L'EMPIRE CAROLINGIEN

LIVRE PREMIER. — LES ORIGINES

 

CHAPITRE III. — L'Évènement de l'an 800.

 

 

Lorsque Pépin mourut, les Carolingiens ne pensaient pas à échanger leur couronne royale contre un diadème, ni les papes à favoriser cet échange. Les uns et les autres se montraient également satisfaits des résultats acquis, et, comme ils y trouvaient leur intérêt, ils ne désiraient rien de plus. L'on est ainsi tout naturellement conduit à se demander ce qui les fit abandonner cette attitude ou comment le fils de Pépin, Charlemagne, devint empereur.

L'histoire n'est pas aussi claire sur ce point qu'on le désirerait, mais les raisons générales d'un changement dans la politique occidentale s'y trouvent suffisamment indiquées. La combinaison, imaginée par la papauté pour assurer la tranquillité de l'Italie et de l'État de saint Pierre, était fort ingénieuse : elle reposait cependant sur un fondement fragile, la loyauté du roi des Lombards. Or, Didier n'était point inférieur à son prédécesseur par les ruses de l'esprit, et, après Aistulphe, il allait étonner ses ennemis par la fausseté de son caractère et le mépris de la parole jurée. Quand l'édifice, miné par la hase, se fut écroulé grâce à sa trahison, il fallut chercher autre chose. Alors le peuple chrétien parla en maitre, et ce fut lui qui, plus logique qu'au temps de Léon l'Isaurien, instruit par les graves événements accomplis depuis cette époque, suggéra l'idée de créer un défenseur du monde romain à Rome, au cœur de la vie catholique, en le choisissant tel qu'il eût au plus haut degré le sens de la culture romaine et chrétienne.

 

I

Entrée triomphale de Charlemagne à Rome (avril 774). Ses conséquences.

 

Pour comprendre le grand mouvement d'opinion publique dont l'événement de 800 fut la conséquence, il est nécessaire de se rappeler l'union qui s'était conclue jadis entre les peuples occidentaux menacés par les ariens et resserrée ensuite à travers les persécutions byzantines. L'alliance, déterminée non par un besoin éphémère, mais par la communauté des idées politiques et des croyances religieuses, n'avait rien perdu de sa force depuis les circonstances qui avaient amené sa formation ; elle se trouvait au contraire étendue et consolidée par l'adhésion récente d'un peuple, le dernier venu à la religion chrétienne, celui des Anglo-Saxons. La Bretagne, dont Grégoire le Grand avait entrepris la conversion, avait été conquise à l'Évangile par la douceur ; l'Église y avait été habilement organisée par des missionnaires qui avaient su concilier les anciens usages des habitants avec ceux du christianisme[1]. La Grande Ile prit ainsi, dans le concert des nations, la place laissée vacante par l'Afrique. Ayant peu connu l'ancien empire romain, ignorant à peu près Constantinople dont elle était très éloignée par sa position géographique, elle était moins attachée que les autres aux souvenirs du passé, et elle allait le prouver en pesant d'un poids considérable sur les événements qui préparèrent l'élévation de Charlemagne. Anglo-Saxons, Espagnols, Italiens, tous suivaient avec une égale sympathie l'œuvre des Carolingiens favorisant la conversion de la Germanie, et ils leur savaient un gré infini de préparer l'annexion à la chrétienté d'une nouvelle province. Sans prévoir assurément la portée de leurs discours, les plus instruits plaçaient les synodes tenus par Boniface avec l'assistance des rois francs dans la même série que les grands conciles de Nicée, Ephèse, Chalcédoine[2], et ils déploraient dans leurs écrits les mœurs des derniers empereurs créant des lois religieuses selon leur bon plaisir[3]. Partout on se rendait compte du caractère ecclésiastique que le gouvernement des Francs avait pris avec les fils de Charles Martel, et l'on considéra bientôt comme une date historique celle où Carloman et Pépin, moins absorbés que leur père par des expéditions belliqueuses, commencèrent à s'occuper des devoirs de leur religion et à chercher les moyens d'améliorer son état[4].

Quel que fut l'intérêt avec lequel les Occidentaux suivaient la politique carolingienne à ses débuts, il est permis de croire cependant qu'ils ne seraient pas sortis avant longtemps des limites d'une bienveillante attention si le fils de Pépin, Charlemagne, rompant brusquement avec les errements de son prédécesseur, n'avait adopté en Italie une attitude différente et imposé à l'admiration universelle son éclatante personnalité.

Associé d'abord à son frère Carloman, puis seul roi des Francs après la mort de celui-ci, Charles prit nettement position dès les premières années de son règne, et manifesta le ferme dessein de continuer à l'Eglise romaine les bons offices de son père. En 769 ou 770, il promulgua un capitulaire où il traitait de la discipline ecclésiastique et s'intitulait roi des Francs par la grâce de Dieu, défenseur dévoué et auxiliaire du siège apostolique[5]. En 772, il enleva le château d'Ehresbourg, détruisit l'idole d'Irminsul et commença la conquête de la Saxe[6]. Il revenait de cette guerre lorsqu'il fut appelé par le pape Hadrien Ier, successeur d'Etienne III, contre les Lombards. Didier n'avait pas justifié longtemps les espérances du Saint-Siège. Au lieu de pratiquer l'entente avec les Francs et les Romains que celui-ci souhaitait, il avait profité de la confiance qu'on lui témoignait au Latran pour y créer une faction entièrement dévouée à ses intérêts et qui était conduite par un homme très habile, un certain Paul Afiarta. Grâce aux intrigues de ce personnage, il crut bientôt avoir brouillé la papauté avec les rois francs et pouvoir reprendre sans se gêner la marche conquérante de sa nation, que les circonstances avaient momentanément interrompue. Ses soldats recommencèrent à occuper et piller les villes de l'exarchat, y compris Ravenne où l'archevêque Léon fut affamé, et ils étendirent leurs exploits jusqu'au territoire romain, pillant, tuant, incendiant, enlevant même les villes qui avaient été remises par Pépin à Étienne II. A toutes les protestations que les papes lui adressaient, le roi opposait la résistance d'un cœur endurci[7].

A ce moment, un fort parti lombard existait encore à la cour franque, et ce parti trouvait un appui dans la famille royale elle-même. Bertrade, la propre mère du roi, s'était fait l'agent d'un projet destiné à renouveler l'alliance contractée jadis avec Liutprand ; elle s'était rendue en personne à Pavie pour y chercher la fille de Didier qu'elle désirait marier avec Charles, et les chefs des Francs avaient approuvé sa démarche[8]. La portée politique d'une pareille union n'avait échappé à personne, et Étienne III en particulier, comprenant le danger qu'elle faisait courir à l'État pontifical, avait écrit pour l'empêcher une lettre qui nous est restée. Le pape y faisait un parallèle habile entre les Lombards et les Francs, tout entier à la glorification de ces derniers. Il disait qu'il y avait dans la race franque assez de belles jeunes filles pour que les fils de Pépin, suivant l'exemple donné par les plus nobles rois de leur patrie, choisissent leurs épouses parmi elles ; comment consentaient-ils à se souiller au contact d'une race fétide d'où les lépreux étaient sortis, d'un peuple diabolique qui n'avait jamais été mis au nombre des nations ?[9] Charles parut d'abord se ranger à l'opinion de son entourage, et, bien qu'il eût aimé auparavant une jeune Franque de noble famille, Himiltrude, il accepta la fille de Didier ; mais, un an après, sans motif apparent, malgré l'opposition des Francs qui craignaient d'être accusés de parjure, il répudia la princesse lombarde et épousa Hildegarde[10], Ses mauvaises dispositions à l'égard de Didier grandirent quand celui-ci, pour se venger, commit la maladresse de recueillir les enfants de Carloman et de soutenir leurs prétentions à la royauté. L'appel du pape fut écouté. Une armée franque passa les Alpes en 573, et, sans s'inquiéter des protestations de ses compagnons qui maugréaient contre lui comme jadis contre Pépin, ou même parlaient de retourner chez eux, le roi poursuivit sa marche et ne s'arrêta que devant les murs de Pavie[11].

Jusqu'à ce moment, l'expédition était en tous points semblables à celles qui avaient été précédemment conduites en Italie, et rien n'indiquait qu'elle dût en différer. Tout à coup, Charles, laissant ses soldats poursuivre le siège de la cité lombarde, partit pour Rome.

La cérémonie de son entrée, qui eut lieu le Samedi-Saint (2 avril 774), fut triomphale : ce fut une fête telle que les Romains n'en avaient point vu depuis de nombreuses années, car l'inquiétude du voisinage de l'ennemi ne les venait point troubler. Sur l'ordre du pape, les chefs du peuple se rendirent, avec leurs bannières, jusqu'au bourg de Noies situé à trente milles de la ville, et y reçurent le roi des Francs. Quand le cortège ne fut plus qu'à un mille, Hadrien envoya les corporations avec leurs patrons, et les enfants, porteurs de rameaux d'oliviers, tous chantant la louange de Charles et poussant des acclamations. Les croix vénérées et les étendards furent également apportés. À leur approche, le roi descendit de cheval et se dirigea à pied vers Saint-Pierre hors les murs, où le pape, entouré de tout son clergé et de la foule du peuple, l'attendait sous le porche qui précédait les portes de l'église. Il monta les degrés en les baisant un à un, et prenant la main du souverain pontife, après qu'ils se furent mutuellement embrassés, il pénétra avec lui à l'intérieur de la nef, tandis que les clercs criaient : Béni soit celui qui est venu au nom du Seigneur ! Les oraisons terminées, le roi demanda au pape la permission d'entrer à l'intérieur de Rome pour y prier dans les différentes églises, et, après une visite au corps de saint Pierre, il pénétra dans la ville, toujours accompagné par Hadrien. Le lendemain il y eut festin au Latran, et, après avoir suivi rigoureusement l'ordre des cérémonies pascales, Charles retourna devant Pavie dont il acheva le siège[12]. Didier fait prisonnier fut emmené en France avec sa famille, et l'indépendance lombarde disparut[13].

Cette succession d'évènements entièrement nouveaux marque une date capitale dans l'histoire des origines de l'empire carolingien, et la journée du 24 avril 774 est une de ces journées décisives qui déconcertent les plans les mieux arrêtés, éclaircissent les idées et définissent les situations. La manière détaillée dont le biographe pontifical raconte l'arrivée du roi des Francs et les divers incidents qui signalèrent son  séjour dans la Ville éternelle, est déjà une preuve de l'importance que les contemporains attribuèrent à ce voyage. Pépin n'était jamais venu à Rome, il n'avait jamais été invité à y venir, et son fils ne l'était pas davantage. Il y avait donc de la part de Charles une initiative hardie, un acte spontané auquel le pape lui-même ne s'attendait pas.

Fidèle à l'exemple de ses prédécesseurs, Hadrien désirait uniquement conserver l'indépendance de l'État de saint Pierre et accroitre, s'il était possible, l'étendue de son territoire. Pendant les premiers mois de son pontificat il avait eu soin de ménager les Lombards et les Grecs, et à Didier qui lui demandait de s'unir à lui par les liens de la charité, il avait répondu que son vœu le plus cher était de demeurer dans la paix qui avait été conclue entre les Romains, les Lombards et les Francs[14]. Les intrigues de Didier pour le brouiller avec les Francs avaient commencé à l'éclairer, et il avait compris l'imminence du danger en voyant ses villes tomber aux mains des Lombards[15]. Cependant il s'était tourné d'abord du côté de l'empereur pour lui demander de le débarrasser de Paul Afiarta[16], et c'est seulement, poussé par la nécessité, qu'il supplia le roi des Francs de secourir l'Église de Dieu, la province romaine affligée et l'exarchat de Ravenne, comme avait fait Pépin, son père, de sainte mémoire, et d'exiger de Didier qu'il exécutât intégralement les donations et restituât les cités enlevées à saint Pierre[17]. Dans ces conditions, toutes les démonstrations joyeuses auxquelles il se livra en apprenant l'arrivée de son défenseur ne sauraient tromper personne. De l'aveu de son biographe, l'extase on cette nouvelle le jeta fut précédée d'une grande stupeur[18]. C'est autant par mesure de précaution que pour faire honneur à son hôte qu'il alla au-devant de lui hors des murs de la ville, car, avant de lui accorder l'autorisation de passer les portes, il voulut qu'il descendit au tombeau de saint Pierre et se liât préalablement à lui par serment[19]. La tranquillité ne lui revint que le troisième jour, c'est-à-dire le 6 avril, quand Charles, sur ses instances, eut promis de réaliser toutes les promesses de Pépin et fait rédiger par son notaire Ethérius une nouvelle donation entourée de toutes les garanties possibles[20].

En revanche, la joie du peuple fut sans mélange. Les Romains avaient-ils souhaité la venue du roi, comme le prétend Paul Diacre, il est difficile de l'affirmer, mais on sait qu'ils étaient pleins de sympathie pour les Francs et les considéraient d'avance comme des frères[21]. Les lettres abondent où le clergé, la noblesse, la milice et le sénat, toutes les classes de la population romaine en un mot, manifestent leur reconnaissance à l'égard de Pépin, lui souhaitent vie et prospérité[22]. Cette fois, le chef des Francs venait lui-même visiter ceux qu'il avait sauvés d'un terrible ennemi ; celui dont ils avaient tant entendu parler était là, et il ne s'agissait pas du vieux Pépin, mais d'un jeune roi dans toute la force de l'âge, déjà illustré par la victoire. Charles avait alors trente-deux ans[23]. Sans être beau, il était de taille élevée, bien pris, robuste, avec de grands yeux brillants, une abondante chevelure, la physionomie aimable et souriante[24]. Très préoccupé de l'effet qu'il allait produire, il s'était fait accompagner par des troupes nombreuses, et une brillante escorte d'évêques, d'abbés, de ducs et de comtes l'entourait[25]. La foule, qui s'était amassée autour de Saint-Pierre, l'aperçut pour la première fois lorsqu'il gravissait les degrés de l'église, mais elle reflua sur Rome avec lui, comme si elle ne pouvait se lasser d'un pareil spectacle[26].

Aussi bien cette foule n'était pas seulement composée de Romains. Les pèlerinages en Italie n'avaient jamais cessé. Les âmes chrétiennes étaient toujours tourmentées par le désir de connaître les lieux où reposaient les corps des Saints-Apôtres, et par l'espoir de trouver auprès de leurs reliques la paix vainement cherchée[27]. Il existait des guides à l'usage des pèlerins, où les curiosités de Rome étaient énumérées par quartiers. Ces petits livres, universellement répandus, faisaient d'elle la huitième merveille du monde ; grâce à eux, on connaissait ses palais et ses théâtres avant qu'on les eût aperçus dépassant l'enceinte qui les entourait, et l'on aspirait à les voir[28]. La conversion des Anglo-Saxons au christianisme d'une part, les nouveaux rapports entre la papauté et les Francs d'autre part, eurent pour résultat de provoquer une recrudescence du zèle religieux, et l'on vit, de toutes les régions de l'Occident, mais surtout de la Grande-Bretagne, des rois et des princes, des nobles et des non-nobles, des hommes et des femmes guidés par l'amour divin, se diriger vers Rome par terre et par mer, sans craindre les difficultés du passage des Alpes ou les attaques des pirates sarrasins[29]. Parmi ces voyageurs, les uns retournaient chez eux après avoir vu les tombeaux sacrés, les autres restaient à Rome, soit comme moines[30], soit comme habitants. Il se forma ainsi quatre colonies d'étrangers : Francs, Frisons, Anglo-Saxons, Lombards, ayant chacune un quartier spécial auprès du Vatican, en arrière et au sud de la ligne de portiques qui reliait la basilique au pont Saint-Ange[31]. Rome redevint ce qu'elle avait été dans l'antiquité, une ville cosmopolite, un vaste caravansérail, un résumé du monde, et parmi les gens qui attendaient sur la place, devant Saint-Pierre, et dans les rues avoisinantes, le passage de Charles pour l'acclamer, les étrangers étaient presque aussi nombreux que les Romains.

La gloire de la ville fut immense, incomparable. Les mêmes formules qu'autrefois se retrouvèrent pour célébrer, en prose et en vers, la cité unique digne de la vénération de toutes les nations, dont les maisons dorées faisaient penser tristement aux toits sordides et fumeux des autres villes d'Occident[32]. Ce prestige tenait toujours à la religion ; il était spécialement attaché à la ville des apôtres Pierre et Paul, rouge du précieux sang des martyrs, surpassant les autres en beauté, non-seulement par ses monuments, mais par le mérite des saints qui y avaient été égorgés avec des glaives sanglants[33]. Cependant, sans rien perdre de sa célébrité religieuse, Rome reconquit peu à peu la prépondérance politique qu'elle avait perdue depuis plus de deux siècles. Au fond, elle n'avait jamais oublié son brillant passé, et le monde ne l'avait pas oublié davantage[34]. Quand Constantinople était devenue la capitale de l'Empire, les Romains avaient conservé dans leur cœur l'orgueil.de leur ancienne domination, et partout le souvenir en était resté vivant ; on avait entendu un empereur du vile siècle, Constant II, parler de retourner en Italie, malgré l'opposition des Byzantins qui lui reprochaient de faire comme l'homme qui dépouillerait une belle jeune fille de sa parure pour en vêtir une autre femme qui aurait l'âge de trois corneilles[35]. L'un des sermons familiers attribués à saint Eloi et destiné à expliquer l'usage des luminaires, rappelait éloquemment au peuple le temps où les Romains dominaient l'univers[36]. A partir de 774, les passages des écrivains occidentaux consacrés à ce sujet se multiplièrent en nombre incroyable. Rome ne fut plus seulement l'ancienne maîtresse du monde dont on parlait comme d'une belle disparue ; elle en fut de nouveau considérée comme la tête, et les contrées lointaines sur lesquelles elle avait étendu son autorité furent rappelées aux yeux de tous par la grande peinture que le pape Zacharie fit placer au Triclinium du Latran[37]. L'idée de l'universelle domination de la cité de Romulus et de sa chute profonde n'inspira plus seulement des réflexions philosophiques ou morales sur le sort des empires, mais l'intention bien arrêtée de revenir en arrière. On se souvint, à propos, que Rome était le véritable siège de l'Empire, et, clés 775, l'Anglo-Saxon Kathuulphe écrivit à Charles qu'il était entré dans Rome impériale et dorée[38]. Bien que les Annales franques soient à peu près muettes sur la réception de Charles à Rome et qu'on la connaisse exclusivement par un document romain, il n'est pas douteux, pour les raisons qui viennent d'être indiquées, que cet évènement ait eu, dans toute l'Europe occidentale, un immense retentissement. Les pèlerins qui, venus de tous les points de la chrétienté s'agenouiller ad limina, assistèrent à la cérémonie, en rapportèrent le souvenir de quelque chose de miraculeux. On raconta que les défilés des monts s'étaient ouverts sans combat devant les Francs, grâce à l'intercession de saint Pierre et au secours de Dieu, et que l'armée était entrée dans Pavie sans qu'il y eut de sang versé[39]. Kathuulphe déclara quo Dieu avait tressé pour le roi des Francs une couronne de gloire, en lui permettant de naitre dans la dignité royale, en faisant de lui l'ainé de sa famille, en le débarrassant de son frère Carloman, en l'introduisant enfin dans la cité de Rome[40]. Le pape eut beau parler désormais de la République de Saint-Pierre, et les scribes de sa chancellerie eurent beau s'évertuer à distinguer soigneusement la. République de la Sainte Église romaine et l'État franc, cette distinction échappa complètement aux contemporains. Les Lombards furent convaincus qu'ils avaient été conquis, et ils se félicitèrent de l'avoir été par un prince qui, victorieux sans avoir eu de grande bataille à livrer, sut encore tempérer la victoire par sa clémence et sa modération[41]. Au lieu d'abolir, comme il en avait le droit, la législation qui les régissait, Charles leur avait laissé leurs lois nationales, se bornant à y apporter les modifications qu'il jugeait nécessaires, et il avait pardonné à ceux qui s'étaient montrés coupables envers lui[42]. Nul parmi les Francs, les Lombards et les Anglo-Saxons ne douta qu'il eût soumis l'Italie à sa douce domination, placé Rome sous son sceptre et reçu du roi des rois ces choses précieuses[43].

Charles n'en douta pas davantage[44]. Les auteurs qui ont parlé de son voyage à Rome n'y ont vu qu'une démarche pieuse analogue à celle de tous les pèlerins, et l'ont expliquée par le désir de prier auprès des tombeaux des apôtres[45]. Ce qui est certain, c'est qu'aussitôt après sa victoire sur Didier il ajouta à son titre de roi des Francs celui de roi des Lombards et patrice des Romains. Charles, par la grâce de Dieu, roi des Francs et des Lombards et patrice des Romains, telle fut la suscription officielle de ses diplômes jusqu'à l'année 800[46]. Les honneurs lui avaient été rendus en 774 comme à un patrice ou à un exarque, dit le biographe d'Hadrien[47], ce qui prouve que la réunion des deux noms était devenue une habitude ; il s'autorisa de cette confusion pour tirer du patriciat les droits effectifs sur Rome que son père n'avait jamais eus et auxquels il n'avait jamais pensé. Et ces droits, il entendit les exercer rigoureusement. La ville fut l'objet de sa sollicitude. Il ne manqua jamais d'y venir à chacun de ses voyages en Italie ; deux fois elle reçut sa visite, en 781 et 587 ; dans l'intervalle, il s'inquiétait de ses besoins, lui envoyant du bois, des poutres et tout ce qui était nécessaire à l'entretien de ses églises[48]. Il alla phis loin encore.

Préoccupé de l'agrandissement du domaine de Saint-Pierre, Hadrien négligeait le gouvernement spirituel de la chrétienté. Le roi en profita pour étendre son action à l'intérieur de l'Église. Les synodes se réunirent à son commandement, et ce fut lui qui avertit le pape de convoquer les évêques lors de la querelle de l'adoptianisme[49]. Les Anglo-Saxons, qui demandaient auparavant le mot d'ordre au successeur de Grégoire le Grand, le reçurent désormais du successeur de Pépin. Princes, évêques et abbés furent en correspondance continuelle et directe avec lui, lui recommandant leurs pèlerins, le consultant sur la foi, saluant en lui leur protecteur et leur patron[50]. Certes, on ne trouve rien dans ses écrits ou ses actes qui révèle le parti-pris de déconsidérer la papauté. Charles reconnaissait que le Saint-Siège était supérieur à tous les autres sièges, autant que Pierre est supérieur au reste des apôtres[51]. Il avait pour Hadrien en particulier une profonde estime il lui prodiguait les marques de sa vénération, lui préparait des présents du fond de la Saxe[52]. Cela ne l'empêchait pas de le surveiller de très près, de se tenir au courant des intrigues de la cour romaine, d'accueillir les confidences des piètres italiens. Tandis qu'il n'admettait pas que ses sujets allassent au-delà des Alpes sans sa permission, il était heureux de recevoir les hommes du pape qui avaient quitté Rome sans autorisation pour venir le trouver. Dès l'année qui suivit son premier séjour en Italie, il montra une fermeté extraordinaire à l'égard du légat pontifical Anastase, qui avait osé lui tenir des propos inconsidérés. Il le retint captif. Hadrien eut beau lui écrire que, depuis le commencement du monde, il n'y avait pas d'exemple qu'un envoyé de saint Pierre, grand ou petit, eût été gardé prisonnier par quelque nation : une promesse d'enquête sévère et une protestation d'obéissance absolue purent seules calmer son irritation[53]. D'ailleurs le roi trouvait auprès du pape un concours utile au règlement des intérêts de l'Église et de l'État dont il avait la charge, et, comme le dit Éginhard, Hadrien était le premier de ses amis[54].

Que Charles se crût le maitre de l'Italie et de Rome, la manière dont il se comporta vis-à-vis de l'état pontifical le démontre d'ailleurs suffisamment. Le 6 avril 574 il avait, on se le rappelle, déclaré qu'il réaliserait les engagements pris par Pépin et fait rédiger le texte d'une nouvelle donation[55]. Celle-ci était plus étendue que la précédente[56]. En outre, Hadrien avait cru donner aux concessions carolingiennes ce qui leur manquait jusque-là, un fondement légal. Des diplômes destinés à légitimer les usurpations accomplies au détriment de l'Empire depuis le règne d'Etienne II avaient été fabriqués, et, s'il est difficile de ranger parmi ces pièces la fausse donation de Pépin connue sous le nom de Fragment de Fantuzzi[57], tant elle est grossièrement arrangée, il n'est pas douteux que la fausse donation de Constantin doive y figurer[58]. Constantin quittant Rome pour Byzance aurait abandonné à Sylvestre toute l'Italie : tel était le fait audacieusement affirmé. Le pape croyait ainsi tenir le roi. Or, il eut beau lui écrire lettre sur lettre après 774, pour obtenir rentier accomplissement de ses promesses, il ne fut point entendu. Pourquoi ? Charles aurait-il manqué au serment qu'il avait solennellement prêté devant le corps sacré ? Ce serait méconnaitre son caractère et sa religion qu'introduire une hypothèse de cette nature. Tout devient clair au contraire et conforme à la vraisemblance, si l'on admet qu'après les évènements politiques qui venaient de se passer il jugea inutile d'accroitre davantage le domaine du Saint-Siège. Les Francs avaient fait trois expéditions en Italie pour assurer la sécurité de la province romaine contre les Lombards : Pépin et Charles avaient eu ridée de grouper sous l'autorité du pape des territoires assez étendus et nombreux, pour qu'ils fussent capables de résister, avec leurs seules ressources. à l'ennemi qui les entourait. Maintenant que le roi des Francs était devenu souverain des Lombards et protecteur officiel des Romains, ceux-ci n'avaient plus rien à craindre, le patrimoine de saint Pierre était à l'abri de toute entreprise hostile, et le prince des apôtres devait se tenir pour satisfait[59].

 

II

Vains efforts du pape Hadrien pour se dégager de la tutelle carolingienne ; les élections pontificales dans la seconde moitié du VIIIe siècle. Admiration générale en Occident pour la puissance du roi des Francs.

 

Le débat relatif aux donations éclaire l'histoire de l'idée impériale en Occident pendant les années qui précédèrent l'élévation de Charlemagne. Il permet de faire la part exacte des personnages qui ont joué un rôle dans le grand évènement, et de constater une fois de plus les véritables sentiments de la papauté.

Charles put prendre officiellement le patriciat, et le pape lui donner dans ses lettres le titre auquel il avait droit[60]. Hadrien affecta de ne point attacher à ce titre une importance plus grande qu'elle n'en avait au temps de Pépin. Dans deux poèmes que le pape dédie au roi à l'occasion des fêtes de 554, il se montre pompeux, solennel, d'une banalité voulue, ne s'écartant de la phraséologie habituelle sur la mission des rois catholiques que pour remercier son hôte de vivre selon la foi pontificale et de protéger le domaine de saint Pierre[61]. Tous ses efforts s'épuisent en réalité à la poursuite de ce domaine. En mai 578, il écrit la lettre fameuse où il appelle le roi des Francs un nouveau Constantin et le supplie de faire restituer tous les patrimoines, en s'inspirant du grand empereur qui, au temps de Sylvestre, abandonna à l'Église romaine son autorité sur les contrées d'Occident[62]. Grâce à des revendications plus pratiques appuyées sur des titres moins discutables, diplômes et privilèges d'empereurs, patrices et autres personnages craignant Dieu, le patrimoine de la Sabine finit par lui être attribué en 781[63] ; cependant il ne désespère pas d'avoir le reste en se tournant d'un autre côté, vers Constantinople. Irène, princesse orthodoxe, occupe à ce moment le trône impérial. Veuve de Léon IV et régente pour son fils Constantin, elle gouverne en réalité sous le nom de celui-ci et prépare la convocation d'un concile général destiné à rétablir en Orient le culte des images[64]. Le pape la félicite de la décision qu'elle vient de prendre, il lui donne des conseils pour la réunion de son synode et lui indique les textes des Pères qui devront être consultés ; mais, en attendant, il n'oublie pas l'objet particulier de sa politique : dans deux lettres de 785, à Tarasius, patriarche de Constantinople, et aux souverains byzantins, il exprime l'espoir qu'Irène et Constantin lui remettront enfin l'héritage légué à saint Pierre par les anciens empereurs orthodoxes, et leur cite comme modèle le roi des Francs qui a cédé au Saint-Siège en toute propriété les, provinces, cités, châteaux et autres territoires ou patrimoines occupés jadis par les Lombards, et ne cesse de lui offrir chaque jour de l'or et de l'argent. Il ajoute même — ce qui n'est pas exact — que Charles accepte ses avertissements et fait toutes ses volontés[65].

Ces démarches tentées auprès des empereurs grecs n'avaient aucune chance d'aboutir. Il était impossible que la spoliation commencée en Italie depuis près d'un demi-siècle fût achevée par ceux qui en avaient été les victimes. La manière brusque, dont Hadrien évolua vers la cour d'Orient dès qu'il crut pouvoir compter sur elle, est cependant intéressante. La lettre qu'il écrivit à Irène ne l'est pas moins. Les formules respectueuses qui s'y rencontrent ne sauraient étonner : elles n'avaient jamais cessé d'être employées dans la correspondance des papes avec les empereurs. Mais on est frappé de l'analogie complète de cette lettre avec celle que Charles reçut en 578. Entre l'empereur et le roi, le pape tient la balance égale ; à l'un comme à l'autre il prédit le succès, s'ils acceptent les croyances romaines et accomplissent la donation faite à saint Pierre par Constantin.

Quelle était donc l'idée d'Hadrien ? On a dit qu'il voulait être pape et roi, devenir le chef suprême de cette société d'Occident que ses prédécesseurs avaient tant contribué à rendre chrétienne. Alors, semble-t-il, aurait eu lieu, d'une façon plus conforme aux traditions du passé et aux idées du temps, le rétablissement de l'Empirerenovatio imperii, toujours poursuivi au moyen-âge. On aurait eu comme autrefois le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel réunis dans les mains d'un même chef résidant à Rome. Ainsi aurait été prévenu le retour de ces luttes qui, si souvent déjà, s'étaient engagées entre les papes et les princes, entre les fonctionnaires politiques et le clergé[66]. Que ce rêve grandiose ait été ébauché par Hadrien dans ses jours de prospérité, rien de plus vraisemblable : sa haute intelligence et la hardiesse de son esprit autorisent, et la fausse donation de Constantin confirme une pareille hypothèse. Mais ce ne fut qu'un rêve, auquel il ne s'arrêta pas. Le siècle de Grégoire VII n'était pas encore arrivé, et, comme dans l'affaire particulière des donations, le pape revint bientôt à des espérances moins incertaines, à un projet plus pratique. Réaliser l'union du monde chrétien dans la foi pontificale, constituer au centre de l'Italie un état vaste et indépendant, assurer à cet état deux protecteurs dévoués, le roi des Francs lié à saint Pierre par les obligations du sacre et l'empereur désigné par Dieu, tel fut son programme. Il n'avait rien de chimérique ni même de nouveau. C'était celui d'Étienne II, de Paul Ier, d'Étienne III. Sa réalisation semblait prochaine, puisque la réconciliation religieuse entre les deux Églises, vainement poursuivie par tous les papes depuis Grégoire II, était sur le point d'aboutir et d'assurer au pontificat d'Hadrien un éternel éclat. Pourquoi l'exécution intégrale de la promesse de Constantin ne serait-elle pas le gage de cette réconciliation ?

Quant au patriciat des Romains, il n'existait toujours que pour la forme, et Hadrien nia jusqu'au bout qu'il fût différent de celui de Pépin. Il est curieux de constater que ses affirmations les plus énergiques à ce sujet se placent dans les dernières années de sa vie, après que ses efforts ont échoué sur toute la ligne, comme si son âme était sortie plus fortement trempée de ces épreuves malheureuses. On a de lui des lettres écrites autour de 791, où, sans s'écarter du langage et du ton qui conviennent à la diplomatie, il adjure le roi de ne pas écouter ceux qui le poussent dans une voie fâcheuse et de se défier des nouveautés ; il lui dit textuellement que son patriciat est purement honoraire ; nul ne lui a jamais rendu et ne lui rendra plus volontiers les honneurs qui en découlent ; mais le patriciat effectif appartient à saint Pierre, et le devoir de Charles est de le reconnaître comme il s'y est engagé après son père[67].

Ces déclarations d'Hadrien mettent les choses au point. Elles montrent que la conception chère au Latran cinq années seulement avant le couronnement de Charlemagne — Hadrien mourut en 795 — n'aboutissait pas à la création d'un empereur, et que même elle allait à l'encontre de cette création. Ce n'est donc pas dans les entreprises de la papauté, conservatrice par tempérament et par intérêt, qu'il faut chercher les premiers symptômes de la révolution politique prochaine, mais dans l'attitude personnelle du roi des Francs, surtout dans l'admiration enthousiaste qui souleva le peuple chrétien, à la nouvelle que le vainqueur des Lombards était entré à Rome et avait mis la main sur la ville des Césars. C'est Charles, appuyé sur la volonté populaire, qui a fait du patricial transformé et agrandi un acheminement vers l'Empire.

Est-ce à dire que les papes n'ont rien fait pour faciliter cette évolution ? Ils ont en réalité contribué puissamment à grossir, par leurs discours, le courant d'opinion en faveur des Carolingiens. Tandis qu'ils élaboraient des théories qui eussent empêché l'empire de naître si elles avaient été appliquées, ils travaillaient de leur mieux à le rendre inévitable avec leurs éternelles doléances au sujet du domaine de saint Pierre, et leurs demandes de secours réitérées pour d'autres affaires moins importantes, comme celle de l'archevêché de Ravenne[68]. Les divergences de doctrine, qui pouvaient exister entre eux et la royauté, étaient ignorées du public, ainsi que les conflits, et l'on voyait le pape et le roi tels qu'on rêvait depuis plusieurs siècles de voir un jour les deux maîtres du monde : unis, ayant les mêmes amis et les mêmes ennemis, et exprimant dans des phrases retentissantes leur inaltérable affection[69]. A côté des déclarations vides et sonores qui abondent dans les lettres pontificales, certaines attentions à l'égard des Carolingiens étaient particulièrement remarquées. Ainsi, les papes aimaient à répéter que le chef des Francs, depuis Charles Martel, était leur unique défenseur et leur seule consolation après Dieu[70] ; à lui seul ils confiaient la garde des âmes et la protection de leurs Romains[71] ; ils vantaient son orthodoxie, lui demandaient des évêques pour siéger dans leurs conciles, saluaient en lui le fondement de la religion et le chef de tous les chrétiens[72]. Dès que Pépin ou Charles combattait, ils mettaient tout le monde en prières, faisaient des vœux ardents pour que le roi fût vainqueur de tous les peuples barbares, et la victoire gagnée sur les ennemis du nom chrétien était immédiatement portée à la connaissance des nations[73]. Or, consoler le Saint-Siège et défendre les Romains, régler les croyances et propager la foi, étaient des parties essentielles de la mission impériale, et la formule finale, par laquelle les papes souhaitaient aux Carolingiens que tous les peuples barbares fussent étendus à leurs pieds, reproduisait exactement celle dont leurs prédécesseurs du VIIe siècle se servaient dans fa correspondance avec Byzance[74].

La papauté prépara aussi la chute de la domination grecque, en brisant les liens qui l'unissaient elle-même aux empereurs. Deux usages à Rome étaient anciens et respectés entre tous ; les lettres et les édits y étaient datés par les années de règne des empereurs, et, après chaque élection pontificale, le prince ou son représentant était supplié avec des larmes, de ratifier le choix des Romains[75]. Les dates impériales sont employées pour la dernière fois dans le Liber pontificalis, sous Paul Ier, en 757[76]. Hadrien, après s'en être servi pendant quelque temps, les abandonne à son tour, et, dans une lettre à Berteric, archevêque de Vienne ; il ne craint pas de compter par la première année du patriciat de Charles[77]. Grégoire III, élu le 11 février 731 et consacré le 18 mars, est le dernier pape qui ait sollicité à Constantinople l'approbation du choix dont il avait été l'objet[78].

L'histoire des élections pontificales, après que Pépin fut devenu roi et patrice, est plus intéressante encore. La première vacance de la chaire de Saint-Pierre se produisit en 757, à la mort d'Etienne II. Paul Ire fut choisi aussitôt, mais trente-deux ou trente-trois jours se passèrent entre son élection et son ordination, et dans l'intervalle écrivit au roi pour lui annoncer la faveur dont le peuple l'avait honoré. La suscription de la lettre porte : A Pépin, roi des Francs et patrice des Romains, Paul, diacre, et au nom de Dieu, élu du Saint-Siège apostolique. La phrase qui suit est empruntée, presque mot pour mot, au communiqué officiel que les principaux du clergé adressaient auparavant à l'empereur pour lui apprendre la mort du souverain pontife ; Paul dit aussi que, d'accord avec les grands, il a jugé bon de retenir à Rome l'envoyé franc Immo, jusqu'au jour de la bénédiction apostolique[79]. Constantin II, laïque, élu par ses frères avant que son prédécesseur eût rendu n'une, et d'ailleurs déposé un an après, suit la même tradition : il écrit à Pépin pour lui demander de le soutenir et lui expliquer le caractère de son élection, que, si elle a été violente et soudaine, du moins il a cédé malgré lui[80]. Etienne III se met en rapport avec le roi au début de son ordination[81]. Enfin Hadrien est nommé et consacré presque dans la même semaine, et il n'existe pas trace d'une correspondance échangée par lui à cette occasion avec le chef de l'Etat franc[82].

La conduite des papes resta en somme très prudente ; ils évitèrent de se lier par une obligation formelle, et, tout en avouant que l'appui de la royauté leur était infiniment précieux, ils lui refusèrent le droit de confirmation, qu'ils ne reconnaissaient plus à l'empereur. Même au dernier moment, le plus hardi d'entre eux, Hadrien, fit effort pour se dégager complètement, et, profitant des circonstances, il déclara que les élections pontificales relevaient de Jésus-Christ, et non des hommes ou d'un homme[83]. Cependant la lettre de Paul Ier et la présence du représentant de Pépin à la cérémonie de sa consécration constituèrent des précédents très graves, et les demi-concessions faites aux Carolingiens purent être regardées par ceux qui n'étaient pas au courant des finesses pontificales, c'est-à-dire par la majorité, comme un premier pas vers l'organisation régulière d'un contrôle sur l'évêché de Rome. La portée de ces concessions fut encore précisée et accrue par la violence avec laquelle les Grecs furent attaqués, accusés d'impiété et d'hérésie, traités de gens pervers, odieux, presque criminels[84]. Hadrien alla jusqu'à mettre Charles au-dessus de tous les anciens rois et empereurs les plus fidèles et les plus orthodoxes, et reconnut qu'un nouveau Constantin venait de naître[85]. Sans doute la flatterie était intéressée, et son auteur pensait seulement fournir un nouvel argument en faveur des donations, mais dans le peuple, que dominait toujours la grande figure du fils d'Hélène, le commentaire fut tout autre. Le roi ne put que gagner à un rapprochement avec celui dont la légende avait fait le premier des empereurs chrétiens, et mettre son nom au-dessus des noms vénérés dans tout l'Occident de Valentinien et de Théodose, n'était-ce pas le désigner pour prendre à la tête de la chrétienté la place que ces princes avaient si vaillamment remplie ?

Pour les peuples d'Occident, l'idée de l'Église ne se séparait toujours pas de celle de l'Empire, et celui-ci était toujours considéré comme universel. On remarqua que la puissance de Charles, sans cesse agrandie par ses guerres et ses conquêtes, devenait européenne, et qu'elle servait, comme au temps de son père et de sou aïeul, les intérêts de la religion[86]. Le royaume qu'il avait reçu de Pépin, déjà grand et fort, noblement développé par lui, selon l'expression d'Eginhard, atteignait maintenant une étendue presque double[87]. La Saxe paraissait domptée, la Bavière venait d'être soumise, la domination franque allait jusqu'à l'Elbe, et, au-delà de ce fleuve, Charles avait réussi, par quelques expéditions heureuses, à arrêter la marche des Slaves. Non-seulement la plupart des pays de langue latine lui appartenaient, mais directement ou indirectement tout le monde germanique dépendait de lui, et à la possession de Rome il joignait celle des autres villes importantes de l'Italie, de la Gaule, de la Germanie[88]. Ses relations avec des princes amis ou alliés étendaient son influence de l'Orient à l'Occident, du khalifat d'Haroun-Al-Raschid aux petits États anglo-saxons[89]. Entre tant de nations séparées par la géographie, la race, la langue, il avait exigé que le christianisme fût le principal lien. Toutes ses guerres avaient eu un caractère religieux, et en Saxe particulièrement, si la lutte avait été si opiniâtre, les représailles si terribles, c'est que les Saxons repoussaient le baptême que le vainqueur était décidé à leur imposer. Volontiers il leur aurait laissé leurs institutions et leurs lois, pourvu qu'ils abandonnassent leurs idoles ; à peine un canton était-il soumis que les missionnaires accouraient, élevaient des églises, et ces églises étaient comme le signe de l'administration franque[90].

Le spectacle de l'extension progressive du royaume de Charles et de la dilatation du nom chrétien qui en était la conséquence, est l'un de ceux qui ont le plus vivement frappé l'imagination des contemporains[91]. Depuis des siècles l'Occident attendait que l'œuvre de conversion des païens, interrompue par la succession des hérésies, fût reprise. Les victoires remportées par les Francs n'étaient pas connues seulement d'une manière vague, par la rumeur publique ; mais des envoyés spéciaux parcouraient le royaume pour les annoncer au nom du pape et du roi, et ordonner que Dieu fût remercié par trois jours de chants et de prières[92]. Il semblait que les contrées les plus lointaines, l'Afrique elle-même et l'Asie, écrasées par les infidèles sous des chaînes pesantes, fussent sur le point d'être délivrées, et l'on reconnaît ici l'origine de la légende qui fit plus tard de Charlemagne le premier des croisés et le libérateur du Saint-Sépulcre[93]. A ta voix, s'écrie Théodulphe dans un poème adressé à Charles vers 796, les nations se rangent, prêtes à suivre le Christ ; et voici venir le Hun aux cheveux tressés, humble dans sa foi, lui qui était auparavant si fier, l'Arabe à la chevelure dénouée... Le monde entier résonne de toi et de tes louanges, ô Roi ! et, bien qu'il dise beaucoup, il ne peut pas tout dire. On peut mesurer la Meuse, le Rhin, la Saône, le Rhône, le Tibre et le Pô ; ta louange est sans mesure... Ô combien heureux celui qui peut être toujours auprès de toi, contempler ton visage trois fois plus brillant que l'or et ton front digne du poids du diadème ![94]

Faut-il voir dans ces derniers mots une allusion il l'Empire, la chose est vraisemblable. Si Charles n'est appelé empereur dans aucun document authentique antérieur à l'an 800, il n'y a pas de doute qu'il soit considéré plusieurs années auparavant comme le maître de la terre — dominus terræ —. Il est le vicaire de Dieu, chargé de protéger et diriger toutes ses créatures et de lui rendre compte de leur conduite au jour du jugement ; les évêques ne viennent qu'après lui, tenant seulement la place du Christ[95]. A défaut du titre impérial qu'on n'ose encore lui donner, on multiplie les appellations pompeuses, curieuses par leur variété et leur complication même, qui l'élèvent au-dessus des rois ordinaires, et il devient le plus célèbre des rois, celui que le créateur, plis de pitié, a donné aux peuples pour défenseur et pour père, ou bien le seigneur Charles, très fidèle adorateur de la foi orthodoxe, grand de toute la hauteur de la dignité royale, remarquable par les couronnes glorieuses et triomphales que Dieu lui a décernées[96]. Dans la diplomatique officielle prennent place les formules en usage à la chancellerie de Constantinople ; la cour, le palais, les ordres du roi sont qualifiés de sacrés ; on lui parle des décrets de son empire et de la gloire de son règne impérial[97]. Alcuin, déplorant la chute du monastère de Lindisfar, constate que, depuis le jour où le premier homme a quitté les jardins du Paradis, il n'y a plus rien d'éternel sous la voûte du ciel : tous les empires se sont écroulés, de Babylone, de Perse, d'Alexandre ; seule, la ville de David, tête et honneur du monde, Rome dorée, survit[98]. Or, l'héritage des Césars appartient à celui qui possède la ville ou ils avaient coutume de résider, au maître de Rome mère et siège de l'Empire[99].

 

III

Irène et Constantin VI ; Léon III et les Romains. Rôle politique d'Alcuin. Couronnement impérial de Charlemagne.

 

Sans avoir les insignes et le nom d'empereur, et tout en portant simplement le titre que les Barbares ont coutume de donner à leurs chefs, un roi peut gouverner ses sujets de telle sorte qu'il ne lui manque aucune des qualités d'un empereur[100]. Cette réflexion de Procope au sujet de Théodoric, s'applique parfaitement à la royauté de Charlemagne, telle que la concevaient les hommes qui vivaient vers la fin du Mite siècle. Comme le roi des Francs avait sous sa domination d'immenses territoires qui avaient relevé de l'Empire et parmi lesquels Rome était comprise, il leur semblait juste que l'Empire lui fût attribué[101]. Deux obstacles les arrêtaient encore : l'opposition du Saint-Siège et l'existence d'un empereur. Les évènements dramatiques qui s'accomplirent après 795, à Constantinople et à Rome, firent tomber ces obstacles et précipitèrent le dénouement.

En Orient, Irène, qui continuait à régner pour son fils, avait d'abord gouverné avec sagesse. Sa bienveillance envers les images ne s'était point démentie ; de bons rapports s'étaient établis entre elle et Charlemagne, et un projet d'union avait été conclu sur sa demande entre le jeune empereur Constantin et Rothrude, fille du roi. A la suite des serments échangés, un fonctionnaire byzantin était venu à la cour d'Aix pour instruire la jeune fille dans la langue et les lettres grecques et dans les coutumes de l'Empire[102]. Tout à coup l'impératrice oubliant sa parole rompit le mariage annoncé, fit épouser à Constantin une jeune Arménienne appelée Marie dont il ne voulait pas, et, en prévision d'une guerre, débarqua des troupes dans l'Italie méridionale où elles se battirent avec les soldats francs[103]. Charles irrité réunit en 794 le synode de Francfort, et, sous couleur d'en répandre les décisions, publia les Livres carolins. C'était su violent réquisitoire contre les prétentions et les actes des empereurs grecs[104]. Tous les griefs de l'Occident contre eux étaient repris avec l'intention évidente de les discréditer. L'auteur, qui était peut-être Alcuin, leur reprochait d'avoir écrit que Dieu régnait avec eux, de qualifier leurs actes de divins, de se dire divins eux-mêmes, d'être mis par leurs sujets sur le même rang que les apôtres, alors qu'il y avait entre les apôtres et les empereurs la distance qui sépare les saints des pécheurs ; il blâmait Irène en particulier d'avoir tenu un concile et d'y avoir joué le rôle d'un docteur, ce qui était contraire non-seulement à la loi divine mais à la loi naturelle[105]. Ces attaques n'étaient pas dignes du prince qui se vantait dans la préface des Livres carolins d'être le serviteur fidèle de la Sainte-Église[106]. Elles étaient injustes et maladroites, injustes parce que l'impératrice luttait de toutes ses forces pour rétablir la tradition orthodoxe dans ses états, maladroites parce qu'elles compromettaient l'apaisement religieux qu'on avait lieu d'espérer[107]. Au point de vue politique leur effet fut considérable ; toutes les impiétés, dont les empereurs précédents s'étaient rendus coupables, revinrent à la mémoire, et la présence d'une femme à la tête de l'Empire parut tout à fait anormale[108].

Les choses en étaient là, quand on apprit qu'Irène, renonçant à dissimuler ses usurpations sous des apparences légales, s'était débarrassée de son fils par un crime. La veuve de Léon IV était une de ces créatures intrigantes, ambitieuses du pouvoir, passionnées pour la politique et la théologie, que Byzance a trop souvent connues. Craignant que Constantin ne voulût la déposséder de l'autorité dont elle jouissait, elle manœuvra habilement au milieu des intrigues de la cour pour le perdre. Elle lui conseilla de répudier Marie, et, après qu'il eut commis la faute de l'écouter et d'épouser illégitimement une femme du palais, Théodote, qu'il couronna impératrice et dont il eut un fils, elle persuada aux ducs militaires de se défaire de lui. Constantin eut les yeux crevés dans la chambre où il était né, et Irène effaça des monnaies son effigie pour y figurer seule sur les deux faces. Aux fêtes de Pâques 797, elle se montra dans une procession solennelle partie de l'église des Saints-Apôtres, assise sur un char d'or traîné par quatre chevaux blancs et conduit par quatre patrices, distribuant elle-même des présents au peuple comme un consul ; elle présida seule le conseil et parut seule en public avec les ornements impériaux[109]. L'année suivante, une ambassade envoyée à Charlemagne annonça officiellement que le jeune empereur avait été privé de la vue à cause de ses mauvaises mœurs ; mais ce récit arrangé pour la circonstance, et auquel il était impossible d'ajouter foi, ne trompa personne[110]. La déposition de Constantin fut considérée en Occident comme une action impie, et lorsque le malheureux fut mort quelque temps après des suites du traitement barbare qu'il avait subi, on estima que, l'Empire étant tombé aux mains d'une femme, il n'y avait plus d'empereur[111].

Pendant ce temps, Hadrien mourait (25 décembre 795), Léon III lui succédait[112], et ce simple changement de personne entraînait une révolution complète dans la politique pontificale. Hadrien appartenait à une famille aristocratique, et il n'avait pas rencontré de grandes difficultés à son avènement ; pape depuis plus de vingt ans, bénéficiant de la situation acquise, il avait pu traiter avec le roi d'égal à égal. Son successeur était d'humble origine. Ancien chef du vestiaire pontifical, Léon III avait accompli toute sa carrière dans cette administration, et il avait été élevé au souverain pontificat par le clergé, malgré l'opposition des nobles, si bien que ceux-ci étaient décidés à le combattre par tous les moyens[113]. Aussitôt élu et consacré, il chargea ses légats d'aller remettre à Charles les clefs de Saint-Pierre, l'étendard de la ville de Rome et de nombreux présents. Les clefs. de Saint-Pierre ne signifiaient rien, mais, en envoyant l'étendard, le nouveau pape reconnaissait la valeur effective du patriciat des Romains qu'Hadrien s'était toujours obstiné à nier[114]. D'ailleurs les légats étaient porteurs de lettres qui ne laissaient subsister aucun doute à ce sujet. Léon apprenait au roi son élection et lui faisait remettre le procès-verbal, comme c'était autrefois l'usage pour l'empereur ou l'exarque ; il lui promettait foi et obéissance et l'invitait à lui déléguer un de ses grands pour recevoir le serment de fidélité et de soumission des Romains[115]. Quelque temps après, une vaste peinture en mosaïque fut placée au triclinium du Latran. Dans le fond de l'abside, le Christ était représenté debout, entouré des Apôtres et leur confiant la mission de prêcher l'Évangile ; de chaque côté figurait un groupe de trois personnages : à droite le Christ assis, donnant les clefs à saint Sylvestre et l'étendard à Constantin ; à gauche saint Pierre remettant le pallium à Léon III et l'étendard à Charlemagne[116].

La réponse du roi montre qu'il ne fut nullement étonné de ces manifestations et n'y vit que la consécration tardive d'un droit depuis longtemps établi. Après les compliments d'usage au nouvel élu des Romains et des lamentations sincères sur la mort de son prédécesseur, il se met à lui parler gravement de ses devoirs religieux, lui recommandant surtout de s'attacher à la stricte observation des règles canoniques et des décrets des Pères ; il semble, comme on l'a fait remarquer, qu'il ne voie guère dans le pape que le caractère sacerdotal[117]. Les instructions de l'ambassadeur qui fut envoyé à Rome, et qui était Angilbert, sont rédigées dans le même esprit. Avoir une vie honnête, observer les canons, gouverner pieusement l'Église de Dieu, écarter avec le plus grand soin la simonie, qui en beaucoup de lieux souille le corps de la Sainte Église, tel est le programme dont le sens a été débattu d'avance entre le roi et son conseiller, et que celui-ci doit soumettre à Léon III ou plutôt glisser dans ses entretiens avec lui, en tenant compte des dispositions d'esprit de son interlocuteur et du moment opportun[118]. Quant aux rapports particuliers entre le pape et le roi des Francs, ils ne sont pas moins bien définis. En apparence, rien n'est changé : Angilbert doit recevoir confirmation des bonnes intentions exprimées dans la lettre du souverain pontife et renouveler avec lui l'accord inviolable contracté jadis avec Hadrien[119] : des prières continuelles seront dites à Rome pour le salut du roi et de ses fidèles et la prospérité du royaume. Charles ajoute enfin qu'en échange de la bénédiction apostolique qui le suivra partout, il défendra de toutes ses forces, avec la grâce de Dieu, le siège de l'Église romaine[120].

Au fond, Léon III avait cru garantir sa sécurité personnelle en sacrifiant l'indépendance de l'État pontifical. Il se trompait. Le roi était loin, ses représentants paraissaient impuissants, les ennemis du pape s'agitaient dans l'ombre. Le 25 avril 799, un drame terrible se produisit. Lorsque Léon, sorti du Latran pour aller dire la messe à Saint-Laurent-in-Lucina, passait devant le monastère des saints Sylvestre et Etienne, des conjurés ayant à leur tête deux neveux d'Hadrien, le primicier Paschal et le sacellaire Campulus, se jetèrent sur lui. Après l'avoir renversé à terre, ils cherchèrent à lui arracher les yeux et la langue, puis, l'ayant traîné dans l'église du monastère, ils recommencèrent et le rouèrent de coups jusqu'à ce qu'il restât devant l'autel évanoui et baignant dans son sang : à la nuit, ils le firent déposer au couvent de Saint-Erasme. Heureusement quelques fidèles accoururent sous la conduite du chambellan Albinus et transportèrent le corps à Saint-Pierre où se trouvaient déjà réunis le missus franc Wirundus et le duc de Spolète Winigis. Le pape emmené à Spolète guérit, et il y demeura jusqu'à ce que Charles, instruit de ses malheurs, l'eût invité à venir le rejoindre en Germanie[121].

Non loin du confluent de la Lippe et de la Patra se trouve une colline élevée au milieu de la plaine ; un évêché y avait été récemment établi et la localité avait reçu le nom de Paderborn[122]. C'est là qu'eut lieu la rencontre. Les plus grands honneurs furent rendus à Léon III. Deux personnages de la cour, Hildibald, archevêque de Cologne et chapelain, et le comte Ascaire, allèrent au-devant de lui : à quelque distance du camp, Pépin, l'un des fils de Charles, attendait à la tête de ses troupes. Des cadeaux et des festins furent échangés, une église consacrée[123]. Cependant la révolte des Romains était plus grave qu'elle n'avait paru tout d'abord ; des lettres arrivaient, accusant le pape de véritables crimes[124]. Il ne s'agissait plus seulement de venir à bout de quelques conspirateurs, mais d'une fraction importante du peuple nettement hostile à Léon III[125]. Si les dernières difficultés relatives à la pacification de la Saxe ne l'en avaient empêché, Charles serait allé immédiatement à Rome[126]. D'accord avec le pape, il décida que pour le moment celui-ci partirait seul, mais sous l'escorte de dix envoyés francs, les archevêques Hildibald de Cologne et Arno de Salzbourg, les évêques Cunipert, Flaïc, Bernard de Worms, Otton de Frisingue, Jessé d'Amiens, les comtes Helingot, Rothecaire et Germaire[127]. Le cortège passa le pont Milvius le 29 novembre 799 et fit son entrée dans la ville le lendemain[128].

Les événements qui précèdent furent vite connus, mais s'ils causèrent dans toute la chrétienté une émotion profonde. nulle part leurs conséquences possibles n'apparurent aussi clairement et ne furent accueillies avec une faveur aussi marquée que dans l'entourage de Charles. Il y avait à la cour du roi ou parmi les fidèles qui représentaient au loin ses intérêts des hommes remarquables, Alcuin, Angilbert, Théodulphe, Paulin d'Aquilée, pour ne citer que les principaux. Ils étaient nés dans tous les pays d'Europe, Grande-Bretagne, France, Lombardie, mais avaient ce caractère commun qu'ils étaient clercs pour la plupart et lettrés[129]. Pleins des souvenirs de l'antiquité classique et chrétienne, nourris dans la légende des empereurs chrétiens, ils saisissaient mieux que personne la ressemblance croissante du royaume de Charles avec l'ancien empire romain, sa tendance à l'universalité, et ils lui rendaient d'éclatants hommages. Ils avaient suivi le roi dans ses guerres et aux assemblées où il réformait la loi, ils l'avaient soutenu de leurs idées et de leurs conseils, car Charles, avisé s'il en fût, ne négligea jamais de les consulter[130], et, sur la révolte des Romains en particulier, ils possédaient des renseignements abondants et précis[131]. Il parut à ces hommes que la victoire du christianisme ne serait complète qu'après le rétablissement de l'Empire, et, dans la période suprême qui va du retour de Léon III aux fêtes de Noël de l'an 800, ils travaillèrent d'une manière constante à provoquer la solution qu'ils attendaient. Entre tant d'influences qui s'exercèrent alors, aucune ne fut aussi active que la leur. Ils comprirent que le moment était venu et n'épargnèrent pour réussir ni leur temps, ni leur peine.

Ces faits sont bien connus grâce à plusieurs écrits, en prose et en vers, qui ont été conservés, parmi lesquels se place au premier rang la correspondance d'Alcuin[132]. Originaire de la ville d'York dans l'ile de Bretagne. Alcuin appartenait à cette race anglo-saxonne qui avait voué un culte sans bornes à la vieille littérature, à la religion du Christ, à Rome, au roi des Francs : il unissait dans un amour égal Charlemagne et Virgile[133]. Il possédait une érudition sûre qu'il tenait de son maitre Ælbert, et savait à fond la rhétorique, la dialectique, surtout l'astronomie[134]. Charles se l'attacha de bonne heure[135], le consultant sur les sujets les plus variés, appréciant ses réponses, et si, devenu roi, le fils de Pépin acquit peu à peu cette vaste culture intellectuelle qu'il n'avait pas reçue dans sa jeunesse et dont il sentait maintenant le besoin, c'est au commerce d'Alcuin qu'il en fut surtout redevable : c'est le pauvre diacre anglo-saxon qui féconda le terrain où devaient germer tant de nobles idées. Eginhard a dit de lui qu'il fut le précepteur de Charles[136] : il fut autre chose, un conseiller écouté, surtout dans les affaires religieuses, et un ami. Et il s'agit d'une amitié désintéressée qui grandissait avec les années, parce qu'elle était raisonnée, nourrie par une estime mutuelle, le roi admirant la science du clerc et le clerc le caractère du roi[137]. Parfois le regret du pays natal tourmentait Alcuin, et il retournait ou voulait retourner à York, mais il revenait toujours auprès de son héros et dans le pays de France, jusqu'au moment où il s'y fixa définitivement.

En 796, âgé de plus de soixante ans, malade, fatigué, il demanda et obtint l'autorisation de se retirer à l'abbaye de Saint-Martin de Tours. Il y succéda à l'abbé Ithier et dirigea dès lors l'école monastique d'où sortirent Raban, Hatton et tant de brillants élèves[138]. Cette circonstance fut très heureuse pour les historiens de l'avenir. Les hommes qui ont été mêlés à la politique ne réussissent guère à s'en détacher complètement. Ainsi Alcuin se trompa quand il crut se soustraire à la vie agitée de la cour ; ce qui s'y passait l'intéressait toujours ; sa réputation de bon conseiller l'avait suivi dans sa retraite ; le roi continuait à le consulter et les principaux hommes d'Église et d'Etat à solliciter ses avis. Sa correspondance se fait de plus en plus abondante et elle démontre avec évidence que, pendant les années 799-800, Tours fut le centre des intrigues destinées à pousser Charles à l'Empire. Trois hommes étaient d'accord avec Alcuin, intelligents comme lui, très au courant des choses italiennes, et dans lesquels il pouvait avoir une confiance absolue : Angilbert, Paulin d'Aquilée et Arno de Salzbourg. Angilbert, qu'il nommait son très cher fils et dont il vantait au pape la sûreté et la prudence, était très influent auprès du roi auquel il était uni par des liens très intimes[139]. Paulin d'Aquilée défendait vigoureusement en Italie depuis de longues années la cause de Charles, et il combattit sur son ordre les hérésies d'Elipand et de Félix d'Urgel[140]. Alcuin l'aimait beaucoup ; il disait que son cœur avait conclu avec le sien un traité d'amitié et qu'il avait écrit le nom de Paulin, non sur de la cire qui peut être détruite, mais dans son âme qui est impérissable[141]. Cependant son correspondant le plus intime, auquel il s'ouvrait tout entier et qui reçut de lui plusieurs lettres de la plus haute importance, fut Arno. Quand donc viendra le temps aimable, lui écrivait-il un jour, où je prendrai le cou de votre charité dans les doigts de mes désirs ? Ah ! si j'avais comme Ababuc la faculté de me transporter au loin ! Avec quelles mains avides je me précipiterais sur votre paternité pour la saisir ! Avec quelles lèvres pressées je baiserais non seulement vos yeux, vos oreilles, votre bouche, mais encore chacune des articulations des doigts de vos mains et de vos pieds, non une seule fois, mais plusieurs fois ![142] Retenu à Tours par le mauvais état de sa santé, Alcuin ne put se rendre à Rome en personne, comme il l'aurait désiré et comme le roi le lui demandait instamment après la visite du pape à Paderborn ; mais Arno, qui était au nombre des dix missi envoyés pour accompagner Léon III, le remplaça[143]. Nul n'était plus capable de voir clair au milieu des complications romaines que l'archevêque de Salzbourg, qui était venu à Rome l'année précédente et avait assisté aux premières manifestations d'hostilité contre le pape[144]. Nul aussi n'était plus capable de servir les projets du maitre que son meilleur ami et le confident de toutes ses pensées. Or, ces pensées, nous les connaissons.

Au mois de juin 799, Alcuin écrivit à Charles, qui lui avait appris la conduite des Romains à l'égard du pape, une lettre qui a été conservée. Cette lettre débutait par quelques phrases banales, où l'auteur remerciait le roi d'avoir bien voulu le tenir au courant des évènements et lui rendait grâce des bontés qu'il avait toujours eues pour lui. Aussitôt après, il ajoutait : Si j'étais présent à la cour et si vous aviez le temps de m'écouter, si mon éloquence aussi était suffisante, je conseillerais plusieurs choses utiles à Votre Excellence, à l'affermissement du royaume que Dieu lui a donné, au profit de la sainte Église du Christ... Trois dignités ont été jugées jusqu'ici les plus élevées du monde.  La première est la dignité apostolique qui donne le droit de gouverner en qualité de vicaire le siège du bienheureux Pierre, prince des Apôtres ; quel traitement on a fait subir à celui qui avait été placé à la tête de ce siège, vous avez pris soin vous-même de me le faire savoir. La deuxième est la dignité impériale avec l'administration séculière de la seconde Rome ; par quel acte impie le maitre de l'Empire a été déposé, non par des étrangers, mais par ses propres concitoyens, tout le monde le sait. La troisième est la dignité royale que Notre Seigneur Jésus-Christ vous a donnée en partage pour faire de vous le chef du peuple chrétien, plus puissant que le pape et l'empereur, plus remarquable par votre sagesse, plus grand par la noblesse de votre gouvernement. Et voici que tout le salut des Églises du Christ repose sur vous. Le vengeur des crimes, le guide des égarés, le consolateur des affligés, l'orgueil des bons, c'est vous... Les temps périlleux annoncés jadis par la Vérité sont venus... Faites la paix avec les Saxons, si c'est possible... Ne sait-on pas que ceux qui vécurent hors de l'Église devinrent dans la suite les menteurs chrétiens ?... Vous n'ignorez rien de cela, vous qui êtes versés, nous le savons, dans la connaissance des saintes Écritures et de l'histoire profane. Dieu vous a donné toute science pour que vous prissiez soin de diriger son Église, de l'exalter et de la conserver dans le peuple chrétien. Qui pourrait dire quelle récompense il réserve à votre dévouement sans limites ? L'œil ne voit pas, les oreilles n'entendent pas, le cœur de l'homme ne sait pas ce que Dieu prépare pour ceux qui l'aiment[145].

Alcuin ne pouvait s'exprimer d'une façon plus claire. La substance de sa lettre était la suivante : officiellement la dignité impériale passe avant la dignité royale, mais il n'y a plus d'empereur, et le roi est le plus puissant des maîtres de la terre, plus puissant même que le pape, puisqu'il va disposer du sort de Léon III. A lui de voir ce qu'il lui reste à faire : Dieu lui a donné tout pouvoir pour cela. Mais, s'il veut écouter son serviteur dévoué, il donnera la paix aux Saxons, il partira pour Rome sans plus tarder, et il y trouvera la récompense de ses efforts.

Alcuin dut suggérer toutes ces réflexions à Charles pendant le voyage qu'il fit en sa compagnie de Saint-Martin de Tours à Aix au mois de juin 800[146]. Après leur séparation, il les renouvela par correspondance. Toutes ses lettres sont relatives au voyage de Rome, et les mêmes conseils y reviennent presque dans les mêmes termes : absoudre le pape à tout prix, pacifier les Romains, se montrer bienveillant envers tous. Pour encourager le roi à la clémence, il lui rappelle qu'un vieux poète, chantant la louange des empereurs romains, disait d'eux qu'ils devaient épargner ceux qui se soumettaient et abattre ceux qui se montraient intraitables[147] ; pour le décider à une action prompte et énergique, il lui dit qu'il est le protecteur de l'empire chrétien et que son peuple chrétien compte sur lui[148]. Comment ces deux expressions, introduites à dessein, répétées sans cesse, n'auraient-elles pas retenu l'attention de celui qui les lisait et éveillé chez lui de nobles espérances ? En même temps, la correspondance avec Arno, qui était arrivé à Rome où il rencontrait quelquefois Pantin d'Aquilée, ne ralentissait pas ; au milieu des entreprises hostiles, l'archevêque de Salzbourg trouvait le temps d'écrire à Alcuin tout ce qui passait et de lui témoigner son dévouement que les froidures des Alpes et les chaleurs de l'Italie n'avaient pu détruire. Ainsi l'abbé de Saint-Martin tenait le fil d'une intrigue qui allait d'Aix-la-Chapelle à Rome[149].

L'activité épistolaire qui régnait parmi les familiers de Charles à la veille du départ du roi des Francs pour la ville éternelle et le ton élevé que prirent quelques-unes de leurs lettres ne s'expliqueraient pas, s'il s'était simplement agi de remettre les Romains dans le devoir ou de combattre l'hérésie de Félix d'Urgel. On s'expliquerait encore moins l'élan qui saisit alors les imitateurs d'Homère, de Virgile ou d'Horace. La poésie a le très grand avantage de permettre des licences interdites à la prose et de laisser passer plus facilement certaines idées enveloppées dans des formules convenues : l'amplification poétique excuse toutes les audaces. C'est ce que savaient les membres de l'Académie du Palais, et l'on est étonné de trouver chez ces écrivains, généralement pauvres de pensées et réduits à calquer leurs vers sur ceux des anciens, des indications précises sur la situation présente, un programme l'action pour l'avenir. Aussitôt après l'entrevue de Paderborn, Angilbert écrit un long poème à la gloire de la famille carolingienne, qui se termine par le récit des malheurs de Léon III ; il considère Charles comme le roi des rois dont la puissance brille dans le monde entier, le père de l'Europe, l'arbitre unique, le juge et le souverain pacifique : il l'appelle enfin auguste, le grand auguste, et lui dit qu'il dépasse les autres rois de toute la hauteur de son empire[150]. Théodulphe et Alcuin prennent le mode lyrique pour annoncer le grand événement qui se prépare, et leurs poèmes doivent être regardés comme deux chants de triomphe en l'honneur du futur empereur. Allez à travers les villes d'Occident, muses, s'écrie Alcuin, et chantez ensemble : A toi David, partout et toujours salut ! Que la terre, le ciel et la nier résonnent de cette parole, que le monde dise : Honneur à lui, vie et salut ! II y a beaucoup de réformes à accomplir, ô roi ! la simonie pullule, la justice est vénale, les malheureux sont opprimés, les voleurs et les criminels se promènent librement. Tu répareras tous ces maux. Dieu t'a fait le maitre de l'État. Les vœux de ses serviteurs t'accompagnent. Rome, tête du monde, dont tu es le patron, et le pape, premier prêtre de l'univers, t'attendent. Que la main du Dieu tout-puissant te conduise pour que tu règnes heureusement sur le vaste globe. Reviens vite, David bien aimé ! La France joyeuse s'apprête à te recevoir victorieux au retour et à venir au-devant de toi, les mains pleines de lauriers[151].

Charles ne pouvait rester sourd à l'invitation qui lui était adressée par des hommes, dont il avait apprécié en maintes circonstances le dévouement sans limite, et cette invitation était trop flatteuse pour qu'il y restât insensible. Doué d'un esprit juste et de beaucoup de fierté, il savait que les compliments dont ses courtisans l'honoraient étaient mérités. Il avait conscience que son pouvoir était supérieur à tous les autres, universel, presque impérial. Ne s'intitulait-il pas roi des Francs par la grâce de Dieu, gouvernant la Gaule, la Germanie, l'Italie, et n'avait-il pas présidé l'ouverture du concile de Francfort comme un empereur, assis sur un trône, ne se levant que pour prononcer du haut des gradins un discours prolixe sur la foi[152] ? On est allé plus loin. On a dit qu'il ne négligea rien de son côté pour rendre l'empire inévitable, et l'on a cité comme arguments la lettre d'Alcuin sur les trois pouvoirs, les Livres carolins et le synode de Francfort[153]. À voir les choses de près, Alcuin souleva seul et sous sa propre responsabilité la question impériale, et les attaques contre les Grecs s'expliquent par des motifs certains, la rupture injurieuse du mariage de Rothrude, les intrigues byzantines auprès des ducs lombards qui avaient eux-mêmes pour complice Tassilo de Bavière, la foi profonde du roi qui lui rendait odieux les hérétiques et n'admettait aucune conciliation avec eux[154]. Non-seulement rien ne prouve que Charles prépara lui-même son avènement, mais la timidité avec laquelle ses plus fidèles conseillers, Alcuin entre autres, font allusion à l'empire, ne le nommant jamais, se demandant toujours avec angoisse si le moment est venu d'en parler, suffit pour montrer qu'il répugnait à envisager l'avenir. Il faut être prudent quand il s'agit de déterminer la pensée du prince, parce qu'elle n'est pas connue par des textes précis. Tout ce qu'il est possible d'affirmer, en se conformant aux règles d'une sage critique, c'est qu'il connaissait les projets de son entourage, mais n'osait en aborder la discussion, tant il les jugeait redoutables.

La situation restait en somme assez indécise quand, débarrassé enfin des affaires de Saxe, le roi put partir pour l'Italie. Le 23 novembre 800, au bourg de Nomentum situé à douze milles de la ville, il fut reçu par le pape avec les plus grands honneurs et dîna à sa table. Le lendemain, il fit son entrée dans Rome avec le cérémonial usité en 774. Les étendards avaient été envoyés au-devant de lui, les citoyens et les étrangers avaient pris place sur son passage pour l'acclamer, et c'est au milieu d'une foule compacte qu'il s'avança à cheval jusque devant l'église Saint-Pierre où le pape, entouré de ses évêques et de tout sors clergé, l'attendait sur les degrés ; alors il descendit et Léon l'introduisit dans l'église au bruit des chants qui le glorifiaient[155]. Depuis un an qu'ils étaient à Rome, les missi n'avaient rien fait, soit qu'ils craignissent d'encourir de graves responsabilités, soit que, volontairement ou non, leur enquête n'eût pas abouti. Le 1er décembre, une assemblée du clergé et des nobles romains et francs fut tenue à Saint-Pierre pour examiner les accusations portées contre le souverain pontife. Aucune décision n'intervint, mais le 23, sur ravis conforme du roi, des évêques et des Pères qui étaient présents et hésitaient à se constituer en tribunal, le pape se purgea publiquement par serment prêté sur les quatre Evangiles des crimes qui lui étaient imputés[156]. Deux jours après, le 25 décembre, c'était la fête de Noël et le peuple était de nouveau réuni à Saint-Pierre pour la célébration de la messe. Charles s'y trouvait également et il avait pris place devant l'autel. Incliné, il priait, quand Léon III lui mit de ses propres mains la couronne impériale sur la tête, pendant que tous les Romains criaient : A Charles, Auguste, couronné par Dieu, grand et pacifique empereur des Romains, vie et victoire ! Trois fois ces acclamations furent poussées, puis le pape l'adora suivant la coutume observée à l'égard des anciens princes : Charles était empereur[157].

 

IV

L'événement de l'an 800 et ses principaux acteurs.

 

L'acte de Léon III posant la couronne très précieuse sur la tête du roi des Francs le jour de la Nativité du Seigneur : dans la grande basilique honorée du sang du prince des Apôtres, en présence de la multitude, a été souvent mal interprété. Aux historiens qui cherchent à approfondir les événements, il a semblé que l'exaltation et la consécration avaient été indivises, contrairement aux anciens usages, et que le pape avait pris l'initiative de l'une et de l'autre, ce qui constituait une illégalité[158]. De là à le soupçonner d'avoir eu de secrètes pensées, il n'y avait qu'un pas. N'aurait-il pas voulu disposer de l'Empire, et n'est-ce pas pour cela que Charles, au lieu de laisser éclater sa joie à la sortie de Saint-Pierre, n'aurait fait que témoigner du mécontentement, déclarant, comme le rapporte Eginhard, que s'il avait pu prévoir le dessein du pape, il ne serait pas entré dans l'église ce jour-là, bien que ce fût la principale fête de l'année[159] ? En somme l'opinion commune est restée celle de Le Huérou, que, le 25 décembre de l'an 800, l'Église romaine acheva l'œuvre qu'elle avait préparée de longue main, et, en donnant un maitre au reste du monde, ne prétendit se donner à elle-même qu'un défenseur, un protecteur, un mundovald, un avoué[160].

Cette opinion est en contradiction avec ce que nous savons déjà de la politique pontificale au huitième siècle. Elle s'appuie sur des textes sans autorité, et il est facile de montre qu'aucune usurpation n'a été commise[161].

Quelles étaient alors les cérémonies qui accompagnaient l'avènement d'un empereur à Constantinople, puisqu'il n'y avait plus d'empereur à Rome ? Elles étaient au nombre de deux : l'élection et le couronnement. L'élection, qui venait la première, avait mi caractère politique ; elle était faite par le Sénat avec la participation de l'armée et du peuple. Le couronnement était une solennité religieuse et consistait dans l'imposition de la couronne par le patriarche[162]. Ce dernier usage était relativement récent. Il remontait au temps où l'Empire était devenu chrétien. En 457, Léon Ier s'était fait couronner par le patriarche de Constantinople, et ses successeurs avaient imité son exemple. Même l'un d'eux, Justin Ier, déjà couronné par le patriarche, le fut une seconde fois par le pape Jean Ier, lorsque celui-ci vint à Constantinople (526), et ce cas d'un empereur couronné par le pape est intéressant à signaler, parce qu'il est le premier et d'ailleurs le seul que présente l'histoire byzantine[163] ; il n'y en eut pas d'autre avant Charlemagne. Les règles suivies à la cour d'Orient sont celles qui furent appliquées à Rome en l'an 800[164]. La préoccupation de légitimer le nouvel empire n'est pas seulement visible chez les écrivains dévoués à la maison carolingienne ; elle éclate dans les faits avec une telle évidence qu'on ne saurait douter de l'importance que prit la question de droit et du désir très vif que l'on eut d'avoir pour soi toutes les apparences de la légalité.

Les Romains avaient possédé jadis le privilège exclusif de créer les empereurs, et il avait fallu des revers inouïs pour qu'ils le laissassent échapper, mais ils gardaient intacts les souvenirs du passé. On le vit bien en 726, quand, irrités de la conduite de Léon l'Isaurien et considérant le trône comme vacant, ils voulurent aller à Constantinople faire un empereur[165]. Après l'assassinat de Constantin, il sembla que l'empire se retrouvait dans la même situation que soixante-huit ans auparavant, inoccupé parce qu'il était tombé aux mains d'une femme[166]. Les Romains reprirent leur droit d'élection, et, en l'exerçant, ils crurent remplir simplement un devoir que les Byzantins négligeaient. Les éléments nécessaires à la constitution du corps électoral, sénat, peuple, armée, existaient à Rome comme à Constantinople ; le sénat, qui avait cessé de vivre depuis longtemps et dont le nom même était oublié au septième siècle, avait repris sa place dans les documents officiels sous les pontificats de Paul Ier, Hadrien Ier, Léon III, et, bien qu'il ne désignât plus que l'ensemble ou une portion de l'aristocratie romaine, cela suffisait[167]. Si l'on en croit un annaliste généralement bien informé, la résolution d'élever Charles à l'empire avec l'aide de Dieu fut ainsi arrêtée dans une réunion publique à laquelle assistaient le pape, le clergé ; les principaux des Romains et des Francs, et tout le reste du peuple, et un procès-verbal régulier de la délibération fut rédigé et porté à Charles qui donna son assentiment[168]. Ce texte est suspect. Comme le roi éprouva une violente surprise en recevant la couronne, il est impossible qu'il ait été averti, même sommairement, de ce qui se préparait, et il était naturel qu'il ne fût pas avisé, étant donné ses hésitations et ses scrupules. On se trouve sans aucun doute en présence d'une interprétation postérieure des événements, mal compris, peut-être dénaturés à dessein pour mieux servir les intérêts des Carolingiens[169]. Cependant tout porte à croire qu'il y eut accord préalable entre le pape et les amis de Charles. Arno en particulier, et que, s'il n'y eut pas de pétition matérielle, il y eut une sorte de pétition morale, une entente et une attente universelles. Sans cette préparation, comment le peuple rassemblé à Saint-Pierre aurait-il compris qu'il s'agissait de la dignité impériale, qui n'avait pas été conférée à Rome depuis trois siècles et qui, du reste, ne comportait pas alors la cérémonie du couronnement[170] ? Le privilège électoral des Romains fut si bien reconnu que seuls ils furent appelés à acclamer le chef des Francs, parce que seuls ils représentaient la race glorieuse qui, ayant conquis l'empire du monde, pouvait disposer librement de sa destinée[171].

Quant au pape, dont le rôle se trouve considérablement amoindri, il mit simplement la couronne sur la tête du roi, comme aurait fait à Constantinople le patriarche[172]. Sa place était marquée à la cérémonie, et, si elle apparut plus grande que celle du patriarche, c'est que l'évêque de Rome possédait en Occident une autorité morale bien supérieure à celle dont jouissait en Orient le personnage qui se disait son égal et qui n'était, après tout, qu'un fonctionnaire du palais impérial. Pas un instant Léon III ne supposa que ce fût en vertu de sa seule puissance pontificale que Charles devint empereur[173], et les pensées ambitieuses étaient si loin de son esprit qu'il voulut le premier rendre au prince les honneurs qui lui étaient dus par tous les citoyens, en l'adorant, c'est-à-dire en se prosternant trois fois devant lui, suivant la coutume inaugurée par Dioclétien[174]. Pas un instant non plus les contemporains n'eurent l'idée que l'intervention du pape fût révolutionnaire, mais tous la considérèrent comme indispensable. Il n'y a pour s'en convaincre qu'à lire la correspondance et les poésies d'Alcuin au moment où il prépare l'empire, et à voir avec quel soin l'auteur réunit toujours les noms de Léon et de Charles, l'un l'honneur de l'Église, l'autre le père de la Patrie, conseille et ménage la bonne intelligence entre eux. Alcuin en sait long sur les accusations portées contre Léon III par ses ennemis, et qui ne sont pas toutes dénuées de fondement : mais il ne veut se souvenir de rien. Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre ! dit-il, et il brûle les lettres qu'il a reçues et qui sont compromettantes pour le pape ; il recommande au roi de l'absoudre à tout prix, et pour son compte il ne cesse de l'honorer[175]. C'est qu'il ne faut pas que cette malencontreuse révolte des Romains compromette l'union féconde d'où sortira l'empire : il faut au contraire que Charles en profite pour gagner Léon par la modération et le lier par la reconnaissance. Et, en somme, tout se passe ainsi qu'Alcuin l'a souhaité : le roi, juge établi et reconnu par tous, pouvant user rigoureusement de son autorité, après une enquête peu favorable, se récuse et pardonne : deux jours après, le pape reconnaissant lui donne l'empire et lui permet de revenir en France les mains pleines de lauriers[176].

Ceux-là se sont donc trompés, qui ont vu dans l'évènement de l'an 800 une fantaisie pontificale, flatteuse, si l'on veut, pour l'amour-propre de Charlemagne. et surtout profitable au Saint-Siège, une conception cléricale imposée aux papes par les embarras de leur position personnelle et le double danger qui les menaçait du côté des Alpes et du Bosphore[177]. Ce système, dans lequel le mécontentement de Charles rapporté par Eginhard devient un premier conflit entre le sacerdoce et l'Empire, a été imaginé par des historiens qui, au lieu de regarder les faits et de les éclairer à l'aide des textes des années antérieures, où ils auraient vu la résistance opiniâtre de la papauté aux prétentions du roi des Francs, ont cherché un enseignement dans l'histoire de l'Empire germanique. Ils ont demandé au XIe siècle de leur faire connaître l'esprit du IXe ; ils se sont trompés, et toute l'étude des rapports des Carolingiens avec la papauté s'est trouvée faussée. Leur erreur a été du même genre que celle des historiens qui ont cru que la papauté avait enlevé l'Empire aux Grecs pour le transférer aux Francs[178]. La théorie de la translation n'a fait son apparition que plus tard. On n'en trouve aucune trace chez les contemporains. Elle est née au moment où l'on a oublié l'attitude véritable des papes du ville siècle et même du IXe à l'égard des empereurs grecs : Hadrien se rapprochant d'Irène au concile de Nicée, au risque de se brouiller avec Charles, ses successeurs honorant les empereurs des mêmes formules respectueuses et travaillant sans relâche à faciliter, par leur modération, le rétablissement de l'unité religieuse[179].

Léon III n'a pas plus pensé à mettre la main sur le nouvel empereur et le nouvel empire, ce qui eût été folie, qu'à se brouiller avec l'Empire d'Orient. Il ne s'est décidé qu'au dernier moment, sur les instances des Romains et de tout le peuple qui le pressaient d'agir au double titre de représentant de Dieu sur la terre et de premier citoyen de Rome — decus Romanœ gentis —, et, s'il n'a pas opposé à ce dernier progrès de la puissance franque la même résistance qu'Hadrien, c'est qu'il avait envers Charles des obligations personnelles que son prédécesseur n'avait jamais eues[180]. Empereur établi par tous — ab omnibus constitutus —, tel a été Charlemagne[181]. En siècle avant 800, les habitants de Rome, atteints dans leurs croyances par les hérésies byzantines, frappés dans leur sécurité matérielle par les Lombards, avaient menacé de se faire justice. Vaine menace qu'ils étaient incapables de réaliser ! Depuis cette époque l'état des choses avait changé : la ville avait été délivrée de ses ennemis : la population s'était accrue par l'arrivée de nombreux colons étrangers les Francs et les Saxons s'étaient joints aux Romains pour les protéger et les sauver : ainsi toute la Société chrétienne d'Occident se trouva réunie pour consommer l'œuvre de trois siècles et donner à l'Empire de Charlemagne la base la plus large et la plus populaire qui fût jamais.

 

 

 



[1] GREG. MAGN., Epist. XI, 76. XIII, 12. Les sages prescriptions de Grégoire le Grand furent suivies à la lettre par Augustin et ses compagnons envoyés pour répandre la prédication parmi les Angles, L. P. Gregorius I, 3. — Cf. PINGAUD, La Politique de Saint Grégoire le Grand, p. 235 sq., et LAVISSE, L'Entrée en scène de la papauté (Revue des Deux-Mondes, 15 déc. 1886, p. 864-870).

[2] Ainsi s'exprime l'auteur de la Vie de Saint Boniface, le prêtre Willibahl, qui composa son œuvre du vivant même de Pépin et peu de temps après la mort de l'apôtre de la Germanie (Vita Bonifatii, 29-30. SS. II, p. 346-347).

[3] Lettre de Lull à l'archevêque d'York (BONIFATII, Epist., 125).

[4] LUIDGER, Vita S. Gregorii abbatis, 9 (MIGNE, P. L., t. XCIX, col.. 758).

[5] BORETIUS, Cap., p. 44.

[6] BŒHMER-MÜHLB., Reg. 146 a e.

[7] Sur ces événements, voir Codex carol., 17 et L. P. Stephanus III, 28-32. Une entente entre le roi lombard et l'empereur grec contre l'État de Saint-Pierre avait même été sur le point de se réaliser, et deux armées, commandées l'une par Didier, l'autre par un patrice impérial, avaient dû reprendre Ravenne (Codex carol., 17, 20, 38), mais ce projet, qui épouvanta fort Paul Ier, parait avoir été abandonné, et il n'en est plus question après l'avènement d'Étienne III.

[8] MÜHLBACHER a rassemblé les textes relatifs à cette union (Reg. 156 a). Sur l'action politique de la reine Bertrade, voir S. ABEL, Iahrb, d. fr. Reiches unter Karl dem Grossen, t. I, p. 77 sq., et HAUCK, Kircheng. Deutschlands, t. p. 74 sq.

[9] Codex carol., 45. — HÉFÉLÉ, Hist. des Conciles, t. V, p. 19-20, estime que l'authenticité de cette lettre, dont le style est assez peu conforme aux usages de la diplomatique et de la chancellerie romaines et qui se fait en outre remarquer par d'autres étrangetés, n'est pas à l'abri de tout soupçon. Il me parait difficile de la rejeter, pour ce seul motif. — S. ABEL, Iahrb. d. fr. Reiches unter Karl. dem Grossen, t. I, p. 80 sq., HAUCK, t. II, p. 75, et KETTERER, Karl der Grosse und die Kirche, p. 21, emploient le document sans hésiter.

[10] Le mariage de Charles avec la fille de Didier eut lieu en 770, on ne sait au juste à quel moment (BŒHMER-MÜHLB., Reg. 136 a). Pour le divorce, voir Vita Adalhardi, 7 (SS. II, p. 525) et BŒHMER-MÜHLB., Reg. 139 b.

[11] L. P. Hadrianus I, 31. Ce témoignage est infirmé par celui d'Éginhard (Vita Karoli, 6), mais il est plus sûr de suivre le biographe pontifical, qui n'avait aucun intérêt à imaginer une opposition de la noblesse franque aux projets du roi ; au contraire. Le L. P. n'a-t-il pas dissimulé avec soin la résistance que les grands firent à Pépin lors de sa double expédition en Italie ? La Vie d'Hadrien (26-34) est d'ailleurs la meilleure source sur le voyage de Charlemagne, et c'est elle que nous suivrons.

[12] Notre récit est conforme à celui du L. P., tellement développé ici, tellement riche en détails précis, qu'il n'y a pas de doute que son auteur assista à l'entrée du roi des Francs. (L. P. Hadrianus I, 35-40). Les sources franques disent simplement que Charles alla à Rome. La narration de GREGOROVIUS (Geschichte der Stadt Rom in Mittelalter, t. II, p. 333 sq.) est bien faite, mais il ne semble pas que cet historien ait saisi toute la portée des événements qu'il raconte.

[13] L. P. Hadrianus I, 44. — La prise de Pavie a lieu en juin, et le 5 du même mois, dans un diplôme de l'abbaye de Robbio, Charles s'intitule déjà rex Francorum et Langobardorum (BŒHMER-MÜHLB., Reg. n. 161). Tandis que Didier est emmené en France, son fils Adalgise se réfugie à Constantinople, mais des troubles éclatent après le départ de Charles, qui doit revenir en 776, et place les villes rebelles sous la surveillance directe et l'administration de fonctionnaires francs. (Ann. laur. majores 2, 774, 776. — S. ABEL, Iahrb. d. fr. Reiches unter Karl dem Grossen, t. I, p. 248 sq.).

[14] L. P. Hadrianus I, 5.

[15] L. P. Hadrianus I, 7-9. — Hadrien, qui devait se révéler un si fin diplomate. fut complètement trompé par Didier, et son erreur faillit avoir pour lui les plus graves conséquences. En effet, les Lombards se jetèrent sur l'exarchat et mirent le siège devant Ravenne. Le roi pensait que les divisions, qui régnaient parmi les Francs à la suite de la mort de Carloman empêcheraient qu'ils n'intervinssent de nouveau, et Paul Afiarta promettait de lui amener le pape funem in pedibus. Ainsi échoua ce que M. Lavisse appelle la politique d'alliance et d'amour (La fondation de l'Empire germanique. Revue des Deux-Mondes, 15 mai 1888, p. 364).

[16] L. P. Hadrianus I, 15.

[17] L. P. Hadrianus I, 22. Cf. Ann. laur. maj. 2, a. 773.

[18] L. P. Hadrianus I, 35.

[19] L. P. Hadrianus I, 39.

[20] L. P. Hadrianus I, 42-43.

[21] Codex Carol., 10.

[22] Codex carol., 9, 13, par exemple. Et, en dehors des lettres directement adressées par les Romains aux rois francs, il y a celles d'Étienne II et de Paul Ier à Pépin, où les papes disent à celui-ci tout le respect et toute l'affection que les habitants de Rome ont pour lui, tous les vœux qu'ils forment pour sa prospérité et son salut (Codex carol., 24. Ibid. 22, 37). Il résulte de la lettre 9 du Codex carol. que Pépin, de son côté, écrivait sans intermédiaires aux Romains et leur donnait de sages conseils sur la manière de se comporter à l'égard du Saint-Siège.

[23] Il était né le 2 avril 742 (BŒHMER-MÜHLB., Reg., 127 b).

[24] Voir le portrait qu'Éginhard a tracé de Charlemagne (EINHARD, Vita Karoli, 22).

[25] L. P. Hadrianus I, 38.

[26] L. P. Hadrianus I, 39.

[27] BÈDE, Vita quinque sanctorum abbatum, dans MIGNE, P. L., t. XCIV, col. 714. On va aussi en Italie pour voir le Mont-Cassin (Vita Adalhardi, 12. S. S. II, p. 525).

[28] Il est certain que le texte des Mirabilia urbis Romæ et de la Graphia, tel qu'il nous est parvenu, ne remonte pas à l'époque mérovingienne, ni même carolingienne, comme OZANAM l'avait cru. Les travaux de DE ROSSI et de JORDAN ont démontré que cette rédaction se place entre le Xe et le XIIIe siècle, en admettant d'ailleurs que les parties ont été écrites à des moments différents. Il n'en est pas moins vrai que les éléments dont sont composés les Mirabilia et la Graphia sont bien antérieurs, et qu'ils existaient dès le VIIIe siècle sous une forme plus abrégée, dont on trouve la trace dans les œuvres vraies ou fictives de BÈDE, en particulier dans le traité De Septem miraculis mundi, 1, et les Collectanea (MIGNE, P. L., t. XC, col. 961, t. XCIV, col. 543). Cf. GRAF, o. c., t. I, p. 59 sq.

[29] Les pèlerinages en Italie redoublèrent surtout à partir du milieu du VIIIe siècle, lorsque les nouvelles relations de Rome avec les pays francs eurent été établies (ŒLSNER, Iahrb. d. fr. Reich, unter König Pippin, p. 106). Saint Boniface, dans ses lettres, cite plusieurs pèlerins hommes et femmes, qui patria litora reliquerunt et æquoreis campis se crediderunt et sanctorum petivere apostolorum limina Petri et Pauli. (BONIFATII, Epist., 14, 8, 27). Paul Ier, écrit à Pépin qu'il a eu de ses nouvelles per diversos ex ipsis regionibus liminibus apostolorum advenientes peregrinos (Codex carol., 28). Éginhard parle également des pèlerins de race franque (Vita Karoli, 2), mais les Anglo-Saxons sont plus souvent nommés et paraissent avoir été les plus nombreux (BONIFATII, Epist., 1. — BÈDE, Hist. eccl., V, 19, 23 et Chronicon de sex hujus seculi ætatibus, dans MIGNE, P. L., t. XCV, col. 283, 285, t. XC, col. 571). GREGOROVIUS, t. II, p I78 sq., et GRAF, t. I, p. 50 sq., ont signalé l'intérêt de ces pèlerinages. Ils viennent d'être l'objet d'une bonne dissertation de ZETTINGER, Die Berichte über Rompilger aus dem Frankenreiche bis zum Iahre 800. Rom. Spithover, 112 pages. L'auteur, qui commence son livre un an avant l'avènement de Grégoire le Grand, distingue dans l'histoire des pèlerinages quatre périodes, dont chacune marque un progrès sur la précédente, et la dernière commence en 750.

[30] Carloman, le frère de Pépin, et Ratchis, le roi lombard, s'étant faits moines, se retirèrent ad limina beatorum apostolorum (FREDEG., Contin., 116. — L. P. Zacharias, 23).

[31] Sur les colonies d'étrangers à Rome, voir GREGOROVIUS, t. II, p. 402 sq., et DUCHESNE, L. P., t. II, p. 30, n. 7. La Schola Saxonum était la plus ancienne ; le vicus que les Saxons habitaient fut brûlé en 847 (L. P. Leo IV, 20).

[32] ALCUINI, Epist., 72, ad Karolum magnum. Cf. ALCUINI, Epitaphium Ælberthi (Poetæ lat., t. I, p. 206).

[33] JAFFÉ, Monumenta alcuiniona, p. 191. — ALCUINI, Vita S. Willihodi, 32 (Mon. alcuin, p. 61). — Voir encore ALCUINI, Carmina, 25 et PAULIN D'AQUILÉE, In natale sanctorum beati Petri et Pauli, 7 (Poet. latini, t. I, p. 245, 237).

[34] C'est ce qu'indique fort bien le petit poème de Urbe Roma, avec prologue en prose, qu'ou trouve à la suite des écrits attribués à Bède et qui peut remonter à cette époque. L'auteur, après avoir comparé la décadence de Rome à la prospérité grandissante de Constantinople, ajoute, s'adressant directement à la Ville :

Transit et imperium, mansitque superbia tecum.

Il dit encore : Roma, urbs Italia istius quondam orbis domina (MIGNE, P. L., t. XCIV, col. 636). De même on trouve dans les lettres de Saint Boniface : dominam quondam orbis Romani (BONIFATII, Epist. 14).

[35] THÉOPHANE, Chron., éd. de Borr, p. 348. — Le L. P. (Vitalianus, 2-4) raconte la réception qui fut faite à l'empereur, lorsqu'il vint à Rome, par le pape et les habitants.

[36] SAINT ÉLOI, 2e Homélie (MIGNE, P. L., t. LXXXVII, col. 602). L'authenticité des Homélies de Saint Éloi, que Hauck semble disposé à admettre (Kirchengeschichte Deutschlands, t. I, p. 238-211) est très discutable. Cependant, malgré les efforts de l'abbé VACANDARD pour prouver qu'elles sont une compilation qui ne saurait être antérieure au IXe siècle finissant ou même au commencement du Xe (Revue des questions historiques, avril 1898, p. 480), elles semblent bien remonter jusqu'au VIIIe siècle, et peut-être avant (v. les Remarques de D. PLAINE sur l'article de Vacandard, dans la Rev. des quest. hist., ann. 1899, t. I, p. 236-242).

[37] Vita Eligii, I, 33 (MIGNE, P. L., t. LXXXVII, col. 505). — ALCUINI, Carmina (Poetæ lat., t. I, p. 212). — THEODULPHII, Carmina, 78. (Poet. lat., t. I, p. 557). — PAUL DIACRE, Hist. langob., II, 16. — L. P. Zacharias, 18.

[38] Epist. carol., 1. Cf. ALCUINI, De clade Lindisfarnensis monasterii, vers 37 sq. (Poetæ latini, t. I, p. 230, 301).

[39] Lettre de Kathuulphe à Charles. Epist. carol., 1 ; L. P. Hadrianus I, 31; Ann. laur. maj. 1, 773 — En réalité, Didier avait fait, bien que sans succès, une tentative de résistance, que la mauvaise volonté et la trahison des siens empêchèrent d'aboutir. (Ann. laur. maj. 2, 773 ; ABEL, Iahrb. des fr. Reichs unter Karl dent Grossen, t. I, p. 142).

[40] Voir cette lettre très curieuse dans les Episl. carol., 1. Le passage relatif à Carloman, dont la disparition devient un évènement miraculeux, est surtout à noter. On ne sait pas exactement ce qui s'était passé entre les deux frères, mais il est certain que l'accord se maintenait difficilement entre eux (EINH., Vita Karoli, 3) et que la querelle n'était pas seulement personnelle, mais politique : les sentiments à l'égard du pape et de Didier n'étaient pas les mêmes des deux côtés (ABEL, Jahrb. d. fränk. Reichs unter Karl dem Grossen, t. I, p. 37, 99-97). En tout cas, le différend avait pris, surtout dans les derniers temps, un caractère assez accentué pour que la communauté de vues entre les deux parties de l'empire franc paraît détruite ; la mort qui atteignit prématurément Carloman au palais de Samoussy, dans sa vingtième année, le 4 décembre 771, rétablit d'une manière inespérée l'unité de la monarchie, et en ce sens Kathuulphe avait vu juste. (ABEL, t. I, p. 98-99).

[41] PAUL DIACRE, Gesta episcoporum mettensium, S. S. II, p. 265.

[42] Hist. Langobardorum eod. goth., 9. (M. G. H., Ser. rer. langob., p. 101).

[43] Lettre de Kathuulphe à Charles. Ep. carol., 1. PAUL DIACRE, Gesta episc. mettensium, S. S. II, p. 265. — EINH., Vita Karoli, 6.

[44] HAUCK, t. II, p. 84 sq. est d'avis que le roi avait au début l'intention de conserver avec les Romains et les papes les rapports que son père avait établis, mais il reconnaît qu'en fait ces rapports se modifièrent immédiatement, et Charles devint peu à peu souverain de Rome, comme da reste de l'Italie.

[45] Ainsi pense l'auteur des Ann. laur. maj. 2, 774. Selon lui, Charles alla à Rome orandi gracia et se retira peractis votis.

[46] Ce titre apparaît pour la première fois le 16 juillet 774 dans un diplôme rendu à Pavie en faveur de l'abbaye Saint-Martin de Tours. Dès lors, Charles compte par les années de sa domination en Italie (BŒHMER-MÜHLBACHER, Reg. n° 161 et 163).

[47] L. P. Hadrianus I, 35.

[48] Ann. laur. majores 1-2, a. 781 et 787. — Codex carol., 65, 78.

[49] DÖLLINGER, Das Kaiserthum Karls des Grossen, p. 335.

[50] Lettre de l'abbé Eanwulf à Charles pour l'exhorter à propager la foi chrétienne. BONIFATII, Epist. 120. 25 mai 773. En dehors de la fameuse lettre à Offa de Mercie, où il l'appelle son frère et le félicite de la sincérité de sa foi (Epist. Carol., 11). Charles écrit encore à l'archevêque de Canterbury (Epist. Carol., 8), à Théodemar, abbé du Mont-Cassin (Epist. Carol., 12). Celui-ci félicite le roi de ses victoires sur ses ennemis, et lui transmet la règle de Saint Benoit qui lui a été demandée. — Offa aurait même conseillé de déposer Hadrien et de le remplacer par un pape franc, ce qui prouve qu'en Angleterre on considérait Charles comme le maitre de la situation. (Codex carol., 92).

[51] Libri carolini, I, 6. (MIGNE, P. L., t. XCVIII, col. 1030-1031).

[52] Epist. 2. — Les Ann. Laureshamenses, a. 795 et ÉGINHARD, Vita Karoli, 19, disent la douleur que Charles ressentit à la mort d'Hadrien, et dont rien ne permet de suspecter la sincérité.

[53] Codex carol., 51, 75, 94.

[54] EINH., Vita Karoli, 19. — Que le roi utilisât le pape selon les besoins de sa politique, la preuve la plus concluante est fournie par les deux voyages de Charlemagne à Rome en 781 et 787, où il ne s'agissait pas seulement de prières, comme semblent le dire les auteurs des Annales Laurissenses majores 1-2, mais de grosses questions politiques à trancher. Le roi voulait faire donner l'onction royale à ses fils, afin de leur assurer l'hérédité de ses États, et obtenir du pape qu'il rappelât Tassillon de Bavière au respect de la foi jurée. Hadrien fit tout ce qu'on lui demandait (ABEL, Iahrb., t. I, p. 376 sq., 572 ; BŒHMER-MÜHLB., Reg. 2264).

[55] Le texte, qui se trouve dans le L. P. Hadrianus I, 42, a été l'objet de controverses interminables, et, comme pour la donation de 734, il s'est trouvé des historiens pour rejeter le témoignage du biographe pontifical (MARTENS), d'autres pour l'admettre intégralement (DUCHESNE, L. P., t. I, p. CCXXXVI-CCXLIII). Qu'il y ait en une donation en 774, le fait n'est cependant guère discutable, on présence d'une affirmation aussi nette que celle du L. P. et de détails aussi précis que ceux qu'il donne.

[56] En effet, on trouve parmi les domaines concédés au Saint-Siège, les duchés de Spolète et de Bénévent. (L. P. Hadrianus I, 42), Or ceux-ci n'étaient pas compris dans la donation de Pépin (Codex carol., 11).

[57] Le titre exact est : Pactum sive promissio facta per Pippinum patricium Stephano secundo pontifici. Sa fausseté bien établie par ŒLSNER (Iahr. Reichs unter König Pippin, p. 497-500) est unanimement reconnue.

[58] On est d'accord aujourd'hui pour placer la fausse donation de Constantin vingt-cinq ans environ avant 800. Il n'est, pas douteux qu'Hadrien y fasse allusion dans la lettre du mois de mai 778, où il invite Charles à imiter Constantin en faisant de nouvelles libéralités l'Église romaine. (Codex carol., 60. — BAYET, La fausse donation de Constantin, Lyon, 1884. — DUCHESNE, Les premiers temps de l'État pontifical, p. 90). Voir le texte de la Musse donation dans les Decretales pseudo — Isidorianæ, éd. Hinschius.

[59] Ces conclusions sont celles de DUCHESNE (L. P., Introd., t. I. p. CCXLI). Elles se recommandent par leur logique et leur modération, et leur auteur les a récemment reprises et fortifiées dans son étude sur Les premiers temps de l'État pontifical. — GUNDLACH, Die Entstchung des Kirchenstaates und der curiate Begriff respublica Romanorum, Breslau, 1899, a montré de son côté l'opposition faite par Charlemagne à la constitution d'un État pontifical trop indépendant.

[60] Codex carol. Epist., 49 sq.

[61] Poetæ lat., t. I, p. 90. — L'autre poème, donné par DE ROSSI (Inscr. christ., t. II, p. 146) et qui passe pour avoir été gravé sur une couronne d'or placée au-dessus de l'autel de Saint Pierre, ne renferme qu'un mot important, le mot patriciatum, mais il est interpolé.

[62] Codex carol., 60.

[63] Codex carol., 60, 68.

[64] Chronographie, p. 434. Cf. SCHWABZLOSE, Der Bilderstreit, p. 65 sq.

[65] Les deux lettres d'Hadrien à Tarasius et aux empereurs byzantins sont du 26 octobre 785, et l'allusion à la fausse donation de Constantin y est très nette. On les trouvera dans MIGNE, P. L., t. XCVI, col. 121G sq. Toutefois Migne, qui reproduisait le texte de MANSI (t. XII, p. 1077), ignorait la seconde partie et la plus intéressante de la lettre à Tarasius elle a été découverte dans la collection des lettres des papes du musée britannique et reproduite par JAFFÉ (Reg. pont. rom. n° 2419).

[66] BAYET, La Fausse donation de Constantin, p, 35. Cf. GASQUET, L'Empire byzantin et la monarchie franque, p. 283.

[67] Codex carol., 83, 85, 94.

[68] L'archevêque de Ravenne, Léon, qui cependant devait son siège à la papauté (L. P. Stephanus III, 36 ; Codex carol., 85), prétendait mettre la main sur la Pentapole, et il soutenait que Charles lui avait donné Bologne, Imola, et plusieurs autres villes. Hadrien s'adressa au roi des Francs pour obtenir justice. (Codex carol., 49, 53-55 ; ABEL, Iahrb. d. fr. Reichs unter Karl dem Grossen, t. I, p. 238-279). De même il invoqua son autorité contre les évêques qui ein-i piétaient sur les limites des diocèses voisins (Codex carol., 93), et lui demanda d'envoyer des dues dans certaines parties de l'Italie pour rétablir la puissance épiscopale compromise (Codex carol., 63, 64). — Voir à ce sujet de bonnes pages dans DÖLLINGER, p. 333-334, et KETTERER, Karl der Grosse und die Kirche, p. 44-58.

[69] Codex carol., 45, lettre d'Étienne III à Pépin.

[70] On trouve cette déclaration sans cesse répétée dans le Codex carolinus, à commencer par la lettre 2 écrite par Grégoire III à Charles Martel. Cf. les lettres 8, d'Étienne II, 12, 13, 19, de Paul Ier et des Romains. — Nostro, post Deum, liberatori, dit Paul Ier à Pépin. Te enim, post Deum, noster es defensor et auxiliator, disent les Romains.

[71] Codex carol., 8.

[72] Codex carol., 43. Ibid., 55. — Sur l'envoi de douze évêques par Pépin au concile du Latran de 769, qui proclama légitime le culte des images, voir L. P. Stephanus III, 23 ; MANSI, t. XII, col. 713 sq. DUCHESNE, Bulletin de la Société des Antiquaires de France, 1885, p. 106 sq. Étienne III avait demandé que ces évêques fussent choisis gnaros et in omnibus diversis Seripturis atque sanctorum canonum institutionibus eruditos ac peritissimos.

[73] Codex carol., 11. Dès sa seconde lettre à Charles Martel, Grégoire III promet aux princes francs comme récompense de leurs services la célébrité parmi les nations (Codex carol., 2, Ibid. 8). Paul Ier affirme que cette célébrité est acquise (Codex carol., 15). — Codex carol., 50, Ibid., 39, 61.

[74] Ce souhait apparaît constamment dans les lettres des papes aux rois francs, depuis le pontificat de Paul Ier (Codex carol., 17, 24, 50, 53, 35, 57, 62). La formule est à peu près la même partout.

[75] L'usage de dater d'après les années des empereurs remontait au milieu du VIe siècle (DE MAS-LATRIE, Les éléments de la diplomatique pontificale au Moyen-âge. Rev. des quest. hist., 1887, t. I, p. 415).

[76] L. P. Paulus I, 2.

[77] Epist. viennenses, 17. Cette lettre est du 1er janvier 775. Vers 781, Hadrien Ier adopte pour ses bulles l'année de son pontificat comme date (DE MAS-LATRIE, art. cité, p. 423 ; JAFFÉ, Reg., t. I, p. 289).

[78] JAFFÉ, Reg., n° 2225.

[79] L. P. Paulus I, 2. — Codex carol., 12.

[80] Codex carol., 97-98. — Paul Ier était mort à Saint-Paul hors les murs, où il avait cherché un refuge à l'abri des ardeurs de l'été. Il laissait ainsi le champ libre à l'aristocratie romaine, qui en profita pour faire l'élection de Constantin. Ce fut le premier exemple d'une usurpation de pouvoir, qui devait se reproduire maintes fois dans la suite. (HAUCK, Kircheng. Deutschlands, t. II, p. 69; L. P. Stephanus III, 2-4).

[81] L. P. Stephanus III, 16. Ce légat avait pour mission de solliciter l'assistance des évêques francs au concile de 769.

[82] Pour le détail de ces évènements, voir le Liber pontificalis, qui est la principale source. BAYET, Les Élections pontificales sous les Carolingiens, et HAUCK, Kirchengeschichte Deutschlands, t. II, p. 67-115. Sur l'avènement d'Hadrien, consulter le L. P., Hadrianus I, 4.

[83] Codex carol., 92.

[84] Codex carol., 63, 64, lettres d'Hadrien à Charles. Déjà auparavant Paul Ier avait attaqué en ternies véhéments les croyances hérétiques des Grecs, auxquelles il opposait l'orthodoxie de Pépin (Codex carol., 32. Ibid., 30).

[85] Codex carol., 72. — Ibid., 60.

[86] Kathuulphe lui écrit que Dieu l'a élevé in honorem glorie regni Europe (Epist. Carol., 1). — Nomine reddis avum, lui dit Théodulphe dans un de ses poèmes (Poetæ lat., t. I, p. 434, vers 29), évoquant le souvenir de Charles Martel, resté si populaire pour avoir refoulé les Sarrasins (voir en particulier Paul DIACRE, Gesta episc. mettensium, SS. II, 260).

[87] EINH., Vita Karoli, 15.

[88] Ann. Laureshamenses, SS. I, p. 38. — Le texte de la Vita Karoli, 15, où Éginhard décrit géographiquement les États de Charlemagne, peut fort bien se placer ici, les grandes conquêtes étant antérieures à 8m, et la période qui suit l'Empire ayant été plutôt une période de travail législatif et de négociations diplomatiques (WAITZ, Deutsche Verfass, t. III, p. 100-183 ; ABEL, Iahrb., t. I, p. 270 sq. ; MÜHLBACHER, Deutsche Gesch. unter den Karolingern, p. 260 sq).

[89] EINH., Vita Karoli, 16. Cf. WAITZ, Deutsche Verfass., t. III, p. 177 sq.

[90] Le caractère religieux de la conquête de la Saxe, établi par tous les témoignages, n'est plus à démontrer. Voir cependant un poème d'ANGILBERT, de l'année 777, sur la conversion des Saxons (Poet. lat., t. I, p. 380-381), les articles 1-10 de la Capitulatio de partibus Saxoniæ (BORETIUS, Cap., p. 68-69), et le texte très intéressant de la vie de Saint Sturm (Vita Sturmi, 22. SS. II, p. 376).

[91] EINH., Vita Karoli, 15. — Ann. Laureshamenses, SS. I, p. 38. — Hist. Langob. cod. goth., 9 (Ser. rer. long, p. 10). PAULIN D'AQUILÉE parle des diversas provincias regni ejus ditioni subjectas (Libellus sacrosyllabus contra Elipandum, dans MIGNE, P. L., t. XCIX, col. 153).

[92] Codex carol., 76.

[93] ALCUIN, De clade lindisfarnensis monasterii, vers 63 sq. (Poet. lat., t. I, p. 230). Cf. la lutte poétique entre Paul Diacre et Pierre de Pise, à propos de l'union projetée entre Rothrude, la fille de Charles, et l'empereur byzantin, Poet. lat., t. I, p. 50.

[94] THEODULFI, Carmina. Ad Carolum regem (Poetæ latini, t. I, p. 483-484). Cf. ALCUINI, Epist., 99, 107, 112, 113, lettres à Charlemagne, Arno de Salzbourg et Paulin, à propos de la conversion des Huns et des Avares.

[95] Lettre de Kathuulphe. Epist. carol., 1.

[96] PAULIN D'AQUILÉE, Lettre-préface des Trois Livres contre Félix d'Urgel. (MIGNE, P. L., t. XCIX, col. 343). — Préface de Paul DIACRE aux Extraits de Pompeius Festus (Ser. rer. long. p. 20). — Tous les diplômes de Charlemagne antérieurs à 800, où il figure avec le titre impérial, sont faux ou interpolés (WAITZ, Deutsche Verfass, t. III, p. 188, n. 2).

[97] ALCUINI, Epistolæ, 120. Le début du Libellus sacrosyllabus contra Elipandum, rédigé en 794, est significatif (MIGNE, P. L., t. XCIX, col. 153). Il est question ensuite des sacra præcepta de Charles et de l'aula sacri palatii. Voir aussi ANGILBERT, Ecloga ad Karolum regem, Poet. lat., t. I, p. 382. — De même les papes parlent à Charles de ses nectareos suavissimosque præcelsos regales apices ou de ses nectareas mellifinasque syllabas, comme s'ils s'adressaient à des empereurs. (Codex carol., 70, 83, 84, 92).

[98] ALCUIN, De clade lindisfarnensis monasterii. (Poetæ lat., t. I, p. 229-230). Lindisfar s'appelle aujourd'hui Holy-Island. Cf. ALCUINI, Epist., 16.

[99] Chron. Moissac, S. S. I, p. 305. Cette idée, que Rome était le siège naturel de l'Empire, n'avait jamais entièrement disparu. PROCOPE raconte qu'un parti parmi les Goths projeta un moment de taire Bélisaire empereur d'Occident. (De bello goth., II, 29). L'exarque Eleutherius envoyé en Italie par Héraclius, après avoir usurpé la pourpre et la couronne, se mit en route pour Rome, ubi imperii solium maneret. (Anonymus Vales., 23).

[100] PROCOPE, De bello goth., I, 1.

[101] C'est ce que disent très nettement l'auteur des Annales Laureshamenses et celui de l'Historia Langobardorum eod. goth.

[102] THÉOPHANE, Chron., éd. de Boor, p. 455. — Les fiançailles auraient eu lieu à Rome, lors du séjour que Charles fit dans cette ville en 781. (BŒHMER-MÜHLB., Reg. 276 ; ABEL., Iahrb. d. fr. Reichs unter Karl. dem Grossen, t. I, p. 384). Rothrude était la fille aînée du roi des Francs. (EINH., Vita Karoli, 19).

[103] THÉOPHANE, Chron., p. 463 ; Ann. laur. majores 2, a. 786-787. Cf. ABEL, Iahrb. d. fr. Reichs unter Karl dem Grossen, t. I, p. 568-569. — La rupture du mariage fut dénoncée à Charlemagne par les ambassadeurs grecs qu'il reçut à Capoue, pendant son séjour dans l'Italie du Sud en :87. Sans doute les écrivains francs disent que cc fut le roi qui refusa de donner sa fille à Constantin (Ann. laur. maj. 2, a. 788), mais les intrigues d'Irène à Constantinople, qu'un semblable projet contrariait, paraissent plutôt donner raison aux historiens byzantins.

[104] Ce caractère est bien souligné par HÉFÉLÉ, t. V, p. 123 sq. — Voir le texte des Livres carolins, dans MIGNE, P. L., t. XCVIII, col. 999-1248.

[105] Libri carolini, I, I, 3-4. IV, 20. III, 13.

[106] Libri carolini. Præfatio (MIGNE, P. L., t. XCVIII, col. 1002). Le ton de ce prologue est particulièrement agressif vis-à-vis des Grecs.

[107] GASQUET, L'Empire byzantin et la monarchie franque, p. 267. — L'impératrice rencontrait en effet à Constantinople, dans les rangs de l'armée et du haut clergé, une opposition violente à ses desseins, Quand elle voulut réunir pour la première fois dans l'église des Saints-Apôtres le concile destiné à l'établir les images, les soldats de la garde impériale excités par quelques évêques iconoclastes envahirent la réunion, et les légats du pupe ainsi que les membres du concile craignant pour leur vie se retirèrent (HÉFÉLÉ, t. IV, p. 346-348).

[108] Ann. laureshamenses (S. S. I, p. 38).

[109] THÉOPHANE, Chron., p. 469-472. — ZONARAS, p. 733-735 (éd. de Bonn.).

[110] ALCUINI, Epist., 174. Cf. Ann. laur. maj. 2, a. 798.

[111] Ann. lauresham., SS. I, p. 38. Cf. OTTO HARNACK, Das Karolingische und das byzantinische Reich in ihren wechselseitigen politischen Bezichungen, p. 41.

[112] JAFFÉ, Reg. 2491.

[113] L. P. Leo III, 1. Cf. DUCHESNE, Les premiers temps de l'État pontifical, p. 82.

[114] Ann. laur. maj. 2, a. 796. — La valeur des Annales laurissenses majores 2 pour cette période est très grande, si l'on admet avec M. MONOD (Sources de l'histoire carolingienne, p. 118 et suivantes) qu'elles ont pour auteur, de 796 jusqu'à la fin de l'année 800, Angilbert, le missus qui fut envoyé à Rome par Charlemagne après la mort d'Hadrien, afin de porter les instructions du roi au nouveau pape.

[115] Epist. carolinœ, 10. — Ann. laur. maj. 2, 796. Ces textes semblent très affirmatifs, cependant l'Abbé DUCHESNE les juge obscurs et se demande si la promesse de fidélité devait être faite au pape ou au roi (Les premiers temps de l'État pontifical, p. 82). GREGOROVIUS, o. c., t. II, p. 436, ne doute pas que le serment du peuple romain fût destiné à Charles ; de même HAUCK, t. II, p. 94.

[116] La mosaïque du Triclinium est décrite longuement par GREGOROVIUS, o. c., t. II, p. 446-449. Cf. MÜNTZ, Revue archéologique, janvier 1884. — On l'a placée quelquefois après l'évènement de l'an 800, comme destinée à en immortaliser le souvenir (OZANAM, p. 358-359). Il y a aujourd'hui unanimité pour la mettre entre 796 et 799, comme une sorte d'illustration au texte des Annales laur. maj. 2, a. 796 (GREGOROVIUS, o. c., t. II, p. 430 ; BAYET, L'Élection de Léon III et la révolte des Romains, p. 181 ; DUCHESNE, Les premiers temps de l'État pontifical, p. 83). Il existait également à l'église Sainte-Suzanne une mitre mosaïque figurant la double image de Léon III et de Charlemagne, qui a été détruite, et que l'on ne connaît plus que par des dessins (GREGOROVIUS, o. c., t. II, p. 445. n. 1). De la mosaïque du Triclinium il reste une copie, exécutée par ordre de Benoît XIV et placée encore à Saint-Jean de Latran, main sur un côté extérieur du Sancta Sanctorum.

[117] Epist. carol., 10. — DÖLLINGER, o. c., p. 320.

[118] Epist. carol., 9. Angilbert était mieux désigné que tout autre pour mener à bien l'entreprise dont il avait été chargé, ayant déjà rempli une mission de confiance auprès d'Hadrien deux ans auparavant (ALCUINI, Epist., 27).

[119] Epist. carol., 10.

[120] Epist. carol., 10.

[121] L. P. Leo III, 11-15 ; Ann. laur. maj. 2, 799 ; Poème attribué a ANGILBERT, vers 325-536. (Poet. Lat., t. I, p. 366-379). — Pour les contradictions, sans grande importance d'ailleurs, qui existent entre ces trois sources, voir BŒHMER-MÜHLB., Reg. n° 339-341.

[122] Poème attribué à ANGILBERT, vers 426 sq.

[123] L. P. Leo III, 16 ; Ann. laur. maj. 2, 799. — Le poème d'Angilbert, dont la fin a été perdue, s'arrête malheureusement au récit de l'entrevue de Paderborn, après la description des honneurs rendus au pape (vers 426 sq.) et qui sont le commentaire naturel du valde honorifice... susceptus est des Annales laurissenses. — Il y a une bonne narration, très documentée en notes, de la rencontre de Charlemagne et de Léon III, dans ABEL., Iahrb. d. fr. Reiches unter Karl dent Grossen, t. II, p. 178 sq.

[124] L. P. Leo III, 17.

[125] Plebs demens populusque vecors, male sana juventus. Poème attribué à ANGILBERT, vers 358. Cf. BAYET, Léon III et la révolte des Romains. On y voit qu'il ne s'agissait pas d'un simple guet-apens, mais d'une véritable révolution.

[126] Le roi était alors en pleine guerre (ABEL. Iahrb. d. fr. Reiches unter Karl dem Grossen, t. II, p. 177-178). En lisant les Annales laurissenses, on a l'impression que Charles se tint, vis-à-vis du pape, sur la plus grande réserve, et qu'il n'était nullement décidé au début à se prononcer en sa faveur (Ann. laur. maj. 2, 799-800 ; HAUCK, t. II, p. 96). Cependant il ne faudrait pas croire que Léon III, dans son désir de gagner le roi à sa cause, lui promit l'Empire s'il s'engageait à le défendre contre ses ennemis. Personne n'admet plus le témoignage de Jean Diacre, le seul qui soit affirmatif sur ce point (JOHANNIS, Gesta episc. neapolitanorum, 48. M. G. H. Scr, rer. ital., p. 428). Jean Diacre en effet est postérieur d'un siècle, et tellement mal renseigné sur ces faits qu'il croit que Charlemagne vint en Italie avec une grande armée et conquit Rome (WAITZ, Deutsche Verfass., t. III, p. 194 et n. 2 ; DAHN, Die Könige der Germanie, t. VIII, fasc. 6, p. 236-237).

[127] L. P. Leo III, 18-19.

[128] L. P. Leo III, 19 : JAFFÉ, Reg. 2502.

[129] Voir ÉBERT, Histoire de la littérature du Moyen-Age en Occident, t. II, Introduction, et p. 17-128.

[130] FUSTEL DE COULANGES, Les Transformations de la royauté pendant l'époque carolingienne, p. 347 sq.

[131] C'est ce qui résulte de la correspondance d'Alcuin, et en particulier des lettres 146 et 184 échangées avec Arno de Salzbourg.

[132] La correspondance d'ALCUIN a été éditée à plusieurs reprises, notamment dans la Patrologie latine de MIGNE, t. C, dans les Monumenta Alcuiniana (et JAFFÉ, prœparata, edid. WATTENBACH et DÜMMLER), et, en dernier lieu, par DÜMMLER au t. II des Epistolœ œvi carolini. C'est de l'édition de Dümmler que nous nous sommes servis. — Alcuin a été aussi l'objet de plusieurs monographies intéressantes, parmi lesquelles nous citerons : DÜMMLER, Allgemeine Deutsche Biographie, t. I ; FRANCIS MONNIER, Alcuin, 1853 ; HAMELIN, Alcuin, 1873. — ÉBERT, o. c., t. II, p. 17-43, lui a consacré quelques bonnes pages.

[133] ÉBERT, t. II, p. 18.

[134] Voir au tome CI de la P. L. de MIGNE, les études grammaticales et autres d'Alcuin.

[135] Charlemagne rencontra Alcuin pour la première fois en 772, puis le retrouva à Parme en 780, et c'est alors qu'il lui donna une place à sa cour (HAMELIN, p. 32 ; ÉBERT, t. II, p. 18).

[136] EINH.. Vita Karoli, 25.

[137] Voir la lettre d'Alcuin aux habitants d'York, où il leur explique pourquoi il reste en France (ALCUINI, Epist., 43, a. 795). Du contexte, il résulte qu'Alcuin s'occupait de la conversion de la Saxe.

[138] HAMELIN, o. c., p. 63-64. — Alcuin était né en 735 (MONNIER, p. 5 ; HAMELIN, p. 9 ; ÉBERT, t. II, p. 18).

[139] ALCUINI, Epist. 25, 27, 94, 97. La situation très en vue d'Angilbert à la cour, pendant les cinq dernières années du huitième siècle, a été dépeinte très exactement par MONOD, Sources de l'histoire carolingienne, p. 120-123.

[140] ÉBERT, o. c., t. II, p. 102.

[141] ALCUINI, Epist., 28. Cf. Ibid., lettres 86, 95, 96, 99.

[142] ALCUINI, Epist. 10. Ibid., 59, 107, 112, 113, etc. La correspondance d'Alcuin avec Arno compte une quarantaine de lettres.

[143] ALCUINI, Epist. 177. Cf. L. P. Leo III, 19.

[144] ALCUINI, Epist., 146, 159.

[145] ALCUINI, Epist. 174.

[146] Ann. laur. maj. 1, S. S. I, p. 186. — ALCUINI, Epist., 207.

[147] ALCUINI, Epist., 178.

[148] ALCUINI, Epist., 177, 202. Ces deux lettres sont adressées à Charles. Écrivant à Arno en oct.-nov. 799 pour lui annoncer la mort d'Éric, duc de Frioul, et de Gérald, préfet de Bavière. Alcuin conclut : Ecce quomodo recesserunt subito viri fortissimi, qui terminus custodierunt, etiam et dilalaverunt Christiani imperii (ALCUINI, Epist., 185). Ailleurs, il dit au roi : Parce populo tuo christiano (Epist. 178). On pourrait citer encore d'autres exemples ; ceux-là sont les plus caractéristiques.

[149] Les lettres 179, 184, 185, 186, 193, 207, de la correspondance d'Alcuin, sont pleines des conseils que celui-ci envoie à Arno. La lettre 179, qui peut être considérée comme une sorte de programme, est antérieure au départ de l'archevêque de Salzbourg pour Rome ; les autres lui ont été adressées pendant son séjour dans la Ville éternelle. D'ailleurs Angilbert, Arno, Paulin, Alcuin et Théodulphe, l'évêque d'Orléans, tous sont amis, tous s'écrivent (ALCUINI, Epist., 146, 147, 150-153, 156-159, 165, 167, 169, 192-193).

[150] Poetæ latini, t. I, p. 307-308, vers 27-29, 64, 86-87, 91-93. Tout le début du poème, jusqu'au vers 320, est consacré à la gloire de Charles et à la splendeur de sa famille. L'œuvre est certainement antérieure au 23 décembre 800, car non seulement Charles y est toujours appelé roi, mais il est question au vers 184 de la belle Liutgarde ; or la reine mourut le 4 juin 800. ÉBERT, t. II, p. 71 se trompe donc en reculant la date jusqu'en 801.

[151] Ad Carolum regem, vers 61-64, 79-80 (Poetæ latini, t. I, p. 257-258). Voir encore Poetæ latini, t. I, p. 523-54, deux autres poèmes, de Théodulphe a Charles, avant le couronnement impérial, également très significatifs.

[152] PAULIN D'AQUILÉE, Libellas sacrosyllabus contra Elipandum, MIGNE, P. L., t. XCIX, col. 153. L'assemblée fut tenues in aula sacri palatii, et l'objet de la réunion communiqué aux assistants jubente rege. — Les Livres carolins débutent de la manière suivante : Incipit opus Caroli nuta Dei régis Francorum, Gallias, Germaniam Italiumque regentis (MIGNE, P. L., t. XCVIII, col. 999).

[153] C'est la doctrine de MONNIER (Alcuin, p. 218-219) et celle de DÖLLINGER (p. 336-340). Monnier présente la lettre d'Alcuin sur les trois pouvoirs comme une réponse à une consultation de Charles qui trouvait son pouvoir à Rome trop flottant, et Döllinger croit qu'à Francfort le roi voulut se substituer à un empereur déclaré hérétique, et qui par suite, dans les idées du temps, devenait indigne de régner. Cette dernière opinion semble être aussi celle d'HARNACK. Das Karolingische und das byzantinische Reich, p. 35. Rien ne la justifie, et quant à Monnier, il se trompe manifestement, puisqu'Alcuin se demande au début de sa lettre s'il osera donner des conseils au roi.

[154] HARNACK, o. c., p. 8-9, raconte ces intrigues, qui commencèrent en 774, quand le fils de Didier se réfugia à Constantinople, et qui duraient encore vingt ans après.

[155] Ann. laur. maj. 2, a. 800. — BŒHMER-MÜHLB., Reg. 360.

[156] L. P. Leo III, 21-22. — Le texte du serment prêté par le pape a été publié, d'après un manuscrit du IXe siècle de la bibliothèque de Würtzbourg. On le trouvera dans JAFFÉ, Monumenta Carolina, p. 38-39, dans PERTZ, LL., t. II, p. 15, ou dans les M. G. H., Epistolarum tomus, V, p. 63-64.

[157] Le couronnement impérial de Charlemagne est rapporté avec les quelques détails que nous donnons, dans les Ann. laur. maj. 2 (SS. I, p. 159) et le L. P. Leo III, 23. — EGINHARD, Vita Karoli, 28 et l'auteur des Annales laureshamenses (SS. I, p. 38) ne font que mentionner l'évènement. ABEL., Iahrb. d. fr. Reichs unter Karl dein Grossen, t. II, p. 235-241, a décrit avec un soin minutieux les différentes parties de la cérémonie.

[158] GASQUET, L'Empire byzantin et la monarchie franque, p. 283.

[159] EINH., Vita Karoli, 24.

[160] LE HUÉROU, Histoire des Institutions carolingiennes, p. 358.

[161] GASQUET, p. 283, notes 1 et 2, pour justifier son opinion, cite deux textes, empruntés, l'un aux historiens byzantins, l'autre aux sources occidentales, qui n'ont l'un et l'autre aucune valeur. Que vaut pour la fin du VIIe siècle. JEAN CINNAMOS, qui vivait au XIIe, et quelle connaissance des évènements qui s'étaient passés à Rome en l'an 800 pouvait bien avoir l'auteur de la Chronique du Mont-Cassin, contemporain de l'empereur Louis II ? De son côté, LE HUÉROU, p. 352, après avoir dénoncé les préoccupations habituelles de la politique pontificale et déclaré que les monuments ne laissent subsister aucun doute u cet égard, s'appuie sur quoi ? Sur l'acte du couronnement de Charles le Chauve à Pavie, en qualité de roi des Lombards, dont il donne le texte contint le meilleur commentaire de couronnement de Charlemagne. On peut opposer à ces études un bon article de W. SICKEL, Die Kaiserswahl Karls des Grossen. Eine rechtsgeschichtliche Eröterung (Mittheilungen des Instituts für österreiche Geschichfsforschung, Bd XX, tirage à part, 38 pages).

[162] SICKEL, art. cité, p. 13-18.

[163] DUCHESNE, L. P., t. II, p. 38, n. 34.

[164] FUSTEL DE COULANGES avait déjà rapproché les détails de la cérémonie du 23 décembre 800 de ceux du couronnement des empereurs byzantins d'après le De Ceremoniis aut e byzantinæ de Constantin Porphyrogénète, 38, 40, 43 (Les Transformations de la royauté pendant l'époque carolingienne, p. 316).

[165] L. P. Gregorius II, 17.

[166] Ann. Laureshamenses, SS. I, p. 38.

[167] Assurément le vieux Sénat n'existait plus depuis longtemps : il avait été emporté dans la tourmente gothique, et, malgré les efforts de Justinien pour le reconstituer, il avait définitivement cessé d'exister au début du VIIe siècle. Mais la réapparition de l'expression senatus populusque romanus depuis le pontificat de Paul Ier, provoquée peut-être par les souvenirs de l'Empire romain qui se réveillaient alors de toutes parts, n'est point douteuse, et, dans le cas présent, elle a une très grande importance : elle suffisait pour sauver la forme (GREGOROVIUS, t. II, p. 407-408 ; DIEHL, L'Administration byzantine dans l'exarchat de Ravenne, p. 126-127 ; SICKEL, art. cité, p. 13).

[168] Ann. lauresh., S.S. I, p. 38. Le conciliant est celui devant lequel le pape s'est purgé par serment et dont la composition a été donnée plus haut.

[169] Remarquons que seules les Annales laureshamenses font mention d'une réunion électorale où le nom de Charles aurait été acclamé : ni le L. P. ni les Ann. laurissenses n'en parlent, et, quant à la Vita S. Willehadi qui y fait allusion (per electionem Romani populi in maximo episcoporum aliorumque servorum Dei concilia, SS. II, p. 181), elle a évidemment les Ann. lauresh. comme source. D'autre part, si les Ann. laureshamenses ont une grande autorité, comparable seulement à celle des Ann. laurissenses majores, il ne faut pas oublier qu'elles ont été composées sous l'influence directe de la cour (MONOD, Sources de l'histoire carolingienne, p. 85) et que leur but ici est de prouver que le couronnement de Charlemagne a été légitime et légal. Sur le point particulier qui nous occupe, on ne saurait donc prendre leur témoignage au pied de la lettre (BRYCE, p. 73 : FUSTEL DE COULANGES, Les Transformations de la royauté à l'époque carolingienne, p. 315).

[170] C'est ce que fait observer judicieusement DÖLLINGER, p. 348.

[171] Ann. laur. maj. 2, SS. I, p. 189. — L. P. Leo III, 23. — Les petites Annales de Salzbourg. Wissembourg, Cologne, disent la même chose, et l'impression que la postérité conserva fut que Charlemagne avait été fait empereur per electionem Romani populi (Vita S. Willehadi, SS. II, p. 381). Pas une seule fois, il n'est question des Francs. La vie de Saint Willehad a été composée entre 838 et 860. (ÉBERT, t. II, p. 373).

[172] SICKEL, art. cit., p. 32.

[173] BRYCE, p. 284.

[174] Ann. laur. maj. 2, SS. I, p. 189. L'adoration (adulatio, proskynesis) consistait, soit dans un triple prosternement, soit dans un simple baiser sur la bouche. Ainsi, quand Léon III vint à Paderborn, l'armée et le peuple l'adorèrent en se prosternant trois fois, mais Charles se contenta de l'embrasser (Poème d'Angilbert, vers 455-456 et 497-499). Ici, l'expression more antiquorum principum semble bien indiquer que le pape se prosterna trois fois devant le nouvel empereur. Tel est à peu près l'avis général (GREGONOVIUS, t. II, p. 476 ; DÖLLINGER, p. 364-365 : ABEL., Iahrb. d. fr. Reichs unter Karl dem Grossen, t. II, p. 237).

[175] ALCUINI, Carmina (Poetæ latini., t. I, p. 245-247 et 257-258). Epist. 4, 179-184.

[176] Le pape, qui s'était soumis d'avance à la sentence du roi (Poème d'Angilbert, vers 388-389) dut être d'autant plus sensible à l'indulgence dont il bénéficia. La vérité sur ce point avait été soupçonnée par WARNKÖNIG et GÉRARD. — On comprend, disent-ils, que Léon III, qui avait les plus grandes obligations envers Charlemagne, ait voulu lui montrer sa gratitude en accomplissant l'acte du 25 décembre. Histoire des Carolingiens, t. I, p. 321 —. Elle a été définitivement établie par BAYET, Léon III et la révolte des Romains, p. 192 sq.

[177] LE HUÉROU, o. c., p. 367.

[178] OZANAM, p. 337, parle de la Translation de l'Empire aux Francs ; GASQUET a intitule sa thèse latine : De translatione imperii ab imperatoribus byzantinis ad reges Francorum.

[179] La théorie de la translation ne peut être exposée qu'en employant des documents postérieurs à l'époque carolingienne, et c'est ce qu'a fait Gasquet, utilisant concurremment avec les Annales de Lorsch ou la Chronique de Moissac, l'Anonyme de Salerne, Sigebert de Gembloux, etc. — Voir sur ce sujet DÖLLINGER, p. 361 sq., GREGOROVIUS, Gesch. der Stadt Rom., t. II, p. 478-481, et notre chapitre sur les Origines carolingiennes du Saint-Empire romain germanique.

[180] ALCUINI, Carmina. Pœt. lat., t. I, p. 247. — L'acclamation populaire telle que la rapportent, à peu près dans les mêmes termes, les Ann. laurissenses et le L. P., est la suivante : Karolo piissimo augusto, a Deo coronato, magno et pacifico imperatore, vita et victoria ! Cf. WAITZ, Deutsche Verfass., t. III, p. 195 : GREGOROVIUS, t. II, p. 477 ; BRYCE, p. 73 ; DAHN, Die Könige der Germanen, t. VIII, fasc. 6, p. 239.

[181] L. P. Leo III, 23. Cf. EINH., Vita Karoli, 28.