PRÉCIS DE L'HISTOIRE ROMAINE

TROISIÈME ÉPOQUE. — RÉPUBLIQUE ROMAINE

Depuis la première guerre punique jusqu'à la bataille d'Actium (de 264 à 31 avant l'ère vulgaire)

 

CHAPITRE II. — PREMIÈRES GUERRES CIVILES.

 

 

État de la société romaine après les guerres puniques. — Rome existait depuis six cent vingt ans. Elle en avait employé cinq cents à étendre sa domination dans la péninsule italique, et cent à subjuguer les nations environnantes. L'Afrique, la Grèce, l'Asie Mineure, l'Espagne étaient désormais les tributaires de la grande métropole de la Méditerranée. Un tel accroissement de puissance avait dû nécessairement altérer les mœurs primitives et modifier les institutions de la cité reine. En effet, tout avait changé de face dans Rome. Le vieux peuple romain n'existait plus. Les descendants des anciens Latins et des Sabins ou avaient été écrasés par la misère, ou s'étaient sacrifiés sur les bords de la Trébie, du Tésin, du lac Trasimène, dans les plaines de Cannes, sur les bords de l'Èbre et du Tage, dans la Grèce, en Asie, en Afrique. Les guerres étrangères avaient consumé la vieille race plébéienne, et bientôt les guerres sociales et civiles allaient épuiser aussi la vieille race italique. Des trois cent mille citoyens inscrits sur les listes des censeurs, un très-petit nombre descendait des anciennes familles romaines. Il en était de même du patriciat ; les trois cents gentes avaient également disparu en grande partie. Le nouveau peuple romain se composait d'une multitude de prolétaires et d'affranchis de toutes les nations. La nouvelle noblesse comprenait les rares descendants de l'ancien patricial alliés avec les descendants, également peu nombreux, des anciennes familles plébéiennes. Cette aristocratie s'efforçait de garder pour elle seule les honneurs de l'État et d'empêcher l'élévation des hommes nouveaux — novi homines —, c'est-à-dire de ceux qui ne pouvaient pas montrer une longue liste d'ancêtres romains[1].

La coutume de partager les principales magistratures entre les deux ordres était tombée en désuétude ; les consuls, préteurs, etc., étaient choisis indistinctement parmi les patriciens et parmi les plébéiens. Quoique le sénat fût composé pour la plus grande partie de descendants des anciennes familles patriciennes et plébéiennes, il comprenait aussi des hommes nouveaux auxquels leurs richesses avaient valu cet honneur. Les chevaliers ou les riches formaient une classe intermédiaire entre les nobles proprement dits et les plébéiens[2]. Ils tendaient sans cesse à augmenter leur influence politique, soit en s'opposant au sénat, soit en s'efforçant de s'élever individuellement au rang de sénateurs.

Les mœurs avaient également subi une transformation complète. Depuis la chute de Carthage, Rome s'était précipitée, par une révolution soudaine et sans transition, dans la carrière des vices. Les généraux ne songeaient qu'à s'enrichir des dépouilles des vaincus, et la probité des Scipion eux-mêmes n'avait pu résister aux trésors de la Macédoine. Sur le sol de l'Italie, les colons romains, ruinés par de longues guerres, s'étaient vus forcés de vendre leurs modestes héritages à des citoyens riches dont les maisons de campagne et les parcs immenses remplacèrent les petites fermes qui abritaient les consuls et les dictateurs de la première époque. Les colons dépouillés allaient augmenter le nombre des oisifs de Rome, tandis que des esclaves les remplaçaient sur les domaines accaparés par les riches.

L'esclavage existait sans doute à Rome depuis la fondation de la cité. Il fallait malheureusement des ouvriers de condition servile dans une société où les hommes libres vivaient uniquement pour le forum et pour le champ de bataille, dédaignaient te commerce et considéraient comme ignominieux les travaux industriels. Ces travaux étaient donc abandonnés à des hommes de condition servile, que la guerre avait réduits pour la plupart à cet état d'abjection. A mesure que s'étendirent les conquêtes des Romains, à mesure aussi que disparut la population agricole libre, le nombre des esclaves augmenta et bientôt s'accrut à tel point que lorsqu'il fut question de leur donner un habit particulier, le sénat s'y refusa de peur qu'ils ne vinssent à se compter. Ils étaient assimilés aux bêtes de somme et considérés comme de simples instruments de production. Les esclaves laboureurs portaient des chaînes aux pieds et passaient la nuit enchaînés dans des souterrains ; les esclaves appelés artistes ou artisans étaient également enchaînés dans leurs ateliers. Le maître avait le droit de vie et de mort sur l'esclave, et l'esclave ne pouvait acquérir qu'au profit du maitre. Quand l'esclave devenait vieux et inutile, un usage barbare permettait de l'envoyer mourir de faim dans une île du Tibre. Le maitre pouvait affranchir son esclave ; mais alors il lui imposait le plus souvent pour condition de ne point se marier afin qu'il pût hériter de ses biens.

Le travail servile réduisit peu à peu à l'inaction le plus grand nombre de citoyens qui avaient droit de suffrage au forum. Rome s'embellissait de monuments pompeux, les richesses se concentraient dans quelques mains, et la pauvreté générale croissait avec la grandeur de l'empire. Les dépositaires d'un pouvoir devant lequel s'humiliaient tous les rois, les maîtres de l'Afrique et de l'Asie étaient obligés pour vivre de vendre leurs votes et de se disputer le blé et l'argent que les triomphateurs abandonnaient à la multitude qui suivait leur char. La corruption s'exerçait sur la plus grande échelle ; on consignait sur la place publique le prix des suffrages du peuple. Et ce peuple si dépravé, si misérable, élevait aux honneurs les membres les plus hautains de l'aristocratie qui, au jour des comices, s'étaient le plus profondément humiliés devant sa toute-puissance, ou bien disposait des provinces en faveur des généraux qui avaient acheté le plus de partisans. Il est vrai que ces généraux n'allaient plus à la guerre que pour s'enrichir des dépouilles des nations et ruiner les provinces qu'ils eussent dû défendre[3]. Ce contraste entre la grandeur de la république et l'abjection du peuple avait dû frapper les vrais patriotes de Rome. Pour remédier à une organisation si vicieuse, il aurait fallu relever la classe moyenne. Ce fut la tâche périlleuse qu'entreprirent les Gracques.

Tribunat des Gracques (de l'an 153 à 121 avant l'ère vulgaire). — Tibérius Gracchus, petit-fils du premier Scipion l'Africain par sa mère Cornélie, et fils de Tibérius Sempronius, qui avait exercé les plus hautes charges de la république, devint, tout en défendant une cause juste, l'auteur des révolutions qui devaient aboutir à la destruction de la république. C'était un homme irréprochable dans sa vie, doué d'un esprit supérieur et animé des plus pures intentions ; il réunissait toutes les qualités que comporte la nature humaine, perfectionnée par l'éducation[4]. Il avait été questeur de Mancinus en Espagne, et il était l'auteur du traité honteux qui avait sauvé l'armée. Le châtiment imposé à Mancinus avait excité dans Rome une terrible dissension. On prétend que la crainte d'un jugement et d'une peine semblable avait jeté Tibérius dans le parti populaire. Mais on peut croire aussi qu'il était guidé par la justice et l'humanité[5]. En se rendant d'Italie en Espagne, il avait contemplé avec douleur les campagnes abandonnées ou cultivées par des esclaves ; il gémissait de voir les plébéiens chassés de leurs terres, et le peuple vainqueur des nations et possesseur du monde banni de ses demeures et de ses foyers. En est-il un seul dans un si grand nombre, disait-il, qui ait un autel domestique et un tombeau où reposent ses ancêtres ? Ils ne combattent et ne meurent que pour entretenir le luxe et l'opulence d'autrui ; on les appelle les maîtres du monde, et ils n'ont pas en propriété une motte de terre. Pour améliorer la condition des plébéiens, Tibérius Gracchus ne crut pas nécessaire de renverser la constitution de sa patrie ; ce qu'il demandait, c'était l'application rigoureuse des lois tombées en désuétude. Frappé, comme on l'a vu, du spectacle désolant que présentaient les campagnes romaines, dépeuplées d'hommes libres par suite de l'accumulation illégale des biens domaniaux dans les mains du patriciat, il voulut remettre en vigueur la loi Licinia qui ne permettait pas à un citoyen de posséder plus de cinq cents arpents sur l'ager publicus, et revenir, pour le surplus, à l'ancienne répartition du territoire public entre tous les citoyens libres, après indemnité préalable toutefois, et toujours en vertu des antiques lois de Rome[6]. La première rogation faite par Tibérius Gracchus, devenu tribun du peuple, était donc très-conciliante et très-modérée. Mais bientôt la résistance des riches l'ayant irrité, il proposa une loi nouvelle où il leur retranchait l'indemnité, les cinq cents arpents, et leur ordonnait de sortir sans délai des terres du domaine. Un autre tribun, Cnæus Octavius, arrêtait par son veto cet acte d'une rigueur exagérée et d'une exécution difficile sinon impraticable. Tibérius, qui avait d'abord montré tant de tact et de modération, ne garda plus alors aucun ménagement : sans respect pour un collègue et pour l'inviolabilité tribunitienne, il le fait saisir et arracher de la tribune, le menace de le faire mourir sur-le-champ et le force, par la terreur, d'abdiquer sa magistrature[7]. Par ce moyen violent et coupable, Tibérius se fait nommer triumvir pour la répartition des terres, avec son beau-père Appius Pulcher et son jeune frère Caïus. Pour conjurer les haines qu'il avait soulevées contre lui et consommer ses entreprises, Tibérius résolut aussi de solliciter un second tribunat. Craignant d'échouer, il se chercha de nouveaux auxiliaires : aux chevaliers il promit le partage de la puissance judiciaire avec les sénateurs ; aux Italiens, le droit de cité. Mais il ne réussit qu'à s'aliéner tout le monde : les plébéiens de Rome, jaloux de partager avec les riches les terres du domaine ; étaient moins disposés à partager le droit de suffrage avec les Italiens ; d'un autre côté, les chevaliers, tout en désirant d'abaisser le sénat, devaient être opposés à l'exécution des lois qui les auraient dépouillés des terres publiques dont ils étaient les principaux détenteurs[8]. Le jour des comices arrivé, les nobles et les riches se précipitèrent dans le forum pour troubler les suffrages qui portaient Tibérius à un second tribunat. Celui-ci se réfugie dans le Capitole, et, voyant sa vie en danger, porte la main à sa tête pour exhorter le peuple à le défendre. Les ennemis du tribun s'écrient que par ce geste il demande la royauté et le diadème. Scipion Nasica, quoique beau-frère des Gracques, soulève contre Tibérius la multitude armée des sénateurs et des chevaliers. Tibérius prend la fuite, et, frappé d'un éclat de banc sur la pente du mont Capitolin, il termine, dit un historien, par une mort prématurée une vie qu'il aurait pu rendre glorieuse. Trois cents de ses amis périrent avec lui.

Après la fin tragique de Tibérius Gracchus, le parti aristocratique fut comme effrayé de sa victoire. Il crut prudent d'éloigner de Rome Scipion Nasica, le meurtrier de son beau-frère. Du reste, un nouveau triumvirat fut institué pour exécuter la loi agraire. Il se composait de Fulvius Flaccus, de Papirius Carbon et du jeune Caïus Gracchus, frère de Tibérius. Les opérations de cette commission lassèrent la patience des Italiens, détenteurs ou fermiers des terres domaniales. Ils se placèrent sous la protection de Cornelius Scipion, le vainqueur de l'Afrique et de l'Espagne. Quoiqu'il se fût appuyé sur la classe plébéienne pour s'élever deux fois au consulat, Scipion Émilien méprisait la plèbe de Rome qu'il considérait comme une tourbe d'affranchis. Le tribun Carbon lui ayant demandé ce qu'il pensait du meurtre de Tibérius Gracchus, il répondit que, s'il avait eu le dessein d'opprimer la république, sa mort était juste. Ces paroles ayant soulevé de violents murmures dans l'assemblée populaire, Scipion ajouta : J'ai entendu bien des fois sans crainte les clameurs d'ennemis en armes ; comment pourrais-je avoir peur des vôtres, vous qui n'êtes pas même des enfants de l'Italie ?[9] D'après ses conseils, le sénat ôta aux triumvirs la connaissance des contestations relatives à la possession des biens domaniaux. Alors les chefs de la plèbe résolurent de se défaire de l'illustre guerrier. Un matin, il fut trouvé mort dans son lit, portant au cou quelques marques de strangulation. On ne fit aucune recherche sur la mort d'un si grand homme, et il fut porté au tombeau la tête couverte d'un voile, lui par qui Rome avait élevé la sienne au-dessus de toute la terre[10]. Enfin, dix ans après le meurtre de Tibérius, son frère Caïus, encore plus véhément et plus audacieux, est élevé au tribunat. Ses premières rogations ont pour but de venger la mémoire de son frère et de se concilier l'appui des plébéiens. Il ne se borne point à faire revivre les dispositions de la loi Licinia sur la possession des biens domaniaux et celles de la loi Porcia qui exigeait, pour toute condamnation à mort, la confirmation du peuple : il afferme, au profit des citoyens pauvres, l'héritage d'Attale, roi de Pergame[11], défend de les enrôler avant dix-sept ans, ordonne pour chaque mois une vente de blé à bas prix, remplit les provinces de colonies et entreprend même de relever Carthage. Après s'être fait continuer dans le tribunat, il entreprit aussi vainement que l'avait essayé son frère de concilier des intérêts contradictoires. Il avait l'amour des plébéiens ; il voulut acquérir l'appui de l'ordre équestre et des villes italiennes. Ses propositions diverses dénotaient, soit un véritable esprit d'impartialité, soit une hardiesse peu commune. Il transfère le droit de juger du sénat à l'ordre équestre, mais en même temps qu'il abaisse le sénat, il frappe aussi les chevaliers en ôtant aux riches le droit de voter les premiers dans les comices des centuries ; il donne le droit de cité à presque tous les peuples d'Italie, mais il oublie que par la loi agraire il a livré leurs propriétés à la populace de Rome. Enfin, celle-ci attend impatiemment les terres qui lui sont promises, et, en attendant, elle maudit le tribun qui lui ôte la souveraineté en accordant le suffrage aux Italiens, dont le nombre doit la tenir désormais dans la minorité et la sujétion[12]. Ainsi Caïus ne faisait que des mécontents et se voyait fatalement entraîné, comme son frère, vers un abîme. Il eut le même sort. Bientôt une nouvelle lutte s'engage entre le parti aristocratique, qui occupe le Capitole, et le parti démocratique, qui a suivi son chef sur l'Aventin. L'avantage reste de nouveau à l'aristocratie (121). Caïus vaincu se fait tuer par son esclave Euporus, qui se perce ensuite de la même épée. Trois mille partisans des Gracques succombèrent dans cette seconde lutte.

Caïus Marius ; guerre de Numidie (de l'an 121 à l'an 106 avant l'ère vulgaire). — La chute des Gracques suspendit à peine la lutte depuis longtemps flagrante entre le patricial et les chevaliers, entre Rome et les cités italiennes. Marius, né à Arpinum d'une famille équestre, allait, avec plus d'énergie et plus de succès que les Gracques, se déclarer le champion de l'aristocratie d'argent et de l'émancipation italique. Ennemi de l'ancienne noblesse, qu'il avait déjà ouvertement combattue pendant son tribunat, Marius, avide de gloire, sollicita cependant l'honneur de suivre comme questeur le consul Cecilius Metellus envoyé en Afrique contre Jugurtha, roi des Numides. Ce héros, qui balançait alors la fortune de Rome, s'était, de même que Marius, initié à l'art de la guerre sous Scipion Émilien au siège de Numance. Mais, après avoir été d'abord l'auxiliaire des Romains, le désir de l'indépendance l'avait rendu leur ennemi le plus acharné. Jugurtha avait placé sous sa domination toute la Numidie, bravé les menaces de Rome, corrompu ou battu les généraux précédemment envoyés contre lui. Cependant Cecilius Metellus accepta la charge difficile de rétablir la discipline parmi les légions et de relever les aigles romaines alors humiliées dans une contrée où Rome avait renversé Carthage. Au moment où Metellus allait recueillir le fruit de ses efforts persévérants, son lieutenant Marius lui enleva le commandement en se faisant nommer consul. Lorsqu'il avait demandé à son général la permission de se rendre à Rome pour briguer la première charge de la république, le fier patricien, faisant allusion à l'obscurité de sa naissance, lui avait répondu dédaigneusement qu'il serait assez temps pour lui de demander le consulat lorsque son fils, alors âgé de vingt ans environ, se mettrait sur les rangs[13]. Las enfin de l'opposition que lui faisait son questeur, Metellus lui accorda son congé. Déjà Marius avait tout préparé pour obtenir l'objet de son ambition ; les soldats et les publicains d'Afrique ne cessaient d'écrire à Rome pour accuser les lenteurs de Metellus, et vanter le mérite bien supérieur de son lieutenant. La faveur populaire accueillit Marius à Rome. Les artisans et les laboureurs abandonnaient leurs travaux pour lui faire cortège. Non-seulement Marius obtint le consulat, mais l'acclamation populaire le désigna également pour le commandement de la guerre contre Jugurtha, quoique le sénat eût peu auparavant maintenu Metellus à la tête de l'armée de Numidie. Alors Marius donna un' libre cours à son animosité contre les nobles ; il répétait sans cesse que son consulat était une dépouille conquise sur des vaincus. Cependant il ne négligeait pas les moyens de vaincre aussi Jugurtha. Il ne se contenta point de demander un supplément aux légions, il rassembla les vétérans même sous ses enseignes. Débarqué en Afrique, il se fit tout à la fois craindre et aimer de ses soldats, en introduisant parmi eux une discipline inflexible, et en leur abandonnant tout le butin. Cette guerre de Numidie fut enfin terminée par la défection de Bocchus, beau-père de Jugurtha. D'après l'instigation de Sylla, questeur de Marius, ce barbare consentit à livrer aux Romains le valeureux chef des Numides. Il fut amené à Rome, traîné derrière le char de Marius lorsque celui-ci reçut les honneurs du triomphe, puis jeté dans un cachot où on le laissa mourir de faim. Tels étaient les moyens ordinaires employés par les Romains pour abattre les adversaires de leur puissance.

Guerre contre les Cimbres et les Teutons (de l'an 105 à l'an 101 avant l'ère vulgaire). — Marius, quoique absent, avait été réélu consul et on lui avait réservé la province de la Gaule. Là s'avançaient des bandes formidables par leur nombre et par leur férocité. C'étaient les Cimbres et les Teutons qui, partis des bords de la Baltique, étaient descendus vers le midi. Ils avaient ravagé toute l'Illyrie, battu aux portes de l'Italie un général romain qui voulait leur interdire la Norique, et tourné les Alpes par l'Helvétie, dont les principales populations grossirent leur horde. Tous ensemble pénétrèrent enfin dans la Gaule, au nombre de trois cent mille guerriers ; les vieillards, les femmes et les enfants suivaient dans des chariots. Après avoir dévasté la Gaule centrale, ils parvinrent au bord du Rhône et firent dire au magistral de la province romaine, M. Silanus, que, si Rome leur donnait quelques terres, à titre de solde, ils promettaient, à cette condition, de la servir de leurs bras. Silanus, aimant mieux recourir aux armes, passa le Rhône, mais il ne put soutenir le choc des barbares ; deux autres généraux furent également vaincus. Cependant, au lieu de s'avancer vers les Alpes, les Cimbres allèrent porter secours aux Gaulois Tectosages de Tolosa. Le consul C. Servilius Cépion les prévient, pénètre dans la ville et la dépouille des immenses richesses qui y étaient entassées[14]. Mais, au retour de cette expédition, il est atteint par les barbares, qui font essuyer aux Romains une défaite plus sanglante que les précédentes : de quatre-vingt mille soldats, de quarante mille esclaves ou valets d'armée, il n'échappa que dix hommes. Cependant les Cimbres tournèrent encore le dos aux Alpes et se répandirent en Espagne, tandis que le resto des barbares les attendait dans la Gaule. Marius revenait alors d'Afrique, et Rome avait placé en lui toute sa puissance et tout son espoir. Pendant quatre ans que l'on attendit les Cimbres et les Teutons, le peuple ni même le sénat ne put se décider à nommer un autre consul que Marius. Les barbares se dirigèrent enfin vers l'Italie ; mais la difficulté de nourrir une si grande multitude les obligea de se diviser : les Cimbres tournèrent par l'Helvétie et la Norique ; les Teutons devaient pénétrer en Italie par les Alpes maritimes et retrouver les Cimbres aux bords du Pô. Marius, qui avait armé pour la première fois les capite censi, attendait les Teutons sous les murs d'Aquæ Sextiœ (Aix), dans la Gaule Transalpine ; il leur livra bataille et extermina, dit-on, plus de cent cinquante mille ennemis. Le chef des Teutons, traîné derrière le char du triomphateur, dépassait par sa taille gigantesque les trophées mêmes de sa défaite. Marius illustra ensuite son cinquième consulat par l'extermination des Cimbres. Ceux-ci, malgré l'hiver, avaient roulé le long des abîmes, du haut des montagnes de Tridentum, et étaient descendus en Italie. Pour franchir l'Adige, ils y avaient jeté une forêt tout entière. Marius vint les attaquer dans une vaste plaine près de Verceil, et remporta une victoire aussi décisive que celle d'Aix. Soixante mille Cimbres, d'autres disent cent mille, restèrent dans le champ Raudien[15]. Le peuple, délivré d'un si grand danger, appela Marius le troisième fondateur de Rome, après Romulus et Camille.

Guerre sociale (de 100 à 88). — Lorsque les Cimbres et les Teutons eurent été exterminés, de nouveaux ennemis surgirent au sein même de la république. Les alliés[16] qui, dans les dernières guerres, avaient composé les deux tiers des armées de Rome, réclamèrent le prix du sang qu'ils avaient versé pour la cité-reine. Marius, nommé consul pour la sixième fois, se déclara d'abord le champion des Italiens. De son aveu, le tribun Apuleius Saturninus, faisant revivre les lois des Gracques, proposa de distribuer aux alliés les terres que les Cimbres avaient occupées un instant dans le nord de l'Italie. Mais alors la guerre et le meurtre envahirent les comices populaires ; Saturninus fit assassiner publiquement Annius, son compétiteur au tribunat. L'interdiction de l'eau et du feu fut ensuite prononcée contre tout sénateur qui ne jurerait pas de respecter la loi agraire accordée aux soldats de Marius[17]. Les Italiens, qui s'étaient introduits dans les tribus rustiques, poussèrent la violence jusqu'à souiller le forum par un nouveau meurtre ; après quoi, ils saluèrent roi le tribun Saturninus. Marius, qui avait encouragé ces dissensions par sa duplicité, vit qu'il était temps de se prononcer ouvertement pour le sénat ou pour Saturninus. Il ne pouvait balancer. Il marcha contre les révoltés et les fit mettre à mort dans la curie Hostilia[18]. Cependant les tergiversations de Marius avaient compromis sa popularité : il s'était rendu également odieux au peuple de Rome comme Italien, au sénat comme démagogue et aux Italiotes comme le bourreau de Saturninus. Il crut prudent de s'éloigner pour quelque temps de Rome, et se rendit en Asie.

Mais déjà il était trop tard pour prévenir la guerre sociale qui devait punir l'orgueil de Rome. Le moment approchait où les populations italiennes allaient réclamer les armes à la main le droit de cité dans une ville qui devait ses accroissements à leurs forces. Il s'agissait de savoir si Rome seule, gardienne jalouse de ses institutions purement municipales, serait le centre du monde subjugué, ou si l'Italie tout entière deviendrait la nation reine[19]. Cette grande question, déjà soulevée par les Gracques et par Saturninus, allait être posée plus nettement encore par un de leurs successeurs dans le tribunat du peuple, Livius Drusus (91). Animé de bonnes intentions, Drusus aurait voulu pacifier Rome et l'Italie par une transaction entre tous les partis. Il proposait de partager les tribunaux entre l'ordre équestre et le sénat, de doubler cette compagnie en y faisant entrer trois cents chevaliers, de donner des terres au peuple de Rome, et de conférer le droit de cité à toute l'Italie. Mais Drusus rencontra tout à la fois beaucoup de défiance dans le sénat, quoiqu'il cherchât à relever son autorité, et une opposition violente dans l'ordre des chevaliers. Cependant il poursuivait obstinément l'exécution de ses projets lorsqu'un jour, revenant de la place publique, au milieu d'une multitude immense et en désordre qui était son cortège habituel, il fut frappé d'un coup de poignard à l'entrée même de sa maison. On accusa de ce crime le consul Philippe, chef du parti des chevaliers. Ce qui est certain, c'est que ceux-ci voulurent en recueillir le fruit. La mort de Drusus fut le signal d'une réaction contre l'autorité sénatoriale. Les chevaliers, usurpateurs des domaines des alliés, les publicains, enrichis des dépouilles de l'Italie, traînèrent devant leurs tribunaux les plus illustres sénateurs, et, descendant dans le forum avec des bandes d'esclaves armés, ils firent passer, l'épée à la main, une loi qui ordonnait de poursuivre quiconque favoriserait publiquement ou secrètement la demande des Italiens pour être admis au droit de cité[20].

Déçus dans leur espoir, les Italiotes coururent aux armes pour faire prévaloir leur bon droit. En effet, ils ne demandaient qu'à devenir citoyens d'une ville dont leurs armes soutenaient la puissance. Obligés de fournir tous les ans, dans toutes les guerres entreprises par les Romains, un double contingent d'hommes et de chevaux, devaient-ils être exclus du droit de cité dans Rome, qui leur devait sa grandeur et le droit, qu'elle usurpait, de mépriser comme étrangers et barbares des peuples de même sang et de même origine[21] ? Ils organisèrent une confédération, dont la ville de Corfinium, métropole des Péligniens, devint le centre. Elle reçut le nom d'Italicum, qui indiquait qu'elle était destinée à devenir la cité dominante, la Rome italienne. Les fédérés élurent deux chefs : le Marse Popœdius Silo et le Samnite C. Papius Mutilus. Le soulèvement éclata dans Asculum, où, pendant la célébration des jeux, les magistrats romains furent massacrés. Alors le sénat enjoignit aux deux consuls, L. Julius Cœsar et P. Rutilius Lupus de défendre la république menacée. Cinq légats furent adjoints à chacun des consuls. On distinguait parmi eux Cn. Pompée, père du grand Pompée, Cornelius Sylla, le futur dictateur, et Marius, le vainqueur des Cimbres. Mais ce dernier, qui sympathisait secrètement avec les insurgés, ne garda pas longtemps un commandement qu'il semblait exercer à regret. Le résultat de la, première campagne fut défavorable aux Romains ; les deux consuls, essuyèrent des revers. Aussi le sénat jugea-t-il prudent d'accorder le droit de cité aux peuples qui n'avaient pas pris les armes ou qui les avaient déposées les premiers. Cette concession ne fut toutefois ni franche ni complète. Dans la seconde campagne, le peuple romain rassembla toutes ses forces et se releva. Il opposa une armée à chaque peuple et acheva de ruiner le parti italique par la prise d'Asculum, premier foyer de l'insurrection, et par de nouvelles concessions. Quand il ne resta plus à soumettre que la ville de Nole (Nola), les Romains, affaiblis eux-mêmes, accordèrent aux Italiens vaincus le droit de cité qu'ils leur avaient refusé avant les désastres réciproques de cette grande lutte (88). Mais, il faut le redire, cette concession était encore plus apparente que réelle, car les Italiens étaient obligés de voter les derniers[22]. Aussi lorsque Marius voulut ressaisir la puissance, sa faction profita-t-elle de cette restriction pour gagner les italiens en leur promettant une assimilation complète avec les Romains.

Première guerre civile ; Sylla ; guerre contre Mithridate (de 87 à 83). — Cornelius Sylla, élu consul conjointement avec Q. Pompée, venait de paraître dans l'arène comme le champion de l'aristocratie romaine et l'inflexible adversaire des Italiotes. Il était issu d'une noble famille patricienne, mais d'une branche presque entièrement déchue par la nullité de ses ancêtres. Aussi entreprit-il d'abord de relever son nom par les services qu'il tâcha de rendre à la république. Lieutenant de Marius, il fut presque son rival dans la guerre numidique et dans les terribles campagnes contre les Cimbres. Cependant, pour ne point donner ombrage au chef redoutable du parti démocratique et italique, il se conduisit longtemps en homme qui ne songe point au consulat. C'est ainsi que, tour à tour questeur et préteur, il atteignit l'âge de quarante-neuf ans ; alors la presque unanimité des suffrages l'éleva à la première magistrature de la république. Adroit, éloquent, doué du génie du commandement, mais renommé aussi pour son implacable cruauté, il laissa comme chef de parti une réputation qui inspire encore l'effroi[23].

Tandis que Sylla parvenait au consulat, Rome semblait voir un nouvel Annibal dans Mithridate, roi de Pont[24]. Envahissant l'Asie Mineure, il avait favorisé le soulèvement des cités de ce pays contre les vexations des Romains ; et, en un jour, un grand nombre de ceux-ci, chevaliers, publicains, usuriers, marchands d'esclaves avaient été massacrés. Il envoya ensuite une grande armée en Grèce, et eu occupa les provinces orientales avec toutes les îles de la mer Égée. Le parti aristocratique avait fait donner le gouvernement des provinces d'Asie à Sylla ; les publicains, intéressés à perpétuer les abus qui avaient déterminé le soulèvement de cette contrée, auraient voulu lui substituer Marius. Quoique celui-ci fût alors âgé de soixante et dix ans, il se sentit profondément humilié de se voir éclipsé par son ancien lieutenant. Pour vaincre le parti aristocratique, les chevaliers se coalisèrent avec les Italiotes, auxquels ils promirent de les égaler en tout point aux Romains de naissance. Cette coalition ne garda aucune mesure. Tandis que Sylla était retenu au siège de Note, le tribun P. Sulpitius, agissant au nom des coalisés, fit rendre une loi qui dépouillait Sylla de son commandement et chargeait Marius de la guerre contre Mithridate. Impatient de venger cet outrage, ainsi que l'assassinat de son gendre — fils du consul Q. Pompée —, Sylla ramène aussitôt ses légions contre Rome et s'ouvre, par le fer et le feu, un passage jusqu'au Capitole. Alors un sénatus-consulte déclare ennemis de la république les adversaires de Sylla. Sulpitius, atteint par des cavaliers envoyés à sa poursuite, est égorgé dans les marais de Laurenta. Marius, également découvert au milieu de la fange et des joncs du marais de Marica, est traîné, la corde au cou, dans les prisons de Minturnes. On envoie pour le tuer un esclave cimbre ; mais en reconnaissant le vainqueur de Verceil, l'esclave épouvanté s'enfuit de la prison en jetant son épée. Les habitants de Minturnes s'émeuvent à leur tour et favorisent l'évasion de Marius. Ayant rejoint son fils, il fit voile vers l'Afrique et se retira dans une cabane bâtie sur les ruines de Carthage.

La fuite de Marius ébranla mais ne renversa point son parti. L. Cinna, ami du vainqueur des Cimbres, partagea le consulat avec Cnæus Octavius, un des chefs de l'aristocratie. Ainsi les forces des deux partis semblaient encore se balancer. La plus grande anarchie régnait dans la république. Excités par Cnéius Pompée Strabon, les soldats avaient massacré un autre Pompée qui venait lui succéder dans le commandement et qui avait été le collègue de Sylla. Celui-ci, menacé d'être mis en accusation par L. Cinna, résolut d'abandonner momentanément l'Italie, se proposant de l'asservir ensuite avec les légions auxquelles il réservait les dépouilles de la Grèce et de l'Asie. Tandis que Sylla s'éloignait, L. Cinna entreprenait de soumettre Rome à l'Italie en effaçant la ligne de démarcation qui existait entre les anciens citoyens et les nouveaux. Pour assurer la prépondérance des Italiotes, ceux-ci devaient être distribués dans toutes les tribus et non plus relégués dans des catégories impuissantes. En même temps Cinna faisait investir le sénat pour l'obliger à rappeler les citoyens qui avaient été naguère déclarés ennemis publics. Mais l'autre consul se mit à la tête de la noblesse, vainquit les partisans de Cinna et le contraignit à sortir de la ville. Comme il se dirigeait vers la Campanie, le sénat le déclara déchu de sa magistrature, et L. Cornelius Merula, prêtre de Jupiter, fut nommé consul à sa place. Cinna alla rejoindre l'armée romaine qui faisait le siège de Noie, et celle-ci, séduite par ses promesses, après lui avoir prêté le serment d'obéissance, consentit à le suivre contre Rome. Il était soutenu par un nombre prodigieux de nouveaux citoyens, parmi lesquels il avait levé plus de trois cents cohortes et formé trente légions. Il se hâta, pour donner plus d'autorité à son parti, de rappeler de l'exil les deux Marius et les autres bannis.

Le vainqueur des Cimbres revint, altéré de vengeance. Au seul nom de ce grand capitaine, les Italiens accoururent de toutes parts. On arma les esclaves, on ouvrit les prisons. Quatre armées entrent bientôt dans Rome ; elles étaient commandées par Cinna, Marius, Carbon et Sertorius. A peine la troupe d'Octavius est-elle chassée du Janicule, que le signal est donné pour le massacre des principaux citoyens. Les deux consuls et une foule de sénateurs sont proscrits comme partisans de Sylla ; ceux qui ne se dérobent pas par une mort volontaire au ressentiment de Marius, tombent sous le glaive de ses soldats. Revêtu pour la septième fois de la pourpre, Marius ne vit point le terme de son année consulaire ; la mort le surprit au milieu des horribles dissensions que son retour avait provoquées. Il fut remplacé par Valerius Flaccus, célèbre pour avoir proposé une loi qui réduisait les dettes de trois quarts. L'autre consul était Cinna, principal auteur de l'immense désordre dont la république était alors le théâtre. Les nobles, proscrits ou menacés, s'étaient réfugiés en foule auprès de Sylla, et le suppliaient de marcher contre les oppresseurs de Rome.

Sylla avait vaincu en Grèce les généraux de Mithridate plus encore par la corruption que par les armes. Puis, après avoir fait ruisseler le sang dans Athènes et exigé une contribution énorme, il était passé en Asie. Mithridate s'y trouvait assiégé dans Pitane par un partisan de Marius, C. Flavius Fimbria, qui s'était élevé au commandement en faisant égorger son général. Il ne dépendait que de Sylla de s'emparer de Mithridate, en faisant fermer la mer par ses vaisseaux. Mais le chef du parti aristocratique, refusant de seconder un ami de Marius, permit à Mithridate de se retirer dans le Pont, à la condition qu'il rendrait la Bithynie, la Cappadoce et l'Asie romaine. Alors l'Asie eut le sort de la Grèce ; elle paya les frais de la guerre civile dans laquelle Sylla allait entraîner ses légions victorieuses[25].

Dictature de Sylla (de l'an 83 à l'an 79). — Cinna venait de périr victime d'une sédition militaire, lorsque Sylla débarqua à Brindes avec trente mille hommes. Les consuls Scipion et Norbannus avaient huit légions et cinq cents cohortes sous les armes. Sylla, dissimulant ses projets, traversa paisiblement la Calabre et la Pouille, et son armée se grossissait tous les jours des citoyens qui abhorraient l'aristocratie d'argent et la domination italique. Metellus et le jeune Pompée, fils de Cn. Pompeïus Strabo, se réunirent avec leurs troupes au vainqueur de Mithridate. Sylla battit l'armée consulaire près de Capoue ; mais ce premier succès n'influa pas d'une manière sensible sur la situation des deux partis en présence. Le parti italique fit alors décerner le consulat à Carbon et au jeune Marius, fils du vainqueur des Cimbres. Ceux-ci redoublèrent de rigueur pour abattre leurs adversaires. Le sénat, investi par des troupes, compta de nouvelles victimes ; de nouveaux meurtres ensanglantèrent le forum, le cirque et l'enceinte même des temples. Sylla, s'avançant toujours, battit près de Sacriport l'armée de Marius. Celui-ci se réfugia dans Préneste, ville défendue tout à la fois par sa situation et par la garnison qu'il avait eu soin d'y mettre. Tous les chefs italiens qui accoururent pour débloquer Préneste et délivrer Marius furent successivement battus par Sylla. Enfin Pontius Telesinus, général des Samnites, tente un effort désespéré en marchant contre Rome même. Il s'avança jusqu'à la porte Colline, à la tête de quarante mille hommes, jeunes et déterminés. Parcourant à cheval les rangs de son armée, il s'écriait que la dernière heure des Romains était venue ; qu'il fallait détruire et raser leur ville, et que ces loups, ravisseurs de la liberté de l'Italie, ne seraient exterminés que lorsqu'on aurait mis à bas la forêt qui leur servait de repaire[26]. Après un combat longtemps indécis, les Samnites se déterminèrent à faire retraite. Cependant Telesinus étant tombé encore vivant au pouvoir du vainqueur, celui-ci ordonna que sa tête fût coupée et portée autour des murs de Préneste. A cette vue, Marins, n'espérant plus de pouvoir résister à Sylla, essaya de s'évader par des conduits souterrains ; mais au moment où il en sortait, des soldats apostés le massacrèrent. Sylla, maître de Rome après la prise de Préneste et la dispersion des bandes italiques, entreprit de surpasser par sa cruauté et Cinna et Marius. La fin de la guerre fut le commencement de nouveaux massacres dans les rangs du parti maintenant vaincu. Après une interruption de cent vingt ans, la dictature fut rétablie pour un temps indéfini, en faveur de Sylla, qui devait en faire un instrument d'impitoyable réaction. En effet, le dictateur s'annonça comme le restaurateur de l'ancienne république. L'élection des pontifes et le pouvoir judiciaire furent rendus au sénat ; les comices des tribus furent abolis et le pouvoir législatif rendu aux comices des centuries ; le tribunat ne subsista plus que de nom : tout tribun fut déclaré incapable d'aucune autre charge ; on ne put briguer le consulat qu'après la préture, la préture qu'après la questure[27]. C'était dans le sang de ses ennemis que Sylla entreprenait de relever la Rome aristocratique. Il fut le premier qui donna l'exemple de la proscription légale, qui décerna des récompenses aux meurtriers et fit de l'assassinat une œuvre méritoire. Des tables de proscription continrent les noms de deux mille Romains, chevaliers ou sénateurs, qui avaient tenu le parti de Marius : le dictateur leur ordonnait de mourir. Et jamais despote ne fut mieux obéi : il recevait lui-même les têtes sanglantes des proscrits et les payait au prix du tarif ![28] Le dictateur appliqua à l'Italie entière son terrible système : partout les hommes du parti contraire furent mis à mort, bannis, dépouillés, et non-seulement eux, mais leurs parents, leurs amis, ceux qui les connaissaient, ceux qui leur avaient parlé, ou qui par hasard avaient voyagé avec eux. Des cités entières furent proscrites comme des hommes, démantelées, dépeuplées, pour faire place aux légions de Sylla. La malheureuse Étrurie surtout, le seul pays qui eût encore échappé aux colonies et aux lois agraires, le seul dont les laboureurs fussent généralement libres, devint la proie des soldats du vainqueur. Il fonda une ville nouvelle dans la vallée de l'Arno, non loin de Fiesole, et du nom mystérieux de Rome, Flora, ce nom connu des seuls patriciens, il appela sa colonie Florentia[29]. On appréciera mieux les souffrances de l'Italie pendant la guerre sociale, continuée par la rivalité de Marius et de Sylla, lorsqu'on saura que cette lutte fratricide dévora plus de trois cent mille hommes, la fleur de la jeunesse ! La classe moyenne, en général attachée au parti de Marius, disparut presque entièrement du sol italien ; les petits propriétaires, qui la composaient, ou périrent dans les guerres civiles ou furent dépouillés par les cent vingt mille colons militaires auxquels Sylla victorieux distribua les terres des vaincus. Au milieu de ces vétérans, enrichis par lui, et des esclaves qu'il avait affranchis, Sylla se crut assez fort pour abdiquer le pouvoir suprême. En effet, quoique descendu par ostentation au rang de simple citoyen, il conserva son influence terrible jusqu'à la veille même de sa mort. Mais s'il mourut tout-puissant, s'il fut même enseveli au champ de Mars, ancienne sépulture des rois, il ne réussit pourtant pas à perpétuer l'œuvre qu'il avait fondée par la terreur et par la spoliation.

Marcus Lepidus, Sertorius, Lucullus (de l'an 79 à l'an 69). — La mort de Sylla replaça en face l'un de l'autre les deux partis qui continuaient à diviser la république et les consuls même. Tandis que Quinctus Catulus voulait maintenir les actes de Sylla, l'autre consul, Marcus Lepidus, réclamait leur abrogation. Il ne recula point devant une nouvelle guerre civile, et appela aux armes les citoyens de celle Étrurie que le dictateur avait couverte de ruines et de sang. Se plaçant ensuite à la tête de l'armée italique, il marcha sur Rome ; mais repoussé dès le premier choc et déclaré ennemi publie par le sénat, il renonça à son entreprise. L'armée italique se dispersa, et Lepidus se retira en Sardaigne, où il mourut de maladie et de regret. Les vainqueurs, exemple unique dans les guerres civiles, se contentèrent d'avoir rétabli la paix[30].

Le parti italien avait alors un défenseur plus persévérant et plus héroïque en Sertorius. Fuyant dans l'exil les tables de mort dressées par Sylla, il avait, dit un écrivain romain, rempli de sa disgrâce la terre et la mer. D'Afrique, il était venu en Espagne, y avait ouvert un refuge pour les proscrits, placé sous son coin-mandement une armée italienne qui avait pour chef Perpenna, assuré par une conduite habile son influence sur les nationaux, opposé enfin des forces redoutables aux troupes romaines de Metellus. Ce général ne suffisant pas pour abattre un si puissant adversaire, on lui adjoignit, mais sans succès aussi, C. Pompée. Ce fut une trahison domestique qui rendit l'Espagne au sénat romain. Perpenna, jaloux de la gloire de son général, le tua dans la ville d'Osca, au milieu d'un festin (73). L'assassin néanmoins fut déçu dans son espoir, lorsqu'il se rendit à Pompée ; celui-ci, dans la crainte peut-être de se trouver compromis, le fit mourir sans vouloir l'entendre.

Sertorius avait également favorisé, par l'envoi d'une flotte, les efforts de Mithridate qui avait recommencé la guerre d'Asie. La rapacité des usuriers romains, qui avaient avancé les vingt mille talents exigés par Sylla[31], souleva bientôt les habitants de la province romaine, et Mithridate avait profité de cette circonstance pour envahir la Cappadoce et la Bithynie. Cependant Lucullus, à qui le gouvernement d'Asie était échu en partage au sortir de son consulat, obtint sur Mithridate de nombreux et brillants avantages : il le contraignit même à fuir de son royaume et le poursuivit jusque dans les États de son beau-père Tigrane, le puissant roi d'Arménie. Il eût terminé cette guerre s'il avait voulu ; mais presque invincible les armes à la main, il se laissa vaincre par l'amour des richesses[32].

Guerre servile ; Spartacus (73). — Mais à cette époque, l'ennemi le plus redoutable de la vieille aristocratie romaine n'était ni Sertorius ni Mithridate : ce fut un simple gladiateur, un esclave, célèbre sous le nom de Spartacus[33]. Il s'était échappé de Capoue avec une trentaine de ses compagnons d'infortune, avait appelé les esclaves sous ses drapeaux et réuni bientôt plus de dix mille hommes, bouviers ou pâtres. Ils se retirèrent sur le Vésuve. Là, se voyant assiégés par Clodius Glaber, ils se glissèrent, suspendus à des liens de sarments, le long des flancs caverneux de cette montagne, et descendirent jusqu'à sa base ; puis, s'avançant par des sentiers impraticables, ils s'emparèrent tout à coup du camp du général romain, qui était loin de s'attendre à une telle attaque. Après avoir défait d'autres corps de troupes envoyés contre eux, ils se répandirent dans toute la Campanie, ne se contentant pas de dévaster les maisons de campagne et les bourgs, mais exerçant d'effroyables ravages dans les villes même. Leurs forces grossissaient de jour en jour et s'élevèrent enfin à quarante mille hommes. Du fer de leurs chaînes, remis au feu, ils s'étaient fait des épées et des traits. Spartacus avait pris la résolution de se diriger vers les Alpes et, après avoir franchi cette barrière de l'Italie, de permettre à ses soldats, redevenus libres, de se retirer chacun dans son pays. Tout lui réussit d'abord. Il battit même les armées consulaires qui avaient tenté de l'arrêter. Mais alors le sénat, prenant une résolution extrême, ordonne aux consuls — Gellius et Lentulus — de déposer le commandement et nomme Licinius Crassus pour continuer la guerre. Celui-ci, plus heureux que ses prédécesseurs, force les bandes de Spartacus à s'éloigner de Rome et à se réfugier à l'extrémité de l'Italie. Là, se voyant enfermé dans le Brutium, Spartacus se disposa à passer en Sicile pour y rallumer les cendres de la guerre servile, dont ce pays avait été également le théâtre quelques années auparavant[34]. Faute de navires, les esclaves tentèrent de passer le détroit sur des radeaux formés de claies et de tonneaux liés avec de l'osier. Cette tentative ayant été vaine, ils ne consultèrent plus que leur désespoir, tombèrent sur les Romains et trouvèrent une mort digne d'hommes de cœur. Spartacus, après avoir donné à ses compagnons l'exemple du courage, péril à leur tête, comme un général d'armée[35]. Cependant les Romains ayant fait six mille prisonniers parmi les compagnons de Spartacus, on dressa six mille croix sur les deux côtés de la route qui mène de Capoue à Rome, et on les y crucifia tous le même jour.

Pompée ; fin de la guerre contre Mithridate (71 à 64). — Pompée, rappelé d'Espagne, extermina les débris de l'armée des esclaves. Jaloux de tous les autres généraux, cet ancien lieutenant de Sylla ne voulait pas avoir d'égal dans la république. Déjà il était considéré comme le premier citoyen de Rome, et Crassus n'obtint le consulat qu'avec sa permission et concurremment avec lui. Après avoir servi d'instrument au parti aristocratique, Pompée dédaigna ce rôle secondaire et, se souvenant de son origine équestre, se mit à la tête des chevaliers pour saper l'œuvre de Sylla. Un autre chevalier, M. Tullius Cicéron, compatriote de Marius et célèbre par son éloquence, servit habilement Pompée dans celte réaction contre le parti aristocratique. Pompée commença par relever la puissance tribunitienne, dont Sylla n'avait laissé subsister qu'une image Naine, et rendit à la populace toute son influence en rétablissant les comices des tribus[36]. Il voulut ensuite compléter son ouvrage en dépouillant les sénateurs du pouvoir judiciaire. Cicéron fut chargé de dénoncer l'infime et cruelle tyrannie que les sénateurs exerçaient dans les provinces, depuis qu'ils étaient seuls juges de leurs propres crimes. Les exactions ou plutôt les brigandages commis en Sicile par le préteur Verrès furent stigmatisés avec une âpre énergie par l'ami de Pompée. Forcée de condamner Verrès, l'aristocratie prononça sa propre condamnation, car les crimes de Verrès étaient communs à la plupart des gouverneurs de provinces. Appuyé par les soldats, par les chevaliers et les prolétaires, Pompée ôta sans peine aux sénateurs le privilège des jugements et les força de partager le pouvoir judiciaire avec les chevaliers et les tribuns du trésor[37]. Alors le tribun du peuple A. Gabinius fit adopter, malgré les patriciens, une loi qui donnait à Pompée, sorti du consulat, la commission d'aller détruire les pirates qui infestaient les côtes d'Italie, et une puissance égale à celle des proconsuls, dans toutes les provinces, jusqu'à cinquante milles de la mer. Il importait réellement de purger les mers des innombrables pirates qui les sillonnaient, car ils mettaient en péril l'existence même de Rome, en interceptant les convois de blé de l'Afrique et de la Sicile. Trois mois suffirent à Pompée pour les réduire : ceux qui se soumirent volontairement reçurent des terres dans l'Achaïe et la Cilicie ; les autres furent défaits devant Coracesium (67). Cependant les succès obtenus par Lucullus en Asie portaient ombrage à Pompée ; d'autre part, les chevaliers désiraient ardemment de rétablir leur domination dans ces riches provinces. Ils achetèrent le tribun Manilius, et celui-ci fit voter une loi qui déférait à Pompée la conduite de la guerre coutre Mithridate. Parvenu en Asie, un des premiers soins de Pompée fut de rétablir la tyrannie financière des publicains. Il battit l'armée de Mithridate, mais sans pouvoir s'emparer de sa personne : comme compensation, Tigrane, trahissant son ancien allié, vint se mettre aux genoux du vainqueur. Tigrane conserva la couronne, mais à la charge de payer une somme considérable ; il perdit la Syrie et les autres provinces qu'il avait conquises. Les unes furent rendues au peuple romain ; les autres commencèrent à lui appartenir, comme la Syrie, qui, pour la première fois, devint son tributaire ; le royaume de Tigrane fut resserré dans les limites de l'Arménie. Mithridate s'était enfui vers le Caucase. Pompée le poursuivit et entra eu vainqueur dans le royaume du Pont. Après avoir essayé en vain de l'atteindre, Pompée retourna sur ses pas, subjugua l'Arabie par un de ses lieutenants, pénétra jusqu'à Jérusalem et rendit la Judée tributaire. Cependant Mithridate essayait de soulever contre Rome tous les peuples encore indépendants, depuis les Scythes jusqu'aux Gaulois, lorsqu'il fut trahi par son fils Pharnace. Ne voulant pas tomber en son pouvoir, il se fit tuer par un esclave gaulois (64). Ainsi tout avait réussi à Pompée ; il était proclamé le premier général de son temps, quoique, en réalité, il n'eût fait que suivre la voie laborieusement frayée par d'autres. Il se hâta de revenir à Rome pour jouir des honneurs du triomphe. On avait répandu le bruit, dit Velléius, qu'il ne reviendrait qu'à la tête de ses légions, pour restreindre à son gré la liberté publique. Plus on avait redouté ce malheur, plus on fut charmé de voir un si grand capitaine rentrer dans sa patrie en citoyen. Il avait licencié toute son armée à Brindes, et, ne gardant que le titre d'imperator, il reparut dans la ville avec le simple cortège d'amis qui l'avait accompagné de tout temps. Il triompha de tous les rois qu'il venait de vaincre : son triomphe dura deux jours et fut magnifique ; il versa dans le trésor public plus d'argent que n'en avait versé avant lui aucun autre général, sans même en excepter Paul Émile[38]. Avant le retour de Pompée, les tribuns T. Ampius et T. Labienus firent passer une loi qui l'autorisait à assister aux jeux du cirque avec une couronne de laurier et tous les ornements du triomphe ; aux jeux scéniques avec la même couronne et la robe prétexte : il n'osa jouir qu'une seule fois de ce privilège, et ce fut trop encore.

 

 

 



[1] Marius, Cicéron, etc., étaient des hommes nouveaux.

[2] Les censeurs, dit un historien, affermaient tous les cinq ans les revenus de la république. Il n'était pas permis aux sénateurs de prendre ces fermes, et elles étaient en général tenues par des membres de l'ordre des chevaliers, ce qui avait rendu ce corps très-riche et très-puissant On donnait communément le nom de publicains aux personnes qui affermaient les revenus de l'État.

[3] VELLÉIUS, liv. II. — ALBAN DE VILLENEUVE, Histoire de l'économie politique. — GERLACHE, Études sur Salluste. — History of Rome. — RENARD, Considérations sur l'empire romain, dans l'Histoire militaire de la Belgique. — Ce dernier écrivain attribue surtout les révolutions qui déterminèrent la chute de la république romaine à l'établissement du suffrage universel, per la disparition de la constitution de Servius Tullius. La suppression du cens et des classes eut lieu vers l'an 457 de Rome. Par la loi Mœnia, les cent quatre-vingt-quinze centuries de Servius furent réduites à quatre-vingt-deux ; douze furent affectées à l'ordre des chevaliers, les seuls pour lesquels le cens fut conservé, et les soixante et dix autres furent affectées aux trente-cinq tribus, à raison de deux par tribu.

[4] VELLÉIUS PATERCULUS, liv. II, c. 2.

[5] FLORUS, liv. III, c. 13.

[6] MÉRIMÉE, Essai sur la guerre sociale. La Revue nationale contient (t. VII) une analyse très-complète de cet ouvrage, qui n'a pas été mis dans le commerce. — Les lois agraires proposées par les Gracques tendaient à réintégrer la république dans ses domaines injustement détenus, et à les distribuer aux hommes libres ruinés par les guerres et les extorsions d'une aristocratie usurière. Le premier des Grecques poussait très-loin les ménagements envers les puissants détenteurs des terres usurpées. Cinq cents arpents étaient abandonnés définitivement à chacun d'eux ; le surplus ne devait retourner à l'État que moyennant une indemnité acquittée en numéraire. C'est donc par suite d'une fausse interprétation que le mot de loi agraire est devenu synonyme de la spoliation des propriétaires fonciers, et du partage égal de tous les héritages. (ALFRED SUDRE, Histoire du communisme, chap. IV.)

[7] FLORUS, lib. III, cap. 15.

[8] MICHELET, liv. III.

[9] ... Quorum noverez est Italia. (VELLÉIUS PATERCULUS, lib. II, c. 4.)

[10] VELLÉIUS PATERCULUS, lib. II, c. 4.

[11] Attale avait inséré ces mots dans son testament : Populus Romanos MUORUM hœres esto. Il est vraisemblable qui Attale s'était borné à instituer les Romains héritiers de ses enfants. Lorsque Aristonicus, qui appartenait à la race royale, se fut emparé de l'administration des États d'Attale, les Romains le traitèrent d'usurpateur, et envoyèrent contre lui Perpenna, qui le défit et l'envoya à Rome. Le royaume de Pergame fut dès lors confisqué.

[12] MICHELET, liv. III. — N'était-il pas juste, s'écrie Florus, que les plébéiens rentrassent en possession de leurs droits usurpés par les patriciens ?... Quoi de plus équitable que ce peuple, devenu pauvre, vérin du revenu de son trésor ? Qu'y avait-il de plus propre à établir ai nécessaire à la liberté, que de balancer l'autorité du sénat, administrateur des provinces, par celle de l'ordre équestre, en lui déférant au moins le droit de juger sans appel ? Mais ces réformes eurent de pernicieux résultats, et la malheureuse république devait devenir le prix de sa propre ruine. En effet, le pouvoir de juger, transporté des sénateurs aux chevaliers, anéantissait les tributs, c'est-à-dire le patrimoine de l'empire, et l'achat du grain épuisait le trésor, ce nerf de la république. Pouvait-on enfin rétablir le peuple dans ses terres sans ruiner les possesseurs, qui étaient eux-mêmes une partie du peuple ? Comme d'ailleurs ces domaines leur avaient été laissés par leurs ancêtres, le temps leur donnait à cette possession une sorte de droit héréditaire.

[13] Pour comprendre le dédain de Metellus, il faut avoir sous les yeux ces mots de Salluste : Le peuple pouvait bien disposer des autres magistratures, mais la noblesse seule se transmettait le consulat de main en main. Tout homme nouveau, quelque illustration qu'il est d'ailleurs, quelques belles actions qu'il ai faites, paraissait indigne de cet honneur, et comme souillé par la tache de sa naissance. (JUGURTHA, LXII.)

[14] Nous suivons ici le récit de M. Michelet, liv. III, c. 2.

[15] VELLÉIUS, liv. II, c. 41 ; FLORUS, liv. II, c. 4.

[16] Marses, Péligniens, Lucaniens, Samnites, etc.

[17] Metellus, surnommé le Numidique, fut le seul qui refusât d'obéir ; et le tribun le fit condamner à l'exil.

[18] VELLÉIUS, liv. II, cap. 12.

[19] MÉRIMÉE, Essai sur la guerre sociale.

[20] VELLÉIUS ; FLORUS ; MICHELET.

[21] Ce sont les réflexions de Velléius Paterculus. Ainsi, la guerre sociale ou la guerre italique est celle qui fut entreprise par les Italiotes, à l'effet d'obtenir les mêmes droits que les citoyens romains.

[22] La multitude des nouveaux citoyens avait été entassée dans huit tribus, qui votaient les dernières, lorsque les anciennes avaient pu déjà décider. Les Marses, les Ombriens, les Etrusques, faisaient un voyage de vingt ou trente lieues, pour venir exercer à Rome ce droit de souveraineté tant souhaité ; aucune place publique n'était assez vaste pour les contenir ; une partie votait du haut des temples et cira portiques qui entouraient le forum. Et tout ce peuple, veau Je ai loin, donnait un vote inutile ou n'était même pas consulté. Les Italiens, indignés de cette déception, devaient recommencer la lutte jusqu'à ce que, répandus dans toutes les tribus, ils obtinssent l'égalité des droits. Cette égalité apparente eût été pour eux une supériorité réelle sur les anciens citoyens, dont les suffrages moins nombreux se seraient perdus dans les leurs. Sans doute, les Italiens méritaient la Supériorité sur cette ignoble populace, composée en grande partie d'affranchis de toutes nations. Cependant ce peuple équivoque représentait la vieille Rome, en prenait l'esprit, se croyait romain, et défendait opiniâtrement l'unité de la cité. (MICHELET, liv. III, c. 3.)

[23] Voir SALLUSTE, Jugurtha, c. XCV, et VELLÉIUS PATERCULUS, liv. II, c. 17.

[24] Pays de Roum, dans la Turquie d'Asie.

[25] Sylla avait frappé les Grecs d'une contribution extraordinaire, en punition de leur attachement à la cause de Mithridate. Selon Plutarque, elle s'élevait à vingt mille talents (environ cent millions de francs). Les publicains de Rome en firent l'avance à de gros intérêt.

[26] VELLÉIUS, liv. II, c. 26.

[27] MICHELET, Histoire Romaine, liv. III, c. 3.

[28] VELLÉIUS PATERCULUS, liv. II, c. 28. Pour mieux se représenter cette effroyable époque, il faut encore écouter Florus : Que Sylla ait taillé en pièces, à Sacriport et près de la porte Colline, plus de soixante et dix mille hommes, c'était le droit de la guerre ; mais qu'il ait fait égorger, dans un édifice public, quatre mille citoyens désarmés et qui s'étaient rendus, tant de victimes en pleine paix, n'est-ce pas un massacre plus grand ?... Parlerai-je, après tant d'horreurs, des outrages qui accompagnèrent la mort de Carbon, celle du préteur Soranus, celle de Venuleius ? Parlerai-je de Bœbius, déchiré non par le fer, mais par les mains de ses assassins ; de Marius, le frère du général, traîné au tombeau de Catulus, les yeux crevés, les mains et les jambes coupées, et qui fut laissé quelque temps en cet état, pour qu'il se sentit mourir par tous ses membres ?

[29] MICHELET, liv. III, c. 3.

[30] FLORUS, liv. III.

[31] Telle était leur industrie, qu'en peu d'années cette contribution s'était trouvée portée à cent vingt mille talents (plus de six cents millions de francs). Les malheureux vendaient leurs femmes, vendaient leurs filles vierges, leurs petits en fonts, et finissaient par être eux-mêmes vendus. (MICHELET, liv. III, c. 4.)

[32] VELLÉIUS, liv. II, c. 33. — Lucullus, qui appartenait au parti aristocratique, avait réprimé les exactions des publicains (chevaliers), ainsi que l'avidité de ses soldats : ç'avait même été son principal moyen de succès. Mais il se vit exposé à de représailles, lorsqu'on se fut aperçu qu'il était loin de joindre l'exemple au précepte. Les soldats refusèrent de poursuivre une guerre qui n'enrichissait que le général ; les publicains écrivirent à Rome, où le parti des chevaliers reprenait chaque jour son ancien ascendant. Ils accusèrent de rapacité celui qui avait réprimé la leur. Tout porte à croire, en effet, que Lucullus avait tiré des sommes énormes des villes qu'il préservait des chevaliers et des publicains. (MICHELET, liv. III, c. 4.) Ce fut lui, dit Velléius, qui introduisit dans Rome le luxe des édifices, des festins et des meubles ; il jeta des digues dans la mer, et, pour la faire pénétrer dans ses domaines, perça des montagnes.

[33] Suivant Plutarque, Spartacus était Thrace de nation, mais de race numide.

[34] Une première guerre servile, commencée par Eunus le Syrien, avait duré six ans (de 136 à 131 avant l'ère vulgaire). Une seconde révolte, dirigée par un esclave pasteur (Athénien), éclata en l'an 104 et dura quatre ans. On porte à un million le nombre des esclaves insurgés qui périrent dans ces deux guerres de Sicile.

[35] FLORUS, liv. III. — VELLÉIUS, liv. II, c. 30.

[36] VELLÉIUS PATERCULUS, liv. II, c. 30.

[37] MICHELET, liv. III, c. 4.

[38] Les revenus publics avaient été portés, par les conquêtes de Pompée, de cinquante millions de drachmes à près de quatre vingt-deux millions, et il avait versé dans le trésor le valeur de vingt mille talents, sans compter une distribution de quinze cents drachmes pour chaque soldat. (MICHELET, liv. III, c. 4.)