HISTOIRE DE LA GAULE

TOME III. — LA CONQUÊTE ROMAINE ET LES PREMIÈRES INVASIONS GERMANIQUES.

CHAPITRE VII. — LA CAMPAGNE CONTRE ARIOVISTE[1].

 

 

I. — LA GAULE APPELLE CÉSAR CONTRE ARIOVISTE.

La guerre contre Arioviste fut la conséquence naturelle de la soumission des Helvètes. Si César voulait rester le maître en Gaule, Arioviste était un rival dont il devait se débarrasser. S’il voulait que les Gaulois fissent bonne garde sur le Rhin, il fallait rejeter d’abord le Suève au delà du fleuve. Aussi, les affaires des Helvètes terminées, il resta près de Bibracte[2] à la tête de son armée, comme s’il n’avait encore fait que la moitié de sa tâche. — Les Gaulois, de leur côté, n’étaient point encore désireux de le voir partir : ils l’avaient fort bien employé contre Dumnorix et ses amis ; ils pouvaient l’utiliser maintenant contre Arioviste et les Suèves. Et voici, alors, les scènes extraordinaires qui se passèrent dans le camp du proconsul.

De presque toute la contrée gauloise, des députés accouraient au camp de César. Ils venaient féliciter l’heureux général qui avait rétabli l’ordre et sauvé la liberté des nations. Puis, ils lui demandèrent l’autorisation de tenir, non loin du camp, l’assemblée générale de la Gaule[3]

Les Gaulois n’avaient pas besoin de l’assentiment d’un proconsul pour se réunir en conseil. Mais ces hommes, comme jadis les Grecs sur le passage de Flamininus, se précipitaient vers la servitude. Ils ne comprirent pas que le fait de s’assembler sous les yeux et avec la permission de César était leur premier aveu d’obéissance publique à l’endroit du peuple romain.

Le conseil fut donc convoqué ; et, des diverses régions de la Gaule, les députés arrivèrent[4]. On se réunit sans doute à Bibracte[5]. C’était la première fois, depuis l’invasion romaine, que les nations se rapprochaient pour des décisions communes.

Les séances furent tenues avec solennité et mystère. Aucun Romain n’y assista. Tous les députés jurèrent de garder le silence sur les discussions et sur les votes[6]. — Les délibérations terminées et les décisions prises, l’assemblée se sépara. Mais les chefs des cités restèrent, ayant reçu le mandat de transmettre à César les désirs de la Gaule[7].

A la demande des chefs, l’entrevue eut lieu dans le plus grand secret. Ce fut Diviciac qui porta la parole. Longuement, et avec son habileté ordinaire, il exposa à César l’histoire des dernières années, la situation présente de la Gaule, les progrès des Suèves et la tyrannie d’Arioviste. Si l’assemblée des Gaulois avait exigé le mystère, c’était dans la crainte que le Germain ne massacrât les otages. César seul pouvait délivrer la Gaule et empêcher Arioviste d’en faire la conquête[8]. Et les plaintes et les prières des autres Gaulois, s’élevant quand Diviciac eut fini de parler, donnèrent à son discours une lamentable confirmation[9]. — Il est probable que César savait ces choses, et qu’il avait prévu ou préparé la lutte contre Arioviste tout en guerroyant contre les Helvètes ; et il est possible que ces réunions, ces discours et cette scène ne fussent qu’une comédie arrangée d’avance entre lui et Diviciac[10].

Mais comme tous les arguments énumérés par l’Éduen et repris par César dans ses Commentaires étaient de nature à légitimer, aux yeux des Romains, la marche des légions vers le nord ! — Arioviste et les Suèves, disait le proconsul, ressemblaient terriblement aux Cimbres et aux Teutons[11], et on sait que lui et ses amis jouaient avec une suprême habileté des terreurs de la grande invasion[12]. Si on les laissait faire, des Vosges ils arriveraient au Rhône, du Rhône aux Alpes et des Alpes en Italie même[13]. D’ailleurs, en dehors de sa propre sécurité, Rome avait le devoir de secourir une seconde fois ses frères les Éduens : c’était une humiliation pour elle que de les laisser en esclavage[14]. Tumultes barbares à écarter, devoir fraternel à remplir : jusque-là César n’avait point tort. — Il répondit aux Gaulois en leur promettant une seconde fois aide et secours, et il les congédia en leur disant d’espérer[15].

J’ai peine à croire que les deux principaux acteurs de cette comédie, César et Diviciac, fussent sincères, et qu’en échangeant prières et promesses ils ne songeassent point déjà au moment où ils se trahiraient.

Pour César, je ne peux avoir de doute[16] S’il acceptait de secourir les Gaulois, c’était pour avoir le droit de rester chez eux, et s’il voulait chasser Arioviste, c’était pour prendre sa place. Ce qui dut le plus le réjouir dans la démarche des chefs, ce n’est pas ce qu’ils lui demandèrent, c’est qu’ils la firent. Au printemps, il n’avait été appelé que par les Éduens, alliés du peuple romain ; maintenant, c’est l’assemblée de toute la Gaule qui le choisit comme auxiliaire et protecteur[17]. La prière des Gaulois équivalait à une abdication de leur liberté : c’est du moins ainsi qu’il l’entendra.

Mais Diviciac n’a-t-il point compris qu’il conduisait la Gaule à l’esclavage ? ou était-il déjà prêt à l’accepter, lui et son peuple ? Je doute également de l’un et de l’autre. Ce ne fut point un sot ni un ignorant ; il avait vécu longtemps à Rome, il avait pu y apprendre ce qu’étaient devenus tous ceux, peuples, villes et rois, qui avaient cru en son alliance. Les Gaulois n’oubliaient pas le sort de leurs frères de Milan ou de Toulouse, incorporés à tout jamais dans le nom romain, et ayant perdu jusqu’à leur titre national[18]. — Je crois plus volontiers que si Diviciac persistait à diriger César, c’était avec la pensée de s’en servir d’abord et de s’en défaire ensuite. Déjà le proconsul, en le délivrant de Dumnorix, lui avait rendu le premier rang parmi les Eduens[19] ; bientôt, en détruisant Arioviste, il rendrait aux Éduens le premier rang parmi les peuples de la Gaule[20]. Après cela, on verrait. Diviciac avait trop frayé avec les Romains pour ignorer la haine des sénateurs contre le proconsul : du reste, les ennemis de César avaient envoyé des émissaires en Gaule, qui cherchaient l’occasion de quelque guet-apens, et qui allèrent s’aboucher avec Arioviste lui-même[21]. — Mais ni Diviciac ni Arioviste ni personne en Gaule et à Rome, sauf Caton, ne se doutait du danger qu’étaient pour le monde entier l’ambition, la volonté et la fortune de Jules César.

 

II. — LA MARCHE DE L’ARMÉE VERS LE NORD.

Quand César promit son appui aux Gaulois, il ne parla que de négocier avec Arioviste[22].

La situation était en effet fort délicate pour le proconsul. Arioviste avait le titre d’ami du peuple romain, et il l’avait reçu grâce à César lui-même : celui-ci se trouvait en partie responsable des victoires des Suèves et de l’ambition de leur roi. Il lui fallait donc, soit obtenir d’Arioviste qu’il laissât la Gaule tranquille, soit le pousser à quelque provocation qui entraînât la rupture[23].

Les violences et l’orgueil du Germain facilitèrent très vite la tâche de César. Une entrevue fut demandée par le proconsul : Arioviste la refusa brutalement[24]. Ce fut par lettre, alors, que le Romain exposa ses demandes. — Qu’Arioviste rendit aux Éduens leurs otages ; qu’il autorisât les Séquanes à faire de même ; qu’il ne fît plus passer d’hommes de ce côté du Rhin ; qu’il cessât de faire tort aux Éduens et à leurs alliés : à ces conditions, il demeurerait l’ami de Rome et celui de César. Dans le cas contraire, en sa qualité de proconsul et en vertu des décrets du sénat, César ferait ce qui était nécessaire pour protéger les Éduens[25]. — Arioviste répondit, avec sa passion ordinaire, qu’il avait vaincu les Éduens, qu’il ne lâcherait pas leurs otages et les obligerait à payer tribut, que c’était le droit de la guerre et ne regardait personne, et que si César voulait s’occuper d’eux, ni lui ni ses hommes n’avaient encore eu peur d’un ennemi[26]. — Il était visible que le nouveau proconsul ne lui en imposait pas. Et, comme cette réponse équivalait à. une rupture, Arioviste prit des mesures en conséquence.

Il quitta sa résidence (en Souabe ?)[27], et, avec toutes ses troupes, il commença sa marche à la rencontre de César : en trois jours, il gagna les approches du seuil de Belfort (vers Colmar ?), d’où il espérait descendre en Bourgogne et atteindre Besançon[28]. S’il parvenait à prendre cette forteresse, il serait maître des routes de l’Est, du pays séquane et d’un refuge inexpugnable. Déjà quinze mille Harudes, arrivés des bords les plus lointains de l’Elbe, avaient franchi les Vosges et couraient à travers les terres éduennes de la Haute Bourgogne. Plus loin enfin, cent mille nouveaux Suèves se présentaient sur les bords du Rhin, entre Mayence et Coblentz, prêts à franchir le fleuve et à déborder dans la riche vallée de la Moselle[29]. Les Eduens éperdus avertirent César ; les Trévires eux-mêmes, malgré leur bravoure et leur fierté, députèrent au proconsul[30]. Sur toute la ligne du Rhin et des Vosges, le monde germanique s’était remis en branle, et l’invasion commençait une nouvelle étape vers le sud.

Tout cela justifiait, de la part de César, une marche en avant. Le signal du départ fut donné ; et quelques journées d’une marche rapide, continuée à la fin la nuit même[31], amenèrent les légions à Besançon. La ville fut solidement occupée : bien pourvue d’armes et de vivres[32], elle était la base de toute opération en Bourgogne et en Alsace. L’armée romaine s’y rassembla[33], avec les quelques escadrons gaulois qui lui servaient d’auxiliaires[34]. Chose étrange ! César n’obtint ou n’exigea pas des Gaulois qu’ils lui fournissent de nouveaux secours : c’était pour eux qu’il allait combattre, et ils se borneront au rôle de spectateurs. Mais il se méfiait d’une armée gauloise comme d’un embarras ou d’un danger, et, jusqu’à la fin, il redouta de ses alliés quelque trahison qui le livrerait aux Suèves[35]. Les Celtes, de leur côté, ne demandaient qu’à ne point se compromettre avec lui contre Arioviste[36]. Il se contenta donc d’une escorte de cavaliers éduens, des conseils de Diviciac, qui l’accompagna, et des convois de blé qu’il réclama aux peuples du voisinage, Séquanes, Leuques et Lingons[37].

Ce fut à Besançon que l’armée romaine se rendit compte que la guerre allait se faire dans le Nord et contre les Germains. Aucun des légionnaires n’avait encore combattu cette sorte d’ennemis, sauf peut-être les anciens de la Xe[38]. Les Gaulois leur en parlèrent avec épouvante[39] : c’étaient, dirent-ils, de vrais géants, qui, depuis quatorze ans, ne s’étaient point reposés sous un toit, semblables à des dieux ou à des bêtes, et dont on ne pouvait même pas supporter le regard[40]. Pour les atteindre, il fallait s’enfoncer dans les gorges étroites de la vallée[41], et traverser, pendant une semaine, d’immenses forêts, dont les lignes sombres apparaissaient à l’horizon[42], sauvages comme les hommes, où l’on souffrirait les misères de la marche et de la faim[43]. Les jeunes officiers romains, que César avait entraînés par de belles promesses, se sentaient déjà lassés de courses et de dangers[44]. Des scrupules sérieux durent aussi arrêter quelques-uns : en attaquant un chef qui était l’ami de Rome, on commençait une guerre illégitime, que n’avaient ordonnée ni le sénat ni le peuple. Décidément, le général s’annonçait comme une volonté trop impérieuse : le maître absolu perçait sous le proconsul[45]

L’agitation gronda dans le camp. Elle partit de l’état-major pour gagner les centurions et les soldats. Les uns demandaient leur congé ; les autres faisaient leur testament ; quelques-uns pleuraient ; presque tous tremblaient. Et déjà on parlait de révolte[46].

Mais César savait la manière de s’imposer aux foules par beaucoup d’audace et une décision absolue. Il réunit en conseil officiers et centurions, leur montra la nécessité de cette guerre, leur fit honte de leurs craintes, et leur annonça qu’il partirait cette nuit même, au petit jour. Si on refusait de le suivre, il aurait tout au moins, pour l’escorter, la Xe légion[47]. — Ces explications très claires et cette résolution très énergique suffirent pour rendre la raison à l’armée toute entière. Par l’intermédiaire de leurs tribuns et de leurs premiers centurions, la Xe légion d’abord et les autres ensuite se déclarèrent prêtes à obéir[48]. Et cette campagne contre Arioviste, qui allait donner à César la souveraineté de la Gaule, commença par le faire maître de son armée (milieu d’août[49]).

 

III. — L’ENTREVUE DE CÉSAR ET D’ARIOVISTE.

Deux routes menaient de Besançon à la trouée de Belfort : l’une était directe, mais suivait d’abord les gorges du Doubs, étroites et boisées[50] ; l’autre faisait un coude par le nord, mais coupait les plateaux fertiles et découverts que traverse la vallée de l’Oignon (par Villersexel)[51] César prit la seconde, que lui indiqua Diviciac[52], et, pour regagner le temps que le détour lui faisait perdre, il marcha toute une semaine, sans une journée de repos[53]. Mais au septième jour, il n’était plus qu’à une étape, vingt-quatre milles, d’Arioviste et de son armée[54] : il se trouvait alors dans la Haute Alsace (vers Cernay ?[55]).

Le roi germain lui fit dire qu’il acceptait cette fois l’entrevue[56] : César se garda bien de la refuser[57]. Il espérait et souhaitait un accord[58], ou, du moins, il voulait qu’on le crût : cette guerre lointaine, pleine d’embûches et d’intrigues, antipathique aux soldats et contraire aux volontés de Rome, ne laissait pas que de l’inquiéter pour cette première année de proconsulat. Pendant cinq jours, d’un camp ‘à l’autre, des messages s’échangèrent : Arioviste exigea que l’on vînt à cheval, et César, n’osant se fier à ses cavaliers gaulois, donna leurs montures aux légionnaires de la Xe, désormais sa garde du corps[59].

L’entrevue eut lieu à mi-chemin entre les deux camps, sur un tertre isolé qui dominait la vaste plaine d’Alsace[60]. Les deux chefs le gravirent à cheval, accompagnés chacun de dix cavaliers seulement. Derrière eux, à deux cents pas, se tenaient d’un côté les quatre mille légionnaires montés, et, de l’autre, un nombre égal de Germains à cheval[61]. C’était toute une armée qui encadrait Arioviste et César.

César parla le premier. — Il rappela les bienfaits que le Suève avait reçus de Rome, déclara que son intention était de rendre aux Éduens l’empire de la Gaule, et que désormais les Germains devaient les laisser libres, et s’abstenir de passer le Rhin : à la rigueur, on leur abandonnerait ce qu’ils avaient pris[62].

Arioviste ne fut pas embarrassé pour répondre, et il le fit avec une rude franchise. — On l’avait appelé en Gaule et payé pour venir se battre. Il était venu, et s’était acquitté de son office de soldat. Puis, on l’avait tracassé et combattu : il s’était trouvé le plus fort, et, maintenant, il usait de son droit de vainqueur. Si César ne s’en allait pas, il l’attaquerait, et il le tuerait peut-être, à la grande joie des sénateurs : précisément, il avait reçu des messages de certains d’entre eux, et on lui promettait toutes les bonnes grâces du peuple romain, quand il l’aurait débarrassé de son proconsul. Si, au contraire, le Romain lui concédait l’empire de la Gaule, il se faisait fort, lui, Arioviste, d’accompagner César où il voudrait, de se battre partout pour son compte, et de lui donner la victoire sur tous ses ennemis[63].

En d’autres termes, le Suève proposa au proconsul le partage du monde : à lui et à ses Germains, le Nord et la Gaule ; et à César, l’Empire romain.

C’était là une vision grandiose, et qui montre chez le Barbare une imagination puissante et une foi superbe en lui-même. Mais la confiance et les rêves de César étaient plus vastes encore que ceux du Germain : il espérait n’avoir pas à partager le monde, et ne le tenir que de lui-même. — Il écarta sans réponse les avances de ce formidable auxiliaire, et le ramena à la question présente. Le peuple romain avait jadis vaincu la Gaule en la personne de Bituit ; il lui avait laissé la liberté : elle resterait libre, parce que telle était sa volonté, et que lui seul avait des droits sur elle[64].

Là-dessus, on vint dire à César que les cavaliers suèves jetaient des pierres et des traits aux légionnaires. Il rompit l’entretien, rejoignit ses hommes, et, sans répondre à l’attaque, ils galopèrent vers le camp[65].

Le lendemain, Arioviste demanda une nouvelle entrevue : il tenait, parait-il, à son idée, et désirait l’expliquer plus amplement ; si César ne voulait pas venir, qu’il envoyât un de ses légats[66]. — Le proconsul n’osa pas exposer ses lieutenants au Barbare : il se borna à lui expédier un de ses amis de Gaule[67], accompagné d’un simple officier romain[68]. Arioviste, saisi de colère, les fit mettre aux fers et réserver pour le supplice[69].

C’était la rupture. Le jour même, Arioviste leva son camp, et, le soir, s’arrêta, au pied des Vosges, à six milles des légions[70]. Les armes décideraient sur l’empire des Gaules.

 

IV. — LA DÉFAITE D’ARIOVISTE.

César souhaitait qu’on en finît aussitôt[71] : il connaissait maintenant assez la valeur de ses légions pour ne point redouter la rencontre ; tout retard les énerverait ; la mauvaise saison s’approchait ; et il risquait, à patienter, de provoquer les défections ou les railleries des Gaulois, qui n’entendaient rien à la temporisation.

Mais Arioviste n’était pas un débutant en matière de tactique. Le lendemain, il décampa de nouveau, passa en vue des légions sans s’arrêter[72], et alla s’installer à deux milles de leur camp, dominant la route de Besançon[73] : elles étaient dès lors coupées de leur ligne de retraite et de ravitaillement[74]. Le proconsul fit aussitôt sortir ses légions en rang de bataille : le Germain ne quitta pas ses lignes. Cinq jours de suite, César répéta la manœuvre : Arioviste ne broncha pas[75]. — On raconta plus tard aux Romains que si leurs adversaires ne voulaient pas combattre, c’est parce que leurs prophétesses et leurs dieux interdisaient la bataille avant la nouvelle lune[76]. C’est possible : mais il faut reconnaître que les dieux indiquaient aux Germains la tactique la plus avantageuse[77]. Arioviste se bornait à détacher dans la campagne ses meilleurs cavaliers et ses fantassins de course : contre ces hommes, ni légionnaires ni escadrons gaulois ne pouvaient rien[78]. Il devenait le maître du pays : le Romain serait bientôt bloqué.

Il fallait aviser au plus vite. César sortit à la tête de toute son armée, rangée en ordre de combat, passa à son tour devant le campement des ennemis, s’arrêta à six cents pas plus loin, et fit bâtir un nouveau camp, sur le chemin de Besançon[79]. Arioviste envoya cette fois tous ses cavaliers et seize mille fantassins qui tracassèrent les travailleurs ; mais la bataille ne s’engagea pas ; et le proconsul put achever son second camp, où il installa le tiers de ses légions[80].

Mais, s’il redevenait maître de la route de ses convois, il n’arrivait pas à imposer le combat. Une sixième tentative ne réussit pas davantage. Arioviste se contenta de lancer quelques hommes à l’attaque du nouveau camp, du reste sans grand succès[81]. Que ce jeu continuât quelques jours encore, et César n’aurait abouti qu’à diviser ses forces.

Il se décida aux moyens extrêmes. A la tête de toutes ses légions, rangées sur trois lignes, il marcha contre le campement d’Arioviste, prêt à l’assaut[82]. Alors, tous les Suèves sortirent[83], et, des deux côtés, on se prépara à la bataille dans un ordre solennel. Les Barbares se disposèrent suivant leurs nations, l’armée entière s’encadra d’un vaste demi-cercle de chars et de voitures, les femmes prirent place sur les gradins improvisés et, de là, les mains tendues, envoyèrent aux combattants leurs vœux et leurs prières[84]. En face, César plaça ses six légions, chacune avec son chef, légat ou questeur[85] ; en arrière, près des remparts du nouveau camp, s’éployait la cavalerie, sous les ordres du jeune Publius Crassus[86].

L’aile droite des Romains avait, au-devant d’elle, la partie la plus faible de l’armée ennemie : César espéra, par une vive attaque sur ce point, jeter le désordre parmi ses adversaires[87]. Il fut vite détrompé : les Germains arrivèrent les premiers et avec une telle fougue, que les légionnaires ne purent se servir du javelot, leur arme la plus redoutable[88]. Ils durent se résigner tout de suite au combat à l’arme blanche[89] : mais ils trouvèrent en face d’eux la phalange ennemie déjà prête, ramassée et en bon ordre, abritée sous la carapace continue des grands boucliers[90]. Contre ce bloc, leur épée elle–même se trouva impuissante[91]. L’on vit des Romains, pour arriver à diviser la masse et atteindre l’ennemi, sauter sur la toiture des boucliers, les écarter de la main et frapper d’en haut avec l’épée[92] ; et encore la phalange était si compacte que, même tué, le corps restait debout ; de leur côté, les Barbares, pris d’une rage folle, en arrivaient à combattre avec les mains et les dents mêmes, renversant et mordant l’adversaire[93]. Jamais les légionnaires de César, dans leur longue vie de batailles, ne rencontrèrent un aussi terrible corps à corps, comme de bêtes sauvages qui s’entre-dévorent[94]. Mais ils avaient pour eux leur cuirasse, leur souplesse et leur courte épée[95] : et il fallut bien que les Suèves se résignassent à fuir[96].

A leur gauche, les Romains furent moins heureux. La multitude des Germains était telle, que les cohortes étaient pressées et serrées de toutes parts. Par bonheur, le jeune Crassus vit le danger, et il envoya au secours de l’aile menacée les derniers rangs des légions. Sur ce point aussi, les Germains durent quitter le champ de bataille[97].

Vaincus pour la première fois de leur vie, une panique aveugle s’empara des Suèves[98], Arioviste avec eux. Les cavaliers purent atteindre le Rhin, à cinquante milles de là : mais les escadrons de César y arrivèrent presque aussi vite, et c’est à peine si Arioviste et quelques autres réussirent à échapper sur des barques. Le reste fut tué ou noyé, et, près du champ de bataille, les Romains achevaient de tout .massacrer, y compris les enfants et les femmes et celles mêmes d’Arioviste[99] (milieu de septembre[100]).

 

V. — CONSEQUENCES DE CETTE BATAILLE.

César n’avait point détruit l’empire des Suèves. Il survécut à la défaite et à la mort d’Arioviste, et nous verrons bientôt ses nouvelles conquêtes au nord et au sud. Mais il ne devait plus se risquer dans l’Occident : à la nouvelle du désastre, les cent mille Germains qui attendaient l’heure de franchir le Rhin, rebroussèrent chemin à l’intérieur, pourchassés par les Trévires et les indigènes des deux rives[101].

La première conséquence de la victoire fut donc de rejeter les Germains, presque partout, au delà du Rhin[102] : et cette conséquence se fera sentir pendant près de cinq siècles. Jusqu’au temps d’Alaric et d’Attila, les peuples transrhénans ne franchiront plus le fleuve que pour des aventures ou des brigandages ; pas une seule fois il ne leur sera possible d’établir à demeure sur les terres du couchant un nom de grand peuple et un empire autonome. Ils reculeront toujours, sur la rive opposée, devant une résistance victorieuse, des nations prêtes à réagir, un monde hostile, décidé à ne point se laisser entamer. Et le Rhin demeurera la frontière consacrée de la Barbarie germanique.

Ces adversaires que les Germains trouveront désormais en face d’eux, ce ne seront plus seulement des Gaulois, mais des Gaulois sujets de Rome : la bataille entre César et Arioviste eut pour seconde conséquence de donner la Gaule au peuple romain, et de la lui donner en fait et en droit.

En fait, Jules César, dans cet automne de l’an 58, possédait la seule force militaire qui parût exister dans la Gaule. Les Germains venaient d’être détruits, les Helvètes étaient écartés ; les nations celtiques n’avaient levé jusqu’ici que quelques misérables escadrons, que le proconsul traînait à sa suite ; on ne parlait pas encore des Belges. Il pouvait, avec ses six légions victorieuses, agir en maître depuis le Rhin jusqu’aux Pyrénées.

Les droits du peuple romain sur cette terre reparaissaient dans une éclatante lumière. Le succès de César leur donna une sanction nouvelle. Quand Bituit, le chef de toute la Gaule, eut été vaincu par Fabius, le sénat consentit à laisser la liberté à cette Gaule, mais il n’en conserva pas moins le privilège éternel que les dieux accordent au vainqueur. C’est ce que César expliquait à Arioviste[103] : et, par-dessus le Barbare, c’était aussi des Gaulois qu’il se faisait entendre. Ceux d’entre eux qui assistèrent à l’entrevue, purent se dire qu’on y parlait uniquement de leur défaite et de leur esclavage : la Gaule était l’enjeu sur lequel les deux chefs se querellaient ; et, quand la bataille fut finie, cela signifiait que les dieux l’avaient rendue à son maître naturel[104].

Le bonheur de César se déroulait donc en une merveilleuse épopée, formée à la fois de faits rigoureusement enchaînés et d’épisodes étincelants d’éclat[105]. L’échec de Dumnorix lui assura la haute main chez les Éduens ; la défaite des Helvètes le montra à tous les Gaulois comme un auxiliaire inestimable ; le désastre d’Arioviste en fit leur souverain. Il restait à savoir quelles bornes il assignerait à sa puissance et les Gaulois à leur soumission.

 

 

 



[1] Les livres généraux, et, en plus : J. Weiss (et Georgi), Fascicules dissertationum, Giessen, 1683, n° XVIII (Bellum, etc.) ; Kulpis, Bellum Cæsaris et Ariovisti, 1689, Schwabach ; Cellarius, Diss. acad., II, p. 521 et suiv. (1702) ; Laguille, Hist.... d’Alsace, I, 1727 ; Schœpflin, tr. fr., I, p. 219 et suiv. ; Pecis, p. 94 et suiv. ; Haus, Cæsars Krieg mit dem Germanier Kœnige, Ariovist, Mayence, 1790 ; de Golbéry, Mém. de la Soc. des Sc.... de Strasbourg, II, 1823, p. 373 et suiv., etc. ; de Kentzinger, Strasbourg et l’Alsace, 1824, p. 14 et suiv. ; de Vaudoncourt, Journal des sciences militaires, III, 1826, p. 331 et suiv. ; Benner, Revue d’Alsace, IIe s., III, 1837, p. 370 et suiv. ; Gravier, Dissert., dans l’Académie de Besançon, Séance publique du 24 août 1845, 1846, p. 89 et suiv. ; Thomann, Der franzcesische Atlas, 1868, p. 11-14 ; Trouillet, César et Arioviste, Mém. de la Soc. d’Émulation de Montbéliard, XIII = III, III, 1881, etc. ; Strobel, Vaterländische Geschichte des Elsasses, I, 1841, p. 34 et suiv. ; Stœber, Rev. d’Alsace, IX, 1858, p. 298 et suiv. ; Vautrey, César et Arioviste dans le Jura Bernois, Porrentruy, 1862 ; Rottmann et Klenck dans les Bulletins de la Société industrielle de Mulhouse, séances des 28 octobre 1863 et 29 juin 1864 ; Sarrette, Les Guerres d’Arioviste, 1864, Mém. de la Soc. d’Émulation du Doubs, IIIe s., VIII, 1863 ; Quiquerez, Quelques Observations, ibid. ; Knoll, Revue d’Alsace, II, V, 1864, p. 63 et suiv. ; Eichheim, Die Kämpfe, etc., 1866, p. 52 et suiv. ; 1876, p. 56 et suiv. ; Ch. Martin, Questions alsaciennes, Strasbourg, 1867, p. 21 et suiv. ; de Ring, Rev. d’Als., III, IV, 1868 ; Melber, p. 69 et s. ; Delacroix, dans les Mém. de la Soc. d’Émul. du Doubs, V, 1, 1876 (1877), p. 442 et suiv. ; Jean Schlumberger, Cæsar und Ariovist, Colmar, 1877 (cf. Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins, n. s., XIV, 1899, p. 169 et suiv.) ; von Veith, Die Ariovistschlacht, etc., Monatsschrift de Pick, V, 1879, p. 495 et suiv. ; Stoffel, Guerre de César et d’Arioviste, 1890 ; Wiegand, Die Schlacht, etc., dans le Bulletin de la Soc. pour la conserv. des mon. hist. d’Alsace, n. s., XVI, 1893 (ne conclut pas, et montre bien les difficultés du problème) ; Colomb, Campagne de César contre Arioviste, 1898 (Revue archéologique) ; Stolle, Wo schlug Cæsar den Ariovist ?, Strasbourg, 1899 ; Pfister ; notes mss. de leçons professées à la Faculté des Lettres de Nancy ; Winkler, en dernier lieu Der Cæsar-Ariovist’sche Kampfplatz, Mulhouse, 1907 ; Gæckler, La Campagne de César contre Arioviste, Rixheim, 1897 (suit ce dernier) ; Oberreiner, Revue d’Alsace, n. s., VI, 1905, p. 185 et suiv. ; etc. — Pour les sources, Plutarque (Appien a la même source que lui) ajoute à César légèrement, mais des détails utiles, et Dion ajoute beaucoup de remarques personnelles, un fort long discours, imaginé par lui, mais aussi des détails très précis, venant sans doute d’un témoin oculaire, sur la manière de combattre : mais il n’y a pas contradiction entre tous. Cf., en divers sens, Rauchenstein, p. 26 et s., Micalella, p. 51 et s., et surtout Columba, p. 47-53.

[2] Il semble en effet que les entrevues racontées par César (I, 30 et 31) se placent près de l’endroit où s’est tenue l’assemblée générale de la Gaule (I, 30, 5 ; 31, 1), et je doute que cette assemblée ait pu avoir lieu ailleurs qu’à Bibracte. César a donc pu établir son camp, pour quelque temps, près du Beuvray, sans doute près d’une rivière et à un important carrefour de routes, peut-être à Autun. — Contra, Napoléon III, p. 82 et 90 (aux environs de Tonnerre).

[3] I, 30, 1-4. Il est possible que, comme en 52, on ait convoqué toute la Gaule : mais il est visible que ni les Belges (cf. II, 1, 1 et 2, pas même les Rèmes, II, 3) ni les Armoricains (cf. II, 34) ne s’y sont rendus : c’est une assemblée propre à la Celtique.

[4] Il y avait, outre les principes civitatum (30, 1 ; 31, 1), c’est-à-dire peut-être des chefs de cités ou de tribus, des députés peut-être spécialement élus pour le concilium (30, 4 et 5 ; 31, 1).

[5] Tous les concilia indiqués par César se sont réunis dans des villes, centres de cités : à Bibracte, VII, 63, 5 ; autres, V, 24, 1 ; VI, 3, 4 ; 44, 2.

[6] I, 30, 5 ; cf. 31, 1.

[7] Principes civitatum, 31, 1.

[8] Il se passa à ce moment un fait qui n’apparaît pas très clairement : Arioviste aurait réclamé un nouveau tiers des terres séquanes pour y établir 24.000 Harudes (I, 31, 10), et, à quelques jours de là, les Éduens se plaignent que les Harudes dévastent leur territoire (I, 37, 2). Il semblerait donc que les Harudes eussent pris par avance possession de ce tiers, qu’il correspondit aux domaines des Séquanes au nord de l’Oignon (Portois, Amoux), et que la rencontre entre Harudes et Éduens se plaçât vers Pontailler, où les territoires séquane et éduen se rencontraient sur la Saône. Mais tout cela est bien incertain.

[9] 31-32 ; cf. Dion, XXXVIII, 34. Il semble bien qu’il y a eu, dans cette assemblée de la Gaule, une sorte de révolution politique, révolte contre le principat des Séquanes, et ébauche de l’hégémonie éduenne : remarquons en effet : 1° que César va demander la délivrance de tous les otages livrés par les Éduens, aussi bien aux Séquanes qu’à Arioviste (I, 35, 3) ; 2° qu’il va affirmer à Arioviste ut omni tempore totius Galliæ principatum Ædui tenuissent (43, 7) ; 3° remarquez que c’est Diviciac qui porte la parole, les Séquanes se tenant à l’écart, tristes (32, 2). C’est une révolution générale, précédant la guerre contre Arioviste, comme la révolution intérieure chez les Éduens avait précédé la guerre contre les Helvètes : la symétrie est parfaite.

[10] Dion, XXXVIII, 34, 2.

[11] I, 40, 5.

[12] Cf. I, 12, 6-7 ; 33, 3-4 ; Cicéron, De prov. cons., 13, 32-3 ; Florus, I, 45 [III, 40], 9-10.

[13] César, I, 33, 3-4 ; cf. Plutarque, César, 19.

[14] I, 33, 2.

[15] I, 33, 1.

[16] Cf. Dion Cassius, XXXVIII, 34, 1-3.

[17] Quasdam res, quas ex communi consensu ab eo petere vellent, I, 30, 4.

[18] César, VII, 77, 16 ; Tite-Live, XXI, 20, 6.

[19] I, 18, 8.

[20] VI, 12, 6.

[21] I, 44, 12.

[22] César, I, 33, 1.

[23] Dion, XXXVIII, 34, 3.

[24] I, 34 ; Dion, XXXVIII, 34, 4.

[25] I, 35 ; Dion, XXXVIII, 34, 5.

[26] I, 36 Florus, I, 45 [III, 10], 11 ; Dion, XXXVIII, 34, 5.

[27] A suis finibus, I, 38, 1 ; depuis Mannheim ? ou, plutôt, du point où il a franchi le Rhin ? Strasbourg ? — Je ne comprends pas pourquoi cette phrase (tridui, etc.) est supprimée chez certains éditeurs modernes (Meusel par ex.).

[28] I, 38, 1 ; jusque vers Colmar ? (à 21 milles du camp de César, I, 41, 5). Il est possible qu’il ait voulu s’arrêter à Colmar, au centre de la Haute Alsace à lui concédée par les Séquanes, pour affirmer ses droits sur le pays (44, 2 et 6).

[29] I, 37, 3. La ligne d’invasion résulte de l’intervention des Trévires.

[30] I, 37, 1-3 ; Florus, 1, 45, 10. C’est le premier contact des Romains et des Belges.

[31] I, 37, 5 ; 38, 1 et 7. La marche se décompose en 3 jours de marche rapide de jour, d’Autun (?) à Langres (?, 80 milles) ou à Dijon (?, 50 milles), puis, à la nouvelle de la marche d’Arioviste, marche rapide nuit et jour de Langres ou Dijon à Besançon, 60 ou 50 milles. — Peut-être a-t-il profité, pour sa marche de nuit, du temps de la pleine lune (4 août). — Napoléon III propose la route par Tonnerre et Langres (p. 90-91).

[32] I, 38, 3 ; 39, 1 ; Dion, XXXVIII, 34, 6. C’est à ce propos qu’il décrit Besançon (38, 4-6).

[33] I, 39, 1.

[34] Environ 4.000, cf. I, 42, 5 et 15, 1.

[35] I, 42, 5.

[36] I, 31, 15.

[37] I, 41, 4 ; 42, 5 ; 39, 1 ; 40, 11. C’est dès ce temps, peut-être, que Tasget le Carnute se mit au service de César (V, 25, 2).

[38] Dans la guerre de Spartacus, et César, I, 40, 5.

[39] I, 39, 1.

[40] I, 39, 1 ; Dion, XXXVIII, 35 ; cf. I, 36, 6 et 7 ; IV, 7, 5.

[41] Angustias itineris, I, 39, 6 : la vallée du Doubs en amont.

[42] Magnitudinem silvarum, I, 39, 6 : au départ de Besançon, forêt de Chailluz à gauche, bois de la Côte de Joux à droite.

[43] I, 39, 6.

[44] I, 39, 2-4 ; Plutarque, César, 19.

[45] Ce motif n’est indiqué, comme on le devine, que par Dion Cassius (d’après le pompéien Tite-Live ?), XXXVIII, 35, 2 ; cf. 40 et 41. César y répond indirectement ; I, 40, 1 ; 41, 3.

[46] César, I, 39 ; Dion, XXXVIII, 35 ; Plutarque, César, 19 ; Florus, I, 45 [III, 10], 12 ; Appien, Celtica, 1, 3 ; 17.

[47] César, I, 40 ; Dion, XXXVIII, 35-46 (paraphrase verbeuse du discours de César, avec emprunts, semble-t-il, d’éléments étrangers) ; Plutarque, César, 19.

[48] César, I, 41, 1-3 ; Dion, XXXVIII, 47.

[49] C’est à propos du départ de Besançon que se trouve la seule indication chronologique pour cette campagne : Jamque esse in agris frumenta matura (I, 40, 11). — On a placé ce départ au 22 ou 23 août (Napoléon III, p. 108 ; Stoffel, Ar., p. 54).

[50] César, I, 39, 6 ; 40, 10 (angustias itineris, magnitudinem silvarum) ; cf. 41, 4. Par Roulans, Baume-les-Dames, Clerval, L’Isle, et de là à Belfort par Arcey et Héricourt plutôt que par Montbéliard.

[51] I, 41, 4 : Millium amplius quinquaginta circuitu lotis apertis. Circuit de cinquante milles, 75 kilomètres, par Voray, la vallée de l’Oignon, Villersexel et Arcey. De là à Cernay par Héricourt et Belfort ? plutôt que par Montbéliard et Dannemarie ? — Le tracé par Voray, Rioz, Vallerois-le-Bois (Stoffel, Ar., p. 54) me parait constituer un détour bien inutile. — A plus forte raison, le tracé par Cusset, Oiselav, Pennesières, Vallerois-le-Bois (Colomb, p. 19 et suiv.) — De même, par Vesoul, Lure (von Gœler, 1re éd., p. 45).

[52] I, 41,4.

[53] Septimo die, quum iter non intermitteret, I, 41, 5.

[54] I, 41, 5 : Ariovisti copias a nostris millibus passuum IIII et XX abesse ; le chiffre est sûr, cf. Plutarque, 19.

[55] Voici les éléments, tous sujets à discussion, qui permettent de chercher le lieu du camp de César, qui fut aussi celui de la bataille. — A. En partant de Besançon, César s’arrêta le septième jour après son départ et après avoir marché sans arrêt (I, 41, 5) : mais il est impossible de savoir quelle a été sa vitesse. Je crois difficile qu’il n’ait pas fait 10 milles par jour, soit en tout 70 milles ou 105 kilomètres, ce qui nous mène, en tout état de cause, au delà de Belfort. — B. En partant également de Besançon, César fit un détour, à propos duquel il parle de 50 milles : Millium amplius quinquaginta circuitu (I, 41, 4). Mais ce chiffre indique-t-il ce qu’il a marché en plus de la route directe ? ou la longueur totale de sa route ? ou la longueur du chemin détourné seulement ? J’incline à cette dernière hypothèse : César aura marché 50 milles sur la route détournée, de Besançon à Arcey, puis encore vers Belfort dans la direction d’Arioviste. — C. En partant du nord, Arioviste ; pour atteindre le camp de César, marcha trois jours, triduo, à partir de ses frontières, a finibus (38, 1), et, en plus, 24 milles (41, 5). Mais à quelle vitesse marcha-t-il ? ces frontières sont-elles celles du tiers du pays sequanais dont il s’empara ? en ce cas, il part des environs de Belfort ; ou sont-elles celles de ses États transrhénans, domus (cf. I, 44, 2 ; 43, 9) ? J’incline à cette dernière hypothèse et à croire que César entend le point où Arioviste franchit le Rhin pour quitter la Germanie et que cette marche (3 jours + 24 milles) correspond aux 50 milles de sa fuite (cf. D) : les fines ou limites d’Arioviste, c’est peut-être le Rhin à Kiehl. Je ne me dissimule pas l’incertitude de cette solution. — D. Du lieu de la bataille au Rhin Arioviste eut environ 50 milles à parcourir, et, suivant les habitudes de César, ce chiffre de circiter (53, 1) comporte une forte marge. Mais : 1° si le chiffre de 50 milles est chez Orose (VI, 7, 10) et Plutarque (César, 19), les mss. de César (53, 1) donnent quinque ou v : j’incline cependant à accepter 50 et à supposer une erreur chez les copistes de César, car il me paraît impossible que César eût écrit, à propos de cavaliers, neque prias fugere destiterunt (53, 1), s’il s’était agi d’une course de 8 kilomètres ; 2° de quel point du Rhin s’agit-il ? les principaux lieux de passage sont Bâle et Strasbourg : si on songe à Bâle, 50 milles nous mènent à Arcey ou au delà ; si on songe à Strasbourg, 50 milles nous mènent à Roulfach ou au delà : j’incline vers cette dernière hypothèse. Quant à accepter que les Romains aient confondu l’Il1 et le Rhin, cela n’est pas possible. — Il y a donc place, pour le lieu de la bataille, à un grand nombre d’hypothèses, entre plus de 50 milles, 75 kilomètres, de Bâle et 5 milles de Strasbourg. — Les deux principaux systèmes sont : I. Celui de la Franche-Comté : près de Montbéliard (Schœpflin) ; Dampierre (Cluvier) ; Ronchamp dans la vallée du Rahin (Sarrette) ; Saulnot (Trouillet) ; Arcey, le meilleur des emplacements dans ce système (Colornb et Stolle) ; Villers-lès-Luxeuil (Gravier et Faillie). J’y ferai bien des objections (de même, Delbrück, p. 452) : 1° César, qui se dit très pressé, n’aurait fait que 50 milles en 6 ou 7 jours ; 2° prenant, comme il l’a fait, le détour de Villersexel, il risquait, en arrivant à Arcey, qu’Arioviste (qui, dans cette hypothèse, serait près de Belfort, à Delle) eût marché à son insu sur Besançon par la route directe ; 3° pourquoi se serait-il arrêté à Arcey en apprenant le voisinage d’Arioviste I, 41, 5) ? 4° à Arcey, Arioviste ne pouvait guère le couper de ses vivres (I, 48). — II. Celui des environs de Mulhouse. Je m’y range volontiers. Car : 1° César a dû désirer entrer le plus tôt possible dans le pays découvert de l’Alsace ; 2° il n’a pas dû vouloir, cependant, s’engager trop avant dans la plaine ; 3° lorsqu’Arioviste parle à César, il déclare qu’il campe, non pas dans sa patrie, domus (43, 9 ; 44, 2), mais sur les terres concédées par les Séquanes, sedes habere concessas (49, 2) : il est donc dans la Haute Alsace, et, dans notre hypothèse, il est à Colmar ; 4° il rappelle à César qu’il n’attaque pas, mais qu’il se défend chez lui, sui muniendi (44, 6) : il n’est donc pas sorti de la Haute Alsace ; 5° il semble bien qu’Arioviste ne veuille pas s’éloigner du Rhin, et cela, afin de grossir son armée (34, 3 ; 35, 3 ; 43, 9 ; 44, 6) ; 6° près de Mulhouse, à Thann, la route de Besançon était rejointe par celle d’Épinal, c’est-à-dire des Leuques, alliés de César (I, 40, 11). C’est donc, je crois, à ce grand carrefour des routes de la Haute Alsace, entre Thann et Mulhouse, qu’il faut chercher le champ de bataille. — Les environs de Cernay et d’Aspach ont été indiqués par von Gœler (1re éd., p. 47, acceptés par Mommsen (p. 256 et suiv.), Napoléon III (p. 96 et suiv.). Je les accepte avec quelques variantes (plus bas). — Dans la même région : près d’Altkirch (de Vaudoncourt, p. 334), entre Ensisheim et Cernay ou près d’Ensisheim (Laguille, p. 4 ; Knoll, p. 70) ; près de Mulhouse (Benner, p. 376) ; à La Chapelle-sous-Rougemont (Schlumberger) ; du côté de Belfort (Napoléon, Précis, p. 35 ; von Veith ; Klebs, Ariovistus chez Wissowa, c. 844) : près de Bâle (c’est le système primitif : Beatus Rhenanus, Rerum Germanicarurn libri, 1551, p. 8 ; etc.) ; vers Porrentruy (après d’autres, Vautrer). — Système septentrional : autour de Beblenheim près de la Fecht, dans la Haute Alsace, proposé par Stoffel, très vite populaire (Rice Holmes, p. 636 et s. ; Delbrück, p. 448 et s.). — Mais on est allé encore plus haut, et Winkler a proposé Afterberg dans la Basse Alsace (entre Epfig et Stotzheim), et ce système tend à prévaloir en Allemagne (cf. Œhler, Bilderatlas, 2° éd., p. 86-7 ; le même, Die Saalburg, n° 14-15, 1908, p. 250-1). — Et on s’est même égaré de l’autre côté des Vosges, vers Sarrebourg (Kœchly et Rüstow, p. 117).

Il est tout aussi difficile de trouver, près de Cernay, le terrain des opérations. Il faut chercher : 1° un grand camp romain près de la route de Besançon : 2° à 3 kilomètres de là au sud, près de cette même route, un vaste emplacement où a campé Arioviste, et cet emplacement, sans doute, situé sur une colline et difficile à forcer : 3° à un kilomètre de ce campement, et toujours sur la route, une hauteur portant le petit camp de César. La question est de savoir où passait la route. — Si on choisit le tracé de la voie romaine par Aspach-le-Bas. le grand camp peut être sur la hauteur (cote 309 [je cite la carte française de l’État-Major] ou Lerchenberg) qui domine le village au nord de la Petite Doller, le campement germain au sud-ouest, sur les hauteurs boisées du sud de la Doller (Erlach, Langelittenhaag), le petit camp à Burnhaupt-le-Haut, ou, à la rigueur, sur la colline qui domine le village et le ruisseau de Soulzbach (cote 325), la bataille sur les pentes à l’ouest de Burnhaupt-le-Haut. — Si on accepte le tracé de la route par Cernay et Aspach-le-Haut, le grand camp peut être sur la Thur, dans l’Ochsenfeld (van Kampen), le campement barbare sur les hauteurs que domine le signal de Roderen, le petit camp au sud de Michelbach, sur la Bolier (cote 376), la bataille d’Aspach-le-Haut à Michelbach. — Ce qui, après examen des lieux, me ferait préférer la seconde hypothèse, c’est : 1° que le petit camp serait vraiment fort bien placé, idoneus locus (49, 1), dominant le pays, et fermant les chemins (route de Roderen à Guewenheim) par lesquels Arioviste pouvait descendre pour couper les convois arrivant de Belfort ; 2° Arioviste, dans cette hypothèse, demeure toujours adossé à la montagne ; 3° je comprends mieux sa marche de flanc, longeant le camp de César sans être attaqué : car, en rejoignant les hauteurs de Roderen par Thann et Leimbach, il était garanti, contre une agression de César, par le cours de la Thur d’abord et ensuite par les coteaux qu’il suivait. — Les autres partisans de Cernay (von Gœler, p. 47 ; Napoléon III, pl. 6 ; van Kampen, pl. 2) préfèrent tous la route d’Aspach-le-Bas, trop influencés sans doute par la voie romaine.

[56] I, 42, 1.

[57] I, 42, 2.

[58] I, 42, 3.

[59] I, 42, 3-6.

[60] I, 43, 1 ; à Merxheim ?

[61] I, 43, 1-3 ; 46, 1-2.

[62] I, 43.

[63] Quæcumque belle geri vellet, sine ullo ejus labore et periculo confecturum ; César, I, 44, 13. — J’imagine que César a rapporté ces propos pour montrer à Rome qu’il n’avait pas sacrifié à ses intérêts la dignité de l’Empire romain.

[64] I, 45.

[65] I, 46.

[66] I, 47, 1.

[67] C. Valerius Procillus, fils de C. Valerius Caburus, Helvien : I, 47, 4.

[68] M. Metium, qui hospitio Ariovisti utebatur, I, 47, 4. Il avait dû être déjà envoyé à Arioviste, soit lors des relations antérieures entre les Romains et le chef, soit peut-être simplement pendant les négociations qui ont précédé l’entrevue.

[69] I, 47, 5 et 6 ; Appien, Celtica, 17 (parle de chefs gaulois envoyés par César). César les retrouva vivants (I, 53, 5-8).

[70] I, 48, 1 : Millibus passuum sex a Cæsaris castris sub monte consedit. Cela semble bien prouver que jusque-là Arioviste était resté dans la plaine d’Alsace. — Je place le nouveau camp d’Arioviste, très hypothétiquement, le long des montagnes, au nord-est de Wattwiller. Soultz est proposé par von Gœler, p. 48.

[71] Cf. II, 48, 3 ; 50, 1.

[72] Præter castra Cæsaris suas copias traduxit ; 48, 1. Pourquoi César ne l’a-t-il pas attaqué en cours de marche ? On peut supposer qu’il a voulu d’abord reconnaître ce genre d’ennemi, absolument comme Marius dans une circonstance toute semblable ; il est plus naturel de croire que les Germains ont suivi des chemins difficiles à atteindre.

[73] César (48, 2) ne donne aucun détail sur la nature du campement germain ; Plutarque (César, 19) parle de collines et de défenses, d’où ils ne voulaient pas descendre : et cela est impliqué par le récit de César (48-51), et d’ailleurs conforme aux habitudes prudentes d’Arioviste. Peut-être faut-il rapporter aussi ici le texte de Dion (48, 2), disant que le camp suève dominait le camp romain. Tout cela convient assez au pays de Roderen.

[74] I, 48, 2 : il semble, d’après ex Sequanis et Æduis, que César pouvait recevoir encore les convois des Leuques et des Lingons (cf. I, 40, 11).

[75] I, 48, 3 ; Dion, 48, 3.

[76] I, 50, 4-5 ; Plutarque, César, 19 ; Dion, XXXVIII, 48, 1-2 ; Frontin, II, 1, 16 ; Polyen, VIII, 23, 4 ; Clément d’Alexandrie, Stromata, I, 15, 72, Stæhlin. La nouvelle lune était le 18 septembre.

[77] C’est la même qu’à Admagétobriga.

[78] I, 48, 4-6 ; Dion, 48, 2.

[79] I, 49, 1-3 ; Dion, 48, 2 (qui fait précéder la construction de ce nouveau camp par la prise, par Arioviste, d’une hauteur dominant le grand camp romain [Roderen ?]). Je crois que César a eu un instant l’idée d’investir son adversaire.

[80] I, 49. Au-dessus et au sud de Michelbach ?

[81] I, 50, 1-3 : César avoue qu’il eut lui-même à souffrir (illatis vulneribus), et Dion ajoute (48, 3) qu’Arioviste faillit prendre le petit camp, ce qui n’a rien d’invraisemblable.

[82] I, 51, 1 ; Plutarque, César, 19 ; il partit du grand camp, laissant, pour couvrir le petit, les auxiliaires, alarii (cf. I, 49, 5). Je ne suis pas certain que ce soient les auxiliaires à pied seulement. Et je crois que ces alarii ne sont autres que l’equitatus que commande P. Crassus (I, 52, 7).

[83] I, 51, 2 ; Plutarque, César, 19 ; Dion, 48, 3. César et Orose (VI, 7, 7) signalent à ce propos les Harudes, les Marcomans, les Némètes, les Vannions, les Triboques, les Sedusii (inconnus), et les Suèves (peut-être les Semnons).

[84] I, 51, 2-3. Sur les pentes qui s’étagent à l’ouest du chemin d’Aspach-le-Haut à Michelbach ?

[85] I, 51, 1 ; 52, 1. A Aspach-le-Haut ?

[86] I, 51, 1 ; 52, 7. A Michelbach ? Je place la cavalerie sur la gauche romaine (cf. 52, 6-7), devant le petit camp.

[87] I, 52, 2 et 3.

[88] I, 52, 3 : Appien, Celtica, 1, 3 ; Dion, XXXVIII, 49, 1, semble dire d’abord l’inverse : les Romains attaquèrent les premiers à l’épée, pour éviter la décharge des traits des Germains. Peut-être n’a-t-il pas compris le latin.

[89] I, 52, 4 ; cf. note précédente.

[90] I, 52, 4 et 5. II semble qu’il y eut, non pas une seule phalange, mais une série de catervæ formant tortue, chacune de 300 hommes et combattant isolément, Dion, XXXVIII, 49, 6.

[91] Cf. I, 52, 4 et 5. Dion (XXXVIII, 49, 2 et 3) dit, inversement, que les Germains, serrés de trop près par les Romains, ne purent se servir ni de leurs piques ni de leurs grandes épées ni de leurs épées plus courtes.

[92] I, 52, 5 ; Dion, XXXVIII, 50, 2, ne donne ce détail que dans le second épisode de la bataille ; Orose, VI, 7, 3 et 9 ; Florus, I, 45 [III, 10], 12 et 13.

[93] Chez Dion seulement, XXXVIII, 49, 3.

[94] Appien, Celtica, 1, 3.

[95] Dion, XXXVIII, 49, 4 ; cf. Appien, 1, 3.

[96] I, 52, 6.

[97] I, 52, 6 et 7 ; 53, 1. Et en effet Crassus, à Michelbach, est bien placé pour observer tout le terrain du combat.

[98] A l’exception peut-être de quelques catervæ ou phalanges d’élite, qu’il fallut en quelque sorte démolir pièce par pièce (Dion, XXXVIII, 50).

[99] César, I, 53, 1-4 ; Orose, VI, 7, 7 et 10 ; Plutarque, César, 19 ; Frontin, II, 6, 3 (?) ; Dion, XXXVIII, 50, 4-5 (complète César). Il y eut, semble-t-il, très peu de prisonniers, puisque des deux femmes et des deux filles d’Arioviste, il ne fut pris qu’une fille (César, I, 53, 4). Plutarque (César, 19) et Appien (Celtica, 1, 3) parlent de 80.000 morts.

[100] Il s’est passé, depuis le départ de Besançon, sept jours de marche (41, 3), sept de pourparlers (42, 3 ; 47, 1), sept de manœuvres (48, 3 ; 49, 1 ; 50, 1), et peut-être d’autres jours encore. La bataille s’est livrée peu avant la nouvelle lune (50, 5), qui tombait le 18 septembre. Il résulte également de 54, 2, que l’automne n’était pas venu. — Stoffel (p. 118) propose la date du 14 pour la bataille.

[101] I, 54, 1 : il y a ubi dans les mss., on a proposé Ubii.

[102] Tite-Live, Ép., 104 ; César, III, 7, 1. Si ce n’est que les Triboques, Vangions et Némètes semblent avoir été acceptés et conservés sur la rive gauche par César, comme il l’avait offert à Arioviste (I, 43, 9). Cf. Mommsen, R. G., III, p. 257-8. Il est possible, non certain, que les Séquanes ont recouvré le tiers cédé par eux à Arioviste.

[103] César, I, 45.

[104] Dion, XXXVIII, 47, 4 (qui a très bien vu cela).

[105] Dion, XXXVIII, 34, 1 ; felicitatem, César, I, 40, 13.