CLOVIS

LIVRE QUATRIÈME.

VII. — CLOVIS ET L’ÉGLISE.

 

 

Il serait d’un haut intérêt, après avoir envisagé les sommets de l’histoire de Clovis, de jeter un coup d’œil dans ses replis, et de l’étudier dans la menue activité de la vie quotidienne. Combien elle s’éclairerait pour nous, si nous pouvions joindre, à l’histoire de ses exploits militaires, au moins quelques aperçus de son administration et de son gouvernement ! La pénurie de nos documents nous réduit à ne presque rien connaître de ces sujets, qui prennent une place capitale dans l’histoire de tant de souverains. C’est là ce qui rend la vie de Clovis si difficile à écrire : elle finit chaque fois au retour d’une campagne, c’est-à-dire là où les exigences de l’esprit moderne voudraient la voir commencer.

Nous essayerons du moins, dans les pages qui vont suivre, de grouper tous les renseignements qu’il a été possible de recueillir. Ce sera la faute des matériaux et non celle de l’auteur, si le tableau produit l’effet d’une mosaïque formée d’une multitude de fragments rapportés.

De l’administration civile de Clovis, nous ne savons absolument rien. Deux anecdotes, d’ailleurs fort légendaires, nous le montrent conférant le duché de Melun à un de ses fidèles nommé Aurélien[1], et le comté de Reims à un autre du nom d’Arnoul[2]. On n’a d’ailleurs pas besoin de ces indications pour admettre que l’institution des ducs et des comtes de l’époque mérovingienne est aussi ancienne que la dynastie elle-même.

Législateur, Clovis occupe dans les traditions de sou peuple une place qui n’est pas indigne du fondateur de l’État. La loi salique n’existait jusqu’à lui que dans le texte germanique, arrêté par les quatre prud’hommes de la vieille patrie. Selon le prologue de ce célèbre document[3], il en fit faire, après son baptême, une recension nouvelle, qu’il aura dépouillée de tout caractère païen. Cette rédaction écrite en latin, sans doute à l’usage des habitants de la Gaule romaine, a fait entièrement oublier l’ancienne version germanique, et est seule arrivée jusqu’à nous, avec son escorte de textes dérivés ou remaniés au cours des âges. Chose curieuse, pour la Lex salica de Clovis, la terre franque, c’est le pays situé entre la Loire et la forêt Charbonnière, c’est-à-dire la Gaule chrétienne et civilisée qui était sa récente conquête. La France primitive, le pays des vrais Francs germaniques, la terre de Clodion, de Mérovée et de Childéric, ne compte plus, et l’on dirait qu’elle n’existe pas. Faut-il donc croire que le roi des Francs soit devenu à tel point un étranger pour sa propre race, qu’il n’ait plus même pris la peine de légiférer pour elle ? Non certes, et s’il n’est fait aucune mention de la mère patrie dans le texte latin de la loi, c’est apparemment qu’elle restait en possession de l’ancien texte germanique arrêté par les quatre prud’hommes.

Le code élaboré par Clovis marque une nouvelle étape dans la voie du progrès social chez les Francs. Il n’est pas la reproduction pure et simple du texte germanique ; il ne se contente pas non plus d’en biffer les dispositions qui sentent trop l’idolâtrie, il le tient au courant, si je puis ainsi parler, du développement total de la nation, devenue un peuple civilisé depuis son introduction dans la Gaule romaine et son baptême. Ce qui était obscur dans le pacte, Clovis l’éclaira ; ce qui y manquait, il y pourvut[4]. Cette formule sommaire mais expressive de la Loi salique nous laisse deviner une activité législative qui a dû être considérable, mais que nous devons nous résigner à ne connaître jamais.

Elle indique aussi ce que les monuments contemporains nous montrent, à savoir, un prodigieux accroissement de la puissance royale chez les Francs. Est-ce l’influence naturelle de ses conquêtes et de ses victoires, est-ce la proximité de l’influence romaine, est-ce le caractère sacré donné au pouvoir royal par la doctrine chrétienne, ou bien plutôt ne sont-ce pas toutes ces raisons à la fois qui ont placé le roi si haut au-dessus de son peuple ? Il n’est plus le prince tel que l’a connu la vieille Germanie ; il est un maître dont le pouvoir n’a pas de limites dans le droit, il est armé du ban, qui est la sanction redoutable donnée par des pénalités spéciales à chacune de ses volontés, il remanie et complète la législation avec une autorité souveraine, et son præceptum suffit pour lui garantir l’obéissance.

Voilà la place conquise par le roi dans la vie du peuple franc. Celle qu’il prend dans l’Église a un caractère spécial ; il y exerce une influence qui n’est égalée par nulle autre. Sans doute il n’est pas, comme l’empereur, placé au-dessus d’elle pour la dominer, ni, comme les rois ariens, en dehors d’elle pour la combattre. Il en fait partie à la fois comme simple fidèle et comme souverain ; fidèle, il obéit à ses lois, il croit à sa doctrine ; roi, et roi catholique, il écoute les conseils de ses prélats, il la protège selon ses forces, il a sur sa vie une action et une autorité qu’elle ne lui dispute pas.

Nous l’avons vu investi du droit de convoquer les conciles ; mais ce n’est pas tout. La première de ces assemblées qui se soit tenue depuis sa conversion a subordonné à la volonté royale l’entrée des hommes libres dans le clergé. En matière d’élections épiscopales, sans jouir d’aucun droit canonique d’intervention, il dispose en fait d’une influence considérable. Sans violer ni contester le libre recrutement du sacerdoce, il y intervient avec une autorité à laquelle tout le monde défère. Quand le roi catholique a dit quel homme il veut voir mettre sur un siège épiscopal, il ne se trouve personne pour être d’un autre avis, et de fait ce sera lui qui nommera l’évêque.

Le roi n’est-il pas lui-même membre de l’Église, et, si l’on peut ainsi parler, son pouvoir électoral ne doit-il pas être en proportion des intérêts qu’il représente ? Nous le voyons, lors de la vacance des sièges épiscopaux de Verdun et d’Auxerre, jeter les yeux sur des hommes qu’il respecte, et leur offrir ces hautes charges, et c’est leur refus seul qui empêche que sa volonté se fasse, mais en combien d’autres occurrences elle aura eu force de loi ! Ce qui semble pouvoir être affirmé, c’est que, dans aucun cas, un siège épiscopal n’aurait pu être donné contrairement à sa volonté. Au dire du biographe de saint Sacerdos, ce prélat fut élevé au siège épiscopal de Limoges par l’élection du clergé, aux acclamations du peuple, avec le consentement du roi Clovis[5]. Voilà bien, désormais, les trois éléments distincts qui constituent l’élection d’un évêque.

Un épisode bien authentique va nous montrer de fort près cette situation de la royauté en face de l’Église, et la nature de l’influence qui lui est reconnue. Sur la recommandation de Clovis, saint Remi de Reims avait conféré les ordres sacrés à un certain Claudius. Cet individu était probablement déjà suspect ; après la mort du roi, il donna un grand scandale. On voit qu’entre autres il avait frauduleusement dépouillé de ses biens un nommé Celsus, et saint Remi convient lui-même qu’il était coupable de sacrilège. Néanmoins il intervint en sa faveur et demanda qu’il fût admis à la pénitence, alors qu’aux termes du concile d’Orléans il devait être excommunié. Cette indulgence lui valut d’amers reproches de la part de trois évêques, Léon de Sens, Héraclius de Paris et Théodore d’Auxerre. Autant qu’il est possible d’entrevoir leur attitude, ils rendirent l’évêque de Reims responsable des fautes de son protégé ; ils lui firent notamment un devoir de rechercher et d’indemniser lui-même les créanciers de Claudius ; enfin, ils lui rappelèrent que si ce malheureux avait pu jeter le discrédit sur sa robe, on le devait à la pusillanimité de Remi, qui l’avait ordonné à la prière du roi et contrairement aux canons, Dans sa réponse, qui nous a été conservée, le saint se défend assez mollement sur la question du fond ; il convient d’ailleurs d’avoir déféré au désir de Clovis et continue sur un ton énergique :

Oui, j’ai donné la prêtrise à Claudius, non à prix d’or, mais sur le témoignage du très excellent roi, qui était non seulement le prédicateur, mais encore le défenseur de la foi. Vous m’écrivez que sa demande n’était pas conforme aux canons. C’est le maître du pays, c’est le gardien de la patrie, c’est le triomphateur des nations qui me l’avait enjoint[6].

On ne prendra pas au pied de la lettre cette dernière expression, inspirée au saint vieillard par le sentiment d’une détresse morale qu’il ne parvient à cacher que d’une manière imparfaite à ses contradicteurs. L’âpreté même de leurs reproches et la faiblesse de ses excuses nous permettent de nous rendre un compte exact de la situation qui est l’objet de cette correspondance. Clovis avait obtenu de saint Remi un acte contraire à la législation canonique. On peut mettre une bonne partie de la condescendance de l’évêque de Reims sur le compte de ses relations spéciales avec Clovis. Le pontife avait pour son royal filleul la tendresse d’un père, avec le respect presque religieux qui lui faisait voir en Clovis l’instrument manifeste de la Providence. C’était sa conquête à lui, c’était sa gloire, c’était le fruit de ses sueurs. Toute sa pensée gravitait autour de l’homme providentiel : qu’aurait-il refusé à son fils, à son néophyte, à son roi ? Il y a quelque chose de touchant à le voir, après cinquante-trois ans de pontificat, obligé de défendre sa conduite auprès de collègues plus jeunes que lui, et qui, comme il le leur rappelle, lui devaient leur ordination. Mais ces confrères avaient pour eux la lettre des canons, et ce débat entre évêques au sujet de l’intervention du roi marque bien la distance qu’il y avait entre le droit strict qui ne lui accordait rien, et la déférence qui lui cédait tout[7].

Souvent. même, c’est l’Église qui allait au-devant du roi, et qui le sollicitait de trancher des questions, le prenant pour arbitré et l’honorant de sa confiance. Lorsque saint Fridolin fut élu abbé de Saint-Hilaire, à Poitiers, il hésita longtemps, nous dit son biographe, à accepter cette dignité, malgré les instances de l’évêque saint Adelfius ; finalement, vaincu à demi par les prières de l’évêque, il lui propose d’aller ensemble trouver le roi, pour qu’une affaire de telle conséquence ne fût pas entreprise sans son concours. Et les voilà qui partent tous les deux pour le palais royal, l’évêque à cheval, comme l’exigeait son rang, l’abbé à pied, comme il faisait d’habitude[8]. Ne voit-on pas comme un tableau en raccourci de toutes les relations entre l’Église et l’État dans cet évêque et cet abbé qui vont amicalement trouver le roi, pour le prier de les mettre d’accord sur une question qui n’est pas de son ressort, mais qu’ils lui soumettent par déférence et par respect ?

Un pareil degré de condescendance de la part de l’Église ne s’expliquerait guère, si l’on ne savait qu’il était réciproque de la part du roi. C’est la confiance qui formait la base des relations mutuelles. Au lieu de délimiter anxieusement leurs frontières, les deux pouvoirs semblaient s’inviter mutuellement à les franchir. Clovis convoquait des conciles et intervenait dans les élections épiscopales ; mais lui-même, jusqu’à quel point ne se laissait-il pas inspirer, guider, conseiller par les évêques ? Toute sa politique intérieure, toute son attitude vis-à-vis des indigènes, c’est l’épiscopat qui l’a dictée, et l’on a vu plus haut que ce sont des évêques qui ont suggéré la convocation du concile national. En un mot, son action sur l’Église a pour contrepoids une action non moins énergique de l’Église sur l’État. Les évêques composaient son conseil : saint Remi resta jusqu’à la fin en grand crédit auprès de lui, et on nous dit que saint Mélaine, évêque de Rennes, compta également parmi ses conseillers les plus écoutés.

Toute l’hagiographie du temps est remplie` des marques de respect qu’il donna aux évêques. Les récits qui nous en ont gardé le souvenir n’ont pas tous le degré d’authenticité nécessaire pour s’imposer à la croyance du lecteur ; mais dans l’impuissance où nous sommes d’y faire le partage exact du vrai et du faux, quoi de plus légitime que de les reproduire dans leur simplicité, comme des documents qui ont droit tout au moins à l’attention de l’histoire ? C’est pour cette raison que nous avons cru devoir réserver une place, sur ces pages, aux épisodes suivants.

Étant en Aquitaine, Clovis entendit parler des vertus de saint Germier, évêque de Toulouse. Il le fit venir auprès de lui, l’invita à sa table, et prit grand plaisir à sa conversation. Le saint distribua des eulogies au roi et à ses grands ; eux lui confessèrent leurs péchés et écoutèrent ses exhortations à la pénitence. Le roi, voyant la sainteté du prélat, le supplia de prier pour lui, et lui dit :

Demandez-moi ce que vous voudrez de mes biens, et mes serviteurs vous accompagneront pour vous le donner.

Donnez-moi seulement, reprit le saint, dans le territoire de Toulouse, autant de terre que mon manteau pourra en recouvrir auprès de Saint-Saturnin, pour que je puisse dormir en paix sous la protection de ce patron céleste.

Mais le roi ne voulut pas se laisser vaincre en générosité : il donna au saint la terre d’Ox avec six milles à la ronde, et, pour son tombeau, il lui accorda tout le territoire que sept paires de bœufs pourraient labourer en un jour. Toutes ces libéralités furent consignées dans des chirographes que le roi et ses grands scellèrent de leurs sceaux. Le roi y ajouta cinq cents sicles d’or et d’argent, des croix d’or, des calices d’argent avec leurs patènes, trois crosses épiscopales en or et en argent, trois couronnes dorées, et autant de voiles d’autel en byssus. C’est ainsi qu’après être resté avec le roi pendant une vingtaine de jours, le saint partit chargé de trésors : le roi l’embrassa en lui faisant ses adieux, et se recommanda à lui comme un fils[9].

Auch, la vieille cité métropolitaine de la Novempopulanie, a enveloppé dans un récit aux couleurs bibliques le souvenir qu’elle a gardé du héros franc. Lorsqu’il approcha de cette ville, dit une tradition, l’archevêque saint Perpet alla à sa rencontre, et lui présenta le pain et le vin, comme autrefois Melchisédech à Abraham. Le roi récompensa magnifiquement le vieux pontife : il lui donna toute la ville d’Auch avec ses faubourgs, et plusieurs églises ; il offrit également à l’église Sainte Marie sa tunique et son manteau de guerre ; il lui offrit encore une aiguière d’or, et cent sous d’or pour faire des couronnes de lumière ; il lui assigna de plus un revenu de cent douze sous d’or à toucher sur le fisc royal ; il lui donna enfin l’église royale de Saint-Pierre-de-Vic. Reconnaissante de tant de libéralités, l’Église d’Auch célébrait tous les ans, au 3 juin, l’office double de sainte Clotilde[10].

Tournai racontait un épisode non moins intéressant. Attiré par la réputation de l’évêque, saint Éleuthère, Clovis serait venu revoir la vieille capitale de ses ancêtres, et assister à la prédication du prélat. Mais une inspiration divine révéla au saint le tourment secret du roi : il avait péché après son baptême, et il n’osait confesser sa faute. Profondément ému, le roi essaya vainement de contester la vérité de cette révélation que l’évêque lui communiqua ; il versa des larmes, et le supplia de prier pour lui. Et voilà que le lendemain, pendant que l’évêque célébrait le divin sacrifice aux intentions de Clovis, un ange du Seigneur lui apparut au milieu d’une lumière éblouissante, et lui annonça que, ses prières étaient exaucées. En même temps il lui remettait un écrit contenant la faute secrète du roi. Clovis rendit des actions de grâces à Dieu et à saint Éleuthère, et ne quitta Tournai qu’après avoir comblé l’évêque de ses pieuses largesses[11].

Cette attitude vis-à-vis de l’épiscopat s’expliquerait déjà à suffisance par des raisons d’ordre politique supérieur. C’étaient les évêques qui avaient aidé le roi des Francs à établir son pouvoir ; c’est par eux et avec eux qu’il gouvernait. Il le savait, et sa déférence pour eux était antérieure à sa conversion. Mais, après le baptême, des motifs de piété s’ajoutèrent aux considérations de la politique pour augmenter son respect envers les évêques. Il vit en eux des hommes qui avaient reçu l’Esprit-Saint, et qui étaient les dispensateurs des faveurs célestes. Leur science, leur sagesse, leur piété, leurs vertus, la majesté de cette vie sacerdotale qui les élevait au-dessus de la terre et qui faisait d’eux des hommes surnaturels, tout cela agissait puissamment sur son âme, religieuse et impressionnable comme toute âme de barbare. Il se sentait plus rapproché du Dieu qu’il adorait dans leur société, et il comptait sur leurs prières comme sur le moyen le plus efficace d’arriver au ciel. L’épiscopat, qui était le point d’appui de sa politique, était aussi la sûre direction de sa conscience de chrétien. Comme sa vie publique, sa vie privée semblait la vérification de cette parole qu’il prononça un jour : Où serait l’espoir de vaincre, si nous offensions saint Martin ? Entendez ici, par saint Martin, l’épiscopat de la Gaule.

Les mêmes sentiments, au dire de la légende, dictaient la conduite du roi vis-à-vis de toutes les personnes qui, sans occuper un rang dans la hiérarchie ecclésiastique, se distinguaient par l’éminence de leurs vertus. Il croyait, avec tous ses contemporains, à l’efficacité de leurs prières ; il était convaincu qu’elles avaient le don d’opérer des miracles. Lui-même, au dire d’un hagiographe, fut favorisé d’une guérison miraculeuse obtenue par l’intercession d’un vénérable solitaire. C’était la vingt-cinquième année de son règne, celle qui allait être rendue mémorable par la conquête de l’Aquitaine. Il y avait deux ans qu’il était en proie à la maladie, et ni les prières de son clergé ni les soins de ses médecins ne parvenaient à le soulager. Enfin, l’un de ces derniers, nommé Tranquilinus, conseilla au roi de faire venir Séverin, abbé de Saint-Maurice en Valais, homme doué de l’esprit de Dieu, et dont les prières obtenaient une multitude de guérisons miraculeuses. Aussitôt le roi fit partir son chambellan Transoarius pour Agaune, et le saint, déférant à ses prières, apparut au chevet du royal malade comme plus tard saint François de Paule auprès du lit de Louis XI. Après avoir adressé au ciel de ferventes prières, il ôta son manteau, en revêtit le roi, et à l’instant la fièvre abandonna le malade. Clovis, plein de reconnaissance, tomba aux pieds du saint, et le pria de prendre dans son trésor toutes les sommes qu’il voulait pour les distribuer aux pauvres ; il lui offrit aussi de faire relâcher tous les coupables qui se trouvaient enfermés dans les prisons[12]. On veut que l’église Saint-Séverin de Paris, qui est sous le patronage de l’abbé d’Agaune, ait été élevée en souvenir de cet heureux événement.

D’autres saints personnages, au dire de la légende, ont été en rapports intimes avec Clovis. Saint Fridolin de Poitiers, admis à sa table, a réparé miraculeusement une belle coupe de verre, qui s’était cassée en tombant des mains du roi au moment où il la présentait au saint[13]. Un saint ermite du nom de Léonard, qui demeurait dans la forêt de Panvain, près de Limoges, fit la connaissance du roi dans des circonstances fort dramatiques. Clotilde, qui était venue résider avec son époux dans le château de cette forêt, était menacée de périr dans les douleurs de l’enfantement, et Clovis au désespoir implora le pieux solitaire de venir à son aide. Léonard se mit en prières, et la reine fut sauvée par miracle[14].

Sans doute, la plupart de ces récits ont été embellis par la pieuse imagination des hagiographes, et il n’est pas interdit de croire que les épisodes qui sont à la fois les plus extraordinaires et les moins prouvés appartiennent au domaine de la fiction pure.

Ce qui se dégage des plus authentiques, c’est l’intimité des rapports entre le roi et les saints, c’est la justesse de l’instinct qui poussait la royauté à se rapprocher ‘de ceux qui représentaient le mieux les aspirations chrétiennes de leur peuple. Avec un admirable sentiment des vrais intérêts de sa couronne, Clovis se mêlait familièrement, sans crainte de compromettre son prestige, aux hommes humbles et pauvres revêtus d’une majesté supérieure par le respect public, et le nimbe de leur sainteté jetait une partie de son éclat sur le front du souverain. Rien n’a plus contribué à sa popularité que l’amitié des saints. Les actes de clémence qu’ils lui inspiraient affermissaient son pouvoir en lui ouvrant les cœurs. Bien des fois, saint Remi et sainte Geneviève arrachèrent au rude justicier la grâce des malheureux qui remplissaient les prisons publiques. Parmi ceux que menaçait sa vengeance, il y avait un grand seigneur du nom d’Euloge, qui se réfugia dans l’église Notre-Dame de Reims : à l’intercession de Remi, le roi lui laissa la vie et la possession de ses biens[15]. Au dire d’un hagiographe, l’évêque aurait même obtenu du roi que chaque fois qu’il passerait par la ville de Reims ou par son territoire, tous les prisonniers seraient aussitôt mis en liberté, et, ajoute-t-il, cet usage se conserve encore aujourd’hui[16].

Les vastes ressources de la couronne permirent au roi de témoigner de la manière la plus efficace sa bienveillance à l’Église en la comblant de ses dons, en venant à son aide dans ses œuvres de charité et dans ses créations de tout genre. Il faut se souvenir que la générosité était la première vertu d’un roi germanique. Sa main devait toujours être ouverte, excepté quand elle brandissait l’épée. Il passait sa vie à faire des cadeaux, à distribuer à ses amis l’or travaillé sous forme de bracelets à tours multiples, dont il détachait les morceaux, et, pour la poésie barbare, il était avant tout le briseur d’anneaux. Lorsque avec les pièces de métal précieux entassées dans ses trésors, il put disposer aussi des domaines sans nombre que la conquête avait fait tomber entre ses mains, alors il eut de nouveaux moyens d’être généreux, et la série des donations de terres commença. L’Église fut au premier rang des amis qui participèrent à ces libéralités. On peut dire, sans crainte de se tromper, que tous les diocèses eurent leur part[17]. Après la conquête de la Gaule romaine, après celle de la Gaule visigothique, il s’ouvrit comme deux phases d’abondance qui furent employées à prodiguer les richesses aux églises. Les actes du concile d’Orléans parlent expressément des libéralités royales faites ou promises à tous les diocèses[18]. L’hagiographie ne nous mentionne pas une seule fois les relations du roi avec quelque saint sans nous faire connaître les cadeaux dont il le combla. Nous l’avons vu prodiguer ses dons aux églises Saint-Martin de Tours et Saint-Hilaire de Poitiers ; nous l’avons vu enrichir aussi généreusement saint Germier de Toulouse et saint Perpet d’Auch ; nous savons avec quelle libéralité il aida saint Eptade à racheter les captifs. Il ne fut pas moins prodigue envers saint Mélaine de Rennes, qui put faire une multitude de bonnes œuvres avec les ressources que le roi mettait à sa disposition[19]. L’église de Vannes se glorifiait de devoir à ses pieuses largesses le trésor de reliques qu’elle conservait depuis les jours de saint Paterne, son premier évêque[20]. L’église de Nantes montrait avec orgueil, dès le douzième siècle, la charte contenant les faveurs dont l’avait comblée le premier roi de France[21]. Ce serait une tâche fastidieuse que de relever, dans les biographes et les chroniqueurs, les récits souvent légendaires qui nous ont conservé la trace de toutes ces générosités, et il suffit de dire d’une manière générale que Clovis partagea largement avec l’Église les richesses considérables qui affluaient de toutes parts dans son trésor et dans son domaine.

De tous les prélats sur lesquels il fit pleuvoir ainsi les preuves de sa munificence, le plus favorisé fut naturellement saint Remi de Reims. Dès le neuvième siècle, nous entendons la tradition énumérer les dons qu’il tenait de son généreux filleul. Ils consistaient surtout en domaines territoriaux, répartis dans plusieurs provinces de la France. Le saint ne voulut en garder que quelques-uns, situés dans la partie orientale du royaume, et distribua le reste aux autres églises, pour qu’on ne pût pas lui reprocher de faire de l’amitié du roi une source de profits[22]. Toutefois l’église de Reims gardait dans son trésor un encensoir et un calice émaillé provenant, selon la tradition, d’un grand vase en argent que Clovis avait donné à saint Remi, pour en faire ce qu’il voulait[23].

La tradition a conservé, sous une forme poétique où se trahit avec éclat l’action de l’imagination populaire, le souvenir des acquisitions faites alors par l’église de Reims. Elle a supposé, en présence d’un domaine d’une certaine étendue, qu’il avait été donné tout entier par un seul donateur, et qu’il marquait le territoire dont le donataire avait pu faire le circuit en un temps déterminé. Nous rencontrons plusieurs fois dans l’histoire de Clovis cette curieuse transformation des vieux souvenirs, où le lecteur retrouvera, à défaut d’authenticité, la fraîcheur et la naïveté de la poésie primitive :

Clovis, dit la légende, avait alors sa résidence à Soissons, d’où il avait expulsé Syagrius, et il se délectait dans la société et dans l’entretien de saint Remi. Or saint Remi avait cédé à l’évêché de Laon et à d’autres établissements religieux les terres qu’il tenait de la libéralité du roi des Francs dans le Soissonnais et le Laonnais, et il ne possédait aux environs de Soissons qu’une petite ferme, donnée autrefois à son prédécesseur saint Nicaise. Les habitants, qui étaient accablés de redevances, demandèrent de pouvoir payer désormais à l’église de Reims ce qu’ils devaient au roi, et la pieuse reine appuya leur requête. En conséquence, le roi promit à saint Remi de lui donner tout le territoire dont le saint pourrait faire le circuit pendant le temps que lui-même ferait sa méridienne.

Le saint se mit donc en marche, jalonnant sa route par des points de repère, et délimitant ainsi le territoire dont on voit encore aujourd’hui les bornes. Sur son chemin, un homme propriétaire d’un moulin le repoussa, de peur qu’il n’englobât le moulin dans ses limites.

— Ami, lui dit l’évêque avec douceur, qu’il ne te déplaise pas que nous possédions ce moulin à deux.

Mais l’autre le chassa, et aussitôt voilà la roue du moulin qui se met à tourner à rebours. Alors l’homme rappela à grands cris le saint et lui dit :

— Serviteur de Dieu, viens, et nous serons ensemble les propriétaires de ce moulin.

— Non, répondit saint Remi, il ne sera ni à toi ni à moi.

Et à l’instant il se creusa en cet endroit une fosse d’une telle profondeur, que depuis lors il n’est plus possible d’y construire.

Plus loin, d’autres individus chassèrent également le saint, ne voulant pas lui laisser faire le circuit d’un petit bois.

— Eh bien, dit saint Remi, que jamais de ce bois il ne vole une feuille ni ne tombe une branche sur mon bien.

Et, quoique ces deux domaines soient contigus, le vœu du saint a été accompli tant que la forêt est restée debout.

Partant de là, le saint arriva dans un endroit nommé Chavigny, qu’il voulut également englober. Mais là aussi, il fut repoussé par les habitants. Et lui, le visage joyeux, tantôt s’éloignant, tantôt se rapprochant, il continuait de planter ses points de repère ; aujourd’hui encore, en parcourant les lieux, on peut voir où il s’est rapproché, où il a dû s’écarter. Repoussé une dernière fois, il dit :

Peinez toujours et supportez l’indigence.

Et cette sentence persiste toujours et prouve la puissance surnaturelle de ses paroles.

Cependant le roi s’était réveillé. Par un précepte de son autorité, il confirma saint Remi dans la possession de toutes les terres dont il avait fait le circuit. Ce domaine, dont Luilly et Cocy sont les noyaux, est encore aujourd’hui la paisible possession de l’église de Reims[24].

Écoutons maintenant le récit des libéralités faites par le roi des Francs à l’église de Senlis. Ce n’est pas, cette fois, une tradition populaire que nous allons entendre, c’est une légende née à l’ombre d’un cloître, et qui a gardé la saveur propre au milieu ecclésiastique dont elle est sortie. Clovis, dit-elle, après son baptême, visita successivement tous les sanctuaires de son royaume. Le renom de saint Rieul le conduisit aussi à Senlis, où il arriva escorté de plusieurs évêques de la deuxième Belgique. Après s’être fait raconter l’histoire et les miracles du saint, il voulut qu’on ouvrît son tombeau et qu’on lui donnât de ses reliques. L’évêque de la ville, — c’était probablement Livianus, qui assista au concile d’Orléans en 511, — s’opposa avec énergie à la demande du roi, disant qu’on ne pouvait souscrire à une pareille profanation des choses saintes. Mais, bien que les autres évêques appuyassent cette manière de voir, le roi insista tellement, qu’il fallut bien se rendre à son désir. La tombe est ouverte, un parfum céleste s’en échappe, et tous les assistants, le roi, les évêques, les grands, tombent à genoux en remerciant Dieu. Puis l’évêque se mit en devoir d’enlever, avec des tenailles, une des dents du saint, et, ô prodige ! de cette bouche dont le temps a rongé les chairs s’échappe un flot de sang rouge et chaud. Le roi prend la relique ; mais, frappé par le miracle, il sort tout bouleversé et sans penser à honorer le précieux dépôt qu’il a entre les mains. Aussi, lorsqu’il voulut rentrer en ville (la basilique du saint se dressait sur son tombeau en dehors de l’enceinte), c’est en vain qu’il essaya de retrouver la porte par laquelle il était sorti. Il tourna plusieurs fois autour des murailles sans voir aucune ouverture. Enfin les évêques lui firent comprendre que, pour faire cesser l’hallucination, il devait restituer la précieuse relique au tombeau du saint, et faire à la basilique des dons qui permettraient de la reconstruire dans des conditions plus dignes de son patron. Le roi se conforma à ces conseils ; il décida de reconstruire l’église à ses frais, à partir des fondements ; il fit édifier un édicule en or forgé sur le tombeau du saint, il donna à l’église le bourg de Bucianum sur la Marne avec toutes ses dépendances ; il restitua la dent après l’avoir fait enchâsser dans l’or et sertir de pierres précieuses ; enfin, il fit encore cadeau de quantité de vases d’or et d’argent, et de vêtements sacerdotaux avec broderies en or. A peine avait-il promis tout cela, qu’il retrouva les portes de la ville toutes grandes ouvertes, et qu’il y put passer sans obstacle[25].

Mais de tous les aspects sous lesquels se présente à nous le règne de Clovis, aucun n’a le charme pénétrant et le parfum de poésie des légendes qui racontent la part qu’il a prise à la fondation des monastères.

Tous les âges, depuis les plus rapprochés du règne de Clovis, en ont gardé le vivant souvenir. Grégoire de Tours en parle comme d’une chose universellement connue, et les hagiographes des premiers siècles se font manifestement l’écho de la tradition publique en rappelant, sans prendre la peine d’insister, les nombreux monastères qu’il a bâtis ou aidé à fonder[26].

On ne connaîtrait pas bien ce règne aussi obscur que glorieux, si l’on ne s’arrêtait un instant pour essayer de soulever, après quatorze siècles révolus, le voile d’oubli qui s’est appesanti sur l’une de ses pages les plus dignes d’intérêt. Que ne donnerait-on pas pour retrouver l’histoire authentique d’une de ces colonies sacrées, qui s’en allèrent dans les solitudes incultes, munies du diplôme royal, planter l’étendard de la croix et jeter les semences d’un avenir meilleur ! Mais, hélas ! plus que jamais nous nous acheminons à travers les ténèbres, et c’est à peine si nous retrouvons par-ci par-là, comme une étincelle qui brille sous la cendre d’un foyer dévasté ; un souvenir expirant, qui n’a plus même assez de vie pour charmer un instant le regard ému du poète.

Implantée à Trèves par saint Athanase, à Tours par saint Martin, et dans les Pays-Bas par saint Victrice de Rouen, la vie monastique avait commencé à fleurir dans ces régions, comme une vigoureuse plante du sud qui ne pâtit point d’être transportée sous des cieux plus froids, mais qui s’accommode de tous les climats et qui fructifie partout. Les terribles bouleversements qui se produisirent dès le commencement du cinquième siècle, et qui se prolongèrent jusqu’après le baptême de Clovis, avaient interrompu cette heureuse floraison ; mais voici qu’au lendemain de la conversion des Francs, les monastères se remettent à surgir du sol comme les fleurs au printemps.

De tous ceux qui s’enorgueillirent d’avoir eu Clovis pour fondateur ou pour bienfaiteur insigne, je ne sais s’il en est aucun dont les titres méritent plus de confiance que ceux de l’abbaye de Baralle, dans le village de ce nom, sur la route de Cambrai à Arras. Baralle est une maison qui a disparu dès le neuvième siècle, qui n’a jamais eu d’historien, et dont personne n’avait intérêt à embellir ou à exagérer les souvenirs. Si, malgré cela, ils ont été mis par écrit à une époque déjà ancienne, il y a lieu de croire qu’ils remontent à un passé’ lointain, et qu’ils plongent en pleine antiquité mérovingienne. L’absence de tout élément légendaire dans la sobre notice consacrée à ce monastère confirme leur authenticité.

A Baralle, dit le chroniqueur, il y avait un monastère de congrégation canonique, fondé, selon la tradition, par le roi Clovis, et consacré par saint Vaast en l’honneur de saint Georges. On y vénérait le bras de ce martyr. Des colonnes de marbre et des ruines de beaux édifices anciens qu’on y trouve encore attestent que cette maison était opulente et riche. Aux jours de l’évêque Dodilon de Cambrai, les chanoines, voyant que les Normands ravageaient toute la province, brûlaient et profanaient les lieux saints, se réfugièrent à Cambrai avec les reliques et le trésor de leur église. L’évêque les reçut avec la plus généreuse hospitalité, et ils y restèrent quelque temps. Lorsqu’ils crurent l’ennemi parti, ils voulurent prendre congé de l’évêque et retourner chez eux. Mais le prélat les supplia de n’en rien faire, et de se défier des ruses d’un perfide ennemi qui pouvait fort bien être caché encore dans les environs. Par déférence pour ces conseils, ils restèrent quelques jours encore ; puis ils déclarèrent que cette fois, tout danger étant disparu, rien ne s’opposait plus à leur départ. En vain l’évêque, mieux avisé, fit de nouvelles instances ; ils refusèrent de l’écouter, et force lui fut de les laisser partir.

Il en sera comme vous voudrez, leur dit-il ; mais, ajouta-t-il, comme s’il avait eu le pressentiment de ce qui allait arriver, je retiendrai ici cette précieuse relique, le bras de saint Georges.

Les moines consentirent à lui laisser en gage la relique, mais tinrent bon pour le reste, et, dans leur aveugle obstination, méprisèrent les sages conseils et les offres généreuses du prélat. Ils partirent donc ; mais à peine étaient-ils éloignés de trois milles, qu’ils furent surpris par l’ennemi et massacrés. Leur monastère fut réduit en cendres, et tous les environs livrés au pillage ; seuls, les endroits fortifiés purent résister. Plus tard, on rebâtit une modeste petite église sur les ruines, et un seul prêtre la desservit ; quant à la relique de saint Georges, elle resta désormais à Cambrai[27].

Voilà la tradition qui se conservait, au onzième siècle, dans le clergé de l’église de Cambrai. Tout, nous l’avons déjà dit, y porte un cachet d’authenticité qu’il serait difficile de méconnaître. Le vocable de saint Georges, qui était le patron vénéré de tous les hommes de guerre, semble insinuer que le monastère est une création spontanée de Clovis lui-même. Enfin, la mention des chanoines réguliers indique que la tradition remonte à une époque où la règle bénédictine ne s’était pas encore introduite en Gaule. A voir cette antique maison’ surgir si près du berceau de la monarchie salienne, n’est-on pas autorisé à croire que Clovis aura voulu consacrer à la patrie de ses pères la première de ses fondations monastiques, et que ce cloître dédié à saint Georges aura d le jour à un vœu du roi très chrétien ?

Pour trouver un souvenir rattaché à l’histoire de Clovis par une tradition aussi ancienne et aussi oubliée que celle de Baralle, il faut gagner l’extrémité méridionale du royaume, où Junant, dans le Quercy, se réclamait, dès le neuvième siècle, du puissant conquérant de l’Aquitaine. Située dans la vallée du Lot, à une lieue environ de Figeac, l’abbaye était une de ces maisons modestes et obscures comme il en a surgi beaucoup pendant les premiers âges de la vie monastique en Gaule. Ses courtes annales ne contiennent rien, si ce n’est l’histoire de sa naissance et celle de sa mort, toutes deux racontées avec cette simplicité absolue qui exclut toute idée de fiction. Saint-Martin de Junant, dit un écrivain du douzième siècle, fut fondé par Clovis en l’honneur du saint évêque de Tours, et doté d’honneurs et de richesses[28]. L’endroit de la vallée où s’élevait l’abbaye était fort resserré et exposé aux fréquentes inondations du Lot, ce qui empêchait la maison de se développer, et la maintenait en permanence dans un état de ruine et de délabrement. Au neuvième siècle, le roi Pépin d’Aquitaine, fils de Louis le Débonnaire, imagina de la rattacher à l’abbaye Sainte Foi de Conques, fondation de l’époque de Charlemagne. Seulement, quand il s’agit de recueillir à Conques la population de Junant, les bâtiments se trouvèrent trop petits, et alors on résolut de construire une succursale de Conques à Figeac, sur la Selle. Junant fut complètement abandonné ; ses édifices tombèrent en ruines, la trace même en disparut bientôt, et, sans le nom glorieux du conquérant de la Gaule associé au souvenir de ses premiers jours, l’histoire aurait oublié jusqu’à son existence. Combien ce souvenir doit avoir été vivace il y a mille ans, puisque depuis lors il a pu arriver intact jusqu’à nous, à travers des siècles d’indifférence pendant lesquels il n’y avait plus personne pour s’y intéresser ! Rien ne plaide mieux en faveur de sa vénérable antiquité que ce rare phénomène de conservation. Comme Baralle, Junant nous offre une tradition constituée dès le neuvième siècle, et à laquelle les générations n’ont plus rien ajouté. Il serait difficile de ne pas attribuer à ces deux maisons le premier rang parmi toutes celles qui mettent leurs origines sous le patronage de Clovis[29]. Junant n’est pas d’ailleurs le seul monastère d’Aquitaine qui ait de si grands souvenirs. La ville d’Auch, qui nous a déjà raconté une si curieuse tradition sur l’entrée de Clovis dans son enceinte, se souvenait également que l’abbaye de Saint-Martin, bâtie à ses portes, avait été fondée par lui à la prière de la reine Clotilde. Elle voulait aussi qu’il eût ensuite fait don de ce monastère à l’église Notre-Dame d’Auch, et il n’y a rien que de vraisemblable dans cette version, bien que sous sa forme actuelle on y trouve des détails qu’il serait difficile de concilier avec les données de l’histoire[30].

Il est plus malaisé de se prononcer sur les titres de l’abbaye de Simorre, située sur la Gimonne, à quelques lieues au sud-est d’Auch. Elle aussi, elle avait confié à son cartulaire de vieux souvenirs qui attribuaient sa fondation à Clovis. Elle croyait même savoir que le nombre des religieux établis par lui dans le monastère primitif était de dix-huit, mais que ce nombre fut augmenté dans la suite par les libéralités de divers seigneurs. En attendant que les prétentions de Simorre fassent l’objet d’un sérieux examen, nous croyons pouvoir accueillir ici, au moins à titre provisoire, une tradition respectable déjà par sa simplicité même, et qui a été conservée jusqu’à la fin de l’ancien régime sans que personne l’ait rendue suspecte en l’amplifiant[31].

Combien, en regard de ces humbles notices, que leur modestie même recommande à l’attention, les légendes mérovingiennes de l’abbaye de Moissac, bien moins garanties cependant[32], apparaîtront supérieures en intérêt pour le lecteur amoureux du pittoresque ! Située sur le Tarn, à. peu de distance du confluent de cette rivière avec la Garonne, l’abbaye de Moissac a trouvé en son abbé Aymeri de Peyrac (1377-1402) un historien érudit et zélé, qui n’a laissé dans l’oubli aucune de ses légendes, et qui en a peut-être embelli quelques-unes. Sous sa plume, l’histoire de la fondation de Moissac semble prendre la couleur d’un conte des Mille et une nuits. Écoutons l’intéressant narrateur.

C’était en 507. Clovis avait vaincu Alaric, et il s’avançait à marches forcées sur Toulouse pour s’emparer de la capitale des Visigoths. La nuit qui précéda son arrivée à Moissac, il eut sous la tente, pendant son sommeil, une vision bizarre, dans laquelle il voyait des griffons ayant des pierres dans leur bec, et les portant dans une vallée où ils commençaient la construction d’une église. Or, le lendemain, en longeant les rives du Tarn à la tête de son armée, voilà qu’il aperçut soudain les oiseaux de son rêve. Ils étaient de grandeur gigantesque, et de proportions que n’avait aucun autre oiseau. Aussitôt Clovis descendit de cheval, raconta sa vision à son armée, et lui proposa de commencer la construction d’un édifice qu’on mettrait sous le patronage de saint Pierre. L’armée acclama ces paroles, et sans tarder elle se mit à jeter les fondements d’une église qui fut achevée plus tard, après la soumission totale de l’Aquitaine. En souvenir de cet événement, on voyait encore, à la fin du quatorzième siècle, dans le pavement en mosaïque de l’église de Moissac, en avant du chœur, deux oiseaux de grande taille, qui passaient pour représenter les oiseaux de Clovis. Le lecteur familiarisé avec l’étude de la poésie populaire n’aura pas de peine à reconnaître dans cette mosaïque l’origine de la tradition elle-même, ou du moins celle des formes fantastiques sous lesquelles elle a été conservée. Mais, à quelque date que soit née la légende des griffons, le souvenir de Clovis était ancien à Moissac. Déjà, en 1212, dans une lettre de doléances adressée à Philippe-Auguste, l’abbé de ce monastère rappelait qu’une tradition immémoriale en attribuait la fondation à Clovis, et citait, à titre de preuve, l’inscription suivante, qui se lisait au-dessus de la porte de l’abbaye de Moissac :

HOC TIBI CHRISTE DEUS REX INSTITUIT CLODOVEUS

AUXIT MUNIFICUS POST HUNC DOMINUS LUDOVICUS

A cette date, l’abbaye célébrait plusieurs services 4nnuels pour le repos dé l’âme des rois de Frange qui l’avaient fondée et dotée, et, dans la pensée-des moines, Clovis était du nombre. Plusieurs siècles après, cette pieuse coutume était encore en vigueur. On se souvenait du conquérant de l’Aquitaine dans la solitude du monastère, et la prière catholique allait chercher sa mémoire dans l’oubli profond du passé[33].

Nous avons énuméré toutes les fondations monastiques attribuées à Clovis dans le pays de la Garonne et de ses affluents. Mais le reste de la France en possède plusieurs également, qu’il convient de passer en revue, et dont il faut examiner les titres.

Le Limousin ne s’est pas contenté de mettre Clovis en relations avec Léonard, le saint ermite de la forêt de Panvain[34]. Selon une attestation de la fin du quinzième siècle, ce roi devrait être considéré comme le fondateur de l’abbaye du Dorat, car, en revenant de la bataille de Vouillé, il y aurait fondé le modeste oratoire qui fut le berceau de cette maison. Les clercs qu’il y plaça, au dire de la tradition, reçurent de lui une dotation territoriale, à laquelle il ajouta le précieux privilège de l’immunité[35].

Saint-Mesmin de Mici invoque à la fois un diplôme de Clovis et une Vie de ses saints fondateurs. Il est vrai que le diplôme n’est pas authentique, et que la Vie ne parait pas contemporaine ; mais toutes les objections qu’on peut soulever contre certaines de leurs parties laissent debout la tradition ancienne qu’ils ont mise par écrit. Clovis, nous dit-elle, désirait faire quelque chose pour le saint prêtre Euspice, qui avait refusé l’évêché de Verdun. L’ayant emmené sur les bords de la Loire avec son neveu saint Mesmin, et connaissant son goût pour la vie monastique, il lui proposa de chercher dans ce pays un endroit qui serait à sa convenance, et lui promit de lui en faire donation. Aidé de Mesmin, Euspice se mit en quête, et arrêta finalement son choix sur une presqu’île formée par le confluent de la Loire et du Loiret, en aval d’Orléans. La biographie des deux saints vante le charme de ces lieux, où la beauté cru site, la fertilité du sol et la profondeur de la solitude se réunissaient pour en faire le séjour idéal d’une congrégation monastique. La presqu’île n’était pas grande, mais elle produisait en abondance le blé et le vin ; des bosquets pleins d’oiseaux diversifiaient le paysage, fermé d’un côté par la majesté sévère des grands bois, largement ouvert de l’autre par la Loire, sur laquelle apparaissaient fréquemment des vaisseaux marins qui, remontant le fleuve, apportaient dans l’intérieur de la Gaule les marchandises les plus variées de l’étranger.

C’est là qu’Euspice, avec l’assentiment du roi et grâce à ses libéralités, inaugura la florissante abbaye de Saint-Mesmin. Sentant sa fin approcher, le vieillard voulut que l’acte de donation fût passé au nom de son neveu comme au sien, ce qui fut fait. Dans sa rédaction la plus concise, et qui a été admise comme authentique par la plupart des historiens, l’acte comprenait la concession du fisc royal de Mici, plus une chênaie, une saussaie et deux moulins. En outre, le roi recommandait les deux solitaires à la bienveillance de l’évêque d’Orléans Eusebius, et mettait leur monastère sous sa protection. Telle fut, au dire de la tradition, l’origine de l’abbaye de Saint-Mesmin de Mici[36].

Les autres monastères qui revendiquent Clovis pour fondateur sont loin d’exhiber des titres aussi sérieux que ceux de Mici. Ceux de Saint-Michel de Tonnerre[37] et de Molosme[38], dans le voisinage de cette ville, ainsi que ceux de Saint-Pierre de Flavigny[39] sont inconnus, et pour cette raison ils échappent également à la controverse et à l’attention de l’historien. Ceux de Saint-Pierre-le-Vif de Sens doivent être résolument écartés, malgré les déclarations explicites des deux diplômes de fondation de cette abbaye. A en croire l’une de ces pièces apocryphes, attribuée à Clovis, ce roi aurait fait don à sa fille Théodechilde, qui avait consacré sa virginité au Christ, d’un domaine considérable situé en Bourgogne, et provenant, au dire du diplôme, de la dot de Clotilde. Mais Théodechilde était la fille de Thierry Ier et non de Clovis, et toutes les assertions du diplôme croulent par la base devant cette simple rectification, unanimement admise aujourd’hui[40].

Les titres de Sainte-Marie de Bethléem, qui a été dans les derniers temps un prieuré de l’abbaye de Ferrière en Gâtinais, sont également fort sujets à caution. Si l’histoire qu’ils nous racontent avait le moindre degré de vraisemblance, elle contiendrait un épisode bien curieux de la biographie de Clovis. J’ai appris, lui fait dire le diplôme, de la bouche de Remi de Reims, mon ami très cher, qui m’en a certifié le récit, que Bethléem en Gâtinais a été fondé par saint Sabinien, par saint Potentien, par saint Coffin et par plusieurs autres disciples de saint Pierre envoyés en Gaule. Or, pendant que ces saints personnages étaient en prière la nuit, une éblouissante lumière se répandit soudain, et ils virent apparaître dans les airs la scène de la naissance de Notre-Seigneur. L’enfant Jésus, la Vierge, saint Joseph, le bœuf et l’âne de la crèche, tout, jusqu’aux anges chantant le Gloria in excelsis, se révéla aux yeux de ces saints solitaires. Appelé par le bruit de cette merveille, et par celui des miracles qui se font tous les jours dans ce saint lieu, j’y suis venu humblement prier là Mère de Dieu, et, par piété envers elle, voyant que l’étroitesse de ce sanctuaire ne suffisait pas à l’affluence des fidèles, j’ai décidé d’y bâtir une église plus vaste et plus belle en l’honneur des saints apôtres Pierre et Paul. Avant de quitter cette retraite, j’ai jeté les fondements de ce temple, que j’achèverai par la suite avec la grâce de Dieu. Telle est la légende de Bethléem ; malgré son caractère peu digne de foi, elle devait trouver une place dans ce récit, parce qu’elle contient peut-être une parcelle de vérité qu’il y aurait intérêt à mettre en lumière[41].

Arrêtons-nous encore un instant, avant de terminer cette revue, devant le diplôme de fondation de l’abbaye de Saint-Jean de Réomé, aujourd’hui Moutiers-Saint-Jean (Côte-d’Or). Ce document, attribué à Clovis, nous offre une nouvelle version de la légende populaire que nous avons déjà rencontrée dans la vie de saint Remi. On y lit que Clovis donna à l’abbé Jean, qu’il vénérait comme son patron spécial, autant de terres fiscales qu’il pouvait en parcourir en un jour, monté sur un âne. Hâtons-nous de dire que le diplôme n’est pas authentique, et ajoutons que la vie de saint Jean de Réomé, qui est du septième siècle au plus tard, ne sait rien des relations du saint avec le roi Clovis. Cette dernière circonstance est bien faite pour rendre suspecte la tradition elle-même, et cependant il y a dans le diplôme des passages qui ont un tel accent d’antiquité, qu’on est tenté d’y voir, avec des critiques distingués, une pièce authentique défigurée par des interpolations ou par des remaniements[42].

On connaît maintenant Clovis fondateur de monastères[43]. Les pages que nous lui avons consacrées ne sont peut-être pas complètes, et les traditions qu’elles racontent n’ont pu être toujours contrôlées et vérifiées. Le lecteur nous pardonnera de les avoir rapportées néanmoins, telles que nous les avons trouvées dans les diplômes et dans les chroniques. En une matière si obscure et si plu explorée, n’y avait-il pas lieu de tout recueillir, et de ne rien omettre de ce qui peut devenir un indice ? Nous l’avons pensé, et, ne pouvant pas toujours faire le départ de nos matériaux, nous avons voulu les reproduire indistinctement, croyant qu’il y avait quelque profit à se souvenir ici de la parole évangélique : Collige fragmenta ne pereant.

Toutefois, on se ferait une idée fausse des relations de Clovis avec l’Église, si on voulait ne les apercevoir que dans la lumière adoucie et sous les couleurs harmonieuses de la légende. En réalité, ce règne si rempli de péripéties militaires, et pendant lequel les armées franques ne cessèrent de sillonner la Gaule, n’a pas seulement assisté à des fondations d’églises et de monastères, et les institutions religieuses y ont plus d’une fois pâti des violences que déchaînait ou autorisait la guerre. Deux générations après la mort du roi, on se souvenait encore des déprédations que les grands s’étaient permises du temps de Clovis à l’endroit des biens ecclésiastiques, et le concile de Paris, réuni vers 570, mettait les héritiers des spoliateurs en demeure de restituer des biens injustement acquis. Il est arrivé, dit le premier canon de ce concile, qu’au temps des discordes, et par la permission du roi Clovis, de bonne mémoire, certains se sont emparés des biens de l’Église et en mourant les ont légués à leurs successeurs. Nous voulons que ceux-là aussi, si, avertis par leurs évêques et reconnaissant leurs fautes, ils ne font restitution, soient temporairement exclus de la communion. Ces biens enlevés à Dieu même et qui, il faut le croire, ont causé la mort prématurée des ravisseurs, leurs fils ne doivent pas les garder plus longtemps[44].

Ces paroles sont graves, et ce serait les mal comprendre que d’en conclure qu’elles visent exclusivement les détenteurs des biens ravis. En prononçant ici le nom de Clovis, le concile a manifestement voulu indiquer, d’une manière discrète, la part de responsabilité qu’il entendait lui laisser dans l’œuvre de spoliation. Il n’en faudrait pourtant pas conclure, avec certains historiens, qu’au jugement du concile, c’est Clovis qui a dépouillé des églises pour enrichir ses fidèles[45]. L’allusion faite aux troubles pendant lesquels ont eu lieu les déprédations montre qu’il s’agit de violences illégales, et non de mesures prises en vertu d’une décision du souverain[46]. Au surplus, c’est un évêque encore, et un contemporain du concile de Paris, qui formule dans les termes suivants le jugement de l’Église sur le fondateur de la monarchie mérovingienne.

Faut-il s’étonner, écrit Grégoire de Tours en parlant des princes de son temps, qu’ils soient accablés de tant de plaies ? Mais rappelons-nous ce que faisaient leurs pères, et voyons ce qu’ils font eux-mêmes. Ceux-là, après avoir entendu les prédications des évêques, abandonnaient les temples païens pour les sanctuaires du vrai Dieu ; ceux-ci, tous les jours, pillent les églises. Ceux-là enrichissaient les monastères et les lieux saints ; ceux-ci les détruisent et les renversent. Ceux-là vénéraient et écoutaient de tout cœur les prêtres de Dieu ; ceux-ci, non seulement ne leur prêtent plus l’oreille, mais vont jusqu’à les persécuter[47].

 

 

 



[1] Eo tempore dilatavit Chlodovechus amplificans regnum suum usque Sequanam. Sequenti tempore usque Ligere fluvio occupavit, accepitque Aurilianus castrum Malidunensem omnemque ducatura regionis illius. Liber historiæ, c. 14. Je ne garantis pas tout ce passage, que la présence du fabuleux Aurélien rend justement suspect ; mais j’admets, contre Junghans, p. 30, et Krusch, note de son édition du Liber historiæ, p. 260, que l’auteur aura eu souvenance d’un comte de Melun nommé Aurélien, et qu’il l’aura identifié avec le personnage de la légende. Cet Aurélien historique était-il un contemporain de Clovis ? On n’en peut rien savoir.

[2] Ex Vita sancti Arnulf martyris (dom Bouquet, III, p. 383).

[3] V. la note suivante.

[4] At ubi Deo favente rex Francorum Chlodeveus torrens et pulcher et primus recepit catholicam baptismi, et quod minus in pactum habebatur idoneo per proconsolis regis Chlodovechi et Hildeberti et Chlotarii fuit lucidius emendatum. Prologue de la Loi salique, Pardessus, Loi salique, p. 34 ; Hessels et Kern, Lex salica, p. 422.

[5] Ex vita sancti Sacerdotis (dom Bouquet, III). Cette formule semble empruntée au canon 10 du V. concile d’Orléans en 549 : cum voluntate regis, juxta electionem cleri aut plebis (Maassen, Concilia, p. 103). Mais il est manifeste que le concile d’Orléans ne put que consacrer un état de choses antérieur, et il est impossible de supposer que cet état de choses ne remonte pas au règne de Clovis.

[6] M. G. H., Epistolæ merovingici et karolini ævi, p. 114.

[7] Sur les élections épiscopales sous les Mérovingiens, il faut lire le bon mémoire de M. Vacandard dans la Revue des Questions Historiques, t. LXIII (1898), où est citée, p. 321, n. 1 et 2, la bibliographie antérieure.

[8] Ex vita sancti Fridolini (dom Bouquet, III, p. 388).

[9] Ex Vita sancti Germerii (dom Bouquet, III, p. 386). Voir l’appendice.

[10] La plus ancienne attestation de ce récit se trouve dans un acte de 1292, consigné au registre des enquêtes du parlement de Paris et reproduit par R. Choppin, De jure monachorum, p. 307 ; il figure aussi dans un extrait du cartulaire du chapitre d’Auch, n° 132, reproduit en appendice, n° 7, dans de Brugèles, Chronique ecclésiastique du diocèse d’Auch, Toulouse, 1746. Voir aussi Baiole, Histoire sacrée d’Aquitaine, Cahors, 1644, p. 332 ; Loubens, Histoire de l’ancienne province de Gascogne, Paris, 1839, pp. 90-91 ; Monlezun, Histoire de la Gascogne, Auch, 1846, t. I, p. 189 ; Lafforgue, Histoire de la ville d’Auch, Auch, 1851. Selon Monlezun, l. c., une des couronnes faites avec l’or offert par le roi a subsisté jusqu’en 1793 ; on l’appelait la couronne de Clovis.

[11] Vita sancti Eleutherii auctior dans les Acta Sanctorum des Bollandistes, 20 février, t. III, pp. 183-190, et Ghesquière, Acta Sanctorum Belgii, t. I, pp. 475-500.

[12] Ex Vita sancti Severini Abbalis Agaunensis (dom Bouquet, III, p. 392.) Ce récit est loin d’être garanti, bien qu’il en soit souvent fait état même par des historiens peu tendres à l’endroit des légendes, notamment par Junghans, p. 77, n. 1, par W. Schultze, Das Merovingische Frankenreich, p. 72, et en dernier lieu par Arnold, Cæsarius von Arelate, p. 242. Voir l’Appendice.

[13] Ex Vita sancti Fridolini (dom Bouquet, III, p. 388).

[14] Arbellot, Vie de saint Léonard, solitaire en Limousin, Paris, 1863. Les pages 277-289 contiennent le texte d’une vie inédite de saint Léonard, d’après plusieurs manuscrits dont un du onzième siècle.

[15] Hincmar, Vita sancti Remigii, dans les Acta Sanctorum des Bollandistes, 1er octobre, t. I, p. 153 A.

[16] Vie de saint Léonard, éditée par le chanoine Arbellot, c. 3.

[17] Illi (il s’agit surtout de Clovis) monasteria et ecclesias ditaverunt ; isti (il s’agit de ses petit-fils) eas diruunt ac subvertunt. Grégoire de Tours, IV, 48.

[18] De oblationibus vel agris quos domnus noster rex ecclesiis suo munere conferre dignatus est, vel adhuc non habentibus Deo inspirante contulerit, ipsorum agrorum vel clericorum immunitate concessa, id esse justissimum definimus ut... Sirmond, Concilia Galliæ, I, p. 179 ; Maassen, Concilia ævi merov., I, p. 4.

[19] Vita sancti Melanii, dans les Acta Sanctorum des Bollandistes. Sur les divers textes de cette vie, voir l’Appendice.

[20] Un sermon prêché dans la cathédrale de Nancy au douzième siècle et conservé dans le manuscrit 9093 latin de la bibliothèque nationale à Paris contient le passage suivant : Circa initia etiam hujus nascentis ecclesiæ, divin misericordiæ dulcor in hoc se aperuit quod Clodovæus rex Francorum illustrissimus per beatum Paternum patronum nostrum transmisit huic ecclesiæ desiderabilem thesaurum videlicet etc. Suit une énumération de reliques. V. A. de la Borderie, Histoire de Bretagne, t. I, p. 201, note 2 et p. 331.

[21] V. dans Dom Morice, Mémoires pour servir de preuves à l’histoire de Bretagne, t. I, p. 547, le texte de la charte de Louis-le-Gros, datée de 1123, dans laquelle sont rappelées les libéralités de Clovis ; on y lit : Quoniam vir venerabilis Bricius Namneticæ sedis episcopus præsentiam nostram non absque magno labore itineris humiliter adiit et præcepta antiquorum et venerabilium Francorum regum Karoli, Clodovæi et fini ipsius Clotarii attulit et ostendit, etc. L’authenticité de cette charte, contestée par Travers, Histoire de la ville et du comté de Nantes, I, p. 244 et par M. C. Port, Dictionnaire de Maine-et-Loire, t. II, s. v. Loué, est défendue par M. L. Maître, Étude critique sur la charte du roi Louis VI, Rennes 1887 et par M. A. Luchaire, Louis VI le Gros, Annales de sa vie et de son règne, pp. 153, 323 et suivantes. Au surplus, les défenseurs de l’authenticité ne sont pas d’accord sur la personne de ce Clovis, père de Clotaire, car cette désignation convient aussi bien à Clovis II qu’à Clovis Ier ; bien plus, si l’on admet qu’ici Clodovæus équivaut à la forme Hludovicus usitée au onzième siècle, on peut penser à l’une des séries royales Charlemagne, Louis le Débonnaire et Lothaire, ou encore Charles le Simple, Louis d’Outre-Mer, Lothaire, M. Luchaire penche pour une de ces dernières hypothèses, M. Maître, o. c., et M. Orieux (Bulletin de la Société archéologique de Nantes, t. 39, 1898, p. 59), pensent à Clovis Ier. Selon moi, le rédacteur de l’acte, authentique ou non, n’a pu penser qu’à un Clovis, et je suis porté à croire que c’est Clovis Ier.

[22] Hincmar, Vita sancti Remigii, 66, dans les Bollandistes, p. 149 C.

[23] Du moins je crois pouvoir interpréter de la sorte le passage suivant du testament (d’ailleurs apocryphe) de saint Remi : Aliud argenteum vas, quod mihi domnus illustris memorite Hlodowicus rex, quem de sacro baptismatis fonte suscepi, donare dignatus est, ut de eo facerem quod ipse voluissem, tibi hæredi meæ ecclesiæ supra memoratæ jubeo thuribulum et imaginatum calicem fabricari : quod faciam per me si habuero spatium vitæ. Acta Sanctorum des Bollandistes, 1er octobre, t. I, p. 167 F.

[24] Hincmar, Vita sancti Remigii, 80-82, dans les Acta Sanctorum, p. 152. Il n’y a pas lieu de discuter avec les érudits qui, comme M. Krusch (Neues Archiv., t. XX, p. 523), veulent se persuader que ces légendes sont autant de faux fabriqués par Hincmar. Les savants au courant des traditions populaires seront d’un autre avis, et ils rapprocheront de cet épisode le passage du diplôme apocryphe de Clovis pour saint Jean de Réomé, où on lit : Ut quantumcumque suo asino sedens una die cires locum suum nobis traditum et commendatum de nostris fiscis circuisset, perpetuo per nostram regalem munificentiam habeat. Bréquigny et Pardessus, Diplomata, I, p. 32 ; Pertz, Diplomata, p. 11. — Voir encore la Vie de saint Léonard, c. 12-25, et l’Histoire de saint Gerinier ci-dessus.

[25] Ex Vita sancti Reguli episcopi (dom Bouquet, III, p. 391).

[26] Voir ci-dessus le passage de Grégoire de Tours, IV, 48. — Clodoveo Francorum regi fit cognitus (Melanius) et ejus strenuus efficitur consiliarius. Ejus quippe consilio multas a fundamentis construxit ecclesias desertasque reparavit, et monasteria qundam decentissime fabricavit. Vita Melanii, dans les Acta Sanctorum des Bollandistes, 6 janvier, t. I, et Desmedt, Catalogua hagiographicus Parisiensis, t. I, p. 71 où il y a une autre recension de cette vie. La troisième recension, qui est publiée au t. II, p. 531 du même ouvrage, ne contient pas de mention des monastères. — Reversusque rex cum victoria adepta, regnum Francorum strenue rexit, monasteria plurima sanctorum edificavit, etc. Vita sanctæ Chiothildis, dans M. G. H., Scriptores Rerum Merovingicarum, t. II. p. 345. — Quot monasteria construxit, quot prædia ornamenta eisdem monasteriis distribuit, nemo potest recordari. Note du treizième siècle dans un manuscrit du Liber historiæ, c. 19 (M. G. H., p. 273).

[27] Gesta Epicop. Camerac., II, 11, dans M. G. H., Scriptores, VII, pp. 458-439. Voir sur Baralle la notice de M. Godin dans le Dictionnaire historique et archéologique du département du Pas-de-Calais, arrondissement d’Arras, t. II, p. 136. Une fontaine y porte encore le nom de Saint-Georges, et l’on y a trouvé des tombeaux maçonnés dont la chronique fait un ermitage sous le vocable du même saint. Il est à remarquer qu’on a exhumé à Baralle beaucoup d’objets romains, ce qui atteste l’antiquité du lieu. Mabillon ne parle pas de Baralle dans ses Annales.

[28] Circuiensque vicina loca, in Caturcinio in loco qui Junantus (Vinantus dans Chavanon, Adhémar de Chabannes, p. 21.) dicitur monasterium in honore beati Martini construxit et ob amorem ipsius confessoris maximis honoribus ac diversis thesauris abundantissime ditavit. D’après le manuscrit d’Adhémar de Chabannes, dans Scriptores Rerum Meroving., t. II, p. 210, note.

[29] Voir le manuscrit 2 d’Adhémar de Chabannes (douzième siècle), ad ann. 754 (M. G. H., Scriptores, IV, p. 114). Les faux titres de Figeac ont fort embrouillé toute cette question d’origines monastiques ; on la trouve tirée au clair dans G. Desjardins, Essai sur le cartulaire de l’abbaye de Sainte-Foi de Conques en Rouergue (Bibl. de l’école des Chartes, t. XXXIII, 1812).

[30] Voir les auteurs cités ci-dessus et Lecoy de la Marche, Saint Martin, p. 515. On ne peut pas admettre avec nos vieux auteurs que Clovis, entrant pour la première fois à Auch, après la défaite d’Alaric, ait fait don à, l’église Notre-Dame du monastère de Saint-Martin, récemment construit par lui. Cette donation, si nous admettons que Saint-Martin ait été fondé par Clovis, doit se rapporter à une date postérieure.

[31] De Brugeles, Chroniques ecclésiastiques du diocèse d’Auch, pp. 180, 185 et 187, d’après un cartulaire de Simorre. Il est fait mention de cette fondation dans des lettres de la chancellerie de l’an 1511, dans des statuts faits au chapitre l’an 1512, dans un arrêt du conseil d’État de l’an 1522, et dans un inventaire de production devant l’official d’Auch en 1558. Idem, p. 180. Cf. Gallia christiana, I, p. 1013.

[32] Un diplôme de Pépin Ier d’Aquitaine pour Moissac, en 818, attribue la fondation de cette abbaye à saint Amand : Monasterio quod dicitur Moissiacum in pago Caturcino super Illuvium qui dicitur Tarnus, quod olim sanctus Amandus abbas in honore sancti Petri apostolorum principis construxit (Dom Bouquet, VI, p. 663.) Cf. Mabillon, Annales O. S. B., t. I, p. 358, et Lagrèze-Fossat, Études historiques sur Moissac, Paris, 1870-1874, t. III, p. 8. Cet auteur ne connaît que le diplôme de Pépin II, en 845, qui est apocryphe, et qui reproduit textuellement l’authentique cité ici. Cf. dom Bouquet, t. VIII, p. 356. L’abbé Foulhiac, Mélanges sur le Quercy, cité par Lagrèze-Fossat, III, p. 9, croit que saint Amand aura fondé Moissac sous Clovis II, et qu’on aura confondu ce prince avec Clovis Ier.

[33] Voir la chronique d’Aymeri de Peyrac, manuscrit 4991 A du fonds latin de la Bibliothèque nationale de Paris, f° 102 v., 105 et 165 v. Cf. Lagrèze-Fossat, Études historiques sur Moissac, Paris, 1870-74, t. III, p. 495, et t. I, p. 373. La légende de Moissac fut plus tard remaniée, comme celle de la sainte Ampoulé, des anges y furent substitués aux oiseaux. Les habitants illettrés croient et affirment encore que la statue colossale du Christ qui décore le tympan du grand portail de l’Église est celle de Clovis. Ils lui donnent le nom de Reclobis, mot patois formé par contraction des mots latins rex et Clovis. Il est très probable que cette croyance est très ancienne. (Lagrèze-Fossat, III, pp. 496 et 497.) Il est toutefois bien loin d’être prouvé que Moissac ait été fondé par Clovis ; selon Lagrèze-Fossat lui-même, III, p. 8, il devrait sa fondation à saint Amand.

[34] Sur saint Léonard, voir ci-dessus.

[35] Le texte du prétendu diplôme de Clovis pour le Dorat est publié par Aubugeois de la Ville du Bort, Histoire du Dorat, Paris 1880 (d’après Leymarie, Histoire de la bourgeoisie, t. II, p. 345) ; il est contenu dans un vidimus du 5 février 1495, délivré par le gardien du sceau du bailliage de Limousin au chantre de l’église du Dorat, syndic du chapitre. D’après ce vidimus, le document était transcrit dans un vieux livre écrit sur parchemin, richement relié et renfermant les évangiles. M. Alfred Leroux, Additions et rectifications à l’Histoire du Dorat de M. Aubugeois de la Ville de Bort. (Bulletin de la Société archéologique et historique du Limousin, t. 29, 1881, p. 139, ne voit dans ce texte qu’un fragment de chronique, postérieur peut être de six siècles (de l’avis même de M. l’abbé Rougerie) au fait dont il s’agit. M. l’abbé Rougerie, Vies de saint Israël et de saint Théobald, Le Dorat 1811, se donne des peines stériles pour défendre la tradition locale étayée de si faibles appuis.

[36] Voir les deux vies de saint Mesmin de Mici, dont la première, selon Mabillon, serait du septième siècle, et dont la seconde est dédiée à Jonas d’Orléans, qui vécut au neuvième (Mabillon, Acta Sanct. O. S. B., I, pp, 362 et suivantes). — Pour le diplôme, outre les auteurs cités par Pardessus (Diplomata, I, pp. 57 et 58), et par Pertz (Diplomata, pp. 3 et 120), il faut lire Vergnaud-Romagnesi : Mémoire sur l’ancienne abbaye de Saint-Mesmin-de-Mici, Orléans, 1842, et surtout un mémoire qui se trouve dans les Factums de la Bibliothèque nationale (Recueil Thoisy, 384), et qui est intitulé : Factum pour maître Lie Chassinat contre les religieux Feuillants de l’abbaye de Saint-Mesmin, appelans d’une sentence du 8 juillet 1659, rendue par le bailli d’Orléans, avec un appendice portant en tête : Advertissement servant à l’examen des titres et chartulaires de l’abbaye de Saint-Mesmin, et pour en justifier les faussetés. Cf. Mabillon, Annales O. S. B., t. I, p. 33.

[37] Mabillon, Annales O. S. B., t. I, p, 50.

[38] Idem, ibid., I, p, 49.

[39] Le P. Grignard, qui s’en est occupé en dernier lieu, écrit : Quad multa ? Opinio quæ tenet Flaviniacensem abbatiam regnante Clodoveo primo fuisse fundatam dubia ne dicam commenticia videtur. Wissenschaftliche Studien und Mittheilungen aus dem Benediktinerorden, 2e année. t. I, (1881), p. 253.

[40] La confusion est ancienne ; on la trouve déjà au onzième siècle dans Odorannus de Sens, et au douzième siècle dans Clarius. A. de Valois, t. I, p. 326, et Mabillon, Annales, O. S. B., t. I, pp. 47-48, en ont fait justice : mais cela n’a pas empêché l’abbé Chabeau, Sainte Théodechilde vierge, Aurillac, 1883, et l’abbé Bouvier, Histoire de l’abbaye de Saint-Pierre-le-Vif (Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de l’Yonne, t. XLV, 1891), de soutenir le point de vue d’Odorannus. Récemment, M. Maurice Prou a repris l’examen de la question dans un travail qu’on peut considérer comme définitif, et qui est intitulé : Études sur les chartes de fondation de l’abbaye de Saint-Pierre-le-Vif. Le diplôme de Clovis et la charte de Théodechilde, Sens, 1894.

[41] Dom G. Morin, Histoire générale des pays de Gastinois, Senonois el Burepois, Paris, 1630, p. 764.

[42] Il n’y a rien à tirer de Roverius, Reomaus seu historia Monasterii sancti Joannis Reomaensis in castro Lingonensi, Paris, 1637, et rien de neuf à apprendre dans l’étude de M. de Lanneau (Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de Semur, 6e et 7e année, 1869-1870).

[43] Nous ne parlons pas ici de Nesle-la-Reposte, qui ne peut invoquer que deux statues du portail de son église, prises arbitrairement pour Clovis et pour Clotilde (Mabillon, Annales, I, p. 50), ni de Romainmotier, au canton de Vaud, dont les prétentions reposent sur une confusion manifeste avec Clovis II (Voir F. de Chavannes, Recherches sur le couvent de Romainmotier, dans Mémoires et documents publiés par la Société d’histoire de la Suisse romande, t. III, Lausanne, 1842).

[44] Sirmond, Concilia antiqua Galliæ, t. I, p. 314 ; Maassen, Concilia ævi Merovingici, p. 143 : Accidit etiam ut temporibus discordiæ sub permissione bonæ memoriæ domini Clodovei regis res ecclesiarum aliqui competissent, ipsasque res, in fata conlapsi, propriis heredibus reliquissent. Ce texte n’est pas sûr ; au lieu de sub permissione les manuscrits lisent supra promissionem, ce qui n’a pas de sens ; je me suis rallié avec Thomassin et Héfélé à la correction de Sirmond. Cf. Thomassin, Vetus disciplina, pars. II, lib. II, c. 12, n° 13, p. 588 ; Lœning, Geschichte des Deutschen Kirchenrechts, t. II, p. 689 ; Héfélé, Conciliengeschichte, t. III, p. 12.

[45] C’est ainsi que l’entend notamment Lœning, l. c. : Schon unter Chlodovech kam es vor, Bass der Kœnig, den Bitten seiner Grossen nachgebend, Kirchengut einzog und zu ihren Gunsten darüber verfügte. Il se peut que ce cas se soit produit, mais le concile ne le dit pas.

[46] Grégoire de Tours, H. F., IV. 28.

[47] Lire sur toute cette question Bondroit, Des capacitate possidendi ecclesiæ ætate merovingica, Louvain 1900, pp. 105 et suivantes, où toutes les difficultés relatives au texte dont il s’agit sont exposées et judicieusement discutées.