ailleurs, c’est ce qui résulte de l’usage même qu’il en fait ici, où c’est un hors d’œuvre, alors qu’il eût été bien plus à sa place là où Grégoire nous fait proprement l’histoire de Sigebert.

Il est utile d’ajouter que la bataille de Tolbiac ne peut être aucunement identifiée avec celle que Clovis livra aux mêmes ennemis, et à la suite de laquelle il se convertit. Il y avait sans doute quelque chose d’ingénieux dans la conjecture qui les identifie, et qui a, depuis des siècles, acquis la valeur d’un fait prouvé, mais elle n’en a pas plus de fondement[48]. L’histoire de la victoire et de la conversion de Clovis nous est connue par le Vita Remigii, qui ne parlait ici que de Clovis, et qui, pour tout le reste, était si laconique, qu’il a omis jusqu’au nom du théâtre de la bataille et jusqu’à celui du roi alaman qui y périt. Grégoire de Tours, qui dépend exclusivement du Vita Remigii, les a ignorés l’un et l’autre, comme cela ressort à suffisance de son récit. Si la bataille de Tolbiac, où combattit Sigebert, était à ses yeux la même que celle où Clovis se convertit, il aurait eu soin de nous le dire, soit à propos de cette bataille, soit ici. Son silence est tout ce qu’il y a de plus significatif, et la bataille de Tolbiac n’est évidemment qu’une bataille entre les Ripuaires et les Alamans, qui s’est passée en dehors de toute participation de Clovis.

Faut-il croire que c’est à la même source barbare que Grégoire a emprunté le trait suivante : Le roi venait de mettre en fuite les Goths et de tuer le roi Marie, lorsque, subitement, deux guerriers ennemis, se jetant au-devant de lui, le blessèrent aux deux flancs avec leurs épées. Mais, grâce à sa cuirasse et à la rapidité de son cheval, il échappa à la mort. Il n’y a rien qui empêche d’admettre cette supposition, bien qu’on puisse croire à la rigueur que le souvenir du danger couru par Clovis a pu se conserver aussi dans les traditions orales de Clermont. Si je penche plutôt pour une provenance épique, c’est parce que les Francs seuls portaient à Clovis assez d’intérêt pour noter avec sollicitude les périls auxquels il avait été exposé dans la bataille. Qu’on n’objecte pas le rôle, peu héroïque prêté ici au vainqueur : car, outre que nous ne connaissons pas l’épisode tout entier, nous savons que la fuite dans le combat, si elle était dictée par la prudence, n’était pas une honte pour le Germain, à condition qu’il revint à la charge, comme Clovis le fait ici, et qu’il remportât la victoire[49].

Il existait donc des chansons franques sur la guerre d’Aquitaine, et, si Grégoire de Tours en a fait un usage à notre gré trop parcimonieux, Frédégaire, cette fois encore, a puisé plus largement dans le trésor des souvenirs barbares. Le récit qu’il nous a conservé a trait à l’origine de la guerre contre les Visigoths, et la couleur en est si franchement germanique, qu’il serait oiseux de chercher d’autres preuves de sa provenance.

Dans la partie de son Épitomé qui raconte la guerre des Visigoths, Frédégaire écrit[50] : Igitur Alaricus rex Gothorum cum amicicias fraudulenter cum Chlodoveo inisset, quod Chlodoveus, discurrente Paterno legato suo, cernens, adversum Alaricum arma commovit. Les mots en italique, qui manquent dans Grégoire et que Frédégaire a ajoutés au texte abrégé de celui-ci, sont une allusion à un récit plus développé, qu’on retrouve dans une partie antérieure de la chronique du même Frédégaire. Le voici

Un jour, Clovis, roi des Francs, et Alaric, roi des Visigoths, qui résidait à Toulouse, après s’être livré de nombreux combats, s’envoyèrent des ambassadeurs pour traiter de la paix. Il fut convenu qu’Alaric toucherait la barbe de Clovis et deviendrait ainsi son parrain[51], et que désormais la paix serait perpétuelle entre eux. Le lieu et le jour de l’entrevue furent fixés ; aucun Franc ni Goth ne devait y assister en armes. Or, Paternes ; envoyé de Clovis, se rendit auprès d’Alaric pour voir si les Goths observaient ces conditions, ou si, selon leur usage et comme l’événement le prouva par la suite, ils trahiraient leur promesse. Pendant que Paternus s’acquittait de son message, il voit des Goths qui, contrairement aux conventions, portaient des épées au lieu de bâtons[52]. Il en saisit un, le traîna hors de sa cachette, et reprocha au roi d’user de mensonge pour tromper Clovis. Le roi ne trouva rien à répondre, et il fut décidé que Théodoric serait pris pour arbitre. Les deux rois lui envoyèrent leurs ambassadeurs. Paternus, parlant pour Clovis et pour les Francs, y formula des plaintes qui réduisirent au silence les délégués d’Alaric. Théodoric, pressé de trancher le différend et rempli de jalousie envers les deux rois, imagina de les brouiller plus encore au moyen d’une solution impossible. Il décida que l’envoyé de Clovis viendrait à cheval, tenant en main une lance dressée, devant la porte du palais d’Alaric, et que celui-ci avec ses Goths jetterait des solidi en nombre suffisant pour en couvrir le cheval, le cavalier et la pointe de sa lance. Les Goths, ne pouvant s’acquitter d’une amende aussi énorme, voulurent alors se débarrasser de Paternus ; ils le firent tomber la nuit du haut de la terrasse d’une maison. Paternus se cassa le bras, mais ne périt pas. Le lendemain, Alaric le conduisit devant ses trésors, et lui affirma sous serment qu’il ne possédait pas plus que ce qu’il y avait dans ses coffres. Paternus, saisissant un denier, le jeta hors de sa main et dit : His solidos adarrabo ad partem dominæ mei Chlodovei regis et Francos. Puis il retourna auprès de Clovis, auquel il raconta en détail tout ce qui s’était passé. Clovis, alors, prit les armes et marcha contre Alaric[53].

Pour le coup, nous voici en pleine épopée barbare. Que le récit ait été transmis sous forme de chant populaire, comme je le crois, ou qu’il ait simplement passé de bouche en bouche sans le soutien du rythme, peu importe : c’est, à coup sûr, un thème traité d’après les règles du genre, c’est un tout arrondi et complet, comprenant une action qui commence, qui se déroule et qui s’achève, et fournissant le sujet d’une vraie narration poétique[54]. A ce point de vue, la différence avec les anecdotes étudiées ci-dessus, et dont chacune ne consiste qu’en un trait ou qu’en une parole piquante, est absolument incontestable. De plus, on remarquera que ce récit, à la différence de tous les précédents, est essentiellement germanique et barbare. Il ne s’agit pas ici de miracles ni de bons mots, il s’agit de l’origine d’une guerre et des causes de celle-ci. Le rôle déloyal attribué à Théodoric nous fait pénétrer dans les préoccupations populaires, qui tendent à incriminer d’une égale perfidie les deux branches de la race gothique. Les intentions odieuses et les tentatives de trahison mises à la charge des Goths répondent bien aux préventions qui régnaient chez les Francs à l’endroit de leurs voisins méridionaux, et dont on retrouve l’écho de Grégoire lui-même. Couper la barbe de celui qu’on adopte pour filleul, c’est une cérémonie toute barbare : il est possible qu’elle ait existé aussi dans l’empire, mais, d’aucune manière, les Germains ne la lui ont empruntée, et nous la voyons encore pratiquée par Charles Martel, lorsqu’il envoya son fils Pépin à Luitprand pour qu’il lui coupât les cheveux, et qu’ainsi il devînt son père d’adoption[55]. L’amende infligée aux Visigoths par Théodoric, et qui peut paraître extravagante au lecteur moderne, était parfaitement conforme au symbolisme juridique usité parmi les barbares. On couvrait un délit à la lettre en en couvrant le corps, et lorsque celui-ci disparaissait sous le wergeld entassé, alors, naturellement, l’offense était expiée, puisqu’elle n’apparaissait plus. Paternus a été l’objet d’une tentative d’assassinat, eh bien, pour que ce crime soit couvert, il faut que’ Paternus le soit lui-même. Et comme il est un guerrier, c’est dans son attirail guerrier que doit le prendre l’amende pour qu’elle soit adéquate[56].

Tel est le type idéal de la composition. A-t-elle été payée sous cette forme dans les temps préhistoriques, et les formules où elle est rappelée sont-elles-le dernier souvenir qu’en a conservé le langage ? Ou bien ne faut-il pas voir ici qu’une simple fiction juridique destinée à exprimer, sous une figure saisissante, le but et la nature de la composition ? Je ne sais, bien que je sois assez tenté de m’en tenir à la première hypothèse[57]. J. Grimm, dont je partage ici l’avis, n’a pu trouver l’usage que dans un texte mythologique de l Edda, et dans quelques records germaniques, mais il ne s’agit là que d’animaux tués, et le texte de Frédégaire est relatif à la composition humaine. Par contre, un passage du poème de Waltharius me fournit une allusion manifeste à l’usage attesté par Frédégaire.

Attila, furieux de la fuite de Walther et de Hildegonde, fait les plus superbes promesses à qui lui ramènera les deux jeunes gens :

Hunc ego mox auro vestirem sæpe recocto

Et tellure quidem stantem hinc inde onerarem

Atque viam penitus clausissem vivo talentis.

Le vivo, qui ne le voit ? est ici la preuve que l’usage visé n’était pratiqué d’ordinaire que sur les morts, et en guise de composition, tandis que la générosité d’Attila devait consister à donner la même énorme somme à un vivant, et à titre de récompense. Nul ne doutera toutefois que l’idée primitive qui se traduit par ce mode de paiement ait été celle du wergeld. Ce dont il s’agit, c’est de donner à l’homme sa propre valeur en or. Sous ce rapport, la forme la plus pure et la plus ancienne de cette pratique nous est révélée dans le trait suivant : Au XIIIe siècle, Otton IV de Brandebourg, fait prisonnier par l’évêque de Magdebourg, est relâché moyennant une rançon de 4.000 marcs. A peine mis en liberté, il s’écrie : Ce n’est pas là la rançon d’un margrave. Sachez que j’aurais dû monter à cheval, tenant ma lance dressée dans ma main, et qu’on aurait dû me couvrir d’or et d’argent jusqu’à la pointe de ta lance : c’est là le taux de la rançon d’un margrave. Mais vous ne le saviez pas[58].

Enfin, nous trouvons dans la Hervararsaga un exemple qui se rapproche singulièrement de celui de Frédégaire. Lorsque Hlaudr vient réclamer la moitié de la succession de son père, Angantyr, le frère aîné, refuse, mais lui fait des offres : Assieds-toi sur ton siège élevé, et je te couvrirai complètement d’argent et d’or ; et de tous côtés autour de toi rouleront les anneaux rouges[59].

On voit par là le caractère incontestablement germanique de la légende racontée par Frédégaire : c’est tout ce qu’il s’agissait de prouver ici[60]. C’est donc bien chez les Francs qu’est née la tradition qu’il raconte, c’est de chez eux qu’elle est arrivée à cet écrivain, romain de nationalité, je ne fais d’ailleurs aucun état de la présence de Paternus dans l’épisode : il ne prouve nullement, comme le croit M. Rajna, que le récit ait passé par des bouches romaines, non plus que les histoires où figurent les noms d’Aurélien et d’Aridius. Il est facile de comprendre qu’à partir du jour où ils ont été en contact avec des Romains, et où ceux-ci ont été employés d’une manière toute spéciale par les souverains en qualité de ministres et d’ambassadeurs, la chanson épique, qui en définitive part toujours de la réalité historique, a dû garder trace de cette situation. On peut donc fort bien admettre qu’il y a eu un personnage nommé Paternus, qui a servi d’ambassadeur à Clovis auprès des Visigoths, et autour duquel s’est formée la légende que nous venons d’étudier.

D’ailleurs, sans compter ce personnage, le récit de Frédégaire contient plus d’un élément historique. On a révoqué en doute les nombreux combats entre Francs et Visigoths qui auraient précédé la bataille décisive de Vouillé : je ne vois rien de plus vraisemblable. Tout mettait les deux nations aux prises : non seulement leur opposition confessionnelle, qui était fort vive, mais aussi leur ambition respective. Les Francs rêvaient de s’étendre au sud de la Loire, où ils avaient un parti, où plus d’un les attendait, où l’on opprimait les catholiques, où se réfugiaient leurs ennemis. Alaric, il est vrai, avait livré à Clovis victorieux le vaincu Syagrius ; mais ce trait de lâcheté n’avait pas suffi pour faire de lui l’ami des Francs, et lui-même, devenu le gendre du paissant Théodoric, il avait vu sa situation s’améliorer assez pour lui permettre de prendre vis à vis des Francs une attitude plus fière. Aussi voyons-nous, par un continuateur de Prosper d’Aquitaine, qu’en 496 Alaric s’emparait de Saintes, et qu’en 498 Clovis prenait Bordeaux en plein pays visigoth[61]. Si l’on réfléchit que Saintes faisait partie de cette Aquitaine seconde qui était le noyau des possessions visigotiques en Gaule, et que, pour qu’Alaric doive la reconquérir en 496, il faut qu’elle lui ait été enlevée précédemment, ne sera-t-on pas autorisé à conclure que les multa prilia dont parle Frédégaire ne sont pas chose si invraisemblable ?

L’intervention de Théodoric, roi des Ostrogoths, est également confirmée par le témoignage de l’histoire. Il nous reste en effet quatre lettres de ce prince, l’une adressée à Alaric pour lui conseiller de négocier, deux autres à Gondebaud et au roi des Hérules pour les exhorter à faire avec les autres rois une ligue pour la paix, une enfin à Clovis pour lui déclarer que celui qui ouvrira les hostilités le trouvera sur son chemin. Théodoric va plus loin : il conseille aux deux rivaux d’éteindre leur débat au moyen d’arbitres qu’ils choisiraient entre leurs parents : c’était se désigner assez clairement lui-même. Sa proposition fut-elle agréée, et devint-il réellement, comme le fait entendre le récit de Frédégaire, l’arbitre des deux nations ? Je ne sais, mais, dans ce cas, il est peu probable qu’il ait été exempt d’une certaine partialité pour un peuple arien comme lui-même, et dont le roi était son gendre. Tout au moins on comprend que les Francs aient conçu de la défiance vis-à-vis d’un tel arbitre, et que leur légende épique s’en soit ressentie. Quant l’entrevue de Clovis avec Marie, on sait qu’elle eut lieu en effet dans une île de la Loire, et que les rois se quittèrent en excellents termes : la légende s’est donc bornée, encore une fois, à amplifier sur une réalité historique. Et l’on peut dire que le récit de Frédégaire, si bizarre et dans une certaine mesure si invraisemblable, a pourtant serré l’histoire de fort près, a respecté la succession des faits, et n’a jeté des fleurs que dans leurs interstices.

 

 

 



[1] Grégoire de Tours, III, 37.

[2] Voir tous les textes réunis dans Junghans, p. 150-152. Cf. Richter, p. 38 n. 2.

[3] Je ne sais, dit M. Fustel Coulanges, si Clovis a parlé ainsi, mais Grégoire de Tours, qui puise dans la tradition populaire, croyait qu’il avait parlé ainsi. Et s’il n’y a pas là une vérité matérielle, il y a une vérité d’impression que l’historien ne doit pas négliger. Pour ces générations d’hommes, les questions religieuses avaient l’importance capitale. L’Invasion germanique et la fin de l’Empire, p. 496. Il y a d’ailleurs lieu de rapprocher le passage où Grégoire fait parler le roi Gonthran ordonnant, lui aussi, une expédition conte les Visigoths : Prius Septimaniam proventiam ditioni nostræ subdite, quæ Galliis est propinqua, quia indignam est, ut horrendorum Gothorum terminus usque in Galliis sit extensus. Grégoire de Tours, VIII, 30.

[4] Il est inutile de comprendre dans cette énumération l’historiette racontée par Hincmar, Vita Remigii, 92, d’un flacon de vin donné par saint Remy à Clovis avant le départ pour l’Aquitaine, et qui avait la double propriété de ne pas se vider et d’être un gage de victoire. Cette légende n’a qu’un rapport indirect avec notre sujet, et n’a d’autre but que de glorifier saint Remy : née à Reims et localisée autour de son église, elle est restée inconnue partout ailleurs.

[5] Liber Historiæ, c. 37. Cf. Grégoire de Tours, II, 43.

[6] Grégoire de Tours, II, 37.

[7] Grégoire de Tours, l. l. Liber Historiæ, 17.

[8] Grégoire de Tours, l. l. Liber Historiæ, l. l.

[9] Grégoire de Tours, l. l. Lib. Hist., l. l.

[10] Grégoire de Tours, l. l. Lib. Hist., l. l.

[11] Liber Historiæ, c. 17. Je ne parle pas ici de l’épisode de saint Maixent, parce qu’il n’est pas de provenance orale, et que Grégoire de Tours l’a emprunté à la vie de saint Maixent. Voir G. Kurth, Les Sources de l’hist. de Clovis, p. 415-422.

[12] Grégoire de Tours, II, 43 ; IV, 1 ; Liber Historiæ, c. 17.

[13] Grégoire lui-même emploie indifféremment les deux noms. Il dit basilique des saints-Apôtres (II, 43 et Glor. Confess., c. 89), et basilique Saint-Pierre (III, 18, IV, 1 ; V, 18 et 49). Sur le tombeau de sainte Geneviève dans cette église, v. Grégoire de Tours, IV, 1 et le même Glor. Conf., c. 89. Sur les fluctuations du nom de l’église, voir Kohler, Étude critique sur le texte de la vie latine de saints Geneviève de Paris, p. XC et suiv.

[14] Liber Histoticæ, c. 17. Tunc rex projecit in directum a se bipennem suam, quod est francisce, et dixit : Sic fiatur ecclesia beatorum apostolorum, dum auxiliante Domino revertimur. Cf. Roricon (Bouquet, III, p. z6). Aimoin, I, 25 (ibid., III, p. 44), se borne à dire incidemment que Clovis avait bâti l’église Saint-Pierre à la demande de Clotilde.

[15] Cf., dans l’Edda, la Thrymskvida, où Thor, déguisé en fiancée du géant Thrymr, se fait rendre par celui-ci son marteau, qu’on dépose sur ses genoux pour consacrer la nouvelle épouse (brude at vigja).

[16] Stanley, Dans les ténèbres de l’Afrique, t. I, p. 138.

[17] J. Grimm, Deutsche Rechtsalterthümer, 2e édition Gœttingen, 1854, p. 55-68. Il ne serait pas difficile de trouver des exemples du même usage dans les pays de langue romane qui ont subi l’influence des Germains. Ainsi, le Chemin le Duc ou Royal Chemin, qui est le duché de Limbourg et allait du Rhin à la Meuse, appartenait au duc aussi avant qu’il pourrait jetter d’une lance dedans la Meuse et aussi dedans le Rhin. Ancienne cout. du Limb., § 46, dans Ernst, Hist. du Limbourg, I, p. 68.

[18] La dernière élaboration de cette donnée se trouve dans les légendes du type de celle de Robermont : l’abbesse de la communauté jette en l’air son trousseau de clefs, en décidant qu’on bâtira le nouveau monastère a l’endroit où elles tomberont, et les clefs prennent leur vol jusqu’à Robermont, où on les retrouve, et où le monastère est bâti. V. Wolf, Niederlaendische Sagen, p. 422.

[19] Sic fiatur ecclesia beatorum apostolicum, dum auxiliante Domino revertimur. Lib. Hist., l. l.

[20] Egressus autem a Turones Parisius venit ibique cathedram regni constituit. Grégoire de Tours, II, 38.

[21] Grégoire de tours, V, 14.

[22] Jornandès, c. 24.

[23] Frédégaire, II, 60.

[24] Grégoire de Tours, IV, 44.

[25] Eugipp., Vita Severin, c. 29.

[26] Thietmar Merseburg. VII, 53.

[27] Gaston Paris, Histoire poétique de Charlemagne, p. 261, d’après le Karlamognus-Naga.

[28] Id., ibid., p. 250, d’après Ogier le Danois.

[29] Id., ibid., p. 339, d’après une légende latine du XIe siècle.

[30] Liber de virturte s. Hilarii, VII, 20 (éd. Krusch).

[31] Frédégaire, II, 60.

[32] Jordanès, c. 42.

[33] Grégoire de Tours, II, 19. Cf. la note d’Arndt.

[34] Id., II, 34.

[35] Id., II, 20.

[36] Id., V, 17.

[37] Id., VI, 22.

[38] Id., VII, 11.

[39] Einhard, Annal. 815.

[40] Prud., Ann. 858 ; Rud. Fuld., Ann. 858. Sans doute, on peut s’étonner que, s’il en est ainsi, Grégoire de Tours ne l’ait pas dit ; mais c’est que, de son temps, le fait était déjà altéré, et, d’autre part, lui-même n’observait pas toujours la relation de cause à effet, car il écrit, sous la date de 582 : Muni urbis Sessionicœ conruerunt ; apud Andecavam urbem terra tremuit (VI, 21), sans avoir l’air de se douter que le premier de ces faits trouve son explication dans le second.

[41] Rajna, p. 247. Voir le détail dans Gaston Paris, p. 254 et suiv.

[42] Voir par ex. Jonas, Miracula sancti Hucberti, c. 14 (Mab., Act. Sanct., IV, I, p. 284) où l’on voit également un cheval que son maître avait promis de donner à l’abbaye de Saint-Hubert refuser de s’éloigner du monastère.

[43] Les sources de l’hist. de Clovis, etc., p. 413-422.

[44] Grégoire de Tours, III, 2 ; Glor. Mart., 44 et 64 ; Vit. Pat., I.

[45] Grégoire de Tours, III, 9, 12, 18.

[46] Junghans pèche ici en partie par le vague et en partie par l’inexactitude quand il écrit p. 86 : Le souvenir de cette guerre de Clodovech a dû se conserver à Tours avec une vigueur toute particulière, soit par la tradition écrite, soit par la tradition orale, et c’est de ces traditions que provient évidemment le récit de Grégoire.

[47] Habebat auteur in adjutorium suum filium Sigiberti Claudi nomine Chlodericum. Hic Sigibertus pugnans contra Alamannos apud Tulbiacusim oppidum percussus in genucuium claudicabat. Grégoire de Tours, II, 37.

[48] Nous savons par Grégoire, qui parle ici d’après le Vita Remigii, que Clovis a livré une bataille aux Alamans. D’autre part, le même Grégoire nous apprend (II, 37) que le roi des Ripuaires Sigebert a été blessé au genou en combattant contre les Alamans à Tolbiac. Ceux qui tenaient beaucoup à donner un nom à la victoire de Clovis, trouvant ici une bataille contre les Alamans, se sont figuré que c’était la sienne, et ont conclu qu’il l’avait livrée de concert avec les Ripuaires, double supposition fort gratuite d’abord, et en contradiction avec le Vita Vedasti, qui nous oblige à chercher le théâtre du combat en Alsace ou tout au moins sur le haut Rhin, je ne sais qui a le premier identifié la bataille de Clovis avec celle des Alamans ; je vois que Robert Gagnin, Compendium super Francorum Gestis, Paris, 1504, ne se doutait pas encore de la prétendue identité.

[49] Cedere loco, dura modo cursus instes, consilii quam formidinis arbitrantur. Tacite, Germanie, c. 6. Mais déjà le Liber Historiæ, c. 17, a soin de biffer la mention de la fuite de Clovis : sed propter luricam qua indutus erat, eum non livoraverunt. Quant à Hincmar, on ne sera pas donné de lui voir écrire 94 : Magis antem Dominos lorica fidei indutum per orationem sancti Remigii patris et patroni sui adjuvit eum.

[50] Frédégaire, III, 24.

[51] Ut Alaricus barbam tangerit Chlodovei, effectus ille patrenus. Frédégaire, II, 58. Ut in tondenda barba Clodovei, patrinus ejus efficeretur Alaricas. Roricon IV (Bouquet, III, p. 14).

[52] Ce passage est difficile. Frédégaire dit : Gothi fraudulenter uxos pro baculis in manum ferentis. Ce mot uxus se retrouve encore, avec le sens d’épée, dans Frédégaire, IV, 64 : Heraclius.... extraheus uxum, capud patriciæ Persarum truncavit. Mais aucun auteur ne l'emploie (cf. Ducange, s. v.), et Roricon et Aimoin, qui ont reproduit la légende, paraissent ne l'avoir pas compris, ou s'être trouvés en présence d'un autre texte. Le premier, livre IV (Bouquet, III, p. 15) écrit : cultellos permaximos, quos vulgariter scramsaxos corrupto vocabulo nominamus. L'autre, I, 20 (ibid., III, p. 41) : ferreum ostii obicem pro baculo manu gerere.

[53] Frédégaire, l. l. Cf. Roricon, l. l. (Bouquet III, 14 et 15), Aimoin, I, 20 (ibid., III, p. 41). Hincmar, Vita Remigii (ibid., III, 378). Ce dernier, qui ne parait pas avoir connu la chronique de Frédégaire, semble s’appuyer ici sur la tradition orale : s’il en est ainsi, on peut considérer sa version comme un remarquable exemple de survivance des légendes mérovingiennes. Sur l’identité, dans l’espèce, des deux expressions tangere et tondere, v. Ducange s. v. barba.

[54] Nous devons reconnaître sans hésitation qu’ici encore nous avons une relation dans laquelle la poésie lest emparée de la tradition historique. Junghans-Monod, p. 85.

[55] Circa hæc tempera Carolus princeps Francorum suum filium ad Luidprandum ditexit, ut ejus juxta morem capillum susciperet. Qui ejus cæsariem incidens, ei pater effectus est multisque eum ditatum regiis munetibus genitori remisit. Paul Diacre, Hist. Langob., VI, 53.

[56] V. sur cet usage Ducange, Dissertations sur l’hist. de saint Louis, XXII (dans son Glossaire, éd. Didot, t. VII, p. 87), et J. Grimm, Deutsche Rechtsalterthümer, p. 147.

[57] J. Grimm, Deutsche Rechtsalterthümer, 2e édit. Gœttingue, 1854. p. 680-674. Aux exemples cités par Grimm, on peut ajouter celui que cite Lünig dans son édition de l’Edda, Zurich 1859, p. 359 note, d’après Mone, Anseiger, 1836, p. 42 ; il s’agit là du droit appelé Katzenrecht, et pratiqué à Erlebach sur le lac de Zurich : Quand quelqu’un avait tué le chat de l’autre, on écorchait l’animal, on étendait sa peau à terre au moyen de quatre pieux, et le meurtrier devait jeter du grain dessus jusqu’à ce que la peau fût entièrement cachée ; le grain restait au propriétaire de l’animal.

[58] Geyder dans Hanpt, Zeitschr. für deutsches Alterthum IX (1853), p. 157.

[59] Trad. Freitag dans Herrig, Archiv. f. das Studium des neueren Sprachen, t. LXIX, p. 151.)

[60] Remarquez que ces compositions légendaires étaient impossibles à payer eu or, et que nos sources le disent elles-mêmes, mais cela n’empêche pas qu’elles aient pu être exigées et même acquittées, dans le temps où le métal n’avait pas encore pris, comme par la suite, la place du blé, qui, plus anciennement, servait à couvrir le corps du délit et qui reparaît en effet dans les records de droit rural cités plus haut.

[61] (496) Alaricus ann. XII regni sui Santones obtinuit. Auct. Havn. dans Pertz, Auctores Antiquissimi, t. IX, p. 331 (édit. Mommsen).

(498) Paulino v. c. consule. Ann. XIV Alarici Franci Burdigalam obtinuerunt et a potestate Gothorum in possessionem sui redegerunt capto Suatrio Gothorum duce. Ibid. Selon Mommsen, le continuateur connu sous le nom de Auctor Havniensis a écrit en Italie pendant le règne de l’empereur Héraclius (l. l. p. 267). Le témoignage de cet auteur vient à point pour rendre compte d’une addition faite par le Liber Historiæ au récit de la guerre des Visigoths d’après Grégoire ; il y est dit de Clovis, après la victoire de Vouillé : In Sanctonico vel Burdigalense Francos precepit manere ad Gothorum gentem delendam (c. 17). L’auteur du Liber Historiæ a connus les luttes livrées spécialement pour la possession de Saintes et de Bordeaux, et il conjecture que Clovis a dû prendre un soin particulier de deux villes si disputées.