CLOVIS

LIVRE PREMIER.

I. — LA BELGIQUE ROMAINE.

 

 

La civilisation romaine, en s’emparant de la Gaule, y avait tout transformé. Comme ces parcs improvisés que l’horticulture crée dans les solitudes en y plantant de grands arbres et des bosquets adultes, ainsi éclatait tout d’un coup, au milieu d’une contrée jusqu’alors engourdie, la splendeur de la vie romaine. Nulle part cette transformation n’avait été plus radicale que dans la partie de ce pays qui s’appelait la Gaule Belgique, et qui était comprise entre la Somme et le Rhin. Sur cette vaste région occupée par d’immenses forêts, dont les ombrages s’étendaient de Reims à Cologne, et dont les derniers plans allaient se perdre au milieu des marécages boisés de la Batavie, le travail obstiné des légions avait fait surgir partout les monuments durables d’une société civilisée. Parcourant à grands pas leurs solitudes, elles avaient éventré les forêts, et laissé derrière elles ces magnifiques et indestructibles chaussées qui couraient d’un bout du pays à l’autre, bordées de colonnes milliaires et garnies de villes et de bourgades. Prodigieuse avait été l’action de ces routes. Les chemins de fer de notre temps n’ont pas pénétré d’une manière plus profonde au sein de notre vie sociale que ne le firent alors, dans la barbarie celtique du pays, ces bras gigantesques par lesquels, du haut des sept collines, Rome saisissait les extrémités du monde et les rattachait à elle. Les chaussées avaient avant tout un but stratégique ; il s’agissait d’assurer à l’Empire la possession des provinces, et de faire arriver le plus rapidement possible ses armées à la frontière menacée. Telle était la raison d’être de leur direction et de leur aboutissement. De Reims, qui était la tête de ligne de tout le réseau du Nord, elles rayonnaient dans tous les sens vers les extrémités de la Gaule, et mettaient cette grande ville en communications rapides avec Cologne, avec Boulogne et avec Utrecht. Une autre ligne, qui venait directement de Lyon, parcourait toute la vallée du Rhin sur la rive gauche, depuis Bâle jusqu’à la mer du Nord, et décrivait autour de la Gaule quelque chose comme l’immense chemin de ronde de la civilisation.

Ces travaux d’art avaient déplacé dans nos provinces le mouvement de la vie. Les cours d’eau, ces chemins naturels des contrées incultes, cédèrent leur rang aux chaussées militaires des hautes plaines. Celles-ci étaient comme les canaux par lesquels la civilisation coulait à pleins bords à travers la sauvagerie primitive. Elles venaient brusquement aérer les fourrés, sécher les marécages vivifier les landes, réveiller les populations, entraîner et mettre en circulation tout ce qu’il y avait de ressources latentes. Pendant que l’État les jalonnait de relais et de stations à l’usage des postes publiques, les grands propriétaires accouraient fonder leurs exploitations rurales au milieu des terrains qu’elles traversaient et qu’elles mettaient en valeur. Tout un peuple de colons, d’ouvriers et d’esclaves s’y groupait autour d’eux, abandonnant les demeures d’autrefois. Aujourd’hui encore, si l’on jette les yeux sur une carte archéologique des Pays-Bas, on peut y lire, comme dans un livre, l’histoire de ce phénomène qui n’a pas eu d’historien[1] ; les localités habitées se serrent de droite et de gauche contre le fil de la chaussée, se ramifient en colonnes accessoires le long des voies intermédiaires, et vont enfin s’enfoncer, avec les diverticules, jusque dans les fermes les plus reculées du pays. C’est le tracé des routes qui a déterminé le groupement des populations[2].

Du côté par où le pays touchait à la barbarie, dont il n’était séparé que par le Rhin, l’Empire avait créé, sous le nom de Germanie, ce qu’on pourrait appeler la zone de ses confins militaires. Sur aucun autre point de son vaste territoire, il ne massa jamais de telles forces. Huit légions, formant un ensemble d’environ cent mille hommes et représentant presque le tiers de l’armée romaine, s’échelonnaient le long du Rhin, jusqu’à son embouchure. Deux camps puissamment fortifiés, Mayence, au sud, et Vetera, près de Xanten, au nord, rattachés entre eux et soutenus par une chaîne de cinquante forts qui dataient du temps de Drusus, et par une flottille qui croisait en permanence dans les eaux du fleuve, telle était la première ligne de défense. Elle avait comme ses glacis sur la rive droite, dont tout le thalweg était commandé par les positions de la rive gauche, et dont l’accès était interdit aux armées des Germains. Un limes formé de retranchements en terre, parfois à des distances considérables de la vallée, délimitait de ce côté la zone que se réservait Rome[3]. Ce limes était lui-même défendu par des têtes de ponts comme Deutz, en face de Cologne, et Castel, vis-à-vis de Mayence, redoutables poternes par lesquelles, à l’occasion, les légionnaires débouchaient sur le monde barbare. Une seconde ligne de défense était formée par la Meuse, elle aussi hérissée de châteaux forts par les soins de Drusus, et où Maestricht sur la rive gauche, avec Wyk en face sur la rive droite, était le solide verrou qui fermait la grande voie de circulation de Bavay à Cologne. Tout cet ensemble de travaux, qui en grande partie dataient de la première heure, répondit à sa mission aussi longtemps qu’il y eut des Romains pour monter la garde sur le fleuve.

Tant que la sécurité dura, la civilisation put se développer en deçà du Rhin, dans le calme majestueux de la paix romaine. Elle n’eut pas dans le nord l’intensité ni l’opulence qu’elle déployait dans le sud ; elle ne fut, en toute chose, qu’un reflet affaibli de l’éclatante lumière qui brillait dans les régions méditerranéennes. A mesure que de Lyon on s’avançait vers le nord, on sentait comme une raréfaction de l’atmosphère romaine. Le pays était moins peuplé, la terre moins féconde, les villes moins nombreuses et moins florissantes, l’assimilation à Rome moins complète. La Gaule Belgique n’était que le prolongement de la Lyonnaise, dont le chef-lieu servait de centre religieux et stratégique à la Gaule entière. Quelques villes importantes, Reims, Cologne, Trèves surtout, pouvaient rivaliser avec les cités du Midi ; mais elles rayonnaient sur des solitudes, tandis que la Narbonnaise fourmillait de municipes. La supériorité de culture du Midi sur le Nord était reconnue par les septentrionaux mêmes[4] ; ils convenaient que les Gaulois (c’est le nom qu’ils se donnaient) n’étaient pas à la hauteur des Aquitains, et ils craignaient de parler la langue latine en leur présence.

Mais la différence de niveau social qui existait entre la Belgique et l’Aquitaine s’accusait avec non moins d’énergie entre les diverses régions de la Belgique elle-même. La culture romaine s’était assimilé assez vite la partie du sol qui ne demandait pas trop de fatigues au colon, elle avait reculé devant les autres, et jusqu’à la fin de l’Empire elle y laissa en friche de vastes régions. Elle ne toucha presque pas aux terrés de la Basse-Belgique, elle ne disputa pas aux Ménapiens le sol mouvant et perfide qui leur, servait de patrie. Rien ne l’attirait vers ces côtes découpées par des golfes ensablés, et entamées par de profonds estuaires, ni dans l’intérieur de ces provinces envahies par d’immenses marécages boisés, au milieu desquelles se mouvaient des îles flottantes, dont les dernières se sont fixées seulement au siècle passé dans les environs de Saint-Omer.

Dans ces plaines humides et spongieuses où les grands fleuves de la Gaule septentrionale achevaient avec une lenteur mélancolique les derniers pas de leur itinéraire, le pied du légionnaire romain ne se sentait pas en sécurité, car on ne savait où commençait et où finissait la terre ferme, et les forêts elles-mêmes semblaient peser sur des flots cachés, toujours prêts à engloutir ce qu’ils portaient à leur surface. A partir de Boulogne et de Cassel vers le nord et l’est, en allant dans la direction d’Utrecht, de Bruges, de Tongres, c’étaient des solitudes sans fin, noyées de brouillards et attristées de pluies infatigables, que Rome n’aimait pas disputer aux divinités locales, et où elle ne faisait que passer pour atteindre la ligne du Rhin[5]. La Morinie resta pour l’Empire l’extrémité du monde. La riche et plantureuse terre de Flandre, aujourd’hui le jardin de l’Europe, n’était, pour ainsi dire, qu’une seule forêt, remplie de fondrières et de bêtes fauves, que les chroniqueurs du moyen âge appelaient la forêt sans miséricorde. Les plaines basses qui se mirent dans les eaux de l’Escaut et de la Meuse aux confins de leurs embouchures étaient occupées par la Merwede, dont le nom signifie la forêt ténébreuse. Sur les hautes terres, à d’immenses plateaux dénudés succédaient des immensités d’ombrages sylvestres. C’était une zone ininterrompue de sauvagerie à travers laquelle la vie civilisée traçait ses clairières et ses sentiers. L’Ardenne, L’Eifel, la Charbonnière, l’Arouaise, la Thiérache, la Colvide, autant de forêts envahissant les espaces qui s’étendent entre Arras et Cologne. Le plateau de Hundsrück, entre la Moselle et le Rhin, était une solitude qu’au quatrième siècle encore on pouvait traverser de part en part sans y rencontrer une âme vivante[6]. Plus de la moitié de la Gaule septentrionale était en friche, et faisait le désespoir du colon romain.

Mais ces régions lugubres étaient coupées, traversées, bornées par des districts qui offraient l’aspect de la plus riante culture. Les confins orientaux de la Gaule, et notamment la rive gauche du Rhin depuis Mayence jusqu’à la mer, dessinaient sur le sol de l’Empire une large bande de civilisation enfermant les déserts que nous venons de décrire. Le charme d’un beau fleuve, les facilités qu’il offrait aux relations de la vie civilisée, le besoin de consolider la digue qui protégeait la Gaule contre les Barbares ; toutes ces raisons s’étaient réunies pour accumuler de ce côté les efforts et les ressources du monde romain. Le voyageur qui descendait le fleuve passait à côté d’une série de villes riches et prospères : Mayence, Bingen, Coblenz, Andernach, Bonn, Cologne, Neuss, Nimègue, Batavodurum, et enfin Lugdunum, descendu aujourd’hui sous les flots en face de Katwyk. Mais les villes ne donneraient qu’une idée insuffisante de cette intense activité de colonisation qui se déployait dans les régions rhénanes. Les campagnes elles-mêmes étaient romanisées. Il suffit de soulever le léger voile de l’orthographe germanique pour voir reparaître, se serrant en rang épais sur les riches sillons, les villages romains qui, comme en pleine France, s’appellent Martigny, Louvigny, Sinseny, Vitry, Fusigny, Lésigné, Langénieux, Vériniac, Juilly[7]. Qu’on ne se figure pas toutefois la civilisation des provinces septentrionales de la Gaule comme une espèce de plante exotique, cultivée pour leur usage personnel par les conquérants qui l’avaient apportée. La Belgique ne fut jamais une Algérie, c’est-à-dire une colonie occupée militairement par un peuple qui lui reste étranger. Les Romains de ce pays, ce furent en grande majorité des indigènes. C’étaient les anciens sujets de Comm l’Atrébate, de Boduognat le Nervien, d’Ambiorix l’Éburon. C’étaient encore les Bataves et les Ubiens, conquis par la civilisation de Rome plutôt que par ses armes, et devenus, par les mœurs, par la langue, par le cœur, de véritables Romains. Les immigrés qui venaient chercher fortune dans le nord, les capitalistes accourus pour tirer parti des nouvelles ressources créées par l’annexion, les marchands qui fouillaient les recoins les plus cachés du pays, les soldats retraités qui, leur service terminé, allaient goûter le repos dans quelque tranquille et riante villégiature, ne comptaient que pour une modeste partie dans l’ensemble de la population civilisée[8].

Rien d’intéressant comme de suivre dans ses diverses phases la romanisation progressive de la Belgique. Elle commença par les couches supérieures, et elle pénétra peu à peu dans les autres par une espèce d’infiltration lente et irrésistible. Dès les premières années qui suivirent la conquête, les chefs de clan, qui étaient les arbitres des peuplades celtiques, s’étaient empressés d’adhérer au régime nouveau. Groupés dans les villes, qui surgissaient alors autour des palais des gouverneurs, ils en remplirent les magistratures, ils y vécurent à la semaine, se vêtant de la toge, parlant latin et oubliant le plus possible leur origine barbare. Ce qui les rattachait à l’Empire, c’était le charme nouveau et séducteur du régime impérial, c’était le bien-être matériel et la sécurité qu’il procurait, c’était la gloire de faire partie d’une société policée, où quiconque se sentait quelque supériorité avait la certitude d’en tirer le plus large parti. Voilà comment un patriotisme romain se développa parmi les descendants des hommes qui avaient versé leur sang pour combattre la domination romaine. Ceux même d’entre eux qui, pendant la première génération, essayèrent de réveiller l’idée nationale, nous apparaissent dans les récits de l’histoire sous des noms romains, comme le Trévire Julius Florus ou le Batave Civilis. Il est à remarquer que le nom gentilice du vainqueur des Gaules est particulièrement populaire dans les provinces qui lui ont opposé la plus rude résistance, et ce simple fait nous permet de juger des sentiments que la population y professait pour ses. maîtres nouveaux.

La politique romaine mit un art consommé à favoriser cette évolution : elle n’agit que par voie d’attraction, jamais par voie de contrainte. Nul ne devint Romain malgré lui, et personne ne put se plaindre de voir de chères traditions nationales froissées ou profanées. La civilisation ne fut pas le lit de Procuste sur lequel la tyrannie mutilait ou disloquait les nations annexées, elle fut plutôt le vêtement large et ample qui s’adaptait à tous les besoins et ne gênait aucun mouvement. L’Empire comprit qu’il restait parmi les peuples gaulois, malgré la sincérité de leur attachement au régime nouveau, un fonds de sentiment national qu’il fallait respecter. Il laissa subsister leurs anciens groupements politiques, auxquels ils tenaient, se bornant à faire coïncider les limites de ses cités, avec les limites des peuplades, qui gardèrent leurs noms et dans une certaine mesure leur autonomie. Il fit plus : il ne craignit pas de susciter un vrai patriotisme gaulois, en rapprochant les cités par des liens plus intimes et plus sûrs qu’à l’époque de l’indépendance. La Gaule, naguère si morcelée, commença de se sentir une nationalité compacte et puissante, à partir du jour où les délégués de ses soixante cités furent appelés à siéger ensemble, tous les ans, dans une assemblée à la fois religieuse et administrative. Cette assemblée se tenait à Lyon, au confluent du Rhône et de la Saône, devant l’autel de Rome et de l’empereur[9], ces deux grandes divinités dont le culte était le seul qui fût commun à toutes les provinces. Ainsi la Gaule arrivait à la conscience de son unité nationale par le lien même qui semblait marquer sa dépendance ; invention admirable de la politique romaine, qui faisait aimer l’Empire au nom de la patrie.

Le Conseil national des Gaules, réuni tous les ans, contrôlait l’administration des gouverneurs des provinces, et au besoin lançait contre eux un acte d’accusation qui était transmis à l’empereur ; de plus, il procédait à l’élection annuelle du grand prêtre de Rome et d’Auguste, le plus haut dignitaire religieux de tout le pays. La Belgique eut à trois reprises l’honneur de voir ce sacerdoce national confié à un de ses enfants. Le premier fut un Nervien, L. Osidius, qui avait gravi tous les degrés de la hiérarchie civile dans sa patrie, l’autre un Morin, Punicius Genialis, de Térouanne ; le troisième, un Médiomatrique, dont l’histoire ne nous a pas conservé le nom[10].

Le travail d’attraction auquel elle soumettait les Belges, Rome le faisait également auprès des Germains. Sur la rive gauche du Rhin, on le sait, vivaient depuis l’époque d’Auguste des peuples barbares transportés là par le grand empereur et par ses lieutenants : les Sicambres, qui, sous le nom de Gugernes, occupaient le pays de Gueldre ; les Ubiens, établis plus au sud avec Cologne pour centre ; les Tongres, auxquels on avait abandonné les terres désertes depuis l’extermination des Éburons. La puissance d’assimilation du génie romain se faisait sentir avec la même énergie auprès de ces barbares qu’au milieu des peuplades celtiques de l’intérieur de la Gaule. Cologne était devenue, pour les Germains, comme Lyon pour les Gaulois, un centre religieux qui aurait groupé autour du culte d’Auguste, près de l’Ara Ubiorum, tous les peuples de la Germanie, si la catastrophe de Varus, en l’an 9 après Jésus-Christ, n’était venue limiter le champ d’action de la civilisation dans le nord[11]. Mais la colonie d’Agrippine n’avait rien perdu de son importance, ni les Ubiens de leur fidélité. Ce peuple, rallié dès le premier jour à l’Empire avec une espèce d’enthousiasme, s’était constitué le gardien de la frontière contre ses frères germaniques, et ne cessa de déployer dans cette tâche un dévouement à toute épreuve. Aux Germains révoltés qui agitèrent devant eux le drapeau de l’indépendance et qui leur parlèrent de fraternité, les Ubiens répondirent en massacrant dans une seule nuit tous les barbares qui se trouvaient à Cologne[12]. Aussi longtemps que l’Empire exista, leur zèle romain ne se démentit pas, ni leur haine pour les autres Germains, qui les payaient largement de retour. Ils sont pour l’historien la preuve lumineuse que le génie barbare n’avait rien de réfractaire à la civilisation, et qu’à la longue Rome aurait assimilé les Germains, si sa vigueur éducatrice ne s’était épuisée avant le temps.

Toutefois l’intensité de la culture n’excluait pas la survivance de la barbarie celtique et germanique dans les couches inférieures. C’étaient les classes supérieures et moyennes qui s’étaient romanisées de bonne heure, et qui vivaient comme on vivait en Italie. Les campagnes, comme toujours, furent plus lentes à se laisser entraîner.

A la fin du quatrième siècle, on parlait encore la vieille langue gauloise dans les environs de Trèves, qui était depuis deux générations la capitale de la Gaule et même de l’Occident[13]. Malgré la suppression légale du druidisme dès 49, on rencontrait encore en Gaule, pendant toute la durée du troisième siècle[14], des femmes qui se faisaient donner le nom de druidesses. On restait fidèle aux dieux nationaux, on leur élevait des sanctuaires et des autels, et toute une mythologie celtique se révèle à nous dans les monuments figurés et dans les inscriptions votives[15]. Les moins curieuses de ces divinités locales ne sont pas les Mères ou les Matrones, qui nous apparaissent si souvent, toujours au nombre de trois, avec des fleurs sur les genoux, la tête prise dans leurs gigantesques coiffures barbares. Les petites gens ont gardé le costume national, dont le bardo-cucullus est la partie la plus caractéristique, et sur leurs pierres tombales foisonnent des noms qui se reconnaissent d’emblée à leurs allures barbares. Des hommes qui s’appelaient Haldaccus, Ibliomarius, Otteutos ou Amretoutos représentent, au sein de la civilisation de nos provinces, ce qui survit de barbarie celtique dans le peuple. Ajoutons que l’élément celtique, pour tenace que fût sa résistance à l’absorption, était condamné à s’éteindre à la longue, et qu’il diminuait toujours sans se renouveler jamais. Il était indispensable de lui assigner une place dans ce tableau ; mais la vérité oblige à dire qu’il n’a joué, dans le développement de la vie sociale de nos provinces sous l’Empire, qu’un rôle entièrement négatif. Confiné à la campagne, autour des vieux sanctuaires nationaux, il y représentait, avec la grossièreté des mœurs et la rudesse de la vie, un état social que les classes supérieures de la nation avaient depuis longtemps laissé derrière elles.

Groupées dans les villes, ces dernières s’habituaient à la douceur de l’existence romaine et aux bienfaits de la paix. Indigènes de distinction et Romains immigrés s’y rencontraient dans une société polie et brillante qui s’intéressait aux choses publiques, qui avait le culte des lettres, et dont les membres doués de quelque ambition ou de quelque talent rêvaient d’aller un jour conquérir les honneurs suprêmes à Rome. Les villes étaient riches et belles. Il ne leur manquait aucune forme de l’opulence et du confortable. Elles avaient des temples, des basiliques, des écoles, des thermes, des aqueducs, des théâtres, des amphithéâtres, des cirques. D’imposantes avenues sépulcrales s’ouvraient au dehors de leurs enceintes, et de riantes villas étaient disséminées dans leur voisinage. L’architecture moderne n’a pas encore dépassé les œuvres que le génie romain a élevées dans nos provinces. La Porta Nigra de Trèves évoque des souvenirs de grandeur impériale dont les siècles n’ont pu effacer le vestige ; l’aqueduc de Jouy-aux-Arches, près de Metz, est un des plus étonnants monuments de l’antiquité ; les mosaïques de Reims et de Nennig attestent la richesse des constructions où elles ont été trouvées, et le tombeau d’Igel, surgissant dans sa beauté mélancolique et solitaire au milieu des cabanes d’un pauvre village, dans la vallée de la Moselle, raconte le luxe de la vie privée dont il fut le témoin.

La campagne n’existait pas, politiquement parlant. Elle appartenait tout entière aux citadins, et ne servait qu’à les nourrir et à les récréer. Les bourgades rurales étaient peu nombreuses et peu considérables. A la place des villages d’aujourd’hui, il n’y avait que de grandes exploitations rurales, des fermes garnies d’un personnel, souvent nombreux, d’esclaves agricoles, et dominées par une maison de maître qui servait de résidence d’été au grand propriétaire. Là, dans les années de calme et de prospérité, la vie devait être bien douce pour le riche, qui jouissait de la grande paix des champs et de l’heureuse oisiveté si enviée de l’antiquité païenne. De la véranda de sa maison, située d’ordinaire à mi-côte sur quelque colline ensoleillée, il embrassait de l’œil tout le domaine que fécondaient les sueurs de ses esclaves, et que bordait, à l’horizon, la sombre lisière de ses bois. Le type de l’habitation rurale, telle que l’avaient conçue Caton l’Ancien et Varron, avait subi quelques modifications dans nos climats : l’impluvium et l’atrium avaient disparu ; mais de vastes galeries extérieures, ornées de colonnades, les remplaçaient, et les salles de bains chauffées par des hypocaustes ne manquaient dans aucune maison de maître, non plus que les élégants pavés de mosaïque, dont il nous est resté plus d’un somptueux spécimen. Un écrivain du Midi de la Gaule a pris la peine de nous apprendre comment, à la fin du cinquième siècle, on passait son temps dans ces riantes villégiatures, et la peinture qu’il a tracée s’adapte également bien aux contrées septentrionales. La chasse, qui était particulièrement attrayante dans les vastes forêts de l’Ardenne, prenait une grande partie de la journée ; l’autre était consacrée à l’équitation, aux exercices de la palestre et du jeu de paume, et surtout à l’usage des bains chauds et froids, devenus un véritable besoin dont la satisfaction était entourée de toute espèce d’excitations sensuelles. On lisait et on dormait beaucoup ; au surplus, la société était agréable, se plaisait aux jeux de l’esprit, accueillait les petits vers avec la passion qu’on apporte aujourd’hui à la musique, et se retrouvait volontiers, le soir, dans de plantureux festins qu’égayaient les danseurs et les joueurs de fifre[16].

Nulle part la vie romaine n’avait déployé plus de richesse et plus de charme que dans l’heureuse vallée de la Moselle, en aval et en amont de la ville de Trèves, qui était la quatrième de l’Empire. Lorsque, à la fin du quatrième siècle, Ausone visita cette contrée, elle lui rappela, par sa fécondité comme par son apparence prospère, les rives de son fleuve natal, la Garonne, et le beau pays de Bordeaux. Partout les flancs des coteaux étaient égayés par de charmantes villas, celles-ci comme suspendues au milieu des vignobles, celles-là descendant jusqu’à la vallée où elles recueillaient dans des bassins artificiels les flots et les poissons de la rivière. L’activité du travail champêtre animait le calme souriant de cette contrée idyllique, et les bateliers qui descendaient la Moselle lançaient de loin leurs quolibets aux joyeux vignerons épars sur les hauteurs, dans les pampres et les sucs de la vendange[17].

L’agriculture était la source principale de cette prospérité. Elle s’était rapidement développée depuis l’arrivée des Romains. On avait apporté du Midi les procédés savants qui avaient transformé les conditions de l’économie rurale, et on les avait combinés avec certaines pratiques particulières à nos contrées. L’art d’amender la terre au moyen de la marne était une invention gauloise. Tous les dix ans, les Ubiens défonçaient leur sol jusqu’à la profondeur de trois pieds, pour renouveler la couche supérieure[18]. Quand, dans les régions montagneuses, il arrivait que la récolte gelât l’hiver, on ressemait au printemps, et on avait de bons résultats[19]. Nos contrées n’étaient plus ces terres sans arbres fruitiers dont parlaient Varron et Tacite[20]. Plusieurs espèces de fruits savoureux y mûrissaient, notamment la cerise de Lusitanie et la pomme sans pépins, spécialité de la Belgique, au dire de Pline[21]. La vigne, introduite de bonne heure dans la Gaule méridionale, s’était répandue tard dans les régions du Nord ; toutefois, au quatrième siècle, elle couvrait de ses ceps les coteaux du Rhin et de la Moselle[22]. Divers produits du pays jouissaient même d’une faveur universelle dans le monde romain : tels étaient les jambons de la Ménapie, vantés par Martial[23], et les oies du pays des Morins. Tous les ans elles émigraient par bandes nombreuses jusqu’à Rome ; on leur faisait faire le voyage pédestre, parce qu’on croyait que leur chair était plus délicate après de longues fatigues[24]. La Belgique prenait donc sa place dans la géographie des gourmets, et on y poussait loin le raffinement gastronomique, à preuve ces parcs d’huîtres en eau douce, dont on retrouve les traces dans nombre de ses villas[25]. Ajoutons, pour compléter ce tableau, qu’elle n’était pas moins avancée dans l’art de la vénerie que dans celui de la cuisine. Dans ses immenses forêts on chassait de toutes les manières : on avait dressé dans ce but des chiens, des autours et jusqu’à des cerfs. Et pour la pêche, on peut se faire une idée des progrès de cet art en lisant, dans le poème d’Ausone, le catalogue des poissons de la Moselle, qui émerveille par le nombre et par la variété des espèces connues des gastronomes de ce temps.

Une industrie assez active dans plusieurs centres utilisait un grand nombre de bras. L’État lui-même avait réparti sur le sol de la Belgique plusieurs de ses importantes manufactures. Un nombreux personnel féminin travaillait dans ses ateliers d’habillements militaires à Trèves, à Metz, à Reims et à Tournai. Des manufactures d’armes de luxe existaient à Reims et à Trèves, des fabriques de boucliers à Trèves et à Soissons, une fabrique d’épées à Reims, une fabrique de batistes à Trèves. Tout le monde sait l’importance que l’industrie textile avait prise dans les plaines de la Morinie et dans les régions voisines. Tous les Morins, dit Pline, faisaient de la toile à voile[26]. Pour la fabrication des étoffes, Arras et Tournai avaient une réputation de premier ordre, et habillaient une grande partie de l’Occident. L’industrie plastique était également cultivée par l’État et par les particuliers ; on sait que les légions faisaient elles-mêmes leurs tuiles, et un grand nombre de fabricants envoyaient au loin les produits de leurs poteries sigillées. Les noms de quelques-uns de ces industriels nous ont été conservés ; celui qui marque BRARIATUS était certainement un Belge, et probablement aussi celui dont les produits portent le sigle HAMSIT[27].

La vie intellectuelle ne paraît pas avoir été languissante. Le Nord avait comme le Sud ses écoles, avec ses professeurs de littérature grecque et latine, et ses professeurs d’éloquence, dont les constitutions impériales vinrent régler les traitements au quatrième siècle[28]. Celles de Trèves étaient une véritable université ; elles comptaient parmi leurs maîtres des célébrités comme le panégyriste Claude Mamertin, et comme Harmonius, le commentateur d’Homère ; Lactance y enseigna, et saint Ambroise y passa comme élève. Reims avait également une grande réputation, et le rhéteur Fronton ne craignait pas de la traiter d’Athènes gauloise[29]. Même des localités inférieures, comme Xanten, étaient dotées, dès le second siècle, d’une institution d’enseignement : détruite par un incendie, elle fut rebâtie par Marc-Aurèle et par Verus[30]. On est donc fondée à croire que les classes aisées recevaient une éducation intellectuelle assez soignée, et même que la population libre en général avait un certain degré d’instruction. Il n’y aurait pas dans toutes les localités tant d’inscriptions romaines, dues souvent à de petites gens, si elles n’avaient pas eu un bon nombre de lecteurs.

Quant aux arts, ils furent cultivés avec succès, surtout pendant la belle époque de l’Empire, qui est le deuxième siècle. C’est dans le pays même qu’on a dû prendre et qu’on a trouvé les artistes qui ont dessiné les grands monuments, et les ouvriers qui les ont exécutés. Nul doute que la grande majorité de nos statues et de nos bas-reliefs ait été faite sur place et soit due à des ciseaux indigènes.’ Et il y a dans ces œuvres, à côté de pièces qui trahissent une exécution grossière ou une inspiration tarie, beaucoup de produits d’une facture excellente et d’un modelé très pur, qui ne seraient pas indignes d’une mention dans l’histoire de l’art. Peut-être n’est-il pas impossible d’y retrouver, avec la toute-puissante influence de la tradition classique, certaines inspirations plus particulièrement nationales, dans telle ou telle œuvre marquée au cachet d’un réalisme discret, qui tantôt confine au pathétique, tantôt arrive à l’expression d’un humour de bon aloi.

Il faut les lire, ces œuvres de pierre, il faut les parcourir l’une après l’autre dans leur pittoresque multiplicité, comme on feuilletterait les pages d’un volume illustré : mieux que des textes écrits, elles nous racontent là vie intime de la Belgique romaine. Ce sont les tombeaux seuls qui nous les ont fournis ; car le tombeau, cette porte ouverte sur l’autre vie, n’est pour les Romains qu’un miroir qui reflète celle-ci, en y ajoutant le charme douloureux de ce qui est à jamais perdu. Ces monuments funéraires nous offrent la vive et saisissante image d’un monde que leur réalisme rapproche de nous avec une puissance d’évocation étonnante. En rôdant au milieu des bas-reliefs d’Arlon ou de Neumagen, on est transporté en pleine civilisation romaine, et partout on a autour de soi l’illusion d’une vie pleine d’activité et de mouvement. Chacun vaque à sa besogne dans le calme quotidien du travail : des marchands vendent du drap, des propriétaires reçoivent les redevances de leurs fermiers ; des pédagogues fustigent des élèves récalcitrants, des femmes sont occupées à tisser de la toile, des époux se tiennent par la main avec une expression de tendresse, des malades, se soulevant dans leurs lits, dictent leurs dernières volontés. Puis ce sont des chasseurs lancés éperdument, avec leurs lévriers, à la poursuite de quelque vieux sanglier des Ardennes, ou des cavaliers qui se précipitent au galop de leurs montures dans la direction de quelque ennemi invisible, ou foulent aux pieds un vaincu. Les postes impériales brûlent le pavé des chaussées publiques ; le commerce circule sur les cours d’eau dans de grandes embarcations remplies de tonnes ; derrière celles-ci, la face du pilote s’épanouit d’un large sourire à la pensée du moût délicieux qu’elles contiennent, et dont il se promet quelques vigoureuses lampées. L’ombre de la mort vient parfois se répandre sur la sérénité de ces tableaux ; mais elle s’indique en traits fugitifs et symboliques, non comme la destruction, mais comme la séparation. Un tombeau d’Arlon a résumé la poésie de l’éternel adieu dans une image pleine de grâce mélancolique. Un jeune homme portant un enfant apparaît à droite et à gauche du monument ; d’un côté, l’enfant qu’il tient dans ses bras et qu’il regarde face à face est couronné de fleurs ; de l’autre, l’enfant repose sur l’épaule du jeune homme, qui se retourne pour jeter sur lui un regard attristé. Entre les deux figures se lit cette inscription pleine d’une poignante simplicité :

AVE SERTI IVCVNDE

VALE SERTI IVCVNDE

Cette tombe, oubliée dans une petite ville, raconte l’histoire de la félicité romaine en Gaule. Elle y fut douce et rapide comme la vie éphémère de l’enfant : on en savoura le parfum pendant un jour, puis vinrent les orages, et les fleurs de la civilisation périrent au milieu de catastrophes qui semblaient annoncer la fin de l’univers.

Dire comment la chose arriva, c’est une tâche qui dépasse le cadre de ce livre. La Gaule n’était qu’un des membres du grand corps de l’Empire ; elle n’avait pas de vie propre, elle vivait, souffrait et prospérait de ce qui le faisait vivre, prospérer ou souffrir. C’est donc la constitution intime de l’Empire qu’il faudrait faire connaître pour rendre compte des rapides destinées de la Gaule. On y verrait comment la société romaine vécut tant qu’elle travailla à la réalisation de son idéal, qui était la grandeur de, l’État et la domination universelle de Rome. Une fois ce but atteint, elle crut les destinées du genre humain fixées à jamais, et elle se reposa dans la jouissance de ce qu’elle appelait pompeusement la félicité romaine. Elle oublia la pratique des vertus qui l’avaient fait arriver à ce degré de prospérité, et elle se déroba aux âpres labeurs qui l’empêchaient de savourer à son aise les délices du monde conquis. Les Romains cessèrent de rêver et de faire de grandes choses ; leurs âmes, détendues comme un arc hors d’usage, retombèrent sur elles-mêmes, sans ressort, sans ‘vigueur morale, dans la platitude d’une existence de plus en plus frivole, d’où la pensée du devoir et le sentiment de la dignité avaient disparu. Le dieu mortel à qui cette société avait confié son existence perdait la tête sur les sommets vertigineux où il se voyait élevé, et dans sa démence il brouillait de ses mains furieuses l’écheveau des destinées du monde. Les ressources infinies qu’il lui fallait pour son régime de plaisir et de corruption drainaient incessamment les provinces, et faisaient couler du côté de l’État les revenus du travail, comme les aqueducs pompaient jusque dans les plus ombreuses retraites les cours d’eau pure dont ils alimentaient les places publiques des grandes villes. Là battait son plein, jour et nuit, la grande orgie de la civilisation païenne. Là, dans le brasier des voluptés homicides, se consumaient, comme si on les avait réduites en cendres, toutes les richesses morales et matérielles créées par des peuples de travailleurs sacrifiés. A force de puiser toujours plus largement à ces sources fécondes, sans jamais rien leur rendre, il vint un moment où l’on s’aperçut qu’elles tarissaient. Alors commença la crise suprême. Toutes les forces vives de l’Empire furent gagnées tour à tour par la nécrose. La mort était l’aboutissement fatal : elle arrivait lentement, mais les événements extérieurs se chargèrent de la précipiter.

La Belgique avait connu pendant quelques générations les bienfaits de la paix romaine et de la sécurité. Mais l’ère du développement pacifique cessa pour elle avec le règne de Marc-Aurèle, et celui du monstre Commode inaugura l’ère des crises et des catastrophes. En 178, les Chauques, s’avançant par la chaussée de Cologne à Bavay, traversèrent la deuxième Germanie jusqu’au delà de Tongres, aux environs de Waremme, pillant et brûlant tout sur leur passage. Ils allaient gagner la deuxième Belgique, et déjà les habitants de cette province enterraient fiévreusement leurs trésors, lorsque Didius Julianus, qui la gouvernait à cette époque, rassemblant en toute hâte une armée, se jeta au-devant des barbares et parvint à les refouler[31]. La province de Belgique fut épargnée, mais celle de deuxième Germanie avait été éprouvée cruellement, et jamais elle ne se releva de ce désastre. Les villas incendiées restèrent ensevelies sous leurs couches de cendres, et c’est de nos jours seulement que l’archéologie, en lisant les monnaies retrouvées dans les ruines, est parvenue à déterminer l’itinéraire des ravageurs[32].

Moins d’un siècle après, les terreurs recommencèrent, et cette fois la désolation fut universelle. Après la mort d’Aurélien, des torrents de barbares se répandirent sur la Gaule entière, qui fut inondée de sang et jonchée de ruines. Au milieu de l’indicible détresse de cette fatale époque, il ne s’est pas trouvé d’historien pour nous raconter les souffrances de nos ancêtres, mais l’archéologie supplée au silence des annalistes, et quelle éloquence dans son témoignage ! Depuis la rive droite du Rhin jusqu’aux bords de la mer du Nord, en traversant les provinces de deuxième Germanie et de deuxième Belgique dans toute leur étendue, tout fut massacré, pillé, incendié. Les ruines des villas romaines, qui avaient été si nombreuses au deuxième siècle, se retrouvent partout sous des couches d’incendie, avec des monnaies perdues ou négligées qui nous donnent la date du drame. Plus d’une fois, des cadavres d’hommes et de femmes massacrés sont étendus au milieu des ruines, et quantité de petites Pompéi, plus tragiques encore que celle du Vésuve, surgissent aujourd’hui sous la pioche de l’explorateur dans l’état où les ont laissées, il y a seize siècles, les barbares envahisseurs de l’Empire. Quiconque possédait quelque chose le cacha au fond du sol ;, mais les trésors furent mieux conservés que leurs possesseurs, car depuis des siècles on ne cesse d’en exhumer tous les jours, preuve éloquente que ceux qui les avaient confiés à la terre ne vécurent pas pour les reprendre.

Au milieu de tant de maux, pillée par les agents du fisc, pillée par les envahisseurs barbares, seule obligée de peiner pour un monde qui vivait d’elle, et ne trouvant plus dans son travail de quoi subsister elle-même, la classe rurale perdit courage et se révolta. C’est un phénomène terrible que le soulèvement de ces masses laborieuses et tranquilles qui supportent sur leurs patientes épaules le poids des civilisations ; il éclate chaque fois qu’après de grands désastres nationaux, les pouvoirs ne sont plus à la hauteur de leur tâche, et augmentent les charges publiques pour conjurer une ruine dont ils sont la cause. Sous le sobriquet de Bagaudes, emprunté à leur vieux langage gaulois, les Jacques Bonhomme du troisième siècle, massés par bandes tumultueuses, parcoururent toute la Gaule en dévastateurs impitoyables. On ne sait au juste quel était leur but, ni s’ils en avaient un autre que de soulager, à force d’excès, leurs âmes aigries par de vieilles et longues souffrances. Ils avaient à leur tête deux chefs, Aelius et Amandus, qui parvinrent, comme autrefois Eunius et Spartacus, à constituer une véritable armée de l’anarchie. Il ne devait pas être difficile, pour des troupes régulières, de venir à bout de ces hordes ignorantes, fanatiques et désespérées. Au moins elles surent mourir sans demander de quartier, et on ne leur en fit point. Seulement, la victoire sur ces pauvres gens coûta plus cher qu’une défaite : quand on les eut massacrés, on s’aperçut qu’on avait converti les campagnes en déserts, et qu’il ne restait plus personne en Gaule pour faire le pain et le vin.

A partir de ces jours funestes, la dépopulation, et la ruine s’accélérèrent d’une manière effrayante. La Gaule ne produisait plus même assez pour nourrir les troupes qui devaient la défendre : il fallut faire venir le blé de la Bretagne, et cette île, jusque-là épargnée, devint pour le continent gaulois ce qu’étaient pour l’Italie les provinces d’Afrique et de Sicile[33]. Ce ne sont pas seulement des provisions, mais aussi des ouvriers qu’il fallut demander à la Bretagne pour les travaux publics du continent, où les bras manquaient non moins que les moissons[34]. Pour repeupler les solitudes qui envahissaient la Gaule septentrionale et centrale, on imagina d’y verser tous les prisonniers que l’on faisait dans les guerres contre les barbares, et d’y laisser pénétrer, en qualité de colons, des tribus entières de Germains à la recherche d’une patrie. Ces multitudes de travailleurs agricoles rendaient au sol provincial un peu de fertilité ; quant à l’Empire, il était heureux de retrouver en eux de la matière imposable pour le fisc et des recrues pour les armées. Toutes les provinces reçurent de ces colonies de barbares, dont les forts contingents, répartis en groupes compacts sur les divers points du pays, y parlaient leur langue nationale, et s’y faisaient appeler du nom qui désigne chez eux un peuple, les Lètes[35] ! A la présence de ce seul nom, qui reparaît dans toutes les provinces[36], on a comme le sentiment anticipé d’une invasion de barbares ; mais celle-ci est pacifique, appelée et voulue par l’Empire lui-même. Les déserts de la Nervie et de la Trévirie furent remis en culture par des colons de race franque[37] ; le Hundsrück en friche reçut une colonie de Sarmates[38], les Chamaves et les Hattuariens repeuplèrent les cantons solitaires du pays de Langres[39], où leur souvenir s’est conservé jusqu’au cours du moyen âge[40] dans les noms locaux ; les villes d’Amiens, de Beauvais et de Troyes virent des villages de colons barbares se grouper autour de leurs murailles romaines, et quantité d’autres tribus, dont l’histoire n’a pas gardé le souvenir, ont laissé la trace de leur établissement sur le sol gaulois dans des noms significatifs comme Sermoise, la colonie des Sarmates, Tiffauges, le poste des Taifales, Aumenancourt, le domaine des Alamans.

Ainsi, tous les jours, on comblait, au moyen de barbares, les vides immenses qui se creusaient dans la population gauloise. Les optimistes du temps se réjouissaient. N’était-ce pas pour l’Empire un triomphe éclatant que de faire contribuer les ennemis eux-mêmes à sa prospérité ? Et ne fallait-il pas reconnaître comme l’image du progrès et de la civilisation dans ces nomades et ces pillards qui, hier encore, menaçaient de mettre le monde romain à feu et à sang, et qui aujourd’hui, solidement attachés au sol de quelque province en qualité de colons, et tout couverts de la poussière du travail des champs, venaient mare en vente, sur les marchés des villes gauloises, des produits agricoles arrosés de leurs sueurs[41] ? C’était une illusion. Les transplantations de barbares infusaient, par intervalles, un peu de sang nouveau au vieux corps émacié du monde romain, mais rien ne fermait la blessure par laquelle sans relâche s’écoulait le flot sacré de la vie.

Quant aux villes, elles dépérissaient. Les barbares et les Bagaudes en avaient fait des monceaux de ruines, et deux années (274-275) avaient détruit l’œuvre opulente que la civilisation avait mis deux siècles à édifier. Lorsqu’après cette catastrophe elles secouèrent la couche de cendres sous laquelle elles dormaient, elles s’aperçurent que c’en était fait du rêve de la félicité romaine. Alors, sous la pression de la funèbre nécessité qui pesait sur l’Empire, elles durent renoncer aux libres allures de la sécurité d’autrefois, rétrécir les vastes proportions que leur avaient données les années de prospérité, et s’enfermer tristement dans les hautes murailles qui furent désormais leur seule défense. D’un bout à l’autre de la Gaule, les villes se blottirent dans une enceinte étroite qui ne comprenait que leur quartier central, et qui laissait à l’abandon la plus grande partie de la circonférence. Dans les fondements de ces constructions, on jeta les débris des superbes monuments qui avaient fait, aux siècles précédents, l’orgueil et la joie de la civilisation ; on y jeta même les pierres des tombeaux qui, au beau temps de l’Empire, s’alignaient en avenues solennelles à la sortie des villes, soit qu’on voulût, en les incorporant à l’enceinte sacrée des remparts, les protéger contre les profanations dont les menaçaient les envahisseurs, soit que la pénurie des matériaux à bâtir ait fait sacrifier aux Romains jusqu’à la religion des tombeaux. Tout le monde gaulois fut ainsi embastillé vers la même époque, et des citadelles s’élevant sur des cimetières, tel est l’étrange spectacle qu’offrent aujourd’hui à l’explorateur toutes les cités romaines de ce pays.

Comme il dut faire triste dans les provinces après ces lugubres travaux ! Les villes, transformées en casernes maussades, avaient perdu leur charme ; leurs abords, profanés et dépouillés de la majesté de la mort, n’avaient plus de poésie ; le rétrécissement des enceintes était comme l’emblème de la raréfaction de la vie. Le monde perdait visiblement de sa gaieté ; la joie de vivre s’envolait, les sombres nuages qui se levaient à l’horizon de l’Empire couvraient le soleil de la civilisation romaine. On avait le sentiment vague et douloureux que la fin des choses arrivait ; on ne croyait plus à l’éternité du Capitole, et l’on se redisait avec tristesse que les douze siècles promis à Rome par les vautours de Romulus touchaient à leur terme.

Aux moins ces funèbres pronostics rappelaient-ils aux devoirs sérieux de l’existence un peuple qui voyait passer sur lui l’ombre de la mort ? En aucune manière. II ne se laissa pas détourner de son culte du plaisir par l’aspect des catastrophes imminentes ; il descendit gaiement la pente rapide du précipice. Rien de plus saisissant que le contraste entre la gravité des événements et la frivolité des esprits. Tous semblaient occupés, avec une ardeur fiévreuse, à détacher encore quelques rapides et malsaines jouissances de ce monde qui allait périr. Quand l’ennemi arriva, c’est au cirque ou à l’amphithéâtre qu’il trouva les populations romaines. Parvenait-on à lui reprendre, pour quelque temps, les villes qu’il avait pillées et incendiées, le premier souci de leurs habitants rentrés au milieu des ruines fumantes, ce n’était pas le rétablissement des sanctuaires et des écoles, c’était le retour des cochers et la reprise des jeux du cirque, et ils fatiguaient de leurs pétitions les pouvoirs publics pour qu’on leur rendît sans retard ces misérables divertissements. Mourir en s’amusant, tel semblait le mot d’ordre de la civilisation expirante.

Les plaisirs intellectuels ne valaient pas mieux, et ceux qui se flattaient d’appartenir à l’aristocratie de l’intelligence étalaient une indigence de pensée, une stérilité d’imagination qui trahissaient l’épuisement total de l’âme antique. Les plus vigoureux efforts de l’esprit n’aboutirent, à partir du quatrième siècle, qu’à des panégyriques. La Gaule septentrionale a excellé dans ce genre, et ce sont des Tréviriens et des Éduens qui en manient le sceptre. Il n’est rien d’affligeant comme leur sonore rhétorique d’antichambre, qui enfle les faits comme les mots, et qui, avec une naïve indifférence, est toujours prête à l’apothéose du maître vivant, quel qu’il soit. L’impudence de ces malheureux déclamateurs n’a pas de bornes, et la sérénité avec laquelle ils usent de l’hyperbole finit par appeler le rire au lieu de l’indignation. L’un d’eux ose dire à Maximien qu’il est le premier empereur qui ait passé le Rhin, et voudrait insinuer que les passages attribués à ses prédécesseurs ne sont que des fables[42]. Un autre déclare tranquillement que c’est l’expédition de Valentinien, en 368, qui a fait découvrir les sources du Danube[43] ; un autre encore affirme que Trèves se félicite d’être tombée en ruines, pour avoir le bonheur d’être rebâtie par Constantin[44] ! Voilà ce qu’est devenue l’éloquence romaine. Quant aux lettres pures, elles sont tombées plus bas encore, car il semble qu’elles se soient interdit, comme une preuve de vulgarité et de grossièreté d’esprit, toute trace de pensée sérieuse, toute préoccupation d’ordre moral ou social. Il faut, si l’on veut être un esprit délicat et un vrai lettré, qu’on isole le domaine littéraire de tout contact avec la vie, qu’on se fasse l’adorateur de la forme pour l’amour d’elle-même, et que l’on consacre toutes les ressources de son talent à un seul but : la difficulté à vaincre, le tour de force à exécuter. L’admiration imbécile du savoir-faire devient peu à peu la dernière manifestation de l’intérêt du public pour les choses de l’esprit. On se fera une réputation par une épigramme, par un bon mot, par un trait piquant et nouveau d’ingénieuse flatterie, on colportera soi-même ses petits vers, ou l’on fera des recueils de sa propre correspondance pour ne pas priver la postérité de beaux modèles littéraires, écrits beaucoup plus pour elle que pour le correspondant d’occasion. Toutes ces sénilités viendront aboutir finalement à la plaisante extravagance de lettrés qui se persuaderont que la gloire consiste à n’être pas compris de ses lecteurs. On se rendra illisible de parti pris, et le dernier écrivain que l’antiquité romaine puisse revendiquer, ce sera le décadent connu sous le nom de Virgile de Toulouse !

Ainsi l’épuisement est partout, et toutes les sources de la vie tarissent à la fois. Comme pour résumer en une seule et lamentable catastrophe tant de phénomènes douloureux, la natalité s’arrête définitivement. Il y avait des siècles qu’on la voyait diminuer dans l’empire, et qu’on prenait des mesures législatives pour en conjurer le ralentissement toujours plus accentué. Mais les lois n’apportaient que des remèdes dérisoires, qui n’atteignaient pas la racine du mal. Elles étaient désarmées contre la volupté, qui tarissait la vie dans sa source, en frappant de stérilité volontaire ou involontaire les adorateurs groupés autour de ses autels. Elles étaient impuissantes contre la misère publique, qui, en s’appesantissant sur les classes laborieuses, exterminait graduellement tout ce qui était capable de se reproduire. Ainsi, se manifestant aux deux extrémités de l’échelle sociale à la fois, sous les formes les plus opposées, le même fléau aboutit dé part et d’autre au même résultat, qui est l’horreur de la vie. On ne veut plus naître dans cette société qui se flatte d’avoir donné au genre humain la félicité romaine ! Rome, disait un saint solitaire, ne sera pas détruite par les barbares, mais elle séchera sur pied[45].

 

 

 



[1] Voyez, par exemple, la carte qui accompagne le livre de Van Dessel, intitulé : Topographie des voies romaines de la Belgique, Bruxelles, 1877.

[2] V. E. Desjardins, Géographie de la Gaule romaine, III, p. 152 et suivantes.

[3] Schneider, Neue Beiträge zur alten Geschichte und Geographie der Rheinlande. Il y a quatorze brochures sous ce titre, imprimées entre 1860 et 1880.

[4] Dum cogito me hominem Gallum inter Aquitanos verba facturum, vereor ne offendat vestras nimium urbanas aures sermo rusticior. Sulpice Sévère, Dialog., I, 27.

Nos rustici Galli... vos scholastici. Id., ibid., II, 1.

Neque enim ignoro quanto inferiora nostra sint ingenia Romanis. Siquidem latine et diserte loqui illis ingeneratum est, nobis elaboratum, et, si quid forte commode dicimus, ex illo fonte et capite facundiæ imitatio nostra derivat. Panegyr. latin., IX, 1. (Baehrens.)

[5] César, Bell. Gall., II, 16 et 28 ; III, 28 ; VI, 31. Strabon, IV, 3. Pline, Hist. nat., XVI, 1 ; Panegyr. latini, V, 8 (Baehrens). Cf. Schayes, la Belgique et les Pays-Bas avant et après la domination romaine, II, p. 6.

[6] Ausone, Mosella, 5.

[7] Les formes allemandes de ces noms sont Merzenich, Lövenich, Sinzenich, Wichterich, Füssenich, Linzenich, Lingenich, Viernich, Gülich. Je ne cite que quelques exemples : il serait facile de les multiplier indéfiniment.

[8] Fustel de Coulanges, la Gaule romaine, p. 96.

[9] Ara Romœ et Augusti. Auguste désigne ici l’empereur vivant, et non seulement le fondateur de l’Empire. V. Desjardins, Géographie de la Gaule romaine, III, p. 191.

[10] E. Desjardins, Géographie de la Gaule romaine, III, pp. 449 et 450.

[11] Mommsen, Rœmische Geschichte, t. V. p. 107.

[12] Tacite, Histor., VI, 79.

[13] Saint Jérôme, Commentaire à l’épître aux Galates, c. 3.

[14] Lampride, Alexander Severus, c. 60 ; Vopiscus, Numerianus, c. 14.

[15] Rien que les inscriptions du musée de Saint-Germain ont permis à M. Alex. Bertrand de dresser un catalogue de trente-neuf divinités gauloises (Revue archéologique, 1880), et depuis lors le nombre s’en est augmenté.

[16] Sidoine Apollinaire, Epist., II, 1 et 9. Lire, pour ce qui concerne les contrées belges, un excellent article de M. Bequet, dans le tome XX des Annales de la Société archéologique de Namur (Les grands domaines et les villas de l’Entre-Sambre-et-Meuse sous l’Empire romain).

[17] Ausone, Mosella.

[18] Pline, Hist. nat., XVII, IV (VI), 5.

[19] Id., ibid., XVIII, 20.

[20] Varron, De Re rustica, I, 7, 8 ; Tacite, German., 5 : terra... frugiferarum arborum impatiens.

[21] Pline, Hist. nat., XV, 51 et 103.

[22] Ausone, Mosella, 21, 25, etc.

[23] Martial, XIII, 54.

[24] Pline, Hist. nat., X, 22, 53.

[25] Annales de la Société Archéologique de Namur, t. XIV, p. 117, note. Cf. Pline, Hist. nat., XXXII, 6.

[26] Pline, Hist. nat., XIX, 8.

[27] Schuermans, Annales de la Société archéologique de Namur, t. X.

[28] Codex Theodosianus, XIII, 3, 11.

[29] Item Fronto ait : et illæ vestræ Athenæ Durocorthoro. Consentius dans Keil, Grammatici latini, V, p. 349.

[30] Brambach, Corpus inscriptionum Rhenanarum, 216.

[31] Spartien, Didius Julianus, 1. Cf. sur la date Bergk, Zur Geschichte und Topographie des Rheinlandes, p. 51, et Dederich, Der Frankenbund, p. 34.

[32] V. Bulletin des Comm. d’Art et d’Archéologie, t. V. et S(chuermans) dans le Bulletin de l’Instit. archéol. liégeois, 13e année, 1877.

[33] Ώστε παραχρήμα λαδεις όμήρους καί τή σιτοπομπίαπαρασείν άςφάλη κομιδήν. Julien, Lettre aux Athéniens, éd. Paris, 1630, pp. 493-527. Annona a Britannis sueta transferri. Amm. Marcell., XVIII, 2, 3.

[34] Panegyr. Latini, IV, 4 ; V, 21.

[35] C’est ce qu’ont fort bien vu Ozanam, Études germaniques, I, p. 361, 4e édition, et Pétigny, Éludes etc. I, p, 132, qui fait remarquer aussi que le mot gentiles, employé concurremment avec Laeti dans la Notifia imperii, est exactement la traduction latine de ce dernier. J’ajoute que pendant la période impériale, ce semble avoir été la transcription latine du eu barbare : leuticus devient laeticus, comme Theutricus (plus tard Theodoriens) devient Tetricus. Laeti est donc l’équivalent de leudes.

[36] Voir l’énumération de Guérard, Le Polyptyque d’Irminon, t. I, p. 251.

[37] Tuo, Maximine Auguste, nutu Nerviorum et Trevirorum arva jacentia velut postliminio restitutus et receptus in leges Francus excoluit. Panegyr. latin., V, 21 (Baehrens).

[38] Ausone, Mosella, 9.

[39] Nunc per victorias tuas, Constanti Cæsar invicte, quicquid infrequens Ambiano et Bellovaco et Tricassino solo Lingonicoque restabid, barbaro cultore revirescit. Panegyr. latin., V, 21.

[40] V. sur ce point Zeuss, Die Deutschen und ihre Nachbarstämme, pp. 582 et suivantes.

[41] Panegyr. latin., V, 9.

[42] Quod autem majus evenire potuit illa tua in Germaniam transgressione ? qua tu primus omnium imperatorem probasti Romani imperii nullum esse terminum nisi qui tuorum esset armorum, etc. etc. Panegyr. lat., II, 7. — Hic, quod jam falso traditum de antiquis imperatoribus putabatur, Romana trans Rhenum signa primus barbaris gentibus intulit. Panegyr. lat., VI, 8.

[43] Ausone, Mosella, 424.

[44] Panegyr. lat., VII, 22.

[45] Roma a gentibus non exterminabitur, sed... marcescet in semetipsa. S. Grégoire le Grand, Vita sancta Benedicti, dans Mabillon, Acta Sanct., I, p. 12.