HISTOIRE DE LA GAULE

TOME V. — LA CIVILISATION GALLO-ROMAINE. - ÉTAT MATÉRIEL.

CHAPITRE VII. — LE COMMERCE.

 

 

I. — DÉVELOPPEMENT DE LA CIRCULATION COMMERCIALE.

Plus d’une fois, en parlant des industries de la Gaule romaine, nous avons fait allusion, soit aux débouchés que trouvaient leurs produits, soit aux concurrences que leur faisaient ceux d’Italie ou d’Orient. Car une fabrique ne se borne plus, comme il dut arriver souvent dans les temps celtiques, à travailler surtout pour son voisinage, ville, marché ou grand domaine : toute grande manufacture est devenue partie et organe d’Empire, et ses maîtres peuvent rêver pour elle des ambitions universelles. Le monde est ouvert aux marchandises de la Gaule, et elle-même à celles de ce monde[1]

Il n’est point besoin d’insister sur les causes matérielles qui ont multiplié les échanges et développé le commerce. Chaque chose que nous avons tour à tour signalée sur le sol de la Gaule impériale nous a fait pressentir l’intensité de la circulation commerciale. Ce sont d’abord des troupes d’immigrants, une population plus dense, de plus grandes villes, des lieux de foires et de plaisir qui s’animent, de belles routes qui se construisent : voilà, hommes, chemins et carrefours, de quoi appeler et aider l’afflux de marchandises nouvelles. Ce sont, ensuite, ces marchandises que nous avons vues sortir, infiniment nombreuses et variées, d’une terre mieux exploitée et de fabriques plus étendues[2].

Mais à côté de ces causes matérielles, des causes morales contribuent à expliquer l’extraordinaire échange de marchandises dont nous allons être les témoins.

L’une de ces causes est le tempérament propre à certaines espèces d’hommes de l’Empire. Phéniciens, Syriens, Juifs, Grecs d’Asie, Italo-grecs de Campanie[3], héritiers de trente générations de marins, d’aventuriers, de pirates, de voyageurs, de vendeurs de pacotilles, descendants d’Ulysse, d’Himilcon ou de Pythéas, ne se pliaient point aux habitudes stables et régulières des temps nouveaux. Se déplacer et brocanter, c’était pour eux besoin de leur nature autant que façon de gagner sa vie. Ils représentaient, dans ce monde assagi et prosaïque, l’élément agité et entreprenant, qui faisait circuler plus vite et plus loin le sang et la richesse. Grâce à eux, les produits de tous les fabricants étaient connus de tous les chalands : ces hommes, éternels remueurs de grandes et de petites affaires, éveillaient partout la curiosité et le désir d’acquérir, et ils forçaient pour ainsi dire la terre à des échanges universels. Un empire mondial fait la joie du courtier et du voyageur de commerce.

Je crois que quelques Gaulois ressemblèrent à ces vieux trafiquants de la Méditerranée et furent aussi de bons placiers en denrées et marchandises. Ils avaient les qualités de l’emploi, de la gaieté, une bonne close de résistance physique, le verbe sûr, et de l’habileté, dans la hardiesse. A ces mérites, qu’ils tenaient de leurs ancêtres et que leurs descendants n’ont point perdus, les Gaulois ajoutaient, ce semble, un état d’âme particulier qui les prédisposa aux entreprises commerciales. La conquête romaine d’abord, puis la fin des guerres intérieures et l’abandon des projets sur la Germanie, les obligèrent aux pratiques monotones de la vie civile et domestique, eux, jadis aussi incorrigibles comme batteurs d’estrade et amoureux de gloire que les Phéniciens comme rouliers des mers et assoiffés de gains[4]. Or, chez un peuple secoué par des années d’agitation, de bataille et d’ambition, l’esprit d’aventure ne disparaît point d’un coup : il se transforme, il s’applique à d’autres objets, mais il est toujours là pour entraîner l’homme sur la route ou lui suggérer quelque audacieuse affaire. Qu’on remarque avec quelle lenteur, après 1815, la France est parvenue à calmer le besoin de courses et de conquêtes que vingt ans de victoires avaient laissé eu elle. Pour le satisfaire en quelque manière, les uns se vouèrent à l’industrie, et ce fut une des causes pour lesquelles elle prospéra sous la Restauration ; d’autres armèrent des navires et partirent, vers les Indes de l’Ouest ou les eaux de la Chine, à la recherche de marchés et de produits nouveaux. Les années qui ont suivi les guerres de l’Empire sont parmi les plus riches de notre .histoire en grandes entreprises marchandes[5].

Je pense des faits de même genre pour la Gaule des premiers Césars[6]. Ces poteries qui se fondent et qui, en quelques années, inondent de leurs ouvrages de vastes régions, ce sont les applications industrielles de l’esprit ambitieux et conquérant des Celtes et des Belges. Je ne peux admettre que ces produits se soient répandus de proche en proche. Si un manufacturier voulait faire œuvre qui dure, il lui fallait gagner de vitesse ses concurrents, arriver le plus tôt et le plus loin. Nous verrons bientôt que les marchandises gauloises sont allées fort loin, au delà des frontières de l’Empire, jusque sur les bords de la Baltique et jusqu’au pied du Caucase. Cela suppose des agents ou des commissionnaires décidés et confiants. Il est douteux que les industriels gaulois qui les employaient ne les trouvassent point parmi leurs compatriotes. Lorsque, sous Domitien, les terres de Souabe furent ouvertes aux Romains, on vit aussitôt les Gaulois s’y précipiter en foule pour les exploiter à leur profit ; le désir de voyage et de prise n’avait donc pas disparu de chez eux.

Une autre cause morale surexcita la vie commerciale en Gaule, et celle-ci résidait, non dans l’âme du vendeur, mais dans celle de l’acheteur.

La Gaule en devenant romaine et Rome eu s’annexant le monde, donnèrent l’envie et la faculté de tout acheter[7]. Rien de ce que produisait l’Empire n’y fut inconnu de personne, tout homme put avoir le désir de le posséder, et si cher, si lointain que fût un objet, il se trouvait toujours un riche assez orgueilleux pour le convoiter, assez puissant pour l’atteindre[8]. Le plus riche et le plus avide de tous, et à qui nulle fantaisie ne paraissait interdite, c’était le peuple de Rome lui-même, qui avait en l’empereur son mandataire : quand il en voulait, on lui servait pour ses jeux des élans de la forêt hercynienne. En Gaule, les grands seigneurs ne savaient pas davantage se contenter d’un luxe facile et qui fût à portée : les plus belles marchandises étaient celles qui venaient du plus loin. Ce fut, du Rhin aux Pyrénées, une folie d’exotisme. Un propriétaire du pays de Langres, grand chasseur de bêtes sauvages, désire pour son tombeau un autel en marbre italien de Luna et une statue en marbre d’outre-mer, le meilleur qu’on puisse trouver, et ce mot, le meilleur possible, revient sans cesse à sa pensée quand il rédige son testament[9]. Du plus puissant au plus petit, de la plèbe du Colisée au pêcheur des Landes, se répand un pareil besoin de marchandises nouvelles, à la mode du jour. Si celle-là veut admirer, dans les jours d’exhibition, des bêtes extraordinaires, celui-ci demande pour sa table, non plus l’écuelle de bois, mais la vaisselle rouge et brillante à façon arrétine[10]. Et de ces deux courants qui ne s’arrêtent jamais et se touchent toujours, celui des voyageurs qui offrent et des désirs qui attirent, il résulte pour la Gaule le plus prodigieux mouvement de marchandises qu’elle ait connu avant le siècle actuel.

 

II. — IMPORTATION.

Des causes particulières favorisaient l’importation des marchandises du Midi et de l’Orient. C’était la présence, dans les métropoles de provinces et notamment à Lyon, de fonctionnaires impériaux, sénateurs, chevaliers, affranchis du prince, presque tous d’origine italienne ; et c’était aussi le séjour, en garnison sur la frontière du Rhin, de milliers de soldats, dont beaucoup, au début de l’Empire, venaient également d’Italie. Tous ces hommes étaient habitués au vin, à l’huile, au luxe ou aux produits du Midi. Le sénateur regrettait son falerne[11], le légionnaire ses olives et ses raisins secs[12] : mais, pour éteindre leurs regrets, les trafiquants italiens se trouvèrent à point nommé sur les marchés des grandes villes ou dans le quartier des cantines militaires.

Nous avons déjà indiqué, à propos des produits de la terre et des fabriques gauloises, ceux de l’étranger qui arrivaient leur faire concurrence. Qu’il suffise de les rappeler ici.

Les plus demandés étaient les produits alimentaires, le vin entre tous[13]. Dans la période où les vignobles gaulois furent réduits ou proscrits, on but sans doute du gros vin d’Espagne[14] ou d’Italie. Dans les temps de liberté, on rechercha quand même les crus célèbres des pays transalpins, et le falerne en première ligne, qu’on transportait dans des amphores cachetées et dont un grand seigneur se piquait d’avoir toujours dans sa cave. — Puis venait l’huile, qui était alors une des gloires de l’Espagne industrielle[15] : toute la Gaule était tributaire de sa voisine, et jusqu’aux bords du Rhin batave se montraient les amphores des huileries andalouses[16]. L’Italie et l’Afrique en envoyaient également, mais en quantité bien moindre[17].

En fait de matériaux importés, les premiers rangs appartenaient aux métaux de Bretagne et aux marbres du Midi. L’île expédiait, comme autrefois, l’étain de sa Cornouaille’, auquel s’étaient joints, depuis la conquête au temps de Claude[18], les lingots de plomb des mines impériales[19]. On recevait les marbres d’à peu près toutes les provinces méridionales, marbre blanc de Luna ou de Carrare dans la Ligurie italienne, marbre blanc de Paros en Grèce, marbre jaune de Chemtou en Numidie, et bien d’autres[20]. Au second rang se plaçaient les arrivages de cuivre espagnol, ressource des bronziers gaulois[21].

On répartira en deux groupes les objets fabriqués fournis par le dehors.

Les uns servaient surtout à l’usage commun, et ceux-là d’ordinaire étaient expédiés par des manufactures italiennes : telles étaient les lampes d’argile du potier modenais Fortis[22], les casseroles de bronze de Polybe le chaudronnier campanien[23], la vaisselle de table des céramistes arrétins Cneius Atéius ou Tettius Samia[24], pour ne citer que les marques les plus recherchées par les magasiniers de la Gaule. Ils demandaient beaucoup moins aux autres régions de l’Empire[25] ; tout au plus mettra-t-on en ligne de compte les aciers de l’Espagne celtibérique[26], les verroteries syriennes[27], les poteries barbotinées de l’Angleterre[28], le papyrus ou le papier d’Égypte. Le pays, en ces sortes d’affaires, cherchait le plus souvent à se passer du voisin. Il finit même, dès le second siècle de l’Empire. par n’avoir plus besoin des bronziers et des potiers transalpins, et l’importation des produits usuels, de l’article de bazar, comme nous dirions aujourd’hui, si intense d’Italie en Gaule au lendemain de la conquête, fut peu à peu arrêtée par un courant contraire.

Les objets d’art ou de luxe avaient pour origine les écoles de sculpture ou les ateliers d’orfèvrerie des vieilles cités méditerranéennes, où se perpétuaient des traditions séculaires, Rome, Carthage, Alexandrie, les villes de Syrie ou d’Asie Mineure. Vases d’argent aux fines sculptures, patères d’or, chefs-d’œuvre de verrerie historiée, gemmes, bijoux, ivoires, statues de marbre on de bronze, chacune de ces œuvres trouvées sur le sol de la Gaule[29] doit être longuement étudiée à part, si l’on veut déchiffrer le secret de sa naissance, la patrie et le style du lointain artiste qui l’a créée. !liais si cette étude ajoute d’utiles détails à l’histoire générale de l’art, elle n’intéresse que faiblement la vie économique et les destinées du commerce dans notre pays. Car l’importation de pièces de ce genre ne pouvait comporter de gros chiffres d’affaires : elle ne mettait en branle que les fonds de quelques riches, particuliers ou municipalités, et les courtages de quelques agents spéciaux.

On signalera à part, parmi ces objets de fabrique, les tissus de luxe, broderies d’or et d’argent et pièces de soie. L’Orient, l’Égypte surtout, en étaient les fournisseurs attitrés ; et on pensera volontiers que ces Syriens et ces Asiatiques, si nombreux en Gaule, furent les dépositaires des grandes manufactures orientales de tapis et d’étoffes. Car chacune de nos villes avait dès lors ses boutiques de Syriens ou de Juifs, comme elle les a toujours[30].

Il est probable du reste qu’ils vendaient bien d’autres choses, liqueurs, parfums, onguents[31], papier, et peut-être déjà les inévitables confiseries de toutes couleurs. Mais ces marchandises, beaux objets ou camelote, n’arrivaient point toujours directement d’Orient en Gaule[32] : beaucoup passaient par les fabriques ou les entrepôts de Rome ou de Campanie[33].

 

III. — EXPORTATION.

L’exportation est plus intéressante à étudier : elle porta sur des objets plus divers, elle s’adressa à des pays très différents, et elle nous permet de mieux apprécier le monde économique de la Gaule dans le monde romain.

Ce fut l’Italie à qui elle rendit le plus de services, vendit le plus de choses[34]. C’était, des régions de l’Empire, la plus voisine de la Gaule, et reliée à elle par les meilleures routes. En outre, les marchandises de nos pays transitaient d’ordinaire par Rome ou ses filiales. Ostie ou Pouzzoles[35]. Enfin, l’Italie possédait les plus riches consommateurs de l’Empire, le sénat, les affranchis, la plèbe et les princes.

Ce qu’elle demanda à la Gaule, ce furent d’abord les êtres et les produits rares, les curiosités et les spécialités du Nord et de l’Occident, destinés à satisfaire la vanité des puissants ou la badauderie du populaire. Pour celui-ci, les bêtes sauvages des forêts de Belgique. Pour ceux-là, les chevaux et les mulets[36] de ses haras au renom séculaire, les chiens de citasse des chenils celtiques, que la poésie romaine se chargeait de célébrer[37] ; certains vins étranges de la Narbonnaise, auxquels elle ne dédaignait pas non plus de consacrer ses vers[38] : et puis, les foies d’oies du Boulonnais ou de l’Artois[39], les jambons de l’Est ou la charcuterie du Midi, des huîtres choisies sur tous les rivages des deux mers, les beaux poissons des grands fleuves, les gibiers rares des Alpes, les asperges ou les légumes inédits des provinces rhénanes, les fromages des Cévennes et des Alpes, les saumures des côtes provençales[40]. — On voit que, dans cet apport de luxe, l’aliment prend la place principale[41].

Voici maintenant la catégorie des produits qui s’exportent en quantité, à destination du gros public ou, si l’on préfère, de la place de Rome. Nous y retrouvons les salaisons de porc sous les formes les plus communes, et aussi les vins ordinaires ; nous y voyons les blés du Midi et les huiles de Provence ou de Languedoc[42] : ajoutons l’absinthe de Saintonge, vermifuge à l’universelle popularité, et les matelas de Langres ou de Cahors, dont tout le inonde finit par vouloir. Mais ce qui constitue en Italie les principaux stocks de marchandises exportées de Gaule, ce sont les cuirs, draps et vêtements de laine à l’usage du commun peuple et de l’armée[43].

Produits de luxe ou produits vulgaires, lainages, conserves ou vins, tout cela, en dernière analyse, vient du sol de la Gaule, résulte de la richesse de ses cultures et de la splendeur de son bétail. C’est donc surtout comme pays agricole qu’elle servit à l’Empire, et c’est par le travail de sa terre qu’elle draina vers elle l’or et l’argent monnayés de Rome et de l’Italie[44].

Je ne puis me décider à attribuer, dans le commerce extérieur de la Gaule, un rôle considérable à ses manufactures, verreries, poteries ou ferronneries : je ne parle en ce moment que des exportations du côté de l’Italie. Leurs produits se heurtaient, au delà des Alpes, à trop de produits similaires, meilleurs ou à meilleur compte, et connus de longue date. Que l’on trouve çà et là, à Pompéi et ailleurs, des débris de vaisselle rutène ou gabale, ce peut être le résultat de quelque fait accidentel, des marins d’Arles, ou de Narbonne troquant leur vaisselle de bord, un essai fait par le commerce transalpin ou un lut de poteries utilisé comme fret de retour. J’hésite à croire à des envois réguliers faits sur les marchés d’Italie par les potiers et les quincailliers de la Gaule[45]. De Rodez à Ostie ou à Pouzzoles, ce qu’ils pouvaient adresser aurait coi té gros en frais de transport et de transbordement : la lutte n’était point possible avec les marchandises similaires fabriquées et embarquées tout à la fois sur les côtes d’Espagne- ou de Campanie[46].

Les choses se présentaient autrement, pour les industriels gaulois, au delà de la Manche en Bretagne, au delà du Rhin en Germanie, dans ces marchés de Barbares que les victoires ou la crainte de Rome ouvraient aux négociants provinciaux. Là, le manufacturier de Gaule, j’entends le potier ou le quincaillier qui produisait et  vendait à la grosse, n’était gêné par aucune concurrence[47]. Il avait, sur ses rivaux italiens, l’avantage d’être le plus près, d’arriver toujours le premier, de connaître la langue et les habitudes des indigènes. Ce qu’il apportait, bijoux de pacotille, fibules, vaisselle, pouvait être méprisé du Romain ou du Grec : pour un Barbare, Belge de Bretagne ou Suève de Germanie, c’était objet nouveau et objet utile, et l’homme n’avait pas encore besoin de produits rares et d’œuvres d’art. Les Gaulois firent donc en Bretagne[48] et surtout en Germanie ce que les Européens font de nos jours dans leurs colonies d’Afrique : ils y expédièrent sans répit des cargaisons de leurs marchandises les plus vulgaires.

Dès que nous approchons du Rhin, nous apercevons en nombre des commissionnaires et des exportateurs, installés sur la frontière comme à des postes de combat. Voici, près de Cologne, un entrepositaire de draps pour l’exportation[49] ; à Cologne, un trafiquant en droguerie[50] ; à Bonn, un négociant en vins[51] ; près de Mayence, un marchand d’objets en argent[52] ; en Zélande, à Cologne, à Wiesbaden, en Souabe, sur toute la ligne des camps et des armées, des négociants en terre cuite, arrivés là, par terre ou par eau, avec leurs caisses pleines de figurines ou de vaisselle[53]. Si nous passons la frontière, nous trouvons, en plein pays barbare, les poteries, les fibules, les casseroles, la verroterie de Gaule qui circulent sur les pistes commerciales[54]. De bonne heure elles ont gagné l’arrière de l’Europe. Les vases du Rouergue ne se sont arrêtés qu’à la Baltique et à la Vistule[55] ; et les fibules de bronze du belge Aucissa ont pénétré plus loin encore, jusqu’au pied du Caucase[56], à l’endroit où les routes extrêmes de l’Europe confinent à celles de l’Asie[57].

Cette vogue des fibules d’Aucissa s’explique d’ailleurs fort bien. Chez tous ces Barbares, le manteau restait un vêtement national, et la fibule était son agrafe nécessaire. Aucissa, en se rendant maître en cette spécialité, savait bien ce qu’il faisait, et qu’il travaillait pour des millions d’hommes. La fibule était, depuis les siècles lointains de l’âge du bronze, le bijou essentiel des populations occidentales : l’habile Gaulois sut appliquer à ces traditions millénaires les procédés de l’industrie gréco-romaine et les avantages de la paix impériale. Il ressemblait à ces manufacturiers de Manchester qui fabriquent des myriades de quintaux de cotonnades destinées à former les pagnes des tribus africaines.

 

IV. — LA TRAITE.

Les marchands d’esclaves, à la différence des autres, exportaient et importaient tout à la fois.

Les gens de ce métier ne furent point inconnus de la Gaule indépendante. Il en était peut-être venu d’Italie même avant César, et, en tout cas, les Celtes en avaient vu de l’autre côté de leur frontière, à l’affût des hommes qui voulaient se vendre et des femmes qui se laissaient prendre. Avec les légions, les traitants arrivèrent, achetant après chaque bataille des milliers de prisonniers, et sans doute razziant souvent çà et là pour leur propre compte. De Gaule ils passèrent, aux côtés de César, en Bretagne et en Germanie, et ils y ramassèrent de belles cargaisons humaines, que leurs agents ramenaient en Italie pour la vente sur les marchés.

La paix romaine n’entrava qu’à demi cette sorte d’affaires, celle qu’on pourrait appeler l’acquisition de la matière première. D’abord il y eut encore quelques Gaulois qui, pressés par la misère, acceptèrent de se vendre[58]. Un Gaulois n’était point malheureux comme esclave : robuste, fidèle, habile, il devait être assez recherché dans les ventes[59] ; s’il arrivait à être acheté par l’empereur, il pouvait trouver son chemin dans les services de l’État ; s’il entrait dans la gladiature, sa fortune était assurée[60] ; dans les maisons particulières, la solidité de ses bras et la souplesse de sa démarche faisaient de lui un excellent porteur de litière, très apprécié des grandes dames et des oisifs de Rome[61] ; à la campagne, il devait à son expérience du cheval et du bétail d’être estimé un des meilleurs palefreniers de l’Empire[62]. Cela valait bien la honteuse misère d’une liberté précaire. Se vendre comme esclave, c’était une manière d’entrer en condition.

A défaut des Gaulois, il y avait les Germains. Ceux-ci ne manquèrent jamais[63] aux marchands d’hommes postés à la frontière[64]. Beaucoup, comme tant d’êtres de l’Antiquité, se vendaient eux-mêmes : un Germain, superbe de prestance, d’une docilité muette et aveugle, ne connaissant que le maître et la consigne, était, pour certaines besognes, un serviteur incomparable, et les premiers Césars n’eurent pas de meilleurs gardes du corps que ceux que l’Allemagne leur procura. Mais plus que la vente libre, la guerre fit affluer cette espèce dans les réserves d’hommes. La paix, sur la frontière, ne fut jamais continue : maraudeurs à pourchasser sur le sol romain, représailles à exercer sur le sol germanique, il ne se passait pas de lustre sans une fructueuse chasse à l’homme. La plupart des guerres contre les Frisons ou les Chattes, décorées par les historiens contemporains de noms triomphaux, ne furent à vrai dire que des entreprises désirées par les traitants, trop souvent les arbitres mystérieux des conseils de guerre[65].

La Gaule, en fait d’esclaves, achetait plus qu’elle ne vendait. Il lui fallait autant de serviteurs grecs que de bijoux orientaux. Ce riche Lingon qui voulait des marbres transmarins pour son tombeau, ne manquait pas d’avoir des esclaves d’origine hellénique[66]. Secrétaires, précepteurs, médecins, architectes, ouvriers d’art, toute la domesticité intellectuelle d’un grand seigneur lui était expédiée par la Grèce, deniers payés au marchand d’hommes[67].

Ceux de ces commerçants qui faisaient les meilleures affaires étaient les entrepreneurs de gladiature[68]. Les combats de ce genre, dont la Gaule entière raffola dès le début de l’Empire, exigeaient un personnel nombreux ; comme les taureaux des courses espagnoles, il se renouvelait sans cesse par la mort ; et le public, d’autre part, n’aimait pas à avoir toujours sous les yeux des combattants de même espèce. Il en exigeait de tout pays. A Nîmes, déjà passionnée pour les spectacles sanglants, on eut des murmillons venus du pays éduen, des rétiaires fournis par les Allobroges, des Espagnols, des Arabes et des Égyptiens[69]. Ces hommes ne formaient pas de petites bandes, comme le serait une troupe de comédiens : on les comptait par dizaines et centaines, puisqu’une fois les gladiateurs de la ville d’Autun tinrent tète à une armée romaine’. Les entrepreneurs qui les vendaient ou les louaient étaient donc des personnages d’importance, intelligents, habiles et redoutés entre tous les trafiquants de l’Empire.

C’est d’ailleurs la condition de la plupart de ces marchands d’esclaves. Il n’y a pas de négoce qui exige plus de relations dans les diverses provinces et des aptitudes plus variées. Ils ont à s’informer de tout et à répondre sur tout ; ils sont agents de recrutement, placiers en domestiques et en ouvriers, fournisseurs de troupes de spectacles et pourvoyeurs de lupanars ; ils pratiquent toutes les formes du courtage en hommes, et c’est à travers le monde entier qu’ils échangent les êtres humains. Vilenie du métier mise à part, ce fut le plus grandiose des trafics antiques.

 

V. — LE COMMERCE DE GROS.

La concentration et la dispersion de ces marchandises s’opéraient de façons différentes, d’ailleurs assez voisines des procédés commerciaux de notre temps.

La vente en Gaule des produits indigènes était confiée à des maisons de gros[70], épiciers, quincailliers, drapiers, entrepositaires de blés, de conserves ou de poteries, qui groupaient dans leurs magasins des produits de toutes marques pour les revendre aux détaillants, boutiquiers ou colporteurs[71]. Chacune de ces maisons devait avoir ses représentants attitrés, acheteurs ou courtiers à la commission ; et ceux-ci voyageaient à travers le pays pour se mettre en relation directe avec les producteurs, grands ou petits patrons d’usines, maîtres de domaines ou chefs d’ateliers domestiques[72]. Il va sans dire que ces maisons ne s’étaient établies que dans les principales places de commerce, Arles[73], Narbonne[74], Bordeaux[75], Trèves[76], Cologne[77], et surtout Lyon[78].

Pour les produits du dehors, il se constitua d’importantes maisons d’importation, qui se procuraient en Italie ou en Orient[79] les marchandises les plus diverses, et se chargeaient ensuite de les disperser chez les vendeurs locaux. La plupart de ces maisons étaient, je crois, à double façade, c’est-à-dire que, si elles importaient d’Italie, elles achetaient également en Gaule pour le compte de leurs correspondants italiens : elles faisaient la commission en tout genre, la nature de la marchandise et l’espèce d’affaire leur importaient peu, pourvu qu’il y eût affaire et qu’il y eût marchandise[80]. Comme de juste, c’était à Lyon que s’étaient installées les grandes entreprises de cette sorte, et elles y dataient minore des temps antérieurs à l’arrivée de César et de Plancus[81].

On en rapprochera les maisons de nautes ou d’armement fluvial et maritime qui s’étaient fondées à Lyon, à Arles et à Narbonne. Car elles ne se bornaient pas à armer des navires, elles achetaient sur place et elles concentraient les marchandises destinées à former le fret au départ[82], tandis qu’à l’arrivée leurs agents se chargeaient de constituer le fret de retour, marbres italiens ou bronzes de Campanie[83].

A la frontière du Rhin, en particulier à Trèves et à Cologne, d’autres chefs d’entreprises s’étaient réservé le monde barbare. De ce côté, le trafic se faisait de deux manières[84] : pour les tribus les plus proches, les marchandises s’échangeaient à des lieux de foires indiqués par l’autorité romaine[85] ; pour les peuples lointains, on recourait à des caravanes, guidées ou escortées par des hommes des populations amies. Il n’était point impossible que le légat de la province frontière fournît un centurion et quelques hommes de troupes afin de faire respecter le convoi : ce qui arrivait si l’entreprise pouvait rapporter quelque avantage à l’empereur ou à l’État. C’est ainsi que, sous Néron, une petite expédition commerciale partit des bords du Danube et arriva, à travers les terres inconnues de la Vistule, jusqu’aux fameux gisements de l’ambre baltique[86].

Ces grosses maisons, ces vastes entreprises exigent trop de capitaux, impliquent trop de risques et de périls, pour que l’accord entre les concurrents ne soit pas une condition nécessaire aux réussites. Sans pouvoir l’affirmer, on devine, dans le haut commerce de la Gaule, un désir d’entente, plus fort que les rivalités d’intérêts. Certains trafiquants ne travaillaient que pour une seule province ; certains produits ne sortaient pas d’une zone déterminée. Dans les plus grandes villes, les négociants se groupaient en syndicats suivant leur genre d’affaire, par exemple à Arles les armateurs maritimes, à Lyon les armateurs fluviaux et les marchands de vin. Dans les simples bourgades, tous les commerçants se réunissaient en vue d’assurer leurs besoins communs[87].

Il ne faut pas croire que ces besoins fussent toujours d’ordre moral, une prière aux dieux, un salut aux patrons, une flatterie aux princes. Si des marchands suppliaient la divinité ou adoraient l’empereur, soyons soirs que c’était surtout pour le succès de leurs entreprises. Ils ne pouvaient oublier le métier lorsqu’ils se trouvaient ensemble. Les armateurs d’Arles ont écrit aux bureaux de Rome une lettre collective afin de se plaindre de poursuites et d’évaluations abusives. Ces syndicats mi ces corporations, c’étaient déjà des chambres ou des bourses de commerce[88].

On serait tenté de croire que toutes ces maisons de gros ou de commission avaient été fondées par des étrangers, ainsi qu’il arrive le plus souvent dans les colonies des États européens. Il y en eut assurément plusieurs dans ce cas, créées et dirigées par des Italiens ou des Orientaux, et en particulier pour le trafic avec les pays de delà les Alpes ou la mer Intérieure[89]. Mais le plus grand nombre de ces négociants étaient des indigènes, adaptés avec une merveilleuse aisance aux pratiques du commerce méditerranéen[90]. La Gaule offrit, à cet égard comme à tant d’autres, l’extraordinaire spectacle d’une nation conquise qui prend aussitôt les habitudes de ses vainqueurs, pour leur disputer les bénéfices de la terre vaincue[91].

 

VI. — LES DÉTAILLANTS.

Au-dessous de ces maisons de gros, les boutiques de débitants étaient innombrables[92]. La vente au détail fut, dans les premiers siècles de notre ère[93], très importante, très prospère et très variée. Il faut attendre le dix-neuvième siècle pour trouver en Gaule une telle proportion de détaillants, boutiquiers, ambulants de villes, colporteurs de marchés, gagne-petit de tout genre. Rien de pareil n’avait existé aux temps plus anciens, lorsque l’industrie ne travaillait guère que pour une aristocratie. Maintenant, dans ces grandes villes populeuses, pleines d’ouvriers, de bourgeois et d’étrangers, lors de ces jours de spectacle où des milliers de plébéiens et de paysans se pressent à travers les rues et les places, il est bon que mille échoppes, mille éventaires viennent s’ouvrir ou s’offrir aux besoins, à la curiosité et à l’appétit de la multitude[94].

Devant ces boutiques comme devant les maisons de gros, nous sommes frappés du même fait, c’est que des indigènes les tiennent d’ordinaire et qu’ils les ont remplies de choses du pays. Le spectacle ne rappelle pas ces innombrables magasins de produits importés, ces bazars de tontes dimensions que les Français installent dans leurs villes d’Afrique. Chez les Celtes et les Belges, à Bordeaux, à Sens, à Trèves, c’est presque toujours le Gaulois qui occupe la rue de ses devantures et de ses marchandises : j’excepte, bien entendu, les inévitables baraques d’Orientaux. Le plébéien gaulois a su imiter son patron : celui-ci s’est fait industriel et négociant, et celui-là, débitant. A tous deux la défaite a ouvert un nouvel horizon de vie, et ils l’acceptent.

Les plus riches d’entre les débitants étaient ceux qui avaient boutique sur rue : bouchers avec leurs quartiers de viande suspendus à d’énormes crochets, avec leur étal où repose le grand couperet quadrangulaire[95], tailleurs dont les piles de draps s’entassent sur les banques massives[96], fruitières armées de la balance romaine, insigne de leur travail[97], boulangers et pâtissiers avec leurs pains et leurs gâteaux en étalage[98], marchands de vins et de comestibles devant leurs pichets alignés sur les comptoirs en rangée décroissante, ou leurs boudins se balançant aux planches des étagères[99], sabotiers[100], vanniers[101], un peuple de petits magasiniers s’allongeait aux rez-de-chaussée des maisons ou à l’arrière des portiques des édifices publics. A les voir dans les bas-reliefs qui les représentent, cela nous rappelle nos bonnes villes de province d’il y a soixante ans, Nîmes au quartier de l’Horloge, Bordeaux aux Fossés de l’Hôtel-de-Ville, Arras à la Grande-Place.

En temps de marché, les bancs et les tentes se dressaient sur les places, les vieux tapis s’étendaient à terre, et la marchandise remplissait tout. Ces jours-là le paysan, qui devenait le vrai maître du lieu, apportait ses légumes et ses bêtes, achetait ses outils et ses cagoules. Mais à quoi bon décrire un spectacle que nous pouvons voir, toujours pareil malgré les années, et souvent sur les mêmes foirails, par exemple à la grande place de Cassel, demeurée, depuis plus de vingt siècles, le rendez-vous périodique des paysans ménapes ou flamands ?

Il y a enfin, alors comme aujourd’hui, le marchand ambulant des grandes villes, qui pousse son charreton[102] ou soutient sa corbeille suspendue au cou, criant à tue-tête sa marchandise : Les pommes, Mesdames, les pommes, cri éternel du marchand des quatre-saisons, que Narbonne, à chaque fin d’automne, commençait à entendre dans ses rues et qu’il y entend sans doute encore[103]. — Car, avec l’aspect de ces rues de villes gallo-romaines, il faut aussi se représenter leur tapage : ces appels impérieux du marchand qui passe se mêlaient aux chants discordants des oiseaux dans la boutique de l’oiselier[104], au bruit cadencé du marteau de la forge[105], aux grincements de l’outil du sabotier, aux bavardages des barbiers et de leurs clients[106], aux clameurs des buveurs attablés dans la taverne voisine[107], au pétillement des flammes dans les cheminées des rôtisseurs[108].

Aucun de ces détails n’est d’hypothèse. Non seulement nous savons l’existence de ces humbles commerçants, mais nous pouvons les regarder eux-mêmes, figurés en relief sur leurs pierres sépulcrales. Ces débitants et ces colporteurs n’étaient point des gens très riches : ils tenaient pourtant à avoir leurs tombeaux et, au-dessus, leurs images ; ils voulaient, par ces images, reparaître comme ils avaient gagné leur vie, en costume et besogne de leur métier. Si modestes qu’elles fussent, de telles professions n’inspiraient aucun mépris, et le boutiquier était fier, devant les hommes et devant les dieux, d’avoir tenu boutique : et c’est là, après tout, un noble sentiment d’orgueil professionnel, que nous retrouverons dans les beaux temps de la bourgeoisie française.

 

VII. — PRATIOUES AUXILIAIRES DU COMMERCE.

Petits et gros commerces devaient aux institutions d’Empire le principal de leur prospérité : unité monétaire, concordance des poids et mesures, fiscalité connue et régulière, uniformité des pratiques du droit commercial, toutes les règles de l’administration publique étaient de nature à rendre les transactions faciles et sûres.

Depuis le milieu du premier siècle, il ne circule plus en Gaule que des monnaies d’État, pièces d’or, deniers d’argent, as de bronze avec ses multiples et ses sous-multiples. Toutes les espèces fabriquées suivant ce système par les ateliers publics eurent également cours légal et cours forcé. Mais en vue de faciliter l’approvisionnement du pays en numéraire, on avait créé une Monnaie à Lyon ; elle frappa surtout du bronze, et dut rendre par là de particuliers services au petit commerce du pays, à ces vendeurs au détail dont nous venons de parler, et dont l’Empire, je crois, ne méconnut jamais les mérites ou les intérêts.

Le système romain des poids et mesures fut également imposé à la Gaule dès le lendemain de la conquête : les milles sur les routes[109], les pas et les pieds dans l’arpentage[110], les pieds dans la bâtisse[111], les livres pour les gros poids[112], les onces en orfèvrerie[113], et en droguerie les boisseaux[114], les setiers[115] et les amphores[116] pour les grains et les liquides, furent les mesures courantes, toutes suivant les étalons réglés à Rome. Mais je doute d’une proscription absolue des systèmes indigènes : le commerce exit pâti plutôt que profité à des violences administratives. On dut tolérer différentes mesures du pays, et quelques-unes même, comme la lieue, parurent plus tard si commodes que l’État finit par les préférer dans certains cas aux siennes propres. Ce ne fut point d’ailleurs sans les modifier légèrement, de manière à établir entre elles et les mesures latines un rapport rigoureux, une proportion facile à retenir : la lieue, par exemple, fut fixée à un mille et demi[117].

Les droits de circulation que prélevait sur les marchandises, deux et demi pour cent à l’entrée en Gaule, un pour cent en cas de vente, cinq pour cent dans les ventes d’esclaves[118], n’étaient point fort onéreux, et une pratique assez conciliante empêchait que la perception n’en devint une cause de gène : c’est ainsi que les marchandises d’Afrique ou d’Italie, destinées aux entrepôts de Lyon, étaient plombées au départ et n’étaient plus ouvertes qu’à l’arrivée, au moment d’acquitter les droits : ce qui évitait tout retard dans le transport, et ce qui garantissait à la fois le fisc contre la fraude et le commerce contre le vol en cours de route[119]. — Nous sommes beaucoup moins renseignés sur les droits locaux, octrois, taxes de quai, de magasinage, de plaçage ou de vente. Je suppose qu’ils ne furent point très élevés : les villes de Gaule, qui ne faisaient que de naître, avaient tout intérêt à attirer les marchands et à garnir leurs lieux de foires.

Toutes ces transactions, surtout dans les faits de transport, de commission, de transit, de vente en gros, ne se passaient pas sans beaucoup d’écritures, sans un système chirographaire[120] aussi compliqué que le nôtre : bordereaux[121], quittances, lettres de voiture[122], connaissements en douane, chèques mandats et lettres de crédit, contrats d’emprunt sur marchandises, effets de commerce à courte et longue échéance[123], protêts et actes de saisie. Il n’est aucune de ces pièces ne donnât au détenteur le droit d’intenter une action publique, suivant les cas devant le juge municipal ou au tribunal du gouverneur de province.

 

VIII. — LES MANIEURS D’ARGENT.

Ces accessoires indispensables de l’achat et de la vente, monnaies, poids, mesures, contrats, pièces écrites, amenèrent l’entrée en scène des auxiliaires commerciaux, arpenteurs ou géomètres, peseurs et jaugeurs attitrés[124], greffiers, prud’hommes et écrivains publics, courtiers, assureurs, encaisseurs, comptables, receveurs de rentes, recouvreurs de créances[125], notaires, et surtout les manieurs d’argent, qui étaient les changeurs ou les banquiers[126].

Ces derniers étaient, en ce genre de métier, les plus nombreux, les plus actifs, et parfois les plus malhonnêtes. La force des choses est telle, que le présent, sur ce point, ne fait que répéter le passé. Ces banquiers de l’ancienne Gaule faisaient, comme ceux du Moyen Age et de maintenant, toutes sortes d’affaires, dont l’escompte et le recouvrement étaient les moins avantageuses. Ils avaient, les jours de marché, leurs comptoirs sur la place, et se chargeaient du change de la monnaie[127]. On se servait d’eux, je pense, pour courtiers en immeubles, en fret, ou en marchandises. Eux seuls avaient les capitaux qui permettent de longs crédits : ils étaient la ressource du commerçant aux abois, et il leur arrivait male souvent de prêter aux municipalités[128]. Car sous ce nom de banquiers, nummularii, il y avait les conditions les plus diverses, depuis le changeur it. ligure interlope qui s’installe dans les foires de campagne ou aux impasses des villes, jusqu’aux puissants directeurs des maisons de crédit industriel ou de banque hypothécaire, arbitres des affaires à Lyon, à Trèves ou à Narbonne.

Ces hommes d’argent, à la différence des vrais commerçants, étaient le plus souvent des Italiens[129], tout comme les banquiers lombards ou florentins de nos villes médiévales. Le malheur pour la Gaule, au commencement de sa vie romaine, fut qu’elle sollicita l’aide de ces étrangers, qu’elle n’eut pas le courage de se passer des courtiers en numéraire. Propriétaires pressés de se bâtir de somptueuses villas, industriels désireux d’agrandir leurs fabriques, villes neuves surexcitées par la fièvre d’une croissance rapide[130], en proie les uns et les autres à la passion de la pierre ou du marbre, ne résistaient point aux tentations de la banque voisine[131]. Les changeurs se montraient à eux avec leurs caisses pleines de ce métal qui réalisait toutes les espérances : sûrs qu’ils étaient de l’appui des tribunaux contre des débiteurs indigènes, ils consentaient aux plus larges avances. Qu’elles fussent ou non remboursées, le banquier ne perdait jamais rien : à défaut d’or, il avait l’hypothèque, le droit de saisir la terre, revenus et capital. Et comme il exerça toujours ce droit, et jusqu’au bout, la ruine était presque inévitable pour son débiteur[132]. Après la conquête par le légionnaire, la Gaule subit l’exploitation par l’usurier italien[133].

Ces manieurs d’argent n’étaient point toujours de vilaines gens. Le père de Vespasien, un Italien de la Sabine, grand personnage, ancien fermier général dans la province romaine d’Asie, s’était installé chez les Helvètes comme banquier, et il y compléta honnêtement sa fortune[134]. Car, honnête ou non, le banquier italien s’enrichissait toujours, et d’ordinaire au détriment du pays.

On a vu[135] les misères et les séditions qui résultèrent de cela sous les premiers empereurs. Le mal s’apaisa ensuite, et, la longue crise de croissance une fois terminée, la Gaule put jouir normalement du bien-être et de la richesse[136] créés, souvent au prix de leur ruine, par les pionniers de la première heure.

 

 

 



[1] Cf. Sénèque, Natur. quæst., V, 18, 4 : Omnibus inter se populis commercium.

[2] Chapitres I, II, III ; puis chapitres V et VI.

[3] Il ne faut pas oublier l’importance de l’élément grec en Campanie.

[4] Tome I, ch. VIII.

[5] Cf. de Joinville, L’armateur Balguerie-Sluttenbery et son œuvre, 1914.

[6] Car le goût des entreprises lointaines s’est certainement assoupi plus tard chez les Gaulois.

[7] Omnia peragre emuntur, dit un Italien du Milanais (Pline, Ep., IV, 13, 5).

[8] Cf. Sénèque, De beneficiis, VII, 9.

[9] C. I. L., XIII, 5705 : Statua... marmorea ex lapide quam optumo transmarino [africain ou grec], vel ænea ex ære tabulari [le bronze dont on fait les tables des documents publics] quam optumo... Lectica et II subsellia ex lapide transmarino... Ara ex lapide Lunensi quam optimo... Cludatur id ædificium lapide Lunensi.

[10] On a trouvé, par exemple, un vase signé Vibii aux environs de l’ancien poste des Douanes dit du Sud vers Arcachon (Durègne, Extraits des Comptes rendus de la Soc. Linnéenne de Bordeaux, 1807, p. III). Remarquez qu’il s’agit peut-être d’un bon potier d’Arezzo (XIII, 10009, 290-300).

[11] Cf. C. I. L., XIII. 10004, 3, cf. 2 et 4 ; Riese, 4551 (mentions de vins italiens sur des amphores trouvées en Gaule).

[12] Cf. XIII, 10004, 4-5, mentions d’olives ou d’huile sur des amphores : dans cet ordre d’idées, un des produits qui s’importait le plus sur le Rhin, sans aucun doute pour les soldats d’Italie, était les olives noires conservées dans du vin cuit, olivæ nigræ ex defruto (Riese, 4554-5), sans que nous sachions si elles viennent d’Italie, d’Espagne, d’Afrique ou même de Narbonnaise. C. I. L., XIII, 10004, 13 (duracina [sicea ?] sur une amphore).

[13] Le centre du commerce du vin, au moins pour les Trois Gaules, est à Lyon.

[14] L’importation du vin d’Espagne sur les bords du Rhin peut résulter des marques d’amphores d’origine baigne (cf. XIII, 10004, I ; Riese, 4536) : mais les récipients ont pu contenir de l’huile et non du vin.

[15] Le centre du commerce, tout au moins de l’huile de Bétique, était également à Lyon. Peut-être y avait-il aussi des entrepôts d’huiles d’Espagne à Arles et à Narbonne.

[16] De Cordoue un peu partout en Gaule et sur le Rhin (10002. 14 et 46) ; d’Hispalis, Séville (id., 362 ; 10004, 1) : d’Astigi, Ecija (101102, 53) : ces trois villes sont de la province de Bétique. — Ajoutez sans doute l’importation des fameuses saumures de Carthagène et de Cartéia : negotiator muriarius à Lyon (XIII, 1966).

[17] D’Hadrumète à Lectoure ? (10002, 20) ; de Rome à Périgueux ? (10005, 8). — Mais il y avait aussi, en cette matière, la concurrence gauloise. — On importait aussi peut-être des olives et des raisins secs (p. 323, n. 3). — On devait importer des oranges (Ausone, Epist., 6), d’Espagne, d’Afrique, de Sicile ou d’Italie.

[18] Pline, XXXIV, 164.

[19] Lingots de plomb de Bretagne (du temps de Septime Sévère) trouvés près de Chalon (XIII, 2612), à Lillebonne (3222).

[20] En Belgique et ailleurs, on a relevé, outre ces trois marbres, essentiels en Gaule, la serpentine verte d’Égypte, la lieur de pécher d’Illyrie ou d’Épire [le Molossium du Bas Empire ?], le noir de Proconnèse [blanc à veines noires ? Ou noir de Cyzique ? : cf. Paul le Silentiaire, Descr. S. Sophia., p. 576], sans doute aussi le marbre blanc à veines violettes de Synnada en Phrygie (Docimenura) ; Ann. de la Soc. d’Arch. de Bruxelles, XIX, 1905, p. 345 et s. ; Blanchet, Décoration, p. 9. A propos des colonnes de marbre dans les thermes de la villa de Bourg sur Dordogne, Sidoine énumère les marbres qu’on devait importer en Gaule (Carmina, 22, 137-141) : Cedat puniceo pretiosus livor in antro Synnados [Docimenum], et Nomalum qui portat eburnen saxa collis [Chemtou], et herbosis quæ vernant marmora venis [serpentine verte d’Égypte ?] ; candentem jam nolo Paron [blanc de Paros], jam nolo Caryston [cipolin, blanc veiné de vert, de Carystos en Eubée] ; vilior est rubro quæ pendet purpura saxo [porphyre rouge d’Egypte ?]. Fontaine en marbre de Paros à Bordeaux, Ausone, Urbes, 148 ; Capitole de même matière à Narbonne, id., 120. Il est possible d’ailleurs que ces poètes aient mis à tort et à travers des noms de marbres célèbres. — On a supposé que les entrepreneurs de Gaule adressaient leurs commandes à des entrepositaires de Rome.

[21] Cf. Pline, XXXIV, 4 ; Strabon, III, 2, 9. — Ajoutez les importations d’or (des pays du Danube ?), d’argent (d’Espagne ?). — L’importation du soufre, dont on se servait en médecine, en vinification et surtout dans l’apprêtage des tissus, peut expliquer les rapports suivis avec la Sicile.

[22] Je dis Fortis et autres, du même pays.

[23] Polybe et autres.

[24] Et aussi des céramistes de Pouzzoles et de cisalpine.

[25] Ajoutez les briques. Je ne tiens pas compte des amphores de terre cuite, des verres à parfums, et autres objets n’ayant été importés que comme récipients — Importations d’Afrique en général.

[26] Supposé à cause de la présence à Bordeaux de gens de Bilbilis et de Turiasso (XIII, 612 et 586) ; un autre Espagnol, de Curnonium, à Bordeaux (XIII, 621). Il s’agit de trois villes de la région de l’Èbre.

[27] XIII, 10025, 1 (coupes d’Artas, verrier de Sidon).

[28] Surtout après le second siècle et dans les régions du Nord. Dédicace signée d’un negotiator cretarius Britannicianus, adressant un ex-voto au temple de Néhalennia en Walcheren (XIII, 8793) ob merces bene conservatas dans le transport d’Angleterre aux rivages de la Germanie Inférieure.

[29] Cf. t. VI, ch. III.

[30] Surtout à Lyon.

[31] Turarius à Narbonne (XII, 4518) ; unguentarias à Die (XII, 1594), à Lyon (XIII, 2602 ; VI, 9298) ; negotiator seplasiarius à Cologne, Narbonne, chez les Rèmes ; etc.

[32] Il y avait des vaisseaux prenant charge à Alexandrie pour la Gaule, et inversement.

[33] Les vases à parfums de la Gaule (XIII, III, 10025 c, p. 659-661) sont de fabrique italienne. Remarquez les marques d’Euhodia et des Firmii Hilarus et Hyla. Le centre de la droguerie et parfumerie (seplasiarii) est à Capoue.

[34] Nous ne pouvons rien indiquer de précis sur les exportations de Gaule en Espagne (sauf pour la céramique) et en Afrique, encore qu’à Narbonne on prit charge directement pour ce dernier pays. Vaisseaux chargeant à Narbonne pour l’Égypte.

[35] Rapports directs de Lyon avec Pouzzoles (XIII, 1960), d’Arles avec Ostie ou Rome, de Narbonne avec Rome et Ostie, de Narbonne avec la Sicile (cf. Ausone, Urbes, 125).

[36] Je pense surtout au Dauphiné.

[37] Outre le poème de Gratins, outre les vers de Martial, de Silius, d’Ovide, voyez l’épitaphe métrique de la chienne Margarita à Rome (C. I. L., VI, 29896) : Gallia me genuit. Le chien Amianaracus à Rome (29893) semble porter un nom gaulois.

[38] Surtout Marseille, Vienne et Béziers.

[39] Est-ce un négociant de ce genre que le Marinus mort à Rome (VI, 29692) ?

[40] Antibes et Fréjus.

[41] Tout a fait à titre d’exception, on parait avoir exporté de beaux marbres de Gaule.

[42] C. I. L., XV, 3914-5, 3863-73.

[43] De cette exportation des manteaux celtiques est inséparable celle des fibules de bronze de style gaulois, et notamment de celles d’Aucissa, répandues à Rome et en Toscane (XIII, 10027, 107).

[44] Cf. Josèphe, De b. J., II, 16, 4.

[45] Sauf le cas des fibules et de certains petits bronzes accompagnant peut-être des exportations de harnais et de chevaux.

[46] Nous nous séparons sur ce point, non sans hésitation, de Déchelette (Céram., I, p. 91-116), qui attribue une grande importance aux découvertes, à Rome et à Pompéi, de vases de potiers gaulois (presque exclusivement rutènes, et notamment de Mommo de La Graufesenque : XI, 8033, 27 ; XV, 5355). Ce qui m’a empêché de regarder ces faits d’exportation autrement que comme épisodiques, c’est, outre les raisons économiques exposées ici, la constatation que les potiers arvernes n’ont rien laissé au delà des Alpes, et que Pline, Martial et Juvénal, qui parlent si nettement et si souvent des poteries d’Arezzo et de Sagonte, sont muets sur celles des Gaules. Il a pu y avoir simplement un mouvement d’affaires occasionnel, via Narbonne, entre La Graufesenque et Ostie ou Pouzzoles. — Les mêmes poteries rutènes se sont rencontrées sur la côte orientale d’Espagne (Déchelette, id., p. 111) et en particulier d’Ampurias (Cazurro, Annari de l’Institut d’Estudis Catalans, 1909-10). Mais, si difficile qu’il soit de connaître les vases de Sagonte (voyez les remarques de Cazurro), je doute que ceux du Rouergue aient pu venir leur faire concurrence en Espagne même (cf. Pline, XXXV, 160-1). — La manufacture gabale de Banassac n’est représentée hors de Gaule que par un vase conservé à Naples et qu’on dit venir de Pompéi (Déchelette, I, p. 128). — Jusqu’à nouvel ordre, les arguments archéologiques ne peuvent prévaloir contre les textes et la nature des choses, d’autant plus que Pline tient à parler ici des produits qui s’exportent en grand, hæc quoquæ per maria terras ultro citro portantur. — Et il n’y a pas à objecter que les exportations de Gaule ont pu se produire après le Ier siècle, puisqu’on allègue surtout des objets trouvés à Pompéi.

[47] Sauf, en Bretagne, dans la mesure où se fondèrent, pour concurrencer la Gaule, des entreprises de bronze ou de céramique (ce qu’il importerait d’étudier) ; voyez par exemple la céramique de Castor, qui s’importa en Belgique, mais sans doute après Septime Sévère.

[48] Nous manquons trop de renseignements précis sur la Bretagne pour pouvoir y évaluer l’importance du commerce gaulois. Toutefois, Déchelette a eu raison d’y noter l’importation régulière des poteries de La Graufesenque et de Lezoux (Céram., I, p. 112-3) ; voyez en dernier lieu le Catalogue of the Roman pottery du British Museum, 1908 : on a aussi noté celle des poteries de Rheinzabern. On doit y joindre celle des fibules de bronze d’Aucissa (XIII, 10027, 107). Il est bien difficile de ne pas supposer aussi une forte importation de vins. — Les textes mentionnent mercatores Gallicani en Bretagne (Pan. Constantio = Pan. Lat., V[VIII], 12), copia negotiatorum à Londres (Tacite, Ann., XIV, 33).

[49] Negotiator vestiarius importator [en Germanie ?], à Stockum dans le pays de Neuss (XIII, 8568).

[50] Seplasiarius, XIII, 8354.

[51] Negotiator vinarius, XIII, 8105. — Cependant, contrairement à Willers (Die R. Bronzeeimer, p. 200-1), je ne crois pas à l’importance du commerce du vin en Germanie. Tacite (G., 23) ne le signale que pour les riverains du Rhin, et depuis Domitien au moins je pense qu’il y a eu interdiction de l’exporter, comme cela fut sous le Bas Empire (ici, n. suivante).

[52] Argentarius, XIII, 7247. Cela s’explique par le goût des Germains pour les vases d’argent, et il semble bien que, pour ne pas avoir à exporter de l’or, les légats et les empereurs ne voulussent envoyer comme présents aux chefs barbares que des vases d’argent (Tacite, G., 5). — Le negotiator gladiarius de Mayence (XIII, 6677 ; c’est un ancien soldat) a pu, sans doute sous des conditions déterminées par l’autorité publique, vendre des épées aux Germains : on a du reste découvert au delà du Rhin bon nombre d’épées de fer signées de fabricants romains ou gallo-romains (trouvaille de Nydam en Schleswig, XIII, 10036, 36-43). Mais il est impossible que l’exportation des armes ne fût pas interdite en principe. — Les défenses d’exporter hors du territoire romain portaient, au IVe siècle, sur l’or (C. Just., IV, 63, 2 ; Tacite, Germ., 5, ne précise pas à ce sujet), sur le vin, l’huile et les liqueurs (IV, 41, 1), sur les armes offensives et défensives (IV, 41, 2 : défense même était faite d’en vendre aux Barbares en mission dans l’Empire).

[53] XIII, 8703, 8350, 7588, 6366, 6524. Les poteries de Bretagne (8793) venaient faire concurrence sur ces marchés à celles de Gaule.

[54] XIII, III, p. 761 et s. Le nombre des negotiatores artis eretariæ qu’on trouve à la frontière (n. précédente) s’explique sans doute par l’importance particulière du commerce des poteries dans les pays germaniques. — Le travail d’Engelhardt, Mémoires de la Soc. roy. des Antiquaires du Nord, n. s., 1872-7, est à compléter.

[55] XIII, 10036. 44. — Pour la chaudronnerie, la concurrence faite aux produits de Gaule par le Campanien Polybe a été d’abord très puissante sur les marchés de Germanie : ce qui est un des faits notoires du commerce antique. Dans l’ensemble, ce sont les ustensiles de bronze qui paraissent s’être le plus répandus en Germanie, ensuite la verroterie, puis la céramique. Voyez les deux travaux de Willers, Die Rœm. Bronzeeimer, 1901, p. 191 et s. ; Neue Untersuchungen, 1007, p. 30 et s., 45 et s., etc.

[56] XIII, 10027, 107.

[57] Il est possible que les produits d’Aucissa soient arrivés dans cette région par l’Asie Mineure ou par les négociants des ports du Bosphore Cimmérien et de la Tauride. On dit en avoir trouvé dans les ruines de Troie romaine.

[58] Cf. Grégoire de Tours, VII, 45 (sous les Mérovingiens) ; Tacite, Ann., IV, 72 (Frisons sujets de l’Empire, qui vendent femmes et enfants). Sur la vente des enfants, cf. Code Just., IV, 43, 1 ; C. Théod., V, 8, 1.

[59] Je dois dire qu’en dehors des populations gauloises il y a fort peu d’esclaves à noms celtiques, mais on pouvait changer les noms. Des esclaves ou affranchis d’origine gauloise ou gallo-romaine, mais tous à noms grecs ou latins, sont signalés à Augsbourg (C. I. L., III, 5831, origine biturige), à Turin (V, 7046, origine viennoise), à Cliternia dans l’Italie centrale (IX, 4172, natione Gallus), à Rome (VI, 10127 : il s’agit de la jeune actrice Phœbé, du pays des Voconces) ; quant à l’esclave de race gauloise dont il est question dans un papyrus d’Égypte de 350 ap. J.-C., son nom, Άργουτις, n’est assurément pas celtique (Hermès, XIX, p. 419).

[60] Cf. t. VI, ch. IV : un murmillon éduen (XII, 3325) et un rétiaire allobroge (XII, 3327), leur origine servile est douteuse ; mirmillo tongre, affranchi ?, VI, 33977.

[61] Ceci dit dans la mesure où l’on peut appliquer à des Belges les textes de Tertullien et de Clément.

[62] Varron, Res r., II, 10, 4 : Ad pecuariam... Galli adpositissimi, maxime ad jumenta.

[63] Il serait cependant possible qu’à des moments de crise des empereurs se soient défiés des esclaves germains en service dans l’Empire : cf. Suétone, Aug., 49 ; Dion, LVI, 23, 4. — Il est probable que les esclaves d’origine germanique changeaient de nom, ce qui rend difficile de les reconnaître dans les inscriptions.

[64] Mango à Cologne, d’origine italienne (XIII, 8348), marchand d’esclaves plutôt que maquignon.

[65] Voyez la Rissula d’Ausone.

[66] C. I. L., XIII, 5708 (si du moins les noms font preuve).

[67] Venaliciarius Græcarius à Nîmes ; XII. 3349. Mommsen interprète gregarius, marchand d’esclaves en gros ; mais la lecture est certaine et l’inscription est bien rédigée et bien gravée (Mazauric).

[68] Negotiator familiæ gladiatoriæ à Arles ; XII, 727. Il n’importe, pour ce que nous disons ici, que les gladiateurs fussent des esclaves ou des engagés volontaires, nés libres ou affranchis.

[69] C. I. L., XII, 3323-32.

[70] Voyez les inscriptions de negotiatores et d’industriels citées plus bas, à Narbonne. — Il est probable que certains de ces negotiatores étaient également des fabricants, l’expression de negotiator étant très générale et à peu prés l’équivalent de notre mot de commerçant, elle pouvait s’appliquer à des charcutiers aussi bien qu’à des constructeurs de navires. Il est possible, inversement, que beaucoup de ces industriels, limarii, solearii, etc. fussent à la fois fabricants et vendeurs en gros et détail. L’épigraphie ne permet pas toujours de faire les départs nécessaires aux études historiques. — Mercator, beaucoup plus rare, et en épigraphie et dans les textes, doit viser plus spécialement le marchand, soit en gros, soit plus souvent en détail (XII, 4402, 5971).

[71] Voyez le negotiator en poteries transportant sa cargaison de Bretagne en Germanie Inférieure.

[72] Théon, propriétaire dans le Bas Médoc, achète aux paysans les matières propres à l’éclairage (cire, résine, suif, etc.), et c’est pour les revendre : non pas, je crois, comme boutiquier, mais comme intermédiaire de quelque maison de gros ; Ausone, Epist., 4, 16-21. L’énorme augmentation de prix qui résultait de ces intermédiaires entre le producteur rural et l’acheteur est sottement indiquée par Ausone : leviore numismate captans insanis quod mox pretiis gravis auctio vendat [je doute qu’il faille voir dans auctio une vente à l’encan].

[73] On pourrait à la rigueur omettre Arles : car, sauf peut-être les négociants en huile, il n’y a point là de négociants en produits gaulois : le commerce est surtout représenté par l’armement, par la commission avec le dehors. Cf. t. VI, ch. V.

[74] Le nombre des spécialités à Narbonne est remarquable : huiles, blés, clavarius materiarius (bois de charpente ou de menuiserie), limarius (limes), gypsarius (plâtre), solcarius (sandales), armariarius (armoires), ampullarius (fioles de verre ou de terre cuite), viminarius (vannerie), vestiarius, sagorius, turarius, pupurarius, vascularius, anularius, faber ærarius, faber argentarius, aurifex, fabarius (fèves et légumes), lardarius, lanarius, lintearius, pellio (peaux), capistrarius (licous et sellerie), pistor candidarius (XII, 4502), seplasiarius, panueularius (pour pannicularius ?, marchand de draps, XII, 5073). Mais je répète qu’il y a là sans doute à la fois fabricants, marchands de gros ou détaillants, et, en outre, que le nom du métier peut souvent ne désigner qu’une même partie de son activité : nos bonnetiers ne vendent plus surtout des bonnets, ni nos luthiers des luths, et il est possible que le limarius tint magasin d’instruments de fer, l’armariarius fut un menuisier et le turarius un droguiste en tout genre.

[75] Beaucoup de ces étrangers, si nombreux à Bordeaux, sont sans doute des négociants en gros importateurs de produits de leur pays, par exemple le Séquane (XIII, 031) peut être un négociant en jambons, et ce ne peut être que le commerce qui attire les Trévires à Bordeaux (XIII, 633-5).

[76] Sans doute surtout à destination des camps ou des Germains : negotiator, XIII, 3666, 3703.5. 4155-7 (ceux-ci à Neumagen) ; cuparius et sacrarius. Sous Tibère, il est question à Trèves de negotiatoribus Romanis (Tacite, Ann., III, 42) lesquels peuvent être d’ailleurs des banquiers autant que des marchands.

[77] Même remarque : negotiator, 8224 ; negotiator cretarius, 8350 ; negotiator lanio (boucher en gros) 8351 ; negotiator artis lapidariæ, 8352 ; negotiator seplasiarius, 8354. Remarquez l’abondance de Belges installés là, évidemment pour le commerce (8838-42). — L’importance commerciale de Mayence est bien moins sensible ; on n’y trouve qu’un negotiator gladiarius, des manticularii, des pannarii.

[78] En premier lieu, les negotiatoes vinarii ; en outre, olearius [?], lintiarius, sagarius, agentorius, muriarius, unguentarius, ars saponaria, ars prossariæ, ars barbaricaria, ars cretaria, ferraria, caracteraria, macellaria, avec ou sans negotiator. A Lyon, le caractère de chef de maison de gros apparaît, pour ces individus, plus nettement qu’à Narbonne.

[79] Mais je crois que les marchait lises orientales étaient le plus souvent achetées à Rome, par exemple les marbres.

[80] Je crois de plus en plus que les différents négoces s’ajoutaient et se soutenaient dans une meure maison, quelle que fût sa raison extérieure, tout ainsi que chez les marchands du Moyen Age et clans nos affaires de commission. C’est pour cela que les négociants de Lyon sont si souvent affiliés aux corporations les plus éloignées en apparence de leur métier (XIII, 1966, muriorius affilié aux nautes et aux lignuarii, etc.) ; voyez ce négociant en vins, de Lyon, qui est en même temps diffusor olearius ex Rætica (C. I. L., VI, 29722), ce négociant dans la Germanie du limes, qui est à la fois negotiator artis cretariæ et negotiato pænularius (XIII, 0306).

[81] Les negotiatores Italici de l’ère républicaine doivent avoir, je crois, pour héritier à Lyon le corpus splendidissimum negotiatorum Cisalpinorum et Transalpinorum, qui a une succursale, semble-t-il, à Milan (il y a un Trévire parmi eux : XIII, 2029 ; V, 5911). — C’est un marchand en gros, sans doute de marchandises orientales, que ce riche Syrien qui s’intitule (XIII, 2448) negotiator Luguduni et provincia Aquitanica : il devait avoir ses entrepôts à Lyon et expédier des revendeurs ou colporteurs par toute l’Aquitaine. — Ce sont des marchands de ce genre que les negotiatores Britanniciani de Bordeaux (XIII, 634) et de Cologne (XIII, 8164 a) : ils devaient importer de Bretagne en Gaule (cf. XIII, 8793, negotiator cretarius Britannicianus ; XIII, 7300) et sans aucun doute faire aussi l’inverse.

[82] Par exemple les huiles pour les armateurs de Narbonne.

[83] L’inscription de ce Narbonnais (Revue épigr., III, n° 890) qui fut magistrat honoraire à Palerme, Syracuse, Himère, montre (cf. de Villefosse, Mém. de la Soc. des Ant., LXXIV, 1915, p. 178) qu’il faisait l’armement entre Narbonne et la Sicile.

[84] Nous manquons de renseignements précis, pour le Haut Empire, sur les règlements relatifs au commerce avec les Barbares. Il est très probable qu’il y en a eu, et d’analogues à ceux que nous trouverons plus tard (Code Just., IV, t. 40, 41 et 63 ; C. Théod., VII, 16, 3) : prohibition de sorties pour certaines marchandises, armes, vin, blé, liqueurs, métaux précieux ; déclaration de sortie devant les magistrats de certaines cités (Trèves ? Cologne ? Mayence ??) ; lieux et jours de foires fixés d’avance pour la rencontre avec les marchands étrangers ; etc. Mais il va de soi que bien des marchands allaient chez les Germains à l’insu de l’autorité et à leurs risques et périls. Certains finissaient par s’établir en pays barbare (Tacite, Ann., II, 62), sans doute pour mieux organiser les échanges ou la contrebande avec les pays romains.

[85] Proximi ob usum commerciorum (Tacite, G., 5). Outre les grandes villes, il pouvait y avoir des lieux de marchés convenus, par exemple Neumagen (Noviomagus = marché neuf) chez les Trévires, à la frontière de la province militaire de Germanie Supérieure, où je constate bon nombre de negotiatores, Rindern (Arenacum, Arenatium), où je trouve sous Néron une colonie de cives Remi groupés autour d’un temple de Mars Camulus (XIII, 8701), le port de Vechlen ou Fectio sur le Vieux Rhin, où je trouve une colonie de cives Tungri (XIII, 8815). Vechten, si riche en ruines et en débris industriels, pouvait servir en particulier pour les relations maritimes, avec les tribus de la Frise et de la mer du Nord. Sur ces marchés qui servaient de lieux de départ pour les pays barbares, et où pouvaient être placés des bureaux, la douane de sortie, etc.

[86] Pline, XXXVII, 45. Je crois bien que cette expédition, qui d’ailleurs rapporta une fabuleuse cargaison d’ambre, étudia également avec soin la route commerciale (commercia ea et littora peragravit) : il est possible que certains détails géographiques fournis par Pline et surtout par Ptolémée viennent de son itinéraire. En outre, on peut supposer qu’elle procura quantité d’esclaves et de bêtes rares, puisqu’elle fut organisée par le grand maître de la gladiature impériale. — Mais dans l’ensemble les expéditions de ce genre, du côté de la Germanie (ajoutez l’Irlande et la Scandinavie), ont été beaucoup plus rares, semble-t-il, que ne l’eût comporté la force de l’Empire romain ; peut-être l’obstacle vint-il de l’instabilité du inonde germanique. — Les trouvailles de trésors de monnaies romaines (cf. Mém. de la Soc. des Ant. du Nord, n. s., 1872-7, p. 58) semblent prouver que les relations commerciales furent poussées jusque dans le sud de la Suède, mais s’arrêtèrent après Septime.

[87] Les negotiatores du Héraple par exemple, XIII, 4481 : dédicace, en l’an 20, à Tibère, que nous retrouvons une fois de plus comme bienfaiteur des confréries marchandes. Autres groupements du même genre, ceux des cives Remi de Rindern (XIII, 8701), ceux des civæ Tangri et nautæ qui Fectione consistunt (XIII, 8815).

[88] Ce qui achève de justifier cette comparaison, c’est le fait que les notables commerçants à Lyon fout toujours partie, à titre honorifique tout au moins, des principales confréries ; il y a même un patronus omnium corporum Luguduni licite coeuntium (XIII, 1974).

[89] A Lyon ; à Trèves ; XIII, 1522 (au puy de Dôme, cives (Romani ?) negotiatores). La vogue, dans la Germanie indépendante, de la chaudronnerie campanienne s’explique sans doute par l’action des placiers italiens. Mais il s’agit, dans la plupart de ces cas, des premiers temps de l’Empire.

[90] Remarquez qu’à Lyon un Trévire fait partie du corps des negotiatores Cisalpinorum et Transalpinorum (XIII, 2029).

[91] Rappelons que ces aptitudes commerciales se constatent surtout chez les Belges, les Trévires avant tout, puis les Nerviens, les Hèmes, les Tongres, etc.

[92] Association de tabernarii dans la très petite ville de Castellane dans les Alpes Maritimes ; le quartier des Cantunæ Novæ à Cologne, où sont les potiers de figurines.

[93] Elle a pu souffrir après Antonin, et elle a sans aucun doute diminué fortement après Sévère Alexandre.

[94] A Tours, sur l’ordre de saint Martin, un prêtre court acheter e proximis tabernis Bigerricam vestem (Dial., II [1], 1, 8).

[95] Espérandieu, n° 1210 (Bordeaux), 2056 (près de Nuits), 3454 ? (Dijon).

[96] N° 1099 (Bordeaux), 4043 (Arlon).

[97] N° 1122 (Bordeaux).

[98] N° 4295 ?

[99] N° 3469 (Dijon), 3608 (Thil-Châtel).

[100] N° 2783 (Sens), 3685 (Reims).

[101] N° 2743 (Saint-Ambroix chez les Bituriges).

[102] Voyez la marchande ambulante du Musée d’Épinal, n° 4801.

[103] Mata, mulieres, mulieres meæ ; Esp., n° 616 (Narbonne).

[104] N° 2775 (Sens).

[105] N° 2769 (Sens). 3155 (Paris).

[106] Tonsores à Narbonne, XII, 4714-7, où il semble même qu’il y ait une femme de ce métier (4514).

[107] Note suivante. Cantunæ Novæ à Cologne.

[108] Copo patillus à Nîmes. XII, 3345 : cocus et culinarius à Narbonne, XII, 4468 et 4470 : interprétations douteuses. — A Narbonne, l’hôtellerie A Gallo Gallinacio (XII, 4377) ; à Lyon, l’hôtellerie consacrée Mercurio et Apollini, tenue par Septumanus, qui fournissait hospitium cum prandio (XIII, 2031) : deux auberges voisines d’un champ de foire, diæta Asiciana aut Paconiana, à Aix-les-Bains (XII, 2462).

[109] 1478 m. 50.

[110] Passus, 1 m. 479 ; pes, 0 m. 2957. C. I. L., XII, p. 965 (pieds dans la mesure des concessions funéraires). Sur le pes germanique (0 m. 333), usité chez les Tongres, fixé par Drusus à un pied romain et 1/8.

[111] Columnas vicenarias en marbre de Saint-Béat (C. I. L., XIII, 38).

[112] Libra, 327 gr. 45. C. I. L., XII, 5701, 2 et 9 (tuyaux de plomb dont le poids est indiqué en livres) ; C. I. L., XIII, 10008 ; etc. — On a pu supposer (lingot de plomb, XIII, III, 10029, 25) une livre (germanique ? celtique ?) de 351 gr. ; mais la chose est bien incertaine. — Il y avait une unité de poids et de capacité particulière pour l’huile, qui était Phémine (0 l. 2736, un demi-setier) ; cf. Hultsch, Metrologie, 2e éd., p. 120. Une inscription de Narbonne (XII, 5277, p. 855) porte ol(ei) po(ndo) V ; comme elle se lit sur une amphore qui doit contenir de 55 à 60 litres (un peu plus de 2 amphores ordinaires), on peut supposer qu’il s’agit là d’une mesure ou d’une unité commerciale appliquée aux grandes quantités, égale peut-être à 40 hémines (10 l. 94, 20 setiers ; cinq fois cette mesure ferait environ 55 l.). — Poids et balances (XIII, 10030-1) paraissent tous conformes eu système romain (sauf quelques variantes qui ne paraissent que le fait du hasard).

[113] Uncia, 27 gr. 288. C. I. L., XII, 354 ; etc.

[114] Nodius, 8 litres 754. Cf. C., XII, 3179 (frumenti modium). XIII, 10003, 93 et s.

[115] Sexturius, 0 l. 517. Cf. XIII, 10003, 95 et s. ; 10008, 45. Voyez, à la devanture d’un marchand de vins, les spécimens de six mesures en forme de pichets (Espérandieu, n° 3608).

[116] Cf. XII, 5081, 4 ; l’amphora est de 26 l. 26.

[117] Soit 2217 m. 75. — Ce qui a dû persister le plus longtemps (comme aujourd’hui), ce sont les mesures agraires des mesures indigènes sont mentionnées par Columelle ; et l’arpent gaulois subsista sous tout l’Empire pour les vignobles, et peut-être celles des vaisseaux vinaires en bois.

[118] Pour l’impôt sur les ventes, il ne devait frapper, je pense que certaines transactions constatées par écrit, suivant quittances ou bordereaux et peut-être seulement celles conclues d’après le droit romain.

[119] Cela parait résulter de C. I. L., XIII, 10029. 59 : marchandises plombées au port de Rusicade (Philippeville en Numidie) et transportées à Lyon ; et, par suite, cela peut expliquer bien d’autres plombs trouvés à Lyon. — Au sujet des plombs énigmatiques de Lyon marqués au mot anabolicum (XIII, 10029, 43), je suppose maintenant (en rapprochant Hist. Aug., Aur., 45, et Ulpien, Fragm. Vat., 137) qu’il s’agit de marchandises rares, venues d’Egypte par le Rhône et la mer, papier, verroteries, tissus de luxe, etc., dédouanées à Lyon. — Il est possible que dans certaines circonstances, pour empêcher la fraude et surveiller les transports, on fit suivre aux marchandises des routes déterminées, par exemple celle de Boulogne pour les passages en Bretagne (cf. Ammien, XX, 9, 9).

[120] J’entends ici le mot dans le sens étymologique, qui est celui du latin chirographum.

[121] Il nous reste des bordereaux, d’ailleurs très primitifs (gravés sur des tessons de terre cuite), de livraison de vases en faux arrétin, avec indication des potiers fabricants, des espèces d’objets et de la quantité livrée (Déchelette, Céram., I, p. 83 et s.) : ce ne sont peut-être que des mémentos ou des brouillards.

[122] Je réunis aussi sous ce mot les connaissements maritimes. Voyez Sénèque, De ben., VII, 10, 9.

[123] Gaius, III, 134 : Chirografis et syngrafis... quod genus obligationis proprium peregrinorum est ; Sénèque, ibid. : Diplomata, syngraphas, cautiones.

[124] Mensor à Narbonne (XII, 4490) : c’est un affranchi impérial, sans doute employé aux services publics ; Espérandieu, n° 1098, 5155 (scènes de pesage) ; Mensor frumenti pour l’armée, XIII, 7007.

[125] Argentarius coactor ; XII, 4461.

[126] Nummularius (surtout changeur) ou argentarius (surtout banquier). En Gaule, la première expression est courante pour toutes affaires d’argent, et argentarius seul parait signifier, sauf exceptions, fabricant ou marchand d’argenterie. — Nummularius à Narbonne (XII, 4497-8), à Saintes (XIII, 1057), à Lyon (1982 a [? cf. XII, 4497], 1986), à Trèves (Riese, 427), à Cologne (XIII, 8353, Negotiator nummularius). — Mensularius, à Narbonne (XII, 4491), peut-être un simple changeur. — Tous les banquiers mentionnés ici pouvaient faire toutes les opérations de courtage, d’acte, d’encaissement dont nous parlons. Et il est possible que les individus qualifiés de negotiator fissent, comme sous la République, des affaires de banque.

[127] Cf. Espérandieu, n° 1097 (scène de change ou de paiement avec greffier enregistrant les sonates ?) ; n° 4037 (autre scène d’argent).

[128] Gravitate fænoris ; Tacite, Ann., III, 40. Cf. Belot, Chevaliers, II, p. 156 et s.

[129] Du moins à l’origine, jusque vers Néron. Le père de Vespasien, qui fænus apud Helvetios exercuit (Suétone, 1), ne pouvait guère être que propriétaire d’une grosse maison de banque.

[130] Ici, ch. VIII, § 2, ch. VI, § 14, ch. II, § I et 2.

[131] Le père de Vespasien : les negotiatores Romani établis à Trèves en 21 (Tacite, Ann., III, 42) sont des manieurs d’argent plutôt que de marchandises, et ce sont sans doute les usuriers dont on se plaignait.

[132] Peut-être aussi, en cas de créance sur une cité, avait-il le droit de saisir les revenus municipaux.

[133] Cela explique en grande partie la révolte de 21.

[134] L’honnêteté du père de Vespasien parait hors de doute ; Suétone, Vespasien, 1.

[135] Sous Tibère.

[136] Sous Claude surtout, où il serait possible que, dans la banque comme dans la grande industrie, l’élément indigène ait commencé à prendre le dessus sur l’élément italien.