CLOVIS

LIVRE PREMIER.

IV. — LES FRANCS EN BELGIQUE (Suite).

 

 

Plus d’un demi-siècle va s’écouler sans que les colonies franques de la Toxandrie et de la Flandre attirent l’attention de l’histoire. Les rares fois qu’il sera question d’elles, on n’en parlera que pour signaler leurs revers. On dirait qu’elles cherchent à se faire oublier de l’Empire, ou à le réconcilier avec leur prise de possession irrégulière et violente. Tout le poids de la lutte entre Francs et Romains pèsera sur leurs compatriotes restés en Germanie, et qui, à leur tour, essayeront de forcer le passage. Mais, dans les assauts répétés qu’ils livreront à la frontière du Rhin, ce seront des Francs encore qu’ils rencontreront en face d’eux comme derniers défenseurs du monde romain. Rien ne montre mieux la vitalité de ce peuple, et la place qu’il prend dès lors en Occident. Il ne s’agit déjà plus de savoir si la Gaule sera romaine ou germanique ; la seule question qui se pose, c’est si elle appartiendra aux Francs romanisés ou aux Francs restés barbares. De toute manière, sous l’uniforme romain ou sous les étendards de ses rois nationaux, le Franc sera le maître de la Gaule. Voilà ce qu’enseignent les vicissitudes, souvent fort compliquées, du siècle dont l’histoire va passer sous nos yeux.

Le 18 janvier 350, le jeune empereur Constant, sous le règne duquel les Francs s’étaient établis en Toxandrie, périssait assassiné à la suite d’un complot qui paraît avoir été ourdi par le parti païen. Dans cette tragédie, tous les principaux rôles furent joués par des Francs. L’usurpateur, Magnence, était de race barbare et très probablement d’origine franque : il avait pour père un Lète et pour mère une devineresse[1]. L’assassin fut un Franc du nom de Gaiso, et le dernier fidèle du malheureux empereur fut encore un Franc, nommé Laniogais, qui l’accompagna dans sa fuite jusqu’au delà des Pyrénées. C’étaient les Francs aussi qui, avec les Saxons, formaient les éléments les plus solides de l’armée de Magnence, lorsque celui-ci dut aller défendre contre l’empereur légitime la couronne qu’il avait usurpée. Mais ce n’est pas tout, car Constance se procura à prix d’or l’alliance des Francs du Rhin, et c’est avec leur appui, intéressé mais efficace, que l’empereur franc fut renversé du trône. Enfin, l’homme qui, en passant du camp de Magnence dans celui de son adversaire, décida du sort des deux rivaux, c’était le Franc Silvanus. On cherche vainement le nom d’un Romain dans cette lutte où tous les intérêts de Rome sont en jeu. Vaincu à Mursa (351), Magnence s’enfuit jusqu’à Aquilée, et d’Aquilée jusqu’à Lyon. Là, il apprit que la Gaule s’était révoltée contre son frère Decentius, à qui il en avait confié la garde pendant son absence, que Trèves lui avait fermé ses portes, qu’il  avait été battu par l’Alaman Chnodomar en voulant secourir la ville de Mayence, et que dans son désespoir il s’était tué. Tout croulait autour de lui : il n’avait plus qu’à imiter son frère, et il mit fin à ses jours par le suicide. Constance restait seul maître de l’Empire.

Il paya de la plus noire ingratitude la fidélité du général franc. Silvanus était né en Gaule, d’un père nommé Bonitus, qui avait rendu de signalés services à Constantin le Grand dans la guerre contre Licinius. Il était chrétien, et l’on peut le regarder comme le premier de sa race qui ait été conquis à la fois par le christianisme et par la civilisation romaine. Entraîné, sans doute malgré lui, dans le mouvement qui avait élevé Magnence, il s’en était dégagé à l’heure où la destinée était indécise encore, et où il y avait quelque courage à se prononcer comme il fit. Sa loyauté inspirait d’ailleurs tant de confiance, qu’aussitôt après la défaite de l’usurpateur, Constance l’avait renvoyé en Gaule pour y tenir les Francs en respect. Il s’était vaillamment acquitté de ce devoir, et de sa résidence de Cologne il ne cessait d’avoir l’œil sur ses compatriotes. Mais il était dit que l’Empire s’acharnerait à détruire tout ce qu’on faisait pour le sauver. Silvanus a ouvert la longue liste des barbares dont le bras est le dernier appui de l’Empire, et qui périssent par ordre des empereurs. La bouche des envieux et des intrigants, toute-puissante sous l’inepte Constance, eut bientôt fait de ruiner le crédit du fidèle serviteur dans l’esprit de son maître. Des lettres apocryphes attribuées à Silvanus et parlant de ses espérances impériales furent divulguées, et leurs prétendus destinataires arrêtés. L’imposture était évidente, mais tout le monde tremblait devant les combinaisons scélérates qu’avait ourdies l’intrigue, car chacun pouvait craindre d’en devenir à son tour la victime. Seuls les officiers francs, assez nombreux à la cour[2], et dont plusieurs étaient liés d’amitié avec Silvanus, eurent le courage de protester. L’un d’eux, Malaric, flétrit tout haut l’infamie des délateurs, convoqua ses collègues pour les associer à ses démarches, déclara répondre de la loyauté de son compatriote Silvanus, offrit même d’aller le chercher et de le ramener à la cour, pour le mettre à même de s’expliquer sur les accusations lancées contre lui. Il voulait laisser sa famille en otage et fournir, comme répondant, un autre de ses compatriotes, le tribun des armatures. Mellobaud, ou encore envoyer Mellobaud à sa place et devenir lui-même sa caution.

Mais c’est en vain que ces généreux barbares se débattaient au milieu de ces toiles d’araignées, qu’ils essayaient, sans y parvenir, de trancher avec l’épée. Au lieu de suivre la voie indiquée par Malaric, on imagina de dépêcher à Silvanus une espèce d’agent provocateur, nommé Apodemius. Ce misérable, pour le décider à la révolte, fit tout son possible pour lui laisser croire qu’il était déjà condamné. Pendant qu’il se consacrait à cette tâche odieuse, les calomniateurs de cour, mis en verve, s’avisèrent d’entraîner dans la chute de Silvanus celui-là même qui avait essayé de le sauver. Cette fois encore Malaric sembla venir à bout, à force de loyauté et d’énergie, de l’abominable complot : il rassembla les Francs, leur dévoila les nouvelles intrigues qui s’ourdissaient, leur montra que la cause de Silvanus était leur cause commune à tous et parla un langage tellement décidé, que l’empereur, plutôt par crainte que par esprit de justice, se décida enfin à ouvrir une enquête. L’enquête fit découvrir les faussaires et mit à nu toute la trame de l’intrigue. Néanmoins des influences puissantes sauvèrent les principaux coupables, et les autres ne furent punis que pour la forme.

Au milieu de tous ces légitimes sujets d’inquiétude et d’indignation, Silvanus, qui se sentait perdu, ne savait à quelle résolution s’arrêter. Un instant il rêva de se jeter dans les bras des Francs d’outre-Rhin, ses compatriotes après tout ; mais un ami fidèle lui exposa qu’il leur avait fait trop de mal pour pouvoir compter sur eux : Ils vous tueront, lui dit-il, ou tout au moins vous trahiront à prix d’argent. Et, sans doute, il lui rappela la tragique histoire de Proculus, qui, Franc d’origine comme lui, et comme lui maître de Cologne, avait eu le malheur de se fier aux Francs et avait été livré par eux aux Romains. Silvanus se laissa persuader ; seulement, obligé de mettre ses jours en sûreté, il recourut au moyen suprême des désespérés, et il se fit proclamer empereur. Quelques lambeaux d’étoffe rouge, arrachés à un étendard militaire, furent la pourpre de son inauguration.

La nouvelle de la révolte de Silvanus tomba comme un coup de foudre sur la cour imbécile qui avait tout fait pour pousser cet honnête homme à la défection. Lorsqu’elle arriva le soir au palais de Milan, le conseil impérial fut convoqué d’urgence, et l’on siégea au milieu de la nuit pour délibérer sur la situation. Tout le monde fut d’accord qu’il n’y avait qu’un homme pour la rétablir : c’était un vieux général du nom d’Ursicinus, que de basses intrigues avaient récemment dépouillé de son commandement militaire en Orient. On convint que l’empereur ferait semblant d’ignorer la révolte de Silvanus, qu’il lui présenterait Ursicinus comme son successeurs et qu’il le rappellerait à la cour par une lettre conçue en termes ‘de à plus flatteurs pour lui. Ursicinus avait carte blanche pour le reste. On ne lui donna pas seulement le temps de prouver qu’il était innocent des prétendus crimes qui avaient entraîné sa disgrâce, tant on était pressé de le voir partir, et tant on croyait peu à sa culpabilité. Les conseillers de l’empereur étaient heureux d’avoir mis aux prises les deux serviteurs les plus méritants de leur maître ; de toute manière, ils avaient gagné quelque chose. Ursicinus partit en toute hâte, accompagné d’une escorte dans laquelle se trouvait l’intègre narrateur auquel nous devons la connaissance de ce triste épisode[3]. Il voulait arriver assez tôt pour que Silvanus pût le croire parti de Milan avant que la nouvelle de sa révolte y fût arrivée.

Ursicinus trouva Cologne dans une animation extraordinaire ; elle était remplie de soldats, et agitée par les préparatifs que Silvanus faisait pour recevoir l’assaut des troupes impériales. Il vit bien qu’il était inutile d’attaquer de front un homme si bien entouré, et qu’il ne fallait compter, pour réussir, que sur la ruse. Lui qui avait été récemment encore victime des intrigants et des calomniateurs, il recourut, pour perdre Silvanus, aux basses et honteuses manœuvres dont il avait eu à souffrir lui-même. Il faut remarquer qu’Ursicinus passait pour avoir du mérite, et qu’il travaillait pour son maître légitime ; mais c’est le propre de la décadence de marquer d’une tare de dégradation les vertus les ,plus respectables, en les employant à des œuvres indignes d’elles. Ursicinus gagna la confiance de Silvanus en affectant de se plaindre avec lui des procédés de la cour, et de l’ingratitude qui était la seule récompense des honnêtes gens. Pendant que de la sorte il endormait Silvanus et le plongeait dans une fausse sécurité, sous main il gagnait ses officiers et préparait sa chute. Un beau matin, au lever du soleil, le complot éclata. Attaqué par une bande de rebelles qui massacrèrent sa garde du corps, Silvanus, qui se rendait à la messe, fut obligé de se réfugier en toute hâte dans la chapelle chrétienne ; mais il y fut poursuivi et massacré.

Ainsi périt cet infortuné, qui avait mieux mérité de l’Empire, et dont la cour était parvenue à faire un usurpateur malgré lui. II laissait une mémoire sans reproche, et le silence de l’historien qui fit partie de l’ambassade envoyée pour le perdre est un éloquent témoignage rendu à ses vertus d’homme et à son honneur de guerrier. Il avait su inspirer des amitiés fidèles, comme fut celle de Malaric, et de nobles dévouements, comme celui dont on va parler. Parmi ses domestiques, il y avait un chétif petit homme du nom de Proculus, qu’on avait mis à la torture après sa mort pour lui faire avouer les crimes imaginaires de son maître, et révéler les noms de ses prétendus complices. Tout le monde tremblait que le malheureux, vaincu par les souffrances, ne dénonçât une multitude d’innocents. Mais Proculus supporta les plus cruels tourments sans accuser personne, et, pendant que le bourreau lui brisait les membres, il ne cessa de protester de l’innocence de Silvanus, qu’il établit par des arguments sans réplique. Un dévouement aussi sincère, mais moins pur, fut celui de cette esclave de Silvanus qui était échue, après la confiscation de ses biens, à l’un des auteurs de sa mort, nommé Barbation. Elle le dénonça avec sa femme pour crime de lèse-majesté, et, les ayant fait condamner à mort, elle eut la satisfaction d’offrir ces têtes odieuses aux mânes du maître qu’elle pleurait.

Il était juste de nous arrêter un instant devant la figure de Silvanus ; il montre ce qu’on pouvait faire, au quatrième siècle, d’un barbare converti, et quelle somme de ressources morales les peuples germaniques mettaient à la disposition de l’Empire, qui s’acharnait à les gaspiller de la manière la plus criminelle. Que fallait-il attendre de souverains qui, n’ayant pis de meilleurs défenseurs que leurs volontaires barbares, plongeaient eux-mêmes le poignard dans ces vaillantes et loyales poitrines, et qui, aussitôt après, tremblaient de peur «en s’apercevant de ce qu’ils avaient fait ? Il n’y a rien de plus misérable, et c’est un spectacle que Rome ne se lassera plus de donner jusqu’à la fin.

Les Francs d’outre-Rhin se chargèrent de faire de sanglantes funérailles au compatriote qui leur avait été un voisin si redoutable[4]. A peine avait-il disparu, qu’ils se précipitèrent sur la Gaule désormais sans défense. Cologne, le boulevard de la Germanie, soutint quelque temps leur assaut à l’abri de ses solides murailles ; mais, sans doute parce qu’ils y trouvèrent des intelligences parmi les fidèles de Silvanus qui voulaient le venger, elle finit par tomber dans leurs mains, et ils y mirent tout à feu et à sang. La porte des Gaules leur était toute large ouverte maintenant, et le pont de Constantin, qui jusqu’alors avait été un ouvrage avancé de la défense, devint pour eux la triomphale chaussée par laquelle ils passèrent en masses compactes sur la rive gauche. Pendant le même temps, le haut Rhin était forcé par les Alamans, et, depuis ses sources jusqu’à son embouchure, le beau fleuve ne vit plus sur ses deux rives que des déprédateurs barbares, qui détruisirent quarante-cinq villes sans compter une innombrable quantité de châteaux forts et de fortins. Rien ne leur résistait, ni enceinte ni armée ; au seul bruit de leur arrivée, les villes étaient abandonnées par les populations affolées[5]. Mis en appétit par l’odeur du carnage, les Lètes cantonnés dans l’intérieur de la Gaule sentirent se réveiller leur instincts barbares ; ils voulurent avoir leur part de la curée, et comme de nouveaux Bagaudes, ils promenèrent le fer et le feu jusqu’au fond des provinces les plus éloignées de la frontière[6].

Que pouvait faire dans de telles conjonctures la cour de Milan, sinon de nouveau recourir à un de ces hommes qu’on tenait à l’écart tant qu’on n’avait pas besoin d’eux, et à qui l’on confiait les destins de l’État aussitôt qu’il était menacé ? Il fallut bien que l’empereur se résignât, malgré ses répugnances, à s’adresser à son jeune parent Julien, dernier survivant des neveux de Constantin le Grand massacrés au lendemain de sa mort.

Julien était alors un jeune homme à l’esprit sérieux et réfléchi, avec assez de talent et de caractère pour faire honneur à son origine dans tous les postes où il plairait à la fortune de l’employer. Il avait gardé jusque là l’attitude effacée qui convenait à ses malheurs et à sa dignité : il vivait dans la solitude, n’ayant d’autre société que celle de ses livres, trop timide et trop gauche d’ailleurs pour se faire valoir, même s’il l’avait voulu, dans un monde prosterné devant tous les caprices de l’étiquette. On ne se doutait guère, à la cour, de ce qui se cachait sous ces dehors réservés. On le savait passionné pour la littérature, et plein de vénération pour les rhéteurs qui avaient été ses maîtres, et parmi lesquelles brillait le sophiste Libanius. Ce qu’on ignorait, c’est que cette imagination ardente, refoulée sur elle-même et condamnée à ne trouver de satisfaction que dans la vie purement intellectuelle, avait été conquise entièrement par les grandeurs du monde antique, entrevu à travers la splendeur sans pareille dont l’entouraient ses poètes et ses philosophes. Les Muses l’avaient ramené devant les autels des dieux oubliés ; il s’y était épris du charme d’une mythologie que d’ailleurs les lettrés de son temps rajeunissaient au moyen d’ingénieux symbolismes. Son besoin d’idéal trouva une satisfaction dans ces poétiques rêveries ; la grandeur morale du christianisme, compromis à ses yeux par les royaux meurtriers de sa famille et par les sophismes de l’hérésie, ne fit pas d’impression sur cette âme d’écolier trop bien doué. Toutefois, dissimulé comme le sont d’ordinaire les opprimés, il cacha soigneusement au fond de son cœur les sentiments qui le remplissaient, et seuls les confidents les plus intimes de sa pensée purent entrevoir ce qui était réservé au monde, le jour où il serait donné à Julien d’en occuper le trône[7].

Tel était l’homme sur lequel Constance venait de jeter les yeux pour délivrer la Gaule des barbares. On le tira de sa solitude, on lui fit déposer le manteau de philosophe pour la pourpre impériale, on lui donna la main d’Hélène, sœur de l’empereur, puis, sans lui révéler la terrible nouvelle de la chute de Cologne, on le dirigea vers la Gaule avec la mission de faire rentrer cette province sous l’autorité impériale. Il partit sans joie, l’âme pleine de sombres pressentiments, se considérant comme une victime vouée à une mort certaine. Lorsque, revenant de la cérémonie de son inauguration, il était descendu du char impérial pour entrer dans le palais de Constance, on l’avait entendu murmurer un vers d’Homère qui parlait du destin fatal d’un héros : et c’est par cette lugubre prophétie, enveloppée dans un souvenir classique, que le nouveau César débuta dans sa carrière.

Il fut d’ailleurs à la hauteur de sa mission. De Vienne, où il avait passé l’hiver, il courut au printemps de 356 délivrer Autun ; puis, par des chemins tout infestés de barbares, il gagna Auxerre et Troyes, où l’on osa à peine lui ouvrir lorsqu’il se présenta à l’improviste devant les portes, tant on y avait peur de l’ennemi qui tenait toute la campagne. De là il partit pour Reims, où il avait donné rendez-vous à ses troupes, et de Reims, s’avançant avec les plus grandes précautions, et en rangs serrés, à travers un épais brouillard qui masquait la présence de l’ennemi, il prit là route de l’Alsace. Il enleva aux barbares la ville de Brumagen, et, après en avoir nettoyé la contrée tant bien que mal, il courut en toute hâte à Cologne. Cologne, en effet, était le but avéré de l’expédition : il n’y avait rien de plus urgent que de reprendre cette position, d’une importance sans égale, qui commandait à la fois le cours du Rhin et la grande chaussée de Reims. Voilà pourquoi Julien brûlait les étapes, sans prendre le temps de détruire les ennemis qu’il rencontrait. Il fallut traverser une région désolée par les invasions successives, et qui offrait aux soldats le triste spectacle des ruines qu’ils n’avaient pu empêcher, et des désastres qu’ils avaient à venger. Tout le long du Rhin, les villes et les châteaux forts n’étaient plus qu’un amas de décombres ; seule, Remagen était encore debout, ainsi qu’une tour solitaire dans le voisinage de Cologne. Julien pénétra sans obstacle dans la ville démantelée et à peu près déserte, que les barbares ne purent pas défendre : ils n’avaient pas encore déposé leur aversion pour les enceintes muraillées, qu’ils regardaient comme des tombeaux, et ils ne savaient que faire des ruines qui étaient leur œuvre. Le général romain s’y établit avec ses soldats ; il en releva les murs, la remit en état de défense, et sans doute y rappela la population. Une série d’opérations militaires contre les Francs répandit la terreur parmi eux ; leurs rois furent forcés de faire la paix, et de respecter la sécurité du boulevard de l’Empire. Ce grand résultat obtenu, Julien revint par Trèves, et alla prendre ses quartiers d’hiver à Sens, au cœur de la Gaule.

Il venait de fermer ce pays à de nouveaux envahisseurs ; mais il y avait enfermé les anciens, et ils restaient terribles. Les provinces étaient sillonnées dans tous les sens par des bandes de Francs, d’Alamans et de Lètes, qui tenaient la campagne, qui coupaient les communications entre les villes, et qui, servis par des quantités d’espions et de traîtres, fondaient à l’improviste sur les endroits qui semblaient le plus en sûreté. Julien, qui avait cru pouvoir disperser ses troupes dans leurs cantonnements fut lui-même assailli à Sens par ces hardis pillards, et pendant trente jours il dut soutenir leur siège, sans que durant tout ce temps, soit trahison, soit impuissance, les troupes romaines des villes voisines pussent venir à son secours. Il se défendit tout seul, et finit par repousser l’ennemi. Au printemps de 357, il reprit l’offensive ; cette fois, c’était le haut Rhin qu’il s’agissait de reconquérir, et les Alamans qu’il fallait humilier. Mal servi, trahi même par un lieutenant inepte que Constance avait attaché à ses flancs, Julien parvint cependant à rebâtir Saverne, qui commandait la route du Rhin vers l’intérieur de la Gaule ; il arriva ensuite jusque près de Strasbourg, où il livra une sanglante bataille à sept rois alamans. Dans cette journée, dont les principaux honneurs furent pour les auxiliaires barbares, Julien se couvrit de gloire, et il poursuivit les vaincus au delà du Rhin pour achever leur soumission.

Les Francs avaient profité de son absence pour reprendre le cours de leurs déprédations en Gaule Belgique. Sévère, maître de la cavalerie de Julien, allant de Cologne à Reims, était tombé sur eux dans le pays de Juliers, et il put rapporter à son général en chef les ravages qu’ils commettaient dans cette contrée de Belgique toujours éprouvée. La chose parut assez importante à Julien pour qu’au lieu de prendre pendant la mauvaise saison un repos mérité, il donnât tout de suite la chasse à ces insolents pillards. Ceux-ci, apprenant son arrivée, se jetèrent à la hâte dans deux forts à moitié ruinés sur les bords de la Meuse, dont l’histoire ne nous a pas conservé les noms, et, pendant près de deux mois d’hiver (décembre 357 et janvier 358) ils y résistèrent aux efforts qu’il fit pour les réduire. Comme le fleuve était gelé, et qu’il pouvait craindre que les assiégés ne s’échappassent à la faveur des ténèbres, il y fit circuler nuit et jour des bateaux qui ne cessaient d’en casser les glaces. Enfin la constance des Romains triompha de la fermeté des barbares ; épuisés de faim et de fatigue, ils furent obligés de se rendre, et Julien les envoya à l’empereur. Une armée de ravitaillement qui venait à leur secours rebroussa chemin en apprenant cette nouvelle, et le jeune César alla passer le reste d’une année si laborieuse dans une ville des bords de la Seine pour laquelle il avait une vive prédilection, et qu’il appelait sa chère Lutèce.

L’immense capitale qui est aujourd’hui le rendez-vous de l’univers entier n’avait alors rien de ce qui a fait la grande destinée de Paris, si ce n’est l’étonnante ampleur de son site prédestiné et le charme souverain de son beau fleuve. Les forêts et les marécages en occupaient les deux rives : au bas de Ménilmontant s’étendaient des eaux croupissantes ; le bois de Boulogne arrivait jusqu’au Louvre ; la Bièvre se frayait son chemin jusqu’à la Seine à travers des forêts de roseaux. Paris n’était encore que l’îlot de la Cité. Là, enfermée dans la double enceinte que lui faisaient les flots et les murs romains du troisième siècle, la ville surgissait comme une de ces citadelles de la civilisation qui sont à la fois un arsenal et un atelier. L’élément principal de la population était constitué par une puissante corporation, marchande, celle des nautes parisiens, dont les barquettes sillonnaient incessamment la Seine et dont le souvenir est resté dans les armes de la ville : un navire aux voiles gonflées. Paris avait dès lors, si l’on peut ainsi parler, le caractère cosmopolite et international qu’il devait prendre au cours des siècles. Dans son étroite enceinte se dressaient les monuments de toutes les religions. Le dieu Esus y avait ses autels, ainsi que Cernunnos, le dieu aux cornes chargées d’anneaux, et le taureau Trigaranos qui portait trois grues sur son dos ; Jupiter y présidait au cours des flots, du haut de l’autel que les nautes lui avaient consacré sous Tibère ; Mithra y avait ses adorateurs, et, depuis longtemps, le Dieu qui devait détrôner toutes les idoles y possédait, sous le vocable de saint Étienne, un sanctuaire qui est aujourd’hui Notre-Dame de Paris. Au surplus, la ville, riche et pleine d’habitants, avait débordé sur les deux rives de son fleuve, où l’on a retrouvé ses monuments et surtout ses tombeaux. La rive gauche était particulièrement recherchée : c’est là que Constance Chlore, à ce qu’il paraît, avait bâti le palais des Thermes. Ce gigantesque monument, alimenté par l’aqueduc dont Arcueil garde encore les ruines et le nom, était le centre d’un vaste quartier romain qui s’échelonnait le long des voies conduisant à Orléans et à Sens. Julien, qui y demeurait, achève lui-même cette description ; il faut laisser parler ici la première voix qui ait présenté Paris au monde civilisé :

J’étais alors en quartier d’hiver dans ma chère Lutèce : les Celtes appellent ainsi la petite ville de Parisii. C’est un îlot jeté sur le fleuve, qui l’enveloppe de toutes parts. Des ponts de bois y conduisent des deux côtés. Le fleuve diminue ou grossit rarement ; il est presque toujours au même niveau été comme hiver ; l’eau qu’il fournit est très agréable et très limpide. L’hiver y est très doux, à cause, dit-on, de la chaleur de l’Océan, dont on n’est pas à neuf cents stades, et qui, peut-être, répand jusque-là quelque douce vapeur : or, e paraît que l’eau de mer est plus chaude que l’eau douce. Quoi qu’il en soit, il est certain que les habitants de ce pays ont de plus tièdes hivers. Il y pousse de bonnes vignes, et quelques-uns se sont ingéniés d’avoir des figuiers, en les entourant, pendant l’hiver, d’un manteau de paille ou de tout autre objet qui sert à préserver les arbres des intempéries de l’air. Cette année-là, l’hiver était plus rude que de coutume : le fleuve charriait comme des plaques de marbre[8].

C’est là, dans la future capitale du royaume des Francs, que le dernier des empereurs païens passa l’hiver à former des plans de campagne contre ce peuple. Sa tête roulait de vastes projets. Avoir remis la Gaule dans l’état où elle se trouvait avant la mort de Silvanus ne lui suffisait pas. Ce qu’il rêvait, c’était de faire rebrousser chemin aux événements qui avaient amené l’établissement des Francs en Gaule, et de rejeter au delà du Rhin ces audacieux violateurs du territoire impérial. Il y avait un intérêt capital pour l’Empire à redevenir le maître du cours inférieur de ce fleuve. C’était la plus importante voie de communication entre la Gaule et la Bretagne. Les flottilles qui revenaient tous les ans de l’île avec le blé nécessaire à la subsistance des troupes remontaient le Rhin et ses affluents, et déchargeaient leur cargaison dans les localités qui s’élevaient sur leurs rives ; de là, elles étaient distribuées facilement dans les divers campements de leurs vallées.

Mais depuis que les barbares occupaient les deux bords du fleuve ainsi que ses embouchures, rien n’était plus difficile que le ravitaillement des garnisons de Belgique et de Germanie. Il fallait tout décharger à Boulogne et dans d’autres ports de la Manche, d’où, au prix de difficultés considérables, et non sans grands frais, on faisait les transports dans l’intérieur au moyen de chariots. Outre cette difficulté vraiment capitale, qui devait être très vivement ressentie par les gouverneurs de la Gaule, on devine les embarras du commerce paralysé par la fermeture des principaux débouchés. Telle était la détresse, que le préfet du prétoire des Gaules, Florentins, avait offert aux Francs deux mille livres d’argent s’ils consentaient à rétablir la liberté de la navigation sur le Rhin.

Julien trouva cette négociation indigne d’un général romain : il résolut d’ouvrir le Rhin de vive force, en mettant à la raison ces orgueilleux Saliens qui prétendaient en interdire la navigation aux flottilles romaines. Faisant prendre à ses soldats des approvisionnements pour vingt jours, il se dirigea avec une célérité extrême du côté de la Toxandrie, au sud du Rhin et de la Meuse, où ils étaient établis depuis 341. Les barbares le croyaient encore à Paris que déjà il était à Tongres, et l’ambassade qu’ils lui envoyèrent le trouva dans cette ville. Leur arrogance était tombée : ils ne demandaient plus que la faveur de vivre en paix dans leurs nouvelles demeures, et, pour le reste, ils promettaient sans doute fidélité et service militaire à l’Empire. Julien crut à bon droit qu’on ne pouvait pas compter sur ces natures mobiles, tant qu’on ne leur aurait pas fait sentir le poids des armes romaines. Il renvoya donc leurs ambassadeurs avec une réponse évasive ; puis, rapide comme l’éclair, il apparut immédiatement dans leur pays avec une portion de son armée, pendant que l’autre partie, qui s’avançait le long de la Meuse sous la conduite du maître de la cavalerie, venait les prendre à revers.

Surpris et désorganisés, les Saliens ne purent songer à la moindre résistance, et furent trop heureux de voir le général romain, victorieux sans avoir combattu, accorder enfin la paix à leurs instantes supplications. Il va sans dire que la libre navigation du Rhin fut pour les barbares la condition et pour les Romains le plus précieux résultat de la paix[9]. Julien, qui avait fait construire quatre cents barques en Bretagne, et qui en avait rassemblé deux cents en Gaule, disposa, dès le lendemain de sa victoire, d’une flottille nombreuse, qui rétablit immédiatement les communications de l’Empire avec sa grande province d’outremer. Pour un demi-siècle encore, grâce à ces opérations, la frontière de l’Empire fut ramenée au mur d’Adrien, et les Francs semblèrent redevenus un peuple tributaire enclavé dans ses frontières[10].

Il restait à dompter une autre peuplade franque, les Chamaves, qui, ayant pénétré en Gaule les armes à la main, venaient de s’établir à l’est des Saliens entre le Rhin et la Meuse. Julien, qui avait laissé aux Saliens leurs résidences, parce qu’ils les occupaient depuis deux générations avec la tolérance de l’Empire, ne pouvait user de la même longanimité envers ces nouveaux venus : ceux-ci ne devaient pas être domptés, mais chassés. Les Chamaves, prévenus par l’exemple des Saliens, avaient eu le temps de se mettre en garde, et ils opposèrent une vigoureuse résistance. Julien engagea à son service une espèce de géant barbare du nom de Charietto, qui, à la tête d’une troupe de Saliens, fit beaucoup de mal à l’ennemi, par des expéditions nocturnes d’où il rapportait quantité de têtes coupées. Après avoir tué ou pris un grand nombre de ces barbares, le général romain eut enfin la satisfaction de voir leurs envoyés lui demander la paix à genoux[11]. Alors il les traita avec générosité, et rendit à leur roi Nebisgast son fils prisonnier, que le père tenait déjà pour mort ; mais il insista sur l’évacuation du sol de la Gaule, et il leur fit repasser le fleuve[12].

Cette double expédition, au dire d’Ammien Marcellin, avait été achevée en moins de vingt jours, et les seuls barbares que Rome gardât désormais sur son territoire, c’étaient des tributaires ou des vassaux. Julien crut devoir affermir ces résultats en allant, au delà du Rhin, porter une terreur salutaire chez les incorrigibles envahisseurs. Deux expéditions, l’une en 359 et l’autre en 360 contre les Hattuariens, un autre peuple du groupe franc, les mit pour longtemps hors d’état de nuire. La pacification de la frontière était complète, et Julien put descendre le Rhin de Bâle jusqu’à son embouchure, rencontrant partout, le long de ses rives, les traces de ses victoires. On peut se figurer ce voyage comme une tournée d’inspection entreprise par le César pour reconnaître et activer les travaux de restauration de la frontière rhénane. Sous ses ‘auspices, la ligne du Rhin se reformait rapidement ; les légionnaires encouragés et stimulés par lui, échangeaient l’épée contre la truelle ; les soldats auxiliaires eux-mêmes, si dédaigneux du travail manuel, s’en chargeaient pour faire plaisir au général, et les Alamans pacifiés s’employaient au charriage. Sept villes fortes se relevèrent ainsi de leurs ruines avec leur ceinture de murailles : ce sont Bingen, Andernach, Bonn, Neuss, Tricensimum, Quadriburgium et Castra Herculis. De vastes greniers y surgirent pour abriter les approvisionnements que les flottilles radoubées ou nouvellement construites apportaient de Bretagne. A l’abri de la frontière bien gardée, les villes de l’intérieur sortirent à leur tour du lit de cendres dans lequel elles gisaient. Fidèle à la tradition de Drusus, Julien rétablit la seconde ligne de défense de la Gaule sur la Meuse, et, sur les hauteurs qui dominent le cours de ce fleuve, il releva trois châteaux forts qui devaient en garder la vallée. Quant aux Saliens et aux Chamaves, ils furent obligés de fournir des auxiliaires à l’armée romaine, et leurs contingents nationaux, qui sont mentionnés dans la Notice de l’Empire[13], existaient encore du temps de l’historien Zosime[14]. Tels furent les principaux résultats d’un gouvernement Ode quatre années qu’on peut résumer en trois mots : la Gaule pacifiée, la Germanie tenue en respect, et la Bretagne rattachée à l’Empire[15].

Le malheur du monde voulut que l’homme qui brillait d’un si vif éclat au second rang fût élevé subitement au premier. On sait le reste, et comment, à ce sommet des choses humaines, le vertige impérial s’empara d’une tète que les strictes obligations d’un rôle subalterne avaient jusque-là protégée contre elle-même. On voudrait savoir ce que devint la Gaule après son départ, et si les mesures qu’il avait prises suffirent pour lui assurer le repos, au moins pendant les premières années. Mais l’attention de l’histoire se détourne d’elle au moment où Julien la quitte, et ne s’y laisse ramener que par le nouvel empereur Valentinien. Encore l’intérêt des évènements qui se passent sur ce théâtre a-t-il singulièrement baissé pour l’historien qui les raconte, depuis qu’il n’y rencontre plus son héros de prédilection. Il déclare passer sous silence quantité de conflits avec les barbares, parce qu’ils n’eurent pas de résultats appréciables, et parce qu’il n’est pas de la dignité de l’histoire de se traîner à travers des détails oiseux[16]. Il est certain toutefois que le départ de Julien avait enhardi les barbares transrhénans au point qu’ils recommencèrent leurs incursions. Valentinien se hâta de ravitailler et de fortifier les villes du Rhin[17]. Mais la preuve éloquente des inquiétudes que les barbares, et en particulier les Francs, inspirèrent pendant ce règne à l’Empire, nous la trouvons dans ce fait que la capitale de l’Occident fut de nouveau transférée, et cette fois de Milan à Trèves, en quelque sorte au seuil de la barbarie. Valentinien y passa presque tout son règne, et ses successeurs également. Cette mesure était imposée par les circonstances. Depuis le milieu du troisième siècle, c’était sur le Rhin, soit à Cologne, soit à Trèves, que se trouvait le centre de la résistance à la barbarie. Les empereurs gaulois l’avaient compris en prenant position à Cologne ; les tétrarques de Dioclétien le comprirent aussi, en s’établissant à Trèves. Tous les Malheurs de la Gaule étaient dus à l’abandon de ces postes sous le règne de Constance, et il était d’une sage politique de retourner, comme fit Valentinien, à une stratégie qui avait donné de bons résultats.

Trèves redevint donc, pour un nouveau demi-siècle, la capitale de l’Empire d’Occident. De là, pendant plusieurs rudes années, Valentinien dirigea la lutte contre les Alamans, qui rentrèrent les premiers en campagne, contre les. Francs qui reparurent peu de temps après, et contre les Saxons, qui, partie leurs rivaux et partie leurs complices, semblent associés alors à toutes leurs expéditions par terre et par mer[18].

L’empereur, homme énergique et consciencieux, paya vaillamment de sa personne. Nous le voyons un jour enlever leur butin aux Saxons ; un autre, courir d’Amiens à Trèves, sans doute pour refouler les Francs[19]. Ce sont les Alamans qui lui donnèrent le plus de souci. En 368, ils s’emparèrent de Mayence, où ils massacrèrent la population réfugiée dans l’église chrétienne[20]. Les Romains se débarrassèrent de leur roi Vithicab par un perfide assassinat[21], de leur roi Macrianus par un traité qui en faisait un allié de l’Empire[22]. Plus tard, de nouveaux soulèvements s’étant produits parmi ces peuples, Gratien alla remporter sur eux la sanglante victoire d’Argentaria (377) après laquelle ils se résignèrent, pour obtenir la paix, à livrer toute leur jeunesse aux recruteurs de l’armée romaine[23].

Il n’est pas douteux, bien que nos sources soient muettes, que Valentinien traita également avec les Francs. A la bataille d’Argentaria, il y avait dans les rangs romains un roi franc du nom de Mellobaud, chef d’une des peuplades de la rive droite, qu’Ammien Marcellin qualifie de roi très belliqueux[24]. Mellobaud avait alors, dans l’armée romaine, le rang de comte des domestiques, et il semble avoir été depuis plusieurs années l’ami de l’Empire, car on doit croire que c’est à sa demande que Valentinien était allé, en 373, battre les Saxons à Deuso, en pays franc[25]. Faut-il croire qu’il se lassa de sa fidélité, et que c’est contre l’empereur qu’il combattait dans la campagne où l’Alaman Macrianus, qui servait sous les étendards romains, perdit la vie[26] ? Il est difficile de le dire, et il suffit de constater qu’amis ou ennemis de l’Empire, les Francs, comme leurs voisins les Alamans, ne cessaient de le tenir en haleine.

On dirait aussi qu’ils eurent la main dans l’assassinat de Gratien en 383, et que l’usurpateur Maxime s’était assuré leur appui avant de s’emparer du trône. Autrement il serait difficile d’expliquer pourquoi ces hommes, si portés à profiter de toutes les occasions, ne bougèrent pas pendant les troubles que la mort de l’Empereur déchaînait sur la Gaule. D’ailleurs, Maxime montra dès l’abord une sécurité et une puissance étonnantes : Théodose, pendant les premières années ; n’osa pas l’attaquer malgré ses trop justes griefs, et la hardiesse avec laquelle il se jeta plus tard sur le jeune Valentinien II atteste combien il se sentait tranquille du côté des barbares.

Tout changea de face lorsque Maxime, forcé d’engager le meilleur de ses troupes dans la lutte contre Théodose, eut laissé la frontière du Rhin dégarnie. La foi des peuplades franques ne tint pas contre la séduction du pillage assuré. Oubliant les traités qui les liaient à l’Empire, trois monarques francs, Genobaud, Marcomir et Sunno[27], passèrent le fleuve et pénétrèrent dans la deuxième Germanie. Ils paraissent avoir commandé aux peuplades qui vivaient sur la rive droite au nord de Cologne. L’un d’eux, Marcomir, pourrait avoir ‘été le roi des Ampsivariens, et les deux autres, ceux d’une peuplade voisine. On remarquera que Genobaud porte un nom que nous avons déjà rencontré au troisième siècle chez une autre peuplade franque, et, à une date aussi reculée, l’identité des noms portés par les barbares est souvent l’indice d’une certaine parenté de race. Ces trois chefs s’avançaient alliés, et semblent avoir formé une de ces confédérations temporaires et partielles qui ont toujours été pratiquées par les peuples de race franque. Cologne se crut perdue lorsqu’elle les vit passer le Rhin ; mais, on ne sait au juste pourquoi, ils ne s’arrêtèrent pas devant ses murailles, et allèrent faire une tournée dévastatrice en Belgique. Cependant les généraux romains, Quintinus et Nannenus, auxquels Maxime en partant avait confié la garde de la Gaule, rassemblèrent à la hâte leur armée à Trèves. Lorsqu’ils arrivèrent à Cologne pour fermer le chemin du retour à l’ennemi, celui-ci avait déjà en grande partie repassé le Rhin avec les dépouilles des provinces ravagées. Les Romains durent se contenter de courir sus au reste des pillards, qu’ils atteignirent à l’entrée de la forêt Charbonnière, et dont ils tuèrent un grand nombre. Ils délibérèrent ensuite s’il ne fallait pas poursuivre l’ennemi chez lui. Nannenus allégua que les chemins étaient trop difficiles, et que les Francs, prévenus, ne se laisseraient pas atteindre ; il refusa de s’associer à l’expédition et retourna à son poste de Mayence. Mais Quintinus, suivi des autres chefs, passa le Rhin près du château de Neuss, et pénétra dans ce qui s’appelait alors la France.

Dès la deuxième journée de marche à partir du fleuve, on tomba sur les habitations de l’ennemi ; c’étaient de grandes bourgades entièrement abandonnées. L’armée romaine incendia les bourgades et passa la nuit sous les armes. Le lendemain, à la pointe du jour, elle s’engagea, sous la conduite de Quintinus, dans les défilés boisés qui menaient à la retraite des Francs. Après s’y être avancée sans chemin jusque vers midi, elle vint enfin se heurter à des barricades formées d’arbres abattus, derrière lesquels l’attendaient les ennemis. Aussitôt une grêle de flèches empoisonnées accueillit les légionnaires surpris. Pendant qu’ils reculaient, non sans quelque désordre, dans les plaines marécageuses qui s’étendaient au pied des barricades, les Francs, profitant de cet instant critique, tombèrent sur eux de toutes parts. Alors s’engagea une lutte affreusement inégale. Cernés, enfonçant dans la fange, s’écrasant les uns les autres, cavaliers et fantassins, dans un pêle-mêle lamentable, sous la pluie incessante des traits ennemis, les soldats romains se débandèrent dans un véritable sauve-qui-peut. Un petit nombre seulement trouvèrent le salut dans la fuite ; le gros de l’armée, y compris la plupart des chefs, succomba sous les coups de l’ennemi[28].

Ces événements se passaient pendant qu’en Italie Maxime, vaincu et prisonnier, périssait à Aquilée sous les coups des soldats de Théodose (388). Peu après, le comte Arbogast, envoyé par l’empereur victorieux, venait mettre à mort le malheureux Victor, fils de Maxime[29], et ramenait en Gaule le jeune empereur Valentinien II. A partir de ce moment, les destinées de la Gaule reposèrent dans les mains de ce barbare ambitieux, violent et sans scrupules. Arbogast était Franc d’origine. Comme tant d’autres de ses compatriotes, il avait pris du service dans les armées impériales, et il venait de s’élever de proche en proche au rang de maître des milices. Son énergie, ses talents militaires, les services qu’il avait rendus faisaient de lui l’homme indispensable, bien qu’il fût resté païen, et qu’il ne s’en cachât nullement au milieu d’une cour chrétienne. Il mettait à profit cette haute situation, ainsi que son prestige auprès des soldats, la plupart Germains comme lui-même, pour asservir totalement le jeune empereur confié à sa garde. Valentinien II passa obscurément les quelques années de son règne nominal à Vienne, où il était tenu comme en chartre privée, pendant qu’Arbogast décidait de toute chose, se préoccupant moins des intérêts de l’Empire que de la satisfaction de ses passions barbares.

Pour une nature si hautaine, c’était une affaire d’honneur de réprimer les compatriotes qui avaient osé envahir l’Empire qu’il servait. Des haines de race et de famille[30], les plus vivaces de toutes, étaient le seul souvenir qu’il gardât de son ancienne patrie : il voulait à tout prix humilier Marcomir et Sunno, et il se sentait assez fort pour l’entreprendre. Ainsi, de plus en plus, la lutte de la civilisation contre la barbarie tendait à n’être plus qu’une lutte personnelle entre barbares, lés uns intéressés à maintenir l’Empire parce qu’ils le dominaient, les autres à le détruire pour s’emparer de son héritage. Arbogast passa le Rhin dès l’année suivante (389), et ne consentit à faire la paix avec les Francs qu’à la condition qu’ils restitueraient le butin, et qu’ils livreraient à l’Empire les fauteurs de la guerre. Il formula ces conditions, à ce qu’il paraît, dans une entrevue qu’il eut avec Marcomir et Sunno, et à la suite de laquelle ces deux chefs consentirent à lui livrer des otages. Selon l’habitude barbare, un banquet couronna les négociations, et l’on trinqua fraternellement[31]. La fortune de leur compatriote romanisé était pour les deux princes l’objet d’une admiration qui n’était pas sans quelque respect ; ils s’informèrent de beaucoup de choses ; ils lui parlèrent aussi de ce grand évêque de Milan nommé Ambroise, dont le nom était venu à eux sur les ailes de la légende. Le connais-tu ? dirent-ils à Arbogast. — Oui répondit-il, je suis son ami, et je dîne fréquemment avec lui. — Alors nous savons, reprirent ses interlocuteurs, le secret de tes victoires, puisque tu es l’ami de l’homme qui dit au soleil : Arrête-toi, et qui le fait s’arrêter[32].

Après sa victoire, Arbogast revint passer l’hiver à Trèves, d’où il pouvait surveiller de près les allures des Francs. Il faut croire qu’elles ne lui donnèrent aucun sujet d’inquiétude, et qu’il se crut assez tranquille de leur côté pour exécuter enfin le criminel projet qu’il nourrissait. En 392, il assassina son jeune maître Valentinien H à Vienne, et lui substitua le rhéteur Eugène, qui était son ami, et qui ne devait être sur le trône que son docile instrument. Mais les Francs se considérèrent comme dégagés des traités qui les avaient liés à l’empereur défunt : ils prirent les armes, et, au moment où il se prémunissait contre la vengeance de Théodose, Arbogast se vit obligé d’aller de nouveau mettre à la raison ces turbulents voisins. Il partit de Cologne au cœur de l’hiver, c’est-à-dire à un moment où les forêts, entièrement dénudées, ne pouvaient ni cacher des embuscades ni servir de retraite à des fuyards. Il ravagea d’abord le territoire des Bructères, et se jeta ensuite sur celui des Chamaves. Aucune résistance ne fut opposée par les Francs au cruel qui promenait le fer et le feu dans sa terre natale. Tout au plus quelques bandes d’Ampsivariens et de Cattes, sous les ordres de Marcomir, se montrèrent-elles au loin sur les hauteurs, mais sans oser descendre dans la plaine, et Arbogast revint après avoir humilié les barbares et vengé l’échec de Quintinus[33].

Le contraste entre ces deux faits d’armes est bien instructif. Invincibles pour des généraux romains les Francs n’étaient vaincus que par un des leurs. C’était un barbare qui était allé reprendre leur butin à des barbares, et Rome ne tenait debout qu’en s’appuyant sur les gens de cette race. Après avoir épouvanté ces peuplades, Arbogast pouvait traiter avec elles ; ainsi il les désarmait deux fois, et il assurait ses derrières au moment d’aller combattre Théodose. C’est ce qui explique l’apparition de son faux empereur Eugène sur les bords du Rhin, en 393, pour renouveler, dit un écrivain, les anciens traités avec les Alamans et les Francs[34]. Entraînés sans doute par la parole d’Arbogast, beaucoup de ces barbares, d’ailleurs avides de butin, et apprenant qu’il s’agissait de conquérir l’Italie, s’enrôlèrent sous les drapeaux de l’usurpateur. Appuyés sur la coalition des deux paganismes, le romain et le barbare, Arbogast et Eugène étaient presque sûrs du triomphe, et en réalité ils mirent Théodose à deux doigts de sa perte. Mais la prodigieuse victoire d’Aquilée, remportée par l’empereur chrétien, ruina totalement les espérances des rebelles. Il fallut fuir, et Arbogast, réfugié sur les sommets des Alpes, préféra, comme Magnence, le suicide au supplice[35].

Théodose ne survécut pas à sa victoire. Le 15 janvier 395, ce grand homme expirait, âgé de cinquante ans à peine, et laissant son trône à deux enfants mineurs. Tout semblait perdu dès lors, quand un homme parvint à conjurer encore pour quelques années l’explosion de la catastrophe. Ce sauveur de l’Empire, c’était de nouveau un barbare. Descendant le Rhin à cheval et sans escorte pendant l’année 396, Stilicon vit partout accourir au-devant de lui les chefs des peuples barbares, qui, au dire de son panégyriste, baissaient humblement la tête devant le général romain désarmé[36]. Il est probable que ces succès furent dus principalement à son habile diplomatie, appuyée de raisons d’ordre purement matériel auxquelles les barbares n’étaient jamais insensibles. C’est l’or romain, sans contredit, qui l’aida à faire renverser chez eux les rois partisans de la guerre, et à leur en substituer qui étaient favorables à l’alliance avec Rome[37]. Il n’en fallut pas moins une rare habileté pour obtenir des Francs l’extradition de leur roi Marcomir. Ce prince, qui mérite une place dans l’histoire des origines franques, alla terminer son orageuse carrière dans l’Étrurie, où il fut relégué, et où l’histoire le perd de vue. Quant à Sunno, il fut assassiné par les siens en essayant de venger Marcomir sur les traîtres qui l’avaient livré[38].

Ces résultats de la diplomatie romaine sont étonnants : ils le paraîtront davantage encore, quand on se souviendra qu’en 402, Stilicon crut pouvoir sans danger dégarnir les bords du Rhin, pour opposer le plus de forces possible à l’invasion d’Alaric. Ce fut une démarche d’une gravité exceptionnelle dans l’histoire. Renonçant à une domination qui avait près de cinq siècles d’existence, Rome reculait devant l’avenir qui s’avançait sur elle, incarné dans des barbares, et l’Empire abandonnait nos provinces pour n’y plus reparaître. Comme s’il eût voulu faire son testament, il laissait le Rhin à la garde des Francs, et ce seront les Francs, en effet, qui deviendront ses héritiers légitimes, dans la pleine acception du mot. Ils ne cherchèrent pas à s’emparer du patrimoine par la fraude ou par la force, ou à en déposséder avant l’heure la société dont ils allaient hériter. Ils le gagnèrent loyalement, fidèles à son service, et en versant leur sang pour la défendre[39].

La catastrophe qui mit leur dévouement à l’épreuve pour une dernière fois éclata en 406. Vers la fin de cette année, une avalanche de peuples germaniques, Alains, Vandales, Suèves, d’autres encore, roula dans la direction du Rhin. Cette masse énorme semble avoir été partagée en deux colonnes, qui essayèrent de passer le fleuve sur deux points différents. Rome eut le temps de gagner un des chefs alains, Goar, qui fit défection ; d’autre part, dans le voisinage de Mayence, les Francs opposaient une résistance héroïque aux Vandales : ils leur tuèrent vingt mille hommes avec leur roi Godegisel, et ils auraient exterminé toute l’armée, si les Alains n’étaient venus à la rescousse sous leur roi Respendial.

Cette fois, les Francs succombèrent, et, le dernier jour de l’an 406, le gros de l’invasion leur passa sur le corps pour se répandre sur la première Germanie[40]. Une autre partie de l’armée avait passé le Rhin plus bas, probablement vers Cologne ; de là, gardant toujours la direction de l’ouest, elle traversa la seconde Germanie et la seconde Belgique jusqu’à Boulogne, ne laissant pas une ville debout sur son passage. Reims, Amiens, Arras, Thérouanne, Tournai, sont citées parmi celles qui périrent alors, et dont le sol fut transformé en pays barbare[41]. Rien ne fut épargné, et ce qui restait de la culture romaine disparut dans la plus effroyable des tourmentes. D’innombrables villas incendiées et quantité de trésors enterrés à cette date racontent encore, avec leur muette éloquence, les souffrances inouïes qui frappèrent alors la race humaine dans nos contrées. Ce qui étonne, c’est qu’elles aient pu se relever après un pareil désastre. La stabilité de la civilisation romaine devait être grande, pour qu’on en retrouve encore tant de restes après cette date néfaste de 406. Du coup, le gouvernement des Gaules recula de Trêves Arles, aussi loin que possible des barbares. Rome n’essaya plus même de reconquérir la Gaule septentrionale. Les Francs Saliens redevinrent un peuple indépendant ; les autres n’avaient pas cessé de l’être. Ainsi toutes les basses plaines arrosées par les grands fleuves belges, le Rhin, la Meuse, l’Escaut, échappaient à l’autorité romaine. L’Empire rétréci était désormais renfermé, dans des frontières dont Arras, Famars, Tongres, Andernach, marquaient les derniers postes fortifiés du côté du Nord. Cologne était perdue, et, maîtres des deux rives du Rhin, les Francs se tendaient la main depuis les côtes de la mer jusqu’à la forêt Hercynienne. Eux seuls avaient profité de l’invasion : elle Ies avait violemment secoués, mais elle avait brisé les liens qui les attachaient à l’Empire, et elle avait mis à leur disposition les provinces sans maîtres abandonnées par les aigles romaines.

Mais il est dans les destinées des peuples naissants de s’avancer vers l’avenir à tâtons, dans les ténèbres qui couvrent leur crépuscule matinal. A peine débarrassés du joug, et loin d’apprécier l’avenir qui s’ouvraient devant eux, les Francs s’attachèrent immédiatement aux premiers aventuriers qui voulaient prendre le titre impérial, comme si le monde barbare, pas plus que le romain, ne pouvait se passer d’empereur. Ils accueillirent d’abord un soldat de fortune dont le principal mérite était de porter le grand nom de Constantin, et qui, après s’être fait proclamer en Grande-Bretagne, passa sur le continent en 407. Il rallia autour de lui ce qui restait de garnisons romaines et d’auxiliaires barbares ; il renouvela, parait-il, les traités avec les Francs, et il choisit parmi eux deux des plus hauts dignitaires de son armée, Nebiogast et Edobinc[42]. Mais la carrière de Constantin fut aussi rapide qu’agitée. Trahi par Gerontius, son lieutenant, assiégé dans Arles par le général romain Constance, il fit un suprême appel aux Francs, et Edobinc partit pour aller lever de nouveaux contingents parmi ses compatriotes. Le lieutenant de l’usurpateur fut assailli et mis en déroute par Constance avant d’avoir pu opérer sa jonction avec son chef, et il périt dans la fuite. Constantin, abandonné de tout le monde, tomba aux mains d’Honorius, qui le fit mettre à mort (411). Un autre aventurier, du nom de Jovin, se fit alors proclamer à Mayence, et chercha lui aussi son point d’appui chez les Francs et les autres barbares. Mais Jovin ne put tenir que jusqu’en 413, et périt à son tour sous les coups des Visigoths, qui envoyèrent sa tète et celle de son frère Sébastien à Honorius. L’autorité de l’empereur de Ravenne fut ainsi rétablie dans le sud de la Gaule, grâce à une coûteuse alliance avec le peuple qui avait pillé Rome ; mais elle n’arriva plus même jusqu’à la Loire. Pendant plusieurs années, les villes de la Gaule centrale n’obéirent plus à personne, et tâchèrent de se gouverner et de se défendre elles-mêmes ; c’est seulement en 416 que les efforts d’Exsuperantius les ramenèrent pour quelque temps encore sous l’autorité romaine[43].

On dirait que les Francs avaient voulu attendre les résultats de la dernière tentative faite pour conserver en Gaule un gouvernement romain. Lorsqu’il fut avéré que les empereurs improvisés dans le Nord étaient au-dessous de leur tâche, alors seulement ils commencèrent à reconnaître que c’en était fait de l’Empire, et à s’adjuger ses dépouilles. Trèves, une première fois éprouvée par l’invasion de 406, tomba entre leurs mains en 413[44]. Un chroniqueur du septième siècle raconte qu’elle leur fut livrée par un grand seigneur nommé Lucius, qui voulait venger l’honneur de sa femme indignement outragée par l’empereur Avitus[45] ; mais il n’est nul besoin de cette historiette équivoque pour expliquer la chute de la Rome du Nord.

Le comte Castinus, qui commandait les dernières forces romaines de la Gaule septentrionale, se mit en devoir de la leur reprendre et réussit probablement, puisque, au dire d’un témoin qui a écrit vers le milieu du cinquième siècle, Trèves a été prise jusqu’à quatre foui ; .de suite pendant ces années calamiteuses. Ces paroles sont la seule lueur qui vacille encore sur l’histoire de ce pays ; elle va être plongée dans les ténèbres les plus épaisses pendant près d’un demi-siècle. Avant que toute vie romaine s’éteignît, avant que les derniers tendons du puissant organisme qui avait rattaché la Gaule Belgique au monde romain fussent coupés ou séchés, il dut y avoir plus d’un tressaillement douloureux ; mais ces mouvements convulsifs d’un corps livré à l’agonie n’ont pas inspiré d’intérêt à l’historien, et peut-être n’en méritaient-ils pas non plus.

 

 

 



[1] Julien, Cæsar., p. 20, éd. de Paris ; Zosime II, 45 et 54.

[2] Francis, quorum ea tempestate in palatio multitudo florebat. Ammien Marcellin, XV, 5, 11.

[3] Lire toute l’histoire de Silvanus dans Ammien Marcellin, XV, 5 et 6.

[4] Ammien Marcellin, XV, 8.

[5] Julien, Lettre aux Athéniens ; Zosime, III, 1.

[6] Ammien Marcellin, XVI, 11.

[7] Il faut lire sur Julien l’Apostat les pages pénétrantes où M. Paul Allard analyse avec un remarquable talent de psychologue les divers éléments qui se sont réunis pour faire l’éducation littéraire et théurgique de ce personnage, et pour le faire retomber dans les bras du paganisme. V. Julien l’Apostat, tome I, Paris 1900, livre qui paraissait au moment où je corrigeais les épreuves de cette seconde édition.

[8] Julien, Misopogon, trad. Talbot, dans les Œuvres complètes de Julien, p. 294 et 295.

[9] On le voit, les Saliens occupent tout le cours inférieur du bas Rhin sur la rive gauche, et une victoire remportée sur eux en Toxandrie suffit pour ouvrir ce fleuve. Il n’y a donc eu qu’un seul peuple franc sur cette rive, du moins à partir de 341.

[10] Sur cette campagne, lire Julien, Lettre aux Athéniens ; Ammien Marcellin, XVII, 8 ; Zosime, III, 7.

[11] Zosime, III, 7.

[12] Ammien Marcellin, XVII, 8.

[13] Notitia Dign., éd. O. Seeck, Oc., V, 62, 177, 210 : VII, 129.

[14] Zosime, III, 8.

[15] Les meilleures sources pour l’histoire du gouvernement de Julien en Gaule sont sa Lettre aux Athéniens, où il résume les actes de son gouvernement, et l’ample récit qu’en fait Ammien Marcellin dans ses livres XVI, XVII et XVIII. L’exposé de Zosime, au livre III de sa chronique, est un sommaire beaucoup moins digne de foi, et particulièrement défectueux au point de vue de la chronologie

[16] Ammien Marcellin, XXVII, 2, 11. Cf. ce que raconte Zosime, IV, 3. Cela n’empêche pas ce méchant historien de dire plus loin (VI, 3) que depuis Julien jusqu’à Constantin (411), rien ne fut fait sur le Rhin.

[17] Ammien Marcellin, XXVII, 8, 5.

[18] Ammien Marcellin, XXVII, 8, 5.

[19] Id., XXVII, 8, 1.

[20] Id., XXVII, 10, 1.

[21] Id., XXVII, 10, 3.

[22] Id., XXX, 3, 4.

[23] Ammien Marcellin, XXXI, 10.

[24] Id., XXXI, 10, 7.

[25] Saxones cæsi Deusone in regione Francorum. S. Jérôme, Chronicon Eusebii cont. ; Paul Orose, VII, 32. Ce Deuso ne doit pas être confondu avec Deutz, qui est Divitia ; il faut plutôt penser à Duisburg.

[26] Ammien Marcellin, XXX, 3, 3.

[27] Sulpice Alexandre dans Grégoire de Tours, II, 9.

[28] Sulpice Alexandre, l. c.

[29] Idacius, a. 388 ; Prosper Tiro ; Zosime, IX, 47.

[30] Gentilibus odiis insectans, dit Sulpice Alexandre dans Grégoire de Tours, II, 9. C’est mal comprendre ce passage que de dire, comme Pétigny, Études, etc., I, p.153, qu’Arbogast était parent de Marcomir et de Sunno.

[31] Paulin de Milan, Vita Ambrosii, dans Migne, Patrol. lat., t. XIV, 39. Ce passage remarquable vient compléter d’une manière fort heureuse les indications de Grégoire de Tours, Il, 9, qui, par ses extraits de Sulpice Alexandre, nous force à admettre deux campagnes d’Arbogast tout en n’en racontant qu’une seule. Fauriel, Hist. de la Gaule méridionale sous la domination des Romains, I, p. 173, avait déjà conclu à deux campagnes, bien qu’il ne paraisse pas avoir connu le passage de Paulin de Milan.

[32] Paulin de Milan, l. l. Si j’ai bien compris M. Lot dans son compte rendu de l’Histoire poétique des Mérovingiens (Moyen âge, 1893, p. 130), cette parole serait une invention du biographe. M. Lot n’a pas l’ombre d’une raison à alléguer en faveur de cette assertion. Paulin de Milan était le secrétaire de saint Ambroise ; la vie qu’il nous a laissée de ce saint est digne de toute confiance, et il a plis la peine de nous faire connaître la source à laquelle il a puisé ce détail : Nam et nos, referente juvene quodam Arbogastis admodum religioso cognovimus qui tunc interfuit ; erat enim in tempore quo hæc loquebantur vini minister. L’histoire serait vraiment trop facile à écrire si le procédé de M. Lot venait à se répandre. Nous en bifferions de part et d’autre tout ce qui répugne à notre tour d’esprit, et il resterait une série de pages blanches.

[33] Sulpice Alexandre, dans Grégoire de Tours, II, 9.

[34] Sulpice Alexandre, l. c.

[35] Sur Arbogast : Claudien, De III et IV consulatu Honorii ; Zozime, IV, 53 ; Sulpice Alexandre, dans Grégoire de Tours, l. c. ; Paul Orose, VII, 35 ; le comte Marcellin, a. 392 ; Idacius, même année ; Eunape, XVIII, p. 111 ; Socrate, V, 25 ; Sozomène, VII, 24 ; Théodoret, V, 24 ; Philostorge, II, 1 ; Suidas, s. v. Άρβογάστης.

[36] Claudien, De laudibus Stilichonis, I, 202 et suiv.

[37] Pétigny, Études etc., I, p. 381.

[38] Claudien, o. c., I, 211 et suiv.

[39] Ce qui vient d’être dit exclut totalement l’hypothèse de Fauriel, Hist. de la Gaule mérid. sous la domination des Germains, I, p. 174, d’une invasion franque en 399, au cours de laquelle Trèves aurait été prise une première fois.

[40] Paul Orose, VII, 40 ; Prosper d’Aquitaine, a. 406 ; Cassiodore, Chronicon, a. 406 ; Renatus Frigeridus Profuturus, dans Grégoire de Tours, II, 9.

[41] S. Jérôme, Epist., CXXIII (ad Ageruchiam).

[42] Zosime, VI, 2.

[43] Zosime, VI, 5. C’est sur ce passage principalement que l’abbé Dubos a échafaudé sa fameuse thèse d’une confédération armoricaine.

[44] Treverorum civitas a Francis direpta incensaque est secunda inruptione. Renatus Profuturus Frigeridus, dans Grégoire de Tours, II, 9.

[45] Frédégaire, Chonic., III, 7. Cette légende est évidemment calquée sur celle qui met aux prises, pour une raison analogue, l’empereur Valentinien III et le sénateur Pétrone Maxime. Procope, Bell. Vandal., II, 4. — Au reste, Pétigny. Études etc., I, p 311 (note) est distrait en attribuant le récit de Frédégaire à un écrivain byzantin et en mettant en cause l’usurpateur Jovin au lieu d’Avitus.