CHARLES-QUINT ET MARGUERITE D'AUTRICHE

ÉTUDE SUR LA MINORITÉ, L'ÉMANCIPATION ET L'AVÈNEMENT DE CHARLES-QUINT À L'EMPIRE (1491-1521)

 

CHAPITRE IV. — MARGUERITE D'AUTRICHE ET LE CARDINAL XIMENÈS.

 

 

Éducation de Charles d'Autriche. — Adrien d'Utrecht. — Goût du jeune prince pour les exercices corporels. — Dès son enfance, il est mis en communication avec les états généraux des Pays-Bas. — Émancipation de Charles d'Autriche. — Le Sr de Chièvres l'initie aux affaires. — Premières relations avec François Ier. — Ambassade envoyée en France pour demander la mais de la princesse Renée, sœur de la reine Claude. — Traite du 24 mars 1515 qui stipule les conditions de ce mariage et écarte les demandes principales des ambassadeurs belges. — Le duc de Gueldre est compris dans le traité. — Motifs qui obligent Charles d'Autriche à le ratifier. — Cession qui lui est faite de la Frise. — François Ier passe les Alpes. — Victoire de Marignan. — Félicitations adressées par le souverain des Pays-Bas au roi de France. — Mort de Ferdinand le Catholique, roi d'Aragon. — Traité de Noyon du 15 août 1516 : Charles s'engage à épouser Louise de France, fille de François Ier, au lieu de la princesse Renée. — L'empereur Maximilien accède au traité. — Le Sgr de Chièvres et son parti cherchent à écarter Marguerite d'Autriche du gouvernement des Pays-Bas. — Cette princesse présente l'apologie de son administration dans un conseil présidé par le jeune souverain. — Intervention de l'empereur Maximilien en faveur de sa fille. — Pendant que Marguerite d'Autriche défendait les Pays-Bas, le cardinal Ximenès veillait sur les royaumes espagnols qui devaient échoir à Charles d'Autriche. — Le vieux roi d'Aragon aurait voulu déshériter son petit-fils. — Premier testament en faveur de Ferdinand, frère de Charles. — Celui-ci est enfin rétabli en tous ses droits, et son grand-père lui recommande, sur son lit de mort, les intérêts de la reine Germaine de Foix, — Ximenès régent du royaume de Castille ; Charles confirme ses pouvoirs et lui adjoint Adrien d'Utrecht, comme son ambassadeur. — Chartes est proclamé roi de Castille. — Tableau de la cour de Bruxelles, tracé par l'évêque de Badajoz, dans un mémoire adressé à Ximenès. — Réformes accomplies par Ximenès et qui ont pour résultat de satisfaire l'avidité des principaux conseillers intimes de Charles. — Plaintes du régent de Castille sur les dépenses excessives du nouveau souverain. — Une députation de Juifs et de Mores convertis est envoyée au roi à l'effet d'obtenir des modifications dans la procédure suivie par l'Inquisition ; Ximenès fait rejeter cette requête. — Fermentation dans la Castille. — Charles convoque les états généraux des Pays-Bas à Gand, et annonce son départ prochain pour l'Espagne. — Marguerite d'Autriche est investie de la régence. — Avant de s'éloigner, Charles ordonne que tous les officiers, qui composent la maison de Ferdinand, son frère, soient congédiés et remplacés par d'autres. — Charles débarque à Tazones. — Les ministres belges le tiennent éloigné de Ximenès et obtiennent du jeune souverain que l'illustre régent sera entièrement écarté des affaires. — Mort de Ximenès. — Charles est reconnu, à Valladolid, comme roi de Castille, de Léon et de Grenade. — Il écrit à François Ier pour lui faire connaître ce résultat de son voyage et resserrer leur alliance. — En disposant des principales dignités de l'État en faveur de ses conseillers belges, il porte au comble l'irritation des Castillans. — L'infant Ferdinand est renvoyé dans les Pays-Bas. — Entrée solennelle de Charles à Saragosse où il est proclamé roi d'Aragon. — Lettre affectueuse qu'il adresse aux villes des Pays-Bas. — Remontrances des principales cités de la Castille sur la partialité du roi en faveur des étrangers, l'exportation de l'argent monnayé, etc. — D'autres soins vont détourner l'attention de Charles de ces justes griefs. — Il aspire à la dignité impériale.

 

Charles d'Autriche atteignait sa quinzième année. Il avait jusqu'alors résidé dans les Pays-Bas où Marguerite d'Autriche, sa tante, et Marguerite d'York, duchesse douairière de Bourgogne, s'étaient chargées du soin de former son enfance. Lorsque l'ordre de la Toison d'or tint, en 1501, son XVIe chapitre à Bruxelles, ce fat la veuve de Charles le Hardi qui porta le jeune prince dans le lieu capitulaire : on le plaça au milieu de l'assemblée, et, à la demande des assistants, l'archiduc, son père, lui donna le collier de l'Ordre après l'avoir armé chevalier[1].

En 1509, l'empereur Maximilien désigna Guillaume de Croy, Sgr de Chièvres, pour remplacer le prince de Chimay, comme gouverneur et chambellan de son petit-fils. L'éducation littéraire de l'héritier de tant de royaumes fut confiée à un illustre professeur de l'université de Louvain, Adrien d'Utrecht, qui parvint plus tard au souverain pontificat. Ce personnage, fils d'un simple fabricant de draps, s'était concilié, par sa modestie autant que par son mérite, la faveur de Marguerite d'Autriche qui, le retirant d'une pauvre cure de village, l'avait fait nommer doyen de l'église de Saint-Pierre à Louvain[2].

Comme Maximilien nourrissait l'espoir de voir son petit-fils lui succéder dans la dignité impériale, il avait particulièrement recommandé de lui faire apprendre soigneusement le latin, qui était la langue officielle de l'Empire. Mais le jeune prince fit peu de progrès dans les lettres anciennes : peut-être était-il de l'avis du Sgr de Chièvres, qui répétait souvent que son élève était né pour régner et non pour devenir un savant. Charles n'apprenait aussi que très-difficilement l'espagnol, tandis qu'il étudiait avec plaisir les autres langues vivantes comme le français, l'allemand, l'italien et l'anglais. Il témoignait du goût pour les mathématiques, la géographie, et surtout pour la lecture de l'histoire. Il se passionna même pour Philippe de Commines, qu'il devait faire traduire plus tard en toutes les langues qu'il savait, et pour Thucydide dont la traduction de Claude, évêque de Marseille, le quitta rarement dans ses guerres et ses voyages[3].

La vaillance du futur conquérant de Tunis s'éveilla de bonne heure, s'il est vrai, comme le rapporte un de ses historiens, qu'on le surprit maintes fois arrêté, un bâton à la main, devant les cages des lions, et agaçant ces terribles animaux, au péril de sa vie[4]. Les exercices corporels que dirigeait le Sr de la Chaulx, étaient nécessaires pour fortifier le tempérament et-favoriser la croissance trop lente du jeune prince. Il se rendit habile dans l'équitation, ainsi que dans le maniement de l'arc et de l'arbalète. L'antique château des ducs de Brabant à Tervueren était le lieu privilégié où Charles d'Autriche se livrait à ces exercices virils. L'empereur Maximilien, renommé parmi les plus intrépides chasseurs du Tyrol, applaudissait aux premiers exploits de son petit-fils, et voyait surtout avec une satisfaction extrême qu'il semblait avoir hérité de son goût pour la chasse[5].

Dès son enfance, le jeune souverain avait été mis en communication avec le peuple des Pays-Bas, et comme initié aux devoirs extérieurs qu'impose la puissance suprême. Il assistait à Malines, le 15 octobre 1506, à la séance solennelle où les états généraux furent informés de la mort de Philippe le Beau et requis de pourvoir à la tutelle des enfants du roi. Neuf mois après, le 18 juillet 1507, il présidait, dans la même ville, aux obsèques de son père ; il se rendit à cheval de son hôtel à l'église de St-Rombaut, avec une suite nombreuse de gentilshommes en deuil qui l'accompagnaient à pied[6]. Le 20 juillet, non-seulement il se trouvait encore dans l'assemblée des états généraux, mais, après que l'archiduchesse, sa tante, eut appuyé la demande d'un subside, lui-même fit une petite harangue pour se concilier la faveur des représentants du pays[7].

Ce fut à la sollicitation expresse des états que Maximilien consentit à l'émancipation de son petit-fils. Marguerite d'Autriche, par l'ordre de son père, les avait réunis à Bruxelles, le 14 décembre 1514, et leur avait demandé une aide considérable, après leur avoir fait connaître que l'Empereur, étant dans l'intention de prendre là croix et d'aller combattre les infidèles, se proposait de faire Tenir en Allemagne, dans quelques mois, son petit-fils, afin qu'il vit les possessions de la maison de Habsbourg dont il était l'héritier. L'aide dont il était question devait pourvoir en partie aux frais de ce voyage. Mais les états exprimèrent l'avis que, au lieu de conduire le jeune archiduc en Allemagne, où celui-ci n'avait rien à prétendre encore, il serait préférable de le mettre en possession des pays qui lui étaient dévolus depuis huit ans ; ils manifestèrent aussi le dessein de n'accorder l'aide sollicitée par l'Empereur qu'après l'émancipation du prince. Quoique le parti qui circonvenait le jeune archiduc eût d'abord caché à la régente la proposition qui venait d'être si vivement appuyée par les états, Marguerite d'Autriche était trop dévouée à son neveu pour retarder son avènement. Charles, d'ailleurs, avait été touché de cette marque de confiance des états généraux, et comme il se trouvait dans l'assemblée, il s'adressa aux députés en ces termes : Messieurs, je vous remercie de l'honneur et bonne affection que me portez. Soyez bons et loyaux subjects, je vous seray bon prince. Il fallait encore obtenir l'assentiment formel de l'empereur Maximilien : ce monarque le donna, moyennant l'offre d'une somme de 100.000 florins, et envoya à Bruxelles, munis de ses pouvoirs, Frédéric, comte palatin du Rhin, et Félix, comte de Wurtemberg. Ils assistèrent avec Marguerite d'Autriche à l'émancipation et à l'avènement du jeune prince, comme souverain des Pays-Bas. Cette cérémonie eut lieu, le 5 janvier 1515, en présence des états généraux, dans la grande salle du palais de Bruxelles, où quarante ans plus tard devait se terminer la glorieuse carrière de l'empereur Charles-Quint[8].

Après avoir été mis hors de tutelle, Charles d'Autriche se rendit successivement dans les villes principales des Pays-Bas pour se faire inaugurer, selon l'usage traditionnel, et prêter les serments imposés par les privilèges des diverses provinces.

Le jeune souverain, par le conseil et sous l'impulsion de Guillaume de Croy, prit aussi, dès son avènement, une part très-grande à la conduite de ses intérêts. Quoiqu'il eût à peine quinze ans, toutes les dépêches lui étaient présentées ; souvent même il passait une partie des nuits à les lire, et le lendemain, il en faisait lui-même le rapport dans son conseil, où tout se décidait en sa présence. Cet assujettissement, auquel le jeune prince se pliait volontiers, lui avait donné une gravité précoce qui frappait les ambassadeurs étrangers. L'envoyé français en ayant témoigné sa surprise en présence du seigneur de Chièvres, celui-ci répondit[9] : Mon cousin, je suis tuteur et curateur de sa jeunesse ; je veux, quand je mourrai, qu'il demeure en liberté, car s'il n'entendait ses affaires, il faudrait, après mon décès, qu'il eût un autre curateur pour n'avoir entendu ses affaires et n'avoir été nourri au travail, se reposant toujours sur autrui.

Mais Charles, quoique très-appliqué, ne songeait point encore a se soustraire à l'ascendant que Guillaume de Croy s'était habitué à exercer sur lui. Rien ne caractérisait mieux cette dépendance volontaire ou la modestie du jeune souverain que la devise qu'il avait fait inscrire sur son bouclier : Nondum.

Feudataire de la couronne de France pour les comtés de Flandre et d'Artois, Charles devait à François Ier l'hommage féodal, et, en sa qualité de pair de France, il était également tenu d'assister au sacre du nouveau roi, soit en personne, soit par procureur. Mais Charles et son conseil voyaient surtout dans cette formalité un prétexte pour essayer de contracter une étroite alliance avec le successeur de Louis XII. Il avait donc été résolu de proposer le mariage du petit-fils de Maximilien Ier avec la sœur de la reine Claude, bien que Renée de France, fille cadette de Louis XII et d'Anne de Bretagne, n'eût encore que quatre ans, et de faire une nouvelle tentative pour obtenir la restitution du duché de Bourgogne. Un des plus grands personnages de l'État, Henri de Nassau, baron de Breda et seigneur de Vianden, conseiller et chambellan du prince, fut le chef de cette ambassade composée de : Michel de Croy, seigneur de Sempy, également conseiller et chambellan ; Michel Pavie, doyen de Cambrai et confesseur de l'archiduc ; le maître d'hôtel Philippe Dalles ; Mercurin Gattinare, président du parlement de Dôle ; Jean Caulier, seigneur d'Aigny, maître des requêtes, et Gilles Vanden Damme, secrétaire. Les ambassadeurs partirent de Bruxelles vers la fin de janvier. Ils ne purent se trouver au sacre de François Ier, qui eut lieu à Reims, le 25 de ce mois ; mais ils le rencontrèrent à Compiègne, où ils arrivèrent le 3 février. La plupart des grands seigneurs de la cour allèrent au-devant d'eux jusqu'à une demi-lieue de cette ville. Le lendemain, ils eurent audience publique du roi. Il était entouré de dix ou douze évêques et prélats et de tous ou de la plupart des princes de son sang et d'autres grands seigneurs. Le comte de Nassau présenta les lettres de créance de son souverain, et le doyen de Cambrai exposa l'objet de la mission. Tout aussitôt François Ier, sans consulter le chancelier Antoine Duprat, bien qu'il fût présent, répondit en substance : J'ai bien ouï et entendu ce que vous m'avez dit et proposé de la part de mon cousin, le prince d'Espagne. Vous êtes les très-bien venus ; je connais par votre charge l'amour et l'affection que mon cousin me porte et le bon zèle dont vous procédez en me félicitant, de sa part, sur mon avènement au trône. Je ne le félicite pas moins au sujet de son émancipation, et je suis joyeux d'avoir affaire a un homme hors de tutelle. Quant aux obligations qu'il v eut remplir comme vassal, à cause des comtés de Flandre et d'Artois, il ne me trouvera que raisonnable et comme parent et comme voisin. Au sujet de l'amitié qu'il désire nouer avec moi, je la désire pareillement avec tous mes voisins, et d'autant plus avec lui qu'avec nul autre, parce qu'il est issu de la maison de France. Le 5 février, dans une fête de cour à laquelle assistaient les ambassadeurs, le roi prit à part Nassau et Sempy et s'entretint plus d'une heure avec eux sur l'amitié qu'il désirait contracter avec le prince de Castille. Les ambassadeurs représentaient que François et Charles, jeunes tous deux, avaient carte blanche ; aussi devaient-ils souhaiter que la première impression fût bonne, honorable et profitable non-seulement pour eux, leurs pays et sujets, mais aussi pour toute la chrétienté. Comme ils avaient l'espoir et l'apparence, moyennant la grâce de Dieu, de vivre, régner et dominer longtemps, l'amitié, qu'ils contracteraient dès leur avènement, croîtrait avec eux, se fortifierait toujours de plus en plus et deviendrait indissoluble. Si, au contraire, ils nourrissaient, dès l'origine, quelque rancune l'un contre l'autre, ils trouveraient de chaque côté leurs serviteurs disposés à faire grandir cette haine ; car les serviteurs suivent naturellement l'inclination du maître et plutôt vers le mal que vers le bien. François Ier répondit chaleureusement, jurant foi de gentilhomme, que si Charles voulait procéder de cette sorte, il ferait la même chose de son côté ; il ne dissimula point que son amitié était profitable au prince, et particulièrement pour ses royaumes d'Espagne, et que son voyage, lorsque l'héritier des rois catholiques devrait s'y rendre, serait bien plus facile si celui-ci possédait l'affection du roi de France. Les ambassadeurs avouèrent que cela était vrai ; mais que, d'un autre côté, l'amitié et l'alliance du prince d'Espagne pouvaient être également très-utiles à François Ier[10].

Le 15 février, les représentants du souverain des Pays-Bas assistèrent à l'entrée pompeuse de François Ier à Paris, et le soir ils vinrent prendre place, selon les anciennes coutumes, au banquet de la table de marbre, avec les ambassadeurs du pape, du roi d'Angleterre et de la république de Venise. Ils avaient eu auparavant une audience de la reine Claude, qui avait paru flattée de l'honneur que le prince de Castille faisait à sa jeune sœur, en la demandant en mariage[11].

Les ambassadeurs entrèrent enfin en conférence avec les commissaires royaux qui étaient : le chancelier Antoine Duprat, Lautrec, d'Orval, le bâtard de Savoie, Imbert de Basternay, seigneur du Bouchage, le président Baillet, et de Brans, avocat du roi ; Les envoyés de Charles demandèrent d'abord et notamment : la confirmation du traité de Cambrai ; la délivrance immédiate de la princesse Renée pour être élevée dans les Pays-Bas jusqu'à la consommation du mariage ; la restitution du duché de Bourgogne ; un concours efficace pour recouvrer le pays de Gueldre. Ils demandaient aussi, pour dot de la princesse Renée, le duché de Milan elle comté d'Asti avec leurs appartenances, dont le roi devrait donner à ses dépens la possession et la jouissance à la princesse et à son époux ; et, en outre, une somme de 200.000 écus d'or à payer le jour de la consommation du mariage, indépendamment de ce qui pourrait appartenir à la princesse, comme fille puinée de Louis XII.

Ces propositions furent vivement repoussées par François Ier. Il les trouvait si étranges qu'elles ne méritaient pas de réponse. Le conseil des Pays-Bas, tout en insistant sur la délivrance immédiate de la princesse, se relâcha successivement de ses demandes relatives à la possession des duchés de Gueldre et de Milan[12]. Charles désirait toujours, à la vérité, que le Milanais fit partie de la dot de sa future épouse ; mais il offrait de le conquérir en commun avec le roi de France et l'Empereur. A cela François Ier répondait que le Milanais était l'héritage du royaume et qu'il ne s'en dessaisirait jamais ; quant à la conquête, qu'il la ferait en personne et non par procureur, et que, lorsqu'il y serait, chose du monde ne l'en ôterait que force et effusion de sang.

En outre, le conseil de France refusait obstinément de délivrer la princesse Renée ; il déclarait qu'il fallait d'abord que la reine Claude, sa sœur, eût un héritier auquel serait assuré le duché de Bretagne.

Quoique les débats durassent depuis plus d'un mois, ils n'aboutirent pas toutefois à une rupture qui eût mal servi les desseins de François Ier, désireux de reconquérir sans retard le Milanais, et qui eût singulièrement augmenté les embarras de Charles, déjà accablé par la grandeur de ses affaires, comme disait le comte de Nassau, en face d'une crise financière, suite des guerres passées, et menacé par les tentatives qui se faisaient en Espagne pour le frustrer d'une partie de son héritage. On finit par écarter les points principaux contenus dans les instructions des ambassadeurs belges, et on transigea sur les autres par le traité qui fut signé le 24 mars et juré solennellement, le jour de Pâques, en l'église de Notre-Dame de Paris.

Ce traité stipulait le mariage de Charles d'Autriche et de Renée de France aux conditions suivantes : la princesse sera remise au prince de Castille deux mois après l'accomplissement de sa douzième année ; elle recevra une dot de 600.000 écus d'or au soleil et le duché de Berry lui sera donné pour 400.000 écus, en y réservant au roi de France la souveraineté, l'hommage lige, etc. Dans le cas où le mariage ne s'accomplirait point, soit parla volonté du roi de France, soit par cette de la princesse Renée, Charles recevrait, à titre de dédit, le comte de Ponthieu, avec les villes de Péronne, de Montdidier, de Roye, de Saint-Quentin, de Corbie, d'Amiens, d'Abbeville, de Montreuil, ainsi que le Crotoy, Saint-Valery et Doullens. On avait également stipulé une ligue offensive et défensive entre les deux souverains[13].

Celui qui recueillit le plus de fruit de cette négociation fut sans contredit Henri de Nassau qui, par l'entremise de François Ier, épousa réellement Claude de Châlons, sœur unique et héritière immédiate de Philibert, prince d'Orange. Lorsqu'il revint en Belgique, une ambassade française, dont le chef était le duc de Vendôme, l'accompagna et se rendit à la Haye, où se trouvait alors Charles d'Autriche, pour obtenir la ratification de ce prince au traité d'alliance et de mariage conclu, le 24 mars, à Paris, avec François Ier.

Charles, dominé et entraîné par les circonstances, donna son consentement ; mais le traité était loin de le satisfaire. Puisqu'il avait fallu se rapprocher de la France, il aurait désiré, comme on l'a vu, des conditions plus favorables à l'agrandissement de la maison d'Autriche-Bourgogne. L'année précédente, devisant un jour sur son mariage avec quelques-uns de ses mignons, ils passèrent en revue les princesses qui auraient pu lui convenir. L'archiduc déclara qu'il préférait la fille du roi de France. Si ma femme mourait d'aventure, disait-il, je serais duc de Bretagne[14].

A la demande expresse de François Ier, le duc de Gueldre, cet ancien et constant allié de la France, avait été compris dans le traité[15]. Ce fut encore un grave échec pour le gouvernement des Pays-Bas, qui aurait voulu que François Ier abandonnât ce dangereux adversaire et prêtât même des troupes pour l'abattre. L'acquisition, d'ailleurs vivement disputée, de la Frise ne put consoler Charles ni Marguerite d'Autriche du mécompte qu'ils venaient d'éprouver. Malgré les efforts de Henri de Nassau, François Ier s'était refusé à intervenir dans ce nouveau différend et à se prononcer d'une manière formelle contre les prétentions que le duc de Gueldre opposait aux droits plus certains du souverain des Pays-Bas[16].

En recherchant l'alliance de l'Angleterre, Louis XII se disait qu'il pourrait dorénavant disposer librement de ses forces pour recouvrer le duché de Milan. En effet, la gendarmerie, sous le commandement du duc de Bourbon, allait se mettre en marche, et le roi se proposait de le rejoindre, avec le reste de l'armée, lorsqu'il mourut. François Ier se chargea d'exécuter l'entreprise. Il commença par renouveler ses traités avec le roi d'Angleterre et la république de Venise ; puis, au mois d'août 1515, il passa les Alpes avec 40.000 hommes, et, le 15 septembre, remporta, à Marignan, sur les Suisses venus au secours du duc de Milan, une victoire qui le rendit maître de la Lombardie.

Charles d'Autriche, héritier de la monarchie espagnole, s'étudiait à ménager son redoutable voisin. Loin donc de s'associer aux démonstrations hostiles de son aïeul, l'empereur Maximilien, qui était venu camper sur les rives de l'Adda, il s empressa de féliciter François Ier sur sa grande victoire et d'offrir sa médiation pour le réconcilier avec le chef de l'Empire. Il savait très-bien, lui mandait-il, que si les affaires du roi prospéraient, les siennes prospéreraient aussi ; il l'engageait ensuite à se rapprocher de l'Empereur parce que, quand le roi serait maître paisible du duché de Milan, il pourrait, avec le concours du chef de l'Empire, le posséder à moindres frais et en plus grande sûreté qu'il ne le ferait, s'il n'y avait bonne amitié et intelligence entre eux[17].

La mort de Ferdinand le Catholique, survenue le 23 janvier 1516, affermit Charles d'Autriche et son conseil dans leurs dispositions pacifiques. L'ouverture de la nouvelle succession échue au petit-fils des rois catholiques soulevait deux graves questions : il fallait décider si François Ier rentrerait en possession du royaume de Naples, que Louis XII avait cédé à Germaine de Foix, seconde femme de Ferdinand, mais pour autant que celui-ci laissât des enfants de ce second mariage. Il s'agissait aussi de prendre une résolution au sujet de la Navarre dont Ferdinand s'était emparé frauduleusement en 1514, au détriment de Jean d'Albret et de Catherine de Foix, alliés de la France. Arthus Gouffier de Boissy, grand maître de France, qui avait élevé François Ier, et Guillaume de Croy, Sgr de Chièvres, qui avait dirigé l'éducation de Charles, curent des conférences à Noyon pour résoudre les points en litige. Elles aboutirent au traité conclu dans cette ville, le 15 août 1516. Les parties transigèrent de nouveau au sujet du royaume de Naples. Il fut stipulé que Charles, au lieu d'épouser la princesse Renée, aurait pour femme Louise de France, alors âgée d'un an, fille de François Ier, et que celui-ci renoncerait en faveur de ce mariage à ses prétentions sur le royaume de Naples. Quant à la Navarre, Charles s'engageait à satisfaire Henri d'Albret aussitôt que lui-même aurait pris possession de la succession de Ferdinand d'Aragon. Le comte du Rœulx, grand maître de la cour de Charles d'Autriche, vint à Paris pour ratifier le traité conclu à Noyon, et les deux princes, en signe d'amitié, s'envoyèrent mutuellement le collier de leurs Ordres[18].

L'empereur Maximilien était d'abord peu disposé à ratifier le traité de Noyon. Le 29 octobre, il contracta même avec Henri VIII et le pape Léon X une ligue défensive dans laquelle il voulut entraîner son petit-fils : quoiqu'elle semblât n'avoir pour objet que de garantir les confédérés contre toute agression, en réalité, elle menaçait la puissance ascendante de François Ier[19]. Cependant, Maximilien, bien qu'il eût également l'espoir de soulever la Suisse entière contre le vainqueur de Marignan, ne persévéra point dans ses desseins belliqueux. Le traité de Noyon, s'il voulait y accéder, stipulait en sa faveur une indemnité de 100.000 écus d'or, moyennant la cession de Vérone aux Vénitiens : il accepta cette clause, ratifia le traité, conclut une trêve avec la république de Venise, et consentit que les cinq cantons suisses, qui avaient jusqu'alors refusé de s'allier avec la France, entrassent dans le traité que les huit autres avaient déjà fait avec François Ier. Cet accommodement reçut sa consécration dans le traité de paix perpétuelle conclu à Fribourg, le 29 novembre 1516, entre le roi de France d'une part, et, de l'autre, les treize cantons, les ligues grises et tous ceux qui étaient unis au corps helvétique[20].

Pendant que s'accomplissaient tous ces événements, la cour de Charles d'Autriche était livrée à l'agitation. Depuis l'émancipation du jeune souverain, deux partis s'y disputaient la prépondérance. L'un était représenté par Marguerite et regrettait l'alliance anglaise ; l'autre, qui avait Guillaume de Croy pour chef, se proposait d'écarter du gouvernement la sage et courageuse régente, d'adopter une politique moins fière, et de ne pas marchander les concessions pour vivre en paix avec la France. Ce dernier parti l'emportait depuis l'émancipation, qu'il avait provoquée et hâtée comme le moyen le plus sûr de s'emparer du pouvoir. Marguerite, irritée de l'arrogance de ses adversaires, prit enfin la résolution d'écrire une apologie de ses actes. Elle-même, le 20 août 1545, présenta en plein conseil ce mémoire justificatif à son neveu ; puis l'audiencier en donna lecture en présence du souverain, du seigneur de Chièvres, du comte Palatin, du seigneur de Ravestein, du prince de Chimay, du chancelier et d'autres personnages.

Marguerite se plaignait avec amertume du peu d'égards qu'on lui témoignait et protestait contre les censures et les calomnies auxquelles elle était en butte. Pour se justifier, elle rappelait les services qu'elle avait rendus pendant la minorité du prince. Elle déclarait hautement qu'elle s'était bien et loyalement conduite, délaissant tout profit particulier, servant le prince de cœur et non pas pour s'enrichir de ses biens. Si, dans 1&compte détaillé qu'elle communiquait au conseil, on trouvait quelque chose qui ne fût véritable, elle exprimait le désir que la contradiction se produisit en présence du prince même, afin qu'elle y pût répondre. J'ayme mieux, disait-elle à ce sujet, que l'on parle devant moy que derrière. Elle récapitulait ensuite tous les actes principaux de son gouvernement, depuis que l'empereur Maximilien lui avait confié la, régence des Pays-Bas. Elle rappelait ses efforts pour s'opposer aux agressions du duc de Gueldre aidé par le roi de France ; la part qu'elle avait prise à l'alliance avec l'Angleterre et au traité de Cambrai, qui n'avait pas été conclu sans grande peine ni travail ; les tentatives qu'elle avait faites, afin d'obtenir la neutralité dû duc de Gueldre après le traité de Cambrai, et, ces tentatives ayant échoué, l'appui qu'elle avait reçu des Anglais pour tâcher d'abattre cet infatigable adversaire. Elle repoussait bien loin le reproche qu'on lui faisait d'avoir recommencé la guerre contre la Gueldre, puisqu'elle n'avait d'abord rien épargné pour désarmer Charles d'Egmont. D'autre part, elle s'enorgueillissait de l'assistance qu'elle-même avait donnée aux Anglais lors de leur débarquement à Calais, car de cette coopération devait résulter, croyait-elle alors, un grand bien pour la maison d'Autriche et même la possibilité de recouvrer le duché de Bourgogne. Aussi ne cachait-elle point les regrets qu'elle avait éprouvés de l'accord trop prompt qui avait été conclu par les Anglais avec la France, malgré tous ses efforts pour empêcher cette réconciliation prématurée. Et quelle avait été la récompense de ses services et de ses sacrifices, car elle avait servi gratuitement sans toucher un denier comme régente, et après avoir dépensé plus de trois cent mille florins de ses biens propres ? On lui avait laissé ignorer le dessein d'émanciper le prince, auquel, si elle l'avait connu, elle se serait prêtée de meilleure grâce que tout autre. On ne lui témoignait plus que de la défiance et on cherchait, par des imputations calomnieuses, à la desservir auprès de son neveu. On s'ingéniait, en outre, à retarder le payement de sa pension, tandis qu'il n'y avait seigneur qui ne se tint pour bien assuré d'avoir la sienne. Sy la mienne est plus grande, ajoutait-elle en s'adressant directement au prince[21], aussi suis-je vostre unicque tante et n'ay aultre filz ni héritier que vous, et ne congnois celluy à qui vostre honneur touche plus que à moy. Vous pouvez estre asseuré, Monseigneur, que quand il vous plaira vous servir de moy et me traicter et tenir en telle estime que la raison veult, je vous serviray bien et léalement, et y exposerai ma personne et mes biens, comme j'ay ci-devant fait. Mais s'il vous plaist de croire légièrement ce qu'on vous dit de moy et me souffrir traicter comme je vois le commencement, aymerois trop mieulx de porvoir à mes petites affaires et me retirer gracieusement, comme desjà l'ay fait supplier à l'Empereur par mon secrétaire Marnix, quand dernièrement il fust devers luy.

Le jeune prince, après avoir entendu cette éloquente justification, dit, et le chancelier déclara de même, par son ordre qu'on tenait Madame pour bien deschargée de toutes choses, avec autres belles et bonnes paroles et promesses.

Mais ces promesses furent bien vite oubliées. Le seigneur de Chièvres et ses amis reprirent bientôt leur ascendant sur l'esprit du jeune prince et cherchèrent de nouveau à lui rendre sa tante suspecte, afin d'exercer le pouvoir sans partage. Pour dégoûter Marguerite du gouvernement, on continuait à lui dérober la connaissance des affaires les plus importantes, et on alla même jusqu'à gêner et peut-être intercepter la correspondance qu'elle entretenait avec l'Empereur, son père. C'est ainsi que des conseillers ambitieux abusaient de l'empire qu'ils avaient pris sur le jeune souverain et le rendaient ingrat envers la noble princesse qui s'était dévouée avec tant d'abnégation à la grandeur de la maison d'Autriche. Tous les services rendus par Marguerite, pendant les années si difficiles de la minorité, étaient ou méconnus ou mal interprétés ; on ne lui tenait aucun compte de ses sacrifices ; on oubliait le tact supérieur qu'elle avait montré dans les négociations les plus vastes et les plus délicates ; on ne se souvenait plus que, dans ce pénible gouvernement des Pays-Bas, la fille de Marie de Bourgogne avait consumé ses jours et ses nuits à lever des armées, à chercher les moyens de remplir un trésor toujours vide, à modérer les exigences d'une aristocratie susceptible à l'excès, et à contenir le peuple accablé sous le poids d'impôts onéreux. Poussée à bout par le mauvais vouloir qu'elle rencontrait dans l'entourage du prince, Marguerite d'Autriche eut recours à la haute intervention de l'Empereur, son père. L'aïeul de Charles se prononça vivement, quoique avec une certaine discrétion dans la forme, contre des procédés presque injurieux. Le 18 janvier 1516, il écrivit d'Augsbourg à son petit-fils pour lui recommander de toujours honorer sa tante, de lui conserver sa confiance entière, et de ne cesser de la consulter sur les plus grandes et les plus difficiles affaires du gouvernement[22].

De même que Marguerite d'Autriche avait courageusement défendu les Pays-Bas pendant la minorité de son neveu, Ximenès de Cisneros, après la mort de Ferdinand le Catholique, sut aussi, par son incomparable énergie, conserver les royaumes espagnols pour le véritable héritier. Issu d'une famille appartenant à la petite noblesse de Castille, simple religieux de l'ordre de Saint-François, il s'était élevé, par son rare mérite et par la protection éclairée de la reine Isabelle, aux plus hautes dignités de l'Église et de l'État. Cardinal et archevêque de Tolède, membre du conseil de gouvernement ou de régence, sous Philippe le Beau et Ferdinand, il était le premier, après le roi. Il l'aidait, il le suppléait, il le remplaçait même à la tête des armées : on l'avait vu, en 1509, commander en personne la croisade qui fit une descente en Afrique et conquit Oran.

Ferdinand n'aimait point son petit-fils Charles et aurait voulu tout au moins amoindrir son héritage en lui enlevant les royaumes d'Aragon, de Naples et de Sicile. Aussi sa joie fut grande lorsque Germaine de Foix lui donna, en 1509, un fils auquel ces royaumes allaient appartenir légitimement. Mais l'enfant mourut au bout de quelques jours, et, malgré les ardents désirs de Ferdinand et de Germaine[23], Charles ne fut pas déshérité, et l'unité de l'Espagne ne reçut aucune atteinte. Sur son lit de mort, le vieux roi d'Aragon, éclairé par ses plus sages conseillers, consentit à révoquer un premier testament par lequel il donnait au prince Ferdinand, qui avait été élevé sous ses veux, la régence de tous ses royaumes jusqu'à l'arrivée de l'archiduc, son frère, et lui conférait en même temps la dignité de grand maître des trois ordres militaires[24]. Selon la remarque de Robertson, la première de ces dispositions mettait le jeune Ferdinand en état de disputer le trône à son frère, et la seconde l'aurait rendu, à tout événement, presque indépendant[25]. Le vieux roi cassa ce testament, confia, jusqu'à l'arrivée de Charles, le gouvernement de l'Aragon à son fils naturel, don Alonzo, archevêque de Saragosse, et nomma régent du royaume de Castille le cardinal Ximenès. En même temps qu'il rétablissait Charles en tous ses droits, Ferdinand dictait une lettre où il recommandait à son petit-fils, de la manière la plus pressante, les intérêts de la reine Germaine de Foix[26].

Dès le mois d'octobre 1515, et dans la prévision de la mort prochaine de son aïeul, Charles avait envoyé en Espagne son ancien précepteur Adrien d'Utrecht, avec la mission de prendre possession du royaume de Castille aussitôt que Ferdinand aurait fermé les yeux. Il y avait donc deux régents : l'un, Ximenès, désigné par le testament du vieux roi ; l'autre, Adrien d'Utrecht, choisi directement par Charles d'Autriche. Pour éviter un nouveau conflit, ils convinrent d'attendre que le prince eût formellement déclaré à qui des deux il voulait laisser la régence jusqu'à son arrivée en Espagne, et d'ici là, de gouverner ensemble et de signer en commun tous les décrets[27]. Ximenès, quoique au déclin de la vie, car il était octogénaire ; se mit aussitôt à l'œuvre avec une promptitude, une habileté et une vigueur extraordinaires, faisant prévaloir l'autorité du prince sur une noblesse altière, contenant les communes jalouses de leurs privilèges, défendant et conservant la Navarre, surveillant enfin avec la même vigilance les possessions et les conquêtes des Espagnols en Afrique et en Amérique.

Malgré les répugnances des principaux membres de son conseil, Charles confirma les pouvoirs que Ximenès avait reçus de Ferdinand ; et, sans révoquer Adrien, à qui il ne cessait de témoigner la plus grande confiance et qu'il éleva bientôt au siège épiscopal de Tortose[28], il feignit de ne le désigner que comme son ambassadeur. Les deux prélats continuèrent d'administrer le royaume de Castille en commun. Ximenès ne sacrifiait rien par cet arrangement, car le caractère doux d'Adrien d'Utrecht était trop complètement subjugué par le fier génie de son collègue pour s'opposer à ses volontés[29].

Charles mit immédiatement à l'épreuve la popularité et l'énergie du puissant cardinal. Il ne pouvait porter en Castille et en Aragon, du vivant de sa mère, que le titre de prince régent ; toutefois, il exprima le désir et même la-volonté de prendre immédiatement le titré de roi. Malgré les objections de Ximenès et du conseil royal, il persista fortement dans ce projet, alléguant qu'on ne pouvait lui refuser une qualification dont le pape, l'Empereur et les cardinaux usaient à son égard. En présence de cette volonté si fermement exprimée, Ximenès fit taire ses répugnances, convoqua les grands et les prélats de Castille à Madrid, où il avait transféré le siège du gouvernement, et leur communiqua la lettre du prince. Voyant que ce projet était mal accueilli, Ximenès déclara aux grands mécontents qu'il se passerait de leur assentiment et que le jour même il ferait proclamer le roi Charles dans Madrid. La proclamation se fit en effet (le dernier jour de mai 1516), et l'exemple donné à Madrid fut imité dans les autres communes de Castille, tandis que, en Aragon, l'opposition fut insurmontable[30].

Ximenès avait reçu sur les dispositions de la cour de Bruxelles, îles informations, très-intéressantes dans leur exagération même, de don Alonzo Manrique, évêque de Badajoz, lequel résidait auprès de l'héritier des couronnes d'Espagne. Ce prélat ne cachait point les défauts du jeune prince, s'étendait sur les tendances françaises et l'avidité de son entourage, constatait le peu de sympathie que l'on y témoignait aux Espagnols et signalait enfin les obstacles que l'on opposait au départ du prince, désiré au delà des Pyrénées et redouté dans les Pays-Bas. Le prince, disait l'évêque de Badajoz (en 1516), est doué de très-bonnes dispositions et d'un grand caractère ; mais on l'a élevé et on l'élève encore loin du monde, et particulièrement des Espagnols. Il ne sait dire un seul mot en espagnol, quoiqu'il le comprenne un peu. Il est dominé à tel point qu'il ne sait faire ni dire autre chose que ce qu'on lui suggère, ou ce qu'on lui dit. Il écoute beaucoup son conseil auquel il montre une grande déférence. Le personnage qui gouverne, et par la main duquel tout se fait absolument ici, est M. de Chièvres. Il est natif de France, de père et mère français ; et tous les autres qui participent actuellement aux affaires sont français aussi, ou sont tellement attachés à la France que cela revient au même. Ils tiennent le prince très-assujetti au roi de France, au point qu'il lui écrit servilement et met au bas de ses lettres : Votre très-humble serviteur et vassal.

Faisant ensuite allusion au traité de Noyon, le fier Castillan poursuivait ses amères remarques sur cet abaissement de l'héritier des Espagnes devant la France : Les arrangements qui se firent récemment avec cette couronne furent peu honorables. Il importait, sans doute, que ces deux princes fussent d'accord, parce que, étant les plus puissants de la chrétienté, ils peuvent par leur union lui procurer un grand bien et étendre leur pouvoir jusque sur les infidèles. Toutefois, je ne pense pas qu'ils puissent s'entendre longtemps, car les Français n'observent ni la fidélité ni l'amitié, et il est probable qu'ils l'observeront moins encore envers le prince, à cause de la jalousie qu'ils ont de ce qu'il est plus grand et plus puissant seigneur que leur maître. Déjà ils ont arrêté tous les courriers que nous avons envoyés en Espagne et ont voulu voir leurs dépêches, et ils en ont usé de même envers les courriers envoyés d'Espagne aux Pays-Bas. Le prince écrivit au roi, afin de pouvoir établir des postes dans son royaume sur la route d'Espagne ; et non-seulement le roi dissimula et ne répondit pas, mais il en agit comme il a été dit. Dans cette cour, on craint et on aime les Français, et il n'y a pour eux d'autre pays au monde que la France. Cela va jusqu'au point, et c'est une chose bien douloureuse à voir, que l'ambassadeur de France n'est pas considéré et traité comme ambassadeur, mais comme s'il était le chambellan du prince et avait charge d'assister à son lever et à son coucher ; il ne quitte pas plus la chambre que ceux qui sont attachés à la personne du prince.

L'évêque ajoutait des informations importantes sur les délibérations qui avaient eu lieu au sujet du départ de Charles pour l'Espagne : On s'est occupé ici du voyage du prince, et, le 24 février, jour de saint Mathias, il a été décidé dans un conseil, où tout le monde a donné son avis, que S. A. se rendrait en Espagne au plus tôt et qu'elle s'embarquerait vers la Saint-Jean. Déjà l'on travaille à réunir des fonds et tout ce qui est nécessaire. Bien que tout le monde paraisse être fixé sur ce point, il ne faut pas encore trop y compter ; car aujourd'hui on décide une chose et demain une autre. Le cardinal doit donc insister dans ses lettres, et le royaume entier se joindre à lui pour que ce voyage se fasse immédiatement, vu les avantages qui en résulteront, et les inconvénients qu'entraînerait, au contraire, un plus long retard. On a su ici tout ce que le seigneur cardinal a fait ; comment, avant la mort du roi il s'est pourvu de cavaliers et d'infanterie, afin d'assurer la pacification du royaume, et les mesures qu'il a prises pour la garde des frontières et les affaires du dehors ; on a été informé aussi de sa réunion avec les grands, des merveilles qu'il a opérées ; tout cela a trouvé ici une approbation générale. Sa Seigneurie gouvernera en la présence comme en l'absence du prince ; elle peut s'en flatter, car c'est ici le vœu de chacun. Qu'elle s'efforce donc de faire réaliser le voyage projeté de S. A., voyage qui est d'une si grande importance. Alors même que le départ du prince devrait avoir lieu dans un bref délai, il conviendrait que le cardinal envoyât en cette cour quelqu'un qu'on sût lui être dévoué, pour négocier et parler en son nom : bien que Sa Seigneurie possède ici beaucoup de serviteurs, cette démarche serait prudente[31].

Malgré l'affirmation contraire de l'évêque de Badajoz, qui sans doute voulait flatter Ximenès, il était certain que les conseillers intimes de Charles voyaient avec dépit le pouvoir exorbitant que s'arrogeait le fier cardinal. Mais les réformes qu'il poursuivait avec tant de vigueur ne fortifiaient pas seulement l'autorité du prince, elles permettaient aussi de satisfaire l'avidité de ses courtisans. Pour ces motifs, Chièvres jugea convenable de dissimuler sa jalousie et de ménager encore l'inflexible régent. Ximenès retira toutes les terres de la couronne que Ferdinand avait aliénées ; retrancha les pensions dont la jouissance ne lui paraissait pas suffisamment motivée, modéra ou supprima quantité de dépenses inutiles qui grevaient le trésor royal et cassa un grand nombre d'officiers également superflus. Mais l'État seul ne profitait point de ces économies : les ressources qui en provenaient allaient surtout alimenter l'insatiable avarice de Chièvres, de Sauvaige et des autres ministres qui se proposaient de pressurer les Espagnols comme ceux-ci traitaient les Indiens. Ximenès finit par représenter au prince que, depuis les quatre mois qu'il régnait, il avait plus dépensé que les rois catholiques, ses grands parents, pendant les quarante années de leur règne[32].

Ximenès avait aussi montré beaucoup d'énergie pour défendre et consolider l'Inquisition, comme institution religieuse et politique. Il avait été fait depuis peu des exécutions sanglantes de juifs et de mahométans, qui, après avoir embrassé la religion chrétienne, étaient retournés à leur premier culte. Leurs compatriotes gémissaient de ce qu'on faisait périr tous les jours un grand nombre d'innocents dont tout le crime consistait à avoir des ennemis intéressés à leur perte. Les juifs et les Mores convertis, après s'être plaints longtemps, mais vainement, du pouvoir exorbitant du Saint-Office, prirent le parti d'envoyer des députés à Bruxelles pour obtenir du roi que l'Inquisition fût obligée de se conformer aux usages des autres tribunaux où les délateurs et les témoins étaient ouvertement confrontés avec les accusés. Ils appuyaient leur demande par de grands présents à tous ceux du conseil, et offraient au roi même 80.000 écus d'or s'il voulait accéder à leur requête[33]. Le conseil de Charles était disposé à accueillir le vœu qui lui était transmis. Mais Ximenès, informé de ces sollicitations, écrivit fortement au roi pour le dissuader de rien changer aux institutions établies. Il lui rappela le refus que Ferdinand, son aïeul, avait opposé à ces mêmes gens lorsqu'ils lui avaient offert jusqu'à 600.000 écus d'or dans le plus grand besoin d'argent qu'il eût jamais eu, c'est-à-dire lorsqu'il était sur le point d'entreprendre la conquête de la Navarre. Il ajouta que, si l'on réformait l'Inquisition, celle-ci ne trouverait plus de témoins, ou que, si elle en produisait, ils seraient tous les jours exposés à être poignardés par les accusés ou par leurs partisans. Les députés des juifs et des Mores furent renvoyés, et l'ancien mode de procédure maintenu[34].

Ximenès, cependant, tout en redoublant de vigueur pour contenir la noblesse frémissante et les villes exaspérées, commençait à s'effrayer de la fermentation qui régnait dans la Castille. Burgos, Léon, Valladolid et d'autres cités protestèrent ouvertement contre la vénalité des conseillers étrangers du roi, et demandèrent la convocation des cortès générales, afin de remédier promptement aux abus. Le régent et le conseil royal de Castille durent céder à ce vœu populaire et promettre la réunion des cortès pour le mois de septembre 1517. En même temps, ils appuyèrent auprès de Charles les légitimes réclamations des villes castillanes, et le conjurèrent de ne plus différer son départ[35]. Pour apaiser le peuple, le régent s'empressa aussi de faire préparer et d'envoyer dans les Pays-Bas la flotte qui devait amener le roi en Espagne.

Charles fut enfin convaincu qu'il ne pouvait plus différer son voyage. Mais, avant de s'éloigner des Pays-Bas, il jugea prudent de resserrer encore son alliance avec François Ier. Au mois de mars (1517), les négociateurs du traité de Noyon, le Sgr de Chièvres et Arthus Gouffier, eurent de nouvelles conférences à Cambrai, et y confirmèrent ostensiblement l'alliance conclue précédemment entre le roi de France, d'une part, le Roi Catholique et l'Empereur, son grand-père, de l'autre[36]. Ils allèrent plus loin encore : afin d'enlever tout prétexte de guerre, ils arrêtèrent secrètement une nouvelle coalition contre Venise dont les dépouilles serviraient à concilier toutes les prétentions. Un royaume d'Italie, auquel les seigneuries de Venise et de Florence serviraient de fondements, serait créé au profit du Roi Catholique ou de son frère, l'archiduc Ferdinand. D'un autre côté, on instituerait, pour François Ier, un royaume de Lombardie, formé principalement du duché de Milan, de la seigneurie de Gènes et du Piémont. Les deux royaumes, entre lesquels était partagée presque toute l'Italie, seraient tenus en fief de l'Empereur. On stipulait, au surplus, que ce traité serait considéré comme non avenu s'il n'avait pu être mis à exécution dans un délai de deux ans[37]. Au mois de juin, les états généraux des Pays-Bas furent réunis à Gand, et le Roi Catholique prit congé d'eux. Il leur fit déclarer, par le chancelier de Bourgogne, que, dans le dessein d'assurer le repos du pays, il avait traité avec les rois de France et d'Angleterre ; qu'il allait se rendre en Espagne, et que, pendant son absence, sa tante, l'archiduchesse Marguerite d'Autriche, exercerait la régence. Il requit les états de lui obéir comme à lui-même, et de rester unis[38].

Le jeune souverain avait également annoncé aux états qu'il emmènerait avec lui sa sœur, la princesse Éléonore, et qu'il renverrait prochainement aux Pays-Bas Ferdinand, son frère. La présence de ce prince en Espagne pouvait occasionner les plus graves embarras et provoquer une guerre civile. Déjà, à l'époque de la mort du roi d'Aragon, son aïeul, Ferdinand d'Autriche, trompé par son entourage, avait voulu, en s'appuyant sur le premier testament du Roi Catholique, faire déclarer illégale la régence de Ximenès et prendre lui-même l'administration du royaume. Les artifices les plus grossiers étaient même employés pour entretenir l'ambition du jeune prince[39]. Son gouverneur P. Nuñez de Guzman, commandeur de l'ordre de Calatrava, et son précepteur Osorio, évêque d'Astorga, cherchèrent enfin à tirer parti du mécontentement des Espagnols contre le roi légitime pour élever Ferdinand au trône. Averti de ces menées, Charles, au moment de quitter les Pays-Bas, signa une lettre par laquelle il ordonnait à Ximenès d'enjoindre à Nuñez de Guzman de retourner dans sa commanderie et à l'évêque d'Astorga de rentrer dans son diocèse.

Il désignait les personnages qui devaient les remplacer auprès de l'archiduc et dont le principal était le sieur de là Chaulx. Nous voulons, ajoutait-il, que l'un de ces personnages couche toujours dans sa chambre, comme M. de Chièvres couche dans la notre, afin que, à son réveil, il ait quelqu'un avec qui il puisse converser, si cela lui fait plaisir[40].

Le jour même où il signait cette lettre, Charles s'embarquait à Flessingue avec sa sœur Éléonore, le Sgr de Chièvres, le chancelier le Sauvaige et une suite nombreuse de gentilshommes belges. Pour pourvoir aux frais de son voyage et faire face aux nouvelles agressions du duc de Gueldre, le Roi Catholique venait d'emprunter à Henri VIII, son oncle, une somme de 100.000 florins d'or[41].

Poussé par des vents contraires à Tazones, en Asturie, où personne ne l'attendait, Charles séjourna quelque temps dans la ville voisine de Villaviciosa[42]. Tandis qu'il s'approchait des côtes espagnoles, Ximenès se trouvait dans le couvent des franciscains d'Aguilera, près d'Aranda, où il s'était rendu pour rétablir sa santé défaillante[43]. Mais la nouvelle de l'arrivée du roi parut le ranimer. Il adressa aussitôt au jeune monarque des lettres remplies des plus sages conseils sur les moyens de se concilier l'affection du peuple. De son côté, Charles envoya aussi des messages qui exprimaient au cardinal le plus vif intérêt et témoignaient de la plus grande déférence. Mais les ministres belges, redoutant l'ascendant que Ximenès pourrait acquérir sur le jeune roi, employèrent tous leurs efforts pour empêcher qu'ils ne se trouvassent réunis et pour combattre les dispositions favorables que Charles avait manifestées spontanément à l'égard de l'homme illustre qui lui avait conservé la Castille. Ils cherchèrent à le retenir dans le Nord ; puis, sous leur détestable influence, le jeune prince écrivit à Ximenès une nouvelle lettre par laquelle il l'écartait non-seulement de la régence, mais encore de toutes les affaires du royaume.

Lorsque cette dernière communication parvint à Roa, où Ximenès s'était fait transporter pour se rapprocher du jeune souverain, l'illustre cardinal était aux portes du tombeau. Adrien, qui se trouvait près de lui, ne lui communiqua point la décision royale, et Ximenès mourut sans avoir eu connaissance de l'acte d'ingratitude arraché à la faiblesse de Charles. Il rendit sa grande âme à Dieu le 8 novembre 1517, âgé de quatre-vingt-deux ans[44].

Trois mois après la mort de Ximenès, le 7 février 1518, Charles, accompagné d'une suite nombreuse, fit son entrée solennelle à Valladolid, où les cortès lui prêtèrent serment et le reconnurent, conjointement avec la reine sa mère, comme roi de Castille, de Léon, de Grenade et des dépendances de ces royaumes. Charles en informa immédiatement François Ier, qui venait de lui envoyer comme ambassadeur le sieur de la Roche, et, en lui réitérant ses protestations affectueuses, exprima le désir de voir leur alliance devenir plus étroite encore[45]. Cependant les marques de déférence des Castillans dissimulaient mal l'aversion que leur inspiraient l'orgueil excessif, l'injuste partialité, et la cupidité cynique des étrangers qui entouraient le roi et qui abusaient de sa confiance et de ses faveurs. Cette haine fut portée au comble lorsqu'on vit les ministres flamands se partager les plus hautes fonctions de l'État, lorsque Jean le Sauvaige fut revêtu de la dignité de chancelier de Castille et Guillaume de Croy, neveu du seigneur de Chièvres, appelé, malgré sa jeunesse, à remplacer Ximenès sur le siège métropolitain de Tolède[46].

Charles, sans trop se préoccuper de ce mécontentement, prit toutefois une mesure qui devait en diminuer les périls. Il voulut que son frère fut éloigné sans retard de l'Espagne et ramené dans les Pays-Bas[47]. Il se dirigea ensuite vers l'Aragon et, le dimanche 9 mai, accompagné des ambassadeurs de tous les souverains ses alliés, il fit son entrée solennelle à Saragosse. Après avoir juré, en présence des cortès d'Aragon, de maintenir les antiques et célèbres privilèges de ce royaume, il joignit la couronne qu'avait portée Ferdinand le Catholique à celles qu'il tenait de son aïeule Isabelle. Charles, alors au comble de ses vœux, reporta sa pensée vers les Pays-Bas où son cœur était demeuré, disait-il lui-même. Il adressa aux principales villes une lettre qui les informait de l'heureux succès de son voyage et de son avènement comme roi de Castille et d'Aragon[48].

Cependant le mécontentement des Castillans augmentait. Ségovie, Tolède, Séville et plusieurs autres villes du premier ordre, après avoir formé une confédération pour la défense de leurs droits et de leurs privilèges, adressèrent au jeune souverain un exposé détaillé de l'état du royaume et se plaignirent vivement de la nomination d'étrangers aux principaux emplois, de l'exportation de l'argent monnayé et de l'augmentation des taxes[49]. Ces remontrances, d'abord présentées sans succès à Saragosse, furent renouvelées à Barcelone, où Charles s'était ensuite rendu pour prendre possession de la Catalogne. Mais, dans son inexpérience, le prince ne fit encore que peu d'attention à ces légitimes réclamations. Ni lui ni ses conseillers n'appréciaient l'importance d'une ligue, qui révélait pourtant, la profonde irritation de la bourgeoisie et qui devait bientôt donner naissance à un formidable soulèvement.

D'autres soins allaient distraire la vigilance et la sollicitude du jeune et fortuné souverain. Non content de régner sur les Pays-Bas et les royaumes espagnols, non content d'être possesseur de l'héritage des maisons de Bourgogne, de Castille et d'Aragon, le petit-fils de Maximilien devait encore aspirer à la dignité impériale, comme un complément nécessaire de sa grandeur, comme un attribut naturel du chef futur de la maison d'Autriche.

 

 

 



[1] Histoire de l'ordre de la Toison d'or, par de Reiffenberg, pp. 245 et 247.

[2] Adrien d'Utrecht était secondé par un maître d'étude, Louis Vaca, que Marguerite d'Autriche recommandait à son père, en décembre 1507, pour lui assurer des bénéfices ecclésiastiques. Je croy, disait-elle, que estes assez averty de la bonne diligence que Me Loys Vaca, maistre d'escole de monseigneur mon nepveu, prent journelement à le instruyre en lettres et bonnes mœurs, dont il prouffite grandement selon son eage... (Correspondance de Maximilien Ier, etc., t. Ier, p. 55.)

[3] Brantôme, Vies des capitaines étrangers, t. Ier. — Particularités inédites sur Charles-Quint et sa cour, par de Reiffenberg. (Mémoires de l'Académie royale de Bruxelles, t. VIII.)

[4] Histoire de la vie et actions de l'invincible empereur Charles V, par don Jean-Antoine de Vera et Figueroa, etc., traduite d'espagnol en français, par le Sr Du Perron Le Hayer. (Bruxelles, Foppens, 1885, in-12, p. 5.)

[5] Maximilien écrit à Marguerite (février 1509) : Nous fûmes bien joyeux que nostre fils Charles prenne tant de plaisir à la chasse, autrement on pourra penser qu'il est bâtard. (Correspondance de Maximilien Ier, etc., t. Ier, p. 241.) — De son côté, Marguerite, au mois de mai 1515, informe Maximilien que le jeune prince, en tirant de l'arbalète à Tervueren, a tué, par mégarde, le lundi de la Pentecôte, un homme de mestier de cette ville, yvrogne et mal conditionné. Ce qui a causé, ajoute-t-elle : un grand regret et déplaisir à Mgr et à moy. (Correspondance de Marguerite d'Autriche, t. II, p. 80.)

[6] Recherches historiques en France, par E. Cachet, dans les Bulletins de la Commission royale d'histoire, 2e série, t. IV et V.

[7] Particularités et documents inédits sur Charles-Quint, publiés, par M. Gachard dans le Trésor national (1842), t. II.

[8] Sommaires des voyages de Charles V, par Vandenesse, Mss. de l'ancienne bibliothèque de Bourgogne, n° 11581. Des détails intéressants ont été communiqués par M. Gachard dans son introduction aux lettres inédites sur la retraite de Charles-Quint, pp. 2-5. — Dans sa collection de Documents inédits concernant l'Histoire de la Belgique, t. Ier, p. 283, M. Gachard a publié la lettre par laquelle Charles-Quint notifia, le 9 janvier 1515, son émancipation au grand conseil de Malines, et lui envoya le formulaire des titres qui devaient être insérés dans les actes expédiés en son nom ; le voici : Charles, par la grâce de Dieu, prince d'Espagne, des Deux-Siciles, de Jérusalem, etc. ; archiduc d'Autriche, duc de Bourgogne, de Lothier, de Brabant, de Styrie, de Carinthie, de Carniole, de Limbourg, de Luxembourg et de Gueldre ; comte de Flandre, de Habsbourg de Tyrol, d'Artois, de Bourgogne palatin et de Hainaut ; landgrave d'Alsace, prince de Souabe, marquis de Burgau et du Saint Empire, comte de Hollande, de Zélande, de Ferrette, de Kybourg, de Namur et de Zutphen, seigneur de Frise, des marches d'Esclavonie, de Portenau, de Salins et de Malines. — Au mois de janvier 1517, l'ordre de la Toison d'or, ayant convoqué à Bruxelles son XVIII- chapitre, Charles d'Autriche fit, le 25, avant l'ouverture de la fête, le serment que, à cause de son bas âge, il avait été dispensé de prêter en 1501, lorsqu'il fut revêtu du collier de l'Ordre, et il prêta en même temps celui qui était attaché à la dignité de chef et souverain. (Histoire de l'ordre de la Toison d'or, p. 294.)

[9] Mémoires de Du Bellay, t. Ier, p. 60.

[10] Mercurin de Gattinare à Marguerite d'Autriche, de Compiègne, 4 février 1515. Il l'informe aussi des propos désobligeants tenus par les ambassadeurs d'Angleterre : L'on nous a adverty que le duc de Suffolck et les autres ambassadeurs d'Angleterre, en leur audience privée, ont bien chargié sur la compagnie, en disant que l'on ne se debvoit fier de vostre Maison, et que l'on ny tenoit ni foy ni promesse. (Négociations diplomatiques, etc., t. II, pp. 41-48.)

[11] Dans la lettre où Mercurin de Gattinare rend compte à Marguerite de cette audience (Paris, 14 février 1515), il dit que la reine Claude est bien petite et d'estrange corpulence, mais que sa grâce de parler supplée beaucoup à la faute de beauté. Lorsque les ambassadeurs lui eurent fait la révérence, elle baisa M. de Nassau ; et quant à M. de Sainct-Py et tous nos autres, ajoute Gattihare, elle bailla la main. (Nég. dipl., t. II, pp. 52-58.) — La lettre suivante du 16 février (pp. 59-63) contient une description curieuse de l'entrée solennelle de François Ier à Paris.

[12] Les premières instructions délivrées aux ambassadeurs et datées de Louvain, 19 janvier 1515, enjoignaient au comte de Nassau d'offrir aussi l'hommage du souverain des Pays-Bas pour le duché de Bourgogne ; et comme on prévoyait bien qu'il ne serait pas admis à rendre ce devoir, on lui prescrivait de faire une protestation secrète de non-préjudice au droit du prince, mais sans donner aucun signe d'aigreur et de mécontentement. (Négociations diplomatiques, etc., t. II, p. 6.)

[13] Voir Lanz, Correspondenz des Kaisers Karl V, Leipzig, 1844, t. Ier, pp. 2-47, pour la correspondance officielle des ambassadeurs belges avec Charles d'Autriche. On trouve aussi des indications utiles dans Pontus Heuterus, Rer. belg., lib. VII, fol. 315-316. Quant au traité, il est inséré dans le Corps diplomatique de Dumont, t. IV, Ier partie, p. 199.

[14] Négociations diplomatiques, etc., t. Ier, p. 595.

[15] Francico fœderi asscriptus fuit in gratiam regis Francisci Carolus dux Geldriœ. (Pontus Heuterus, p. 316.)

[16] En 1498, Maximilien et Philippe le Beau avaient conféré le gouvernement héréditaire de l'Oost-Frise et de la West-Frise à Albert, duc de Saxe, landgrave, de Thuringe, marquis de Misnie, etc., à condition que lui et ses héritiers tiendraient ce pays comme un fief mouvant et relevant du comté de Hollande, jusqu'à ce qu'on leur eût remboursé la somme de 550.000 livres du Rhin qui avaient été dépensées pour la conquête. Mais Albert essaya en vain de joindre à la Frise Groningue et les Ommelanden. Après sa mort, les droits qu'il avait acquis passèrent à son fils Henri, lequel les transféra ensuite à Georges, son frère. Celui-ci, sans tenir grand compte de l'engagement souscrit par son père, en 1498, s'intitulait : Gouverneur perpétuel et vicaire héritable du pays de Frise de par le saint empire. Pendant la trêve de quatre ans, conclue en 1515, entre Marguerite et le duc de Gueldre, il prit à sa solde les troupes licenciées par ce prince et ravagea l'Oost-Frise et le pays de Groningue que lui disputait Edzard IV, comte d'Emden, lequel, au moment de succomber, fut soutenu et même suppléé par Charles d'Egmont. Enfin, Georges de Saxe, désespérant de vaincre ses adversaires, prit le parti de rétrocéder à Charles d'Autriche tous ses droits sur la Frise. Le traité, qui consacrait cette cession, fut conclu à Middelbourg, le 19 mai 1515. Georges de Saxe retourna ensuite en Thuringe, et le comte Edzard, n'osant poursuivre la lutte avec le souverain des Pays-Bas, abandonna également la West-Frise. Charles d'Autriche nomma gouverneur de la Frise Florent d'Egmont, comte de Buren, l'ancien adversaire de Charles de Gueldre. Mais l'autorité du lieutenant du souverain ne fut d'abord reconnue que dans les villes de Leeuwaerden, Francker, Harlingen, et d'autres moins importantes. Groningue, qui avait prêté serment à Charles de Gueldre, et les Ommelanden ne se donnèrent à Charles-Quint qu'en 1536. Voir Pontus Heuterus, Rer. Belg., lib. VII, p. 318 et suivantes ; Basnage, Annales des Provinces-Unies, t. Ier, p. 7, et Lanz, Correspondent des Kaisers Karl V, t. Ier, pp. 41 et suivantes.

[17] Correspondenz des Kaisers Karl V, t. Ier, p. 48. Cette lettre datée de Bruxelles, 23 septembre 1515, portait pour suscription : A monsieur mon bon père le roy très-chrestien, — Vostre humble fils et vassal, Charles.

[18] Mémoires de Du Bellay, t. Ier, p. 103. — Dumont, Corps diplomatique, t. IV, P. I, p. 224. — Ce nouveau projet matrimonial eut le sort du précédent. Du reste, la mort prématurée de Louise de France rompit les desseins formés pour son avenir ; quant à Renée, sa tante, elle épousa, le 28 juin 1528, Hercule II, duc de Ferrare, et favorisa les nouvelles doctrines issues de la Réformation.

[19] Monumenta habsburgica, part. II, t. Ier, p. 29.

[20] On nous saura gré, peut-être, d'emprunter à Guicciardin quelques traits intéressants d'une description du corps helvétique à cette époque : Les Suisses, dit-il, habitent le mont Saint-Claude, qui est une des plus hautes parties du mont Jura, et les montagnes du Simplon et du Saint-Gothard. Ils sont naturellement belliqueux, rustiques, et plus adonnés à la garde des troupeaux qu'à l'agriculture, à cause de la stérilité de leurs montagnes. Ce pays obéissait autrefois aux ducs d'Autriche ; mais s'étant révolté depuis longtemps contre eux, il est gouverné par ses habitants et ne reconnaît ni l'Empereur ni aucun autre souverain. La république est divisée en treize parties qu'ils appellent cantons, dont chacun a ses magistrats, ses lois et ses coutumes particulières. Tous les ans, ou plus souvent si les affaires de la république l'exigent, les députés des cantons s'assemblent, tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre, pour délibérer de la paix, de la guerre, des alliances et des propositions des puissances qui demandent que la nation permette par un décret public de lever des soldats dans la Suisse, ou souffre que les particuliers s'enrôlent volontairement. Ces assemblées sont appelées diètes comme en Allemagne. Quand ces peuples ont accordé des soldats par un décret, les cantons eux-mêmes leur choisissent un capitaine-général, auquel on donne une commission et des drapeaux au nom de la république. Il y a au-dessous de la Suisse certaines villes et bourgades habitées par des peuples appelés Valésans, parce qu'ils sont dans les vallées. Cette nation est fort inférieure aux Suisses en nombre, en force et en courage. Un peu plus bas est un autre peuple appelé les Grisons, qui se divisent en trois cantons et qui, pour celte raison, prennent le titre de seigneurs des trois ligues. — Ces trois ligues étaient : la ligue Grise, la ligue Caddée ou de la Maison Dieu et la ligue des Dix-Droitures. Ils avaient pris leur nom de la première, et ce nom provenait des écharpes grises que ceux de cette première ligue avaient coutume de porter. — La principale ville du pays est Coire. Ils sont la plupart du temps ligués avec les Suisses ; ils vont à la guerre avec eux et ont à peu près les mêmes lois et les mêmes usages ; mais, moins braves qu'eux, ils le sont beaucoup plus que les Valésans. (Histoire d'Italie, liv. X, chap. III.)

[21] Voir ce mémoire plein d'intérêt dans la Correspondance de Marguerite d'Autriche, etc., t. II, pp. 117 à 130.

[22] Maximilien s'exprimait en ces termes : Nous ne faisons aucun doubte en portant l'honneur et amour que debvez à nostre très-chère et très-aînée fille, dame Marguerite, archiducesse d'Austice, duchesse et comtesse de Bourgongne, douaigière de Savoye, etc., vostre tante, que vous ne luy communicquez vos plus grands et arduez affaires et que ne prendez et usez de son advis et bon conseil, de laquelle par raison naturelle trouverez et povez toujours plus espérer de comfort, bon conseil et ayde, d'autant que en elle est, que de nul autre ; en quoy comme léal père vous exhortons toujours continuer, en vous requérant toujours affectueusement au surplus que par regard du travail qu'elle a eue durant vostre minorité en l'administration de vos payz soubs nostre main, et aussi de ce qu'estes tout son cœur, espoir et héritier, la vouloir traictier d'une honnête pension, telle que par ci devant elle a eue, ainsi que avons vraye fiance que ferez, comme l'ayant bien mérité envers vous. Il le priait ensuite d'ordonner à son maître des postes de ne plus apporter d'entraves à la correspondance de l'Empereur avec l'archiduchesse et de faire remettre directement à celle-ci les lettres qui lui étaient destinées. (Correspondance de Marguerite d'Autriche, etc., t. II, p. 154.)

[23] Il y a, sur ce sujet, des détails curieux dans les lettres de Pierre Martyr Angleria, qui ne quittait pas Ferdinand, et dans l'histoire du cardinal Ximenès par le Dr Héfélé.

[24] Ce premier testament avait été fait à Burgos en 1512.

[25] C'était aussi l'avis de Marguerite d'Autriche. Pour rien au monde, mandait-elle à son père (21 mai 1510), l'on ne doit demander les maistrisatz de Saint Jacques Callatrave et Alcantre pour l'infante don Fernando, ayns pour monseigneur le prince, car si ledit infante les avoit, ce seroit assez pour faire ledict prince quicte des royaumes de par delà. (Correspondance de Maximilien Ier, etc., t. Ier, p. 271.)

[26] Une copie de cette lettre remarquable et inconnue des historiens existe aux archives d'Ypres. Elle a été publiée récemment par M. Diegerick, conservateur de ce dépôt, un des plus précieux de la Belgique. On nous saura gré, sans doute, de reproduire ici la principale recommandation que le vieux roi dictait, à Madrigalejo, le 22 janvier 1516, veille de sa mort : ... Nous porterons avecq nous une consolation et repoz, c'est ung certain espoir que vous aurez regart à elle (Germaine de Foix), et la honnorerez et tracterez comme femme de vostre père et grand-père, lequel vous a tant aimé, et soy tant travaillé d'esprit et de corps pour vostre bien et l'augmentation et seurté de vostre succession en tous ses roiaulmes et aux vostres. Lequel amour maintenant à nostre mort avons bien monstré, selon que veirrez par nostre testament ; car ce estoit bien en nous de disposer à nostre volonté des roiaulmes en nostre vivant adjoutez à la roialle couronne d'Arragon, laquelle chose ne avons voulu faire pour vous laisser tout nostre mémoire et succession pour l'amour que à vous avons. Et en paiement et recompense da tout ce, nous vous prions, et comme père requerons, que ayez soin de accomplir tout le contenu en nostre dit testament, comme nostre très-chier et très-aimé fylz, et principalement après les choses qui touchent nostre âme, celles qui touchent la scrénissiine régine, nostre très chère et très-aimée compaigne, etc., etc. Quelques lettres et autres documents inédits concernant l'empereur Charles-Quint, publiés par M. I. Diegerick (Bruges, 1853), p. 5-6.

[27] Prescott, History of the reign of Ferdinand and Isabella, part. II, chap. XXIV.

[28] Par une lettre datée de Madrid, 12 juillet 1516, Adrien remerciait Marguerite d'Autriche à qui il attribuait sa promotion à l'évêché de Tortose, et se plaignait en même temps des intrigues de ses ennemis. Il lui aurait écrit fréquemment, disait-il, si tout ce qu'il faisait n'était vu de mauvais œil par certaines personnes. J'espère, ajoutait-il, que Dieu fera en aucun temps apparoir si j'ai bien fait ou mal. Il signait Adrian d'Utrecht. Voir Correspondance de Marguerite d'Autriche, etc., t. II, p. 136. — Un an après, le protégé de Marguerite d'Autriche était décoré de la pourpre romaine.

[29] Le cardinal Ximenès, par Héfélé, chap. XXVI et Prescott, History of the reign of Ferdinand and Isabella, etc., part. II, chap. XXV. — Sur les instances des grands de Castille, mécontents des réformes de Ximenès, Adrien finit pourtant par écrire, à Bruxelles, qu'il ne pouvait plus faire contrepoids au pouvoir du cardinal. Alors on lui adjoignit successivement le seigneur de la Chaulx et Paul Armerstorff, deux hommes d'une grande fermeté et d'un talent réel ; mais leur présence ne diminua point non plus l'autorité de Ximenès. Il continua d'agir comme étant seul investi du pouvoir.

[30] Les Aragonais refusèrent au prince Charles le titre de roi jusqu'à ce que leurs cortès eussent décidé s'il pouvait le porter du vivant de sa mère ; et ils ne cédèrent sur ce point qu'à la diète de Saragosse, après l'arrivée de Charles en Espagne. (Héfélé, Le cardinal Ximenès, p. 478.)

[31] Cette curieuse relation a été insérée par M. Gachard dans les Bulletins de la Commission royale d'histoire, 1re série, t. X.

[32] Prescott, History of the reign of Ferdinand and Isabella, etc., part. II, chap. XXV, et Héfélé, Le cardinal Ximenès, p. 500. Dans sa longue dépêche au cardinal Ximenès, citée ci-dessus, l'évêque de Badajoz signalait sans ménagement les exactions et les concussions des conseillers intimes de Charles : Il est bon que le seigneur cardinal sache, disait-il, que la passion qui règne surtout chez les gens de ce pays, c'est la cupidité : car dans tous les états, quelque religieux que l'on soit, on ne considère pas cela comme un péché ou comme un mal. Le chancelier de Bourgogne lui-même (Jean le Sauvaige), quoiqu'il soit fort habile pour son emploi, et personne honorable, passe pour ne pas être exempt de ce défaut, et l'on en dit autant des autres qui participent aux affaires et au gouvernement. On a été jusqu'à prétendre que le doyen de Louvain (Adrien d'Utrecht), qui est là-bas, avait reçu quelque chose, mais l'évêque ne le croit pas, parce qu'il tient ledit doyen pour un saint homme. Du reste, Alonzo Manrique n'eut pas à se plaindre personnellement du roi Charles et de ses ministres : du siège de Badajoz, il fut d'abord transféré sur celui de Cordoue ; il devint ensuite archevêque de Séville et cardinal.

[33] Dans le mémoire de l'évêque de Badajoz, cité ci-dessus, on trouve les détails suivants sur les instances faites auprès de Charles pour obtenir des changements à l'Inquisition : Il y a ici, depuis un certain temps, quelques Espagnols qui parlent très-mal de l'inquisition, alléguant beaucoup d'actes exorbitants qu'elle aurait commis et disant qu'elle est cause de la ruine de ce royaume (Espagne). Il est évident qu'ils tendent à faire abolir ce tribunal ou à lui faire perdre de son autorité. Ici on est entièrement neuf dans les matières d'hérésie et en ce qui touche l'inquisition ; les informations de ceux qui veulent nuire pourraient donc faire impression, surtout parce que l'argent ne sera pas épargné dans ce dessein. — Ximenès exerça pendant dix années les fonctions de grand inquisiteur de Castille et de Léon. Llorente avait avancé que, pendant son administration, deux mille victimes périrent dans les flammes ; Héfélé estime qu'il faut en rabattre près de la moitié.

[34] Histoire du ministère du cardinal Ximenès, par Marsolier (Toulouse, 1694, 1 vol. in-12), passim. — Prescott, History of the reign of Ferdinand and Isabella, part. II, chap. XXV.

[35] La lettre adressée, en cette occasion, au roi, par Ximenès et le conseil royal, était extrêmement remarquable par sa sincérité. Ils lui rappelaient l'exemple des rois catholiques, ses grands parents, qui n'avaient rien eu tant à cœur que de confier les charges publiques à des hommes recommandables ; ils disaient que jamais personne, sous leur règne, n'avait été condamné par la loi Julia de repetundis, etc. Ils ajoutaient : L'Espagne entière, prosternée suppliante à vos pieds, vous prie et vous conjure instamment de pourvoir à ses intérêts, de réprimer la cupidité des hommes corrompus, d'arrêter le progrès des vices, et de veiller à la tranquillité de vos royaumes. La chose sera facile si vous laissez l'Espagne, cette illustre nation, toujours si dévouée à ses princes, se gouverner et vivre selon les lois de ses pères et les anciennes traditions de ses ancêtres. (Le cardinal Ximenès, par Héfélé, pp. 334-336.)

[36] Dumont, Corps diplomatique, t. IV, I, p. 256.

[37] Monumenta habsburgica, II, I, p. 37. Cette convention secrète fut ratifiée par Charles, à Lierre, le 14 mai, et par François, à Abbeville, le 14 juillet 1517.

[38] Gachard, Des anciennes assemblées nationales, etc., § II. — Charles, suivant la remarque de M. Le Glay, laissa en réalité le gouvernement des Pays-Bas à un conseil de régence où sa tante n'avait guère que voix consultative. Mais il ne tarda point à reconnaître qu'une telle conduite n'était pas conforme à ses vrais intérêts. Par un édit promulgué à Saragosse, le 24 juillet 1518, il rendit à sa tante la signature de tous les actes, la garde du signet des finances et la collation de tous les offices. En conséquence, la circulaire suivante fut publiée dans les Pays-Bas au nom du souverain qui s'exprimait en ces termes : Par nos lettres patentes données en nostre cité de Sarragoce, le XXIIIIe jour de juillet derrain passé, et pour les causes contenues en icelles, Nous avons ordonné que nostre très-chière dame et tante, dame Marguerite, archiducesse d'Austrice, douaigière de Savoye, etc. signera doresenavant de sa main toutes les lettres closes et patentes, actes et autres enseignements, qui se despescheront de par nous, et pour nos affaires de par deçà, que avons ordonné devoir estre signez de nostre cachet. En mectant en la signature ces motz : Par le Roy. Marguerite ; qu'elle aura la garde du signet de nos finances, et qu'elle seule pourverra et disposera des offices de nos pays de par-deçà, dont avions donné et délaissé la disposition à elle avec les chief et gens de nostre privé conseil par ensemble, comme verrez et entendrez le tout plus à plain par la copie desdites lettres-patentes, que vous envoyons avec cestes, etc. (Correspondance de Marguerite d'Autriche, etc., t. II, p. 140.)

[39] C'est ainsi que, le 8 juin 1516, Ferdinand étant à la chasse dans les environs de la maison royale du Pardo, un ermite s'était soudainement présenté devant lui et lui avait prédit qu'il serait roi de Castille, ajoutant que c'était la volonté de Dieu. Puis, il s'était enfui sur la montagne, sans que jamais on ait pu le découvrir. (Histoire de l'empereur Charles V, par Antoine de Vera, pp. 22-35.)

[40] Lettre écrite de Middelbourg, le 7 septembre 1517, dans les Papiers d'État du cardinal de Granvelle, t. I, pp. 89 et suivantes.

[41] Monumenta habsburgica, t. II, I, pp. 45 et suivantes. Cet emprunt fut demandé de Middelbourg, où Charles se trouvait déjà au commencement de juillet.

[42] Les habitants de la côte, prenant d'abord la flotte de Charles pour une escadre française, s'armèrent et vinrent occuper la colline le long de la mer, après avoir caché leurs femmes et leurs enfants dans les montagnes. Ils ne furent détrompés que lorsque le roi eut fait déployer ses armes, le lion de Léon et les tours de Castille. (Le cardinal Ximenès, par Héfélé, p. 557.)

[43] M. Prescott n'a pas accueilli, faute de preuves suffisantes, les tentatives d'empoisonnement qui auraient occasionné la maladie de Ximenès.

[44] History of the reign of Ferdinand and Isabella, etc., P. 11, chap. XXV ; Le cardinal Ximenès, franciscain, p. 563. — La lettre si célèbre, qu'on a longtemps considérée à tort comme ayant hâté la fin de Ximenès, n'était point d'ailleurs une brutale révocation. Charles lui mandait qu'il avait le dessein, avant la tenue des cortès convoquées à Valladolid, d'aller à Tordesillas pour y rendre les devoirs à la reine, sa mère, et qu'il passerait à Moyados, où il le priait de se trouver, pour conférer avec lui sur les affaires de l'État. Puis il ajoutait qu'après qu'il aurait pris ses conseils, il était juste de le décharger du poids des affaires afin qu'il pût s'occuper uniquement du soin de sa santé et passer tranquillement le reste de ses jours dans son diocèse ; que Dieu seul pouvait le récompenser des grands services qu'il avait rendus à l'État ; que, pour lui, il l'honorerait toute sa tie comme un père.

[45] Charles s'exprimait en ces termes : ... Monsr, pour continuation de la fervente amour que je vous porte, vous ay voulu, comme bon filz à bon père, advertir de la prospéreuse succession de mes affaires de par-deçà ; et sont telz que, en rendant grâce à nostre Créateur, qui le tout dirige, le jour d'hyer, au temple de nostredit Créateur, après la messe solennellement célébrée, notablement accompaignié de plusieurs ambassadeurs, et mesme du vostre, manificquement et solennellement suis esté receu et juré pour roy et seigneur en ces mes royaulmes de Castille, Léon, Grenade et leurs dépendances, par les prélats, grands et nobles et les gens représentans les estats desdits royaulmes, unanimement, avec une si très-grande révérence, bonne veulle et allégresse, et davantaige tous si bien disposez et enclins à me faire service, que mieulx n'est possible. (Analectes belgiques de M. Gachard, p. 192.)

[46] Jean le Sauvaige, de Bruxelles, seigneur d'Escaubeke et de Bierbeke, exerçait, depuis l'émancipation du prince, les fonctions de grand chancelier des Pays-Bas ou de Bourgogne. Il ne jouit pas longtemps dè la nouvelle dignité qui lui avait été conférée en Castille, car il mourut à Saragosse, le 7 juin 1518. — En 1518, Jean-Louis Vivès, le célèbre humaniste, dirigeait encore à Louvain les études du jeune Guillaume de Croy, déjà cardinal depuis 1512, et archevêque désigné de Tolède (Mémoire sur J.-L. Vivès, par M. Namêche, dans les Mém. cour. de l'Académie royale de Bruxelles, t. XV, p. 18). — Du reste, l'élévation de son neveu au premier siège de l'Espagne ne fut pas la seule faveur accordée au seigneur de Chièvres : indépendamment des pensions et autres avantages qui lui furent concédés, il reçut, à titre de don, le duché de Soria au royaume de Naples ; Charles le créa en outre amiral de ce royaume et capitaine général des armées maritimes, etc. (Gachard, Recherches historiques sur les princes de Chimay, dans les Bulletins de la commission royale d'histoire, 1re série, t. XI, Ire p., pp. 126 et suivantes.)

[47] Selon Robertson, Charles dut à cette sage précaution la conservation de ses domaines en Espagne, car Ferdinand, dit-il, ne manquait ni d'ambition ni de conseils qui l'auraient déterminé à accepter l'offre d'un royaume au milieu des troubles violents qui s'élevèrent bientôt. Ximenès avait d'ailleurs conseillé au roi d'abandonner à son frère, en tout ou en partie, les possessions héréditaires qu'il recueillerait en Allemagne.

[48] Il leur disait dans cette lettre circulaire du 10 mai 1518, que, après avoir été reçu et juré à roy dans ses royaumes de Castille, Léon, Grenade et leurs appartenances et obtenu pour sa bienvenue une bonne ayde, il était venu en son royaume d'Aragon et avait fait la veille son entrée à Saragosse, accompagné des ambassadeurs du pape, de l'Empereur son grand-père, des rois de France, d'Angleterre, de Portugal et de la seigneurie de Venise, ainsi que de plusieurs de ses plus grands et principaux vassaux de la Castille. Après s'être félicité de l'accueil honorable qu'il avait également reçu dans la capitale de l'Aragon, il croyait, disait-il, devoir communiquer ces bonnes nouvelles à ceux qui l'avaient si loyalement aidé. Il ajoutait : Et combien que nostre personne vous soit eslongniée, néantmoins nostre cœur et bon vouloir vous demeure prochain, vous ayant continuellement en nostre bonne souvenance et recommandation. Et pour tant plus le démonstrer envoyons par-delà nostre très-amé frère, don Fernande, lequel est passé six jours au port de mer attendant vent propice pour partir. M. Diegerick a publié (Documents inédits concernant l'empereur Charles-Quint, pp. 8-9) la lettre qui fut adressée aux magistrats d'Ypres et dont l'original, signé de la main du jeune souverain, existe encore dans les archives de cette ville. De son côté, M. Gachard a inséré dans ses Analectes belgiques, p. 195, la même lettre adressée aux communemaîtres et échevins de Malines.

[49] Histoire de Charles-Quint, par Robertson, liv. Ier.