VERCINGÉTORIX

 

CHAPITRE XV. — L’ASSEMBLÉE DU MONT BEUVRAY.

 

 

I. Soulèvement général de la Gaule : nouvelles cités qui se joignent à la ligue. — II. Affaiblissement réel de l’autorité de Vercingétorix. — III. Caractère du peuple et des chefs éduens. — IV. Vercingétorix à Bibracte ; conseil de toute la Gaule. — V. Plans de Vercingétorix : il continue sa tactique.

 

I

Car cette fois, autour de César et de Labienus, toutes les nations s’insurgeaient. Le long des rivages, depuis les marais de l’Escaut jusqu’à ceux de la Gironde, au pied des montagnes, depuis le Saint-Gothard sujet des Helvètes jusqu’au Mont Lozère client des Arvernes, une ligne continue d’hommes en armes bordaient les frontières de la Gaule soulevée. Il ne restait plus au proconsul que deux nations fidèles, chez lesquelles il pût abriter ses légions errantes : les Rèmes, qui les couvraient en partie contre les agressions du Nord, les Lingons, qui leur ouvraient, de Langres à Dijon, les roules de la retraite vers le Sud ; ces deux peuples étaient les seuls à garder la foi promise

 

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n’est sans doute l’épée à la main. — Étrange personnage que celui-là, le plus original peut-être des Gaulois de ce temps, du moins après Vercingétorix : brave comme pas un, d’une audace morale égale à son insouciance physique, souple, rusé, retors, beau parleur, ayant partout des amis et des hôtes, plein de ressources d’esprit et de bons conseils, disposé aux aventures les plus dangereuses, tenant à la fois d’Ajax, d’Ulysse et de Nestor. Jusqu’en 53, il avait été en Belgique l’homme d’affaires de César, qui ne pouvait se passer de lui ; le voilà maintenant patriote, et, semble-t-il, délibérément, sans arrière-pensée d’intérêt ni de jalousie. Grâce à lui, les Bellovaques eux-mêmes finiront par envoyer quelques hommes à la ligue : car l’individualisme de ce peuple était si incorrigible qu’ils déclaraient faire la guerre à Rome en leur nom et à leur guise, sans ordre de personne : mais ils ne purent s’empêcher d’écouler Comm l’Atrébate.

Des peuples de la frontière germanique, les Trévires, seuls, ne furent pas en mesure d’envoyer aux Gaulois un secours apparent. En réalité, ils leur étaient fort utiles. Depuis le commencement de la guerre, ils ne cessaient de batailler contre les Germains, et par là ils empêchaient la Gaule d’être prise à revers par une invasion toujours prèle. Mais les Médiomatriques (de Metz), les Séquanes et les Helvètes acceptèrent de défendre la liberté de tous : les Séquanes n’étaient-ils pas d’anciens alliés du peuple arverne ? les Helvètes n’avaient-ils pas à venger la première injure que César eût infligée à une cité de la Gaule ? Au delà des plaines de la Saône, ces deux derniers peuples allaient mettre de nouvelles barrières entre César et sa province.

Pour achever de les décider, eux et les autres, les Éduens eurent recours au procédé cher aux Barbares. On venait de leur expédier à Bibracte les otages que la Gaule avait jadis livrés à César. Ils annoncèrent qu’ils mettraient à mort les représentants des nations qui refuseraient de s’allier à eux, et peut-être quelques premiers supplices montrèrent que la menace n’était point vaine. Les dieux, cette fois encore, eurent leurs victimes. Les peuples effrayés n’eurent plus qu’à obéir. Et ces mêmes otages qui avaient garanti la fidélité de la Gaule à César allaient garantir son attachement à la liberté.

 

II

En réalité, ce soulèvement général de la Gaule enlevait à Vercingétorix autant de force qu’il lui amenait de secours.

Sans doute, il peut doubler l’effectif de sa cavalerie et de son infanterie. Mais les milices qui vont lui arriver ne valent pas ces hommes dociles et endurants dont il a, depuis vingt semaines, exercé et façonné l’âme et le corps. Les nouveaux venus apporteront cette indiscipline et cette ardeur à la bataille qu’il avait eu tant de peine à refréner chez ses premiers soldats, et ces défauts deviendront d’autant plus dangereux qu’ils agiteront des masses plus grandes.

Le nombre des chefs se multiplia comme celui des hommes. Si, devant Avaricum, Vercingétorix a dû céder aux autres maîtres de nations, il les avait réduits, dans Gergovie, à n’être que ses légats. Cette tâche était à recommencer pour lui.

Au début de l’insurrection, il avait, en l’honneur de ses dieux, fait flamber quelques bûchers d’adversaires. Ce qui lui était possible dans l’exaltation de la prise d’armes, et sur la terre paternelle de Gergovie, était impraticable après la victoire et sur le sol éduen, où il n’était plus que l’hôte d’une cité alliée.

De plus, Vercingétorix n’avait certainement pas, depuis six mois, épuré son conseil de toutes les jalousies. Ses succès et son commandement impérieux avaient dû bien plutôt en accroître le nombre. Les plus irréductibles, sans doute, étaient celles de ses plus proches voisins, ces chefs arvernes qui avaient été ses camarades de jeunesse ou ses rivaux politiques. Plus d’un sénateur gergovien ne devait pas lui pardonner d’être le fils d’un tyran, et roi lui-même. L’arrivée d’Éduens renforça la bande de traîtres et d’envieux qui se formaient autour de lui.

Enfin, c’étaient de nouveaux peuples qui se joignaient aux Arvernes et aux Carnutes, jusque-là les deux principaux arbitres de l’insurrection. Mais les Carnutes étaient trop compromis contre César pour souhaiter une défaite, et derrière les Arvernes, Vercingétorix s’appuyait sur l’amitié solide des Cadurques et autres clients séculaires de la royauté de Gergovie. Il avait à compter maintenant avec les Helvètes, les Séquanes, les Éduens, rivaux traditionnels de son peuple. Quelle sécurité pouvait-il trouver chez ces derniers venus de la révolte, décidés moitié par crainte et moitié par intérêt, et qui offriraient sans peine à César des occasions et des motifs de pardon ? Vercingétorix aurait à combattre, avec la jalousie des chefs, les rancunes des nations, et de la nation éduenne entre toutes.

 

III

C’est le plus singulier des peuples gaulois que les Éduens, qui partageaient avec les Arvernes, depuis trois quarts de siècle, l’attention du monde gréco-romain. Je cherche à dessiner les traits de leur caractère, et ils s’effacent dès que je crois les saisir. Humeur inconstante, âme inconsistante, race flexible et fugitive, habitants de plaines ouvertes et de noirs sommets, pays sans unité et volonté sans durée, les Éduens ont été impuissants à se maintenir comme nation. Alors que les Arvernes, les Bituriges, les Séquanes et tant d’autres ont affirmé pendant des siècles leur identité politique, les tribus et les terres éduennes se sont rapidement disjointes : Autun, Avallon, Moulins, Nevers, Charolles, Mâcon, Beaune, Chalon, toutes leurs villes sont allées à des destinées différentes et à des tempéraments personnels : les landes au Bourbonnais, le Morvan au Nivernais, et les vignobles à la Bourgogne. Attiré vers le Midi par les vins de ses coteaux, rappelé vers le Nord par les torrents de ses forêts, le peuple éduen hésita sans cesse entre Rome et la Gaule ; et après n’avoir jamais su, au temps de César, ce qu’il voulait faire, il finit par perdre la volonté de vivre.

Ce qui domina chez lui, ce fut le goût des choses de l’esprit. Il s’instruisit très vite. Il fut le premier à s’assimiler ces légendes mythologiques de la Grèce dont l’acceptation était, pour les Barbares, une façon de se convertir à la religion des peuples cultivés. Ses druides étaient peut-être ceux qui tenaient l’école la plus fréquentée. Autun fut, sous les empereurs, le rendez-vous de la jeunesse studieuse. Dix siècles plus tard, dans les temps de Cluny, la terre éduenne demeurait nourricière des vertus intellectuelles. Aujourd’hui encore, il semble qu’on respire à Autun un air de science et de travail, comme celui qui flotte dans les villes les plus instruites du Midi, Nîmes ou Montpellier.

Mais les vertus morales étaient médiocres chez les Éduens du temps de la liberté. Ils n’ont eu alors qu’un seul homme de caractère : Sur, qui demeura patriote jusqu’à la dernière heure, et qui, Vercingétorix battu, rejoignit les Trévires pour lutter encore contre le peuple romain. Mais aucun de ses compatriotes ne m’intéresse. Dumnorix, le mieux trempé de tous, fit de beaux projets, les réserva toujours, et, en définitive, combattit quatre ans aux côtés de César tout en rêvant de délivrer la Gaule. Son frère Diviciac est l’intendant intelligent et plat de la politique romaine. Quant aux chefs de 52, on vient d’en voir quelques-uns à l’œuvre. Convictolitav se fait nommer vergobret par César, le renie, revient à lui, le trahit encore. Litavicc se fait confier une armée pour aider les Romains, et tente de la débaucher d’une manière si maladroite qu’il ne rend service à personne. Viridomar et Éporédorix sont de jeunes gredins sur lesquels César conserva de trop longues illusions : il les a comblés d’honneurs et de richesses ; pendant le siège de Gergovie, ils dénoncent au proconsul et font échouer la tentative de leur compatriote Litavicc ; pendant la retraite, ils quittent César en protestant de leur amitié, et ils vont massacrer les Romains à Nevers. Ces gens-là, du premier jour jusqu’au dernier, n’eurent jamais le franc courage de leur trahison : César, qui connaissait la perfidie éduenne, nous la montre faite surtout de promesses éludées, de lenteurs calculées, de démonstrations et de reculades. J’aime mieux la brutale volte-face de Comm, enthousiaste de César, puis enragé contre lui. J’aime mieux même la fidélité des Rèmes et des Lingons au peuple romain, servile obstination où il entrait après tout le respect de la parole humaine. Mais ces chefs éduens, qui n’embrassaient une cause que pour en regretter une autre, étaient toujours traîtres à la trahison même.

Des autres chefs, Cot, le rival de Convictolitav, devenu le chef de la cavalerie, Éporédorix l’ancien, Cavarill, le chef de l’infanterie après Litavicc, nous ne savons qu’une chose, c’est qu’ils apparurent sur les champs de bataille pour se faire vaincre. Car les Éduens, malgré le renom de leur cavalerie, furent d’assez piètres combattants. Ils n’ont à leur actif aucune grande victoire. Quand César vint en Gaule, il les trouva écrasés sous les défaites que leur avaient infligées les Séquanes et les Germains. Dumnorix, en 88, se laissa mettre en fuite par les Helvètes. Depuis cinq mois, les Éduens avaient paru quatre à cinq fois sur le théâtre de la guerre : en février, ils n’avaient pas osé franchir la Loire pour secourir les Bituriges ; dans la campagne de Gergovie, les soldats de Litavicc avaient abandonné leur chef, et les auxiliaires éduens de César ne s’étaient présentés sur le flanc de la VIIIe légion que pour achever de l’affoler ; Litavicc, chargé par Vercingétorix de devancer les Romains, ne se retourne pas à temps pour les arrêter ; et, lors de cette même retraite, Viridomar et Éporédorix n’ont pu ni leur tuer un homme ni leur couper les vivres. Je ne crois pas que le courage ait manqué à tous ces chefs : mais ils n’ont jamais appris l’art de se battre et de forcer la chance.

Voilà le peuple et les hommes dont Vercingétorix vient enfin d’entraîner l’adhésion. Le roi des Arvernes a grossi son armée d’auxiliaires incommodes et son conseil d’opposants coutumiers de trahisons.

 

IV

Il s’en aperçut aussitôt. Alors qu’il lui aurait fallu continuer la campagne sans se donner un jour de repos, pousser rapidement aux Lingons pour briser leur résistance, couper les routes du plateau de Langres, presser César par le fer et le feu, Vercingétorix fut au contraire obligé de suspendre les opérations, de discuter, parlementer, faire le métier d’orateur et de sénateur. Comme s’ils voulaient permettre à l’armée romaine de se reposer, les Gaulois se mirent, à l’instigation des Éduens, à délibérer longuement.

La première députation des Éduens à Vercingétorix avait été pour lui offrir l’alliance. La seconde fut pour l’inviter à se rendre auprès d’eux et à leur soumettre son plan de campagne. C’était lui rappeler qu’un roi arverne devait traiter d’égal à égal le vergobret éduen.

Il fallait ménager ces alliés nouveaux et ombrageux ; toute chicane eût fait perdre du temps. Le Mont Beuvray était après tout plus près que Gergovie des routes dont s’approchait César : Vercingétorix sacrifia son amour-propre aux intérêts de la Gaule, et il monta à Bibracte.

Les négociations commencèrent entre lui et les chefs éduens, dont les plus intraitables furent, comme à l’ordinaire, les plus récents renégats, Viridomar et Éporédorix. Les nobles de Bibracte annoncèrent et affirmèrent leurs prétentions à prendre le pouvoir suprême : un Arverne l’avait exercé pendant six mois, qu’il passât la main à un Éduen.

La demande était fantaisiste : les Éduens voulaient le profit alors que d’autres avaient eu la peine. Elle était dangereuse : ces aspirants au commandement en chef, Litavicc, Viridomar, Éporédorix, Cavarill, n’avaient jamais été que des sous-ordres de César, et, les jours précédents, au lieu d’arrêter le proconsul, ils l’avaient lâchement laissé passer. Vercingétorix refusa de tels successeurs.

Il ne s’opposa pas cependant à ce que ses pouvoirs fussent soumis à la réélection. L’arrivée de nouveaux membres à la ligue nécessitait une sanction nouvelle. Vercingétorix accepta qu’une assemblée de tous les chefs fût convoquée, et qu’elle se réunît à Bibracte. C’était un retard de plus, et une autre concession à la gloriole de ses alliés.

De toutes les tribus et de toutes les cités belges et celtiques, on se rendit en masse dans la ville éduenne. Elle devint pour quelques jours la tête et la citadelle de la Gaule entière. A l’ombre touffue des hêtres séculaires, les cortèges étincelants et chamarrés des cavaliers gaulois serpentèrent sur les vieux sentiers de la montagne, et la cité, abandonnée d’ordinaire aux marteaux des forgerons et aux fumées des émailleurs, retentit des rauques éclats de voix et des rudes clameurs des discussions politiques.

Mais, au milieu de cette foule, Vercingétorix prit sa revanche de l’astuce éduenne. Les intrigues des chefs se rompirent dans ces agitations passionnées. Il dut être impossible d’ouvrir une délibération régulière : les nouveaux venus ne pensaient sans doute qu’à acclamer l’homme qui avait vaincu César, à admirer sa haute taille, la fierté de son regard, l’auréole de sa gloire récente. Il fallut laisser à cette multitude armée, comme dans les jours héroïques des longues équipées, le soin de choisir son chef de guerre. L’enthousiasme populaire étouffa tous les égoïsmes, et, le jour de l’élection, le nom de Vercingétorix sortit d’une clameur unanime.

De nouveau, mais cette fois au nom de toute la Gaule, Vercingétorix recevait le commandement suprême. L’unité nationale était consommée ; et elle l’était, ainsi qu’au temps de Bituit et de Celtill, sous les auspices d’un Arverne comme chef. Peut-être même prononça-t-on un autre titre que celui de chef, et entendit-on parler de Vercingétorix roi des Gaulois.

Mais, à ce moment précis où l’unité était fondée et où l’autorité de Vercingétorix paraissait la plus forte, s’annoncèrent aussi les rivalités qui devaient ruiner l’une et l’autre. En voyant grandir au-dessus de lui et sur son propre sol la puissance rivale, le sénat de Bibracte se sentit profondément blessé. En entendant Vercingétorix leur donner des ordres, Éporédorix et Viridomar froncèrent les sourcils. Les Éduens sentaient déjà qu’ils regrettaient César et souhaitèrent son pardon.

V

Une fois proclamé, Vercingétorix imposa sa volonté avec sa précision et sa fermeté habituelles. Il refit après l’assemblée de Bibracte ce qu’il avait fait après celle de Gergovie : sauf, par malheur, l’exécution de quelques chefs.

Il commanda des otages et fixa les contingents. Tout ce qui restait de cavaliers disponibles en Gaule, quinze mille, devaient se concentrer au plus tôt dans le pays éduen : la tactique qu’il comptait suivre ne pouvait réussir qu’avec une cavalerie fort nombreuse. Une voulut pas, auprès de lui, un supplément d’infanterie : il avait environ 80.000 fantassins, fournis par les Arvernes ses sujets ou par ses alliés de la première heure, suffisamment dégrossis par cinq mois de marches, de combats, de terrassements et d’obéissance ; il n’avait pas le temps d’en former d’autres, et des recrues l’embarrasseraient. Des ordres furent sans doute donnés pour mettre en état de défense quelques grandes villes fortes, que l’on devait conserver comme refuges.

Le plan de campagne de Vercingétorix ne fut autre que celui de février, mais élargi avec audace et intelligence. En hiver, il fallait retenir César dans la Province : maintenant il faut l’y renvoyer, le plus maltraité possible, et, si faire sa peut, le renvoyer en Italie même.

Les Gaulois envahiront la Narbonnaise sur tous les points à la fois, de manière à ce que César soit obligé, ou de la défendre en personne, ou de l’abandonner toute entière. Il ne s’agit plus seulement de la menacer de biais par l’Ouest, comme l’avait déjà fait Lucter, mais de se déverser en masse sur elle par-dessus les Cévennes. Les Rutènes et les Cadurques prendront leur route, plus à l’est de celle qu’ils ont déjà suivie, le long des Causses et de l’Aigoual, et inquiéteront directement Narbonne, Béziers, Nîmes et les rivages de la Méditerranée elle-même. Les tribus du Gévaudan et du Velay n’auront qu’à suivre le chemin de César pour descendre chez les Helviens, gagner l’Ardèche et le Rhône. Enfin, les Éduens du Sud et leurs clients les Ségusiaves du Forez, au nombre de dix mille fantassins, flanqués de 800 cavaliers que leur adjoint Vercingétorix, déboucheront par la vallée du Gier ou la plaine des Dombes en face de Vienne, la grande cité gallo-romaine des Allobroges.

C’est à cette dernière expédition que Vercingétorix tenait le plus, et avec infiniment de raison. Que César retournât vers la Province ou qu’il s’enfuit en Italie, il lui fallait passer par Vienne ou par Genève, villes allobroges. Si les insurgés parvenaient à occuper ou à soulever le pays, le proconsul aurait devant lui une double ligne de dangers, celle de la Saône, rivière éduenne, celle du Rhône, fleuve des Allobroges. Aussi le roi arverne mit-il tout en œuvre pour s’assurer l’appui de ce grand peuple. Il envoya à ses chefs messages sur messages, il les accabla d’offres et de tentations. Il leur rappela sans doute ces liens d’amitié et de fraternité de guerre qui les avaient unis à Bituit et aux Arvernes ; il exploita les rancunes que les Allobroges conservaient contre Rome et ses magistrats : il y avait dix ans à peine, n’avaient-ils pas soutenu (en 61) une guerre ardente contre l’un d’eux, la troisième depuis trop quarts de siècle ? Il leur montra que le temps de la revanche, pour eux comme pour les autres, était venu, et qu’une fois les Celtes victorieux, les Allobroges recouvreraient, avec l’appui des Arvernes, l’hégémonie de la Gaule au sud des Cévennes.

Sur toute cette ligne d’invasion, dans toutes ces combinaisons militaires et politiques, Vercingétorix préparait les solutions les meilleures. Il montra la même prévoyance dans son plan d’attaque de l’armée proconsulaire.

Quel que fût le dessein de Jules César, disait Vercingétorix aux chefs de son entourage, celui des Gaulois devait être fixé d’avance. Peu importait la route qu’il prendrait. Il fallait s’en tenir, contre lui, à la tactique de la campagne d’Avaricum. Aucune autre ne valait celle-là ; incendier les fermes, détruire les greniers, enlever les convois, harceler les soldats en marche, massacrer les fourrageurs : que les quinze mille cavaliers se résignent à cette tâche, et les dix légions seront réduites sans coup férir. Vercingétorix continuait à réclamer de ses Gaulois le courage d’un double sacrifice : voir brûler leurs biens sans une plainte, voir passer l’ennemi sans le combattre. Car avant tout, disait et répétait le chef arverne, il faut éviter une bataille : la victoire est à ce prix (fin juin ?).