HISTOIRE DE LA GAULE

TOME V. — LA CIVILISATION GALLO-ROMAINE. - ÉTAT MATÉRIEL.

CHAPITRE VIII. — RICHES ET PAUVRES.

 

 

I. — PLUS DE BIEN-ÊTRE CHEZ LE PAUVRE.

De ce travail intense de toute une nation, il résulta chez les Gaulois, comme il fallait s’y attendre, moins de gène pour le pauvre, plus de luxe pour le grand.

La misère des humbles, aux champs ou aux villes, ne put que diminuer dans ces temps d’extraordinaire activité, où on eut besoin de tant de bras valides. Paysans pour défricher, ouvriers pour bâtir, artisans à l’usine ou charretiers sur la route, il y eut de la besogne et du salaire pour tous ceux qui voulurent s’employer.

A la campagne, les famines générales ou les détresses particulières étaient moins à redouter[1] depuis l’ouverture de grandes routes et de marchés nombreux[2]. La vogue des salaisons gauloises favorisait les plus modestes des éleveurs. Autour des villes grandissantes, il y avait place pour un monde nouveau de petits travailleurs, maraîchers, jardiniers, nourrisseurs de porcs ou de volailles. Dans les cités, les métiers les plus modestes, les éventaires les plus misérables pouvaient s’étaler librement, au soleil des rues[3]. L’argent est partout assez répandu pour qu’il soit permis aux moindres bourgades d’avoir leurs boutiques d’épiciers ou leurs bazars rustiques[4]. Ce fut la première fois[5], dans l’histoire de notre sol, que le pauvre ou le mendiant put s’élever sans peine à la condition de gagne-petit, le degré initial de la fortune honnête et indépendante.

Ce fut aussi la première fois[6] que le pays connut en abondance et variété l’objet à très bon marché, résultat de deux faits nouveaux, la production intense des manufactures gauloises, l’afflux de la petite monnaie. A la même date, la richesse en numéraire et la richesse en marchandises se morcelèrent à l’infini[7].

Les plus infimes des hommes purent donc gagner ou acquérir quelque chose qui ne fût pas l’aumône d’un passant ou le don d’un maître. C’est pour cela qu’il s’ouvrit tant de petites boutiques, et qu’elles eurent tant de clients. Et c’est pour cela que lampes d’argile, figurines et vases en terre cuite, anneaux de métal, agrafes de bronze, toute la bimbeloterie chère au menu peuple, se retrouvaient dans les plus humbles logis. Un laboureur du Perthois, un pêcheur batave, un artisan d’Autun, montrait sa fine vaisselle à vernis rouge, signée des noms les plus connus de potiers rutènes[8] : et c’était, pour ces déshérités, comme un rayon de luxe dans leur sombre logis.

 

II. — PLUS DE LUXE CHEZ LE RICHE.

Chez le riche c’était alors un déploiement de magnificence que l’imagination même a peine à se représenter. A la puissance que l’aristocratie tenait des temps celtiques[9], elle ajouta l’éclat extérieur que lui fournit le luxe romain. Car le grand seigneur gaulois, dès l’instant où il a accepté César, a pris modèle sur un proconsul. Petits-fils des héros de l’indépendance, sénateurs de Rome domiciliés dans le Midi, légats, intendants ou marchands aventurés dans le Nord, tous les riches de la Gaule donnent à leur vie la même apparence somptueuse.

Ce qui seul aurait pu rappeler l’antique simplicité latine, était la tenue et l’habit qu’imposait le titre de citoyen romain. Avec ses cheveux coupés courts, sa figure rasée, sa toge blanche à peine rehaussée parfois d’une bande de pourpre, le seigneur gallo-romain présente encore dans son maintien l’austère dignité d’un Cincinnatus ; et je ne doute pas que, par désir de ressembler aux chefs fameux de la Rome antique, quelques Gaulois n’aient aimé à prendre le costume et l’allure historiques des vainqueurs du monde. Mais on a vu que la toge fut indifférente à beaucoup d’entre eux, et il advint aussi, dès le premier siècle, que les sénateurs romains et les légats eux-mêmes, par recherche d’exotisme, par désir de popularité, ou plutôt encore par goût de l’éclat et du clinquant, s’affublèrent de vêtements celtiques, aux couleurs voyantes, aux ornements bigarrés. Luxe romain et luxe gaulois se concentraient sur les mêmes hommes.

Leurs demeures étaient à l’instar des plus belles de Rome. Tous jouaient naïvement au descendant de Lucullus[10]. Portiques en façade incurvée pour recevoir le soleil ou l’ombre en toutes les saisons de l’année et toutes les heures du jour[11] ; murailles épaisses où, l’hiver, des conduites latérales dirigent sans arrêt les tièdes vapeurs des cheminées ou des calorifères[12] ; portiques intérieurs[13] encadrant une cour où les eaux fraîches jaillissent des fontaines et se répandent en ruisseaux[14] ; de vastes salons aux murs revêtus de belles peintures[15], aux sols recouverts de tableaux en mosaïque[16] ; des salles de bains chauds et de bains froids[17], dont les marbres étincelants proviennent de tous les pays du monde ; des toits en tuiles de métal doré qui révèlent la richesse du maître aux peuples de l’horizon et aux dieux mêmes du ciel[18] ; partout des statues de bronze, de marbre, des Vénus, des Jupiter, des Apollon, des Mercure, copies de chefs-d’œuvre et souvent chefs-d’œuvre elles-mêmes[19] ; sur les dressoirs, des patères d’or, des vases d’argent, des coupes de verre ornées de figures ; à tous les meubles, des poignées ou des coins en métal brillant qui sont des merveilles de ciselure : — c’était, sur les bords du Rhône, de la Moselle ou de la Garonne[20], l’image toujours pareille d’un luxe convenu et international[21].

Quelques-uns, parmi ces riches, avaient des goûts ou des caprices qui donnaient à leurs demeures un tour plus original. Celui-ci, à Chiragan près de Martres-Tolosanes, remplit sa villa de statues et de bustes d’empereurs, de princes et de princesses : il en fait un sanctuaire et un musée en l’honneur de la Maison Divine[22]. Celui-là, à Welschbillig près de Trèves, entoure une immense pièce d’eau d’une balustrade continue dont les cent douze piliers sont autant d’hermès à figures[23]. Un autre, dans la même région, commande pour la pièce d’apparat de sa villa une mosaïque où l’artiste réunira aux neuf Muses et aux divinités des mois et des saisons les plus fameux poètes et prosateurs de la Grèce et de Rome[24]. Fantaisies et manies se donnaient libre carrière dans l’ornementation de ces palais et de ces jardins, et l’argent ne manquait jamais pour les satisfaire. D’ailleurs, si étrange qu’y fût parfois ce faste de la bâtisse, il ne prit jamais en Gaule une couleur locale[25], il y ressembla, dans ses expressions les plus variées, à celui qui sévissait alors sur le reste de l’Empire.

La seule nouveauté qu’offrit dans les Gaules le luxe d’un grand seigneur, venait de leurs fonds giboyeuses. Ce genre de richesses, ces chasses miraculeuses et à variétés infinies de plume et de poil, mettaient la marque du terroir à la gloriole de l’aristocratie. Les chasseurs du pays n’étaient ni plus passionnés ni plus bavards que ceux d’Italie ou de Grèce, mais ils avaient plus de gibier, et un gibier plus beau, plus gros ou plus rare, et ils savaient le chasser avec les meilleurs chiens du monde. Eux seuls pouvaient montrer par exemple des panoplies faites de cornes d’élans, inestimable trophée qu’un Celte regardait comme le plus bel ornement de son palais et qu’il faisait ensuite déposer sur son bûcher[26].

Cette variété de venaison assurait peut-être au riche de Gaule, sur ses rivaux d’outre-mont, une table mieux garnie. Pourtant, ce n’est point certain. Car jamais grand de Rome n’a reculé devant une dépense de table ou de cuisine. Les plus ambitieux des Celtes ont pu désirer atteindre Lucullus ou Trimalchion aucun n’a su les dépasser.

C’est toujours à Trimalchion qu’on doit penser si l’on veut se représenter ces Gaulois de Trèves, de Bordeaux ou de Toulouse. Le héros de Pétrone fut, pendant trois siècles, le type où tous les parvenus de l’Empire purent se reconnaître. En dessinant cette figure, colorée, agitée, bruyante, puérile et vaniteuse, ce n’est pas seulement le Campanien que l’habile écrivain met sous nos yeux, l’affranchi de Naples, de Capoue ou de Cumes, enrichi par les trafics ou les tripotages, c’est encore le Celte du Rhône ou le Belge de la Moselle, lui aussi un parvenu, sinon dans la fortune, du moins dans la manière de s’en servir. Le Gaulois est aussi fier que Trimalchion[27] du nombre d’hôtes, de clients, de convives, d’amis, de parasites, d’esclaves et d’affranchis qui l’entourent à sa table, paradent clans sa maison, s’occupent sur ses champs ou dans ses ateliers, l’escortent dans la rue et l’accompagnent dans ses voyages. Pourvu qu’il y ait beaucoup d’hommes qui dépendent de lui, à travailler ou à ne rien faire. il est content. Ses faits et gestes, son départ, son retour donnent lieu à des prières, à des fêtes, à des sacrifices, même à des consécrations d’autels éternels[28]. On dirait le passage d’un Dioscure, salué par les vœux et les acclamations de cent fidèles.

Certes, les seigneurs gaulois avaient été des êtres orgueilleux et puissants, férus de leur gloire, forcenés dans leur besoin d’agir, de commander et de paraître. Mais leur individualisme exorbitant n’atteignit jamais à cette vanité à moitié démente que les Trimalchions de toute espèce imposèrent à la Gaule et à l’univers. Enlevé au champ de bataille et aux ambitions politiques, fixé sur les parcs de son domaine et dans les marbres de son palais, le riche transforma l’expression de son orgueil et l’allure de sa vie ; au lieu d’opprimer les hommes par la force de sa volonté, il leur imposa l’obsession de son nom, et il accabla la terre sous le poids des bâtisses qui exaltaient sa mémoire. Je songe maintenant au luxe des tombeaux, inconnu de l’ancienne Gaule, et que l’aristocratie de la nouvelle emprunta aux habitudes de la Rome impériale : luxe qui est la forme la plus banale et la plus insupportable de l’orgueil humain et de son désir d’éternité.

Au reste, les bâtisseurs de mausolées ne se sont point trompés dans leurs calculs. De toutes les espèces de ruines romaines, c’est la sépulture monumentale qui est la plus riche en spécimens, et en quelque façon la plus expressive, la plus parlante. La tombe de l’officier Julius, A Saint-Remy de Provence, s’élève encore à près de soixante pieds, et sur ses trois étages montre en statues ou en bas-reliefs l’image du défunt et celle de sa femme, les scènes de batailles ou de chasses auxquelles il a pris part : c’est d’ailleurs un inconnu dans l’histoire[29]. A Igel près de Trèves, Secundinius se fait élever, pour lui, sa femme et ses enfants, une tour plus haute encore, de soixante-dix pieds, surmontée de l’aigle et couverte de figures depuis la base jusqu’au sommet : celui-ci, c’est un gros propriétaire du pays, encore moins mêlé aux faits de l’histoire que le vétéran de Saint-Remy[30]. La Tourmagne de Nîmes, la pile de Cinq-Mars en Touraine, le mausolée de Lanuéjols en Gévaudan, et vingt autres piles ou pyramides et cent autres ruines, sont autant de gigantesques sépulcres que d’orgueilleux inconnus ont enracinés pour toujours dans le sol de la Gaule.

Le mausolée, on l’a déjà dit, ne représente qu’une faible partie d’un enclos funéraire, du domaine propre au défunt. De vastes constructions y étaient annexées. Là, à certains anniversaires, des amis, des parents et parfois des multitudes, se groupaient pour boire et manger aux frais, en l’honneur et comme sous les yeux du mort. Quelques mots du testament d’un grand seigneur gaulois nous feront connaître le fond de sa pensée, son extraordinaire désir de demeurer, par son tombeau, le maître d’une portion de la terre, le patron d’un groupe d’hommes : Je veux que mon monument funéraire soit élevé suivant le plan que j’ai donné. Qu’il y ait une grande loge où l’on placera ma statue, assise, haute au moins de cinq pieds, en marbre d’outre-mer ou en bronze, niais l’un ou l’autre du meilleur. Sous la loge, qu’on dispose un lit d’apparat, et, de chaque côté, de longs bancs, le tout en marbre d’outre-mer ; et que tout cela, les jours où le monument sera ouvert pour la commémoration de mon souvenir, soit recouvert de tapis, de coussins, de couvertures[31]. Et alors, du haut de son siège, le mort en statue présidera au banquet de ses amis, ainsi qu’en sa vie faisait Trimalchion dans sa salle de festin.

Ne disons pas que ces monuments et ces repas funéraires étaient affaire de religion, de piété domestique. La religion explique le tombeau et le banquet, mais elle n’est pour rien dans la façon de l’un et de l’autre, dans les marbres et la statue, dans les folles dépenses qu’exige le maître disparu.

Ce n’est que par orgueil de sa richesse qu’il a dicté de telles volontés, qu’il s’est fait bâtir de tels édifices. Jamais, après les empereurs du troisième siècle, pareils mausolées ne s’élèveront sur notre sol. Ni les ducs de Bourgogne ni les rois de France ne songeront à des bâtisses de ce genre, immobilisant pour toujours des arpents de terre, abritant sous une masse de pierre et de marbre les cendres d’un seul homme. Qui veut trouver quelque chose de semblable, doit remonter bien au delà du temps des Romains, jusqu’à celui des dolmens et des collines funéraires. Encore la sépulture mégalithique était-elle anonyme et devenait vite mystérieuse. Celle du Gallo-Romain était faite pour perpétuer son image et son nom aux yeux et dans le souvenir de tous. A aucune époque de notre histoire, la présence d’un riche n’a été plus encombrante pour les hommes et pour le sol.

 

III. — GRANDE ET PETITE PROPRIÉTÉ.

C’est à propos de ces riches de la Gaule romaine qu’il faut poser à nouveau[32] la question de l’état de la propriété, de la proportion entre les grands et les petits domaines, des tyrannies ou des servitudes rurales, qui est une des questions capitales à résoudre pour comprendre la vie de tous les peuples et la vie de tous les temps.

Que la grande propriété, dominante au temps de l’indépendance, ait survécu sans grand changement à la conquête latine, c’est ce qu’on peut d’abord admettre. Rome, nulle part dans le monde, n’aima à bouleverser les conditions sociales chez les peuples qu’elle avait vaincus. César confisqua à ses adversaires de très gros domaines ; mais ce fut pour les donner à ses amis[33], et, comme il eut de chauds partisans parmi les plus riches d’entre les Gaulois, la classe des grands propriétaires put conserver son prestige. Nous en connaissons quelques-uns du temps de Tibère : les historiens nous les montrent entourés de leur troupe de clients et de débiteurs, les armant au besoin contre Rome, et ils nous parlent d’eux dans les mêmes termes que Jules César avait parlé d’Orgétorix l’Helvète ou de Vercingétorix l’Arverne[34].

Il va sans dire que l’administration romaine imposa à ces hommes des manières plus calmes, plus juridiques. Mais elle ne toucha pas à l’essentiel de leur puissance, qui était la terre. A chaque instant, les ruines de la Gaule nous révèlent l’étendue de nouveaux domaines, la richesse des maîtres du sol. Le propriétaire de la villa de Chiragan près de Martres-Tolosanes a sous ses ordres cinq cents laboureurs, occupés à mille hectares de terres labourables : et, puisqu’il faut ajouter aux emblavures les prairies, les vergers. les potagers et les bois, cela fait autour de la villa plus de dix mille hectares tout d’un tenant, et des serviteurs pour plus d’un millier, la population d’un très gros village. En Belgique, un domaine rural comporte souvent, outre les terres à cultiver, des mines de fer, des fourneaux, des forges, des ateliers de tout genre : sur l’un d’eux, à Morville près d’Anthée, le patron a fait bâtir une vraie bourgade, qui a seize hectares de superficie[35]. Un maître de biens, à Anthée même, chez les Tongres, à la fois agriculteur comme celui de Chiragan et industriel comme celui de Morville, a dû étendre les communs de son exploitation sur un terrain de six hectares, cent mètres de côté et six cents de l’autre[36]. Ces gens-là, évidemment, pour ne point porter l’épée et ne pas commander à des soldats, n’en valent pas moins, comme propriétaires de sol et conducteurs d’hommes, un Gaulois des anciens âges. Tiberius Flavius Fétus, de Dijon, est le protecteur, le patron et peut-être l’ancien maître de tous les maçons et de tous les ouvriers du pays ; et quand il revient de voyage, on lui élève des autels et des statues comme à un prince de la Maison Divine[37]. Ne ressemble-t-il pas à Lucter le Cadurque, l’ami de Vercingétorix, qui avait dans sa clientèle les hommes de la place forte d’Uxellodunum, capable d’arrêter à elle seule les légions romaines ? Les choses du passé ont changé moins en réalité qu’en apparence.

Mais la grande propriété, si vivace qu’elle soit demeurée en Gaule sous la domination romaine, avait cessé d’y être exclusive, dominatrice et dangereuse : et c’est là le grand et l’heureux changement que l’Empire sut imposer au pays.

D’un côté, le représentant du prince surveillait de très près les agissements de ces grands seigneurs : qu’ils se risquassent empiéter sur Ies intérêts de l’État, ou qu’ils fussent tentés de méconnaître ceux des petites gens, ils trouvaient toujours devant eux une force publique qui les ramenait au droit commun.

D’un autre côté, les conditions nouvelles de la vie matérielle et morale favorisèrent en Gaule les progrès de toutes les classes d’hommes qui pouvaient vivre indépendantes de la terre et de ses maîtres, ouvriers et prolétaires des villes, industriels et commerçants, fonctionnaires et intellectuels : et à tous ceux-là l’État accordait pour une large mesure sa protection, et la fortune ses avantages.

D’autre part enfin, la petite propriété elle-même avait pu et avait su, pendant les premières années de l’Empire, se faire une belle place sur tous les terroirs de la Gaule, et surtout aux approches des villes : et ses progrès n’ont certes pas été indifférents aux chefs du gouvernement impérial[38]. Eux-mêmes y ont contribué par les fondations coloniales au temps de César et d’Auguste. Tous ces anciens soldats qu’on envoie s’établir à Fréjus ou à Lyon vont faire souche de petits propriétaires : chacun d’eux reçoit, aux abords de la ville qui est sa résidence, quelques arpents de bonne terre, il y verra pousser son blé et croître sa vigne. Et des précautions sont prises par l’Etat pour que la misère ou l’ennui ne l’amènent pas à se débarrasser de son champ[39].

Les hommes d’autrefois ne pouvaient différer de ceux de notre temps. Ces boutiquiers ou ces professeurs que l’Empire multiplia dans les Gaules, étaient loin d’avoir pour la terre indifférence ou mépris. Tout au contraire, chacun d’eux a dû, comme le poète Horace[40], mettre dans ses vœux une maison rustique, de beaux ombrages, et les petites émotions des vendanges que l’on espère. Il y avait, chez tous ces gens des classes moyennes, l’étoffe d’un amateur des champs et d’un petit propriétaire.

L’industrie, le commerce, les professions libérales, tout en faisant contrepoids à la grande propriété, aidaient donc à former de moindres domaines. Pendant les beaux siècles de l’Empire, jusqu’à Marc-Aurèle, la terre, comme les capitaux, comme l’influence, comme l’autorité administrative, ne cessa de se morceler, de se diviser pour le profit du plus grand nombre[41]. Un même mouvement de dispersion entraîna toutes les formes de la richesse, toutes les façons du bien-être.

Puis, la Gaule était si favorable aux petits propriétaires ! Elle leur offrait un sol bien découpé, une myriade de vallons dont chacun d’eux a cent replis pour enclore et abriter un domaine : les vastes espaces monotones y sont une rareté ; le terrain y permet, côte à côte, les cultures les plus différentes. Maintenant, par la grève de Rome, elle connaît des variétés indéfinies de légumes el de fruits. C’est un beau temps, ce siècle de la paix romaine, pour les maraîchers, les fleuristes, les jardiniers qui approvisionnent les grandes villes. A la campagne aussi bien que dans les cités, les gagne-petit ont leur domaine et leur clientèle, et ils sont maîtres chez eux[42].

Par le fait des lois, des mœurs des hommes, de la nature de la terre, la grande propriété se trouva donc enrayée dans la Gaule. Notre pays ignora ces immenses domaines, vastes comme une province, qui englobaient des villages et des milliers de feux, et qui, dès le temps des premiers empereurs, entraînaient en Italie ou en Afrique tant de ruines matérielles et morales, tant de souffrances au sol, tant de pertes à la liberté humaine[43]. Il ignora également ces puissants propriétaires avides et maniaques qui voulaient posséder quelque chose dans toutes les parties du monde entier, cette sorte d’impérialisme terrien qui poussait les riches à acquérir des terres partout où régnaient les empereurs, à ne voir dans le sol qu’une marchandise qu’on achète et qu’on utilise partout où il s’en trouve[44] : la grande propriété, là où elle existe en Gaule, est le plus souvent localisée, le maître a son domaine dans sa cité et rien que là, la terre est pour lui, non pas seulement un bien qu’il exploite, mais mieux que cela, un lieu qu’il habite. Entre elle et lui il y a des liens domestiques et de longues habitudes qui ne se sont point rompus[45] : ce qui conserve à la grande propriété, même en ses heures de puissance abusive, un caractère de stabilité familiale qui diminue l’injustice de son existence et qui limite les méfaits de son exploitation.

Mais tout cela n’est vrai que des premiers temps de l’Empire. A partir de Marc-Aurèle, l’une après l’autre, les digues qui contenaient les grands propriétaires se rompirent, et, comme au temps de l’indépendance celtique, ils devinrent à la fois un embarras pour l’État et un danger pour les petites gens. De nouvelles conditions sociales se préparèrent pour la Gaule, encore que, par la bonté spéciale du pays, elle doive être moins bouleversée que le reste de l’Empire.

 

IV. — LA RICHESSE DES DIEUX.

Le seul être qui fa plus encombrant que le riche, c’était le dieu : j’envisage ici les réalités matérielles que créait la présence d’un dieu, et non pas les sentiments que ce dieu inspirait aux hommes.

Une divinité pouvait être, en numéraire, en bijoux, en bâtisses, en terres et en serviteurs, plus riche que le plus riche des hommes, et la mainmorte faisait que cette richesse croissait toujours[46]. Il ne s’agit, bien entendu, que de grands dieux domiciliés dans de vastes temples, possesseurs de lieux célèbres[47] : car les petites divinités, comme eussent dit les Anciens, mouraient de faim dans leurs chapelles délabrées.

La fortune d’un Mars, d’un Mercure, d’un Apollon, d’une Minerve[48] atteignait des chiffres énormes. De leurs antiques trésors en lingots d’or ou d’argent, les anciens dieux gaulois. Teutatès ou Bélénus, avaient à peu près tout perdu lors des pillages de la conquête. Mais les divinités qui les remplacèrent surent vite acquérir de nouvelles richesses.

Au temple de Mercure du puy de Dôme s’entassaient ex-voto de bronze et ornements de marbre, et la statue colossale du dieu, en airain, avait calté seule quarante millions de sesterces[49]. Au sanctuaire de la Tutelle de Bordeaux, vingt-huit statues, plus hautes que nature, ornaient les galeries de la façade, et sans doute un nombre plus grand encore en garnissaient l’intérieur[50]. Telles étaient les richesses accumulées dans la maison sainte qui dominait la colline de Clermont, que les Germains eux-mêmes la connurent et qu’à la première occasion ils se précipitèrent pour la piller[51]. Dans un simple temple rustique de Mercure, celui de Berthouville en Normandie, on a trouvé une centaine de vases d’argent, dont quelques-uns sont des merveilles d’art, et qui représentent plus de vingt-cinq kilogrammes de métal précieux.

C’étaient là, il est vrai, capitaux improductifs, en pierre ou en métal. Mais un dieu possédait bien autre chose rapportant gros, des esclaves, des affranchis, des biens-fonds, eaux, terres ou bois, des immeubles de tout genre, les droits ou les amendes imposés aux dévots[52], peut-être aussi les revenus de mines, d’ateliers et de fabriques. Quoi d’étonnant, après cela, que des temples ruraux soient devenus, tout ainsi que des villas de grands seigneurs, les centres et les maîtres de vrais villages, et que quelques-unes de nos bourgades françaises soient issues d’un lieu sacré de la Gaule ?

Si l’on songe que chacune des cent métropoles municipales avait un sanctuaire de cette importance ou un dieu de cette opulence, que mille temples de la campagne, aux frontières de cités ou aux centres de pays, s’étaient acquis une vogue extraordinaire, on reconnaîtra qu’une part considérable de la richesse publique s’était accumulée entre les mains des divinités et de leurs prêtres. Mais il n’en résultait que peu de mal, et il y avait progrès, à cet égard, sur les temps de jadis. La forme nouvelle prise par la fortune des dieux, par la richesse sacrée, était moins stérile que les lingots de métal abandonnés jadis aux puissances souveraines. Ces terres produisaient, ces esclaves travaillaient, et de ces belles statues ou de ces chefs-d’œuvre d’orfèvrerie le spectacle n’était point interdit au commun des mortels. Les hommes pouvaient jouir pour une part de la fortune des dieux.

 

V. — CONTACTS ENTRE RICHES ET PAUVRES.

La Fortune, aurait pu dire un ancien, s’humanisait dans les Gaules : elle se montrait sous des formes plus nombreuses, plus faciles à voir et à comprendre, plus proches de notre nature.

On la demandait encore à la terre : mais la richesse foncière, que les hommes évaluent malaisément, avait cessé d’être dominante. Un Gaulois pouvait être très riche sans posséder de biens-fonds, par le mouvement de capitaux ou le travail d’une usine. De l’or plein les sébiles des changeurs et les sacs des banquiers[53], des ballots de marchandises sortant par les portails des manufactures[54], un navire chargé rentrant au port[55], tout cela révélait aux yeux des plus ignorants l’existence d’un heureux du inonde, et ce spectacle les frappait plus fortement que celui de grains entassés au grenier ou de bestiaux groupés dans le barrait. Voilà pour les moyens d’arriver à la richesse.

Pour les moyens d’en jouir, que de variétés nouvelles depuis les temps gaulois ! Demeure belle comme un palais, tombeau solide comme un donjon, partout, autour du maître, de son foyer ou de sa tombe, l’éclat du marbre, de l’or ou de la pourpre, le bruit de la foule, l’odeur des festins, l’enivrement des parfums, la beauté des esclaves, l’harmonie des musiques et jusqu’à l’art des comédiens[56], tous les sens étaient réveillés par le contact d’un puissant, il concentrait autour de lui toutes les manières de susciter des sensations humaines[57].

Par là même, si riche qu’apparia un Gallo-Romain, sa richesse ne semblait point, même aux plus pauvres, une chose inabordable. Il n’y avait pas, entre eux et lui, entre leur vie et, les espérances secrètes des déshérités, un abîme qui ne pût se franchir. A l’époque de l’indépendance, un grand de la Gaule, maître de domaines immenses et invisibles, toujours protégé par des troupes de serviteurs en armes, était pour un plébéien une manière de roi et de dieu, et rien de ce qui faisait sa force, vastes terres et gardes du corps, n’était accessible à un misérable. Maintenant, il peut atteindre à quelques-uns des moyens qui font la richesse, à quelques-unes des jouissances qu’elle procure : il peut gagner de l’argent comme ouvrier ou comme écrivain, avoir une part de bénéfices dans une entreprise de charroi ou de navigation ; et il peut ainsi espérer à son tour quelques pièces d’or, un vase d’argent, une belle esclave, un tombeau de pierre. Faite d’éléments plus nombreux et plus mobiles, la fortune se mêlait davantage à tous les hommes.

L’état social concourait, avec ces conditions matérielles, à diminuer l’écart entre riches et pauvres,

On a vu que les classes et les conditions politiques ou sociales n’étaient point séparées les unes des autres par des barrières infranchissables. Les lois et les mœurs favorisaient également le passage de la servitude à la liberté. Il était le plus facile du monde, si l’esclave acquérait de quoi se racheter ; et comme les esclaves les plus économes et les plus industrieux arrivaient toujours à l’indépendance, ils se trouvaient ensuite tout entraînés pour monter de la liberté jusqu’à la richesse. Trimalchion est un affranchi, et la Gaule a produit des milliers de Trimalchions, depuis ce Licinus, ancien esclave, qui y devint intendant du prince et riche à millions. Je ne sais si pareille chose eût été possible sous le régime arverne : d’abord, l’esclave affranchi voyait sa carrière entravée par les traditions d’un patriciat formaliste ; et, ensuite, la richesse immobilière lui était moins possible que les sacs de pièces d’or ne le furent à un Licinus. Le régime impérial fut pour la Gaule le triomphe des parvenus[58] : et c’était, somme toute, au profit de l’activité humaine.

Les maîtres n’étaient pas hostiles de parti pris à l’affranchissement de leurs esclaves. Il régnait même l’usage que le Romain les affranchît par testament, pour que sa mort les rendît libres, c’était alors la manière de doter ou de récompenser ses serviteurs, sans doute aussi de plaire aux dieux et de se faire bien juger des vivants[59]. Et il en résulta ceci d’étrange, que l’existence de ces immenses fortunes et de ces troupeaux d’esclaves fut plutôt favorable que nuisible aux progrès de la liberté humaine. Le petit bourgeois, qui n’avait que deux ou trois esclaves, pouvait hésiter à les affranchir et à faire tort ainsi à ses héritiers. Trimalchion n’a pas cette crainte : il est assez intelligent des choses de la vie, ou assez timide devant celles de la mort, pour vouloir se faire pardonner sa richesse par les dieux et les hommes en rendant à ses esclaves leurs droits d’humanité : Amis, disait-il, les esclaves sont aussi des hommes, et ils ont bu le lait comme nous, quand bien même le mauvais destin les ait accablés. Moi vivant, je veux qu’ils prennent l’avant-goût de l’eau libre, et je veux leur dire que je les affranchis tous par testament[60]. D’un coup, il rend à la liberté des centaines d’hommes : ce parvenu, si orgueilleux qu’il soit, n’est pas un méchant homme ; et nous savons qu’il fait école en Gaule[61].

Ajoutons enfin que l’Empire a fait pénétrer dans les Gaules de vieilles pratiques sociales propres à rapprocher les hommes, quels que fussent leur rang et leur condition. Rome avait beau se laisser gouverner par les plus riches : elle n’oubliait pas que jadis, au temps des grands comices, plébéiens et patriciens, puissants et misérables étaient mêlés, et qu’à cette glorieuse époque chaque citoyen valait sa valeur d’homme. Ce principe d’égalité, loin de disparaître sous l’Empire, fut appliqué dans les provinces, non pas sans doute comme règle politique, mais comme pratique morale et survivance religieuse. Il y eut, dans la vie de la Gaule, des jours et des lieux où riches et pauvres, et les esclaves avec leurs mitres, étaient réunis pour jouir ensemble des mêmes plaisirs, et des plaisirs qui les passionnaient le plus : c’étaient les jours de spectacles et c’étaient les grandes bâtisses de jeux, cirques, théâtres et arènes.

 

VI. — LES PLAISIRS PUBLICS.

Que sur les gradins de ces bâtisses les rangs sociaux fussent distingués avec soin, les bonnes places réservées aux plus nobles et aux plus riches[62], les mauvaises abandonnées aux prolétaires : cela va de soi, et nous ne procédons pas autrement, en dépit de nos prétentions démocratiques. Mais enfin, ces lieux étaient accessibles à chacun, l’entrée en était gratuite, et ils avaient été bâtis si vastes et si bien disposés, que tout curieux pouvait y trouver place et tout assistant y voir le spectacle.

Que ce spectacle fût d’ordre misérable, il nous importe peu en ce moment[63]. Ce qu’il faut retenir de la vue de ces milliers de corps entassés et étagés, c’est qu’il y a là toutes les espèces vivantes de la société humaine, depuis le sénateur archi-millionnaire jusqu’au mendiant de la rue, et qu’ils se sont amassés là pour goûter les mêmes joies. Presque rien ne sépare leurs corps, et rien ne sépare leurs âmes.

Si ce n’était la bassesse de ces joies, je dirais volontiers que ces jeux furent, dans l’Empire romain, une affaire de bienfaisance, d’hygiène morale. Aucun théâtre, aucune fête moderne ne donne l’idée de ces arènes antiques, de leur rôle social, de leur portée humaine. Dans aucune autre institution de l’Empire romain, il n’a été fait plus de place aux droits de l’égalité naturelle, on n’a moins invoqué le privilège de la richesse et l’ignominie de la pauvreté.

C’est à ces heures de spectacle que le plus pauvre prenait sa part du luxe inouï qui enveloppait le inonde impérial. Pour n’être pas des plaisirs de riches, les jeux du cirque[64], de l’arène, du théâtre n’en étaient pas moins des plaisirs qui coûtaient fort cher. Il fallait entretenir ou louer des troupes d’acteurs, de mimes, de danseurs, formées presque toujours de sujets étrangers, grecs pour la plupart[65]. Chaque ville importante possédait son école de gladiateurs[66], et la plèbe exigeait sans doute que toutes les catégories de combattants y fussent représentées : à Nîmes, par exemple, on montra des gladiateurs allobroges, éduens, espagnols, égyptiens, arabes[67], les uns nus[68] et les autres bardés de fer[69], ceux-ci armés du filet[70] et ceux-là du sabre[71], d’autres même combattant sur des chars[72] ; et j’imagine que, comme aux toréadors d’aujourd’hui, on leur demandait d’avoir de belles armes ou des coiffures empanachées[73]. Les bêtes des arènes gauloises, évidemment, n’étaient point choisies parmi les plus rares : ou réservait à Rome les élans des forêts du Nord et les girafes des déserts d’Afrique ; de ce côté des Alpes, à Périgueux[74], à Bordeaux[75], à Aix[76], à Narbonne[77] ou à Lyon même[78]. Il fallait se contenter des fauves du pays, des taureaux, des sangliers et des ours, ceux-ci alors fort nombreux et déjà fort populaires[79] ; mais il est probable qu’on présentait de temps à autre quelques bêtes des pays lointains, léopards, panthères, tigres et surtout lions, dont le nom et la vue agitaient dans le monde entier l’imagination populaire.

Les frais des jeux ordinaires faisaient partie des budgets des villes ou des provinces. Mais beaucoup de spectacles venaient de fondations particulières, legs d’anciens magistrats, donations de candidats aux charges municipales, libéralités de citoyens généreux[80]. L’institution fonctionnait à la manière de notre assistance publique.

Elle en était, pour une part, l’équivalent. Donner des jeux au peuple, paraissait alors l’une des cieux façons de soulager sa misère. L’autre, c’était de lui distribuer des bons de pain. Le mot fameux du poète, paner et circenses[81], formule admirablement la nature de la bienfaisance antique.

De ces deux termes, le premier trouve moins son emploi dans les Gaules : si la plèbe des villes y a reçu du pain, nous ne le savons pas encore, et ce ne fut sans doute qu’à de certaines occasions[82]. Mais chaque cité a en tout à la fois son théâtre et ses arènes, quelques-unes ont eu également leur cirque[83], et il ne manquait m’élue pas de théâtres dans les bourgades ou les lieux saints des pays ruraux. A Paris, le théâtre flanquait, du côté du couchant, les pentes de la colline Sainte-Geneviève, et les arènes, au levant, s’adossaient à ce même coteau[84]. Sortez de Paris par la route des Flandres : à trente milles, c’est l’amphithéâtre de Senlis, attenant au mamelon qui porte la petite ville[85]. Continuez plus loin dans la même direction : c’est, à quinze milles de là, à la frontière du Soissonnais, le théâtre de Champlieu, bâti dans la campagne, sur le plateau que borde la forêt de Compiègne[86] ; et c’est, à vingt-cinq milles de Champlieu, la ville de Soissons, elle aussi avec son théâtre[87] et d’autres lieux de plaisir. On dirait que chaque fin d’étape est marquée par quelque rendez-vous de spectacle, ainsi qu’elle le fut, au Moyen Age, par un hospice de pèlerins.

A côté de ces ruines d’arènes ou de théâtres, nous rencontrerons toujours celles de temples et de thermes ; et je ne connais pas d’exception à cette règle. Le temple, c’est le dieu, le sacrifice et la prière mis à la disposition de tous, de même que le théâtre et l’amphithéâtre offrent leurs jeux à tout venant. Mais les thermes, les lieux de bains, doivent passer aussi pour un des organes de l’assistance publique.

L’entrée en est libre, et, à des jours très nombreux, l’usage des bains y est gratuit[88]. Or, ce sont d’immenses et somptueuses constructions que ces thermes, celles où les cités et leurs bienfaiteurs ont tenu à étaler le plus de richesses[89] : les salles, élégantes et spacieuses, en sont décorées de marbres coûteux, de statues, de mosaïques et de peintures ; tout autour s’étendent des portiques, des cours, des jardins, des terrasses, des salles de jeu et de gymnase[90]. Le populaire s’y repose, s’y instruit, s’y récrée, à la fois comme dans un musée, un casino et une promenade publique. Les jolies choses qu’il voit, sont un peu siennes à ce moment. En plus, il a le délassement des bains, chauds, tièdes ou froids, dans un beau local digne d’un prince, et il a les joies bruyantes et les facéties vulgaires des baignades en commun. Autant qu’une séance aux arènes, une partie de thermes est la joie que le boutiquier ou l’artisan escomptent dans leur semaine de travail. Vieillis et voisins de la mort, ils aimeront i parler des heures folâtres passées dans les bains publics. Pour quelques-uns, c’est le souvenir le plus gai qu’ils emporteront de la vie. Passant qui lis ces mots, dit l’épitaphe d’un petit bourgeois lyonnais, va-t-en donc aux bains d’Apollon : j’y allais me baigner avec mon épouse, comme je voudrais bien le faire encore[91].

Grâce aux immenses thermes qui furent alors bâtis dans toutes les villes sans exception, et en outre dans toutes les bourgades et tous les lieux de foires, le plus humble des Gaulois put se procurer cette volupté nécessaire. Il y éprouvait, nuances à part, les mêmes sensations que le Viennois Asiaticus dans son palais de Rome ou qu’un fils de sénateur dans les thermes de Titus. A défaut de respect pour les droits supérieurs de l’homme, les usages romains admettaient le droit de tous à de certaines jouissances.

 

VII. — JALOUSIES COLLECTIVES.

Mais, de ce que le pauvre s’est senti plus près du riche, gardons-nous de conclure qu’il y ait eu de l’un à l’autre une lutte moins vive et une plus grande bienveillance.

Du pauvre au riche, le sentiment dominant demeurait celui de la jalousie. Par le fait même que les richesses étaient plus visibles et plus accessibles, elles excitaient de plus fortes convoitises. Le paysan éduen de jadis avait dei se résigner plus aisément à la force quasi divine d’un Dumnorix ou d’un Diviciac que l’ouvrier de Lyon à la vaisselle d’argent ou aux festins somptueux d’un sénateur clarissime : c’étaient choses, après tout, qu’il pouvait comprendre et prendre, dont il voulait et saurait jouir.

Le genre même des bienfaits que la plèbe recevait des classes dirigeantes, ces spectacles coûteux, ces bains voluptueux, étaient de nature à lui rendre plus cuisant encore le désir de la vie facile, le goût du plaisir dérobé. Ces présents qui venaient à elle, c’étaient joies grossières, passions féroces, jouissances morbides, heures d’oisiveté et contagion de luxe. Elle sortait de ces lieux de spectacles et de bains moins disposée à accepter sa misère et à travailler pour l’adoucir.

Elle en sortait aussi avec l’impression. plus dangereuse encore pour l’ordre public, qu’elle était la multitude et qu’elle avait la force du nombre. Celte impression, que la réunion publique ou la manifestation dans la rue donne aujourd’hui aux ouvriers en grève, une séance aux arènes la donnait au commun peuple d’une cité gauloise.

Aucun des éléments qui préparent et provoquent les insurrections populaires et les révoltes sociales ne manqua à la Gaule romaine. Dès que l’autorité publique faiblissait, l’émeute commençait à gronder partout. Lorsque, dans le cours du troisième siècle, l’État se montra impuissant à gouverner, les prolétaires de la Gaule, paysans ou plébéiens, se conjurèrent pour prendre part au grand pillage[92]. Et je suppose qu’ils attendaient depuis longtemps cette heure.

D’autres aussi la guettaient, qui vivaient hors de l’Empire, les Barbares de Germanie et d’ailleurs. Ceux-là, par rapport à la Gaule, étaient les pauvres d’à côté. Ils ne pouvaient ignorer les richesses de ses villes, de ses villas et de ses temples. Quelques-uns, comme hôtes, esclaves, ambassadeurs ou curieux, avaient dei voir les tables des grands et les trésors des dieux[93]. Dès le jour où l’Empire prit contact avec la Germanie, l’envie folle de cet or et de ce vin grandit sur le sol barbare[94].

La prospérité de la Gaule l’exposait donc aux convoitises de tous les misérables, ceux du dehors et ceux du dedans. Seule, la force de l’État et de ses armées réussirait à contenir les uns et les autres. Car on ne pouvait changer le caractère des hommes ; et, du reste, aucun régime politique ne s’est moins préoccupé des esprits et des Aines que l’Empire romain, n’a eu moins le souci de les diriger, de les instruire, de les améliorer.

C’est cet état moral de la Gaule qu’il nous faut étudier maintenant.

 

FIN DU CINQUIÈME TOME

 

 

 



[1] Jusque sous Marc-Aurèle.

[2] Ajoutez les précautions prises par les empereurs pour assurer la production en blé.

[3] Chapitre VII, § 6.

[4] Voyez les stèles de Thil-Châtel (Esp., n° 3608, marchand de vins et comestibles), d’Arlon (n° 4643, boutique de marchand drapier).

[5] Au moins d’après ce que nous savons des temps antérieurs.

[6] Même remarque.

[7] On va par exemple acheter dans une boutique de ville une vestis Bigerrica pour cinq pièces d’argent (à Tours, IVe siècle, Sulpice Sévère, Dial., I[II], 1, 8), une lampe à un as, etc.

[8] Je songe à la marque de Mommo et à des endroits où elle a été rencontrée (XIII, 10010, 1374).

[9] Tome II, ch. II, § 3 et 6.

[10] A Bourg dans le Bordelais, Pontius Paulinus faisait même représenter dans sa villa les exploits de Lucullus (Sidoine, Carmina, 22, 158-108) : peut-être, à cause de son nom, se croyait-il originaire du Pont.

[11] Et totem solem lunata per atria servat ; Sidoine, id., 150.

[12] Sidoine, id., 180-3, 157-191.

[13] Cf. Sidoine, Carmina, 22, 204-6.

[14] Id., 208-210.

[15] Sidoine, 136-141 (revêtements de marbres), 158-160 (peintures) ; Ausone, Cupido cruciatus (Cupidon crucifié par les femmes, pictura in triclinio à Trêves) ; peut-être aussi tapisseries, Sidoine, 192-9.

[16] Cf. tome VI, ch. III.

[17] Les bains sont assez souvent une construction distincte de l’habitation ; Sidoine, 127-8 ; Cumont, Belgique, p. 41 ; etc.

[18] Sidoine, 146-9.

[19] Tome VI, ch. III.

[20] Ne pas oublier, comme élément de la richesse ou du luxe, le désir d’avoir port sur rivière (Sidoine, Carmina, 22, 135) et bateaux de plaisance. De là, la vogue particulière des villas riveraines de cours d’eau, par exemple de la Moselle ; t. VI, ch. VI. — De la même manière s’explique le nombre des villas voisines de la mer en Armorique.

[21] Nous avons été frappes, en étudiant l’architecture des villas, du caractère absolument conforme aux traditions classiques que montre le plan tout entier, aussi bien que chacune des parties de l’habitation ; Grenier, Habit., p. 183. Pour tout cela, outre les livres sur les villas, Blanchet, Étude sur la décoration des édifices de la Gaule romaine, 1913 ; Cumont, Belgique, p. 40 et s.

[22] En dernier lieu, Espérandieu, II, p. 29 et s.

[23] Hettner, Westdeusche Zeitschrift, XII, 1893, p. 13 et s.

[24] Hettner, Antike Denkmüler publiés par le K. D. Arch. Inst., I, 1891, p. 35-8, pl. 47-9 : c’est la mosaïque de lionnes à Trèves, XIII, 3710. Voyez, du même genre, à Cologne, la mosaïque des sept sages ou écrivains de la Grèce (Klinkenberg, p. 237-8).

[25] Du moins jusqu’à plus ample informé. — Je ne crois pas qu’on puisse alléguer à cet égard le plafond multicolore aux coquilles, de la villa de Carnac, et autres décorations similaires.

[26] Testament du Lingon (XIII, 5708) : Voto autem omne instrumenturn meum, quod ad venandum et ancupandum paravi, mecum cremari..., et stellas omnes ex cornibus alcinis.

[27] Pétrone, Sat., 52 et ailleurs.

[28] C. I. L., XIII, 5174-6 : trois statues ou autels élevés à Dijon ou près de Dijon par des clients pro salute, ita et reditu de leur patron, avec l’inscription : Jovi Optimo Maximo et Fortunæ Reduci.

[29] Espérandieu, n° 114.

[30] En dernier lieu, Espérandieu, VI, p. 437 et s.

[31] C. I. L., XIII, 5703. Cf. le testament de Trimalchion ; Pétrone, Sat., 71.

[32] Nous avons déjà eu à nous en occuper, au point de vue strictement administratif et politique.

[33] De bello civili, III, 59, 1 : il s’agit de chefs allobroges auxquels César a donné agros in Gallia ex hostibus captos.

[34] Tacite, Ann., III, 42 : Aliud vulgus bæratorum aut clientium [de Florus] arma cepit.

[35] Del Marmol, Ann. de la Soc. arch. de Namur, XV, 1881, p. 221 et s.

[36] Bequet, id., XXIV, 1000-4, p. 231 et s. ; et ce domaine était clos de murs. Cf. ædificia privata laxitatem urbium magnarum vincentia. Sénèque, De ben., VII, 10, 5.

[37] C. I. L., XIII, 5474-6 (lapidarii et fabri ferrarii, clientes ejus).

[38] Voyez par exemple à Aix-les-Bains les possessores (XII, 2450-61, 5874), qui paraissent être les petits propriétaires de l’endroit réunis en collège. De même à Cologne (XIII, 8254), les possessores ex vico Lucretio doivent être les propriétaires du quartier, héritiers de lots constitués lors de la colonisation. Peut-être faut-il songer quelquefois, dans les représentations funéraires de voitures avec leurs conducteurs, à de petits propriétaires.

[39] J’ai peine à croire que les anciennes prescriptions interdisant la vente des biens assignés n’aient pas été maintenues. Mais il est certain que les vétérans ne se sont pas privés de les enfreindre dans certains cas (Tacite, Ann., XIV, 27), qui d’ailleurs ne s’appliquent pas aux vieilles colonies de la Gaule. Cf. Die Schriften der Rœm. Feldmesser, II, p. 382-4 (Rudorff).

[40] Horace, Epist., I, 14 et 16.

[41] Il est possible aussi que les riches Gaulois aient vendu portions de leurs terres (comme au XVIe siècle et plus tard les seigneurs de France) pour acquérir des hôtels à Rome et faire figure à la cour.

[42] Grenier a noté en Lorraine la division du sol en domaines de médiocre étendue (Habitations, p. 116).

[43] Pline, XVIII, 35.

[44] Il y a cependant des traces en Gaule de cette industrialisation de la terre : c’est, par exemple, le fait que les sénateurs de Rome possèdent des terres en Narbonnaise. ce qui doit remonter au temps de la République, lorsque le pays fut envahi par les marchands de biens ; la possession, par des grands de Rome, de mines en particulier ; le fait que des Allobroges deviennent propriétaires en Gallia Comata ; l’allusion possible à l’extension des latifundia en Gaule chez Pline, lorsqu’il ajoute perdidere jam vero et provincias, XVIII, 35. Ajoutez le fait que des riches Gaulois, comme le Viennois Valerius Asiaticus, pouvaient posséder des maisons à Rome (Tacite, Ann., XI, 1).

[45] Cela me parait résulter de l’importance municipale, révélée par l’épigraphie, acquise par les grandes familles du pays, et aussi de l’importance, révélée par l’archéologie, des grands mausolées rustiques.

[46] Il est probable cependant que l’État a pris des précautions contre cette mainmorte, n’a par exemple reconnu le droit d’hériter que pour certains temples.

[47] Cf. note précédente.

[48] Je cite les dieux de la Gaule dont les temples paraissent avoir été les plus riches, et ce sont sans aucun doute les héritiers des anciens plus grands dieux celtiques (Ésus, Teutatès, Bélénus et la principale divinité féminine). Et c’est peut-être à celles-là seules, et dans de certaines conditions, qu’on accordait tous les avantages de la mainmorte.

[49] Pline, XXXIV, 43 ; cf. t. VI, ch. I et III.

[50] Espérandieu, n° 1089 ; ici, t. VI, ch. III.

[51] Grégoire de Tours, Hist. Fr., I, 32.

[52] C. I. L., XII, 2426 : c’est la lex rivi Ul... [lé Guiers, près des Échelles] : Si quis in eo missenit, spurcit(iam) fecerit, in temp(lo) Jovis D(omestici ?) X (denarium) I (unum) d(et) ; etc. ; dans le même temple, dédicace des vicani ex stipe (XII, 2424) : ce temple de Jupiter aux Échelles parait fort important et mériterait une étude nouvelle.

[53] L’importance du numéraire comme signe de la richesse se montre dans l’habitude de remplacer les cornes d’abondance des dieux, remplies de fruits, par des sacs d’où s’échappent des pièces de monnaies (Espérandieu, n° 1555 et 3653). De la même manière, Trimalchion se fait représenter nummos in publico de succulo effundentem (Pétrone, Sat., 71. 10).

[54] Bas-reliefs chez Espérandieu, n° 4131, 4156.

[55] C’est pour cela que sur tant de monuments funéraires, soit à Narbonne, soit chez les Trévires, sont représentés des navires, symboles de l’activité et de la fortune du défunt. De même, Trimalchion sur son tombeau (Pétrone, Sat., 71) : Te rogo, ut naves etiam [in fronte ou in latere] monumenti mei facias plenis velis cuntes.

[56] Le Viennois Valerius Asiaticus a une troupe nombreuse de comédiens dans sa domesticité ; inscription de Vienne (XII, 1220) : Scænici Asiaticiani et qui in eodem corpore sunt vivi sibi fecerunt.

[57] Lisez le festin de Trimalchion, et étudiez les ruines des villas gallo-romaines : l’un commente l’autre. Je ne connais pas d’œuvre qui, mieux que celle de Pétrone, soit la traduction vivante de choses vues, et dans le détail et dans l’ensemble, et comprises dans leur sens réel.

[58] Les Anciens le reconnurent eux-mêmes ; Tacite, Ann., XII, 53 ; XIV, 55 ; etc.

[59] Ut familia mea jam nunc sic me amet tanquam mortuum, dit Trimalchion, Sat., 71, 3.

[60] Sat., 71 : Omnes illos in testamento meo manumitto.

[61] L’épigraphie funéraire nous fournit de cela des preuves nombreuses : car l’esclave affranchi ainsi se chargeait d’ordinaire ou plutôt avait le devoir d’élever ou d’entretenir le monument de son bienfaiteur (cf. t. VI, ch. IV). Comparez aux paroles de Trimalchion le testament du Lingon (XIII. 5708) : Omnes liberti mei et libertæ, quos et vivos et quos hoc testamento manumisi.

[62] Au théâtre d’Orange, places réservées aux chevaliers (XII, 1241) ; aux amphithéâtres d’Arles et de Nîmes, places réservées à des membres de corporations et à d’autres (XII, 714, 3316-8 : 3315 : cuneus quæs[toris ?], conjecture d’H. Bazin) : cf. XIII, 1919 (cirque de Lyon), 1805 ; etc.

[63] J’y reviendrai plus loin, tome VI, ch. IV.

[64] Pour ceux-ci, cf. aussi tome VI, ch. IV.

[65] A Arles, épitaphe d’un scænicus ex factione Eudoxi (XII. 737) : Eudoxus doit être un artiste chef de troupe, et factio désigner sa troupe. Nîmes, grex Gallicana [?] Memphi et Paridis (XII, 3347), sans parler de l’association universelle des compagnons de Bacchus (Inscr. Gr. Ital., 2408-2502). A Vienne, scænici Asiaticiani (XII, 1929), troupe subventionnée, salariée ou fondée par Valerius Asiaticus. A Bordeaux, scænicus negotiator (XIII, 642), entrepreneur de tournées ? Cf. t. VI, ch. III.

[66] A Autun ; à Arles, negotiator familiæ gladiatoriæ, XII, 727 ; à Nîmes ; à Die ?, XII, 1583. Pour l’ensemble des Gaules, cf. t. VI, ch. IV.

[67] XII, 3323-3332.

[68] Les murmiliones ou mirmillones sont en principe d’origine gauloise, et galli semble être synonyme (Festus, p. 255, M) : leur nudité doit rappeler celle de certains anciens combattants gaulois.

[69] Les cruppellarii d’Autun. Ils n’apparaissent pas jusqu’ici en épigraphie.

[70] Retiarii. Ils ont pour adversaires les secutores (XII, 1596).

[71] Thraces ; cf. XII, 1915, 3328-32.

[72] Les essedarii paraissent en principe d’origine bretonne.

[73] Cf. Thédenat, Dict. des Ant., G, p. 1582. Un certain nombre d’armes figurées sur les bas-reliefs funéraires de la Gaule peuvent être des armes de gladiateurs et doivent être étudiées comme telles. Figurations de gladiateurs à Narbonne. Esp., n° 692-606, etc. Une des plus curieuses est à Maëstricht (n° 30119).

[74] Espérandieu, n° 1266 (ours).

[75] Espérandieu, n° 1101 (ours).

[76] C. I. L., XII, 533 (ours).

[77] Espérandieu, n° 613 (sanglier).

[78] Supplice de Blandine, Eusèbe, V, I, 56 (taureau).

[79] Il devait y avoir aussi des chasses au cerf. A Metz, ou a trouvé dans le sous-sol de l’amphithéâtre des ossements de taureaux, ours, sangliers, cerfs et aurochs. Le vase de Gundestrup (Revue des Et. anc., 1905, pl. 7), que je crois de plus en plus se rattacher à la civilisation gallo-romaine des premiers siècles, représente une chasse an taureau avec des chiens.

[80] A Marseille, agon Iobianus, plutôt nom de personne que nom de Jupiter (XII, 410, p. 812). A Die, munus gladiatorium Villianum (XI I, 1585). A Vienne, gymnicus agon ex cujusdam testamento (Pline, Ép., IV, 22) : les représentations furent supprimées par un duumvir comme immorales ; il y eut appel de sa décision devant Trajan, et le conseil du prince lui donna raison. A Arles, ludi athletarum aut circenses fondés par Camars (XII, 670). A Lyon, don de circenses par un prêtre municipal à l’occasion de sa nomination (XIII, 1021). Etc.

[81] Juvénal, X, 80-1.

[82] Distribution d’huile et de bière [?] à Riez à l’occasion d’un spectacle, mais aux frais d’un particulier (XII, 372) ; distribution de vin ou d’huile faite par un particulier à tout le peuple [?], sans parler de vin et de pain aux membres de collèges (Cimier, V, 7904, 7905, 7920). Sur les autres formes de la bienfaisance publique, t. VI, ch. IV. Les sportulæ distribuées à l’occasion de dédicaces de monuments, d’élections, etc., n’étaient en réalité que des cadeaux faits à quelques-uns, membres de confréries, décurions même, et ne peuvent être assimilées à des œuvres de bienfaisance (XII, 4388 ; id., p. 960 ; XIII, 1921 ; etc.).

[83] Tome VI, ch. IV.

[84] De Pachtère, Paris à l’époque gallo-romaine, p. 66 et 76.

[85] Voyez les premières années du Comité arch. de Senlis, en particulier [IV], 1866, paru en 1807, p. 163 et s.

[86] Espérandieu, V, p. 94 et s.

[87] De Laprairie, Bull. de la Soc. hist. et arch. de Soissons, II, 1848, p. 80 et s. Je ne sais si c’est au théâtre romain de Soissons que fait allusion Grégoire de Tours, H. Fr., V, 17.

[88] Je ne crois pas à la gratuité permanente dans toutes les localités : si à Nîmes (XII, 3179) la colonie accorde à un vétéran balneum gratuitum in perpetuum (pour lui et les siens, et sui), si les gens de Garguier (locus d’un pagus arlésien près de Marseille) se plaignent qu’on leur ait enlevé le bain gratuit dont ils jouissaient depuis plus de quarante ans (XII, 594), c’est évidemment que la gratuité n’était pas un principe. L’exemple de Garguier et d’autres localités montre que les plus petites bourgades de pagi avaient également leurs thermes publics.

[89] En particulier des marbres. C’est ce qui résulte surabondamment des ruines (voyez en particulier celles des thermes de Sens, en dernier lieu, Espérandieu, IV, p. 55 et s.), des textes, des inscriptions (Vaison, XII, 1357, un habitant laisse 50.000 sesterces ad porticum ante thermas marmoribus ornendam ; Narbonne, 4388 ; Le Pègue, chef-lieu de pagus voconce, 1708), et de l’exemple des empereurs à Rome.

[90] Sphæristeria et xystus à Nîmes (XII, 3304, 3155), en supposant qu’ils se rattachent à des thermes.

[91] Tu qui legis vade in Apolinis lavari, quod ego cum conjuge feci : vellem si aduc possem ; XIII, 1933.

[92] Dès Marc-Aurèle et peut-être dès Antonin.

[93] Il y eut toujours des Germains dans l’Empire, en Italie et à Rome même, en particulier les chefs fugitifs et leur suite (Dion, LVI, 23, 4 ; Tacite, Ann., II, 63 ; XI, 16). À Fréjus, Tibère installa en l’an 18 Catualda, roi des Gotones [les Cotini de Silésie ?], le vainqueur de Marbod (Tacite, Ann., II, 63) : et il semble que l’empereur n’était rassuré qu’à moitié au sujet de ces Barbares, puisqu’il installa leur suite ne quietas provincias immixti turbarent.

[94] Sans parler de ses convoitises éternelles sur le sol de la Gaule ; Tacite, Hist., IV, 73.