LES CAMPAGNES D’ALEXANDRE

L’HÉRITAGE DE DARIUS

 

PAR LE VICE-AMIRAL JURIEN DE LA GRAVIÈRE

PARIS 1883

Texte numérisé par Marc Szwajcer

 

 

PRÉFACE

CHAPITRE PREMIER. — L’Hyrcanie ancienne et moderne

CHAPITRE II. — Le voyage de Fraser : L’Hyrcanie maritime. - D’Asterabad à Resht

CHAPITRE III. — Suite du voyage de Fraser. - La région montagneuse. - De Resht à Ardébil

CHAPITRE IV. — Conquête de l’Hyrcanie. - Clémence d’Alexandre

CHAPITRE V. — Les mécontents

CHAPITRE VI. — Voyage de l’adjudant général Ferrier. - De Téhéran à Hérat

CHAPITRE VII. — Suite du voyage de Ferrier. - D’Hérat à Ferrah

CHAPITRE  VIII. — Conquête de l’Arie et de la Drangiane

CHAPITRE  IX. — Conspiration de Dymnus, supplice de Philotas. - Meurtre de Parménion

CHAPITRE X. — La 20e satrapie. - Suite du voyage de Ferrier. - D’Hérat et de Ferrah à Kandahar

CHAPITRE  XI. — L’expédition anglaise de 1839. — De Kandahar à Caboul

CHAPITRE XII. — La Paropamisade. - Suite du voyage de Ferrier. - D’Hérat à Balkh et de Balkh à Hérat

CHAPITRE XIII. — Le Kohistan de Caboul et l’Alexandrie du Caucase

CHAPITRE XIV. — Conquête de l’Arachosie et de la Paropamisade. - Passage de l’Hindou-Koush. - Le Paropamisus ou Caucase des Indes. - D’Alexandrie du Caucase à Bactres

CHAPITRE  XV. — Un Bessus afghan

CHAPITRE XVI. — Expédition russe dans le Turkestan. - De la mer Caspienne et de la mer d’Aral à Khiva

CHAPITRE XVII. — Bactres et la vallée du Zérefchan

CHAPITRE XVIII. — Passage de l’Oxus. - Prise et supplice de Bessus

CHAPITRE XIX. — Prise des sept villes de la Sogdiane

CHAPITRE XX. — Fondation de Khodjend. - Passage du Jaxartes

CHAPITRE XXI. — Les embuscades

CHAPITRE XXII. — L’ambassade persane de 1851. - D’Asterabad à Khiva. - Les quartiers d’hiver d’Alexandre à Bactres

CHAPITRE XXIII. — Les Scythes et Spitamène

CHAPITRE XXIV. — Prise de la roche Sogdienne

CHAPITRE XXV. — Prise de la roche Choriène

CHAPITRE  XXVI. — Mariage d’Alexandre avec Roxane, fille d’Oxyartes

CHAPITRE XXVII. — Meurtre de Clitus

CHAPITRE XXVIII. — Anarxarque et Callisthène

CHAPITRE XXIX. — Complot des adolescents

CHAPITRE XXX. — Détention prolongée de Callisthène

 

PRÉFACE

L’héritage de Darius est-il de nouveau ouvert, et peut-on croire que l’heure du reflux sans retour soit enfin arrivée pour la vague qui, au septième siècle de notre ère, inonda, et l’Asie, et l’Afrique, et l’Europe ? L’empire byzantin a mis près de onze cents ans à mourir ; les choses ne marchent pas généralement aussi vite que les prophètes de malheur le supposent. On ne peut nier cependant, il me semble, que le monde musulman n’éprouve quelque peine à conserver sa place au milieu du tourbillon des événements et des idées modernes. Les empires entre lesquels il se trouve aujourd’hui serré ont acquis récemment une telle force d’expansion, ses propres ressorts se sont, d’un autre côté, tellement affaiblis, que, s’il n’était momentanément protégé par l’action contraire de deux forces qui tendent à se neutraliser, il serait bientôt écrasé ou tout au moins réduit à une existence purement linéaire. Chaque jour le voit décroître, chaque jour voit pâlir quelques-uns de ses rayons ; ce n’est pas seulement un astre qui s’éteint, c’est un astre qui s’évanouit. Les deux corps qui le pressent en sens opposé sont loin de favoriser l’effort qui, presque malgré eux, les rapproche ; ils y résisteraient plutôt, si l’on pouvait résister à la loi de l’attraction : vaine sagesse des gouvernements que les aspirations des peuples ne cesseront jamais d’entraîner vers les aventures dont les insondables conséquences n’ont de pressentiments et d’effroi que pour les hommes d’État ! A quoi bon retourner sur ces champs de bataille où a passé Alexandre ? Ne serait-il pas cent fois préférable d’envahir pacifiquement l’Asie, de lui rendre par notre industrie la prospérité dont une invasion sauvage l’a déshéritée, de la laisser aux peuples qui l’habitent et de ne demander à ces nations régénérées par nous, ramenées par nos soins dans les voies où l’hellénisme les avait laissées, que le libre passage et le libre commerce ? Malheureusement il n’est guère probable que le choc redoutable où la civilisation est exposée à sombrer, soit, dans l’état actuel des forces politiques, de nature à être prévenu bien longtemps ; ce ne serait pas une médiocre ou une égoïste puissance que celle qui pourrait s’interposer efficacement entre les deux colosses. Le peuple dont on a si souvent raillé les penchants généreux et les fantaisies désintéressées, était plus nécessaire qu’on ne veut se l’avouer à l’équilibre du monde ; je ne donne pas cinquante ans à l’Europe, à l’Angleterre surtout, pour s’apercevoir du vide que notre effacement a laissé sur le grand échiquier. Nous étions faits, je le crois et je l’affirme, les circonstances actuelles étant données, pour un rôle bien autrement actif que celui qu’une pitié dédaigneuse nous assigne ; mais, puisque les destins l’ont ainsi voulu, nous nous contenterons de régner désormais dans le domaine que nous avons été les premiers à nommer le nôtre : nous serons les rois de l’esprit.

Ce sceptre-là pourtant ne dédommage pas toujours de la perte de l’autre ; la Grèce le conserva quand le sort des armes l’eut réduite à ne plus être qu’une province romaine ; l’exemple, en vérité, n’a rien de séduisant, et l’ambition d’une nation doit être devenue singulièrement modeste pour qu’il lui suffise de s’asseoir au banquet des peuples, comme ce petit Grec que les patriciens de Rome se faisaient jadis honneur d’admettre à leurs festins. La Grèce vaincue se vengea, dit le poète, en façonnant l’empire à son image ; nous serions peut-être bien capables, si une sérieuse envie un jour nous en prenait, d’imiter sur ce point la Grèce ; que les esprits jaloux se rassurent ! Le monde ingrat ne mérite pas cette bonne fortune.