HISTOIRE DE LA GAULE

TOME VI. — LA CIVILISATION GALLO-ROMAINE - ÉTAT MORAL.

CHAPITRE VI. — DANS LES TROIS GAULES.

 

 

XI. — EN BOURGOGNE : AUTUN[1] ET SES PORTS.

Le lieu d'Autun[2] ne convenait peut-être pas à une fortune de capitale. Certes, il était fort plaisant à voir et à habiter, avec ses coteaux à pente douce, son horizon de verdure, la limpide rivière qui serpentait à ses abords, ses voisinages de forêts giboyeuses et d'étangs poissonneux. Mais il lui manquait deux conditions essentielles aux premiers rôles : un riche terroir autour de la cité, et le croisement des routes souveraines. Les meilleures terres des Éduens étaient de l'autre côté de la montagne, sur la Saône, à la lisière orientale de leurs domaines ; et si Autun était traversé par une grande route, c'est à Lyon que cette route se rencontrait avec les autres diagonales de l'Occident. Dijon, Chalon, Mâcon, Lyon, à la descente des seuils et aux bords des eaux, avaient, par le bénéfice de leur sol et de leurs voies, une valeur supérieure à Autun, qu'elles finiront toutes par supplanter.

Autun se maintenait parle soutien du passé, je veux dire par sa force traditionnelle d'une capitale des Éduens. La ville vivait de l'héritage glorieux de Bibracte sa voisine, qu'elle avait remplacée[3]. On l'avait bâtie sur un très large plan, de manière à recevoir toute la population de l'énorme Beuvray. Comme les Éduens demeuraient un des peuples les plus riches et les plus nombreux de la Gaule, on avait doté leur nouvelle capitale d'édifices dignes d'eux, une enceinte murale de quatre milles, des portes monumentales, des temples somptueux[4], un théâtre[5] et un amphithéâtre[6] que les plus illustres colonies auraient pu jalouser.

La population était faite d'éléments assez disparates, et, autant qu'on en peut juger par des ruines de tombes et des lambeaux de textes, il n'y avait pas de cité qui fût moins homogène. Des rustiques ateliers du mont Beuvray, la ville de l'Arroux avait hérité une importante plèbe d'ouvriers[7], de paysans, de petites gens, boutiquiers infimes ou pauvres artisans, dont les monuments funéraires nous ont conservé les humbles images[8]. A côté de ces gens à la vie obscure et paisible, s'agitaient ces troupes de gladiateurs aux destinées aventureuses, que la riche cité entretenait pour ses plaisirs : et il y en avait des centaines, de quoi faire des cohortes sur un champ de bataille. Puis, c'était toute une jeunesse d'écoliers, fils pour la plupart de grandes familles, envoyés de tous les points de la Gaule afin de s'instruire, sous quelques maîtres choisis, des arts libéraux de la Grèce et de Rome. Les plus riches et les plus nobles coudoyaient les plus malheureux et les plus misérables, et la vue des joies les plus brutales se mêlait aux plus austères labeurs.

Ce furent ces écoles[9] qui peu à peu donnèrent à la cité éduenne sa physionomie propre, celle qui lui valut la célébrité dans le monde romain. La vie industrielle et marchande s'y développa faiblement, et la richesse matérielle ne paraît pas y avoir progressé. On dirait que la population d'Autun décroissait de jour en jour[10]. Assurément, les manufacturiers et les négociants abondaient de longue date chez ce peuple industrieux et travailleur des Éduens, riche en sous-sol minier et en routes fréquentées : mais ils trouvaient plus d'avantages à s'installer dans la campagne[11] ou sur les ports, près des gîtes de production ou des lieux de passage, et nous retrouverons tout à l'heure leurs domiciles préférés. Mais les écoles, à Autun, continuèrent de prospérer[12] : la vie intellectuelle se donna libre cours, à mesure que le calme devint plus grand et le populaire moins nombreux. Et tous ces gens de Bourgogne, enfants d'Éduens, étant de complexion fine, curieuse et appliquée, firent de leur capitale une métropole d'études et de lettres, où rhéteurs et grammairiens d'Italie et de Grèce s'établissaient en séjour, sûrs de trouver dans cette ville charmante et bien dotée une jeunesse studieuse et de beaux traitements. Autun, ainsi que Marseille, survivait à sa puissance matérielle par sa gloire littéraire. Toutes deux suivaient des destinées pareilles : elles avaient fait l'éducation politique des Gaules en les soumettant à l'amitié de Rome ; elles les élevaient maintenant dans le culte des humanités gréco-latines[13].

Tandis qu'Autun se livrait aux Muses, les anciennes bourgades qui servaient de ports aux montagnes éduennes, croissaient rapidement par le trafic des chemins et des rivières.

A l'ouest, le long de la Loire[14], s'échelonnent, en montant vers le midi[15], Nevers[16], sur son robuste coteau entouré de pâturages, enrichi par ses troupeaux et par le chemin que l'Allier voisin lui ouvrait sur l'Auvergne[17] ; Decize[18], abritée dans son île à la façon de Melun et de Lutèce, qui devait sa petite importance au débouché de la route directe d'Autun et du Morvan[19] ; Bourbon-Lancy, aux eaux rivales de celles de Vichy l'Arverne, capitale balnéaire de l'aristocratie éduenne, qui avait fait d'elle la station la plus luxueuse de la Gaule centrale[20] ; Roanne, où arrivaient en pente rapide la descente de Tarare et la route de Lyon[21] ; Feurs enfin, dans le Forez, marché plutôt que port[22], à demi rustique et à demi citadin[23], chef-lieu de cette timide cité des Ségusiaves[24] qui, fut si longtemps la cliente des Éduens, et dont le sort est maintenant lié pour toujours à celui de la colonie lyonnaise, édifiée sur un de ses domaines[25].

A l'est, au pied de la Côte d'Or et le long de la Saône, c'était une suite régulière et presque rythmée de belles et bonnes villes, à peine moins riantes que les colonies rhodaniennes dont elles continuaient les eaux et la route, toutes devant le bien-être de leur vie et la grâce de leur aspect aux blanches pierres de leur sol[26], aux vignobles dorés de leurs coteaux du couchant, aux saintes fontaines que bénissait le voyageur à chaque heure du chemin[27], à la claire et molle rivière qui passait au levant, chargée de chalands en trains interminables : Dijon, la bourgade divine[28], déjà pourvue de travailleurs[29] et déjà soucieuse de s'embellir[30], mais que les Lingons du plateau avaient réussi à garder en leur pouvoir, qu'ils maintenaient à l'état de bourgade, et dont ils exploitaient à leur profit les moissons et les vendanges[31] ; Beaune[32], que la célébrité de ses vignobles rendait chère aux Éduens[33] ; Chalon[34], leur grand port sur la Saône, l'émule d'Arles à l'autre extrémité de la voie fluviale, point d'arrivée des routes de Bretagne et de Germanie[35], ville affairée, tumultueuse, pleine de soldats qui s'embarquent et de portefaix qui chargent, et parfois visitée par le vaisseau impérial à la tente de pourpre[36] ; plus bas, Tournus, fait pour porter une forteresse[37] ; Mâcon[38], calme et bien nourri, au milieu de ses champs de blé et de ses greniers ; Lyon enfin, aux portes duquel s'arrêtent les domaines d'Autun et les terres de Bourgogne[39].

 

XII. — EN BOURGOGNE : LANGRES ET BESANÇON[40].

De Sens à Autun et à Lyon, c'étaient routes de marchands, d'écoliers et de pèlerins, c'était la Bourgogne sainte, pacifique et lettrée. Plus au nord, sur la voie militaire de Bretagne, par Châlons, Langres, Besançon et la Suisse, il v avait souvent autant de travail et de piété dans les campagnes et les villes ; mais les campagnes étaient moins riches, les villes moins nombreuses, les hommes plus batailleurs[41], et les soldats usaient le chemin plus que les trafiquants.

Entre le pont de Châlons sur la Marne et la ville de Langres sur son plateau, la voie de Boulogne parcourait cent milles à la gauche de la rivière, sans rencontrer que des fermes et des relais[42]. A Langres même[43], capitale des Lingons de temps immémorial, la vie manquait de charme. De rudes bises soufflaient sur ce plateau à demi dénudé. Les habitants étaient fort appliqués, et ils savaient bien vendre les moissons[44] qu'ils récoltaient sur leurs terres dijonnaises[45], et les draps et matelas de laine qu'ils devaient à leurs troupeaux et qu'ils excellaient à fabriquer[46]. Mais, malgré la richesse et le faste de leurs grands seigneurs[47], il manquait trop souvent aux hommes de ce pays les sourires des lettres latines et les élégances des manières méridionales[48]. De Rome, les Lingons connurent surtout les raisons militaires[49] et les routes d'Agrippa.

Car c'est ici, sur ce plateau, le carrefour des chemins d'Empire, battus par les courriers, les recrues et les vétérans. Du sud, par Dijon et la Saône, s'avance la voie du Midi[50] ; de l'est à l'ouest court la voie de Bretagne et d'Italie, par où nous sommes venus ; au nord s'en va celle du Rhin et des Germanies[51]. Afin de surveiller cette étoile de chemins, qui est pour ainsi dire le faisceau de leurs armes défensives, les Romains ont disposé des camps et des stations[52] aux abords du plateau, à Thil-Châtel[53], à Mirebeau[54], à Pontailler[55], à Dijon[56], et dès le premier siècle, l'État avait cru bon de détacher les Lingons de la Gaule et de les incorporer à la Germanie. Aussi, malgré leur bonne volonté de travail, ces Lingons sentaient en eux les impressions de la vie militaire et un avant-goût de la frontière. Ils avaient avec les troupes des rapports suivis, ils fournissaient à l'armée des cohortes qui connurent des heures de célébrité[57],    et ils se crurent même un jour capables de se battre contre  Rome, et leur chef de s'habiller en César. Mais quelques passes d'armes suffirent à les renvoyer à leurs laines et à leurs charrues, qui leur firent aimer de nouveau les bienfaits de la paix latine[58].

Au delà de Langres, la route des Alpes, souvent parcourue par César ou ses soldats, traversait la Saône au vieux port de Seveux[59] : et c'était alors la cité des Séquanes, rivale éternelle de celle des Lingons, et qui ne demandait qu'à recommencer la bataille contre elle. Mais l'Empire faisait taire les Séquanes, et ils se bornaient à engager contre leurs voisins une rude concurrence industrielle[60] : car c'est une forte race que celle de ces Séquanes de Franche-Comté, au moins égale à celle des Arvernes leurs anciens amis, excellente aux combats de la frontière[61], agricole dans les vallons de ses, rivières, industrielle dans    ses villes, et qui sait aussi la valeur des travaux de l'esprit.          

Comme au temps de la liberté, leur principal renom venait de leur grande ville, que nous atteignons par un pont sur le Doubs. Depuis que le monde est à la paix, Besançon[62] a achevé de descendre de son rocher pour s'étendre en toute confiance sur l'aire aplanie qu'encadre la rivière[63], et même pour risquer sur l'autre rive quelques-uns de ses grands édifices[64]. Le climat a beau être rigoureux, les montagnes d'à côté fâcheuses par leur ombre noirâtre, la forêt et ses bêtes toutes rapprochées : Besançon, avec la même bonne grèse dont il accueillait jadis César et ses légions, appelle à lui les hommes et les choses du Midi[65]. Il a son Capitole comme Rome ; il adosse son théâtre, comme Athènes, au rocher de sa citadelle[66] ; sur sa place publique, il élève des statues aux héros de l'Italie, Scipion et Pompée[67] ; sur l'arc qui surmonte sa grande rue, il sculpte les mythes de la Grèce, il rend hommage à Hercule et aux héros de la fable[68]. Partout, il étend sur lui la blanche parure des temples[69].

Les Séquanes, à côté d'Apollon et des Muses, n'oubliaient pas Mercure et ses leçons. Ils mettaient au service de leurs terres et de leurs industries de rares aptitudes de patience et de décision[70]. Leurs produits alimentaires et textiles, jambons et lainages, étaient connus sur les marchés de Rome. Des villages se bâtirent partout où il était nécessaire, même sur cette sombre route du Doubs devant laquelle avaient reculé les soldats de César. Je crois bien que les forêts du pays furent plus vigoureusement attaquées que celles du reste de la Gaule[71]. Le pays de Montbéliard, dans la haute vallée de la rivière, avait déjà son originalité propre, laborieux, féru de religion et bien peuplé, groupé autour de Mandeure alors son chef-lieu[72]. On exploitait énergiquement les salines du Jura[73], fort entamées par les hommes des temps ligures et toujours inépuisables. Au pied des Vosges, les bains de Luxeuil[74] et de Bourbonne[75] regorgeaient de malades. Bien que la surveillance des routes et des cols ait amené les empereurs à militariser à demi la Franche-Comté en plaçant les Séquanes sous l'autorité du légat de la Germanie Supérieure, l'activité civile y était d'une intensité soutenue ; et bien que le pays parût à demi bloqué par les Vosges et le Jura, la Séquanie aspirait joyeusement les influences de la Méditerranée et de l'Orient même par la grande route qui, à travers les cols de Pontarlier, menait au lac de Genève et aux rives du Rhône[76].

 

XIII. — ARMORIQUE ET NORMANDIE[77].

Le contraste était frappant entre ces terres bourguignonnes et les régions lointaines qui s'étendaient au nord-ouest, de l'autre côté de la route de Tours à Paris, l'Armorique et la Normandie[78].

Celles-ci étaient demeurées, je ne dis pas les plus sauvages, mais les moins accessibles aux façons latines. Sauf aux embouchures de la Seine[79] et de la Loire, il ne s'y était point bâti de grande ville[80]. Les seuls lieux habités qui eussent de l'importance valaient surtout par leur rôle de capitales de cités. Encore ce rôle n'empêchait-il pas certains d'entre eux de rester des bourgades infimes, à peine autre chose que marchés de paysans, cours de justice de paix ou assises de pèlerins[81] ; et pour ceux-là même qui prirent davantage l'allure citadine, nous n'arrivons pas à trouver quelque trait qui puisse caractériser leurs occupations municipales, qui ne soit pas le signe d'une très banale existence. Ces chefs-lieux eurent sans doute leur théâtre ou leur amphithéâtre, leurs thermes, leurs temples, leur basilique, en quoi ils ressemblaient à ceux du monde entier. -Mais je ne suis point star que quelques-uns de ces édifices, et les plus considérables, ne fussent pas construits en charpente[82]. On dirait que la passion de bâtir, qui sévissait dans le reste des Gaules, s'atténuait en cette fin de leurs terres. Même dans les trois villes par où ces régions rejoignaient les routes de la civilisation[83], Chartres[84], Le Mans[85] et Angers[86], les peuples ne parvenaient pas à se parer de pierre, de marbre et de bronze. Ce qu'était véritablement leur physionomie latine, nous l'ignorons. Et quand on aura dit que chez les Carnutes[87] Chartres[88], sur son coteau de l'Eure, exploite les blés de la Beauce et peut-être des haras de percherons[89] ; que chez les Aulerques Le Mans[90], vieille citadelle celtique allongée sur une croupe rocheuse, s'est transformé, à la faveur de la paix, en la capitale agricole des vallons herbeux de l'Huisne et de la Sarthe[91] ; que chez les Andécaves Angers[92], simple marché promu au rang de métropole d'un ancien peuple de batailleurs, doit son privilège et ses ressources au faisceau des rivières du Maine qui se lie devant lui à la rive de la Loire[93] : après cela, on ne pourra plus rien dire sur ces villes qui leur appartienne en propre, et on n'aura rien signalé qu'elles n'aient reçu du sol et qui ne soit la manière immuable de leur vie.

Il n'y a pas, à part les bas-fonds des Flandres et les fourrés des Ardennes, de région aussi pauvre en ruines monumentales. Les sculptures, religieuses et même funéraires, y sont extrêmement rares ; on y grave fort peu. d'inscriptions. Dès que nous nous éloignons de Paris, d'Orléans ou de Tours, pour descendre vers la Normandie et l'Armorique par les routes de l'empereur Claude, il semble que lé passé romain se taise, et qu'il ne veuille plus nous parler, ni par l'édifice, ni par l'image, ni par l'épigraphie même. — A cela, on peut supposer deux causes.

L'une, c'est que ces peuples, parmi ceux de la Gaule, s'attachaient le plus fidèlement aux traditions celtiques. Ces traditions, on l'a vu, répudiaient la figure pour les dieux, la pierre pour les édifices, l'inscription pour les tombes. Comment ne se seraient-elles pas maintenues plus longtemps sur ces terres ? Celles-ci se trouvaient les plus éloignées des routes militaires ; leur centre de convergence était, non pas la colonie de Lyon, mais le sanctuaire druidique des Carnutes de la Loire ; elles regardaient l'île de Bretagne, ci longtemps indépendante ; et la mer qui les baignait ne connaissait rien d'Homère et n'avait vu César qu'un instant. Les dieux celtiques possédaient là un asile naturel où ils pouvaient plus longtemps résister aux idoles gréco-romaines.

L'autre cause, c'est que la vie, sur ces terres, s'alimentait beaucoup moins au commerce ou à l'industrie qu'à la pèche ou à l'agriculture. Nulle part dans le Nord-Ouest on ne verra pendant longtemps de grandes manufactures, sauf de poteries grossières aux abords des lieux de sanctuaires[94], et c'est tardivement que le maître verrier Fronton y installera ses fabriques, du reste à la lisière du pays, près de la Seine[95]. Le seul négoce qui pût s'exercer sur ces parages excentriques était avec l'île de Bretagne : mais depuis la création de Boulogne, il s'acheminait presque de force vers ce port. En tant que puissance maritime, l'antique peuplade des Vénètes n'existait plus. Mais en revanche, les hommes gagnaient gros ou vivaient bien avec leurs prairies, leurs bestiaux, leurs légumes et leurs poissons. C'étaient rivages de pêche, terres de labour et d'élevage, peu propices aux grandes villes. A ces gens d'Armorique et de Normandie, il fallait surtout des grèves abritées où rassembler leurs bateaux, d'amples foirails où amener leurs bêtes, des marchés où étaler les produits de leurs champs, et, aussi, des rendez-vous de prières, des lieux de pèlerinage ou de pardon[96] où l'on se divertit en foule entre deux sacrifices. En tous ces endroits, on s'entassait aux jours convenus : le reste du temps, on vivait à la campagne, riches ou pauvres.

Voilà également pourquoi, si ces villes sont petites et pauvres en bâtisses, les villas rurales abondent, larges et peuplées comme des bourgs. Elles n'ont peut-être pas l'extravagante opulence des domaines de la Garonne, du Rhône ou de la Moselle ; et ce sont souvent de belles et vastes fermes plutôt que des palais, mais qui annoncent un confortable réfléchi et un luxe solide, sans exclure de bizarres fantaisies[97] ou le goût des œuvres d'art[98]. A côté d'elles, plus riches encore que les châtelains de leur voisinage, plus riches même que les chefs-lieux de leurs cités, les dieux de la campagne se sont fait dresser de grands sanctuaires et y cachent des trésors qui feraient la joie d'un Valerius Asiaticus, par exemple Minerve à Notre-Dame-d'Allençon chez les Angevins, Mercure à Berthouville dans la cité de Lisieux. En ces gras pays de Normandie et du Maine, les divinités ainsi que les humains jouissaient de leurs biens hors des villes, dans la calme sécurité des champs.

Mais si l'Armorique et la Normandie étaient demeurées réfractaires à la vie urbaine, nous sentons déjà en elles ce que nous n'avons encore vu dans aucune région de la Gaule[99], les éléments d'une vie provinciale : j'entends par là le rapprochement d'intérêts ou d'habitudes entre les cités d'une même contrée, leur subordination, en fait ou en droit, à une ville mieux placée et plus riche, à un port de frontière s'ouvrant sur un grand fleuve. Et je ne dis pas que cela existe déjà en Bretagne et en Normandie, et qu'elles forment dès lors deux provinces de France : mais elles tendaient à le devenir, parce que la nature les y inclinait, elle qui avait fait de la Bretagne armoricaine une presqu'île à demi isolée dans son cadre de rivages, qui avait disposé les terres normandes en campagnes parallèles, ouvertes sur la large baie de la Seine telles que des arcades le long d'un portique.

Dans l'Armorique, mieux faite, là capitale et le port s'annonçaient très nettement. — Il y avait dans la presqu'île cinq districts municipaux et cinq chefs-lieux, districts qui répondaient tout à la fois aux anciennes peuplades, et, à peu de chose près, à nos départements actuels : tellement les divisions s'imposent dans ce pays vigoureusement charpenté. — C'était d'abord, autour des pointes du Finistère, la cité des Osismiens[100] ; à moitié perdue dans la mer[101], dont le centre administratif, Carhaix, était à moitié perdu dans la forêt[102] Puis venaient, sur les côtes du Nord, les Coriosolites[103] et Corseul, leur lieu de pèlerinage et leur bourg principal[104], pays et chef-lieu où la culture des terres disputait les habitants aux pêches de la mer de Saint-Brieuc[105]. A l'opposé de ce rivage, le golfe de Morbihan était toujours encadré par les terres des Vénètes[106], déchus pour des siècles de toute gloire maritime[107], dont Vannes la métropole végétait silencieuse à la pointe de son estuaire[108]. Voilà, ces trois peuples des promontoires et des golfes armoricains, les peuples du passé : maintenant, sous la loi de Rome, puisque la route est plus forte que le rivage[109] et la terre plus attirante que l'Océan, puisque les stations navales des peuples ont quitté les abords de la haute mer pour s'abriter dans les estuaires des fleuves, deux villes préludent à une mainmise sur l'Armorique, Rennes, résidence des Rodons, au confluent de l'Ille et de la Vilaine, Nantes, résidence des Namnètes, à l'endroit où la mer s'enfonce dans les eaux de la Loire inférieure. — Rennes[110] sera pour la contrée la capitale du dedans[111] Elle est à une rencontre de rivières, au seuil de la France intérieure, la conquête romaine lui a donné un carrefour de routes, et elle possède des monuments, des inscriptions et des sanctuaires bâtis plus qu'aucun chef-lieu de l'Armorique[112], Nantes exceptée. — Nantes[113], en ce temps-là, compte davantage. Elle a consommé la ruine des Vénètes, ainsi qu'Arles celle de Marseille et Bordeaux celle de la mer saintongeoise. Le site est excellent : au centre, un coteau dominant la Loire ; sur le flanc, l'Erdre qui entrouvre son embouchure ; en face, des îles qui resserrent le fleuve et complètent le mouillage. Loire et Armorique étaient devenues tributaires de Nantes ; nautes de rivière[114] et matelots de la mer y fraternisaient. Sur les berges, la largeur de l'espace permit de construire un long quartier, qui fut la ville active et bruyante[115] au pied du coteau plus calme, cher aux anciens Celtes[116]. C'est dans ce quartier que s'entassaient les entrepôts de barriques, que s'installaient les tonneliers au travail importun[117], et que retentissaient, comme on disait alors, les forges de Vulcain, autrement dit les constructions de navires[118]. Car les gens de Nantes se sont rendu compte, ce qui échappa trop souvent aux Bordelais, que le commerce ne va pas sans l'industrie, ni le-fret sans le navire, ni Mercure sans Vulcain : et ils firent justement de Vulcain leur dieu principal[119].

La Normandie hésitait davantage, et pour sa capitale et pour son port. Elle était plus, mal délimitée, les cités y étaient plus nombreuses, plus petites[120], et leurs chefs-lieux se ressemblaient tous par leur caractère de marché agricole, l'attitude aimable des coteaux qui les portaient, l'insignifiance de leur vie municipale : à gauche Avranches[121] et Coutances[122], chacune à la tête de deux vallées jumelles du Cotentin, et regardant toutes deux la mer de Saint-Malo ; à droite, Rouen et Lillebonne, sur les dernières boucles de la Seine, à la descente des ruisseaux, celui-là du Vexin, et celle-ci du pays de Caux ; dans l'arrière-pays, Séez[123], adossé aux montagnes du Perche, maître des prairies de l'Orne supérieure, et Évreux[124], développant les plis de sa campagne, pareils aux gradins d'un théâtre, en face des dernières eaux de la Seine[125] ; à l'intérieur de la ligne formée par ces cités, et alignées à quelques milles au sud des côtes du Calvados[126], les trois villes de la pure Normandie, Lisieux[127], chef-lieu du pays d'Auge, Vieux[128], souverain sur l'Orne et la campagne de Caen[129], Bayeux[130] son rival[131], qui commande à la vallée de l'Aure. — A tout prendre, c'est Vieux qui mérite de devenir la capitale de la Normandie : la ville est exactement au centre des neuf cités, et elle détient la, plus grande rivière de la région. Les Romains l'ont-ils compris ? ou la chose s'est-elle faite d'elle-même, par la force de la nature ? Mais il semble que Vieux ait commencé à s'imposer à toutes les terres normandes : les dédicaces épigraphiques y sont plus nombreuses et plus importantes, et on dirait que son peuple reçoit des empereurs et de la Gaule de particulières déférences[132]. Les malheurs du Bas Empire n'arrêteront qu'en apparence cette fortune du lieu : Vieux disparaîtra sans doute, mais Caen, à six milles de là, reprendra la tâche de faire une Normandie, et l'achèvera. — Quant au port, il y avait moins à douter encore, et ce devait être Rouen. Lillebonne[133], il est vrai, était plus près de la mer, et les habitants de son pays étaient nombreux[134], riches[135] et somptueux[136], mais elle n'avait pour port qu'une grève lointaine et monotone[137], tandis que Rouen[138] offre aussitôt aux navires un large bras de Seine, environné de collines. Toutefois, la domination romaine ne permit pas à Rouen les succès maritimes qu'il pouvait attendre d'un régime de paix. Inscriptions et monuments y offrent moins d'intérêt qu'à Vieux et à Lillebonne même. Il ressemble aux autres villes normandes en ce qu'il est un lieu de marché plutôt qu'un havre de marchandises[139]. De ses mariniers et de ses navires, il n'est question nulle part : mais nous savons qu'il possédait des manufactures de draps de lin[140], ce qui est après tout l'une des deux origines de sa puissance moderne. L'autre, la navigation, les empereurs ne l'encouragent pas. Car, pour commercer sur la Manche, ils ont leur port favori, Boulogne en Belgique, dont il faut nous rapprocher maintenant.

 

XIV. — LA BELGIQUE DE CHÂLONS À BOULOGNE ; REIMS.

Pour visiter et comprendre la Belgique romaine, il n'y avait qu'if suivre ses trois routes principales. Deux nous sont déjà connues : celle de Langres à Boulogne ou d'Italie en Bretagne par le pont de Châlons, celle d'Orléans à Cologne ou d'Espagne on Germanie par l'île de la cité parisienne. Il faut y ajouter la route de Langres à Cologne par la Moselle, autrement dit d'Espagne et de Gaule en Germanie par le Confluent lyonnais. Ces trois routes, se coupant ou se joignant en un triangle, formaient l'ossature de la province[141]. Chacune d'elle avait sa physionomie. propre, qu'elle devait aux villes et aux terroirs soumis à son parcours.

La route de Langres à Boulogne, c'est la Belgique aux plateaux fertiles, aux fortes cultures, aux villes nombreuses, neuves et élégantes. Le travail y est de très ancienne date, et la civilisation y connaît ce chemin depuis des siècles. C'est par là que les Grecs et que César sont venus ; et l'empereur Claude, en conquérant la Bretagne, a achevé de faire de la route catalaunique l'artère vitale de l'Occident, où le sang circulait du midi au nord et d'une mer à l'autre.

Au pont de Châlons[142], la voie se trouvait en Belgique et dans l'immense plaine de Champagne, à laquelle commandaient l'antique peuplade des Rèmes et Reims sa métropole, déjà chère à César. Aucun autre lieu n'avait pu disputer à Reims la primauté : Châlons n'était qu'un gîte d'étapes à l'endroit où on passait la Marne[143].

Reims[144] gouvernait toujours la plaine et ses coteaux, qu'ennoblissait peut-être la nouvelle richesse de leurs vignobles[145]. Construite dès l'origine sur un sol mollement ondulé, la ville n'avait qu'à laisser faire la paix romaine pour s'épanouir librement, comblée d'hommes et de bâtisses, sous la triple chaleur de sa terre, de sa route et de ses amitiés puissantes. Car l'Empire lui, continua la sympathie que lui avait témoignée le fondateur de la Gaule latine. Il fit d'elle la métropole de la province de Belgique[146] ; et si l'on songe à Clovis, à saint Remi et à la Cathédrale, on devine ce que ce titre de métropole va apporter de gloire à la pacifique et pieuse cité. Pacifique, elle le fut comme pas une de la Gaule et du monde : seule dans l'univers, elle pouvait se vanter de n'avoir jamais pris les armes, d'avoir toujours su obéir[147] depuis l'heure où elle avait entendu le nom de Rome. Pieuse, elle l'était surtout à l'endroit de cette Rome, dont elle aimait l'empire comme elle eût fait celui de la Déesse Mère des Dieux ; et je ne m'étonnerais pas que les Rèmes eux-mêmes, rapprochant leur nom de celui de Remus, se soient estimés les petits-fils de la Vestale, les neveux de Romulus et les cousins de Rome : la principale ruine qui nous reste de la ville, sa porte monumentale, est pleine de bas-reliefs où l'on ne voit que scènes d'Italie, et d'abord la louve aux héroïques jumeaux[148].

Reims montrait d'ailleurs une gloire plus solide que la divinité latine de ses origines et que le faste de la cour des légats[149] : c'était le mérite de sa bourgeoisie industrielle, fidèle à des traditions qui remontaient à l'époque gauloise, à la fois consciencieuse et entreprenante[150], chez qui le travail passait pour une vertu et le métier pour une gloire. Ses banquiers ou ses argentiers se faisaient connaître jusqu'au Rhin[151], ses brodeurs réussirent peut-être à rivaliser avec Lyon pour la fabrication des étoffes de luxe[152], et ses drapiers s'imposaient pour la confection des habits de laine[153].

De Reims[154], à travers des champs de blé ou des plants de légumes célèbres même à Rome[155], on arrivait à la ville neuve de Soissons, Augusta[156], fondée près de l'Aisne aux eaux verdoyantes, assez semblable à Reims dans son site et ses mœurs, et son image réduite[157]. Autour de Soissons[158], d'autres petites villes se dressaient à chaque fin d'étape, sur les rives de gaies rivières qu'elles aidaient à franchir, encadrées de terres très grasses, ornées de maisons très blanches, rafraîchies par les forêts qui ne quittaient plus l'horizon[159] : Meaux, en un repli de la Marne[160] ; Senlis, marché riant assis sur un mamelon au centre d'une fertile clairière[161] ; Saint-Quentin ou Augusta, autre ville au nom d'Auguste, penchée vers une boucle de la Somme naissante[162] ; Noyon ou Noviomagus, marché neuf qui s'était établi près du passage de l'Oise par la route d'Agrippa[163] ; Beauvais ou Cæsaromagus, autre marché encore, décoré du nom de César[164], la métropole nouvelle du peuple des Bellovaques, à demi somnolente sous sa couronne de plateaux, au centre de ses domaines herbeux où plus rien que d'antiques débris ne rappelait l'humeur indomptable de la glorieuse nation[165]. Ces villes de la région de l'Aisne et de l'Oise se ressemblaient. Elles tenaient leurs avantages du bon entretien des terres voisines ; aucune n'était très grande ; on les avait bâties sur terrain à pente douce, et elles succédaient pour la plupart, à titre de chefs-lieux de cités, à quelques antiques citadelles gauloises, dont les murs ruinés de terre et de caillasse s'apercevaient sur les monts du voisinage[166]. Toutes étaient des villes neuves, portant le nom de César ou d'Auguste. Par elles, l'Île-de-France naissait enfin à la vie municipale[167] et ajoutait le travail des métiers citadins et la beauté des édifices de pierre à la clarté de ses rivières et de ses champs, au mystère de ses forêts de chênes ou de hêtres.

Partie de Soissons, la route de Bretagne traversait l'Oise avant Noyon[168], entrait chez les Ambiens, et franchissait la Somme au pont qui avait valu à leur capitale d'Amiens son existence et son premier nom, Samarobriva, pont de Somme[169]. Celle-ci, qui partagea avec Reims l'amitié de César, ne put croître dans les mêmes proportions que la fille de Remus. Son domaine, limité au bassin de la rivière, était trop restreint ; elle ne sut ou ne put utiliser les bons ports que lui valait la possession d'un rivage sur l'Océan[170] ; elle dut se contenter d'une fortune modeste, que lui gagnaient ses marchands de grains[171] et ses fabricants de draps. Toutefois, le visiteur y recevait une impression qu'il avait ignorée depuis son départ de Langres, sur ces terres de Champagne et de France absorbées sans partage par les labeurs de la paix : Amiens donnait à la Belgique la première note belliqueuse[172]. Car les frontières étant rapprochées, celle du Rhin et celle de Bretagne, des vétérans y étaient envoyés en séjour[173], et des fabriques d'armes commençaient à s'y établir[174].

La vie militaire prenait tout à fait possession de la route lorsque, les dernières collines franchies[175], on découvrait enfin l'Océan, le port de Boulogne et l'immense nappe de mer qui, aux heures de la pleine marée, envahissait le bas pays.

A Boulogne[176], on se sentait moins en Gaule que sur terre d'Empire. Les poètes avaient beau appeler ce pays, par habitude de figure littéraire, la fin du monde, le séjour des plus lointains des hommes[177] : le port de la Liane n'avait rien de sauvage, ni même de gaulois ou d'indigène. C'était le lieu de rencontre entre deux grandes provinces de l'Empire romain, Gaule et Bretagne. Habitants et bâtisses appartenaient au service des intérêts généraux de l'État. De ces intérêts dépendait la grandeur et l'activité de la ville, qu'on apercevait à droite, partie sur la colline montante qui pouvait porter une citadelle, partie sur les terrains aplanis qui s'allongeaient en bordure de la rivière[178]. Celle-ci, élargie en estuaire, formait le port : d'un côté s'abritait la flotte de guerre qui surveillait le Détroit et s'acquittait des transports publics[179] ; de l'autre se serraient bord à bord les innombrables vaisseaux marchands qui faisaient les besognes du passage ; à l'entrée de la mer, sur la droite, au sommet de la falaise, le phare dressait à deux cents pieds de haut ses étages de pierre et de briques, et c'était œuvre d'empereur. Car les maîtres dit monde ne connaissaient que Boulogne quand. il leur fallait passer en Angleterre ; et j'appelle les maîtres du monde, non pas seulement les empereurs dont les plus agités ne manquèrent pas de s'embarquer ici[180], mais encore leurs légions et surtout leurs brasseurs d'affaires. Aidée par l'État, la ville réussit à accaparer les entreprises de transport entre l'île et le continent[181]. Aussi, sur les berges, c'était l'embarras des marchandises, des tentes, des files de chariots, des troupes de bêtes et des cortèges de soldats ; et dans les ruelles qui les longeaient ou qui dévalaient des collines, c'était la cohue bruyante des hommes en liberté, chantant les refrains de leurs joies vulgaires, marins de l'État, matelots du commerce, portefaix, arrimeurs, mercantis, pour la plupart venus d'Italie, de Grèce ou d'Orient[182]. Et n'était la brume qui montait de l'Océan, on aurait pu se croire à Pouzzoles ou à Alexandrie.

 

XV. — DE PARIS À COLOGNE ; FLANDRES ET ARDENNES[183].

La route d'Espagne, que nous avons suivie depuis sa descente du col de Roncevaux, s'éloignait de Paris par la plaine de Saint-Denis[184] et ne tardait pas à entrer en Belgique, dès que finissaient les admirables terres à blé, mères du pain de Gonesse, dès qu'apparaissait la lisière des profondes hêtraies de Chantilly[185]. Et ces épaisses forêts d'arbres puissants, surgissant à moins d'une journée de la Seine, faisaient prévoir le caractère de cette route, à chaque instant enfoncée sous les bois, pauvre en villes, à l'horizon souvent restreint et barré. Après le marché de Senlis, il lui fallait attendre plus de cent milles pour s'arrêter dans une localité, Bavai en Hainaut, qui eût aspect de bourgade. La chaussée s'avançait sans détour, imperturbablement droite, insouciante des montées, des descentes et des passages de rivières, ne voyant que la ligne directe qu'on lui avait fixée, et ne faisant nulle attention aux villes prochaines, qu'elle laissait à l'écart de sa course[186] : il n'existe pas dans toute la Gaule de voie, si je peux dire, plus décidée, moins attachée à des besoins municipaux, plus préoccupée d'aller vite, dans un dessein d'intérêt général[187].

De loin en loin, d'autres routes la coupaient, menant aux capitales voisines ou lointaines, à des terres plus populeuses, à des rivages plus vivants. A Senlis, elle croisait le chemin commercial de Lyon à la Manche ; près de, Roye, la route militaire d'Italie à Boulogne ; à Vermand, la voie qui de Trèves et du Rhin conduisait aux cités d'Artois et de Flandre[188].

Ces régions d'Artois et de Flandre étaient à l'extrême nord de la Gaule. Les plus grandes routes avaient dû les laisser, celle de Boulogne à sa droite, celle de Cologne à sa gauche. Enserrées par les eaux de l'Escaut et de ses affluents comme par le réseau d'un filet aux mailles innombrables, à demi submergées tout à la fois par l'eau de leurs bas-fonds et les buées de leur ciel, elles ne présentaient pas ces lignes nettement découpées, cette structure nerveuse et fine que les hommes du Midi aimaient pour les terres de leurs domaines et pour les cités de leurs villes. Aussi rien, dans la Gaule et l'Occident, n'était plus différent de l'Italie. Encore dans l'Artois, à Arras chez les Atrébates, à Thérouanne chez les Morins, on recevait quelque impression urbaine : les coteaux des deux villes, les rivières vers lesquelles ils s'inclinaient, offraient de jolis aspects, et le soleil les échauffait aux heures de l'après-midi. Arras[189], sur la Scarpe, était une vieille bourgade sacrée, dont l'activité de ses habitants avait fait une bonne ville industrielle, aux manufactures de manteaux de laine célèbres dans le monde entier. Thérouanne[190], sur la Lys, était plus rustique, presque envahie par les linières de ses vallons et les troupeaux d'oies de ses éleveurs ; mais de ces linières elle tirait des toiles à voiles pour les armateurs de Boulogne sa voisine, et les commissionnaires expédiaient ses oies jusqu'à Rome. Plus au nord et plus au levant, alors, la campagne recouvre tout : nous sommes en Flandre, chez les Ménapes.

Ceux-ci, même sous la loi romaine, n'arrivent pas à se dégager de cette vie rurale, dispersée, presque sauvage, où les attachent leurs tristes prairies, leurs jardins uniformes, leurs sinistres marécages. Ils ne s'étaient bâti une bourgade qu'à l'extrémité occidentale de leur domaine, aux approches de la route de Boulogne : mais c'était bien une citadelle à l'ancienne mode gauloise que cette extraordinaire ville de, Cassel, juchée sur un mont solitaire, debout sur une aire entre ciel et rocher, presque séparée du monde par les bois qui recouvrent ses flancs, et ne voyant à son horizon que l'immensité de la plaine monotone[191]. Ailleurs, les gens de Flandre, de Brabant, de Campine s'en tiennent à la grande ferme du paysan ou à la riche villa du seigneur[192], au sanctuaire coutumier dressé près des sources et des passages de rivières[193], aux petits ports de pêche qu'avoisinent les parcs des sauniers[194], aux stations, auberges et relais sur les chemins postaux[195]. Je ne dis pas que ces Flamands ne savaient point travailler ; l'inertie n'était pas plus leur fait alors que maintenant, et bien peu d'entre les Gaulois les égalaient en activité industrielle : mais c'était dans les fermes que les paysans tissaient leurs étoffes de laine et préparaient leurs conserves de porc, en attendant l'arrivée du marchand en gros qui viendrait les acheter pour les lancer dans le monde du commerce[196], et c'était dans les ateliers d'un grand seigneur que peinaient obscurément ces excellents ouvriers en bronze, en laiton ou en émail, précurseurs de la Belgique industrielle des temps modernes[197]. Je ne dis pas non plus que ces Flamands ne savaient point se distraire : mais les kermesses des lieux de marchés suffisaient aux petites gens[198], les riches pouvaient donner à leurs châteaux tout le luxe désirable, et il y avait de loin en loin quelques rendez-vous balnéaires où venaient les officiers de la frontière[199]. Ce que je veux dire, c'est que personne en ces basses terres ne connaît là beauté d'une ville, le charme d'une, société municipale : de Cassel à Aix-la-Chapelle[200], sur cent cinquante milles de distance, on ne trouvait pas une seule agglomération importante. — Et c'est sur cette ligne que nous rencontrons aujourd'hui Ypres et Furnes, Bruges et Thourout, Bruxelles, Louvain et Malines, Gand et Anvers ; et c'est la contrée d'Europe où la vie urbaine a depuis sept siècles déployé le plus de- force et produit le plus d'œuvres.

On doit insister sur ce fait, parce qu'il nous montre l'impuissance de Rome à tirer parti de la Flandre. Car il ne suffit pas, pour comprendre l'œuvre d'un peuple ou d'un maître, de savoir ce qu'il a fait ; il faut rappeler aussi ce qu'il n'a point fait, ce que d'autres ont créé sur le sol où il n'a rien su faire. Que Rome ait réussi à transformer Languedoc, Provence et Vaucluse en une famille de colonies, qu'elle ait planté dans l'Île-de-France un verger de cités neuves : vraiment, la besogne n'était point difficile, et ces pays allaient d'eux-mêmes à la nouvelle vie. Hais en Flandre, où l'effort eût été plus grand et la tâche plus belle, Rome les laissa à d'autres temps.

Au sud de la chaussée de Cologne, les Ardennes remplacent les Flandres, le rocher et la forêt se substituent à la plaine et au marécage. Mais si le spectacle de la nature est différent, celui de la société humaine ne change point.

Dans les Ardennes, tout ainsi que dans les Flandres et le Brabant, les formes sociales du passé se sont maintenues, aussi protégées ici par les fourrés des bois que là-bas par les eaux des palus. Nulle part on n'aperçoit de villes, même petites. Ce qui frappe la vue, à travers les sous-bois, dans la clarté des clairières, ce sont des bâtiments énormes, dressés et allongés aux abords d'un ruisseau et aux pieds des grands arbres : et il n'en était pas autrement au temps où Ambiorix commandait à ces forêts et à ces hommes, Éburons, Nerviens ou Trévires. Ces maisons, il est vrai, ont perdu leur ancien aspect de lourdes masses de charpente : elles se présentent en belles constructions de pierre et de briques, aux colonnes de marbre qui marquent l'entrée, aux pavés de mosaïque qui ornent les salles. Le luxe et les arts en égayent les abords et les recoins : parterres fleuris et pièces d'eaux entourent la demeure ; et à' l'intérieur elle s'enorgueillit de ses vases d'argent, de ses coffrets aux poignées et aux coins ciselés, de ses fines sculptures en albâtre ou en cristal. A Héristal et à Jupille près de Liège, à Anthée près de Dinant, ces maisons, ces villas ont pris par leurs dimensions et par leur éclat l'allure de vrais palais, de a prétoires s impériaux. Là séjournent de grands seigneurs, les plus riches propriétaires, je crois, de toute la Gaule, possesseurs de bois, de blés et de troupeaux, maîtres de mines, de forges et d'ateliers, souverains d'un peuple de laboureurs, d'ouvriers et de tisserands. Eux aussi, semblables à leurs demeures, n'ignorent pas le décor du monde impérial ils ont dû, dans leur jeunesse, voyager à Rome ou parader tout au moins à la cour des légats de la frontière ; des précepteurs leur ont appris dans leur enfance les batailles d'Homère et les grâces de Virgile ; des artistes ont travaillé pour eux dans leurs villas et des marchands leur ont vendu de belles choses ; à leurs moments d'ennui ou de rêverie, ils savent lire les bons auteurs, et peut-être ont-ils à leurs gages des philosophes pour guider leurs réflexions ou diriger leurs consciences. A chaque génération la culture classique enracine plus profondément en ces nobles familles des habitudes et des goûts plus intelligents, que plus tard les invasions germaniques elles-mêmes ne feront point disparaître[201]. Mais ces hommes n'en sont pas moins les petits-fils et les héritiers d'Ambiorix, et, à part la nature de leurs pensées, ils vivent dans la société et sur le sol de la manière dont il avait vécu, en un château solitaire à l'orée des bois, ne vouant autour d'eux que des terres qui leur appartiennent et des serviteurs qui leur obéissent. — Ces chefs, on retrouvera leurs descendants ou leurs successeurs à l'époque des rois francs ; et si costume et religion changeront de nouveau, la vie sera pareille et les terres immuables. C'est à Jupille et à Héristal près de Liège qu'apparaîtra souvent la lignée des Pépins et de Charlemagne ; et c'est là que se trouvent les ruines des plus somptueuses villas meusiennes ; et c'est là encore qu'il faut chercher le fameux domaine d'où Ambiorix déclara la guerre à César. Sur près d'un millénaire de durée, d'Ambiorix à Charlemagne, les hommes ne se sont point groupés différemment aux abords des Ardennes et aux rives de la Meuse. Là aussi, comme près de Bruges ou de Gand, il faudra attendre des siècles pour que la terre et la société prennent des formes nouvelles, et que la ville de Liège grandisse à côté du domaine d'Héristal.

Entre les Ardennes et les Flandres, la chaussée de Cologne mettait un peu plus de vie sociale et d'agitation humaine sur les plateaux du Hainaut et de la Hesbaye, qu'elle traversait de l'occident au levant. Ces plateaux, d'ailleurs, avec leurs terres grasses et limoneuses, se prêtaient à une culture plus intensive, et leurs champs de blé, entre lesquels la route ne semblait qu'un sillon plus large, s'étendaient à perte de vue dans une sorte de majesté[202]. Les croisées de chemins déterminaient des marchés plus importants, et certaines de ces voies latérales, venues de Boulogne, déversaient sur la grande chaussée les troupes de marchands ou les bandes de soldats que la Bretagne envoyait à la Germanie[203]. Sur le mamelon de Bavai, où la chaussée arrivait sans peine, les Nerviens avaient érigé leur métropole[204], petite ville qui devait être surtout un lieu d'entrepôt et de bourse pour les négociants en grains et en draps[205] ou les fabricants de poteries[206]. A quatre-vingts milles plus loin[207], les héritiers des Éburons avaient transformé en bourgade de même genre, ouverte et hospitalière, leur farouche redoute d'Aduatuca, Tongres[208] : et si ce lieu réveillait le souvenir de légions massacrées et d'Ambiorix vainqueur, il n'abritait plus, dans la longue ceinture de ses inutiles marécages, que de bonnes familles, toujours prêtes à servir leurs maîtres romains et à les suivre à la frontière, les jeunes en qualité de soldats[209], les aînés à titre de trafiquants[210].

A Tongres, le voisinage do cette frontière se faisait en effet sentir. La cité dont elle était le chef-lieu avait été détachée de la Belgique et réunie à la province de Germanie Inférieure[211]. On y voyait, sinon une garnison régulière, du moins un petit groupe de vétérans et de colons militaires[212]. Beaucoup d'indigènes se disaient ou se savaient d'origine germanique[213] ; les idiomes transrhénans se mêlaient à ceux de la Gaule[214] ; des dieux nouveaux apparaissaient, et surtout de rudes Walkyries, auxquelles les officiers de passage offraient des lances et des boucliers[215].

En continuant vers l'est, on traverse la Meuse à Maëstricht[216], d'où l'on voit finir à gauche des bas pays ; puis, on monte sur de hautes terres broussailleuses, par quoi les Ardennes finissent à droite[217] : et c'est à chaque relais une grande villa, à chaque arrêt une chapelle de Déesses-Mères[218]. Enfin[219], le terrain se dégage, l'horizon s'éclaircit, on aperçoit le Rhin, et, à Cologne, on rejoint les bords du fleuve, la frontière d'Empire et la route descendue par la Moselle.

 

XVI. — LA MOSELLE : LORRAINE ET METZ[220].

La vallée de la Moselle, au contraire de la route des Flandres, avait subi profondément l'influence des habitudes méridionales. Mille détails y disposaient les hommes à regarder vers le Midi avec plus de complaisance : une terre franchement découpée, aux aspects et aux cultures d'une variété infinie ; une rivière qui semble venir de la Méditerranée, plus vive et plus brillante que les lents et boueux ruisseaux du Nord ; des coteaux ensoleillés qui avaient appelé la vigne dés le lendemain de la conquête ; le passage continu de princes et de soldats allant combattre la Germanie. Faites l'histoire de l'Occident entre César et Claude, et vous ne quitterez pas cette route qui va de Lyon cher à Drusus à Trèves aimée de Germanicus, à Cologne colonie d'Agrippine. Il faudra l'annexion de la Bretagne pour dériver sur la route de Boulogne une part de l'attention des peuples. Mais viennent les journées de crise, sous Valérien, Postume et Probus, c'est de nouveau entre ces trois villes, et sur le chemin de la Moselle, que se décideront les destins de la Gaule.

La route de la Moselle se détachait à Langres du réseau du Centre, et entrait dans la vallée par le bassin de Toul[221]. On était là chez un grand peuple, les Leuques, qui possédaient toute la haute rivière, et aussi la Meuse supérieure, un peu des affluents de la haute Marne, et qui même arrivaient aux sommets des Vosges par la Meurthe de Saint-Dié et la Moselle d'Épinal. Toul[222] était devenu leur métropole, bien qu'il frit presque à la sortie septentrionale de leurs domaines : mais à cet endroit, la Moselle s'incline vers l'ouest pour se rapprocher de la Meuse, les chemins du pays convergent, et la vallée ouvre son bassin le plus vaste et le plus fertile[223].

La ville de Toul n'en souffrit pas moins de cette position excentrique. Elle resta un petit centre administratif et agricole, qui intéressait uniquement les hommes de son voisinage et les habitués des conseils publics[224]. Aux régions naturelles de cette haute Lorraine correspondaient autant de grosses bourgades, toutes aussi importantes que le chef-lieu de la cité[225] : Grand, au seuil de la Champagne, ville mystérieuse où mille dévots se donnaient rendez-vous[226] ; Soulosse sur la Meuse, cultivatrice assidue du bassin de Neufchâteau[227] ; Naix, tributaire de la Marne, le centre sacré des Leuques, qui faillit enlever à Toul son rang de métropole[228] ; Scarponne, près du, confluent de la Moselle et de la Meurthe, obscure ancêtre de Nancy[229]. C'était, ce territoire des Leuques, une contrée aux petites villes, fermières de bons pays, aux villages nombreux et prospères[230], favoris des dieux et surtout des déesses, qui les gardaient du haut des côtes et des monts voisins[231].

En aval du confluent de la Meurthe[232], chez les Médiomatriques, la nature et les gens de Lorraine se modifiaient légèrement. La vallée était plus large, la contrée présentait plus d'unité, une grande ville la dominait, Metz ou Divodurum, ancien village sacré[233] auquel rien ne manqua pour devenir une cité riche et populeuse[234], lorsque les Gaulois abandonnèrent leurs citadelles des plus hauts lieux. Une aire aplanie sur une large colline[235], un fleuve déjà navigable[236], le très utile confluent delà Seille sortie du pays saunier (salia) ; le croisement de deux routes capitales, celle de la Moselle et celle de Reims à Strasbourg, un territoire immense, abondant en sel, en pierres, en fer, en vignes et en jardins, l'obéissance, enfin, d'un peuple étendu[237], en ce temps-là et peut-être depuis longtemps un des plus pacifiques[238] et des plus appliqués de la Gaule[239] : toutes les forces possibles des hommes et du sol tendaient à faire de Metz le centre d'un puissant labeur. Petits et grands avaient également, dans cette heureuse Lorraine, l'occasion de s'occuper et de s'enrichir : ceux-ci, sur leurs domaines bien exposés, essayaient et réussissaient les cultures du Midi[240] ; ceux-là élevaient leurs volailles[241] et plantaient leurs légumes[242] ; d'autres travaillaient le fer, brassaient la bière, tissaient la laine ou fondaient le verre ; et ceux que la terre ou l'industrie n'attiraient pas, apprenaient la médecine, fort en honneur à Metz, à l'école des praticiens municipaux. Metz grandit, s'instruisit et s'embellit à toute cette activité. Il se para des édifices nécessaires à sa vie romaine[243], il fit bon accueil aux étrangers[244], et il sut envoyer au loin les plus entreprenants de ses fils[245]. Pourtant, il ne se laissait pas entraîner vers les nouveautés inutiles : les dieux de Rome et de l'Orient[246], ne lui firent jamais oublier ses habitudes familiales[247] ou ses plus vieux cultes gaulois, en particulier les bonnes et chères divinités féminines, auxquelles les gens de lorraine apportaient leurs plus fortes dévotions[248].

Ces terres rivalisaient presque en variété avec celles du Dauphiné et de l'Auvergne : si elles montraient, moins de majesté, elles avaient plus de grâce ; mais aucune forme de paysage ne leur manquait. A l'ouest, le peuple messin possédait sur la route de Reims la plaine de la Woëvre[249], ses étangs et ses mille ruisseaux, la sombre falaise déchiquetée des Hauts-de-Meuse, couverts de forêts giboyeuses[250], la rivière de la Meuse, étalant ses replis au milieu des près, et, gardant son passage, l'antique citadelle gauloise de Verdun, encore vassale de Metz, mais déjà prête, par la fortune de son site, au rôle d'une cité municipale et à la gloire d'une forteresse irréductible[251]. A l'est, par la route de Strasbourg et par les fertiles vallons où serpentent la Sarre et ses tributaires, les Médiomatriques s'élevaient jusqu'aux sommets des Vosges.

Metz partageait avec Toul le versant occidental de ces montagnes. Chacune de ces cités avait son lot de sommets sacrés, de fontaines rapides, de bois profonds, de villages forestiers où chaque ferme montrait son dieu domestique et chaque paysan sa tombe, image de sa ferme : car les Vosges étaient habitées, exploitées, adorées jusqu'à leurs plus hautes cimes[252].

Les deux peuples lorrains se rencontraient au sommet du Donon ; celui de Toul y montait par le vallon de la Plaine, dont la source s'échappait du rocher au flanc même de la montagne sainte[253] ; le peuple de Metz le gravissait par le rude chemin de crête qui dominait les eaux blanches ou rouges de l'une et l'autre Sarre[254]. Là arrivait aussi, par le sentier alsacien qui sortait de la vallée de la Bruche, le territoire des Triboques, le peuple de Strasbourg. Sur cette cime où trois nations s'unissaient, d'où partaient les eaux qui fécondaient leurs terres. les Gaulois avaient adoré leur grand dieu, gardien des routes et garant des traités. Mercure l'avait remplacé : mais le sanctuaire du Donon conservait son prestige. Pèlerins et marchands s'y rendaient de tous les villages d'en bas : Alsace et Lorraine y continuaient l'habitude de fraterniser[255].

 

XVII. — LA MOSELLE : TRÈVES[256].

La dernière étape, dans cette descente de la Moselle[257], était marquée par le peuple des Trévires et par sa ville de Trèves[258], devenue la ville souveraine pour la vallée et pour la Belgique, et qui le sera un jour pour la Gaule entière et pour l'Occident romain. Tout, sur la route, nous annonce les approches de la grande cité, une rivière surchargée de barques et des barques surchargées de marchandises, des sentiers remplis de joyeuses rumeurs, de blanches villas suspendues aux coteaux des rives[259].

Nul peuple et nul pays de Gaule n'avaient été aussi complètement transformés par la domination impériale. Entre le passé et le présent on ne trouve aucun point de comparaison. Ces bords de la Moselle ont vu le chef-d'œuvre du travail latin. Avant César, ce sont des terres entravées par des bois sans fin, des tribus à la vie rustique et forestière, point de villes et une discipline médiocre, des hommes livrés à la querelle et à la bataille. Maintenant, c'est comme un sol nouveau, qui resplendit de toutes les cultures et de toutes les joies du monde gréco-romain.

La vigne s'est emparée des coteaux qui bordent la rivière. Il en sort un vin frais, capiteux, pétillant : et c'est tout de suite une note du Midi qui résonne en face des forêts du Nord, pour en chasser la brume et la tristesse[260]. Et à côté de la vigne, bien d'autres cultures réussissent dans ces vallons où pas une motte de terre et pas un rayon de soleil ne seront désormais perdus[261] : le blé, l'orge, le pommier cher aux Gaulois, le cerisier déjà populaire sur les terres de Lorraine et d'Alsace, les légumes de tout genre[262], les fleurs mêlées aux fruits et les prairies aux moissons, une production d'une extraordinaire variété. Au travers de ces terres, la Moselle promène la divine richesse de ses eaux[263], vivier mobile et toujours empli de truites, de lottes, de goujons ; de quoi satisfaire aux goûts des plus délicats ou aux plaisirs des plus pauvres : ces rives étaient les Champs Élysées des pécheurs, ils n'avaient qu'à se pencher sur leurs filets ou à tirer sur leurs lignes pour obtenir de miraculeuses conquêtes. Or le poisson et le vin, voilà, pour un Romain de ce temps, les deux éléments de la grasse vie.

Ce qui pouvait manquer aux Trévires, le commerce le leur apportait sans peine. De Trèves à Lyon, on n'avait que quatre cents tailles de route, et de la route la plus belle et la plus facile de la Gaule Chevelue[264] ; et comme cette route, du côté du nord, se continuait vers Cologne[265], Mayence[266] et les camps de la frontière, Trèves était une des trois ou quatre villes de l'Occident où il passait le plus de marchandises[267]. Le négoce aidait la culture à enrichir hommes et pays.

Bon gré mal gré, les hommes se civilisaient et travaillaient. Car c'est l'indigène, ici, qui demeure le maître, et non le Romain. Si Trèves obtint le titre de colonie, elle reçut fort peu de colons italiens. Que des vétérans[268], des fonctionnaires[269], des commerçants d'Italie et d'ailleurs[270] s'y soient installés en grand nombre, cela va de soi. Mais rien n'y rappelle ces colonies du Midi, Fréjus ou Arles, créées de toutes pièces avec des familles immigrées. Chez les Trévires, ce sont les hommes du pays qui font l'essentiel : la vie est nouvelle, non les êtres[271]. — Il faut donc que ces Trévires dont César parlait comme de demi-sauvages, aient valu beaucoup mieux que l'apparence, et qu'ils aient eu des facultés supérieures d'intelligence et de travail, puisqu'il suffit des premières années de la paix romaine pour en faire les émules des Arvernes ou des Allobroges.

Ils s'étaient mis au rang des mieux doués parmi les peuples de l'Occident. Tant de contacts différents, avec la route, la rivière, une terre riante, la forêt des Ardennes, la rudesse germanique, l'esprit latin des armées de la frontière, développèrent en eux les qualités les plus diverses. Ils conservèrent celles d'autrefois, leur bravoure, leur endurance physique, un certain amour de la liberté, et ils envoyèrent aux légions quelques-unes des meilleures troupes auxiliaires. La beauté dont ils revêtirent leurs champs décèle leurs mérites d'agriculteurs. Inscriptions et bas-reliefs des villes et des villages annoncent leur goût pour les arts du Midi, sans que d'ailleurs ils se soient rapprochés des élégances coutumières aux grands seigneurs allobroges.

Les écoles latines et grecques n'eurent point de peine à se développer chez eux. Ils furent bons industriels, en céramique, en verrerie[272], en mosaïque[273]. Surtout, ils se révélèrent commerçants hors ligne, toujours prêts à courir les foires, à fonder des comptoirs, à offrir et à échanger des marchandises, de n'importe quelle nature. Partout où il y eut moyen de trafiquer, on vit s'installer une colonie de Trévires ; il en vint dans toutes les cités marchandes de la Gaule, près de tous les camps du Rhin[274], du Danube[275] et de la Bretagne[276] ; à Lyon[277] et à Bordeaux[278], ils faisaient loi sur la place. Ces gens-là sont négociants, courtiers, commissionnaires, transitaires, entrepositaires, armateurs, entrepreneurs de transport par terre et par eau, et sans doute banquiers à l'occasion. De tous les Gaulois, ils sont à peu près les seuls à savoir faire concurrence aux Grecs d'Orient et aux Italiens de Campanie. On sent en eux cette virtuosité de l'homme d'affaires qui fera plus tard, dans leur voisinage, le génie commercial de Mayence ou de Francfort.

Sous l'influence de ces énergies laborieuses, la contrée de Trèves devint magnifique. Elle garda sur ses hautes terres sa ceinture de forêts, réservées aux pacifiques exploits des chasseurs de sangliers, d'élans et d'aurochs[279]. Mais tout ce qui put servir à la vie humaine reçut des édifices, maisons ou mausolées, et devint ville, village ou villa. Les riches eurent des châteaux comparables aux plus fastueuses demeures du Latium ou de la Campanie : voici, dans la villa de Nennig sur la route de Metz, une mosaïque aux figures puissantes, qui s'étend sur soixante mètres carrés[280] ; voici, dans le domaine d'Igel sur la route de Reims, un mausolée haut de près de soixante-dix pieds, couvert de cinquante figures. De gros bourgs s'élèvent de toutes parts : Arlon, encombré de boutiques, à la source de la Semoy dans un long vallon d'Ardenne[281] ; Bitburg, fréquenté des dieux, pieuse étape sur le chemin de Cologne[282] ; Neumagen, en aval sur la Moselle, marché très actif à la frontière de la province de Germanie[283] : ceux-ci, et d'autres encore[284], peuplés d'une bourgeoisie affairée et instruite[285], qu'on voudrait seulement un peu plus discrète, moins glorieuse de ses richesses[286]. Et enfin, au milieu de ces châteaux et de ces bourgades, de ces eaux, de ces routes et de ces terres, ensoleillée par la lumière du couchant qui réchauffe les pentes de ses coteaux[287], Trèves, leur capitale, brille dans sa jeunesse toujours renouvelée.

Trèves[288], comme Rome, a ses collines[289], son fleuve et le pont qui en unit les deux rives[290], ses vastes remparts[291], son Capitole[292], ses basiliques[293], sa curie[294] et son palais même[295] ; et, comme Rome encore, elle célèbre joyeusement chaque année l'anniversaire de se fondation[296]. Elle a reçu, presque dès sa naissance, à laquelle Auguste a donné son patronage, les édifices nécessaires à une grande ville qui pourrait être résidence d'empereur. Tous les princes qui ont guerroyé sur le Rhin y ont fait de longs séjours, depuis Germanicus jusqu'aux Césars de Gaule. Ce fut vraiment la Rome de la frontière, un peu en arrière de la ligne des camps et des garnisons, mais à portée d'eux, prête à donner à toutes les armées de Germanie l'inspiration commune : n'était-elle pas à égale distance de Mayence et de Cologne, les métropoles des deux provinces militaires, auxquelles l'unissaient des routes admirables ? à égale distance, aussi, du coude du Rhin et de son embouchure ?

C'est pourquoi, bien que cité d'une province civile, la vie y était à moitié militaire. Remparts, portes et tours seront sans cesse mis en état, car c'est une suprême réserve contre l'invasion. Au temps des malheurs de l'Empire, on élèvera sa formidable Porte Noire, qui à elle seule vaut un donjon, haute de trois étages de galeries, se dressant face à la Germanie sur la route de Mayence, menace et symbole à la fois de la force et de la résistance romaines[297]. Les rues étaient pleines de soldats, d'officiers, de vétérans[298] ; et sans doute le haut du pavé y appartenait aux fournisseurs d'armées. Car une des causes de richesse chez les Trévires, du travail des champs et de celui des fabriques, c'est le voisinage des troupes, la nécessité de satisfaire aux besoins de leurs hommes et au luxe de leurs officiers. Nulle part en Gaule, Mars et Mercure ne se sont plus équitablement partagé les pratiques de la vie humaine[299].

Quand l'empereur séjournait à Trèves, elle était, plus que Rome même, la vraie gardienne de l'Empire. À Rome, c'est l'Empire au repos, qui jouit et se querelle. A Trèves, c'est l'Empire en tenue de campagne, ce qui doit être sa tenue normale ; c'est Auguste, non pas en prince du sénat et du peuple, mais en imperator montant la garde à la frontière, ce qui est son devoir essentiel.

D'autres villes dans le Midi furent peut-être pendant un temps plus peuplées que Trèves ; elle ne valut jamais en beauté Arles, Nîmes ou Vienne[300] ; une autre cité de Belgique, Reims, avait le rang de métropole dans la province ; Lyon seul pouvait se dire la tête de la Gaule. Mais Trèves était, des villes de la grande contrée, la plus conforme à la nature de la chose romaine et la plus utile à la sauvegarde de cette chose ; et ce pays trévire, avec sa capitale armée, son palais impérial, ses villas et ses bourgs entremêlés, ses équipes d'agriculteurs, son va-et-vient de soldats, ses marchands qui essaiment vers toute la Gaule, apparaît à l'image de l'Empire qui l'a régénéré.

 

 

 



[1] Harold de Fontenay, Autun et ses monuments, 1889 (excellent) ; Déchelette, Guide des monuments d'Autun, 1909.

[2] Les Éduens continuaient à porter le titre de cité libre et fédérée, Ædui fœderati (Pline, IV, 107).

[3] Remarquez le culte, à Autun, de la déesse du Beuvray.

[4] Temple à Apollon et Capitole ; temple dit de Janus. Culte important de la Mère, peut-être sous le nom hellénique de Berecynthia.

[5] Diamètre, 147 m. 80 ; surface totale, 15.114 mètres. Ce serait le plus grand de toute la Gaule (de Fontenay, p. 189).

[6] Dimensions des axes, 154 et 130 mètres, également supérieures à celles de presque tous les amphithéâtres de la Gaule (sauf Poitiers).

[7] Encore que les grands ateliers métallurgiques des Éduens paraissent avoir été installés surtout dans la campagne. Mais il y a les ouvriers en poterie.

[8] Esp., n° 1872 et s. ; C. I. L., XIII, 2672 et s. : très peu de citoyens romains et très peu de tombes à la romaine. Il y a évidemment une grande part de hasard à cela. Mais il serait possible qu'une partie de l'aristocratie éduenne préférât le séjour sur ses domaines.

[9] Scholæ Mænianæ.

[10] L'état de misère que décrivent les rhéteurs d'Autun (à Constance Chlore, Pan., V [VIII], 21 ; à Constantin, VIII [V], 5-8 ; etc.) s'explique évidemment par les désastres du IIIe siècle. Mais je doute qu'ils suffisent à rendre compte du resserrement extraordinaire qu'a subi l'enceinte.

[11] Il semble bien, comme je l'ai déjà remarqué, que la vie à la campagne a pris un particulier attrait pour les Éduens. Tandis que le pays bordelais, par exemple, n'offre pour ainsi dire pas d'inscriptions et de sculptures en dehors de Bordeaux, le pays éduen, même dans ses régions montagneuses, est fort riche en vestiges de ce genre ; et c'est peut-être, de toute la Gaule, le vrai pays de ce qu'on pourrait appeler l'archéologie rustique (cf. Bulliot). — Voyez en particulier les monts sacrés : 1° mont Marte, à Mercure, sur la route de Sens à Autun ; 2° mont Saint-Jean, à Mercure et Apollon, sur une vieille route, préromaine, de Chalon à Sens par Arnay-le-Duc (XIII, 28 :30) ; 3° mont de Sene, à Mercure (Esp., n° 2170-8 ; C. I. L., XIII,. 2636), peut-être près de trois routes, directe de Chalon à Sens, de Chalon à Autun (et au Beuvray) par Nolay et Épinac, de Beaune à la Loire par la trouée de Chagny ; si l'on y a découvert un monument à Esculape, c'est à cause de la présence, au pied de la montagne, des eaux de Santenay. Ces monts sacrés et les chemins qu'ils dominent doivent être antérieurs à la conquête. — Comme monuments de sources : les bas-reliefs de Mavilly, provenant, je crois, de quelque fontaine du voisinage (Esp., n° 2067, 2072), dont l'un figure la guérison d'une maladie d'yeux (et. p. 161, n. 4) ; les ex-voto de Sainte-Sabine (Esp., n° 2044 ; C. I. L., XIII, 2835-38) ; les dieux de l'oratoire de Gamay dans Saint-Sernin-du-Bois (Esp., n° 1996-9), qui sont les sources du Mesvrin ; le monument de Chassenay Albio et Damonæ (XIII, 2840), se rapportant sans aucun doute à la Fontaine Salée de Maizières près d'Arnay-le-Duc ; non loin de là, deus Alisanus à Viévy, Velus Vicus (XIII, 2843 ; se retrouve à Couchey près de Dijon, connu par ses eaux minérales, C. I. L., XIII, 5468. je doute qu'il s'agisse d'Alésia) ; Briyindo, dans l'inscription celtique d'Auxey, se rapportant peut-être au ruisseau des Clous (C. I. L., XIII, 2638). — Enfin, à Cussy (près du vieux chemin de Chalon à Sens), la fameuse colonne aux huit dieux (Esp., n° 2032), qui doit être, élevée sur un domaine particulier, un monument analogue à ceux du cavalier et de l'anguipéde.

[12] Il faut remarquer (et c'est ici une nouvelle preuve de la faiblesse de toute documentation purement épigraphique et archéologique) que cette vie scolaire, attestée à Autun par tant de documents écrits, et dès documents de toute époque, n'a laissé jusqu'ici aucune trace dans les inscriptions et les monuments.

[13] Cela n'empêcha pas une révolte des Éduens en 21 et leur participation à l'insurrection de Vindex en 68.

[14] Surtout de la rive droite, que suit une longue route depuis Roanne jusqu'à l'estuaire.

[15] Je laisse de côté les trois petits ports en aval de Nevers : Mesves, Masava, où finit peut-être la route d'Auxerre à la Loire par Entrains ; Cosne, Condale ; Briare, Brivodurum (= pontis vicus : le pont n'est pas sur la Loire, mais sur la Trézée). Leur importance est secondaire, et, rattachés au pays d'Auxerre, ils ont dû desservir Sens et les Sénons plutôt qu'Autun et les Éduens. — Ce qu'il y a de remarquable dans cette région, c'est le nombre des sanctuaires locaux : Clutoida [divinité d'eau ?] et la Mère à Mesves (l'une ayant sans doute appelé l'autre) ; Mars Bolvinnus à Bouhy ; Apollon à Alligny ; et cela doit s'expliquer, soit par le voisinage d'Entrains, dont la présence et l'importance sacrée sont à rappeler ici à propos de ce groupe, soit par celui de l'ombilic carnute, auquel devaient conduira des voies sacrées. — Manufactures d'armes ou d'objets de bronze à Brèves près de Clamecy et à Entrains.

[16] Noviodunum, plus tard Nevirnum, Nevernum, Nibernum, fortifié sous le Bas Empire (1375 m. et plus de Il hectares) et plus tard chef-lieu de civitas.

[17] Opportuno loco positum, dit César, VII, 55, 1 ; cf. C. I. L., XIII, 2831 (inscription celtique). Navigation sur la Loire.

[18] Decetia.

[19] Cette route d'Autun est en réalité celle qui mène de Besançon à Bourges, et établit par là une importante jonction entre les réseaux de l'Est et de l'Ouest. Il devait y avoir deux trajets concurrents, l'un de Decize à Bourges par Sancoins, l'autre de Nevers à Bourges par La Guerche. — Sur la route d'Autun, la station thermale de Saint-Honoré, Aquæ Nisincii ?? Alisincum ?, dépendant des Éduens. — Sur cette route encore, aux abords d'Autun, à Monthelon, un sanctuaire d'Apollon Grannus Amarcolitanus (XIII, 2600). — A l'ouest de Nevers et de Decize, le pays entre Loire et Allier, et, au delà de ces deux rivières, la bande de terrain jusqu'au cours de l'Aubois, sont restés, je crois, le domaine des Boïens, dont La Guerche (l'ancienne Gorgobina ?), paraît demeurer le centre le plus important, ayant sans doute une certaine richesse à cause de l'exploitation de son argile à potier.

[20] Borvo ou Bormo et Damona ; C. I. L., XIII, 2804-11 ; panégyrique à Constantin, VII [VI], 21.22 (Apollinis lucos et sacras sedes et hanella fontium ora). — Bourbon est sur une des routes, sinon les plus importantes, du moins les plus vivantes de la Gaule, celle qui unit Autun et Clermont par Vichy : c'était le grand chemin des baigneurs, le chemin, aussi, des camps de César. — Digoin, en amont sur la Loire, était le lieu de convergence des chemins venant d'Autun par Toulon et de Mâcon par Charolles : mais à la différence des autres pays éduens, le Charolais a très peu fourni de vestiges romains.

[21] Rodumna ou Rodomna, aux Ségusiaves, dont le territoire a commencé, en aval sur la Loire, à Iguerande.

[22] Le nom l'indique, Forum Segusiavorum.

[23] Elle reçut le titre de colonia, tout en étant chef-lieu de civitas libera, et se bâtit un théâtre de pierre sous Claude (XIII, 1642).

[24] Outre Roanne et Feurs, il faut citer chez les Ségusiaves les stations balnéaires de Saint-Galmier et de Moingt, celle-ci paraissant être les Aquæ Segete des itinéraires (vestiges de théâtre). Du reste, on adorait dea Segeta à Feurs même (XIII, 1641 et 1646), et la déesse avait dû devenir la tutelle éponyme de la civitas. A côté d'elle, Dunisia, autre déesse de source (XIII, 1646). — Plomb argentifère en Forez ; poteries. — Aug. Bernard, Descr. du pays des Ségasiaves, 1858 (très judicieuses observations).

[25] Ce rattachement se montre par la route directe de Lyon à Feurs (au delà à Clermont), par quelque lien religieux, par le fait que le pays des Ségusiaves appartint plus tard au territoire de Lyon (cf. Notice des Gaules, 1).

[26] Voyez les lapidarii de Dijon (XIII, 5475).

[27] Pretiosos fontes mentionnés dans le pays de Dijon par Grégoire de Tours (H., III, 19).

[28] Dibio ou Divio, peut-être chef-lieu d'un pagus Andomus (XIII, 5475) ; le nom me parait indiquer la présence de quelque sanctuaire important, probablement de source. — Dijon dut à sa situation stratégique d'être fortifié de très bonne heure, encore que simple vicus : l'enceinte comporte 1500 m. et Il hectares.

[29] Ferrarii, 5474 ; lapidarii, 5475 ; nauta Araricus, 5489 ; nombreuses figurations de métiers, Esp., n° 3454, 3469, 3521, etc. La charcuterie était peut-être importante dans le pays.

[30] Bas-reliefs élégants, Esp., n° 3458, 3464, 3538.

[31] C'est, je crois, la richesse du pays de Dijon qui justifie le renom d'opulence et la nombreuse population qu'on attribuait aux Lingons, opulentissima civitas, qui pouvait armer 70.000 hommes (Frontin, Strat., IV, 3, 14). — Le territoire lingon, sur cette descente vers le Midi, finissait vers Vougeot. — Sur la route, le dieu de source Alisanus à Couchey, à chercher aux eaux de Couchey ou à la rigueur de Fixey.

[32] Belenum au Moyen Age. Vers la croisée d'une route directe de Besançon à Autun. — Peut-être fortifiée en même temps que Dijon. — Dans le voisinage, sources de Mavilly et d'Auxey.

[33] C'est le pays de Beaune que décrit le panégyrique de Constantin sous le nom de pagus Arebrignus. Ce pagus devait comprendre Nuits, qui a laissé d'importantes antiquités (XIII, 2845 et s.).

[34] Cabillonum, Cabilonnum, Cavillonum, plus tard chef-lieu de civitas. — Enceinte du Bas Empire (1200 m. ? on a dit 1500). — On y adorait dea Souconna, qui me parait avoir été à l'origine, non la Saône, mais une source du lieu (Roy-Chevrier, La Déesse Souconna, 1913, Mém. de la Soc. d'Hist., XIII) ; mais il serait possible, comme Chalon était le port essentiel sur la Saône, que le nom de cette source ait été peu à peu étendu à toute la rivière. — Sur le dieu Baco et le sanctuaire suburbain de Saint-Marcel ; on y a découvert une base octogonale deæ Temusioni (XIII, 11223). Le lieu, sur la rive gauche, est aux Séquanes.

[35] Chemin gaulois de Chalon à Sens.

[36] Cela nécessita sans doute une petite garnison (XIII, 2603, 2613-5).

[37] Tinurtium, Trenortium, Trinorcium. Il y eut là plus lard un castrum (Grégoire de Tours, Gl. mart., 53).

[38] Matisco, plus tard civitas. — Sur les deux routes de Mâcon dans la direction du centre éduen et de la Loire ; à l'époque celtique, le centre étant Bibracte, les deux routes bifurquaient à Toulon ; à l'époque romaine, le centre étant à Autun, la bifurcation devait se faire à Montceau-les-Mines. — Sans doute fortifié au IVe siècle.

[39] Le territoire éduen devait finir en face de la Chalaronne.

[40] Les Lingons et les Séquanes ont appartenu, sous l'Empire, à la Belgique d'abord, à la Germanie Supérieure ensuite. Je n'ai pas voulu cependant les décrire avec ces provinces. D'une part, leur civilisation les rapprochait des Trois Gaules et nullement de la Germanie frontière ; d'autre part, il est visible que César ne compte pas Séquanes et Lingons comme des Belges ; puis, Auguste semble bien les avoir gardés d'abord pour la Lyonnaise, et ils envoyaient leurs prêtres au Confluent ; en outre, leur situation géographique les unit nettement au reste de la Bourgogne. — Langres, sous le Bas Empire, sera rendu à la Lyonnaise (Not. Gall., 1).

[41] Remarquez que les troupes auxiliaires renferment des cohortes Lingonum et Sequanorum.

[42] Cette route, si importante, est complètement sacrifiée dans les itinéraires conservés. On convient de la faire passer par Segessera (Bar-sur-Aube), Brienne et Corobilium (Corbeil dans Sompuis).

[43] Andemantunnum (plutôt que Andematunnum ou Andematunum), nom de la ville ; Lingons, nom de la peuplade, passé plus tard à la ville. — La civitas fut une des rares cités fédérées de la Gaule romaine ; Langres eut le rang de colonie. — On a fait de Lingauster, ethnique qui se rencontre parfois (C. I. L., III, 10514 ; XIII, 7038), le synonyme de Lingo.

[44] Le blé des Lingons est mentionné par César, I, 40, 11, et par Claudien, De cons. Stil., III, 94.

[45] Langres possédait sans doute aussi le pays de Tonnerre dans la vallée de l'Armançon. — De là, la grandeur de leur domaine et l'étendue de leur population.

[46] Laines à manteaux ; laines à matelas ; sagarius, XIII, 11597 ; vestiarius, XIII, 5705.

[47] Le pays des Lingons a fourni les deux spécimens les plus caractérisés de la richesse et du pouvoir de la grande aristocratie dans les Trois Gaules : le long testament où un Lingon fixa la lex de son mausolée ; les dédicaces de monuments faits par les ouvriers de Dijon pro itu et reditu d'un patron.

[48] Si on peut en juger d'après l'inélégance de leurs monuments (Esp., n° 3210 et s.), y compris les arcs des portes (n° 3270-1). — Les vestiges des remparts sont du Bas Empire ; mais il serait possible que les portes soient des constructions antérieures utilisées par la nouvelle enceinte.

[49] C'est ce qui explique peut-être le nombre relativement important d'esclaves impériaux (XIII, 5607-9).

[50] Route prise, du nord au sud, par Vitellius et ses armées, et aussi, du sud au nord (par eau jusqu'à Chalon), par Claude allant en Bretagne.

[51] Route prise, du nord au sud, par Vitellius et ses armées, par Trèves, Metz, Toul. C'est aussi, je crois, celle qu'ont suivie de préférence Agrippa et Drusus.

[52] Outre les localités citées, sans doute aussi à Chalon. — Remarquez les castra que le Bas Empire y élèvera.

[53] Tilena, sur la descente de Langres à Lyon, et à la rencontre du chemin de Troyes et d'un chemin vers Genève ; C. I. L., XIII, 562t-5. Castrum au moins sous les Mérovingiens. — Tout près de là, Selongey, avec son culte de Minerve, était, je crois, le point de départ d'un vieux sentier raccourci qui, évitant Langres, menait à Bar-sur-Aube.

[54] Sur une route directe venant de Langres d'un côté et de Troyes de l'autre vers Nyon et Genève ; C. I. L., XIII, 5613.

[55] A la suite de Mirebeau, sur la route de Genève, au passage de la Saône ; XIII, 5609.

[56] Sur la descente de Langres à Lyon, à la rencontre du chemin de Sens et Alésia. De Dijon part sans doute aussi une route dans la direction de Genève. — Le tracé des deux routes, 1° de Langres, Sacquenay, Mirebeau, Pontailler, 2° de Dijon, Saint-Jean-de-Losne, vers Nyon et Genève, est le principal problème de la topographie franc-comtoise. A s'en tenir à la direction marquée par les débuts des tracés, qui sont très visibles, on peut supposer : 1° que la première gagnait Champagnole (ou plutôt Monnet-la-Ville), Saint-Cergues et Nyon, soit par Salins (embranchement certain de là sur Pontarlier et la route de Besançon au Grand Saint-Bernard), soit, plutôt, par Auxonne (cf. C. I. L., XIII, 9047), Dôle (ou plutôt Tavaux) et Poligny ; 2° que la seconde passait par Lons-le-Saunier, Orgelet, Moirans, Saint-Claude, le col de la Faucille, Genève. Ces tracés sont absolument contraires, je l'avoue, à l'opinion des archéologues de la Franche-Comté (Clerc, La Franche-Comté à l'époque romaine, 1847 ; Piroutet, Rev. des Ét. anc., 1919, p. 125), lesquels détournent la route de Pontailler sur Besançon et celle de Dijon sur Salins et Pontarlier (par des tracés d'ailleurs anciens), et qui nient l'utilisation de ces deux cols, Saint-Cergues et la Faucille, par des voies romaines. Mais je ne comprendrai pas la création par César de la colonie de Nyon, si elle n'avait pas à surveiller les défilés du Jura qui aboutissent dons son voisinage immédiat.

[57] Claude les transporta du Rhin en Bretagne.

[58] Sur leur très facile désarmement, Frontin, Strat., IV, 3, 14.

[59] Segobodium. — Route directe de Langres au Rhin par Port-sur-Saône (portus Abucini, Bucini, Buceni ?), le principal port des Séquanes, Villersexel, Arcey et Mandeure.

[60] Sans doute surtout pour les lainages d'hiver. — Peut-être aussi les blés Séquanes faisaient-ils concurrence à ceux des Lingons (César, I, 40, 11).

[61] Cohortes Sequanorum, qui paraissent être restées sur le Rhin.

[62] Vesontio, qui a rang de colonie, et dont l'importance comme ville fit que son nom s'imposa de bonne heure à la civitas Sequanorum. — Il ne fait point de doute que Besançon n'ait été fortifié sous le Bas Empire (Julien, Ép., p. 414, Sp.). — Castan, Besançon et ses environs, 2e édit., 1901 (détails précieux sur la topographie archéologique de Besançon).

[63] La descente avait certainement commencé à l'époque gauloise.

[64] L'amphithéâtre, à la rue d'Arènes.

[65] Cf. Julien (séjour en 360), Epist., 38, p. 414, Sp. ; Ammien, XV, 11, 11 ; XX, 10, 3. École à Besançon. Objets d'art. Un esclave impérial dispensator, XIII, 5385 ; une femme d'Orange, mater sacrorum, 5384 ; une riche Syrienne, 5373.

[66] Castan, p. 62.

[67] C. I. L., XIII, 5380-1.

[68] C'est la Porte Noire. Espérandieu (VII, p. 3 et s.) attribue le monument au temps de Marc-Aurèle, en fait par suite le contemporain de celui d'Yzeures. Je n'hésite qu'entre cette date et celle d'Hadrien. Il serait possible que ce tût un des monuments célébrant Hercule auxquels Ammien fait allusion.

[69] Cf. Julien, Epist., 38, p. 414, Sp. Le principal culte des Séquanes est celui de Mercure et Apollon associés, Mercure avec l'épithète de Cissonius (XIII, 5373).

[70] Voyageurs séquanes dans les villes de commerce de Lyon et Bordeaux.

[71] Cela peut résulter de la présence, par endroits, de deux routes le long du Doubs.

[72] Epomanduodurum ou Epamanduodurum. Il y a là un incroyable mélange de cultes, Jupiter, Bellone, Castor (ou Castores), Mithra, et même, ce qui est bien rare, sacerdos [Jovis] Ammonis, etc. Les ruines de Mandeure montrent très nettement l'importance de l'endroit comme lieu de rendez-vous (théâtre avec une très belle vue, temples, thermes ; objets d'art). C'est certainement un des lieux saints les plus visités de la Gaule, sans que je puisse me rendre absolument compte de la cause essentielle de cette sainteté. Le lieu saint, en tout cas, n'allait pas sans un très important marché, et sans doute marché aux chevaux : ce qui expliquerait la très grande quantité de clochettes qu'on y a découvertes. Le nom peut signifier village de la foire aux chevaux.

[73] Le nom de Salins, Salinæ, indique une exploitation romaine. Exploitations salines et culte de la Mère des Dieux à Grozon près de Poligny. — Il y a de ce côté un groupe de trois localités importantes, Moirans (Morincum), le lac d'Antre, Jeurre, sans aucun doute marché, sanctuaire (de Mars ?) et citadelle séquanes, situées, je crois, sur ou près la route de Dijon à Genève par Lons-le-Saunier (Ledone ou Ledo) et la Faucille. — A Lons-le-Saunier ou à Orgelet, cette route rencontrait un très ancien chemin saunier, peut-être un des plus curieux sentiers de la Gaule, connu sans doute des Marseillais, partant de Vienne, passant par ou vers les eaux sacrées de Saint-Vulbas, le vicus d'Ambronay, Izernore ou Isarnodurus (sans aucun doute le plus grand sanctuaire de la région, consacré à Mars, dont le culte semble très important en Jura, et à Mercure), Ariathod (autel Marti Segomoni, XIII, 5340), Orgelet (riche en débris celtiques et romains), Lons-le-Saunier, Grozon, Salins (ou plutôt ses abords) et Besançon. — Cette dernière partie de la route, depuis Lons-le-Saunier, servait aux voyageurs venant de Lyon par Bourg et par le sanctuaire de Coligny.

[74] Lussoius ou Luxovius. Jusqu'ici les monuments révèlent surtout des baigneurs de la cité des Séquanes.

[75] Borvo. Fréquenté surtout par les gens d'à côté, les Lingons, auxquels je ne suis pas sûr que Bourbonne n'appartint pas. — Verreries ? — Sur le chemin de Bourbonne à Luxeuil, entre les deux, Corre devait à ses eaux d'être un lieu saint fréquenté. Et c'était là le second grand chemin des eaux sacrées de la Gaule.

[76] Voie directe sur Yverdon par le col de Sainte-Croix ; voie sur Orbe par Jougne. — Ici se pose le problème le plus difficile de la géographie gallo-romaine : l'attribution du pays entre le Jura, la Saône et le Rhône, où étaient autrefois les Ambarri, clients des Éduens. Qu'étaient devenus ces Ambarres ? Il ne parait pas douteux qu'ils ne fussent plus civitas, mais simple palus. Mais attribué à quelle civitas7 On peut supposer que c'était à Lyon, dont le diocèse, au Moyen Age s'étendait jusque dans cette région. — Mais où les hésitations sont plus nombreuses, c'est dans l'extension de ce territoire lyonnais. A s'en tenir au Moyen Age, on peut le faire aller, au nord du Rhône, jusqu'à Saint-Claude (Condatisco), séparant ainsi complètement les Séquanes ou la cité de Besançon de leurs possessions da Bugey et de Belley. J'hésite à le croire, encore que ce soit possible ; et je préfère supposer, pour l'époque romaine, que Besançon possédait aussi Saint-Claude, Nantua et Izernore, et arrêter le pays de Lyon à l'ouest d'Izernore. — Au sud du Rhône, le Moyen Age donnait au diocèse de Lyon les deux archiprêtrés de Meyxieux et de Morestel ; mais Ammien semble dire que le Rhône séparait la Lyonnaise et la Viennoise (XV, 11, 7) : il est vrai qu'Ammien n'a peut-être parlé qu'approximativement. - Ce pays lyonnais des Ambarres avait pour principales localités, ce semble, Bourg et Ambronay, pour principaux sanctuaires ruraux la fontaine de Bormana à Saint-Vulbas (XIII, 2452) et le temple de Coligny, célèbre par son calendrier, sans doute temple d'Apollon associé à Mercure (XIII, 2379). Je crois que beaucoup de Lyonnais avaient là leurs villas ; les tombes de l'Ain participent du caractère de celles de Lyon ; voyez à Genay ce Syrien qui s'intitule negotiator Luguduni (XIII, 2448). — Quant au pays séquane de Belley ou du Bugey, fort peuplé, il avait trois vici importants, Belley (Bellicus) et Briord (Brioratis), au nord du Rhône, Aoste ou Augusium au sud, chef-lieu d'un pagus Octavius (XII, 2395). — Je rappelle que le val Romey appartenait probablement aux Viennois ; et il serait possible que le pays d'Anale et même tout le Bugey leur aient été attribués pendant quelque temps (XII, 2393), comme il serait possible que Bugey et val Romey aient été appliqués un temps aux gens de Nyon. Mais que Belley, Briord et Aoste aient appartenu aux Séquanes au moins après 300, c'est ça que laisse supposer, outre l'état ecclésiastique, le texte d'Ammien (XV, 11, 17) : Rhodanus per Sapaudiam fertur [il appelle Sapaudia ; je suppose, un ensemble composé, 1° sur la rive droite, du pays de Nyon, et sans doute aussi du pays d'Yverdon (Not. dign., Occ., 42, 15), 2° sur les deux rives, du pays viennois de Genève, y compris le val Romey, 3° sans doute aussi, sur la rive gauche, des pays viennois de Chambéry et d'Albens] et Sequanos [le Bugey sur les deux rives]. — Le culte prépondérant dans cette région, de Lyon à Genève, parait avoir été celui d'Apollon. — Carrières de Seyssel et de Villebois.

[77] Aucun travail d'ensemble sur la Normandie ; de bons résumés sur l'Armorique chez de La Borderie, Histoire de Bretagne, I, 1896. Le mémoire célèbre de Longnon, Les Cités gallo-romaines de Bretagne (Congrès Scientifique de France, tenu à Saint-Brieuc en 1872, t. II, 1874) appelle des réserves.

[78] Route de Rouen et de la Manche (au cas où elle ne se confondrait pas avec la rue Saint-Martin et la route du Nord jusqu'à Saint-Denis, ou au moins jusqu'au carrefour de Château-Landon ; de Pachtère, p. 38), par les rues et le faubourg Saint-Denis, Saint-Denis (Calulliacus), Ermont, Pierrelaye, Pontoise. Route de Dreux, vers Séez et la Normandie, par les rues Saint-André-des-Arts, du Four, de Sèvres. Route de Chartres et de l'Armorique par la rue de Vaugirard, Meudon, Jouy, Gif (de Paris à Gif on peut supposer aussi la route par la via Inferior, le chemin de Chatillon et Bièvres). Il est possible, d'ailleurs, que ces deux lignes parisiennes (rues de Sèvres et de Vaugirard) se confondissent à Issy, et que la bifurcation vers Dreux et Chartres se fit, comme aujourd'hui, vers Jouars. C'est entre Versailles et Jouars qu'on passait du pays de Paris dans celui des Carnutes, et peut-être Jouars (Digdurum) était-il le bourg sacré qui marquait l'entrée chez ce dernier peuple.

[79] Encore peut-on faire des réserves sur l'importance de Rouen, surtout comme port.

[80] La rareté des inscriptions et des- monuments figurés est à noter dans toutes les villes de cette région, et je ne peux croire qu'elle y suit due partout également au hasard. A Angers, par exemple, pays compris, il n'y a que 7 numéros dans le Recueil d'Espérandieu (n° 3002-8) et quelques-uns sujets à caution. Les cités les plus représentées dans le Corpus sont Nantes, Lisieux, Vieux, Lillebonne, mais avec de 15 à 40 inscriptions à peine, au lieu des 200 à 350 du Berry, d'Autun et de Bordeaux (je m'en tiens aux totaux de la première édition du Corpus). Et nous avons des cités qui ne sont à peu près pas représentées en épigraphie (milliaires mis à part) : Vannes, Corseul, Carhaix, Avranches, Coutances, Bayeux, Séez.

[81] Quelques-unes portent d'ailleurs le nom de magus = marché, Angers, Lisieux, ou de fanum, Corseul.

[82] Dans un certain nombre des théâtres que nous allons citer, par exemple, on signale que les gradins ou les scènes ont dit être en bois. Cependant, au Mans, inscriptions de vomitoria (authentiques ?, XIII, 3192) ; à Évreux, ruines du théâtre avec inscription de Claude, mais là encore on a supposé des gradins de terre (XIII, 3200). Théâtre de pierre à Locmariaquer, qui devait être un vicus sacré : mais c'est le seul théâtre reconnu en Bretagne en dehors de ceux des Namnètes (au Petit-Mars et à Mauves). La Normandie offre, outre les théâtres des chefs-lieux, ceux de Valognes chez les Unelles, Berthouville, le Vieil-Évreux et à côté Arnières, Saint-André-sur-Cailly près de Rouen, d'autres sans doute. En Maine et Anjou.

[83] On peut ajouter Jublains, Noviodunum, à mi-chemin entre Le Mans et Rennes, (au croisement du chemin du Mans à Avranches), dont la civitas, Aulerci Diablintes (d'où le nom de Jublains), comble l'espace entre les cités de ces deux villes. Malgré son nom de -dunum, Jublains ne pouvait être qu'un marché au centre d'un pays agricole : son site, sur de vagues pentes, n'est nullement celui d'un oppidum gaulois ; il a dû remplacer une antique citadelle, placée ailleurs, dans les premiers temps de l'Empire ou les derniers de l'indépendance. La bourgade, malgré l'intérêt offert aujourd'hui par son castellum, qui est du Bas Empire, était insignifiante comme sa civitas. Celle-ci, tout comme celles de Buch et de Bazas, des Tricastins, de Senlis, et les cités de Normandie, est une de ces petites civitates dont le maintien par l'Empire s'explique surtout par le respect de la tradition. — Liger, Les Diablintes, 1898 (superficiel).

[84] Sur la route de Paris à Nantes, au croisement de celle d'Orléans en Normandie. — Sur la route de Paris en Normandie, la première étape, au croisement de cette même route d'Orléans en Normandie, était marquée par la bourgade, important carrefour, de Durocasses, Dreux, nom qui doit être celui du pagus auquel elle servait de chef-lieu.

[85] Sur la même route, au départ d'une route vers Rennes et l'Armorique, au croisement de celle de Tours vers la Normandie.

[86] Sur la même route, au croisement des routes venues du Centre (Tours et Bourges), continuant vers Rennes et l'Armorique.

[87] Carnuteni fœderati, dit Pline, IV, 107, et je demeure étonné que les Carnutes, si hostiles à César, aient obtenu ce titre.

[88] Autricum, métropole des Carnutes (Carnuteni), qui prit plus lard le nom du peuple. — Je me demande si sa principale occupation n'était pas, comme au Moyen Age, l'industrie drapière. — Étendue de Chartres, 2100 m. ?. — Bonnard, Revue des Ét. anc., 1913, p. 81 et s. : de cette ville, capitale d'un des plus grands peuples, il n'est resté aucun vestige apparent de théâtre, d'arènes, de thermes et de temples.

[89] Encore ceci est-il moins indiqué par les textes que par la nature des choses.

[90] Sub... dinnum, Table de Peutinger ; Ptolémée, II, 8, 8 ; peut-être Vindinnum, la blanche ? : j'hésite, bien que la situation du Mans soit celle d'un oppidum celtique bien caractérisé, à chercher dans ce mot un composé de -dunum. — La civitas était celle des Aulerci Cenomanni ou Cenomani : le dernier nom est passé au Mans. — L'enceinte du troisième siècle, très visible, est de 1400 m. — La Tour-aux-Fées d'Allonnes, au voisinage du Mans, m'a paru, non pas un castellum du Bas Empire, ce qui est l'opinion courante, mais un mausolée du Haut Empire. Je ne sais que penser des ruines et en particulier du théâtre qu'on aurait, dit-on, découverts à Allonnes : y aurait-il eu là un vicus sacré voisin du Mans (cf. le Vieil-Évreux) ? — Sur la route du plans à Tours, près de la frontière des deux cités, théâtre et sans doute sanctuaire d'Aubigné. — Liger, La Cénomanie romaine, Le Mans, 1904.

[91] Même remarque que pour Chartres.

[92] Juliomagus = forum Julii, plus tard Andecavi. — Enceinte de 1200 m. environ. — Jusqu'ici le principal culte parait celui de Mars, avec l'épithète de Loucetius, à Angers (XIII, 3087), celle de Mullo à Craon (XIII, 3096). — Théâtre et sans doute vicus important à Gennes. — Sanctuaire de Minerve à Notre-Dame-d'Allençon, lieu qui est à la frontière des Pictons, à une source de l'Aubance et non loin des eaux de Thouarcé.

[93] Même remarque que pour Chartres et Le Mans.

[94] Forges domaniales ou villages de forgerons.

[95] En admettant qu'il ne faille pas chercher sa principale manufacture au nord de la Bresle (Frulis ?), limite entre la Normandie (cité de Lillebonne) et la Picardie (cité d'Amiens).

[96] Peut-être, aux caps du Finistère, sanctuaires traditionnels à rites funéraires, où l'on a pu chercher l'endroit où Ulysse a évoqué les morts. — Ajoutez les fana forestiers, rendez-vous de chasses.

[97] A Carnac, villa célèbre, dont les enduits à bandes de couleurs vives sont incrustés de coquillages. Dallages d'ardoises.

[98] Le Jupiter et l'Apollon de bronze, d'Évreux, trouvés dans la ville romaine ; l'Hercule barbu, du Thil dans l'Eure, trouvé sans doute sur l'emplacement d'une villa (Espérandieu, n° 3069) ; l'Apollon en bronze doré, de Lillebonne (n° 3084) ; la mosaïque apollinaire de Lillebonne) ; etc. Évreux et Lillebonne paraissent, dans cette région, les cités les plus aristocratiques, les plus éprises d'art.

[99] Sauf peut-être en Gascogne.

[100] Ossismi, Osismi, Osismii. — C'est à tort, je crois, qu'on distingue, au sud des Osismi, une civitas Coriosopitum, qui serait à Quimper ; le mot, dans la Notice des Gaules (3, 7), n'est qu'une inadvertance de copiste pour Coriosolitum. Le fait que Quimper s'est appelé au Moyen Age Corisopitum ne peut être allégué en l'affaire : tout au plus explique-t-il l'inadvertance.

[101] Comme ports mentionnés par les textes : Gesocribate, à la fin de la grande route de Nantes, port qu'on place à Brest (où on dit qu'il y a trace d'un castrum du Bas Empire), qu'on peut plutôt placer à Castel Ac'h, l'une et l'autre localités, lieux de ports à l'époque romaine ; portus Saliocanus (Ptolémée, II, 8, 2), qu'on place à la baie de Pors-Liogan près du Conquet ; sans doute, à côté de Quimper (Corisopitum), Locmaria, autrefois, dit-on, civitas Aquilonia.

[102] Ptolémée, II, 8, 5 ; Table de Peutinger : Vorgium ; C. I. L., XIII, 9013 : Vorg. ; 9018 : Vorgan. On a supposé que le chef-lieu, qui du nom du peuple s'est appelé Ossismi à partir du IVe siècle, est la localité maritime de Castel Ac'h, au nord de l'Abervrac'h, et que le nom de cette localité, qui serait Achim ou Achimis au Moyen Age, viendrait de ce nom de Ossismi. Que sous le Haut Empire la métropole ait pu être à cette fin de terre et non au centre de la cité, cela me parait impossible ; l'importance, visible aujourd'hui encore sur le terrain, du nœud de routes à Carhaix, ne peut s'expliquer que par son rang de métropole. Si Castel Ac'h est devenu chef-lieu sous le nom de Ossismi, ce ne peut être qu'au IVe siècle, comme peut-être un instant Vermand au détriment de Saint-Quentin : mais, si cela était, n'aurait-on pas alors construit la métropole en castrum, sur cette côte déjà menacée par les Saxons ? — Aucune trace de castrum à Carhaix.

[103] Coriosolites, dont le nom est resté sur Corseul.

[104] Fanum Martis. — Aucune trace connue de rempart. — L'opinion courante, qui incorpore les Coriosolites à la cité de Rennes, ne repose sur aucun fondement : textes, inscriptions, ruines et voies marquent l'existence de cette civitas avec Corseul pour chef-lieu. — Le territoire de Corseul finissait, du côté de Rennes, à la station de Fines, qui est à Évran [Icoranda ?] près de la Rance (il faut, dans l'itinéraire, p. 387, accepter VII).

[105] Leur port principal est Reginca (Table), sans aucun doute à Erquy.

[106] Veneti, dont le nom est resté sur Vannes.

[107] Je rappelle que la déchéance des Vénètes, dont la puissance maritime remontait peut-être à l'époque mégalithique, est un des grands faits de l'histoire de la Gaule. — Remarquez que les textes ne mentionnent dans le pays qu'un seul port, Vidana, que j'ai placé à Locmariaquer, vicus important de la cité, dont le théâtre, au flanc d'une colline dominant la mer, le golfe de Morbihan et les lies, présentait le plus prestigieux décor qu'eût un théâtre de Gaule : et c'est peut-être là que César a campé pendant la bataille vénète. Ce point, avec les mégalithes à l'entour, fut vraiment un des principaux lieux historiques de l'ancienne Gaule.

[108] Darioritum. Les manuscrits de Ptolémée (II, 8, 6) hésitent entre Δαριόριτον et Δαριόριγου, qui sont également possibles ; mais la Table de Peutinger, qui donne Dartoritum, doit nous faire préférer Darioritum : ritum doit rappeler les gués des deux ruisseaux qui convergent à Vannes, vada auxquels peut faire allusion César (III, 9, 6). — Vannes fut certainement fortifiée au Bas Empire. — Outre le vicus de Locmariaquer, on citera chez les Vénètes la station [ad] Salim ou Castennec, sur la route de Nantes à Vannes, qui doit avoir été un important lieu de pèlerinage et peut-être, je crois, de fabrication de poteries.

[109] Le réseau des routes armoricaines fut excellemment compris, rayonnant autour de Rennes d'abord, de Carhaix ensuite (sept chemins en partaient), avec deux routes en bordure, l'une de Nantes à Brest, l'autre sans doute d'Avranches à Brest par Corseul, quatre routes de jonction avec le reste de la Gaule, à savoir les routes arrivant à Nantes par Angers, à Rennes par Angers, à Rennes par Le Mans, à Avranches par Séez et Dreux. Ajoutez de bonnes routes vers tous les ports.

[110] Chef-lieu des Redones, dont elle prendra le nom ; sous le Haut Empire, Condate (= confluent). — Mur d'enceinte de 1200 m. environ, au IVe s.

[111] Mais il est à remarquer que, comme toutes les cités gauloises à proximité de la mer, la cité avait son port à elle, Aletum, à Saint-Servan. Aleth fut castrum sous le Bas Empire et peut-être les milites Martenses qui y tinrent alors garnison (Not. dign., Occ., 37, 19) sont-ils une ancienne corporation de Mars, dieu important du pays, transformée en milice ?

[112] Pour les temples, en particulier un grand sanctuaire à Mars : le dieu s'y appelle Mars Mollo, Mars Vicinnus, et les pagi de la cité (pagus Carnutenus, Matans, Seatanmanduus) y viennent en pèlerinage public in honorem domus divinæ (XIII, 3148-50).

[113] Condevincum (Ptolémée, II, 8, 8), plus tard Namnetes ou Namnites. — Enceinte, sous le Bas Empire, de 1665 m. et 16 hectares. En dernier lieu, Durville, Les Fouilles de l'Évêché, 1913 (Soc. arch.). — Portus Brivates à Saint-Nazaire. — Théâtres de vici ou de lieux saints à Mauves et à Petit-Mars. — Contrairement à l'opinion courante, j'étends jusqu'à la mer et au Croisic le domaine des Namnètes. En revanche, les Pictons, en face de Nantes même, revendiquent le port de Rezé. — Maître, Géogr. hist. et descr. de la Loire-Inférieure, I, 1893, II, 1899 (bien étudié).

[114] Nautæ Ligerici.

[115] Portus Namnetum dans les itinéraires et vicus Portensis dans les inscriptions (3105-7).

[116] C'est ce coteau, situé au confluent de l'Erdre (conde = confluens), qui a dû s'appeler spécialement Condevincum.

[117] Cuparii (XIII, 3104), qui travaillaient peut-être pour le cidre ou la bière plutôt que pour le vin.

[118] Inscriptions Volcano, XIII, 3103-7. — Culte de Mars.

[119] Port à Saint-Nazaire.

[120] C'est du reste un fait étonnant, que le maintien de toutes ces petites cités normandes, lesquelles étaient à peine autre chose que des tribus.

[121] Abrincatui, nom de la peuplade (vallées de la Sée et de la Sélune), passé à la ville ; on ne peut préciser pour le nom même du lieu : Ingena, dit Ptolémée (II, 8, 8), qui parait être l'équivalent du Legedia de la Table (sur la route de Rennes à Cherbourg). — Jusqu'ici, aucune trace de remparts, d'inscriptions ou de sculptures importantes. — Cf. Coutil, ici, n. suivante.

[122] Constantia, nom qui parait avoir, sous Constance Chlore, remplacé celui de Cosedia, fourni par les itinéraires, près de l'entrée de la double vallée de la Sienne et de son affluent la Soulle. Fortifiée par Constance ? — Coutances est devenue la métropole de la cité du Cotentin (le nom de ce pays vient du sien), l'ancienne cité des Unelli, qui comprenait, en outre, la double vallée de la Taule et de l'Ouve : à l'entrée de cette vallée on peut placer Crouciatonnum (peut-être Carentan), qu'on suppose avoir précédé Coutances comme métropole des Unelles. — Les deux ports du Cotentin sont Grannona (plutôt Granville ?) et Coriallum, Cherbourg. — Une autre importante localité du Cotentin était Alauna, Alleaume dans Valognes (avec théâtre). — Coutil, Les Unelli, etc., Bull. de la Soc. Norm. d'Ét. préhist., XIII, 1905 (1906).

[123] Chef-lieu des Saii ou Sugii, qui lui ont donné leur nom. Ces Saii peuvent se dissimuler sous les Άρούιοι de Ptolémée (II, 8, 7), et dans ce cas Vagoritum serait l'ancien nom de Séez (on a également songé, pour ce nom, au Nu...dionnum de la Table : mais ceci me parait être Noviodunum, Jublains, p. 438, n. 3). — Aucune trace de castrum. — Ces Saii, en tout cas, correspondent aux Esuvii d'autrefois. — Les eaux de La Herse semblent connues des Romains ; mais l'inscription de la piscine (XIII, 353*) est suspecte.

[124] Mediolanum, chef-lieu des Aulerci Eburovices (Eburovici, Ebroici), d'où son nom. — On admet que la ville du Haut Empire était aux ruines, si riches en antiquités, du plateau du Vieil-Évreux, et qu'au IIIe siècle la ville fut transférée à 8 kil. de là, sur l'emplacement de l'Évreux actuel, qui fut alors fortifié (castrum de 1145 m.). Ce serait, dans ce cas, un des très rares déplacements de site auxquels auraient donné lieu les mesures militaires du Bas Empire. J'en doute fort cependant. Tout porte à croire qu'Évreux était déjà ville et capitale ; il avait son théâtre, et dès le temps de Claude (C. I. L., XIII, 3200). Le Vieil-Évreux me parait être (et c'est l'avis des archéologues du pays) un lieu sacré, rendez-vous de jeux et de fêtes (il y a un théâtre), peut-être le domaine du deus Gisacus, populaire dans ces pays et adoré là même (XIII, 3197). — Lieu sacré de même genre, avec théâtre, à Arnières, également tout près d'Évreux, à l'entrée de la forêt. — La cité d'Évreux, évidemment, est pays de fêtes et de jeux, et, par là, de marchés. — Cf. Espérandieu, Les Fouilles du Vieil-Évreux, 1913 ; Coutil, Département de l'Eure, Archéologie gauloise, etc., divers fasc. de 1895 à 1917 (à suivre).

[125] Évreux peut avoir été la ville la plus élégante de la Normandie. — Importance à Évreux des foulons et par suite de l'industrie drapière : c'est, comme à Rouen et à Chartres, le commencement (ou la suite) de l'état de choses qui se continuera jusqu'à nos jours.

[126] J'ai déjà remarqué que l'importance maritime de la Normandie n'est pas comparable à celle de l'Armorique.

[127] Noviomagus (= marché neuf), plus tard Lexovii (Lixovii), nom du peuple. — Sans doute fortifié. — Lantier, Lisieux gallo-romain (dans les Études Lexoviennes, 1915).

[128] Aregenua, dont le nom vient de la rivière, la Guigne (= ante Genuam), Chef-lieu de la cité des Viducasses, d'où viendra le nom de Vieux. — Je ne crois pas à l'existence d'une enceinte. — Culte de Mars.

[129] Sauvage a très habilement reconstitué le territoire primitif de la cité de Vieux, les régions naturelles de la campagne de Caen et du Bocage normand ; Bull. de la Soc. Normande d'Études préhistoriques, XIII, 1905 (1906), p. 186-191.

[130] Augustodurum (= vicus Augusti), Baiocasses (Bodiocasses chez Pline) du nom du peuple. — Sans doute fortifié.

[131] La Notice des Gaules (2, 3) mentionne Bayeux comme civitas et omet Vieux : on doit supposer que les deux territoires, fort peu étendus, ont été réunis en un seul ; si l'on a pris Bayeux comme chef-lieu, c'est qu'on le jugea plus facile à défendre ; il fut fortifié, et Vieux ne le fut pas. — Il parait y avoir eu, dans le pays de Bayeux, un important sanctuaire druidique de Bélénus ou d'Apollon (Ausone, Prof., 5 et 11), divinité peut-être assez populaire dans la Normandie maritime (textes d'Ausone).

[132] Vieux fut civitas libera et en même temps colonie ; ce fut la première ville où les Tres Galliæ élevèrent une statue à un de leurs prêtres (et non à Lyon) ; voyez le marbre de Vieux (XIII, 3102).

[133] Juliobona, métropole des Calètes (Caleti), dont le nom est resté au pays de Caux. Lillebonne, comme Bordeaux et Rouen, a gardé son nom de localité, peut-être à cause de son importance dans le pays. Je répète qu'elle a livré beaucoup plus d'inscriptions, de sculptures, et peut-être d'objets d'art et de luxe que Rouen. — On convient que Lillebonne est devenue un castrum ; je me réserve sur l'importance, la nature et la durée de cette forteresse : d'ailleurs sa qualité de castrum ne l'empêcha pas d'être englobée dans la cité de Rouen dès le IVe siècle.

[134] Lillebonne a livré jusqu'ici plus de sculptures et de tombes d'artisans que n'importe quelle ville de Normandie et d'Armorique (Espérandieu, n° 3084 et s.).

[135] La richesse venait surtout de la culture du lin et des manufactures de toiles ; Pline, XIX, 8.

[136] Théâtre, mosaïque ; objets d'art ou autres. Je crois à la prépondérance des cultes apollinaires. — En dernier lieu, Lantier, La Ville romaine de Lillebonne, 1913 (Revue archéologique).

[137] A trois milles de la ville. Je crois que bona signifie port ou marché de rivière. — Aucune remarque ne m'a paru possible sur les ports de l'Océan, Étretat, Yport, Fécamp, Saint-Valery, Dieppe, Le Tréport. — Mais Lillebonne pouvait avoir un concurrent comme port sur la Seine, dans son propre pays de Caux, avec Harfleur, Caracotinum, lieu terminal de la route de la Seine. Si Ammien ne se trompe pas, le castrum de Constantia, où la Seine se jette dans l'Océan (XV, 11, 3), doit être cherché à Harfleur ou à Graville ; il a sans doute pu se tromper et placer là par mégarde Coutances ; mais je doute que les empereurs de la Restauration n'aient pas fortifié l'embouchure de la Seine.

[138] Ratomagus, Ratumagus, plus tard Rotomagus, métropole des Veliocasses, dont, par exception, le nom a disparu de la cité devant le nom de la ville, sans doute à cause de l'importance de Rouen comme port. Le nom des Véliocasses restera au pays, le Vexin. — Rouen reçut une enceinte d'environ 1600 mètres.

[139] Remarquez que la cité de Lillebonne, qui commence sur la Seine un peu en amont du lieu (Lillebonne est presque un marché frontière) et la suit jusqu'au Havre, d'où elle remonte la Manche jusqu'à la Bresle, remarquez que cette cité est bien plus maritime que celle de Rouen. Celle-ci remontait la Seine jusqu'à l'Oise. — L'importance maritime de la civitas de Rouen ne s'accentuera que sous le Bas Empire, lorsqu'on jugera bon de lui incorporer celle de Caux.

[140] Lintiarius, véliocasse, établi à Lyon, XIII, 1998.

[141] Près de Roye (à Roiglise), croisement de la route de Bordeaux à Cologne et de celle de Langres à Boulogne ; à Langres, fourche des routes de Boulogne et de Germanie ; à Cologne, arrivée des routes de Langres et de Bordeaux. — Il n'y a pas à insister sur une quatrième route de la Belgique, de Paris (rue du Temple, faubourg du Temple, rue de Belleville ; ou, plutôt, se détachant de la rue Saint-Martin passé le carrefour de Château-Landon), à Bondy, sortie du territoire Parisien après Villeparisis (villa Parisiaca ou Parisium, station frontière de la cité de Paris ?), à Claye, Meaux. Reims, Verdun, Metz, Strasbourg, route qui ne prit une grande importance que lors de la défensive militaire au IVe siècle.

[142] De Langres à Châlons. — A droite de cette route, le Perthois, sur la Marne, parait avoir appartenu aux gens de Châlons. Il avait comme principale bourgade l'oppidum de la montagne du Châtelet, dans Gourzon, dont les très nombreux monuments font penser d'abord à un lieu saint (Espérandieu, n° 4715-64 ; C. I. L., XIII, 4650-6). Au Châtelet se rattache le menhir de Fontaines à inscription romaine (XIII, 4569).

[143] Châlons, Durocatalauni, c'est-à-dire vicus des Catalauni, plus tard simplement Catalauni ou Catelauni, incorporé aux Rèmes, puis, au plus tôt sous Aurélien, transformé en municipalité distincte. Il est probable que Châlons fut alors fortifié. Il devait recevoir ensuite une garnison (XIII, 3457-8). — A Châlons on rejoignait une autre route de Bretagne, par Autun, Auxerre et Troyes.

[144] Durocortorum, Remi du nom du peuple. Civitas libera et fœderata. — Aucune donnée précise sur l'étendue de l'enceinte, dont l'existence est d'ailleurs certaine.

[145] Scènes de vendanges sur la Porte de Mars (Esp., V, p. 38), mais avec réserves.

[146] C'est la seule ville de Belgique que nomme Strabon (IV, 3, 5). Il a dû y avoir là, dès le début, un groupement de maisons de l'aristocratie des Rèmes, analogue à celui que Strabon mentionne à Vienne des Allobroges.

[147] C'est la seule cité de Gaule qui n'a jamais combattu Rome, ni avant ni après la conquête.

[148] Espérandieu, V, p. 33 et s. Peut-être du temps d'Hadrien. Les scènes et personnages rustiques et autres sont de tenue conventionnelle gréco-romaine, et ne reproduisent nullement des choses et gens du pays. Sur la Porte Basée, id.

[149] L'impression de grandeur et de richesse qui résulte des textes et, dans une certaine mesure, de l'archéologie industrielle, extraordinairement variée (voyez le Catalogue Habert, Troyes, 1901 [les objets ont dû être détruits par suite du bombardement par les Allemands]), cette impression n'est jusqu'ici pas absolument confirmée par l'archéologie monumentale : la porte (n. précédente) est le seul monument conservé, les sculptures (sauf le sarcophage dit de Jovin et le torse de Vénus, Esp., n° 3671 et 3677) consistent surtout en images funéraires de gens de métier et un lot curieux de dieux tricéphales (n° 3651-61), ce qui, au premier abord, détonne dans une ville si romanisée, mais qui devait appartenir à quelque sanctuaire topique (encore que ce tricéphale paraisse avoir été populaire dans tout le pays des Rèmes). L'épigraphie ne présente d'intéressant que les épitaphes de quelques vétérans (XIII, 3257-60), ce qui ferait supposer que le fisc y avait des terres disponibles. Mais il y a lieu de croire, comme à Autun, que c'est là affaire de hasard. — Il serait possible que le culte principal fût celui de Mars, en particulier de Mars Camulus (XIII, 3253, 8701 ; VI, 46), et que la tradition ne se trompât point en attribuant à l'arc le titre de Porte de Mars.

[150] Rèmes établis hors de chez eux, sans aucun doute comme commerçants.

[151] Argentarius à Bonn, XIII, 8104.

[152] La Notifia dignitatum (Occ., 9, 36 ; 11, 34, 56 et 76) mentionnera à Reims ou dans le pays fabrica spatharia, thesauri, gynæcium, barbaricarii sive argentarii, et je doute que la plupart de ces ateliers n'y soient pas plus anciens que le IVe siècle. — Je crois qu'on peut ajouter les verriers. — La poterie, importante à l'époque celtique, semble avoir décliné.

[153] Sagarius rème à Lyon, XIII, 2008 ; vestiarius à Reims, XIII, 3283.

[154] Reims est un des plus grands carrefours de la Gaule : routes de Boulogne ; de Paris à Strasbourg ; de Toul ; de Trèves par Voncq, Vongum, et Monzon, Mosomagus, marché frontière chez les Rèmes, au gué de la Meuse, à l'entrée des Trévires ; de Tongres par Mézières et Charleville, vers quoi l'on passait aussi la Meuse, à la frontière également des Rèmes ; de Bavai par Vervins, Verbinum, et Nizy-le-Comte, celui-ci chef-lieu du pagus Vennectis, l'un et l'autre centres riches et importants du territoire des Rèmes (théâtres et lieux sacrés) ; de Saint-Quentin par Laon, Lugdunum. Celte dernière route (suite sur Vermand et Amiens), sur laquelle de grands travaux ont été effectués, a dû remplacer, peut-être à la fin de l'Empire, la route de Reims à Soissons et Amiens comme trajet du chemin militaire de Bretagne ; Acta sanctorrum, 31 oct., XIII, c. 782. — Laon, sur sa montagne exposée au soleil levant, méritait bien, comme Lyon, son nom de Lugdunum, clair mont : j'avoue ne pas comprendre le surnom, Clavatum, qu'il portait au moins dès l'époque mérovingienne (à rapprocher de Clavariatis, épithète de Mercure). C'était sans doute le principal et plus vieux centre des Rèmes après Reims ; on le croit fortifié au IIIe siècle.

[155] César, II, 4, 6 ; Paneg., VIII [V], 6 ; Pline, XIX, 97 (oignons). — La route romaine de Reims à Soissons, à la différence de la route gauloise suivie par César, arrivait à Soissons par la rive gauche de l'Aisne ; elle sortait du pays des Rèmes à Fismes, Fines.

[156] Suessiones plus tard, héritier sans doute de Pommiers. — Civitas libera. — Castrum très régulier d'environ 1400 m., régularité qui s'explique peut-être par le fait qu'Augusta, ville neuve, a pu être bâtie comme une colonie.

[157] Ce qu'il y a de plus remarquable à Soissons, c'est son culte à la fois pour une dea Camulorix ou Camuloriga et pour Isis (XIII, 3400-1), celle-ci n'étant peut-être qu'une interprétation de celle-là. Les monuments trouvés au Palais d'Albâtre (par exemple, Niobide, Esp., n° 3790 ; Héron de Villefosse, Congrès arch. de 1911) montrent le même goût qu'à Reims pour l'art classique.

[158] Je les groupe autour de Soissons, parce qu'elles ont dû, pour la plupart, faire partie de l'ancien domaine des Suessions, et aussi parce que de très bonnes routes, au tracé antérieur à la conquête, les unissaient à Soissons.

[159] Mais n'oublions pas le très grand nombre d'habitats forestiers.

[160] Le nom du peuple est Meldi ; celui de la ville, qui devait disparaître, Ίάτινον chez Ptolémée (II, 8, 11) et Fixtuinum plutôt que Fixtinnum dans la Table (Ratinnum ? = trajectus ?). — Meaux fait partie de la Lyonnaise, bien que son passé et sa situation sur la Marne le rattachent à la Belgique. — Les Meldes étaient libres, comme les Suessions. — La ville de Meaux fut castrum (environ 1000 m. d'enceinte). — Elle devait sans doute son importance, outre ses blés et peut-être ses fromages, à un pont sur la Marne, plus tard fameux sous le nom de pont Roide, pons rapidus (à moins que ce nom ne rappelle un mot celtique comme roudium, ratis, signifiant passage, et peut-être le nom même de Meaux, Ratinnum ?), pont par où passait une vieille route de Bretagne, par Sens, le pont de Jaulnes sur la Seine, Senlis, Beauvais, Amiens. — Mausolée de la Bauve. — La route de Soissons à Meaux passait par Longpont, longi pontes.

[161] Chef-lieu des Silvanectes sous le nom de Augustomagus : c'est une civitas infime, mais libre. — Dès le IIIe siècle, Augustomagus a pris le nom de Silvanectes ; c'est de ce mot que viendrait celui de Senlis par l'intermédiaire de Silnectis, Sinelectis, Sinlectis. — Senlis a ses arènes, bien conservées (75 et 68 m.). Le périmètre des murs du Bas Empire n'est que de 840 mètres. — A Senlis, route de Paris à Cologne et route de Sens à Beauvais. — Le chemin de Senlis à Soissons passe par le marché et sanctuaire de Champlieu, à la frontière des deux cités . — Les environs de Senlis soulèvent un certain nombre de problèmes topographiques. 1° Si le Ratomagus que Ptolémée donne comme ville aux Silvanectes (II, 9, 6) est une erreur pour Augustomagus ou une bourgade distincte : Longnon suppose qu'il s'agit de Pondron, Rodonum, aux abords de Champlieu, dans le Valois. 2° Si les Vadicasses placés par Ptolémée en Lyonnaise (II, 8, 11) représentent le Valois (pagus Vadensis), et Noviomagus, qu'il leur donne comme chef-lieu, la localité de Vadum ou Vez sur l'Authonne, qui a imposé son nom au pays. 3° Si le vicus Ratum(agus) d'une inscription trouvée à Hermes (XIII, 3473) sur la route de Senlis à Beauvais, doit être cherché à cette localité ou ailleurs. Il y a des difficultés à toutes les solutions. Cependant, je crois possible l'existence d'un pagus de Vadicasses en Valois autour d'un vicus Noviomagus à Vez, vicus ayant pris ensuite le nom du pagus abrégé en Vadum, pagus incorporé peut-être d'abord à la province de Lyonnaise et à la cité de Meaux, et sans doute ensuite à la province de Belgique et aux diocèses de Senlis et de Soissons. Possible encore qu'Hermes soit à la fois le Ratumagus de l'inscription et le Ratomagus de Ptolémée, transposé par erreur des Bellovaques aux Silvanectes. — Hermes, non loin du mont César, est d'ailleurs la localité du Beauvaisis qui a le plus fourni d'antiquités gallo-romaines.

[162] Augusta, chef-lieu des Veromondui (ou Veromandui). — Saint-Quentin a dû hériter, sous Auguste, du vieil oppidum belge de Vermand. Et si Vermand a pris le nom du peuple, c'est par suite d'une dénomination postérieure, et du fait que Vermand a dû être quelque temps, au IIIe siècle ou plus tard, le centre de la cité ou du diocèse de Vermandois, comme l'y conviaient sa très forte situation et son antique muraille celtique. Mais il est possible que Saint-Quentin se soit aussi appelé au Ve ou au VIe siècle Veromandui, encore qu'il soit digne de remarque que la plupart des documents hagiographiques, contrairement à l'habitude du temps, ajoutent à ce nom celui de Augusta. Le centre de ce Vermandois fut transféré à la fin à Noyon (n. suivante), peut-être parce que Saint-Quentin n'était pas fortifié et que Noyon l'était. — La route de Soissons à Saint-Quentin, si visible encore, passait l'Oise vers Condren (Contraginnum). — Saint-Quentin et Vermand étaient unis à Amiens par une admirable route rectiligne (portion de la route de Trèves à Boulogne), que je crois d'un tracé antérieur à la conquête, encore visible et fort utilisée, et pleine de souvenirs toponymiques. — A Vermand passait la route de Paris à Cologne.

[163] Noviomagus, future métropole du Vermandois (n. précédente). — Enceinte du Bas Empire, environ 600 mètres. — Près de là, à Pontoise, passage de l'Oise par la grande route de Bretagne.

[164] Cæsaromagus, Bellovaci. — Pour aller de Soissons à Beauvais, l'ancienne route (qui est peut-être celle élue mentionne Strabon à propos d'Agrippa) passait, je crois, par la forêt de Compiègne, Champlieu, Senlis (chemin de César en 51), et à Senlis rejoignait la route du pont de Meaux pour gagner Beauvais par les abords de Creil (passage de l'Oise), et Hermes. Mais il a dû toujours exister un trajet raccourci, compendium, au nord de la forêt, d'où le nom de Compiègne.

[165] Les antiquités de Beauvais proviennent surtout du mont Capron, qui parait avoir été un sanctuaire. — Périmètre du castrum récent, 1270 m. ; superficie, de 10 à 11 hectares. — En dernier lieu le bon travail de Leblond, La Topographie romaine de Beauvais, dans le Bull. arch. de 1915.

[166] Pommiers (en face de Soissons), Vermand (en face de Saint-Quentin), Bratuspantium. Ajoutez les fameux camps romains des bords de la Somme, Tirancourt, L'Étoile, Liercourt, le mont de Cambert, etc., qui sont en réalité des oppida gaulois, tous fort importants ; cf., sous réserves au sujet des conclusions, d'Allonville, Diss. sur les camps romains du dép. de la Somme, 1828, Clermont-Ferrand.

[167] J'ai déjà remarqué la densité de ces lieux urbains dans l'Île-de-France.

[168] Elle coupe à Roudium (ou Rodium ; Roye ? ou plutôt Roiglise) la route de Paris à Bavai et Cologne.

[169] Ambiani à partir du milieu du IIIe siècle.

[170] A l'embouchure de la Somme, en particulier Saint-Valery.

[171] Supposé d'après les cultures du pays et d'après Paneg., V [auj. VIII], 21.

[172] Elle s'accentuera sous le Bas Empire, où les empereurs séjourneront parfois à Amiens ; d'où le mot d'Ammien Marcellin, Ambiani, urbs inter alias [de Belgique] eminens (XV, 11, 10). — Nous retrouvons à l'époque romaine (et cela explique le rôle militaire d'Amiens au IVe siècle) les routes gauloises qui firent son importance au temps de la conquête, notamment, outre la route de Boulogne, le chemin, si merveilleusement conservé, de Bapaume, Cambrai, Bavai et au delà (suivi par César plus d'une fois).

[173] XIII, 3492-7 ; en partie du Bas Empire. Passage de soldats.

[174] Not. dign., Occ., 9, 39 : Ambianensis spatharia et scutaria ; je ne peux croire qu'il n'y ait pas eu des éléments antérieurs. — Amiens a été certainement fortifié au Bas Empire ; je ne sais si l'enceinte supposée, 1200 m., n'est pas trop limitée.

[175] La route, encore visible, passait près de là, traversant la Canche à Brimeux, du côté de Montreuil : il y avait là un marché frontière entre Morins et Ambiens, Lintomagus, le marché aux lins ?, ce qui est la culture importante du pays. — Au delà, le village sacré de Dolucus à Halinghen (XIII, 3563). — Platanes du pays.

[176] Boulogne fît partie de la civitas des Morini, en tant que simple meus, sous le Haut Empire. On ne saurait dire à quelle date elle devint une municipalité indépendante, peut être dès Dioclétien.

[177] Extremique hominum Morini, Virgile, Énéide, VI 11, 721 ; ultimi Galliarum gentium, Mela, III, 23 ; ultimi hominum, Pline, XIX, 8 ; et l'épithète consacrée est reprise par les écrivains chrétiens : extremi hominum Morini, Jérôme, Lettres, 1223, § 16 (Vigne, P. L., XXII, c. 1058) ; terra extrema orbis, Paulin de Nole, Lettres, 18, 4. Je croie qu'ils durent cette appellation à ce qu'une carte routière exposée à Rome, antérieure à la conquête de la Bretagne, les montrait au point terminal des routes de l'Occident : les Bretons et, en Gaule, les Ménapes et les gens de l'embouchure du Rhin étaient en réalité bien plus à l'écart.

[178] Je suppose qu'il faut distinguer : 1° portus Itius, nom celtique désignant le port même, et signifiant peut-être portus inferior ; 2° Gesoriacus ou Gesoriacum, nom de la ville basse, qui fut courant jusqu'à la fin du IIIe siècle (sur le sens possible de ce nom) ; 3° Bononia, nom de la ville haute : celle-ci fut tortillée vers 280 (périmètre, 1440 m.) et devint alors le centre de l'agglomération, à laquelle elle imposa son nom. — Car je crois de plus en plus que ces changements de noms de localités (Orléans, Clermont, Strasbourg, Martigny et Aime, Beaucaire, Calvisson) s'expliquent moins souvent par des substitutions de vocables au même point, que par les prédominances successives des noms de quartiers voisins. — Sur Boulogne et son pays, il n'y a pas encore de grand travail suffisant ; cf. Vaillant, en particulier Bull. de la Commission des Antiquités... du Pas-de-Calais, VI, 1885, p. 307 et s., et Épigraphie de la Morinie, Boulogne, 1890.

[179] Cf. Paneg., V [VIII], 6 ; VII [VI], 5.

[180] César, Caligula, Claude, Hadrien, Albinus, Sévère, Postume ? — Arc de Claude rappelant son passage.

[181] La seule concurrence, de fait ou de droit, a dû lui venir de Fectio près de Vechten sur le Rhin.

[182] C. I. L., XIII, 3339-47.

[183] Cf. t. II, ch. XIV, § 6.

[184] Par la rue Saint-Martin et la rue de Flandre : c'est, avec la rue Saint-Jacques, qu'elle continue, la voie capitale de Paris (de Pachtère, p. 37-8). — La rue Saint-Denis servait peut-être aussi à une voie directe sur Beauvais et à la route de Rouen : elles devaient se séparer à Saint-Denis.

[185] La frontière de la Belgique, sur cette route, se marquait, au delà de Louvres (Lupera), aux collines de Survilliers. — La route passait l'Oise sans doute à Pont-Sainte-Maxence.

[186] Beauvais, Amiens, Cambrai, à gauche, Soissons, Saint-Quentin, à droite. Il est d'ailleurs possible que les voyageurs peu pressés allassent passer par ces villes à gauche ou à droite, pour rejoindre ensuite à Bavai la route de Germanie.

[187] Ceci pose une question intéressante pour le système routier de la Gaule. Cette route, évitant Saint-Quentin et passant par Vermand, ne peut être que des premiers temps de l'Empire ou même des temps gaulois : et cela montre l'importance que dès lors on attribuait à Paris dans l'ensemble du réseau.

[188] Par Saint-Quentin, Vermand et Amiens ; au voisinage du Cateau, autre croisement, d'une route dans la même direction Trèves-Boulogne par Cambrai, Arras, Thérouanne.

[189] Nemetocenna à l'époque celtique, Nemetacum à l'époque latine, Atrebates, du nom du peuple, au Bas Empire. Enceinte, point absolument certaine, mais bien vraisemblable, d'environ 1200 m.

[190] Taruenna (Tarvenna, Tervanna), avec rang de colonie, métropole des Morini, dont Boulogne n'est que le port. Elle imposa, chose rare dans les Trois Gaules, son nom à la civitas. Thérouanne, qui a livré quelques antiquités, pourrait en fournir d'autres à une recherche bien conduite. Je ne crois pas cependant à une enceinte du Bas Empire.

[191] Castellum Menapiorum, sans aucun doute chef-lieu des Ménapes, jusqu'au moment (avant 400 ?) où la cité reçut Tournai (Tornacus, Turnacus, cf. n. suivante) comme métropole et prit le nom de cette ville. — Rien de certain sur une enceinte fortifiée à Cassel. — De même pour Tournai.

[192] Je dois remarquer que, malgré leur désinence -acum, Bavai (Bagacum), Tournai (Tornacus), Cambrai (Camaracus), Courtrai (Cortoriacus), Boulogne (Gesoriacum), Arras (Nemetacum), ne me paraissent pas avoir été des villas privées : les radicaux ne me semblent pas des noms de personnes. De même, dans la région du Rhin, Mogontiacum, Mayence (nom d'une divinité ?), Brisiacus, Brisach, Solimariaca, etc.

[193] Fanum Martis, Famars près de Valenciennes, chez les Nerviens (il y eut là un vicus et, plus tard, un castellum) ; Matronæ Cantrusteihiæ (cf. Condroz ?) à Hoeylaert près de Bruxelles, chez les Nerviens (XIII, 3585) ; sanctuaire d'Hercule chez les Tongres à Goyer (XIII, 3600-3) ; dea Sandraudiga à Zundert en Toxandrie (XIII, 8774) ; sanctuaire d'Hercule Magusanus à Rummel en Testerbant, peut-être cité de Nimègue (XIII. 8771). Du coté des Ardennes, par suite chez les Tongres : sanctuaire de bois et de source à Flémalle (XIII, 3605) ; sanctuaire (de vicus ?) à Theux entre Spa et Liège (XIII, 3613-4) ; deus Entarabus [nom générique de divinité] à Foy près de Bastogne en pleine Ardenne (XIII, 3632) ; etc.

[194] Ambleteuse (port supérieur des Morins du Boulonnais), Wissant ?, Sangatte (port de Thérouanne et d'Arras ?), Mardyck (port de Cassel ?), Oudenbourg (sert de port à Tournai chez les Ménapes et à Bavai chez les Nerviens ?), Zeebrugge ??

[195] Le réseau des routes et stations dans ces pays mériterait d'être étudié de plus près : il faut refaire les travaux de Gauchez.

[196] Draps des Nerviens, jambons des Ménapes.

[197] Industries domaniales du métal à Anthée, Morville, etc. Même pour la bière, peut-être pour la céramique. Remarquez l'extrême rareté d'inscriptions d'ouvriers dans un pays où ce genre d'hommes abondaient. Il s'agit ici surtout des Nerviens du Hainaut et des Tongres de la Hesbaye ; les Ménapes de Flandre sont surtout des terriens.

[198] Les sanctuaires mentionnés doivent comporter des marchés. Cambrai et Bavai (métropole) chez les Nerviens, Cassel (métropole), Tournai et Courtrai chez les Ménapes, et Aduatuca (métropole, Tongres aujourd'hui) chez les Tongres ont dû être les lieux de foires les plus importants.

[199] Saint-Amand chez les Nerviens (toutes réserves faites sur les extraordinaires statues qu'on y aurait découvertes et dont la complète disparition est encore plus extraordinaire) ; Spa, qui doit être la source balnéaire de la cité des Tongres (Pline, XXXI, 12) ; Aix-la-Chapelle, certainement Aquæ ou aussi, quoiqu'on pense le contraire, Aquæ Grani, à la limite orientale des Tongres ou peut-être chez les Bætasii (cf. Longnon, Atlas, f. 2, Texte, p. 132).

[200] Cf. n. précédente. — Il est difficile de délimiter, entre Aa et Meuse, les différents peuples du Nord. — I. De l'évêché de Tournai, qui peut représenter les Ménapes, dépendaient sans doute les pays de Tournai, Flandre, Gand, Courtrai, Waes, Cassel (celui-ci pagus Mempiscus ou Menapicui proprement dit), ce qui conduit les Ménapes à l'Escaut. — II. De l'évêché de Cambrai ou des Nerviens ont dû dépendre les pays de Cambrai, Brabant, Hainaut, ce qui menait la cité jusqu'à la Dyle (Tabula). — III. L'énorme cité de Tongres présentait trois parties distinctes : 1° au sud-est, les pays de Liège, Hesbaye (partie centrale de la civitas, ville de Tongres), Condroz (pagus Condrustis, C. I. L., VII, 1073), Lommensis (Famenne), Darnuensis (Namur), Ardenne, c'est-à-dire la Meuse et la région entre la Demer et la Semoy ; 2° des deux côtés de la Meuse, à Maëstricht et en aval, le long pays de Meuse, où on a pu établir la peuplade transrhénane des Bætasii ; 3° au nord de la Demer, en Campine, la Toxandrie, qui pouvait dépendre de Tongres à certains égards, mais qui pouvait aussi avoir une organisation distincte : a Scaldi incolunt texero [? dextra ? ou peut-être allusion au pagus Testerbant au nord de la Toxandrie, pays de Bois-le-Duc ?] Texuandri pluribus nominibus (Pline, IV, 106) ; Toxiandria (Ammien, XVII, 8, 3) ; Texandri (Riese, 1863). C'est en Toxandrie que s'établiront les Francs Saliens. Il est probable qu'avant la conquête romaine Brabant hollandais, Toxandrie, tout ou partie du pays de Meuse, étaient rattachés, non aux Nerviens ou aux Tongres (Éburons), mais aux Ménapes, puisque ceux-ci allaient jusqu'à la droite du Rhin. — La nature physique, les conditions de vie et l'incertitude administrative de ces régions expliqueront en partie l'installation des Francs Saliens.

[201] Ceci, et ce qui suit, sera bon à rappeler par qui voudra étudier à nouveau les origines carolingiennes, comme l'état de la Toxandrie pour étudier les origines mérovingiennes.

[202] Cela explique l'importance des Nerviens du Hainaut comme négociants en grains ou farines : negotiator frumentarius, pistorius.

[203] La voie directe de Boulogne en Germanie devait déboucher à Bavai, venant de Thérouanne ou de Tournai.

[204] Bagacum, qui a dû être appelé un instant Nervii, remplacé plus tard par Cambrai comme chef-lieu. — Je crois à l'existence d'une enceinte du Bas Empire à Bavai. — Bavai offre un des très rares monuments de la Gaule mentionnant un fait historique, une inscription à Tibère lors de son passage au cours d'une campagne de Germanie (XIII, 3570).

[205] Il est possible que Tournai fût le centre de la draperie chez les Nerviens.

[206] Le centre de la fabrication était peut-être Bavai.

[207] La frontière entre Nerviens et Tongres était, sur cette route, vers Gosselies.

[208] Le nom et la civitas des Tungri ont remplacé la fédération dont le principal pagus était celui des Éburons : il est même probable, que pour ce pagus le nom maudit d'Éburons a été supprimé ; il est devenu pagus Hasbanii (la Hesbaye, autour de Tongres et Liège). — La capitale de ces Tungri, Aduatuca ou Atuataca, prit le nom de la civitas après les Sévères. — On a supposé deux murailles à Tongres, l'une du temps d'Auguste, de 4300 m., l'autre du Bas Empire, de 1930 m. Blanchet (p. 136) ne croit qu'à un castellum réduit. J'inclinerais à accepter au moins la seconde enceinte ; cf. Ammien Marcellin, XV, 11, 7 : Germania Agrippina et Tungris munita, civitatibus amplis et copiasis. — La principale localité, outre Tongres, était Namur, l'ancien oppidum des Aduatiques, chef-lieu du pagus Darnuensis, à six milles à droite de la chaussée de Cologne ; C. I. L., XIII, 36203.

[209] Les Tongres ont donné naissance à quelques-uns des corps auxiliaires les plus célèbres et les plus durables de l'Empire, les deux cohortes Tungrorum en Bretagne, l'ala I Tungrorum Frontoniana, qui ne quitta guère les pays du Danube, et une ala I Tungrorum en Bretagne : on les retrouvera sous le Bas Empire dans les corps des Tungri, Tungrecani.

[210] La principale colonie de Tongres est à Vechten, le port extrême de la Gaule vers le nord-est. — Céramique.

[211] Ptolémée, qui se sert d'ailleurs rarement de sources contemporaines, semble la mettre encore en Belgique (II, 9, 5) : mais je doute que dès Vespasien elle n'ait pas déjà été incorporée à la Germanie ; cf. Gromtici, p. 123.

[212] XIII, 3592-5.

[213] Nunc Tungri, tunc Germani ; Tacite, Germanie, 2.

[214] XIII, 3596.

[215] Vihansæ... centurio... scutum et lanceam ; XIII, 3592.

[216] Chez les Rætasii ?, vicus important au Mosæ trajectus.

[217] Pays de Juliers, aux Sunuci ?

[218] XIII, 7869 et s. C'est bien le pays où ce culte est le plus répandu. Le sanctuaire le plus important dans ces parages parait être à la colline de Rœdingen, avec ses Matres Gavadiæ, Gesaienæ, Vatuivæ (7885-93).

[219] Si le pays de Meuse appartient aux Rætasii, la Belgique proprement dite finissait avec les gens de Tongres, entre cette ville et la Meuse. Le pays de Cologne ou la civitas Ubiorum commençait à la forêt de la Bürge.

[220] Pour Metz et son pays, en dernier lieu et surtout : Keune, Metz im Altertum, extrait de Lothringen und seine Hauptstadt, Metz, 1913 ; Grenier, Habitations gauloises et Villas romaines dans la cité des Médiomatrices, 1906.

[221] Ici, les deux notes suivantes. La route suivait la Meuse à peu près dès sa source, mais la quittait près de Soulosse pour entrer dans la vallée de la Moselle : elle atteignait cette rivière à Toul. — L'entrée chez les Leuques avait lieu un peu avant Nijon, Noviomagus, marché neuf de frontière. Passé Nijon, un sanctuaire de source, je crois, à Sommerécourt (Espérandieu, n° 4831 et 4839).

[222] Tullum, qui, à la différence de la plupart des autres métropoles, gardera son nom et l'imposera à la civitas.

[223] La route de la Moselle y croise une route de Reims à Colmar et au Rhin par le col du Bonhomme.

[224] Il est même fort possible, soit que Naix ait été métropole dans les premiers temps de l'Empire, soit qu'alors les Leuques aient eu deux villes principales (comme les Voconces, Luc [puis Die] et Vaison).

[225] Cf. Vidal de La Blache, Tableau, p. 213.

[226] Bien que toutes sortes de dieux y soient représentés (C. I. L., XIII, 5933 et s. ; Esp., n° 4891 et s ), le culte apollinaire parait avoir été le principal, et c'est lui qui y attira Mithra : peut-être était-ce le centre du culte d'Apollon Grannus, à qui il y a lieu de croire que Grand doit son nom (Grannum au Moyen Age). Tout cela fait penser à quelque sanctuaire de source, en particulier d'eaux thermales : ce dont cependant il ne reste aucune trace, et le terroir est remarquablement aride et désolé. De Grand proviennent quelques-unes des sculptures les plus curieuses de la Gaule, celles de la fabrication du savon (Esp., n° 4892-3), celle du cavalier cuirassé conduit par un Génie armé du foudre (n° 4898). Il y avait peut-être là un très grand sanctuaire à la fois médical et industriel. Le théâtre, qui pouvait servir d'arènes, mesurait jusqu'à 149 mètres. — Non loin de là, il y a un important sanctuaire, également de dieux guérisseurs, à Montiers-sur-Saulx (Esp., n° 4065-70).

[227] Solimariaca ou Solicia (XIII, 4681, 463 :3, 4679), chef-lieu du pagus Derv.... Ici commence le culte intensif de Rosmeria associée à Mercure et se développe la religion d'Épona. Je suppose que le nom de Solimariaca s'explique, non pas par un domaine de Solimarus, mais par un sanctuaire de Solimara, un des noms de la Minerve celtique : Solicia et Solimariaca rappelleraient également le nom de dea Salis. — Je ne peux croire, comme on l'a pensé souvent, que ce soient deux localités différentes.

[228] Nasium ; sur l'Ornain. C'est l'héritier en plaine de l'oppidum de Boviolles. Naix est plus riche que Toul en antiquités et en textes importants : inscription Genio Leucorum, inscription à Tibère (XIII, 4630, 4635) : mais il n'arriva pas, comme Luc ou Die chez les Voconces, à se constituer en municipalité.

[229] Scarponna : c'est Charpeigne ou Scarponne, le faubourg de Dieulouard sur la rive droite de la Moselle. — Nancy, Nanciacus pour Nantiacus, n'est encore qu'une villa, le domaine de Nantus. — Il y avait tout près de là, à Laneuveville, la source curative et sacrée de Sainte-Valdrée (Esp., n° 4695.7), où on a également placé, je crois à tort, Andesina. Poterie à Laneuveville.

[230] Outre les grands vici indiqués plus haut, Escles près de Darney (dont le bois était certainement un centre d'habitation), et Deneuvre pris de Baccarat : remarquez que ces pays seront plus tard pays verriers, et je crois que déjà ces villages, outre leur caractère religieux tris marqué, avaient une vie industrielle importante. Les industries les plus originales paraissent avoir été la savonnerie et la verrerie, double conséquence peut-être de l'utilisation des cendres ou potasses des bois de charmes du pays. Ajoutez la céramique.

[231] En particulier la montagne de Sion (Mercure et Rosmerta, XIII, 4732 ; hermaphrodite). — Ajoutez les villages religieux et balnéaires des Vosges, surtout Plombières et Vittel ; station thermale inconnue, Andesina.

[232] Un peu au delà de Scarponne, que l'on a tort, je crois, de placer citez les Médiomatriques : la mention de ces derniers sur un milliaire trouvé près de Scarponne (XIII, 9050) n'est pas un argument suffisant.

[233] Divodurum (= virus sanctus). La ville et la civitas y appelèrent Mediomatrici au IVe siècle, puis, mais beaucoup plus tard, Mettis, où il ne faut voir qu'une réduction de l'ancien nom.

[234] Pour ce qui suit, Fortunat, Carm., III, 13 ; VII, 4.

[235] Sur la hauteur dont le point culminant est la place Sainte-Croix. — Fortifié au Bas Empire ; l'enceinte devait être une des plus considérables de la Croule, atteindre et sans doute dépasser 2000 m.

[236] Descente de Metz en bateau chez Fortunat, Carm., X, 9. Nautæ Mosallici, XIII, 4335.

[237] Principaux centres : — Marsal, Marosallum, chef-lieu du pays des salines. — Norroy près de Pont-à-Mousson, le village des carrières militaires (XIII, 4623-5). — Le Héraple (ou Le Hiéraple), colline sainte où il y avait force boutiquiers (XIII, 4481, monument élevé à Tibère) ; la sainteté du Héraple [Hierapolis ?? Herapolis ? ou plutôt Hurepel ?], est due surtout à sa fontaine (au bas de la colline) de Sainte-Hélène, et sans doute aussi au voisinage de la source minérale de Sainte-Fontaine, chère aux médecins de Metz (Esp., n° 4431). ce haut vallon de la Rosselle, où devait plus tard s'élever l'abbaye de Saint-Avold, était le terrain sacré des Médiomatriques. — La colonne de Merten doit appartenir à un grand domaine. — Vicus Bodatius (XIII, 4310), Vic-sur-Seille. — Sur la route de Strasbourg, Tarquimpol ou Decempagi, autre localité saunière fort prospère, peut-être cité sainte (cf. le dieu Bugius, XIII, 4555), et devant son nom singulier de Decempagi à ce qu'elle possédait un sanctuaire commun à dix ou aux dix pagi des Médiomatriques. — Un lieu sacré fort important, provoqué par une source, devait être à Sarrebourg, Pons Saravi, sur la même route de Strasbourg, à l'endroit d'où partait, je crois, le chemin des pèlerins du Donon : outre le couple celtique Sucellus et Nantosuelta, Mithra vint s'y installer et y reçut peut-être le sanctuaire le mieux caractérisé des Trois Gaules (cf. Cumont, Mon., II, p. 510-8 ; Esp., n° 4563 et s.). Sarrebourg a reçu un important castellum sous le Bas Empire (1650 m. et 14 hect., dit-on). — Pour les villas (surtout Rouhling, Saint-Ulrich, Téting), cf. Grenier, p. 489, n. 8. — Le Sablon, si riche en antiquités, ne peut être considéré que comme un faubourg de Metz, à moins de lui attribuer le magister pagi Jovensis [?] qui y a été découvert (XIII, 4316 ; Keune, Die Flur Sablon, dans Jahresb. des Vereins für Erdkunde zu Metz, XXIV, 1901-4 ; XXVI, 1907-9). Je n'exclus pas d'ailleurs l'hypothèse d'un faubourg sacré.

[238] Metz parait avoir été une des cités les plus dévotes à la domus divina ; il donna à ses quartiers les noms de virus Pacis et de vicus Honoris ; autel Concordiæ civitatis Castari et Polluci (XIII, 4290).

[239] Dès les temps de la liberté, j'imagine.

[240] Fortunat, Carm., VII, 4. Voyez le livre de Grenier.

[241] Image d'un rôtisseur [?] ou d'un domestique servant une volaille à un repas funéraire, Esp., n° 4313.

[242] Fortunat, III, 13 ; inscription des holitores, XIII, 4332. — Une des ressources de Metz fut aussi la pèche dans la Muselle (Espérandieu, n° 4306, 4313, 4286).

[243] L'amphithéâtre mesure 148 m. et 124 m. 22, soit de la place pour presque 25.000 spectateurs, ce qui suppose une grande ville. L'aqueduc, comme l'amphithéâtre, est un des plus importants de la Gaule.

[244] XIII, 4324, don de thermes Mediomatricis et advenis ; un Bithynien, 4337.

[245] XIII, 11714.

[246] Mithra à Sarrebourg.

[247] Esp., n° 4306, 4361, 4366, et l'ensemble des tombes. — Remarquez la fréquence des noms en Cara-.

[248] Culte d'Icovellauna au Sablon (XIII, 4294-8), de Rosmerta à Metz, de Mogontia (apparentée à Apollon) au Sablon (XIII, 4313), d'Épona et des Mères à Metz et au Sablon, de Nantosuelta à Sarrebourg. En outre, culte de Mercure et d'Apollon, etc.

[249] Le nom vient d'une localité, abandonnée à la fin de l'Empire, que l'on appelait, à tort ou à raison, castrum Vabrense ; Grégoire de Tours, H. Fr., IX, 9 et 12. Peut-être s'agit-il de la montagne de Paulcroix au-dessus d'Haudiomont, où la route romaine de Verdun à Metz quittait les Hauts-de-Meuse pour descendre en Woëvre (il y a là un sanctuaire de Mercure, XIII, 4626, et un très ancien pèlerinage chrétien).

[250] Cf. Fortunat, Carmina, VII, 4, 17 et s.

[251] Virodunum ou Verodunum ; le nom est celtique. Verdun est très pauvre en souvenirs romains. Il devint municipalité indépendante avant 400 ; peut-être même la séparation s'est-elle faite bien avant, si la station de Fines, indiquée par les itinéraires à mi-chemin entre Verdun et Metz, se réfère à une limite de civitas (ce qui est la règle, d'ailleurs nullement absolue) et non de pagus. — Il me parait impossible de rattacher Verdun aux Rèmes ou aux Lingons.

[252] Voyez par exemple les nombreuses stèles funéraires (surtout au Musée de Saverne) ou sacrées découvertes sur la ligne de montagnes et de bois entre la route de Saverne et les chemins du Donon : le Limmersberg et le Wasserwald et leur champ de sépultures, la forêt de Kempel, les tombes des Trois-Saints près de Daho, les bois de Saint-Quirin et d'Abreschwiller. Ces découvertes en plein bois sont un des faits essentiels de la vie gallo-romaine ; et, tout en admettant une reprise de la forêt sur les cultures après le Haut Empire, il ne me parait guère douteux que ces villages étaient plus qu'à moitié intercalés dans les bois. Les cultes principaux de ces villages forestiers sont ceux de Mercure et du cavalier à l'anguipède, et aussi de certains symboles encore inexpliqués (Espérandieu, n° 4519, 4528). Cette population dense et active est celle qui a donné naissance plus tard au pays de Dabo. — La limite, sur la route de Metz à Strasbourg, entre Médiomatriques et Triboques d'Alsace, parait être à la descente sur Saverne après le col : mais les populations se ressemblent étrangement des deux côtés de la frontière. — Fuchs, Die Kultur der Keltischen Vogesensiedelungen, Saverne, 1914 (très intéressant).

[253] Le sentier rejoignait à Raon-L'Étape la route de Toul à Colmar.

[254] La route, de 12 lieues, mentionnée par une inscription, a Vico Saravo (C. I. L., XIII, 4549), est généralement regardée comme la future voie des Bornes, Saravus étant supposé Lorquin. Je ne le crois pas. Il s'agit d'un sentier direct de croupe, entre la Sarre Blanche et la Sarre Rouge, par le sac de pierre [borne milliaire romaine ?] et par Abreschwiller, et s'embranchant à Sarrebourg sur la grande route de Strasbourg.

[255] C. I. L., XIII, 4548-53 ; Esp., n° 4569-4603.

[256] Hettner, Die Rœm. Rûinen Triers, [1902], dans Zum Andenken an Falix Hettner, 1911 ; Krüger, Die Trierer Rœmerbauten, 1909 (trop sommaire) ; von Behr, Die Rœm. Baudenkmäler in und um Trier, 1909 ; Cramer, Das Rœmische Trier, 1911 ; etc.

[257] Le territoire de Trèves commence sur la Moselle, en amont de Sierck, sur la Sarre, entre Sarrebruck et Sarrelouis.

[258] Treveri, civitas libera pour le peuple ; la ville même, colonia.

[259] Ausone, Mosella, 23 et s.

[260] Voyez la description des vignobles chez Fortunat (Carm., X, 9, 30 et s.).

[261] C'est ce que dit Fortunat, X, 9, 29 : Nec vacat huc rigidis sine fructibus esse lapillis.

[262] Fortunat, Carm., III, 12, 41-2 ; 13, 11-4.

[263] Description chez Ausone, Mosella, et Fortunat.

[264] C'est la voie romaine de la Gaule la plus rectiligne dans sa direction générale. Je rappelle qu'on voulut la doubler par une voie fluviale en creusant un canal entre la Moselle et la Saône.

[265] Sur cette route, la frontière primitive des Trévires devait être à Billig, Belgica. Plus tard, entre Tibère et Vespasien (sous Galba ?), le pays de Cologne fut augmenté sans doute des pagi de l'Eifel et de Zulpich (cf. Tacite, Hist., IV, 79), enlevés aux Trévires, ce qui recula la frontière de ces derniers vers Oos, Ausava : c'est l'état de choses qui subsistera désormais.

[266] Par Belginum, Stumpfer Thurm ?, où finit le pays trévire, et Bingen. C'est la route suivie par Cerialis en 70 et décrite par Ausone dans sa Mosella.

[267] Autres routes : vers Reims, route militaire souvent suivie au temps de la conquête ; vers Boulogne par Amiens, ou par Arras, ou par Bavai, s'amorçant au départ sur la voie de Reims ; un chemin vers Tongres par Liège, qui pouvait s'amorcer au départ sur la route de Cologne ; sans doute un chemin par la Sarre vers le col Saverne ; et un autre, dans la direction de la Moselle, sur Andernach ou Coblentz.

[268] XIII, 3645 et 11317 (Trèves), 3983 (Arlon). Encore, jusqu'ici, n'y a-t-il que peu d'inscriptions militaires.

[269] Trèves est le centre de l'intendance de Belgique (XIII, 3636). Sans parler des empereurs du IIIe siècle.

[270] Negotiatores à Trèves (XIII, 3666, 3703-4) encore le nombre d'étrangers est-il limité, infiniment inférieur à celui qu'on trouve à Lyon et à Bordeaux. Chose étrange ! il y a autant de negotiatores (XIII, 4155-7) à Neumagen, Noviomagus (le marché neuf), lequel est sur la Moselle à la frontière des Trévires et de la Germanie, et qui est peut-être un lieu de foire convenu (à moins que les inscriptions ne proviennent de mausolées de Trèves, utilisés pour les murs de Neumagen).

[271] Voyez, sous Germanicus (il est vrai avant l'octroi du titre colonial), l'hostilité des soldats romains à l'endroit de Trèves, externæ fidei (Tacite, Ann., I, 11). Remarquez l'attitude de Trèves en 89-70, alors colonie ; il est visible qu'il ne s'agit que de Gaulois.

[272] Peut-être en argenterie.

[273] Inventaire, n° 1200-55 ; C. I. L., XIII, 3479, 3710. Dans la mesure où on a affaire à des artistes locaux.

[274] XIII, 7118, 7412, 7516 a, 11888, etc.

[275] III, 5797, 5901, 4153, 4499, 8014.

[276] VII, 36 ; XIII, 634.

[277] XIII, 1949, 1977, 1984, 1988, 2012, 2027, 2029 (negotiator corporis Cisalpinorum et Transalpinorum), 2032, 2033 (negotiator vinarius et artis cretariæ), 11200.

[278] XIII, 633, 635, 634 (negotiator Britannicianus). — Ajoutez Autun, III, 2669 ; dans le pays d'Autun, XIII, 2839 (un Trévire, curator utriculariorum) : Sens, XIII, 2956 (copo).

[279] Cf. Fortunat, Carm., VII, 4, 17-22 : Cervi, capræ, helicis, uri, bufali, ursus, onager, aper. Le pays des Trévires touchait à l'Ardenne orientale, à l'Eifel, aux Vosges septentrionales.

[280] Inventaire, n° 1293.

[281] Orolaunum vicus, sur la route de Reims. Arlon est peut-être la localité de la Gaule, sans excepter les plus grandes villes, qui a livré le plus de monuments figurés (et encore doit-on y ajouter la plus grande partie des antiquités du palais Mansfeld à Clausen ; Esp., V, p. 301 et s.). C'est sans doute la conséquence de circonstances locales modernes ; mais c'est sans doute aussi la conséquence d'habitudes indigènes. Toutes ou presque proviennent du rempart de castrum construit sans doute sous le Bas Empire. Waltzing, Orolaunum vicus, 1904-5 (Musée belge.). — Le pagus d'Arlon renfermait aussi, je crois, le vicus de Virton près de la Tonne, centre d'un culte de Mars Lenus (XIII, 3970). — A gauche, le pagus d'Yvoi [Carignan], Epotium, présentait à la lisière des Ardennes, à Géromont près de Gérouville, un grand sanctuaire au dieu sylvestre Sinqualis (3968-9). — A droite, le pays de Mersch et de Luxembourg, avec la villa Marisca [?] (Mersch), un des centres de l'aristocratie trévire, et le sanctuaire panthée de Dalheim (entre bien d'autres, Mars Vegnius, 4049).

[282] Beda (XIII, 4129 et s.) ; semble avoir été d'abord un lieu saint, de pèlerinage, sans doute aussi de marché ; plus tard, il y eut là une forteresse. Cultes, entre autres, de Mercurius Vassocaletis, d'Apollon Grannus [??] près d'une source (XIII, 4129). De là partait peut-être une route sur Tongres. — Du pagus de Bilburg dépendent : le marché de Neumagen ; le vicus sacré, avec théâtre, de Mœhn (Marti Smer[tr]io, XIII, 4119 ; cf. 11975) ; la villa aux hermès de Welschbillig et son sanctuaire de Mars Lenus (4122) ; l'enceinte dite la Langmauer, sans doute un parc à animaux. C'est la région de Gaule où l'archéologie est le plus variée. — Au nord, le pays de Prüm, pagus Carucum dans les temps romains (4143), Carascus au Moyen Age. — Le bourg [frontière ?], fortifié sous le Bas Empire, d'Icorigium (Jünkerath), plus loin sur la route de Cologne, doit appartenir à cette dernière civitas.

[283] Noviomagus ; Ausone, Mos., 10-11. Fortifié sous Constantin. — L'importance des fragments funéraires trouvés dans les murailles de Neumagen montre que c'était de ce coté, sur la voie de Mayence, qu'était le rendez-vous préféré des morts de l'aristocratie trévire. — Près de là, dominant la Moselle et peut-être la frontière de la province de Germanie, le grand sanctuaire de Mercure et Rosmerta à Nieder-Emmel.

[284] Le pagus de la Sarre parait avoir été le moins peuplé des pays trévires coloni Crutisiones à Pachten (4228), sanctuaire de Niedaltdorf, mine de Vaudrevange. — A l'extrémité du pays de Bitburg, à la frontière de celui de la Sarre, tout près des Médiomatriques et de pagi rhénans rattachés à Mayence ou à Worms, Tholey offrait au Varuswald un temple important (Mercarius Visucius, Jovantucarus [?], etc.), sanctuaire commun, j'imagine, à ces populations limitrophes, et où convergeaient de partout des sentiers de pèlerins. — Non loin de là, appartenant sans doute à Mayence, mais je pense avec le caractère de sanctuaire frontière, le fameux mithræum de Schwarzerden (cf. Espérandieu, n° 5119), dans le vallon à l'est du Füsselberg, en un site tort curieux à étudier. — Toute cette région, entre Tholey, Saint-Wendel et Kusel, me parait une des régions saintes et mystérieuses de la Gaule.

[285] Voyez l'ensemble des bas-reliefs d'Arlon (Esp., n° 4012 et s.) et plus encore de Neumagen (n° 5140 et s.).

[286] Je songe à la grandeur et au luxe des mausolées et aux sculptures dont ils sont surchargés, en particulier ceux de Neumagen.

[287] Cf. Ausone, III, 23 et s.

[288] Augusta Treverorum, Treveri de très bonne heure (Treviri est plus rare) ; c'est la seule ville de Gaule qui ait pris presque dès l'origine le nom de son peuple.

[289] Tacite, Hist., IV, 77-78.

[290] Sur le pont, Tacite, Hist., IV, 77. — Sur la rive gauche, faubourg du vicus Voclanniorum vers Pallien (XIII, 3648-50).

[291] Périmètre, 6418 mètres ; superficie, 285 hect. C'est incontestablement la ville, sinon la plus peuplée, du moins la plus étendue de la Gaule.

[292] Développement assez intense du culte de Jupiter Optimus Maximus. Dans le quartier de la Fleischstrasse ?

[293] Basilicæ, construites ou reconstruites par Constantin vers 306-310 ; Pan. lat., VII [VI], 22. Voyez la note suivante.

[294] Je songe à celle que Constantin fit construire et qui a dû remplacer une curie plus ancienne ; Pan., ibid. : Sedem justitiæ in tantam altitudinem suscitari. Cette expression convient bien à la basilique actuelle, construction du IVe siècle, haute de 37 m., dominant toute la ville. Mais le panégyriste distingue cette sedes justitiæ des basiliques. Il doit donc s'agir d'un édifice plus haut encore que la basilique actuelle, servant de lieu de réunion aux cours de justice ou du sénat local ou du préfet du prétoire, soit, le cas échéant, à celle de l'empereur [cf. sedes, ut ex more loquimur, consistorii, Ausone, Grat. actio, 14, 67]. Et ce peut être la curie ruinée à laquelle fait allusion Fortunat (C., X, 9, 23-4), culmina prisca senatus, ruina potens (encore que l'ensemble de la description fasse plutôt songer à quelque ruine de castrum ou d'édifice en aval de Trèves, par exemple à Neumagen). Et cette curie pourrait bien être aussi le soi-disant Palais impérial, dont les salles voûtées en coupoles devaient dominer la basilique même (cf. von Behr, p. 29).

[295] On a récemment supposé que les ruines dites du Palais Impérial seraient celles de thermes, et il est de fait que la disposition architectonique n'annonce pas une demeure permanente, mais plutôt des salles d'apparat : il est possible que ce soit des thermes attenant à un palais (cf. dans la villa de Bourg). L'attribution courante à Dioclétien ou Constantin, si vraisemblable qu'elle soit, ne me parait pas indiscutable. Il n'empêche que Trèves eut son palais. — Autres édifices aux ruines visibles : les thermes et l'amphithéâtre. Il y eut certainement un cirque. Monnaie au IIIe siècle (C. I. L., XIII, 11311).

[296] Pan., VII [VI], 22 : Cujus natalis dies tua [Constantin] pietate celebratur. Il devait s'agir sans doute d'une fête rappelant, soit la fondation au nom de Augusta (fête correspondant dans ce cas à une fête d'Auguste, comme à Narbonne, XII, 4133), soit l'octroi du titre de colonia.

[297] Sans doute du temps des empereurs gallo-romains.

[298] Moins prouvé directement par l'épigraphie que par ce que nous savons de l'histoire de Trèves.

[299] Cela semble résulter des inscriptions. Toutefois le principal dieu public des Trévires pourrait être Mars Lenus, qui a son flamen officiel : XIII, 3654, 3970, 4030, 4122, 4137. Sur Mars Lucetius ; sur la survie possible d'Ésus ? On trouve aussi Mars Intarabus et Mars Smertrius, épithète partagée plus ou moins avec Mercure. Ancamna, la compagne celtique du Mars des Trévires, doit être une Bellone. — Mercure, sous la forme de Cissonius et de Visucius. — En outre : Apollon (avec Esculape et Mithra), Bellone, Épona, Sirona, Hécate, Némésis (variante de Bellone, à Dalheim, 4052).

[300] Ni peut-être même Narbonne.