HISTOIRE POÉTIQUE DES MÉROVINGIENS

LIVRE I. — Les Premiers Mérovingiens.

CHAPITRE V. — Mérovée.

 

 

Tous les peuples primitifs ont cru à l’origine surnaturelle de leur dynastie. Leurs rois étaient les descendants des dieux : c’était leur principal titre à l’obéissance des guerriers, c’était aussi le plus beau titre de noblesse de la nation elle-même. De là les nombreuses traditions poétiques sur les généalogies royales. Les Francs ont eu la leur, que je vais exposer d’après Frédégaire, Grégoire de Tours ayant cru devoir la passer sous silence.

Frédégaire, comme nous l’avons vu plus faut, n’a pas l’ombre d’esprit critique. Il raconte sans sourciller les récits les plus fabuleux, se bornant, lorsqu’il Je faut, à sacrifier les détails les plus choquants pour l’esprit chrétien, et se figurant, dans sa naïveté, qu’ils seront plus vrais quand il les aura rendus plus vraisemblables. D’instinct, il applique, aux données que lui fournit la tradition germanique, le procédé banal d’Evhémère, qui consiste à laisser passer la mythologie entière, sauf à ramener ses dieux à des proportions humaines. Il a humanisé ici une légende qui célébrait la descendance divine de la dynastie mérovingienne.

Pour faire toucher du doigt la vérité de cette observation et mettre dans tout son jour le procédé particulier de Frédégaire, je vais montrer de quelle manière, dans une occasion analogue, il a remanié un récit dont la version primitive nous est heureusement conservée. Il s’agit de la légende relative à l’origine du nom des Lombards. Cette tradition, dont, au VIe siècle, l’Origo Gentis Langobardorum nous a reproduit la forme la plus pure, est foncièrement fabuleuse, et ce serait perdre sa peine que de vouloir y trouver un noyau historique. C’est ce qu’à fort bien vu Paul Diacre, qui, au VIIIe siècle, reproduit la même légende, et qui croit devoir ajouter qu’elle est ridicule et digne de mépris, sans essayer d’en garder quoi que ce soit. Si, au contraire, vous lisez la version de Frédégaire, vous ne pouvez que vous étonner des efforts désespérés du brave homme pour sauver la plus grande partie possible du récit. On en jugera par le petit tableau suivant, où je reproduis les trois : versions en regard, en y ajoutant le résumé qu’en donne une Historia Langobardorum qui n’est elle-même qu’un abrégé de l’Origo.

[Voir les textes]

On le voit, l’Origo et Paul Diacre nous ont gardé le récit traditionnel tel qu’ils l’ont eux-mêmes entendu. Frédégaire n’a pas la naïveté du premier ni le sens historique du second ; il n’ose, ni croire à la fable, parce qu’elle est trop païenne, ni la rejeter résolument, parce que cela est trop hardi, et alors il la mutile pour la rendre vraisemblable. Dans la version qu’il nous présente, il ne reste plus que ceci : les femmes des Lombards ont été prises un jour pour des hommes à longue barbe, et de là vient le nom de leur peuple. Tout le reste a disparu : le danger couru par les Lombards, l’intervention de la déesse, le stratagème de celle-ci, le serment de Wodan et enfin Wodan lui-même. Il reste, il est vrai, le mot qu’il a prononcé, mais ce mot s’est prononcé tout seul, il est tombé du ciel, on ne sait de quelle bouche il est sorti. Tel est le procédé de Frédégaire. Il rend inepte, et à peu près inintelligible l’histoire qu’il raconte ; parce qu’il veut la sauver tout en la dépouillant de son caractère païen. N’eussions-nous pas conservé les documents qui nous ont permis de faire le contrôle de son récit, encore aurions-nous été autorisés, par la simple inspection de celui-ci, à conclure à la présence, dans la version primitive, d’un élément mythologique éliminé par le chroniqueur. Et, partout où nous le voyons raconter des récits analogues, et se débattre visiblement pour donner, à la fable le masque de la réalité, nous sommes fondés à admettre qu’il se trouve aux prises avec une donnée mythologique.

Appliquons à la légende de Mérovée le résultat de notre comparaison nous y verrons tout de suite en quoi Frédégaire a altéré sa donnée. Le bistea Neptuni n’est autre chose qu’un dieu marin ou fluvial, et l’expression Quinotauro similis fait allusion aux cornes que les Germains, aussi bien que les peuples classiques, attribuaient à ce genre de divinités. Le aut a bistea aut a viro est une assez plaisante expression de l’embarras où cette malencontreuse légende jette notre chroniqueur, qui, ne pouvant croire que Mérovée soit le fils d’un dieu, est obligé d’admettre qu’il doit le jour à une bête, à moins toutefois, ajoute-t-il dans sa simplicité, que la reine n’ait conçu de son mari. Le récit défiguré par Frédégaire se rétablit donc dans les termes suivants : un jour que la reine, femme de Clodion, se baignait dans la mer, un dieu s’unit à elle, et de cette union naquit Mérovée, le héros éponyme de la dynastie franque[1].

A quand remonte cette légende ? Evidemment, elle est antérieure à la conversion du gros de la nation au christianisme : elle n’a pu naître que dans un milieu païen, et c’est tout au plus si, à partir de la conversion, elle aura traîné parmi les Francs une existence précaire, exposée à des mutilations du genre de celle que lui a infligée Frédégaire. Elle existait donc déjà du temps de Grégoire de Tours, et on est fondé à admettre qu’elle a. dû être connue de lui. On devine bien ce qu’il en aura pensé. Évêque chrétien et fils de Romains, il avait un point de vue plus critique que Frédégaire, et il ne pouvait admettre d’aucune manière cette bête de Neptune, semblable au Minotaure, qui aurait été le père de Mérovée. Tout ce qui avait pour lui quelque couleur de vérité, c’est que Mérovée avait pour mère la femme de Clodion : sur ce point, nulle difficulté. Mais qui était son père ? Evidemment pas le dieu marin, qui n’existait pas, ou qui n’était qu’un démon ! Etait-ce Clodion alors ? Il était bien plus facile d’admettre cette hypothèse, sans compter qu’elle était la plus morale, la plus honorable p6gr la dynastie, la plus vraisemblable aussi. La seule difficulté, c’est qu’elle était en contradiction formelle avec l’unique source qui parlât de l’origine de Mérovée. Grégoire incline naturellement à admettre la paternité de Clodion, mais il n’ose cependant l’affirmer d’une manière absolue, en présence de la légende qui dit le contraire, et alors il écrit cette phrase dubitative, qui est l’expression adéquate de ses doutes et de sa somme d’esprit critique : Quelques-uns croient que Mérovée est de la race de Clodion[2]. On s’est généralement trompé sur la portée de ces paroles, se figurant qu’elles contenaient une allusion à une autre version sur l’origine de Mérovée[3]. Nous verrons, plus d’une fois encore, notre chroniqueur recourir à la même formule dubitative, lorsqu’il sera obligé de rapporter, sur la foi d’une tradition orale, un récit qu’il éprouve de la difficulté à croire. Pour peu qu’on soit familiarisé avec ses habitudes littéraires, on parvient, si je puis ainsi parler, à lire entre ses lignes, et la véritable portée de ses réticences apparaît avec une grande clarté. C’est comme si Grégoire nous disait formellement : je connais une tradition d’après laquelle Mérovée serait fils d’un dieu marin. Mais, comme il n’y a pas de dieu- marin, et que, de plus, cette impertinente tradition attribue à notre dynastie royale une origine flétrissante, je préfère m’en tenir à l’opinion la plus vraisemblable, et qui a pour elle de bonnes autorités.

La tradition franque sur l’origine de Mérovée existait donc dès le temps de Grégoire de Tours, et remontait jusqu’au passé de la nation. Mais que signifie-t-elle ? Est-il vrai, comme l’a pensé Waitz[4], après d’autres[5], que ce soit simplement une légende étymologique, suggérée par le désir d’interpréter le nom de Mérovée, qui deviendrait ainsi le fils de la mer ? Müllenhoff le nie. Mer se disait en franc mari, et il est peu probable que l’umlaut ait atteint dès lors l’a radical d’un mot pour en faire un e[6]. Ensuite, il est visible que Frédégaire ne pense nullement à expliquer le nom de Mérovée, et que sa source orale n’y pense pas davantage. Ce qu’il s’agit d’expliquer, c’est le nom de Merovingi porté par les princes de la dynastie ; aussi Frédégaire a-t-il soin d’ajouter, après avoir rapporté la légende : Per eo regis Francorum post vocantur Merohingii. Nous ne sommes donc pas ici en présence d’une fantaisie étymologique ; les Francs du Ve siècle n’avaient pas d’érudit qui pût se passer cette distraction, et la légende a un caractère trop archaïque pour cela ; elle est l’expression d’un sentiment national intense, qui pousse à la glorification de la dynastie, et qui le fait à la manière populaire, c’est-à-dire en lui attribuant une origine divine. L’ancêtre éponyme des Mérovingiens est un fils de dieu : voilà tout ce que veut dire la légende, rien de plus, rien de moins.

Cela établi, faut-il aller, avec quelques-uns, jusqu’à contester l’historicité de Mérovée lui-même, et le regarder comme un être mythique inventé pour rendre compte du patronymique Meroving ? Ceux qui le prétendent soutiennent que cet appellatif viendrait, non d’un héros qui n’a jamais existé, mais du nom de la Merwe, bras de mer à l’embouchure de l’Escaut, et dont les populations riveraines auraient fait un dieu. Les rois francs seraient des Merwings, c’est-à-dire« des descendants de la Merwe, et leur éponyme Merovechus disparaîtrait de l’histoire, qui d’ailleurs ne connaît de lui que son nom. Du reste, si les rois francs devaient leur nom à Merovech, c’est Meroveching, qu’ils devraient s’appeler ; or, ce nom ne figure nulle part dans les sources, qui écrivent unanimement Meroving.

Ainsi raisonne K. Müllenhoff. Je ne saurais pas être de son avis, et je déclare ingénument que, des deux interprétations du nom de Meroving, celle que nous donne le chroniqueur du VIP siècle me parait de beaucoup préférable à celle du savant neutre contemporain. A une époque où l’on continuait de se servir du suffixe -ing pour former des noms patronymiques, il était difficile qu’on se trompât sur la valeur du radical qui précédait le nom, et j’imagine que tout le monde sentait le nom de Merovech à travers celui de Meroving. C’est toujours un nom propre d’homme qui forme le radical des mots ayant un suffixe en -ing, et, chaque fois, ce nom désigne l’ascendant commun ou le chef suprême. Je ne connais pas d’exemple du contraire en pays franc, et Meroving serait ici une exception unique. Müllenhoff, il est vrai, admet que la Merwe aurait été d’abord personnifiée, mais c’est là une supposition fort gratuite. Il se trompe également en niant que Meroving vienne de Merovechus, parce qu’il ne présente pas la forme Meroveching ; Meroving n’est, en effet, que la contraction de la forme Meroveching, après la chute de l’aspirée ch, qui a produit la forme intermédiaire Meroving. Si les formes Meroveching ou Meroving n’apparaissent jamais dans nos textes, c’est que le nom lui-même y est très rare : Grégoire de Tours ne l’emploie jamais, Frédégaire et le Liber Historiae ne l’offrent qu’une seule fois chacun ; aprêç cella ; on ne le trouve que dans le Vita Columbani de Jonas ; dans le prologue de la Lex Alamannorum et Bauariorum, dans le Vita Agili, dans le Vita Karoli d’Eginhard, et dans quelques autres textes cités au bas de cette page[7]. La rareté du terme s’explique sans doute par ce fait que les écrivains romains n’avaient pas l’intelligence des patronymiques tudesques ; mais elle suffit pour nous permettre d’expliquer l’absence d’une forme Meroveching. La chute de l’aspirée ch apparaît dès le VIIe siècle dans Meroveus, Chlodoveus, etc., à plus forte raison devait-elle avoir lieu de bonne heure dans Meroveching, forme où l’aspiration gutturale était encore plus difficile à rendre pour des gosiers romains[8]. D’ailleurs, la preuve que Meroving se rattache bien à Merovech par un hypothétique Meroveching est fournie par le poème anglo-saxon de Beowulf, qui le contient sous la forme Merovioing, dérivé de Merovio qui est lui-même la forme saxonne du Merovich franc[9]. Meroving est donc bien, quoi qu’en dise Müllenhoff, le patronymique de Merovech. Et il reste constant que les Francs, comme tous les autres peuples, ont entendu désigner par ce patronymique la descendance de leurs rois d’un héros national, que celui-ci soit historique ou purement légendaire.

Je crois d’ailleurs à l’historicité du personnage de Mérovée. Sans doute, on aurait pu l’inventer pour rendre compte du nom dynastique ; sans doute, ceux qui lui refusent une existence historique peuvent arguer de ce qu’il n’apparaît nulle part dans l’histoire des Francs, excepté dans ce passage-ci, qui est emprunté à une légende mythologique. Mais ces raisons ne suffisent pas pour l’écarter. Le nom que la légende donne à l’ancêtre éponyme des Francs est de ceux qui reparaissent fréquemment dans leur lignée : nous le voyons porté par des fils de Chilpéric, de Clotaire II, de Théodebert II et de Théodoric II : cela est déjà une présomption en faveur du Mérovée éponyme. Et pourquoi se figurer que la tradition poétique des Francs aurait pu se tromper sur l’existence d’un personnage qu’elle-même plaçait après Clodion, c’est-à-dire dans la seconde moitié du Ve siècle ? L’historicité incontestée de Clodion nous garantit ici celle de son fils Mérovée. Si ce dernier était fictif, la tradition en aurait fait le père de Clodion, et non son fils. D’autre part, Grégoire de Tours, si défiant de la légende, parle cependant du roi Mérovée avec une assurance qui laisse croire qu’il le considère comme connu de tout le monde : à le regarder bien, ce texte semble écrit, non pour nous apprendre l’existence de Mérovée, qu’il suppose universellement connue, mais pour nous mettre au courant de ce qu’on raconte sur son origine. Il en résulterait que le nom de Mérovée lui était connu par ailleurs. Et je crois voir au moins un document dans lequel il aura pu être mentionné : c’est le chant épique sur la jeunesse de Childéric, dont je parlerai dans le chapitre suivant. Ce chant, qui racontait la captivité de Childéric et de sa mère chez les Huns, nommait sans doute, à cette occasion, le père du jeune prince. Dans tous les cas, il est certain que le lien de filiation qui rattache Childéric à Mérovée ne fait pas l’ombre d’un doute pour Grégoire. Or, comme il n’était point parlé de ce lien dans la légende que nous étudions, il est indispensable d’admettre qu’il a connu Mérovée par une autre source encore, soit orale, soit écrite. Et cette source, quelle qu’elle soit, ne peut s’être trompée sur le point qui nous occupe. Ou elle était écrite, et alors elle ne disait que ce qu’elle savait bien ; ou elle était traditionnelle, et alors elle rapportait un chant qui s’était formé à une époque où nul ne pouvait avoir oublié le nom du père de Childéric.

Si, comme tout le montre, Mérovée, fils de Clodion, qui fleurit en 430, et père de Childéric qui règne déjà en 457, était roi des Francs lors de la bataille de Mauriac (451), c’est lui qui a été à la tête du contingent franc d’Aétius, et c’est lui qui, après la victoire, s’est laissé duper, au dire de la tradition, par le général romain. Aétius, en effet, était parvenu à réunir sous ses drapeaux les Francs et les Visigoths, et ils avaient été pour une bonne part dans son succès ; même le roi des Visigoths, Théodoric, était resté sur le champ de bataille. De peur d’avoir à partager avec d’autres les profits de la victoire, Aétius renvoya sans retard Thorismund, fils de Théodoric, en lui faisant craindre la compétition de ses frères à la succession paternelle, et il se débarrassa du roi des Francs par une ruse semblable[10]. Voilà ce que nous raconte Grégoire, d’après des traditions qui ont déjà singulièrement élaboré la dramatique figure d’Aétius. Ces traditions ne sont pas franques ; elles concentrent l’intérêt autour du général romain, elles ne font apparaître le roi des Francs qu’à l’arrière-plan, elles ne disent d’ailleurs pas même son nom, que Grégoire se serait bien gardé d’omettre ici s’il l’avait connu, et elles nous obligent à recourir à la conjecture pour le retrouver.

Je conclus de tout ce qui précède ; que la légende poétique des Francs sur l’origine de la dynastie mérovingienne repose sur une base historique. Clodion, Mérovée et Childéric se succèdent de père en fils à la tête de leur peuple. Il n’y a pas lieu de douter de l’historicité des deux premiers, non plus que du lien de filiation qui rattache le troisième au second, et le second au premier. En revanche, la tradition relative à la naissance de Mérovée est un mythe populaire qui, suggéré peut-être par le nom de ce héros, était destiné à glorifier la dynastie royale conformément à l’habitude de tous les peuples germaniques.

Je ne terminerai pas ce chapitre sans faire une autre observation qui ne trouverait nulle part sa place mieux qu’ici. C’est que les Francs n’ont point possédé, comme les autres peuples, des généalogies rattachant leurs rois aux dieux, et les faisant descendre de Wodan, l’ancêtre commun de tous les rois anglo-saxons et scandinaves. Leurs souvenirs, au moment où Grégoire de Tours les consigne, ne remontent pas au delà du troisième ascendant de Clovis, et ils ne lui connaissent aucune filiation divine. Cependant la tendance à faire descendre leurs rois des dieux apparaît chez eux également, et se manifeste dans la légende de Mérovée. Celui-ci est devenu le point de départ d’une tradition mythologique qui semblait appelée, si le christianisme n’était venu l’arrêter net, à servir de lien entre la dynastie des Francs et leurs dieux. (due conclure de là, sinon que la nation des Saliens, comme telle, devait être de date assez récente, puisque l’histoire poétique de sa dynastie n’avait pas encore subi l’élaboration ordinaire, et que le souvenir de ses origines historiques n’était pas encore effacé ? Il n’est pas sans intérêt de constater ici l’accord entre les données de l’histone et les souvenirs de la poésie autour d’un même fait, à savoir la formation tardive de la nationalité salienne et de ses traditions mythologiques.

 

 

 



[1] Des légendes de ce type sont nombreuses chez tous les peuples indo-européens. Sans essayer d’en faire l’énumération, je me contenterai de signaler la curieuse ressemblance de la nôtre avec une tradition lombarde sur la reine Théodelinde, qui est rapportée par les frères Grimm dans Deutsch Sagen, II, p. 49, mais qui est anthropomorphisée plus encore que celle de Mérovée,

[2] De hujus stirpe quidam Merovechum regem fuisse adserunt. Grégoire de Tours, II, 9.

[3] Déjà le Liber Historiae interprète les paroles de Grégoire dans ce sens qu’il existerait une version d’après laquelle Mérovée ne serait pas le fils, mais seulement le parent de Clodion, et c’est cette version qu’il adopte : Chlodione rege defuncto, Merovechus de genere ejus regnum ejus accepit (c. 5). Une généalogie des rois mérovingiens, qui semble être du VIIIe siècle, et que l’on trouvera reproduite dans l’appendice de ce livre, fait hardiment un pas de plus dans ce sens, et donne la lignée suivante de Faramond jusqu’à Clovis : Faramundus genuit Chlenum et Chlodionem. Chlodius genuit Chlodebaudum. Chlorebaudus genuit Chlodericum, Chlodericus genuit Chlodovaeum et Chlodmarum. On le voit, Mérovée est tout simplement éliminé, et Clovis se rattache par Chloderic (= Childeric) à un fils de Chlodion qui s’appelle Chlodebaud. Aimoin I, 6, s’en tient à la version du Liber Historiæ : Post hæc Chlodione rege vita decedente Meroveus ejus affinis regni Francorum, gubernacula suscepit. Un vieil auteur cité par Fauriel qui ne le nomme pas : Quia sine filio fuit (Chlodio) successit ei in regno nepos ejus Metoveus. De même les chroniques de Saint-Denis : Après lui (Clodion) régna Mérovée. Cilz Mérovée ne fut pas son fils, mais il fut de son lignage (Bouquet, III, p. 159). Ce point de vue a été, je pense, celui de la plupart des chroniqueurs du moyen âge ; je le retrouve encore dans Robert Gaguin : Compendium de Francorum gestis f. III. Fauriel s’y est laissé prendre, et écrit : Grégoire de Tours reconnaît qu’il y avait de son temps des hommes qui affirmaient que Mérovée était, sinon le fils de Clodion, du moins de sa race, de sa famille, mais il ne se prononce point sur cette opinion, il ne l’adopte point, et semble par là la déclarer douteuse (I, p. 215). Fauriel va même plus loin et fait état du témoignage de certains chroniqueurs que lui-même dit de plusieurs siècles postérieurs à Frédégaire, et d’après lesquels Clodion a avait pas de fils et Mérovée n’était que son neveu (Hist. de la Gaule mérid., p. 216). Von Sybel aussi croit pouvoir mettre sur la même ligne la tradition rapportée par Grégoire, et les généalogies factices des Mérovingiens, compilées au VIIIe siècle, pour conclure en faveur de son système, d’après lequel l’existence d’une famille royale chez les Frac n’est pas prouvée avant Childéric.

[4] Waitz, Verfassungsgeschichte, t. II, p. 33.

[5] Notamment Eckhart, cité ci-dessus. Le passage que j’y reproduis est précédé immédiatement des lignes suivantes : Fabulam hanc ex nomine Merovei ortam esse certum est. Mer enim mare, et sax. veh vel german. vieh bestiam ; pecus vel animal notat, unde si compositum facies Mervich et latino-barbare Meroveus id designabit animal marinum sive bestiam Neptuni.

[6] K. Müllenhoff, Dis Merovingische Stammsaye dans Haupt, Zeitschrift für deutsches Alterthum, t. VI.

[7] Frédégaire, IIII, c. 9 : Meroveum, per eo regis Francorum post vocantur Merobingii.

Liber Historiæ, c. 5 : Ab ipso Merovecho rege utile reges Francorum Merovingi suat appellati.

Jonas, Vita Columbani, c. 57 : Aiebant enim nunquam se audiisse Merovingum in regno sublimatum voluntarium clericum fuisse.

Eginhard, Vita Karoli, I, in finit : Gens Merovingorum, de qua Franci reges sibi creare soliti erant.

Lex Bajuvartorum, tit. 1 : Regnum Mervungorum.

Mirac. S. Agili, c. 3 : Rodberto apud Merovingiam, quæ alio nomine dicitur Francia, tenente jus regium.

Hariulf, Chronic. Centul. (Bouquet, III, p. 349) : Intermisso Sicambroram vocabulo Merovingi dicti sunt.

Roticon (Bouquet, III, p. 4) : A quo Franci et prius Merovinci dicti sunt.

Beovulf, fitte XL :

Us waes à siddan

Merevioinga

Milti ungyfede.

C’est-à-dire : Depuis lors, l’amitié des Mérovingiens nous a été refusée.

Bachlechner a restitué le mot Merevioingga, et montre d’ailleurs qu’il vient de Merovio, forme anglo-saxonne de Merovig, comme Osweoing de Osweo (Haupt, Z. f. d. A, VII (1849) p. 524 et suiv.).

[8] Cf. les noms lorrains Créhange et Fleurange, formes françaises de Krichingen et de Florchingen.

[9] V. Bachlechner, Die Merovinger im Beovulf dans Haupt, Zeistchr. für deutsches Alterthum, t. VII (1849) p. 524 et suiv.

[10] Grégoire de Tours, II, 7.