HISTOIRE DE LA GAULE

TOME I. — LES INVASIONS GAULOISES ET LA COLONISATION GRECQUE.

CHAPITRE VIII. — LES CONQUÊTES GAULOISES EN EUROPE[1].

 

 

I. — CAUSES ET CARACTÈRE DES INVASIONS.

Peu de temps après l’arrivée des Ibères sur la Garonne et sur le Rhône, les Celtes atteignirent à leur tour les deux fleuves (vers 400 ?[2]).

Ils n’étaient point un peuple à se contenter éternellement d’une conquête[3]. La nation ne se reposait que juste assez longtemps pour laisser vieillir les conquérants et grandir leur descendance. Tout établissement celtique fut le point de départ d’un nouvel élan.

Ces migrations périodiques avaient plusieurs causes, d’ailleurs liées entre elles.

La principale fut sans doute le désir, chez les générations nouvelles, de se lever et de marcher à leur tour[4], de prendre et de posséder autre chose, et de faire, comme leurs ancêtres, acte de guerriers et de vainqueurs[5]. Presque toujours, ce ne sont pas les anciens qui partent, mais les adolescents, fils et neveux des vieux chefs, qui, eux, restent auprès de leurs foyers[6]. La gloire de ces chefs est le stimulant de ces jeunes Gaulois[7] : et il se mêle à cet amour-propre la passion de leur âge, le souhait de terres lointaines, la curiosité des cieux inconnus[8] et l’ivresse des longues courses. Des motifs plus sérieux excitaient ces sentiments, et justifiaient ce besoin de partir[9]. Quelques traditions gauloises parlaient d’accroissements de population tels, disait-on, que les terres ne pouvaient plus contenir les hommes[10]. La chose n’est point incroyable[11]. Enserré par les bois et les marécages, le sol cultivé de la Gaule n’occupait qu’une surface restreinte : c’était une tâche difficile que d’en augmenter l’étendue[12]. Le desséchement des marais ne semble pas une besogne digne d’hommes préparés aux combats. Défricher les forêts devait paraître un sacrilège à un peuple qui les adorait. Le terrain utile ne s’étendait pas dans les mêmes proportions que les êtres à nourrir : et l’espèce celtique, passionnée, vigoureuse, encore indemne des tares civilisées, passait pour très prolifique[13].

Les Anciens ont aussi attribué à des dissensions intestines certaines de ces migrations[14]. Ce motif est également fort plausible. La Gaule ne pouvait échapper à ce fléau des guerres civiles qui disloqua les cités grecques et les tribus germaniques. Et, dans ces temps où le Celte n’était pas encore obstinément fixé à la terre, au foyer et aux tombeaux, le meilleur moyen d’en finir avec la stérile discorde fut encore de partir, volontairement ou en exil. Les Grecs allaient fonder des colonies sur d’autres rivages ; les Italiens essaimaient en printemps sacrés ; les Celtes, comme plus tard les Germains, dédoublaient leurs tribus ou leurs peuplades[15]. Une moitié restait ; l’autre s’éloignait, tantôt gardant fidèlement son nom national, et tantôt en choisissant un autre au cours de ses aventures[16].

Parfois encore, les départs ont été provoqués par des arrivées de nouveaux venus[17]. Le monde des deux rives du Rhin a été, pendant mille ans[18], d’une extrême mobilité. Après les Celtes, d’autres hordes congénères sont montées à leur tour des terres basses de l’Allemagne pour obtenir quelques domaines au centre de la Gaule : et, soit qu’on leur ait fait place en s’éloignant, soit qu’on les ait repoussées, il a fallu que des troupes d’hommes allassent plus loin chercher fortune.

Quelques anecdotes indiquaient comme causes à ces sorties de peuples des convoitises précises. Un jour, dit-on, un Étrusque[19] apporta aux Celtes transalpins des outres d’huile et de vin et des paniers de figues, les trois récoltes du Midi : les Barbares, émerveillés de ces fruits et de ces boissons nouvelles, partirent pour le pays qui les produisait[20]. Cela encore n’est pas impossible.

Enfin, la religion donnait l’élan à ces départs, provoqués par des intérêts ou des passions humaines : elle sanctionnait tous les épisodes de la sortie, de la marche et de la conquête. — Les dieux étaient d’abord consultés sur la route à suivre : ils indiquaient, sur la demande des chefs, le point de l’horizon vers lequel il fallait diriger les enseignes[21]. En cours d’expédition, ils ne s’éloignaient jamais des hommes de leur peuple ; leurs esprits planaient sur les soldats et sur les montures : des vols d’oiseaux inspirés par eux guidaient la troupe, et la conduisaient sûrement, d’étape en étape, jusque dans le pays de ses rêves[22]. Aux passages difficiles, des présages ou des prodiges écartaient le danger ou permettaient de tourner l’obstacle[23]. Quand l’heure de s’établir était venue, la volonté divine montrait par un signe qu’on avait touché la terre promise[24]. Une campagne de Celtes ressemblait à une course sacrée[25].

Ils partaient sans espoir de retour. Ces guerres étaient, le plus souvent, pour la conquête et non pour le pillage[26]. Les émigrants emmenaient femmes et enfants[27]. L’armée était suivie de chariots, chargés de provisions ou de butin, et portant les non-combattants[28] : le guerrier avait, derrière lui, sa chaumière ambulante. Des troupeaux flanquaient sans doute l’arrière-garde[29] ; des marchands allaient et venaient sur les flancs[30]. C’était tout un peuple se déplaçant.

Cela faisait de très grandes foules. Trois cent mille hommes, à ce qu’on rapporte, partirent à la fois pour se partager les vallées du Pô et du Danube[31]. Brennos marcha contre la Grèce avec cent cinquante-deux mille fantassins, vingt mille quatre cents cavaliers[32], environ deux cent mille combattants. Ces chiffres ne peuvent assurément pas être contrôlés : mais, comme ils se rapprochent de ceux que l’on retrouvera lors des invasions germaniques, il est permis de ne pas les croire exagérés.

Tous ces milliers d’hommes n’étaient pas de purs Celtes, fils ou petits-fils de ceux qui avaient déserté les rives de l’Océan du nord. Il y avait sans doute, dans cette foule, un grand nombre de Ligures qui, après avoir accepté la défaite, grossissaient l’armée de leurs vainqueurs[33]. Quand les Anciens nous parlent de ces invasions gauloises, entendons par là, surtout, des hommes venus de la Gaule, mais descendant à la fois des Celtes conquérants et des indigènes conquis, comme l’armée des Francs de Charlemagne, telle qu’elle apparut dans les plaines lombardes, était un ramassis de soldats sortis des origines les plus diverses[34].

 

II. — L’ÉPOQUE DES CONQUÉRANTS : LES NEVEUX D’AMBIGAT[35].

Les premières et les plus grosses masses humaines qui partirent de la Gaule furent expédiées deux ou trois générations seulement après la conquête, au temps de l’hégémonie biturige (400 avant notre ère ?).

Ce fut, disait la tradition nationale[36] du peuple, le vieil Ambigat, chef des Bituriges et roi de toute la Celtique, qui résolut de créer au loin d’autres nations de ce nom. Son empire était florissant, mais les hommes y étaient devenus si nombreux, qu’il paraissait impossible de gouverner cette multitude. Alors Ambigat ordonna à ses deux neveux, Bellovèse et Ségovèse, de se préparer à partir. Il leur laissa prendre dans son peuple tous les guerriers qu’ils voulurent, mais il s’en remit aux dieux du soin de fixer le chemin. Ils montrèrent à Ségovèse la direction de l’est, vers la forêt Hercynienne et la vallée du Danube, et à Bellovèse la direction du sud, vers le Rhône, les Alpes et l’Italie. Et les deux bandes partirent, conduites par leurs jeunes chefs, et protégées par leurs dieux[37].

Dans le même temps, ou peu après, une troisième troupe, partie également du pays biturige, s’achemina vers le couchant pour gagner l’Océan, les Pyrénées et l’Espagne ; peut-être même une quatrième s’enfonça-t-elle vers le nord. Aux quatre coins du monde, les Celtes lancèrent leur jeunesse, et l’épopée de la conquête commença.

Car il est bien possible que ces hommes aient eu l’espérance de conquérir à leur nom toute la terre. De vastes pensées de ce genre ne sont pas étrangères aux peuplades barbares. Les sauvages les plus isolés chantent dans leurs hymnes de guerre d’immenses ambitions et leurs désirs d’universelles victoires. Tout ignorants qu’ils fussent de ce qu’était le monde, les Celtes ne sont point partis sans en souhaiter l’empire[38]. Et au fur et à mesure de leur descente victorieuse dans les larges vallées, ce souhait n’a pu que grandir.

Au surplus, ils ne sont pas partis au hasard. Ils ne vivaient certainement pas dans l’ignorance des grasses terres et des puissantes cités du Midi. Les marchands leur avaient apporté l’écho de ces richesses. Dans leurs marches, ils ne vont pas à l’aveugle, et suivent, sans se tromper, les routes qui mènent aux meilleurs endroits.

Aucune de leurs migrations ne fut le mouvement irréfléchi d’une bande d’aventuriers ou de désespérés. Il est rare qu’une nation la fournisse toute à elle seule. Il y a, dans la plupart des grandes troupes, des représentants de plusieurs peuplades. La double armée que conduisirent les neveux d’Ambigat renfermait des Volsques, des Boïens[39], des Bituriges, des Arvernes, des Sénons, des Éduens, des Ambarres, des Aulerques, des Carnutes. On dirait que tous les groupes du nom celtique aient alors fermement maintenu leur union pour revendiquer chacun son lot dans le partage du monde.

Mais après ce premier et plus solennel départ, bien d’autres suivirent, provoqués par les victoires des initiateurs de la conquête. En moins de dix ou quinze ans, trois nouvelles troupes furent envoyées au delà des Alpes, formées sans doute à l’aide des nations qui avaient eu la moindre part à la grande expédition. D’autres prirent à leur tour le chemin du Danube, et désormais, pendant près de deux siècles, la Gaule ne cessera de déverser vers le sud des vagues de conquérants, pour rejoindre, remplacer, grossir ou dépasser celles qui les avaient précédées[40].

 

III. — LES CELTES EN ITALIE[41].

Les plus favorisés étaient ceux qui se dirigeaient vers l’Italie[42]. Ils avaient, les premiers jours de leur marche, l’épouvante des Alpes[43] : mais, quand ils les eurent franchies, soit au mont Genèvre[44], soit au Grand Saint-Bernard[45], ils trouvèrent tout de suite la plaine la plus vaste, les terres les plus fécondes que leurs poètes eussent pu rêver : des champs de blé, des prairies toujours arrosées, des terres verdoyantes enserrées par un réseau de canaux innombrables, des vignobles tassés, des masses mouvantes de troupeaux, s’étalaient, a perte de vue, dès les dernières pentes qui descendaient des monts[46].

Les Étrusques occupaient alors la Circumpadane. C’était le temps de la plus grande extension de leur nom : il touchait aux Alpes dans le nord ; au midi, il arrivait jusqu’aux villes campaniennes de Iole et de Capoue[47]. Mais, comme l’État ibérique, l’Empire étrusque s’affaiblissait en s’étendant sur trop de terres et sur trop de mers : son indolence militaire ou les luttes intestines l’empêchaient de songer aux ennemis des frontières[48] ; les Latins achevaient, en ce moment, de reconquérir leur indépendance, et Rome, qui assiégeait Véies, enlevait aux Étrusques cette route médiane du Tibre qui était la plus nécessaire au maintien de leur suprématie[49]. Enfin, au delà des Apennins, les peuplades ligures étaient encore trop nombreuses, pour que la puissance toscane n’y fût pas souvent précaire.

Les Gaulois eurent donc beau jeu dans le nord de l’Italie. On ne les attendait pas. Les peuples de ces régions étaient de bons agriculteurs[50] et d’habiles marchands[51] plutôt que des soldats. L’arrivée de Bellovèse les surprit[52]. Une bataille fut perdue par eux près du Tessin[53], la grande douve protectrice de la Lombardie ; Melpum, la principale ville étrusque, qui trônait dans la plaine milanaise, fut emportée et détruite (vers 396 ?)[54]. Ce terrain était un champ providentiel de victoire pour la cavalerie celtique : l’espace, toujours ouvert devant elle, semblait lui appartenir.

D’autres chefs, d’autres bandes rejoignirent Bellovèse[55]. On franchit le Pô sur des radeaux[56], et on trouva de nouvelles plaines. Felsina, l’autre princesse de l’Étrurie du nord, la ville qui gardait près du Reno la traversée des Apennins et la marche de l’Adriatique, succomba à son tour[57]. Les Celtes n’avaient garde de s’engager dans le haut pays. On longea l’Apennin jusqu’à la mer Adriatique, poussant toujours vers le midi. Mais entre les hauteurs et le rivage, les terres basses se rétrécissent de plus en plus. Au cap d’Ancône, la montagne touche à la mer, comme pour arrêter la plaine. Les Gaulois ne le dépassèrent pas[58].

Après chaque étape victorieuse, quelques bandes s’arrêtaient et se fixaient, laissant les autres continuer plus loin. Les premiers partis et les plus nombreux, ceux de Bellovèse, furent les mieux partagés et fondèrent, entre le Tessin[59] et l’Oglio[60], la puissante nation des Insubres[61] ; son marché de Mediolanum[62], Milan, remplaça Melpum : la plaine lombarde et sa capitale commencèrent dès lors à jouer, dans le nord de l’Italie, un rôle souverain. De l’Oglio à l’Adige se constitua la peuplade des Cénomans[63], groupée autour de Brescia et de Vérone[64]. La plaine émilienne, entre le Pô et les Apennins, devint l’apanage de Boïens aux tribus innombrables[65] et de Lingons[66]. Felsina fut reconstituée sous le nom celtique de Bononia, Bologne[67]. Enfin, plus à l’est, les Sénons s’établirent dans l’étroite bande de terres qui s’étend entre l’Adriatique et les Apennins[68]. — Sous cette quadruple domination, une nouvelle Celtique grandit dans la plaine italienne, presque aussi riche et aussi populeuse que celle dont elle était la fille.

Nulle part elle ne sortait de la plaine[69]. C’était là qu’était le meilleur sol, et le plus favorable aux combats. Si nombreux qu’ils fussent, les Celtes ne pouvaient pas éparpiller leurs hommes au delà des grands domaines utiles qu’ils s’assurèrent d’abord. Ils laissèrent les Ligures Taurins dans le Piémont, encore trop gêné par les hauteurs[70] ; ils négligèrent, à l’est de l’Adige et au nord de la pinède de Ravenne, les terres des Vénètes, obstruées ou protégées par les marécages[71].

Il en fut vite de la nouvelle Celtique comme de la première. A peine créée, elle déborda autour de ses domaines. Moins d’une génération après le passage des Alpes, quelques Celtes se trouvaient déjà à l’étroit. Ils voulurent connaître ou prendre[72] ce qu’on vantait au delà des Apennins : les domaines agricoles de l’Étrurie et la longue vallée du Tibre leur offrirent de nouvelles séductions.

De toutes les peuplades, celle des Sénons était la plus mal partagée. Resserrée entre la montagne et l’Adriatique, elle avait trop de hautes terres et pas assez de plaine, trop de rochers et pas assez de cultures[73]. La mer ne lui suggérait rien. Une partie du peuple s’enfonça vers le sud, entraînant sans doute beaucoup de Celtes venus d’ailleurs[74]. Trente mille hommes[75] marchèrent contre Chiusi, la plus vieille, la plus riche, la plus peuplée des cités étrusques[76], la terre célèbre entre toutes par ses lourds épis et ses belles grappes[77].

Mais dans ces contrées au sol inégal, en face de ces villes plus fortes et plus énergiques, au pied de ces rochers escarpés hérissés de murailles massives[78], sous ce climat plus chaud[79] et aux vins capiteux[80], les Celtes ne rencontrèrent pas les mêmes victoires décisives que dans les vastes espaces de la Circumpadane. A chaque instant, leur élan était brisé par la résistance d’une citadelle[81] ou par la folie de l’ivresse[82]. Ils se trouvaient en lutte avec des nations compactes et des cités anciennes[83] : Etrurie et Latium étaient, à la différence des régions du Pô, de robustes sociétés humaines, unies par des habitudes sacrées, et qui ne se laissaient ni prendre ni entamer. Sans doute, la terreur panique[84] des Romains livra aux Celtes le champ de bataille de l’Allia (18 juillet 390) et ensuite la ville de Rome : mais ce furent des victoires sans combat. Peut-être les vainqueurs obligèrent-ils le Capitole, par la famine, à se rendre[85] ou à se racheter[86] (390) : mais ils n’occupèrent jamais, sur les bords du Tibre, qu’un sol inutile ; et les lugions, demeurées intactes, achevèrent de disloquer cette foule énervée et amollie par les longueurs de la résistance et les plaisirs du repos[87]. Les survivants[88] durent se hâter de regagner leurs terres de l’Adriatique[89] (février 389[90]).

Les Celtes, Sénons ou autres, s’entêtèrent pendant des années à revenir dans la vallée du fleuve[91]. Rome les revit plus d’une fois près de ses murailles ; ils campèrent sur le mont Albain[92], ils descendirent dans la Campanie[93], ils errèrent jusqu’en Apulie[94] : sur plusieurs points, ils touchèrent aux rivages de la Méditerranée, allant et venant à l’affût d’un nouveau butin[95]. Mais, quelque nombreuses qui aient été parfois leurs bandes, elles ne réussirent jamais qu’à piller. Il y eut de belles batailles[96], des combats singuliers qui demeurèrent célèbres[97]. Tout cela ne servit qu’à donner aux Romains plus de force, plus de prestige, plus de confiance en eux-mêmes : ces invasions leur fournirent une école à la fois de gloire et de guerre ; elles les préparèrent et les désignèrent pour procurer à l’Italie une revanche définitive sur les Celtes, et pour lui imposer une domination plus solide que celle des gens de Véies et de Felsina. Elles firent, pour ainsi dire, passer la péninsule de l’empire des Étrusques dans celui de Rome. Et quand la dernière des troupes barbares eut disparu (en 349), et que les Apennins eurent été fixés comme la barrière méridionale des peuples celtiques[98], Rome avait commencé son œuvre mondiale en les arrêtant pour toujours à la ligne des montagnes italiennes[99].

 

IV. — LES CELTES SUR LE DANUBE ET EN ORIENT[100].

Sur la voie du Danube, les étapes de la conquête furent plus longues, plus nombreuses, plus variées. Elle ne prit fin que longtemps après le moment où les vainqueurs des Alpes s’étaient arrêtés devant les Romains.

Ségovèse franchit le Rhin[101], puis la forêt Hercynienne[102], et rencontra le Danube : il n’avait plus qu’à le suivre, sous la protection de ses dieux[103]. Ses hommes trouvèrent partout, au milieu d’un immense cadre de forêts, d’abondants pâturages, des plaines à blé[104], et, à la portée des terrains de labour, les mines de fer des montagnes[105]. Cela valait la peine de s’arrêter. On fit d’énormes massacres d’indigènes[106] ; on détruisit sans doute des empires riches et florissants[107] ; puis, plusieurs peuplades se constituèrent pour une installation définitive.

Les Helvètes eurent en partage le premier lot de bonnes terres, celui de la Franconie, qu’entouraient, comme les trois côtés d’un triangle, le Hein, le Rhin et le Jura Souabe[108]. — Les Boïens s’enfoncèrent plus à l’est, et purent fonder, dans le quadrilatère de Bohème, un empire durable, enfermé par la nature comme dans une citadelle[109]. — Limités par la triple ligne de forêts que formaient les monts Hercyniens, les Alpes et les monts de Bohême, les sols de culture facile de la Bavière et du haut Danube devinrent le domaine des Volsques Tectosages, et cette nation, elle aussi admirablement protégée, grandit sans cesse en justice, en gloire et en force[110]. — Un quatrième État naquit, sous le nom de Taurisques[111], dans le massif des Alpes autrichiennes et styriennes, à la tête des rivières qui descendaient vers le Danube. Celui-là avait moins de plaine et de terrains cultivés ; mais la jouissance d’abondantes mines de sel, de fer et d’or, la possession des cols les plus bas des Alpes et des routes les plus courtes entre l’Italie et l’Europe centrale, la force de sa ville du milieu, Noréia[112] (Neumarkt), lui assurèrent une longue existence, des richesses sérieuses et une sage activité[113]. — Ainsi, au sud des grandes forêts et des deux côtés du Danube, depuis sa source jusqu’aux monts de Vienne, une nouvelle Celtique asseyait ses quatre puissantes nations sur l’énorme socle de plateaux qui constitue la Haute Allemagne[114].

La plaine du Danube, en revanche, retint les Celtes moins solidement. Peut-être était-elle trop abîmée par les marécages ou par les passages de tribus : vaste couloir ouvert à toutes les invasions, terre trop basse sans cesse détrempée, elle n’offrait pas les conditions stables et les contours précis nécessaires à la création d’un peuple fait pour résister[115]. — Puis, et surtout, la Grèce était très proche, et son nom attirait de plus en plus les bandes qui se formaient dans les États du monde celtique[116] (400-350).

Pendant assez longtemps, la peur ou le respect d’Alexandre contint le tumulte sur les bords du Danube. Le Macédonien y rencontra des Celtes : ils lui adressèrent de fières paroles, affirmant qu’ils ne redoutaient que la chute du ciel[117]. Mais ils n’en cultivèrent pas moins son amitié, et ne franchirent pas le fleuve. Ce jour-là, Alexandre rendit au monde méditerranéen le même service que Rome un demi-siècle plus tôt[118] (335).

Après sa mort (323), et à la faveur de l’anarchie, les Celtes tirent dans la Grèce à peu près tout ce qu’ils voulurent[119]. — Peut-être aussi de nouvelles hordes, venues de l’Océan, obligèrent-elles les Celtes du Danube à sortir de leur réserve pacifique et à reprendre les chemins des aventures[120].

De 298 à 218, toutes les régions des Balkans furent, l’une après l’autre, livrées au pillage. On vit les Celtes d’abord sur l’Hémus[121], puis en Thrace[122], puis en Macédoine, où une victoire leur donna comme trophée-la tête royale d’un Ptolémée[123]. Et enfin, quand il n’y eut presque plus rien à prendre au nord de l’Olympe, le chef suprême de ces bandes, Brennos, leur montra le chemin de la Grèce. Plus de deux cent mille hommes, Celtes ou aventuriers, combattants et valets, se précipitèrent vers le sud, à la curée des trésors que les Hellènes avaient accumulés dans leurs temples[124]. La Thessalie fut dévastée[125], les Thermopyles furent franchis[126], et le pillage de Delphes commença[127]. Delphes, pour les hommes de ce temps, Barbares et autres, c’était le plus gros amas d’or qui pût se trouver dans le monde, et les brigands de la Grèce vinrent prêter main forte à Brennos[128]. Le chef des Celtes aimait à rire : Il fallait, disait-il, que les dieux trop riches fussent généreux pour les hommes[129].

Mais les deux divinités souveraines du monde méditerranéen, Jupiter et Apollon, finissaient toujours par l’emporter sur les Titans et sur les Barbares. Les Celtes de Brennos eurent le même sort que leurs congénères de Rome. Attaqués aux abords du sanctuaire, alourdis par l’or et l’ivresse, privés du secours de leur cavalerie, surpris par un ouragan de montagne, éperdus alors dans ce pays sauvage, hérissé de pierres et déchiré de ravins, où les rochers semblent des dénions, où l’écho amplifie et dénature les moindres bruits[130], ils prirent peur, se crurent battus par les hommes et les dieux, et s’imaginèrent sans doute que le ciel, cette fois, allait tomber sur leur tête : ce qui était leur seule crainte[131]. Brennos se tua[132], et les siens remontèrent vers le nord, emportant beaucoup de butin[133], et laissant aux Grecs, qui en abusèrent, la moire d’un triomphe (fin de 279)[134].

Les Celtes, au surplus, étaient venus en Grèce, comme en Étrurie, autant pour acquérir des terres que pour prendre de l’or. S’ils avaient quitté les bords du Danube, c’est parce qu’ils ne s’y sentaient pas en sûreté. Après l’aventure de Delphes, ils ne songèrent plus qu’à s’établir. A cet égard, ils furent plus heureux que ceux de l’Italie après la rançon du Capitole.

Il leur était impossible de trouver la moindre place dans la Grèce propre, terrain de valeur secondaire, où les nations et les cités s’entassaient, plus nombreuses qu’elles ne pouvaient vivre : mais tout autour de l’Hellade, la Barbarie illyrienne, thrace et phrygienne possédait encore des vacants de grand prix. — De l’armée qui avait pillé Delphes, une moitié reflua vers le Danube, d’où elle venait. Mais alors les Celtes se résignèrent à ce pays[135]. Les anciens soldats de Brennos fondèrent, dans la vallée de la Morava serbe et dans la Mésopotamie sirmienne, entre Drave et Save[136], l’État des Scordisques[137], dont Belgrade (Singidunum) était le centre ou la capitale[138] adossé aux montagnes serbes et slavonnes, et maître du plus grand carrefour de l’Europe orientale, le nouvel empire pouvait jouer un beau rôle dans l’histoire du monde[139]. — L’autre moitié des tribus de Brennos se dirigea vers la Thrace, et réussit à créer, entre le bas Danube et la Propontide, un royaume qui s’enrichit et s’assagit très vite : car il occupa, sur les pentes méridionales de l’Hémus, des terres où il faisait bon vivre[140], et où il se trouvait à portée des routes très fréquentées qui convergent vers Byzance[141]. — Ces compagnons de Brennos, dont les poètes et les chroniqueurs grecs ont fait de vulgaires bandits, lâches et brutaux, ivrognes et mauvais plaisants, contempteurs des dieux et des morts[142], ont choisi les gîtes de leurs empires en agriculteurs entendus et en marchands très avisés.

Une troupe de vingt mille hommes environ[143] s’était séparée avant la marche sur Delphes[144]. Après avoir erré dans la Thrace[145], elle finit par convoiter l’Asie[146]. Un roi de Bithynie, éternellement en guerre avec ses voisins, la fit venir pour s’en servir contre eux[147] (278). Dix-sept chefs de bandes franchirent l’Hellespont et le Bosphore[148]. Mais une fois sur la terre désirée, ils s’entendirent pour tracasser et piller tous les peuples : on trembla devant eux à Milet et à Éphèse. La Grèce asiatique, riche, amollie et divisée, crut à la dernière heure de ses villes, de ses temples et de ses dieux[149], lorsque les Celtes campèrent sur les ruines de Troie, et que leurs chevaux souillèrent les plaines foulées par le char d’Achille[150]. On eut raison d’eux beaucoup moins par des victoires[151] que par des concessions de terres (276 ?[152]). Les Asiatiques leur abandonnèrent la Phrygie orientale, où ils eurent la vallée de l’Halys, un de ces beaux fleuves que recherchait la race gauloise.

Il est probable qu’ils auraient volontiers continué plus loin, d’autant plus que de nouvelles recrues grossirent sans doute leur nombre[153]. Mais peu à peu, tout autour des Galates (comme on les appelait dès lors), les Grecs, villes et rois, avaient repris courage. Les Barbares se virent bloqués par des places fortes ; la Propontide et les détroits les séparaient de leurs congénères de Thrace ; le royaume naissant de Pergame leur ferma la mer[154]. Force leur fut de se borner à razzier autour d’eux, et de se contenter des terres phrygiennes (vers 233 ?).

Mais après ces trois fondations orientales, une suite presque ininterrompue d’empires celtiques s’échelonnaient à travers l’ancien continent, le long de sa grande voie centrale, depuis l’embouchure du Rhin jusqu’à celle du Danube, jusqu’au Bosphore et à la montée du Taurus.

 

V. — LES CELTES EN ESPAGNE[155]

La marche des Celtes à l’ouest n’a pas laissé dans leur histoire de ces souvenirs précis ou de ces épisodes héroïques dont abondent la descente sur Rome et la montée vers Delphes. C’est que, du côté de l’Atlantique, ils allaient contre des pays plus barbares, et qu’ils ne rencontrèrent pas, au delà de la Garonne et des Pyrénées, de ces villes artistes et de ces poètes écriveurs qui conservent la mémoire des batailles et des invasions. En outre, cette migration fut la moins nombreuse de toutes : peut-être fut-elle composée, non pas de tribus entières, mais de quelques groupes d’hommes ou de familles, empruntés aux différentes nations de la Gaule : elle ne fut que le résidu des grandes bandes constituées pour la double conquête du Levant[156]. Aussi ne savons-nous pas exactement le chemin qu’elle suivit. Il est probable qu’elle se dirigea par la route des confluents girondins, mais cela n’est point hors de doute. Sur son passage, elle refoula, soumit ou détruisit quelques colonies ibériques ; elle laissa des familles pour garder les meilleurs endroits, le port de Bordeaux et les passages du fleuve[157]. Au delà, elle traversa sans s’arrêter les Landes et les Pyrénées ibéro-ligures[158], et, par Roncevaux ou le rivage, elle arriva dans les joyeuses terres de l’Èbre supérieur[159].

Mais au sud des montagnes, les Celtes ne purent prendre pour eux aucun domaine important. Ils étaient trop peu nombreux ou l’État des Ibères était encore trop fort pour qu’une bonne place leur fût donnée. S’ils l’ébranlèrent ou le disloquèrent, ils ne l’ont supplanté nulle part. L’invasion fut rejetée vers le sud, hors du cours de l’Èbre, dans les hautes terres qui séparent sa vallée des bassins supérieurs des fleuves océaniques. Bon gré mal gré, le fort de la troupe dut s’arrêter sur ces plateaux ingrats où habitaient les hordes des bergers bébryces. Celles-ci furent peut-être alors transplantées dans les Pyrénées roussillonnaises : les Celtes les remplacèrent[160]. Mais ils ne réussirent même pas à conserver leurs noms nationaux et à former des Etats de leur langue et de leur race ; ils ne purent que se mêler avec ce qui restait d’indigènes. La population qui naquit de ce mélange portera désormais le nom de Celtibères : belliqueuse, hardie, prompte au pillage, rebelle à l’obéissance, d’ailleurs à demi sauvage et longtemps impropre à la vie municipale, elle oublia vite ce qu’il y avait de plus aimable dans les habitudes celtiques, et elle prit quelque chose de la rudesse et de la stérilité des terres broussailleuses où elle avait élu domicile[161].

Le gros des Celtes était donc écarté des larges vallées qui menaient aux meilleures terres de l’Espagne. Mais plusieurs bandes réussirent à se glisser à travers les peuplades indigènes qui gardaient les plateaux des deux Castilles. L’une descendit le long du Guadiana et parvint à se fixer non loin de son embouchure[162] ; une autre, en suivant le Douro, s’établit près de Salamanque[163] ; une troisième encore, poussant plus loin, ne s’arrêta qu’aux limites mêmes du monde, sur les terrasses de la Galice qui regardent l’Océan Atlantique et le cap Finistère[164]. Toutes trois firent souche de tribus ou de petites peuplades, qui recevront pendant des siècles le nom de Celtes ou de Celtiques.

Mais, si hardis et si heureux qu’avaient été ces aventuriers, ils s’étaient bornés à insérer leur nom et leur domicile dans les marches au sol moins riche qui séparaient les unes des autres les grandes nations espagnoles, Cempses ou Lusitans, Ibères et Tartessiens[165]. Ils n’ont remplacé ni détruit aucune d’elles. Au delà des Pyrénées, ils n’ont fondé que des colonies éparses[166], et dans les terres qu’on se disputait le moins[167] ; et ces colonies lointaines, environnées et submergées par des peuplades étrangères, et sans cesse mêlées à des habitudes qui n’étaient point les leurs, n’ont presque plus retenu que le nom de Celtes comme souvenir de leur première origine (vers 400 ?[168]).

 

VI. — ACHÈVEMENT DE LA CONQUÊTE DE LA GAULE.

Au fur et à mesure fille les Celtes colonisaient au loin, ils prolongeaient autour d’eux, dans la Gaule même, leurs domaines immédiats. Le long des routes suivies par ceux qui émigraient au delà des monts, il se formait peu à peu de nouvelles nations qui élargissaient la masse compacte de l’Empire celtique. Ce fut alors qu’il déborda, bien en dehors des terres de la France centrale, jusqu’à toucher les rivages des deux mers (400-300 ?)[169].

On vient de voir que, du côté de l’Océan, Bordeaux passa du pouvoir des Ibères it celui des Celtes : une tribu de Bituriges y fit souche de peuple, et les Bituriges Vivisques grandirent, comme un pied de gui, sur un sol étranger[170]. En amont aussi, et sur tous les points où le fleuve était navigable[171], les Celtes atteignirent, traversèrent et gardèrent la Garonne[172]. Ils occupaient Langon, port et lieu de passage important[173] ; la peuplade des Nitiobroges se constitua dans la plaine agenaise aux riches cultures[174]. Toulouse tomba sous l’empire d’une nation populeuse, les Volsques, parente et homonyme de celle qui venait de conquérir le Danube bavarois. Ligures et Ibères durent s’éloigner de la grande rivière, qui devint celtique sur ses deux rives.

Il est vrai qu’on leur laissa le haut pays[175] : nulle part, les Celtes ne cherchèrent à dépasser la lisière des forêts qui couvraient les coteaux de la rive gauche et dont les lignes sombres s’entrevoyaient dès les bords du fleuve. Alors qu’ils pénétrèrent très profondément dans les Alpes, ils se sont tenus assez loin des Pyrénées : cela, sans doute, parce qu’ils n’ont envoyé que de faibles contingents vers l’Espagne, qu’ils ont perdu de très bonne heure toute relation avec leurs congénères de la péninsule, et que leurs ambitions d’Italie et du Danube leur ont fait négliger les routes et les terres du sud-ouest.

En revanche, ils prenaient pied sur le littoral méditerranéen de la Gaule.

Le seuil de Lauraguais, la vallée de l’Aude, la plaine du Bas Languedoc, étaient le prolongement naturel de la Garonne. Ces pays partagèrent la destinée du grand fleuve. Les Volsques enlevèrent aux Ibères Nîmes, Béziers, Narbonne même, et cette vieille cité changea trois fois de maîtres en deux siècles. Ils ne s’arrêtèrent que sur les bords de la Têt, en vue des Pyrénées qu’ils n’ont jamais gravies sur ce point[176]. Le Languedoc, depuis le confluent du Tarn et de la Garonne jusqu’au delta rhodanien, appartint à une seule nation, et, pour la première fois peut-être, il réalisa une vague unité politique (vers 300 ?)[177].

Tous les fleuves du pourtour gaulois avaient été revendiqués par les Celtes. Mais le Rhône, le plus gai et le plus riche, et qui ouvrait la route de l’Italie, fut le plus encombré de peuples, le plus disputé entre les émigrants. Ceux qui ne purent ou ne voulurent pénétrer dans la Circumpadane refluèrent sur ses rives : de puissantes nations prirent naissance le long de sa vallée, adossées aux grandes montagnes vers le levant, enrichies par la rivière au couchant : les Allobroges, de Genève au confluent de l’Isère[178] ; puis les Tricastins[179], au delà de la Drôme ; puis les Cavares, dans la mésopotamie du Comtat[180]. Une Celtique rhodanienne, agitée, batailleuse, toujours prête à monter en Italie[181], se constitua vers le temps où Bellovèse et ses héritiers achevaient de créer celle du Pô (400-350 ?).

Entre les deux, la communication ne fut jamais rompue. Des colonies avancées, plantées presque au pied des cols, en assurèrent le passage aux Celtes rhodaniens. Les Allobroges tinrent les hautes vallées jusqu’à l’entrée de la Tarentaise[182] ; les Ceutrons, qui occupaient cette dernière, semblent avoir été une tribu congénère[183]. Sur la route du mont Genèvre, les Caturiges, de même origine, étaient installés à Embrun[184], les Tricores et les Voconces autour de Gap et à la montée du col de Cabre, maîtrisant ainsi la voie la plus droite et la plus courte qui allât du Rhône au Pô[185]. Les Ligures paraissent avoir été relégués surtout dans les vallées qui finissaient en impasses[186].

Au sud de la Durance, les Celtes pénétrèrent dans l’antique domaine des Ligures qui entouraient Marseille. On rapporta plus tard qu’ils y avaient été conduits par une mystérieuse sympathie pour la ville grecque, peuplée d’émigrants qui avaient erré comme ils le faisaient eux-mêmes[187] : il est plus naturel de croire qu’ils ont eu la tentation de la piller, et on verra qu’en effet la descente des Celtes sur le bas Rhône fut pour Marseille l’occasion de nouveaux dangers (vers 400)[188].

Sur ce point, d’ailleurs, les Celtes ne se présentèrent pas en très grand nombre. Les terres sèches, les vallées étroites et le Mistral de Provence n’étaient point de nature à les séduire. Ils ne furent pas assez forts pour imposer leur nom et leur loi aux indigènes ; ils se bornèrent, comme d’autres avaient fait en Espagne, à se mêler à eux. Des Alpines et du Rhône à la Durance et aux îles d’Hyères, dix tribus celtiques et ligures s’associèrent en une vaste confédération, qui prit le nom de la plus ancienne ou de la plus puissante, la tribu ligure des Salyens d’Arles[189].

Les Caltes ne s’aventurèrent pas plus loin : au delà de Trets sur la route de l’Arc et de Toulon sur le rivage, ils abandonnèrent aux Ligures les monts des Maures, l’Estérel, les Alpes de Provence[190] : l’arrière-pays ne valait pas grand’chose par lui-même ; la tuer ne les attirait pas ; ce n’était point par là que passaient les vraies routes de l’Italie.

Enfin, au nord-ouest de la Gaule, l’Armorique commençait à devenir celtique. Peut-être sont-ce les peuples du val de Loire qui ont le plus contribué à coloniser le centre et le midi de la péninsule : les Carnutes envoyèrent une de leurs tribus dans le pays de Rennes[191], et ils conserveront toujours une grande influence parmi les hommes de ces régions[192]. Aussi bien est-ce au pied des collines du Perche, de Chartres à la Vilaine, que se dirige la plus rapide des routes d’accès dans la presqu’île bretonne.

C’était donc, d’un bout à l’autre de la contrée, un va-et-vient incessant de tribus à la recherche de terres vacantes. Par-dessus les peuples déjà formés, passaient des colonies de peuples voisins qui allaient chercher fortune, portant avec elles leur nom national, le transplantant à cent lieues de son premier domaine[193]. On vit des Bituriges s’installer à Bordeaux, des Lémoviques près de Nantes[194], des Carnutes près de Rennes, des Aulerques près de Lyon[195]. Le partage de la Gaule, commencé il y avait deux siècles, se continuait entre les premiers occupants, à la faveur même des mouvements que provoquaient les conquêtes lointaines. Ce monde celtique s’agitait et se déplaçait encore, et ne se tassait que fort lentement.

 

VII. — ARRIVÉE DES BELGES.

Pendant que le domaine des Celtes s’accroissait dans le Sud et au delà des monts, il était menacé dans le Nord.

Ils avaient laissé, dans les plaines de la Basse Allemagne, des tribus et des nations apparentées. Ils n’avaient été d’abord qu’une peuplade assez semblable à toutes celles qui occupaient les vastes espaces de l’Europe du nord ; et c’était le hasard des évènements et leur bonne fortune qui avaient fait des Celtes les fondateurs d’un empire, et imposé leur nom à la moitié du monde. A l’est du Rhin s’étendaient un grand nombre de peuples qui, pour porter maintenant d’autres noms, n’en avaient pas moins été, jadis, frères de sang et de langue de la fédération celtique. — Mais, depuis deux ou trois siècles qu’ils avaient été séparés les uns des autres, que ceux-là étaient demeurés dans leurs plaines, que ceux-ci avaient conquis d’autres terres, des différences sensibles s’étaient produites entre eux[196]. Celtes et Transrhénans tendaient à devenir des espèces opposées.

L’opposition devait grandir d’autant plus que les jalousies et les guerres étaient inévitables entre ces deux groupes de peuples issus d’une souche commune. Le désir qui avait poussé les Celles vers la Gaule gagna naturellement leurs plus proches voisins. Des bandes de Transrhénans accoururent à leur tour pour prendre part à la curée[197]. Et ceux qui l’avaient déjà faite se retournèrent contre elles pour défendre leur proie, comme plus tard les Francs voulurent repousser les Alamans au delà des Vosges ou du Rhin.

Les Transrhénans furent les plus forts. Quelques dizaines de leurs tribus, associées sous le nom de Belges[198], parvinrent à franchir le fleuve et à pénétrer dans les vallées de la Gaule du nord. Ce qui restait de Ligures sur les rivages ou près des fleuves fut définitivement conquis[199]. Il y avait dans cette région, et notamment au delà des Ardennes, le long de l’Aisne et de l’Oise, des champs admirables que ces Belges convoitaient[200] : les Celtes qui les détenaient furent vaincus, dépossédés et chassés[201]. Les nouveaux venus les refoulèrent vers le sud : et peut-être ces Volsques, ces Aulerques, ces Carnutes, que nous avons vus traverser la Gaule à la recherche de terres nouvelles, étaient-ils des fugitifs de la Normandie, de l’Ile-de-France, du Soissonnais et de la Champagne, brutalement expropriés par l’invasion (vers 300 ?[202]).

Les vainqueurs occupèrent toutes les vallées du nord, des deux côtés des Ardennes. Ils eurent notamment celles de la Somme, de l’Oise, de l’Aisne, de la Moselle, qui étaient les plus fertiles. Mais ils s’arrêtèrent à quelque distance de la Seine, dont le cours moyen et supérieur ne fut pas enlevé aux Celtes[203].

Ce ne fut que vers le levant que les Transrhénans, Belges ou autres, gagnèrent sur le midi. Peut-être, à cet angle que dominaient les Vosges méridionales, la puissance celtique n’avait-elle jamais été très forte[204]. Par la trouée de Belfort, les cols du Jura ou la ligne des lacs suisses, les envahisseurs se déversèrent dans les vallées du Doubs et de la Saône et le long des lacs de Neuchâtel et de Genève[205] ; leurs tribus avancées s’installèrent même dans le Valais, ardentes, abondantes en hommes, et, campées aux portes de l’Italie, elles en rêvèrent à leur tour la conquête[206] (vers 250).

Deux groupes de peuples, séparés par les forêts qui bordent la rive droite de la Seine ou qui couronnent les Faucilles et le Jura, se partageront désormais la plus grande portion de la Gaule : ceux du fiord formeront le Belgium[207] ou la Belgique, comme ceux du Centre donnaient à leur terre le nom de Celtique. Mais ce dualisme ne sera pas un mal irrémédiable. II arrivera aux Belges ce qu’ont déjà éprouvé les Celtes, venus des mêmes régions qu’eux. Détachés du sol transrhénan, les nouveaux immigrants vont se différencier à leur tour des peuples dont ils sont sortis. Au contraire, rapprochés des Celtes par les liens du voisinage et du commerce, soumis à de communes influences de climat, parlant un idiome analogue[208], tributaires d’un sol semblable et des mêmes routes, ils finiront par fraterniser avec eux, ainsi que leurs ancêtres à tous avaient dû le faire, à une époque oubliée, dans les plaines au delà du Rhin.

 

VIII. — DU NOM DE GALATES OU GAULOIS.

Les Celtes, en effet, ne refusèrent pas toujours d’associer les nouveaux venus à leurs fraternités de guerre. Ils recevaient d’eux un notable accroissement de force et de hardiesse. L’entrée en scène dans le monde de ce second ban de tribus transrhénanes fit courir d’autres dangers aux Méditerranéens : on put croire que la double invasion de Bellovèse et de Ségovèse recommençait. Beaucoup d’aventuriers accoururent sans doute de l’Océan belge pour grossir l’armée de Brennos, qui se préparait, en ce temps-là, à marcher contre Delphes (280-279)[209]. D’autres, je pense, rejoignirent les Celtes établis en Phrygie[210]. On en vit plus tard encore qui erraient sur le bas Danube et dans les Balkans, à la recherche de terres à cultiver ou de rois à servir (200-168)[211]. En Italie, Insubres et Boïens du Pô appelaient leurs voisins des Alpes et du nord à la lutte contre Rome, et les invitaient à renouveler, dans leur alliance, les inoubliables prodiges des vainqueurs du Capitole (à partir de 236)[212].

Ces deux espèces d’hommes ne se ressemblaient assurément pas. Il était surtout facile de les distinguer sur le champ de bataille. A côté des Celtes italiens, plus calmes, mieux armés et mieux vêtus, déjà habitués à une ordonnance régulière, leurs auxiliaires du nord, qu’on appelait les Gésates[213], faisaient l’effet de purs sauvages : ils aimaient à combattre aux premiers rangs, complètement nus, comme s’ils attendaient la victoire de quelque force magique ou du seul prestige de leurs corps blancs et magnifiques[214].

Mais le plus souvent, les Grecs et les Romains ne discernèrent pas entre ces deux sortes d’ennemis[215]. Peut-être comprirent-ils que les nouveaux venus n’étaient que les frères des Celtes, attardés dans la vie et le pays barbares, plus brutaux, plus inconsistants et plus nomades. Après tout, les chefs des uns et des autres portaient des noms semblables[216], les idiomes des deux groupes n’offraient pas des divergences sensibles[217]. — On appela donc du nom de Celtes, qui était celui des nations dirigeantes, même les auxiliaires plus grossiers qui s’étaient rassemblés autour d’elles[218].

Chez ceux-ci, toutefois, Belges, Gésates, Transrhénans, riverains de la mer du Nord, circulait alors un nom particulier, différent de celui des Celtes, et qui désignait proprement ces nouveaux arrivés, ces aventuriers des terres les plus lointaines : c’était le nom de Galates, Γαλάται, dont les Romains feront Galli, les Gaulois[219]. Le mot, qu’il ait été un sobriquet de guerre ou le nom d’un chef transmis à ses hommes[220] avait pris naissance au bord du Rhin ou de l’Elbe, et sans doute chez les Belges : les géographes les plus avisés de ce temps distinguaient, avec beaucoup de précision, les Celtes au sud, et les Galates au nord, séparés les uns des autres par les grandes forêts des Ardennes et de l’Hercynie, ceux-là, peuples déjà du Midi, ceux-ci, Hyperboréens de l’Océan[221]. Quand Belges, Gésates et congénères descendirent à leur tour à travers les Alpes ou les forêts, ils firent connaître aux peuples civilisés ce nom de Galates. Les Hellènes l’entendirent des compagnons de Brennos[222], et les Italiotes des auxiliaires des Insubres[223]. — Mais ni les Grecs ni les Latins ne purent s’habituer à donner aux Celtes et aux Galates le nom qui leur convenait seul, et, de même qu’ils avaient attribué à ceux-ci la vieille appellation celtique, ils étendirent de même aux Celtes le vocable nouveau de Galates ou de Gaulois.

Les deux noms devinrent donc synonymes chez les écrivains[224]. Au reste, les mots de Gaulois et de Gaule étaient fort commodes pour désigner le genre d’hommes qui avait produit, à deux moments différents de sa vie, les Celtes et les Belges, et pour désigner aussi la contrée de l’Occident où ils venaient de se réunir, et d’où étaient sorties presque toutes leurs multitudes. — C’est dans ce sens générique que désormais, nous aussi, nous emploierons ces mots de Gaule et de Gaulois.

 

IX. — LES BELGES EN ANGLETERRE ET EN ARMORIQUE.

Comme les Celtes, les Belges ne pouvaient pas se tenir longtemps dans leurs terres. Les mêmes causes les poussaient au dehors : le désir des conquêtes, et la pression des peuples qui se présentaient sans cesse sur les bords du Rhin.

Hais ils se trouvaient dans des conditions moins bonnes que leurs prédécesseurs. Les routes du sud leur étaient fermées par ces derniers eux-mêmes : les établissements gaulois sur la Seine, le Rhône, le Pô et le Danube étaient trop anciens et trop solides pour que les Belges pussent déloger ou soumettre les Celtes avec la même facilité que ceux-ci avaient jadis dompté les Ligures. On vient de voir qu’ils n’eurent l’accès de l’Italie qu’en se faisant les auxiliaires salariés des Insubres et des Boïens. Force leur fut de regarder surtout vers le nord et le couchant.

De ce côté-là, ils voyaient devant eux un espace libre de grands empires. Les Celtes n’avaient jamais songé aux îles voisines : peut-être même n’ont-ils atteint sur aucun point les rivages de l’Armorique. Ils ne furent jamais une nation de marins[225]. Au contraire, par nécessité ou par goût, les Belges, riverains continus de l’Océan, eurent toujours une flotte, de guerre ou de commerce. Et ils devinrent, grâce à elle, les conquérants des terres de la blanche et de la mer du Nord.

Albion[226], la plus grande des îles Britanniques, était habitée par une population très ancienne, semblable à ces Ligures que les Celtes avaient rencontrés en Gaule[227]. Elle était, disait-on, fort paisible, consacrant son temps aux travaux des champs et aux pratiques d’une religion absorbante. Les Anciens ont fait du pays une sorte de patrie de l’âge d’or, où les hommes travaillaient en commun, partageant sans querelle les moissons et les femmes[228], chantant et dansant en l’honneur de leurs dieux, adorant tour à tour la Terre-Mère dont ils se disaient descendus[229], et le Soleil dont ils célébraient les renouveaux périodiques dans un délire sacré[230]. A l’exception des marins hardis et des mineurs de la Cornouailles, que visitaient les acheteurs d’étain[231], ces indigènes étaient de simples sauvages, divisés en un grand nombre de petites tribus, mal armés et mal commandés[232], au surplus d’humeur bienveillante à l’égard des étrangers[233].

Il ne fut point difficile aux Belges de mettre le pied dans le pays, et d’y rester (après 200 ?[234]).

La conquête ne se fit pas en une seule fois, par l’arrivée brusque d’une armée d’invasion, comme plus tard celle de Guillaume de Normandie. Elle fut le résultat de migrations successives. Les peuples de la Belgique envoyèrent, de l’autre côté du détroit, des colonies qui occupèrent d’abord la rive d’en face : sur ses deux lignes de côtes, la Manche présenta bientôt une série de peuples de même langue, de même nom, et frères les uns des autres[235]. Les blanches falaises du pays de Kent, l’île de Wight et ses admirables refuges, la péninsule de l’étain travaillée depuis tant de siècles[236], devinrent des domaines gaulois.

Au delà, les Belges prirent ce qu’il y avait de mieux dans l’intérieur, la grande route commerciale qui unit les deux estuaires de la Severn et de la Tamise, la voie souveraine de l’Angleterre du midi[237] : et, sur cette route ; ils trouvèrent les eaux chaudes de Bath, un des mystères divins de l’Occident[238], les plus beaux troupeaux de l’Europe septentrionale[239], et le carrefour prédestiné de Londres.

Les Belges, au moins de quelque temps, n’ont pas cherché à s’éloigner trop de cette ligne, et à franchir la bande forestière qui fermait au nord le bassin de la Tamise. Encore à l’époque de César, il n’y avait guère que des indigènes dans l’arrière-pays. Comme les Ligures de la Celtique, ceux-ci se réfugiaient dans les bois et sur les hautes terres, et ce ne fut que lentement qu’ils se laisseront gagner par les armes ou les habitudes gauloises[240]. En même temps qu’ils conquéraient la rive anglaise, les Belges ont dû s’établir le long des côtes normandes et bretonnes. Ils ont, pour leur part, contribué à faire de l’Armorique une région gauloise[241] ; ils y garderont toujours beaucoup de relations et une grande influence, au moins parmi les tribus maritimes de la presqu’île. La Manche devenait une Méditerranée belge[242].

Les Belges, à la fois rivaux et parents des Celtes, collaboraient donc à leur œuvre. Ils imposaient les dieux et le langage gaulois aux terres et aux mers que leurs frères[243] avaient négligées. Descendus dans l’île de Bretagne, ils y transformèrent la vie politique comme avaient fait leurs congénères entre les Vosges et les Pyrénées. La vallée de la Tamise, les rives de la blanche, ne furent plus morcelées entre cent royautés de tribus. Quelques puissantes peuplades se formèrent, gages d’une civilisation plus active pour la grande île toute entière[244] : celle du Cantium ou pays de Kent, qui se dirige vers la Gaule comme un avant de navire[245] ; la nation des Trinobantes, maîtresse des baies profondes qui s’ouvrent sur le golfe de la Tamise, dans les comtés de Suffolk et d’Essex[246] ; une autre encore, dans le vaste réseau de rivières et de plaines convergentes, au seuil duquel Londres s’épanouira plus tard[247]. Du temps de l’invasion belge datent les premiers linéaments de ces comtés qui sont aujourd’hui encore les organes essentiels de la vie publique du peuple anglais. Si, dans le Midi, les Gaulois avaient d’abord accompli une œuvre de destruction[248], morcelant l’Empire étrusque, enrayant les destins de Rome, épuisant les ressources de la Grèce et de l’Asie, dans l’Occident ligure, en revanche, ils bâtissaient des nations nouvelles et durables, en groupant autour d’eux les matériaux humains que la conquête leur donnait[249].

 

X. — GAULOIS MERCENAIRES.

Avec les migrations des Belges s’acheva l’histoire de la conquête gauloise. Elle avait atteint les points extrêmes qu’elle ne pourra dépasser, la Dobroudja et la Cornouailles, le cap Finistère et les plateaux phrygiens, l’Oder silésien et les montagnes d’Ancône. Les noms celtique, belge ou galate planaient sur la moitié septentrionale du monde européen.

Mais l’énormité de la distance qui séparait ces points ne suffit pas à nous donner une idée de l’étendue des terres où pénétrèrent la connaissance et la terreur de ces noms. A côté des Gaulois qui s’établirent librement et en vainqueurs dans les régions les plus opposées de l’Europe, il faut encore parler de ceux qui renonçaient à leur indépendance pour servir comme mercenaires dans les États de la mer Intérieure.

On a écrit avec une certaine joie que les Gaulois avaient été les vrais lansquenets du monde antique[250]. Cette parole m’indigne et m’attriste : non pas seulement parce qu’elle a été prononcée avec l’arrière-pensée de dénigrer les Celtes, mais surtout parce qu’elle est une de ces contrevérités qu’amènent forcément les comparaisons outrancières. Je n’aime pas plus les Celtes que les Romains et les Francs, et, si je les défends en cette occurrence, c’est parce qu’on leur doit, comme à tous les peuples, l’absolue exactitude. Qu’ils aient mis au service de rois et de villes leurs bras et leur courage, cela est indéniable : mais quelle est la population antique, les Romains à part, qui a interdit aux étrangers de faire dans sa jeunesse des moissons de soldats ? Mercenaires ligures, ibères et numides levés en Occident, voilà pour les Barbares ; mercenaires grecs tirés de l’Orient, voilà pour les civilisés : l’enrôlement de lansquenets a été un des éléments les plus constants de la vie militaire d’autrefois. Et, depuis le jour où Jules César appela contre Vercingétorix vainqueur des cavaliers transrhénans[251], jusqu’à celui où Alaric pénétra en Italie, les Germains n’ont cessé d’accepter la solde de Rome.

Si les Celtes ont pu donner l’impression d’une inépuisable réserve de soldats de louage, c’est parce que l’étendue de leur domination les mettait à même d’en fournir à tous les peuples méditerranéens. Il n’y avait aucun État qui ne fût limitrophe d’une tribu celtique, et qui ne pût faire aisément appel aux vagabonds et aux aventuriers de ce nom.

Carthage leva chez les Gaulois les meilleures troupes de sa première guerre romaine[252] : c’est un chef de cette origine, Autarite, qui, par son éloquence et par sa bravoure, conduira contre les suffètes la révolte des mercenaires[253]. A leur tour, les ennemis des Barcas s’adressèrent aux mêmes hommes : les Ibères et les Tartessiens, menacés par Hamilcar, avaient des généraux celtes à leur service[254] ; les Romains eux-mêmes, pourtant si soucieux de ne rien devoir qu’à leurs citoyens et à leurs alliés, accepteront des Gaulois comme auxiliaires, et ce furent, dit-on, les premiers étrangers qui combattirent à côté des légions italiennes[255]. On vit les Étrusques, qui avaient tant souffert de leurs invasions, les payer pour se servir d’eux contre Rome[256]. Tyrans et cités libres, Agathocle[257], Denys[258] et Marseille[259], ne craignirent pas de leur confier leurs intérêts, et les Celtes de la Cisalpine eux-mêmes achetaient des armées de Galates, rois compris, pour se venger des Latins[260]. Tous les peuples qui, en Occident, ont brigué l’empire ou défendu leur liberté, ont également recherché l’appui de ces Barbares, et les ont introduits sans peur dans leurs camps ou dans leurs villes.

En Orient, où l’usage des armées nationales était presque oublié, on raffola de cette nouvelle espèce de soldats, très décorative, très ardente et très fière, et qui tranchait sur le personnel médiocre et cauteleux des mercenaires grecs et asiatiques. Quand on eut fini de célébrer Apollon et de maudire Brennos, on chercha à tirer profit de ceux des brigands qui avaient survécu. Il n’y eut plus de roi ni de prétendant, après le passage des Galates en Bithynie, qui osât faire la guerre à moins d’en avoir dans son armée : ils étaient seuls capables, disait-on, de protéger les trônes ou de les relever[261]. Aucun prince, désormais, ne voudra marcher sans son cortège de Gaulois, ni Pyrrhus l’Épirote[262] ou Antigone le Macédonien[263], ni les Séleucides de Syrie[264] ou les Ptolémées d’Égypte[265].

Quelques-unes de ces bandes soldées furent aussi fortes, aussi durables, aussi fameuses que la compagnie de l’Archiprêtre au temps de Duguesclin ou le régiment de Baltazar au temps de Mazarin : et au surplus, c’était, à peu de choses près, la même façon de se vendre, de se battre, et d’exploiter les champs de guerre. Polybe nous raconte l’histoire d’une de ces troupes qui partit de la Gaule italienne vers 263, au moment où commençait la lutte entre Rome et Carthage. Celle-ci se hâta de prendre les hommes à ses gages, au nombre d’au moins trois mille, et de les expédier en Sicile. Là, ils firent plus de mal que de bien, du moins à ce que dit Polybe, ils pillèrent Agrigente, voulurent livrer Éryx, et finirent par passer aux Romains. Les consuls, en ayant fini avec Carthage, les embarquèrent et les expédièrent très loin, on ne sait où. Ils étaient encore huit cents, et réussirent à se placer de nouveau. Une cité d’Épire, Phœnicé, les loua pour se garder contre les Illyriens. Plus tard, ils trouvèrent avantageux d’ouvrir la ville aux brigands du voisinage. Ils avaient, pendant près de trente ans, rempli toute la Méditerranée du bruit de leurs exploits et de leurs méfaits. C’était, comme dit Polybe, la compagnie des parjures[266].

Mais il semble bien qu’elle ait été une exception. D’ordinaire, le soldat galate se vendait, s’échangeait, s’offrait comme la monnaie militaire du meilleur aloi[267]. Là où Celtes et Belges n’ont pas pénétré comme vainqueurs, sur ces rives de la Méditerranée où ils ne purent rien conquérir, ils sont venus en masse comme défenseurs et comme hôtes des jours de bataille : on les vit près de Cadix, de Marseille, de Carthage et de Troie, à Tarente[268], à Corinthe[269], à Argos[270], à Antioche[271] et sur le Nil même[272]. Et ainsi le monde entier, qui les ignorait au temps de Darius et de Périclès, était, un siècle après, harcelé de leur nom[273].

 

XI. — CAUSES DES SUCCÈS ET DE L’ARRÊT DES INVASIONS CELTIQUES.

Les invasions gauloises ont duré six générations à peine. Commencées au début du quatrième siècle, elles s’arrêtent bien avant la fin du troisième (vers 236-222), lorsque les Romains refoulent les Gésates hors de l’Italie[274], et que les rois de Pergame, en même temps, enferment les Galates dans l’Asie intérieure. Les invasions germaniques, qui les continuent, furent inaugurées par les Cimbres et les Teutons cent et quelques années avant notre ère, et elles n’eurent leur plein effet que cinq à six siècles plus tard.

La rapidité de la marche des Celtes s’explique par l’état du monde au moment où ils parurent. Il n’y avait pas alors, à la périphérie des terres méditerranéennes, un seul État capable de les arrêter ou de les entraver. Dans les vallées des Alpes, les Ligures n’étaient que des tribus sans cohésion. Les Étrusques, au delà de l’Apennin, les Ibères, au delà des Pyrénées, n’avaient qu’une puissance fragile. Ni Carthage ni Marseille n’étaient encore fortes que sur mer ; Rome naissait à peine à une vie propre. Scythes, Illyriens, Thraces ou Ligures du bassin danubien n’avaient pas réussi à fonder une nationalité durable. Au sud de la Thrace, la Macédoine, depuis la mort d’Alexandre, vivait toujours dans l’attente d’un nouveau maître, et les ligues grecques s’épuisaient dans les guerres civiles. — Les Germains, au contraire, moins heureux d’abord que leurs frères aînés, se heurteront à l’empire compact de Rome, et il leur fallut attendre, pour en triompher, qu’il se fût appauvri d’hommes et de courage.

Une autre cause du succès des Gaulois fut dans leur manière d’apparaître. En face de ce monde méridional, habitué aux théories d’une stratégie savante, à une sage division du travail militaire, à des corps d’infanterie habilement variés et régulièrement disposés, aux guerres lentes et méthodiques, aux sièges patients, à la mise en train formaliste des marches et des batailles, la foule gauloise surgissait subitement, avec ses masses innombrables de fantassins et de cavaliers hurlant et gesticulant. Quand Brennos partit contre Delphes, les Grecs apprirent avec stupeur que deux cent mille hommes et vingt mille chevaux s’avançaient vers leur pays. Jamais les peuples du Midi n’avaient vu, depuis Xerxès, un si grand nombre de cavaliers groupés et galopant ensemble. Ce fut pour eux une apparition fantastique, comme de milliers de Centaures issus brusquement des profondeurs de la Scythie. Hommes et chevaux, sans rien qui annonçât leur venue ni réglât leur marche, recouvraient en un moment les plaines et les champs, semblables à ces déluges dont parlaient les poètes[275]. Devant une telle force, égale à celle d’un élément déchaîné, la peur et la fuite semblaient un devoir.

Mais d’autre part, ce fut cette nature même des invasions celtiques, faites de galops et de courses désordonnées, qui explique pourquoi elles s’arrêtèrent si vite, et ne réussirent pas à atteindre, comme la conquête germanique, les bords de la mer et les extrémités méridionales des États méditerranéens : dès qu’elles eurent franchi les Apennins ou les Thermopyles, elles se trouvèrent impuissantes. Les obstacles s’accumulaient devant elles : c’étaient des terres où leurs multitudes agitées ne savaient plus évoluer, où leurs escadrons ne pouvaient plus se présenter en larges masses, terres encombrées de collines et sillonnées de vallées étroites, pays déchiquetés où les grandes foules s’émiettaient très vite[276] ; puis c’étaient, sur la plupart de ces rochers abrupts ou de ces hautes plates-formes, des demeures humaines, redoutes ou bourgades inexpugnables et dominatrices, contre lesquelles échouaient tous les efforts et les rages des troupes les plus nombreuses[277] : les Celtes ne purent ni occuper Chiusi ni prendre le Capitole, et, quand ils s’approchèrent du Parnasse, la montagne leur parut tomber sur eux[278] ; c’étaient enfin des adversaires semblables à la contrée, des villes saintes et presque éternelles cramponnées à leur sol, des temples qu’on croyait aussi anciens que les dieux, des nations fières d’un long passé de victoires et de légendes, des hommes épris de gloire, de vertu et de liberté, confiants dans leurs divinités, conscients de leur intelligence, pleins de mépris pour le Barbare, et incapables de désespérer. Contre ces choses qui tiennent et ces sentiments qui durent[279], les vagues des tumultes celtiques se brisaient et s’affaissaient. Montagne, place forte et patriotisme municipal ont toujours été pour les Gaulois des causes de peur et de défaite.

Il faut ajouter la mer. Pour achever de vaincre les Méditerranéens, il eût fallu aux Celtes des marins et des vaisseaux. Ceux-là vivaient en grande partie par la mer : c’était grâce à elle que se fondaient les États et que se faisaient les échanges. Les Barbares ligures, les Empires étrusque, ibère et tartessien, les villes grecques et phéniciennes, toutes les puissances du Midi ont compté par leurs flottes autant que par leurs armées. Or, le Celte qui descend vers le sud, fils de Biturige ou de Sénon, ne connaît la mer que par ouï-dire. Si ses ancêtres frisons l’ont pratiquée, il l’a complètement oubliée ; et, comme s’il se la croyait interdite depuis le jour de l’exode, il se tient d’ordinaire à l’écart des flots et du littoral. Sauf les Belges de l’Océan, les Gaulois ne sont pas des navigateurs. Pas une seule fois, dans leurs expéditions, nous ne les voyons recourir à des vaisseaux. Quand il leur a fallu passer le Bosphore, on leur en prêta ou ils en volèrent. Môme en Asie et en Thrace, ils s’établirent loin de tout port. Les Sénons, qui étaient riverains de l’Adriatique, préférèrent à leur premier lot les vallées intérieures, Chiusi et Rome à Ravenne et Ancône. Au sud de la Gaule ils reculent devant Marseille, et ne songent pas à disputer aux Ligures et aux Ibères les côtes découpées, les anses abritées et les mers poissonneuses du golfe génois et du littoral roussillonnais’. Ces hardis chercheurs d’aventures ignoraient les joies aiguës et les guettes patientes[280] du pirate, qui font partie du plus ancien patrimoine des âmes méditerranéennes. Maîtres de Narbonne, ils ne sauront pas y fonder un État maritime[281]. Si loin que le Celte ait été vers le sud, il laissera toujours à ses ennemis ce rivage qui est leur plus ancienne patrie et qui fait leur principale force. — Et c’est le long de la Méditerranée que va se former l’empire qui donnera au monde sa revanche sur l’invasion celtique.

 

 

 



[1] Lacarry, Historia coloniarum a Gallis in exteras nationes missarum, etc., Clermont, 1677 ; Pelloutier, Histoire des Celtes, I, 1741, p. 19-120 ; éd. de Chiniac, I, 1770, p. 33-210 ; dom Martin et dom de Brezillac, Histoire des Gaules, 2 v., 1752-4 ; Schœpflin, Vindicim Celtica, Strasbourg, 1754 (très judicieux) ; Niebuhr, Histoire romain, tr. fr., IV, p. 271 et s. (trop négligé) ; Am. Thierry, Histoire des Gaulois, I et II ; Zeuss, Die Deutschen und die Nachbarstämme, 1837, p. 180 et suiv. ; Duncker, Origines Germanicæ, I, Halle, 1839 ; Diefenbach, Celtica, II, I, 1840 ; le même, Origines Europes, 1881 ; Contzen, Die Wanderungen der Kelten, 1801 ; Müllenhoff, II, p. 238 et suiv. (travail datant de 1873) ; Cuno, Vorgeschichte Roms, I, Die Kelten, 1878, p. 227 et suiv., p. 51 et suiv. ; Alex. Bertrand, Archéologie celtique et gauloise, 1re éd., 1878 ; 2e éd., 1889 ; Alex. Bertrand et S. Reinach, Les Celtes dans les vallées du Pô et du Danube, 1894 ; d’Arbois de Jubainville, Les premiers Habitants de l’Europe, 2e éd., II, 1894, p. 254 et s. ; le même, Les Celtes depuis les temps les plus anciens, 1904 ; R. Much, Die Südmark der Germanen, 1893 (Beiträge zur Geschichte der deutschen Sprache, XVII), imprimé à part sous le titre Deutsche Stammessitze ; Niese, Zur Geschichte der keltischen Wanderungen, 1898 (Zeitschrift für deutsches Alterium, XLII) ; Lefèvre, Les Gaulois, 1900 ; Dottin, Manuel... de l’Antiquité celtique, 1908, p. 298 et s.

[2] Les Anciens ont eu, sur la grande invasion celtique en Italie, deux systèmes chronologiques : 1° on l’a faite contemporaine de la fondation de Marseille et du règne de Tarquin l’Ancien (Tite-Live, V, 33, 5 ; 34, 1 ; Plutarque, Camille, 16, dern. ligne) ; 2° on l’a placée immédiatement avant la bataille de l’Allia (Diodore, XIV, 113, 1 ; Appien, Celtica, 2, 1 ; Tite-Live, V, 33, 2 ; Plutarque, Camille, 15 ?). — La seconde chronologie est trop raccourcie. — La première est beaucoup trop espacée. Elle peut s’expliquer, je crois, ainsi : l’invasion de Bellovèse fut contemporaine d’une menace des Salyens contre Marseille, qui se termina par une paix avec les Celtoligures devenus philhellènes (cf. Justin, XLIII, 5, 4.8) ; on supposa (Tite-Live, V, 34, 7-8) que lev Celtes avaient aidé les Marseillais à s’installer et que cette attaque était le résultat du débarquement des Phocéens (on a pu la confondre avec celle de Comanus). Il est possible également que ce synchronisme entre la migration celtique et la fondation de Marseille provienne du défaut de clarté d’un texte grec, parlant des Phocéens fondateurs de Marseille, et interprété comme fondant Marseille (cf. la possibilité d’une confusion semblable chez le Ps.-Scymnus, 207). Je crois du reste que ce synchronisme est l’œuvre d’un historiographe influencé par les traditions marseillaises et grecques, désireuses de marquer l’accord entre Hellènes et Celles (cf. Tite-Live, V, 34, 7 et 8). — En réalité, on ne se trompera pas de beaucoup en plaçant dans la seconde moitié ou le dernier quart du Ve siècle l’histoire des neveux d’Ambigat (de même, Mommsen, I, p. 327-8 ; contra, Nissen, I, p. 476). L’établissement des Sénons sur l’Adriatique parait une chose assez récente à Scylax (§ 18), qui écrit vers 330.

[3] Polybe, II, 21, 3.

[4] Έπεγένοντο δέ νέοι, Polybe, II, 21, 2 (les Boïens en 236).

[5] Cf. Pausanias, X, 19, 8.

[6] Tite-Live, V, 34, 3, et Plutarque, Camille, 15 (la grande invasion celtique) ; Plutarque, l. c. (la migration des Belges) ; Polybe, ibid. ; Tite-Live, XXXIX, 54, cf. 55, 1 (migration vers Aquilée en 183).

[7] Polybe, II, 22, 3 : Τών ίδίων προγόνων πράξεως (les Cisalpins en 232).

[8] Plutarque, Camille, 15.

[9] Les motifs des migrations de peuples sont exposés par Sénèque, Ad Helviam, 7, 4.

[10] La grande invasion : Tite-Live, V, 34, 2 ; Justin, XXIV, 4, 1 ; César, VI, 24, 1 ; Appien, Celtica, 2, 2. La migration belge : Plutarque, Camille, 15. La migration vers Aquilée en 183 : Tite-Live, XXXIX, 54, 5. La marche des Volsques, supposés ceux de Toulouse, vers Delphes : Strabon, IV, 1, 13. La migration au sud du Danube : Memnon, 14. Quelque colonie des Scordisques ? : Scriptores rer. mirab. Græci, p. 218, Westermann.

[11] Cf. ce qu’on dira des Normands : (Gens) sic multiplicabatur, etc. ; Guillaume de Jumièges, I, 4, Migne, CXLIX, col. 783 ; etc.

[12] Vidal de La Blache, Tableau, p. 32-3.

[13] Strabon, IV, 1, 2 ; IV, 4, 2 et 3 ; Tite-Live, XXXVIII, 16, 13 ; Justin, XXV, 2, 8.

[14] Plutarque, De virtutibus mulierum, 6, p. 246 (avant l’invasion de l’Italie) ; Justin, XX, 5, 7 (se rapporte peut-être surtout aux nouveaux bans d’immigrants en Italie) ; Polybe, II, 7, 6 (départ de mercenaires pour Carthage vers 263) ; Strabon, IV, 1, 13.

[15] Cf. Tite-Live, V, 34, 3-5.

[16] Justin, XXXII, 3, 8. Cf. César, II, 29, 4.

[17] Strabon, IV, 4, 2.

[18] Pour ne pas parler de l’époque antérieure, celle d’avant les textes.

[19] Pline, XII, 5 (Varron), dit un Helvète, Helico, qui, établi à Rome, retourne ensuite chez ses compatriotes.

[20] Histoire d’Arron ou Arruns de Chiusi ; Denys, XIII, 10, 14 ; Tite-Live, V, 33, 2-3 ; Plutarque, Camille, 15.

[21] Tirage au sort des routes de l’Italie et des monts Hercyniens (Tite-Live, V, 34, 4).

[22] Ducibus avibus (Justin, XXIV, 4, 3).

[23] Le récit, très confus, de Tite-Live (V, 34, 7) semble indiquer que les dieux aidèrent les Celtes, en récompense de leur piété, à franchir les Alpes ; cf. Justin, XXIV, 4, 4. Mention du passage, peut-être miraculeux, du Danube : Scriptores reram mirab. Græci, Westermann, p. 218.

[24] Omen sequentes, Tite-Live, V, 34, 9.

[25] Cf. ch. IX, § 5.

[26] En 299, les Gaulois demandent avant tout des terres aux Étrusques, pour prix de leurs services comme soldats : Nulla alia mercede quant ut in partem agri accipiantur tandemque aliqua sede certa consistant (T.-L., X, 10, 10).

[27] Plus nombreux que les combattants, dit Plutarque, Cam., 15 ; au même paragraphe, lire γενέας άναλαβόντες au lieu de γονίας.

[28] Polybe, V, 78, 2 ; Diodore, XXII, 9, 1.

[29] Cf. Strabon, VII, 1, 3.

[30] Diodore, XXII, 9, 1.

[31] Justin, XXIV, 4, 1.

[32] Pausanias, X, 19, 9. Je crois le chiffre des hommes exact, parce qu’emprunté à un recensement militaire des Celtes, analogue à ceux que César constatera en Gaule (I, 29). Diodore (XXII, 9, 1) dit : 150.000 fantassins, 10.000 chevaux, 2.000 chariots ; Justin (XXIV, 0, 1) : 50.000 fantassins, 15.000 cavaliers.

[33] Chaque cavalier, dans l’armée de Brennos, aurait eu deux serviteurs à cheval lui servant d’écuyers, ce qui aurait fait 61.200 chevaux (Pausanias, X, 19, 9). Il est probable que ces deux serviteurs pouvaient combattre à cheval, mais n’étaient point montés (cf. Tite-Live, XLIV, 28, 3).

[34] Fustel de Coulanges, Institutions, VI, p. 312-3.

[35] Hirschfeld, Timagenes und die gallische Wandersage, 1894 (Silzungsb. der Ak. der Wissensch., Berlin).

[36] Cette tradition, conservée sans doute sous forme d’épopée ou de chants (cf. Niebuhr, IV, p. 280-1), nous est venue par Tite-Live (V, 34), et, beaucoup plus résumée, mais de manière très concordante, par Justin (XXIV, 4), peut-être aussi par César (VI, 24, 1-2) et par Appien (Celtica, 2, 1) : ils ont dû l’emprunter à une même source, Timagène (Müllenhoff, II, p. 251 ; d’Arbois de Jubainville, II, p. 301) ou Cornélius Nepos (Hirschfeld, p. 345). Nais si vraiment, ce que je crois, César a eu l’écho de cette tradition, il faut chercher une source plus ancienne, Posidonius ? (opinion de Duncker, p. 9). Contre l’origine celtique et populaire de ce récit, Niese, p. 136. — Le récit de Plutarque (Camille, 15) me parait être simplement celui de la migration des Belges, placé, par une interversion chronologique, à l’origine de l’expédition de Bellovèse (jusqu’à χρόνον πολύν). En tout cas, l’emploi de l’expression mythique et ancienne de monts Rhipées, l’insistance avec laquelle il raconte l’histoire d’Arron l’Étrusque, trahissent, chez Plutarque, un travail classique différent de Justin et Tite-Live : ce dernier (V, 33, 2-4) semble même opposer sa source à lui à celle dont se servira Plutarque. La seconde partie du récit de Plutarque est peut-être inspirée de Denys (cf. XIII, 10, 14 ; Niebuhr, IV, p. 272) ; tous deux remontent peut-être jusqu’à Caton, mais je ne crois pas du tout qu’ils représentent la forme la plus ancienne de la tradition (contra, Hirschfeld, p. 345).

[37] Je ne peux croire que ces deux expéditions aient été artificiellement soudées par les Anciens, ce que pensait Cuno (p. 128).

[38] Cf. César, VII, 29, 6 ; Tacite, Histoires, IV, 54.

[39] En admettant que Boïens et Volsques Tectosages aient appartenu au premier envoi sur le Danube (cf. à Justin, XXIV, 4, 4, César, VI, 24, 2 et 3, et Tacite, Germanie, 28).

[40] Polybe, II, 18 et 19.

[41] Mommsen, Rœmische Geschichte, I, 81 édit., p. 327 et suiv. : Mommsen, Die Gallische Katastrophe, 1878 (Rœmische Forschungen, II, p. 302 et suiv.) ; Schwegler, Rœmische Geschichte, III, 1858, p. 234 et s. ; Thouret, Ueber den Gallischen Brand, dans les Jahrbücher für classische Philologie, suppl., XI, 1880 ; Nissen, Italische Landeskunde, I, 1883, p. 474 et s., II, 1902, p. 160 et s. ; Lackner, De incursionibus a Gallis in Italiam factis, Kœnigsberg, 1887.

[42] Tite-Live, V, 34, 4.

[43] Tite-Live, V, 34, 6 ; Justin, XXIV, 4, 4.

[44] Bellovèse et Élitovius (les Cénomans) paraissent avoir passé par là, per Taurinos (Tite-Live, V, 35, 1 ; 34, 8, où Juliæ Alpis [var. Juriæ Alpis, Juliæ alte Alpis dans le ms. de la Bibl. Nat. lat. 5725, f. 93] est fautif, à moins que le Genèvre n’ait pris pendant un temps le nom gentilice de César et d’Auguste) : ce qui m’empêche de penser au Cenis, c’est la présence, tout le long de la Durance, de populations celtiques, qui manquent sur l’autre route. C’est par le Genèvre qu’ont dû passer en tout cas Salyens et Voconces. Tite-Live, au surplus, qui fait faire aux Gaulois le détour de Marseille, les fait par suite remonter par la Durance et son col. Contra, Mommsen, p. 328, note (Petit Saint-Bernard). — Contrairement à la tradition celtique, Bertrand (Les Celtes, p. 20, etc.), d’Arbois de Jubainville (Les Celtes, p. 139 et suiv., etc.), Niese (p. 146), font des Celtes italiens une colonie de ceux du Danube.

[45] Boïens et Lingons, Tite-Live, V, 35, 2.

[46] Polybe, II, 15 ; 17, 3 ; Plutarque, Camille, 16. Cf. Nissen, I, p. 446 et suiv.

[47] Polybe, II, 17 ; Tite-Live, IV, 37, 1.

[48] Prise de Capoue par les Samnites en 424 (Tite-Live, IV, 37, 1).

[49] Véies fut assiégée, dit-on, dix ans et prise en 396 (Tite-Live, V, 17-22). Cf. Mommsen, I, p. 329 et suiv.

[50] Cf. Diodore, V, 40, 4-5 : Denys, XIII, 11.

[51] Polybe, II, 17, 3. Tite-Live, IV, 37, 1.

[52] Polybe, l. c.

[53] Tite-Live, V, 34, 9.

[54] D’après Cornelius Nepos, les Boïens et les Sénons (cf. note suivante) auraient contribué avec les Insubres à celle destruction, qu’il fait contemporaine de la prix de Véies (Pline, III, 121) : le récit de Tite-Live semble ne parler que des Insubres.

[55] Second ban : Cénomans conduits par Élitovius (Tite-Live, V, 35, 1) ; troisième : Boïens et Lingons (V, 35. 2) ; quatrième : Sénons (V, 35, 3).

[56] Boïens et Lingons, Tite-Live, V, 31. 2 : Pado ratibus trajecto.

[57] Tite-Live, XXXIII, 37, 3 ; XXXVII, 57,8 : Pline, III, 115.

[58] Usque ad Esim, l’Esino (Tite-Live, V, 35, 3).

[59] Novare, à l’ouest du Tessin, n’est pas aux Insubres, mais à une tribu voconce du Dauphiné, celle des Vertacomacorii (var. Vertamacorii, Vertamororii), qui l’a sans doute colonisée longtemps après la grande invasion (Pline, III, 124). De même, Verceil semble avoir été occupée par les Salyens de la Provence, venus peut-être en même temps que ces Voconces (Pline, III, 124 ; et. Tite-Live, V, 35, 2, qui place leur migration après celle d’Élitovius). Ce pays d’entre Tessin et Doire lie fut, je crois, qu’une incorporation au nom celtique incomplète et tardive (en 299 ?) ; les peuplades qui y habitaient, Lævi, Lebecii ou Libui, Marici, me paraissent celto-ligures, et peut-être surtout ligures (Pline, III, 124 : Polybe, II, 17, 4 ; Tite-Live, V, 35, 2 ; XXI, 38, 8 ; XXXIII, 37, 6). Le fait d’une migration venue de peuples de la Gaule méridionale peut encore être tiré d’un texte de Caton.

[60] Cf. Polybe, II, 32, 4, où le Κλούσιος est l’Oglio.

[61] Tite-Live (Cornélius Nepos ?) semble rattacher ce nom d’Insubres à celui d’une tribu des Éduens, ainsi nommée, qui aurait accompagné les Celles. Il est tout aussi possible (et le texte de Tite-Live n’exclut pas cette hypothèse) que ce nom frit le nom de guerre ou d’alliance choisi alors par les différentes tribus celtiques, bituriges et autres (cf. 3), lorsqu’elles s’établirent et se formèrent en peuple (V, 34, 9).

[62] Tite-Live, V, 34, 9 ; Polybe, II, 34, 19.

[63] Second ban, celui d’Élitovius. Tite-Live semble dire (V, 35, 1) que cette troupe portait le nom de Cénomans avant d’entrer en Italie : je crois qu’elle était composée, comme l’autre, de tribus empruntées à divers peuples et constituées ensuite en peuplade fixe sous ce nain : car Cénomans n’est pas, en Gaule, le nom d’une nation, mais seulement le surnom des Aulerques. Caton faisait venir ces Cénomans du Languedoc (fr. 40, Pline, III, 130) : cela parait difficile, le Languedoc étant en ce temps-là ibéro-ligure : il doit avoir confondu ce nom avec celui des Ligures Comani juxta Massiliam, et confondu aussi cette fondation de la peuplade cénomane avec une migration postérieure venue du midi de la Gaule.

[64] Tite-Live, V, 35, I. Les localités, d’après leurs noms, Brixia, Verona, paraissent préceltiques ; cf. Pline, III, 130.

[65] Cent douze tribus, disait Caton (fr. 44, Pline, III, 116).

[66] Tite-Live, V, 35, 2 (3° ban). Les domaines de l’un et de l’autre peuples sont difficiles à indiquer exactement. Bologne était aux Boïens ; ils devaient aller à l’ouest jusqu’à Plaisance, et même, au delà du Pô, jusqu’à Lodi (Pline, III, 124). Les Lingons, qui ne sont plus nommés après Tite-Live et Polybe (II, 17, 7), ont du se fondre dents les Boïens : il faut les chercher entre Rimini et Bologne (Polybe, II, 17, 7).

[67] Bononia est certainement un nom celtique ; Holder, I, c. 481-487.

[68] Tite-Live, V, 35, 3 (4° ban) ; Polybe, II, 17, 7 ; Diodore, XIV, 113, 3 : du Rubicon ou du Ronco à l’Esino.

[69] Galle, Bergame, souvent attribués aux Cénomans, paraissent ne leur avoir obéi que plus tard (Pline, III, 124 et 125). Le texte de Justin (XX, 5, 8), qui fait fonder aux Gaulois Trente et Vicence, ne peut se rapporter non plus qu’à une extension de leur empire. Cette extension peut se placer entre 390 et 367, dans l’intervalle des deux principales descentes vers Rome (Polybe, II, 18, 3 et 4).

[70] Les Taurini (Turin) sont d’origine ligure (Pline, III, 123), comme les Salasses (val d’Aoste).

[71] Polybe, II, 17, 5. Mantoue dut également à ses marécages de ne pas devenir celtique (Pline, III, 130).

[72] Tite-Live, V, 36, 3 ; Diodore, XIV, 113, 3.

[73] Diodore, XIV, 113, 3.

[74] Tite-Live en doute, mais d’autres le disaient (V, 35, 3). Brennus, qui n’est pas nommé chez Diodore et Polybe, mais qui l’est partout ailleurs (Tite-Live, V, 38, 3 et 48, 8 ; Appien, Celtica, 3 ; Plutarque, Camille, 17 ; etc.), passa, chez les Gaulois, pour avoir été, non pas un Sénon, mais un Boïen (Silius, IV, 150, 280). — Contrairement à l’opinion courante, c’est bien un nom propre, et peut-être assez fréquent dans la Gaule primitive (cf. Holder, I, c. 524) : que parmi les roitelets de la guerre de 390 (regulus, Tite-Live, V, 38, 3 ; 48, 8) il n’y ait pas eu un chef de ce nom, mais que ce nom ait été imaginé sur le modèle du Brennus de Delphes, ce n’est pas impossible ; mais cependant une homonymie n’est pas improbable, et l’histoire de la Gaule en offre de semblables (et., au temps de César, Diviciac chez les Belges et les Éduens, et deux Eporédorix chez les Éduens).

[75] Diodore, XIV, 113, 3.

[76] Cf. Encyclopædie Wissowa, IV, au mot Clusium.

[77] Pline, XIV, 38 ; XVIII, 66. Appien, Celtica, 2.

[78] Chiusi et le Capitole.

[79] Tite-Live, V, 48, 3.

[80] Tite-Live, V, 44, 6 ; Appien, Celtica, 1 ; Plutarque, Camille, 23.

[81] Chiusi et le Capitole ; Diodore, XIV, 117, 5.

[82] Tite-Live, V, 44, 6 ; Appien, Celtica, 1 ; Plutarque, Camille, 23.

[83] Tot veterrimos populos... tam valida oppida, T.-L., V, 54, 5. Cf. Plus loin, § 11.

[84] Voyez surtout le récit de Tite-Live, qui a une couleur religieuse toute particulière. La défaite des Romains, dit-il nettement, fut due à l’effroi magique (miraculum) que leur inspira le cri de guerre des Celtes (V, 38, 6 et 39, 1). Les récits de Tite-Live, d’Appien et de Plutarque, colorés, détaillés, précis, pleins d’esprit religieux, assez favorables aux Celtes, et nommant en outre Brennus, m’ont toujours paru inspirés en partie de quelque épopée gauloise (il y en a eu sans doute : Tite-Live, X, 16, 6 ; Silius, IV, 151 et suiv. ; Polybe, II, 22, 3.4 ; Valerius Flaccus, VI, 9 :3.1), peut-être par l’intermédiaire de l’Insubre Cornélius Nepos. Les récits de Polybe et de Diodore, plus sobres, plus honorables pour Rome et plus courts, représentent une tradition différente, que Mommsen et d’autres ont crue plus ancienne (empruntée à Fabius, Rœm. Forsch., II, p. 291 et s. ; contra, Peter, Zur Kritik der Quellen, 1879, p. 121 et suiv.), mais qui est peut-être surtout plus latine. — Sur le vrai caractère de la bataille de l’Allia, Schwegler, III, p. 247 : sur la situation véritable du champ de bataille, Hülsen et Lindner, Die Alliaschlacht, Rome, 1896.

[85] Une tradition gauloise semble avoir parlé de Capitolia capta (Silius, IV, 131 et suiv.).

[86] Tite-Live, V, 48 ; Plutarque, Camille, 28.

[87] Tite-Live, V, 45, 48, 49 ; Appien, Celtica, 7 ; Plutarque, Camille, 23 et 29.

[88] Je ne pense pas qu’on puisse arrêter à la tradition toute poétique (Tite-Live, V, 49 ; Plutarque, Camille, 29) : Ne nuntius quidem cladis relictus. C’est la formule de conclusion habituelle, dans toutes les littératures, aux récits épiques de grands désastres.

[89] Polybe parle aussi d’une incursion des Vénètes qui obligea les Gaulois à revenir (II, 18, 3).

[90] Plutarque, Camille, 30.

[91] En 367 (Tite-Live, VI, 42 ; Plutarque, Camille, 40-1 ; Appien, Celtica, 1 ; Denys, XIV, 8-12). En 361 (Tite-Live, VII, 9 et 10 ; Polybe, II, 18, 6 ; Appien, Celtica, 1). En 360 (Tite-Live, VII, 11). En 358 (VII, 12-15 ; Appien, Celtica, 1). En 350-349 (Tite-Live, VII, 23-26 ; Polybe, II, 18, 7-8). — Ces dates sont incertaines. Sur la chronologie de ces guerres : Niese, Hermes, XIII, 1878, p. 401-413 ; Mommsen, Rœm. Forsch., II, p. 352 et suiv. ; Matzat, Rœmische Chronologie, I, 1883, p. 86 et s., II, 1884, p. 114 et s. ; Lackner, p. 9 et s., 19 et suiv.

[92] En 350-349 (Tite-Live, VII, 24, 8 ; 25, 3).

[93] En 361-360 (VII, 11, 1 et 12, 8). En 349 (VII, 26, 9).

[94] En 387 et 368 (Tite-Live, VI, 42, 8 ; VII, I, 3). En 349 (VII, 26, 9). Cf. plus loin, § 10.

[95] VII, 15, 3 et 26, 9.

[96] En 367, près d’Albe ? En 360, près de la porte colline. En 358, près de Pédum ? En 350, près du mont Albain. En 349, dans la région pontine.

[97] T. Manlius Torquatus, sur le pont de l’Anio, en 361 (Tite-Live, VII, 9 et 1 : Claudius Quadrigarius ap. Aulu-Gelle, IX, 13 = fr. 10) : duel contre un géant qui parait avoir été une sorte de possédé. M. Valerius Corvus en 349 (Tite-Live, VII, 26 ; cf. Quadrigarius, ibid., IX, 11 = fr. 11) : duel contre un dux Gallorum. Il n’y a pas de motif pour croire que ces deux duels, d’ailleurs dissemblables, soient des doublets mythiques de faits plus récents : les combats de ce genre ne devaient pas être très rares, et le souvenir s’en conservait dans les familles.

[98] Polybe (II, 18, 9) parle d’un traité conclu, vers 335-329, entre eux et les Romains. — Il ne fut rompu qu’en 299, lors d’une dernière invasion de Transalpins, que les Cisalpins entraînèrent avec eux contre Rome (Pol., II, 19, 1 ; cf. T.-L., X, 10) : c’est peut-être à cette invasion que fut due la fondation des colonies repiques de Verceil et de Novare par les Voconces et les Salyens.

[99] Cf. Mommsen, Rœm. Gesch., I, p. 334.

[100] Outre les ouvrages cités pour tout ce chapitre, cf. Wernsdorff, De republica Galatarum, Nuremberg, 1743 (pas du tout négligeable) ; Ad. Schmidt, De fontibus veterum auctorum in enarrandis expeditionibus a Gallis.... susceptis, 1834 = Abhandlungen, 1888, p. 1-65 ; Droysen, Histoire de l’Hellénisme, tr. fr., II, p. 623 et s. ; Robiou, Histoire des Gaulois d’Orient, 1866 ; Zippel, Die rœmische Herrschaft in Illyrien, 1877, p. 31-43 ; van Gelder, De Gallis in Græcia et Asia, Amsterdam, 1888 ; Stæhelin, Geschichte der Kleinasiastichen Galater, Bâle, 1897 ; Niese, Geschichte der Griechischen und Makedonischen Staaten, II, 1899, p. 12 et s., p. 77 et s.

[101] Peut-être au carrefour de Mayence et du Mein : cf. Tacite, Germanie, 28 ; César, VI, 24, I.

[102] Dans le sens que lui donne César, VI, 25, 2. La troupe passa sans doute entre les Juras Souabe et Franconien, un des plus anciens seuils de la Haute Allemagne.

[103] Justin, XXIV, 4, 3.

[104] Cf. Strabon, VII, 1, 5 ; César, VI, 24, 2.

[105] En Norique (Styrie et Carinthie), Pline, XXXIV, 145 ; nécropole de Hallstatt. En Silésie plutôt qu’en Moravie, Tacite, Germanie, 43.

[106] Justin, XXIV, 4, 3 : Per strages barbarorum. César dit (VI, 24) : Germanos... Germaniæ, ce qui est un anachronisme, absolument comme le Pannonia de Justin : ces deux récits peuvent être corrigés l’un par l’autre. Ces indigènes doivent plutôt être appelés Ligures (Bavière ?), Illyriens (Norique ?) ou Thraces.

[107] Je pense à celui des Sigynnes ou de Hallstatt.

[108] Tacite assigne très nettement ces limites aux Helvètes (Germanie, 28). Remarquez l’anecdote de cet Helvète exerçant à Rome fabritem artem (Varron apud Pline, XII, 5). Ajoutez sans doute, comme source de richesse, l’orpaillage du Rhin. Ή τών Έλουητίων Έρημος, (haute vallée du Neckar), Ptolémée, II, 11, 6. Il ne serait pas impossible qu’ils se soient graduellement étendus le long du Rhin jusqu’en Suisse. Cf. t. II, ch. XIV, § 14.

[109] Le nom de Bohème, Boilhæmum, Boiohæmum, vient des Boii, et était connu dès le temps de Strabon (Strabon, VII, 1, 3 ; Tacite, Germanie, 28 ; Velleius, II, 109). Niese (p. 153) l’étend, sur le Danube, jusqu’à la Drave, la Theiss et Passau. A leur empire se rattachaient sans doute les Celtes de la Silésie et de la Moravie.

[110] César, VI, 24, 2 et 3 : l’expression de César parait reproduire quelque formule de tradition ou de légende indigène. L’emplacement que nous donnons aux Volsques n’est pas certain, mais il n’y a plus, circum Herryniam silvam, d’autre territoire disponible que celui-là ; cf. Strabon, VII, 1, 5. Niese (p. 143) refuse toute autorité au texte de César, et toute réalité aux Volsques danubiens, et je ne comprends pas pourquoi.

[111] Peut-être plus fortement mêlé que les trois autres d’éléments indigènes, ligures ou illyriens : le nom même des Taurisques ne fut pas, je crois, importé de la Celtique ; Zeuss, p. 239 et suiv. Ils ont remplacé les Sigynnes d’Hérodote (V, 9), qui paraissent avoir été, comme le devinrent les Taurisques, un peuple riche et commerçant : le peuple, sans doute, qui a donné naissance à la civilisation dite de Hallstatt. Cf. ch. IX, § 8.

[112] César, I, 5. 4.

[113] Strabon, IV, 6, 10 et 12 ; VII, 2, 2 ; 3, 2 ; 5, 2 ; Pline, XXXIV, 145. Tite-Live rapporte (XXXIX, 55, 1-4 ; XLIII, 5, 2-9) leurs bons désirs de vivre en paix avec Rome. C’est le futur royaume de Norique (César, I, 53, 4), de même nom que sa capitale.

[114] Les Colini, qui exploitaient les mines de fer de la Silésie ? (Tacite, Germanie, 43. Ptolémée, II, 11, 12) doivent se rattacher à ce même établissement. De même, et dans la mesure où on peut les identifier, les -dunum et autres localités celtiques signalées par Ptolémée (II, 11, 13, 14 et 15 : Lugidunum, Liegnitz ?, Ebarum ou Eburodunum, Brünn ?, Carrodunum, Cracovie ?). Nous sommes là dans une de ces régions minières affectionnées par les Celtes. — Notez le rapport des limites orientales de cette Celtique avec celles de la zone de langue allemande. — Il ne serait pas impossible qu’il y ait eu un autre Etat distinct en Transylvanie, où l’on trouve un type particulier de monnaies gauloises, celui des grosses pièces incurvées (Blanchet, Rev. num., 1902, p. 160-2 = Traité des monnaies gauloises, p. 463-6 ; Cab. des Méd., 9604-8).

[115] Il est impossible de trouver trace, avant les Scordisques, d’une peuplade celtique établie dans la plaine danubienne. Il est probable qu’il y eut des essais de fondation d’empire, niais qu’ils ne réussirent pas : cf. Justin. XXIV, 4, 5. Contra, Contzen, p. 64. La contrée a dû être surtout partagée entre Toriques et Boïens, ce que l’on peut aussi conclure des trouvailles de monnaies (Blanchet, Traité, p. 458-403, etc.).

[116] Justin, XXXII, 3, 8 et 9, semble donner à ces bandes une double origine, danubienne et gauloise : mais il peut se faire qu’il ait confondu les Tectosages de la Bavière avec ceux de Toulouse. Cette confusion se retrouve citez un auteur cité par Strabon (IV, 1, 13), qui parait être Timagène, mais qui peut aussi être la source de Justin sur ce point. — Les Anciens nous ont fait connaître, comme nations ou tribus venues du Danube : les Prauses, auxquels appartenait Brennos (Πραΰσοι, Strabon, IV, 1, 13 ; cf. Τραυσοί chez Étienne de Byz.) ; les Tectosages (Τεκτόσαγες) unis aux Teutobodiaci ; les Tolistobogii ou Tolistoboii (appelés avant 189 Τολιστωαγίοι, puis Τολιστοβώγιοι, Dittenberger, Or., 275 et 276), unis aux Voluri et aux Ambitouti ; les Trogmi (Τρόκμοι, Τρωγμοι, Τρωκμηνοί) : ces trois peuples (gentes) ont formé, avec leurs 195 populi (clans ?, Pline., V, 146), leurs douze tribus ou parties (Strabon, XII, 3, 1), les Galates d’Asie. Chez Polybe, V, 53, 3, 'Ριγόσαγες parait être pour Tectosages ; en revanche les Αίγόσαγες, sont une bande qu’Attale a faite venir en 218 de l’autre côté de l’Hellespont, qu’il a ensuite renvoyée et que Prusias a détruite en 217 (V, 77, 2 : cf. 78 et 111) : peut-être une tribu des royaumes du Danube ou de l’Hémus. Plutarque parle encore de Tosiopes (Τοσιωπών τετράρχης, De virt. mut., 23, p. 259). Rien, dans ces noms, ne révèle leur origine : ils peuvent venir de noms de chefs (ce que dit Strabon, XII, 5, 1), et je ne suis pas du tout sûr que les Tectosages galates soient un rameau des Volsques bavarois.

[117] Ptolémée fils de Lagus ap. Strabon (VII, 3, 8) ; Arrien, Anabase, I, 4 (d’après la même source). Il ne s’agit pas des Scordisques, mais des Taurisques, un des plus avisés et des plus sages et peut-être le plus puissant parmi les peuples celtiques de l’Europe centrale. — Ce sont les Taurisques également qui ont dit envoyer des ambassadeurs à Alexandre à Babylone en 324 (Diodore, XVII, 113, 2 ; Arrien, Anabase, VII, 15, 4). Ce sont eux, enfin, je crois, qui ont lutté vers ce temps, contre les Ardiens ou les Illyriens de la Bosnie (Théopompe, fr. 41 ; Polyen, VII, 52 ; cf. Zippel, p. 34-36).

[118] Cf. Polybe, XVIII, 20, 8-9.

[119] C’est au temps d’Alexandre, disait-on, que la race commença à être connue des Grecs (Diodore, XVII, 113, 2 : Arrien, Anabase, VII, 15, 4). C’est une erreur en était déjà venu en Grince par le sud, comme mercenaires (plus loin, § 10).

[120] Je suis convaincu qu’à côté des Celtes venus des États danubiens primitifs, et plus tard à côté des Galates phrygiens, il y a eu, dans les bandes de Brennos, beaucoup de Belges arrivés d’au delà des monts Hercyniens. Remarquez en effet : 1° la sortie de la région du Danube correspond au temps de l’invasion belge en Gaule ; 2° l’existence d’un roi Belgius ou Bolgios dans les bandes orientales (Holder, s. v.) ; 3° on faisait venir Brennos et ses bandes des bords de l’Océan (cf. ch. IX, § 1) : 4° c’est au temps de l’invasion de Brennos que l’expression de Galate apparaît en Grèce, et comme synonyme de Celte : or, il semble qu’elle soit d’origine belge. Cf. les Bastarnes.

[121] Où Cassandre les assiégea en 208 ; Pline, XXXI, 53 ; Sénèque, Quæst. Nat., III, 11, 3. Cf. Contzen, p. 64.

[122] Expédition de Cambaulès en 281 au plus tard : Pausanias, X, 10, 5 et 6.

[123] Triple expédition, en 280, de Brennos et d’Acichorios contre la Péonie, de Céréthrius contre la Thrace et les Triballes, de Bolgios ou Belgius contre la Nlacédoine, et victoire de Bolgios sur Ptolémée Céraunos ; Pausanias, X, 19, 6 et 7 : Justin, XXIV, 3 et 6 ; Diodore, XXII, 4 ; Plutarque, Pyrrhus, 23 ; Memnon, 14. Passage de Brennos en Macédoine en 279 ; Justin, XXIV, 6, 1-4.

[124] Justin, XXIV, 6, 4-5.

[125] Pausanias, X, 10, 12.

[126] Pausanias, X, 20-22.

[127] Je ne doute pas que, malgré les fanfaronnades grecques, il n’y ait eu pillage d’une partie du sanctuaire : Strabon, IV, 1, 13 (Timagène ?) ; Tite-Live, XXXVIII, 48 : Valère Maxime, I, 1, 9 (exc.) ; Athénée, VI. 25, p. 234. Cf. Foucart, Archives des Missions, IIe s., II, 1865, p. 211 ; van Gelder, p. 10 et suiv.

[128] Justin, XXIV, 7, 2.

[129] Justin, XXIV, 6, 4 et 5.

[130] Justin, XXIV, 6-8 ; Pausanias, X, 23 ; Diodore, XXII, 9 : cf. Bull. corr. hellén., XVIII, p. 355 ; Herzog et Reinach, Comptes rendus de l’Ac. des Inscr., 1904, p. 158-173 ; etc.

[131] Cf. Tite-Live, XL, 58, 3-6.

[132] Pausanias, x, 23, 12 ; Justin, XXIV, 8, 11 ; Diodore, XXII, 9, 2.

[133] La clausule des récits de Justin, XXIV, 8, 16, de Pausanias, X, 2 :3, 13, de Diodore, XXII, 9, 3 : pas un ne survécut pour annoncer le désastre, révèle l’origine poétique de tout le récit. — En réalité, beaucoup survécurent ; voyez une autre tradition chez Strabon (IV, 1, 13), chez Justin lui-même (XXXII, 3, 6-9), et ailleurs : tradition qui est la même, semble-t-il, que celle qui admet le pillage de Delphes, et qui parait être d’origine celtique (par Timagène ?). — Même double tradition pour l’invasion des Gaulois dans la vallée du Tibre. — L’opinion courante, depuis le travail d’Ad. Schmidt, est que Timée est la source principale des récits qui ont été écrits sur ces événements et les suivants ; dans le même sens, Waschsmuth, p. 7. Il y a beaucoup de réserves à faire sur cette thèse. On a songé aussi à Agatharchide de Cnide et à Ménodote de Périnthe (Müller, Fr. hist. Gr., IV, p. 640), à Hiéronyme de Cardia et à Democharês (Droysen, Hellenismus, 1836, I, p. 650 ; tr. fr., II, p. 625). C’est dire l’obscurité du débat. Timagène est possible, et il est certain qu’il y eut au moins deux récits différents.

[134] Cf. Wachsmuth, Die Niederlage der Kelten vor Delphi, dans Historische Zeitschrift, X, 1863, p. 1 et s. ; Stæhelin, p. 4, n. 1 ; Hiller von Gærtringen ap. Wissowa, Delphoi, IV, c. 2568.

[135] J’accepte la tradition, qui me paraît indigène, de Justin, XXXII, 3, 8, et d’Athénée, VI, 23, p. 234. Zeuss (p. 175) et Contzen (p. 64) la repoussent, et font des Scordisques un État antérieur, d’où serait sortie l’invasion celtique de la Grèce mais comment se ferait-il que les Grecs n’aient jamais, à propos de l’invasion, prononcé ce nom ? (objection vue par Zeuss, p. 176).

[136] Justin, XXXII, 3, 8 ; Strabon, VII, 5, 12.

[137] Σκορδίσκοι ou Σκορδίσται, Scordisci, Justin, ibid. ; Athénée, VI, 25, p. 234 : Strabon, VII, 3, 2 : 5, 12. Hommes du mons Scordus, comme les Taurisques ont été peut-être nommés d’un mont Taurus.

[138] Ptolémée, III, 9, 3, Müller. Strabon (VII, 3, 12) cite les villes d’Héorta et de Capédunum.

[139] Ils ont remplacé dans ces régions les Triballes (Hérodote, IV, 49 ; Appien, Illyrica, 3) et les Aulariates (Strabon, VII, 5, 11). — Au delà vers l’ouest, des bandes semblent être remontées le long de la Save ou de la Drave et s’être unies aux Illyriens, Iapodes (Strabon, VII, 3, 2 : IV, 6, 16) et Istriens (Justin, XXXII, 3, 12).

[140] Polybe, IV, 46. Le bassin d’Andrinople ?

[141] Royaume fondé par Comontorios, avec Tylé ou Tylis pour ville royale (emplacement inconnu) : Pol., IV, 45 et 46 ; VIII, 24 ; Justin, XXXII, 3, 6 ; prologi Pompei Trogi, 25 ; Eustathe ad Iliadem, II, p. 295, 43 ; Ét. de Byz., s. v. — Une colonie extrême de ce royaume paraît avoir été Noriodunum, Isaktcha, près du delta du Danube (Ptolémée, III, 10, 5). — Les Coralli (Valerius Flaccus, VI, 88-94, et autres), dans la Dobroudja, sont évidemment des Celtes ou des Celto-Scythes (Reinach, Rev. celt., XX, 1899, p. 128) et se rattachent peut-être à ce même royaume. — Une colonie celtique, envoyée (peut-être par les Scordisques) au delà (au nord) du Danube, est citée dans les Script. rer. mir. Gr., p. 218. — Les Bastarnes, qui apparaissent après 200 au nord du bas Danube, et qui semblent apparentés aux Scordisques (Tite-Live, XL, 57, 7), sont peut-être cette dernière colonie, peut-être d’autres Galates ou Belges, venus vers ce temps-là par le nord des Carpathes. Contra, Ihm ap. Wissowa, III, c. 110 et s. : Sehmsdorf, Die Germanen in den Balkanländern, Leipzig, 1899 : Stæhelin, dans Festschift ... Theodor Plüss, Bâle, 1905 : etc. (qui tous les regardent comme des Germains, différents des lors des Gaulois). — Au delà du Danube, les Gaulois, Coralli, Bastarnes ou autres, ont menacé Olbia (Dittenberger, 248). Cf. Ad. Schmidt, Das olbische Psephisma, Rh. Mus., IV, 18 36 = Abhandlungen, p. 66-129 : Stæhelin, ibid., et bien d’autres.

[142] Pausanias, X, 21, 6 ; 22, 3 ; Justin, XXIV, 6-8. Cf. ch. IX, § 1.

[143] Tite-Live, XXXVIII, 16, 2 : 18.000, Justin. XXV, 1, 2. Sans doute en moyenne un millier d’hommes par bande ou par chef.

[144] Tite-Live, XXXVIII, 16, 1-2 ; Justin, XXV, I, 2.

[145] Tite-Live, XXXVIII, 16, 3. Ils furent détails par Antigone (279 ?) ; Justin, XXV, 1 et 2.

[146] Tite-Live, XXXVIII, 16, 4 ; Memnon, 19 et 23.

[147] Une partie vint à son insu et rejoignit l’autre : Tite-Live, XXXVIII, 16, 8.

[148] Memnon, 19 ; Tite-Live, XXXVIII, 16, 6 et 7 ; Strabon, XII, 5, 1 : les deux principaux étaient Leonnorios (Lonorius) et Loutourios (Lutarius). Les douze tribus ou — parties — des Galates phrygiens (Strabon, XII, 5, 1) doivent sans doute leur naissance à douze de ces bandes.

[149] Tite-Live, XXXVIII, 16, 10 ; Memnon, 22 et 24 ; Justin, XXV, 2, 10 ; Pausanias, X, 30, 9 et 32. 4 ; Anthol. palat., VII, 492 ; Ps.-Plut., Parall. min., 13, p. 309 b (d’après les Galatiques de Clitophon) ; etc. Cf. ici, ch. IX, § 1.

[150] Hégésianax ap. Strabon, XIII, 1, 27.

[151] Victoire d’Antiochus Soter : Lucien, Zeuxis, 8-11 ; Appien, Syriaca, 65 ; prologi Trogi, 25. En 277 ? (en 272, van Gelder, p. 128 ; entre 270-265, Stæhelin, Geschichte, p. 10 ; etc.).

[152] Date très contestée : on recule d’ordinaire beaucoup plus tard l’établissement des Galates : cf. van Gelder, p. 119 (vers 232), etc. Tite-Live (XXXVIII, 16, 12 et 13) semble montrer le désir qu’ils avaient de s’installer ; Memnon, 19, 5 ; Strabon, XII, 5, 1.

[153] Multitudine aucta, dit Tite-Live (XXXVIII, 16, 13), qui ne pense qu’à la fécondité des femmes, subole magna : de même, Justin, XXV, 2, 8 : je ne doute pas qu’il n’y ait eu de nouvelles arrivées, car les textes témoignent de migrations ou d’incursions constantes des Gaulois danubiens et autres.

[154] Victoire d’Attale entre 241-233 ; Tite-Live, XXXIII, 21, 3 ; XXXVIII, 16, 14 ; Strabon, XIII, 4, 2 ; Polybe, XVIII, 24, 7 ; Pausanias, I, 4, 5 ; 8, 1 ; Dittenberger, Orientis Inscr., 268, 269, 276 ; Stæhelin, p. 25 et suiv.

[155] Kiepert, Beitrag zur alten Ethnographie der iberischen Halbinsel, 1864 (Monatsberichte de l’Acad. de Berlin, p. 143 et suiv.) ; Phillips, Die Wohnsitze der Kellen auf der pyrenœischen Halbinsel, dans les Sitzungsberichte de l’Ac. de Vienne, phil.-hist. Classe, 1872, p. 693 et s. ; Hæbler, Die Nord- und Westküste Hispaniens, Leipzig, 1886, p. 22 et suiv. ; Garofalo, Boletin de la real Academia de la Historia, XXXIV, 1899, p. 97 et s. ; Garofalo, Revue Celtique, XXI, 1900, p. 200 et suiv. ; Leite de Vasconcellos, Religioes da Lusitania, II, 1905, p. 52-67, etc. La théorie si répandue, qui assimile aux Celtes d’Espagne les Cempses d’Avienus, m’a toujours paru inadmissible (Christ, Neue Jahrbücher, CIII, 1871, p. 713 ; C. M[üller], Philologischer Anzeiger, III, 1871, p. 461 ; etc.).

[156] Les seuls noms de nations celtiques que l’on rencontre sur la route de la migration occidentale sont, le long de la Garonne : 1° les Bituriges à Bordeaux : 2° les Signons sur les coteaux de la rive droite face à cette ville, au passage même du fleuve, à Cenon (Senon, Cartulaire de Saint-Seurin, p. 26, 83, 211) : 3° les Lingons à l’autre passage important, à Langon (douteux). Le peu d’importance de ces trois établissements (en admettant qu’ils soient contemporains) montre que la troupe du sud-ouest devait être peu considérable, mais formée des mêmes éléments que celles de la Circumpadane. — Au sud des Pyrénées, on ne constate aucun nom de nation durable, mais seulement le nom collectif de Celtes, et cela signifie bien que les différents éléments de l’année d’invasion n’ont pas été assez forts pour se constituer en peuplades indépendantes : ils sont restés sous le nom qu’ils avaient en entrant dans le pays.

[157] Si les Boii ou Baiales du pays de Buch sont celtiques et non préceltiques, c’est sans doute à cette date qu’il faut placer leur établissement au passage de la Leyre et autour du bassin d’Arcachon : la terminaison -ales indiquerait alors leur mélange avec une tribu de Ligures.

[158] Il n’y a aucun nom celtique ancien dans cette région.

[159] Les Berones (Rioja Alta) passaient pour mêlés de Celtes (Strabon, III, 4, 3 et 12) : ce seraient, dans ce cas, les mieux pourvus des Celtibères, mais cette origine n’est point prouvée. Leur situation est en tout cas le long ou pris de la route probable de l’invasion, qui n’est autre que la future route de Saint-Jacques.

[160] Kiepert, p. 163-164, a justement noté le caractère pastoral des établissements celtiques en Espagne ; il faudrait indiquer aussi, probablement, leur caractère métallurgique.

[161] Cf. ch. XII, § 3. Strabon, 111, 2, 15 ; 4, 13 ; Diodore, V, 33-34 (Posidonius). L’exacte délimitation de la Celtibérie était déjà très difficile pour les Anciens : il est probable que ce nain fut d’abord limité à la région des monts Ibériques de Castille et d’Aragon, sierra de Moncayo, Serrania de Cuenca, etc. (Numance chez les Pelendones, Pline, III, 26 ; Bilbilis, Ségobriga, entre Tolède et Cuenca, Strabon, III, 4, 13), et qu’il s’est abusivement étendu aux Arévaques et aux Vaccéens du plateau de la Vieille Castille (cf. Strabon, l. c.). Il semble donc, que les Celtes, sauf exception, aient été rejetés droit vers le sud. — En tout cas la région celtibérique est remarquablement pauvre en noms celtiques (aucun -dunum d’origine ancienne, -brida est préceltique), et tout autorise à croire que la langue gauloise y fut oubliée de bonne heure (cf. Hübner ap. Wissowa, III, c. 1887, et Monumenta, p. 82 ; les noms d’hommes et de dieux caractéristiques des pays celtiques ne s’y trouvent qu’en infime quantité. Contra, Cuno, p. 61 et suiv.

[162] Dans l’Alemtejo et l’Algarve, Strabon, III, 1, 6 ; 2, 2 et 15 ; 3, 5 : les mss. donnent, suivant les passages, Κελτοί et Κελτικοίς ; et Pline, III, 13 et 14 : Celtici ; Ptolémée, II, 5, 5 : Κελτικοί (délimitations très douteuses ; peut-être ceux de Diodore, XXV, 10). C’est la marche entre Tartessus et la Lusitanie. La celticité des gons de ce pays ne me paraît pas hors de doute, le nom ayant pu être donné à tort par les Grecs et les Romains à des épaves du monde ligure.

[163] D’après le nom de Celticoflavia (C. I. L., II, 880) près de Salamanque. Aux frontières des Lusitans, Vettons, Vaccéens, Astures.

[164] Pline, IV, 111, 118 ; Méla, III, 9, 10, 12, 13 ; Strabon, III, 3, 5 ; Florus, I, 33. 12. Ceux-là sont appelés Celtici et dits parents de ceux du Guadiana (Strabon, l. c. ; Pline, III, 13). Ils habitaient surtout la vallée du Tambre ; le cap Finistère s’appelait Celticum. C’est le pays entre Lusitans et Galiciens. Même réserve que pour ceux du sud du Portugal.

[165] Voyez la carte de Kiepert (réserves faites sur les noms en -briga, qui n’ont pas été apportés par l’invasion celtique).

[166] Cf. Strabon, III, 3, 5.

[167] Il semble cependant que les Celtes aient pris, en Espagne, de bonnes mines, l’étain des îles de la Galice ? (Méla, III, 47) et le fer de Bilbilis.

[168] Cette date pourrait être reculée vers 470, si l’on tenait compte de ces deux faits : Avienus ne connaît pas les Celles sur les rivages espagnols, et Hérodote les mentionne après les Cynètes de l’Algarve (II, 33 ; IV, 49), ce qui peut paraître se rapporter à ceux de l’Alemtejo ou de la Galice. Mais les textes d’Hérodote, mettant dans une même région les Celtes, la ville de Pyréné, les sources du Danube, ne peuvent être retardés que comme un rapprochement incohérent de choses très distantes. — Éphore (Strabon, I, 2, 28 ; IV, 4, 6 ; fr. 38 et 4.3) et Ératosthène (Strabon, II, 4, 4) prolongeaient la Celtique jusqu’aux environs de Cadix ; mais, dans ce cas, Celtique avait le sens général de pays ou peuples de l’ouest : car, dès qu’Ératosthène en venait au détail des côtes espagnoles, il ne mentionnait plus de Celtes, ούδαμοΰ μέμνηται (Strabon, II, 4, 4). — Je crois de plus en plus à la nécessite de restreindre l’élément celtique en Espagne : je dis celtique, c’est-à-dire postérieur à l’invasion du IVe siècle, et je ne dis pas ligure.

[169] Cf. Müllenhoff, II, p. 247 et suiv., p. 279 et suiv.

[170] Comparez son nom de Vivisci, les guis ?, avec ce que Strabon dit d’elle (IV, 2, 1) : Έν τοΐς Άκουιτανοΐς άλλόφυλλον έδρυται.

[171] Ils s’arrêtaient vers le confluent du Salat.

[172] Sauf peut-être dans la région de La Réole où les Basales, qui n’étaient pas des Celtes, semblent avoir retenu les deux rives ; cf. Inscr. rom. de Bord., II, p. 142 et 176-8.

[173] Portus Alingonis, Sidoine, Epist., VIII, 12, 3 ; de ad-Lingons ?

[174] Sans doute, avec les Allobroges, un des rameaux d’une peuplade de Broges ; contra, Müllenhoff, II, p. 118, et bien d’autres.

[175] Bazas, Sos, Lectoure, Auch, Saint-Gaudens, ne sont point celtiques.

[176] Rascino (Castel-Roussillon) paraît avoir été un oppidum frontière soit des Gaulois soit de leurs voisins au sud (Tite-Live, XXI, 24, 3 : cf. ici ch. XI, § 4).

[177] Scylax, qui écrit vers 330, connaît des Celtes sur l’Adriatique (§ 18), et ne signale que des Ibéro-Ligures dans le Languedoc (§ 2-3) : les Volsques s’y trouvent dès 218 (Tite-Live, XXI, 26, 6). — Ils semblent ne s’être étendus que peu à peu et être venus par le Rhône : car Tite-Live, à la date de 218, les connaît surtout comme une gens valida des deux rives du bas Rhône (XXI, 26, 6 ; cf. Silius, III, 445). — Müllenhoff (II, p. 278) rattache justement leur arrivée, vers 300, aux mouvements transalpins dont parle Polybe (II, 10, 1).

[178] Aristote (Météorologiques, I, 13, 20) place sans doute la perte du Rhône à Bellegarde chez les Ligures, mais c’est d’après une source très ancienne : le Rhône a été certainement pris par les Celtes dès le temps de Bellovèse, puisqu’ils vinrent alors jusqu’à Marseille (Tite-Live, V, 34, 7 et 8 ; cf. ch. X, § 2).

[179] C’est sans doute par anachronisme que Tite-Live les nomme vers 400 (V, 34, 5), à moins que le nom ne soit d’origine préceltique.

[180] Cf. Strabon, IV, 1, 11 et 12.

[181] Polybe, II, 19, 1. Les Voconces et les Salyens semblent avoir réussi à envoyer des colonies importantes (vers 299 ?) au nord du Pô.

[182] Cf. le récit de la marche d’Hannibal, ch. XI, § 1 et 8.

[183] Ceutrones : mais la chose n’est point certaine.

[184] Ici, tous les noms sont celtiques ; cf. C. I. L., XII, p. 11 ; contra, Müllenhoff, II, p. 248 et suiv. Les Caturiges se rattachent peut-être aux Insubres (cf. Pline, III, 125).

[185] Cf. Strabon, IV, 1, 3 et 11 César, I, 10, 5.

[186] La Maurienne, malgré la présence du Cenis, leur fut laissée : c’est, du reste, une des moins bonnes régions alpestres.

[187] Tite-Live, V, 34, 8 : Adjuvere Galli (Massilienses).

[188] La vérité nous est donnée par Justin, qui montre, à cette même date de 400, les Marseillais menacés par une ligue de peuples voisins commandés par un chef à nom gaulois (XLIII, 5 ; ici, ch. X, § 2) : il est vrai que ce chef fit vite la paix avec eux, ce qui, dans une certaine mesure, justifie le texte de Tite-Live. Cf. Mémoires H. d’Arbois de Jubainville, p. 97-109.

[189] Rapprochez : Avienus, 701 ; Tite-Live, V, 34, 8 ; Justin, XLIII, 5 ; Strabon, IV, 6, 3.

[190] D’après les futures limites des cités d’Aix et Arles, qui correspondent à la peuplade salyenne. Cf. t. II, ch. I, § 2, ch. XV, § 3 et 13.

[191] C. I. L., XIII, 3130.

[192] César (Hirtius), VIII, 31, 4.

[193] Ce qui s’est passé alors ressemble à ce que César empêcha en 58 pour les Helvètes, I, 10, 1.

[194] Deloche, Études sur la géographie historique de la Gaule (Ac. des Inscr., Mém. présentés par divers savants, IIe s., IV, 1803, p. 328 et s., et carte) d’après César, VII, 75, 4. La chose n’est point certaine.

[195] Les Aulerci Brannocices, César, VII, 75, 2.

[196] César, I, 1, 3.

[197] César, II, 4, 2. — La tradition de l’exode des Belges (Galates) est très nettement conservée par Plutarque (Camille, 13) : ce qu’a bien conjecturé d’Arbois de Jubainville, Habitants, I, p. 262.

[198] On ne peut dire à coup sûr si le nom est antérieur ou postérieur à la conquête. On peut cependant tirer de deux mots de Méla, empruntés à un vieux périple, peut-être celui de Pythéas, un argument en faveur de l’opinion que les Belges auraient porté ce nom avant leur migration et qu’ils auraient habité au delà de l’Elbe, dans la Frise du nord et le Jutland, héritiers du domaine des anciens Celtes et ancêtres des Cimbres et des Teutons : les Belges (Belcæ ou Belgæ), dit-il, sont des Scythes, et leur rivage fait face à Thulé ou la Norvège (III, 36 et 37). Les Belges seraient donc, pour l’auteur dont se sert Méla, les mêmes que les Scvthes ou Celtoscythes de Pythéas. — Le nom vient peut-être du nom d’un chef ; cf. Belgius ou Bolgios, nom de chef gaulois (Justin. XXII, 5, 1 ; Pausanias, X, 19, 7).

[199] C’est peut-être à ces indigènes que se rapporte l’exception indiquée par le plerosque de César (II, 4, 2).

[200] Cf. César, II, 4, 2 et 6.

[201] César, II, 4, 2.

[202] Date approximative, résultant : 1° du fait que Pythéas ne mentionne pas les Belges ou Galates à l’ouest du Rhin et que Timée semble les connaître là ; 2° du fait encore des grands mouvements de peuples vers 300 (Polybe, II, 10, 1 ; 20, 7).

[203] Cf. Plutarque, Camille, 13 : Έπί τόν βόρειον Ώκεανόν... : les Rhipées dans ce récit peuvent correspondre aux Ardennes.

[204] Ce fut toujours son point faible, et c’est, du reste, le point faible de la structure de la France.

[205] Plutarque (Camille, 17) installe une autre partie des Galates έγγύς Σεννώνων καί Κέλτορίων (les Éduens ? Alésia ?), et entre les Pyrénées et les Alpes, c’est-à-dire en Champagne ou en Franche-Comté. — Les Séquanes, dont il n’est jamais question dans les anciens récits et qui sont les ennemis-nés des Éduens, peuvent remonter en partie à cette origine. Il faut remarquer, en effet : 1° leur alliance au temps de César avec les transrhénans (César, VI, 12, 2) ; 2° des alliances antérieures avec les mêmes peuples, et peut-être leur participation à des descentes de Gésates en Italie (Strabon, IV, 3, 2, qui semble désigner ici, lui aussi, les Gésates sous le nom de l’ερμάνους) ; 3° leur incorporation par les Romains dans la province de Belgique (Pline, IV, 106). On trouverait, peut-être, dans les inscriptions et les monuments, d’autres indices de leur ressemblance particulière avec les Belges et les Germains.

[206] Ce sont en effet des Belges que les peuplades de Semigermani du Valais ou de la vallée du Rhône supérieur (et de la Suisse et des régions de la Saône, du Doubs et du Rhin, cf. ch. XI, § 2), d’où les Cisalpins ont fait venir les mercenaires dits Gésates (Polybe, II, 21-34 ; Florus, I, 20 = II, 4 ; Properce, V, 10, 40 ; Tite-Live, XXI, 38, 8 ; cf. Tourneur, le Musée Belge, VI, 1902, p. 178-189). — Au lieu de Semigermani, le rédacteur des Fastes Capitolins (à l’an 532 = 222, C. I. L., I, p. 458) prendra l’expression de Germani ; l’une et l’autre d’ailleurs sont des anachronismes, mais qui désignent une vérité : Belges, Gésates, Galates du Valais, sont bien, en effet, une population intermédiaire entre Celles et Germains. — Ces Gésates apparaissent à partir de 236.

[207] C’est la véritable traduction de l’expression indigène (César et Hirtius, V, 12, 2 ; VIII, 40, 4 ; 49, 1 ; 54, 4), comme Celticum (Tite-Live, V, 34, 1) pour la Celtique.

[208] Nous verrons (t. II, ch. X, § 3, ch. XI, § 3, ch. XIII, § 3) l’impossibilité de saisir une différence entre les noms de personnes et de lieux belges et celtes.

[209] Cf. Pausanias, I, 4, 1 ; X, 20, 3.

[210] Cf. Tite-Live, XXXVIII, 16, 13 ; peut-être aussi les Aigosages de 218.

[211] Les Bastarnes : Pseudo-Scymnus, 797 (Démétrius de Callatis ?) ; Tite-Live, XXXIX, 35, 4, rapproché de XL, 5, 10 ; XL, 57-58 ; XLI, 19 ; XLIV, 26. 2-27, 5 : 29, 6 : Orose, IV, 20, 344 : Polybe, XXIX, 9, 13 ; Diodore, XXXI, 14 : Plutarque, Paul-Émile, 12 et 13.

[212] Polybe, II, 21, 22, etc. (en 236, 232, etc.). Cf. ch. XI, § 2.

[213] Plusieurs étymologies ont été données à ce nom : Οί τήν γήν ζητοΰντες (Etym. magnum, p. 223 et 640) ; διά τό μισθοΰ στρατεύειν, le mot signifiant salaire (Polybe, II, 22, 1) ; peut-être simplement à cause du gæsum, pique ou javelot, qui était leur armement préféré (César, III, 4, 1 ; Properce, V, 10, 42 ; Silius, I, 629 ; cf. ch. IX, § 4). En tout cas, les étymologies données par les Anciens prouvent qu’ils n’étaient que des coureurs d’aventures, à la solde du plus offrant.

[214] Polybe, II, 28, 7 et 8 ; 29, 7 ; 30, 2 ; Florus, I, 20 (II, 4).

[215] Cf. Plutarque, Paul-Émile, 12 (Γαλάτας, 13).

[216] Cf. t. II, ch. XI, § 3.

[217] Cf. Strabon, IV, 1, 1 ; t. II, ch. X, § 3.

[218] Polybe, II, 23. 5.

[219] Le mot de Galate n’apparaît pas une seule fois avant le moment de l’arrivée des Gésates en Italie ou de Brennos en Grèce : comme il ne signifie rien en grec, il est visible qu’il est d’origine indigène. Au surplus, les Galates d’Asie Mineure semblent l’avoir accepté officiellement.

[220] Il y a, chez les Boïens de 236 (à moins que Polybe n’ait confondu avec les Gésates qui les accompagnaient, II, 21, 5), βασιλεΐς Άτιν καί Γάλατον. Une opinion très souvent soutenue dès le XVIIIe siècle, est que celte et galate ont été à l’origine le même mot : je n’ose l’accepter.

[221] Diodore, V, 32, 1, d’après Timée plutôt que Posidonius, en tout cas d’après un auteur antérieur à César, et qui ignore l’existence du Rhin. La distinction entre Celtes et Gambes-Belges revient chez Diodore, V, 21, 3, Où il fait de Galatès le fils d’Hercule et d’une femme celtique (Plutarque, Camille, 15). — L’identification des Belges et des Galates peut encore être tirée du fameux texte de César sur les Celtes (De b. G., I, 1, 1) : Ipsorurn lingus Celtæ, nostra Galli appellantur. Si les Celtes ne s’appliquaient pas à eux-mêmes ce nom de Gaulois ou de Galates, qui était indigène, c’est que ce nom était réservé à un autre groupe de peuples similaires, et ce groupe ne pouvait être que celui des Belges. — Il est possible que, lorsque Strabon appelle les Germains γνησίους Γαλάτας (VII, 1, 2), ce dernier mot ait eu chez la source du géographe le sens restreint de Galates ou de Belges. — Pausanias (I, 4, 1, d’après Timée ?) a également bien remarqué que les peuples de la mer du Nord se sont appelés Celtes d’abord, et Galates ensuite.

[222] Le mot de Galates apparaît pour la première fois, je crois, dans les poésies provoquées par l’affaire de Delphes et par l’invasion en Asie de 278, poésies où il est, détail curieux, toujours associé à celui du Mars des Celtes (Callimaque, Hymn. in Delam, 173 et 185 ; Anthologie palatine, VII, 492). — Timée connaît l’expression de Galates, qu’il semble distinguer très nettement de celle de Celtes : il fait des uns et des autres, en y ajoutant les Illyriens, les fils de Polyphème et de Galatée (cf. Geffcken, p. 151), et il semble d’autre part n’employer jamais, pour l’arrière-pays marseillais, que le mot de Celtes ou de Celtique (De mir. ausc., 85, 86 ; De plur. philos., III, 17, 6). C’est donc à lui que j’attribuerai la distinction faite par Diodore (V, 32, 1) entre Galates au nord et Celles au sud (cf. V, 21, 1, où le mot Galatie revient, avec les mêmes limites, l’Océan et la forêt hercynienne).

[223] Diodore (XXV, 13), à propos des guerres italiennes de 225-2, distingue tris nettement Galates (Gésates) et Celtes. De même Plutarque, à propos des mêmes guerres (Marcellus, 3, 7, 8). Cf. § 16 et ch. XI, § 2.

[224] Cf. Diodore, V, 32, 1. Il y a, chez Plutarque (Camille, 15) une bizarre interversion apparente des sens primitifs : Οί Γαλάται τοΰ Κελτικοΰ γένους ; mais, si l’on veut se rappeler que les Galates sont pour lui, comme pour Timée, les Belges, et que ces Belges ont la même origine transrhénane que les Celtes, le texte de Plutarque parait au contraire aussi clair qu’exact. Plutarque fait du reste allusion à la même légende que Diodore. — La question du rapport entre les deux noms a été résolue de manières fort différentes ; cf. les dissertations spéciales : en premier lieu, Gibert, Remarques sur les noms de Celles, de Galales et de Gaulois, dans ses Mémoires, 1744 ; [dom Martin], Eclaircissements historiques sur les origines celtiques et gauloises, 1744, ch. 1 ; et en dernier lieu, Zupitza, Kelten und Gallier (Zeitschrift für celt. Philologie, IV, 1902), qui tous sont pour l’identité constante des deux noms. Alexandre Bertrand en a ardemment, depuis 1815, soutenu la distinction, quoiqu’en ne leur donnant pas la même extension que nous (Archéologie, p. 371 et suiv., etc.). La thèse de la distinction, avec, une solution assez semblable à la nôtre, vient d’être reprise par Rhys, Celtæ and Galli, 1905 (Proceedings of the British Academv, II).

[225] Voyez § 11.

[226] Mentionnée dés 500 environ (Albionum, peut-être gén. plur., Avienus par Himilcon ?, 112), ainsi que l’Irlande (ibid., 109-110, insula Sacra = Ίέρνη, sans doute transformation grecque du nom des Hierni ses habitants, ibid., III ; cf. Rhys, Studies in early irish history, 1903, p. 13, dans les Proceedings of the British Academy, I). Et ces deux noms, je le crois fermement, sont indigènes et ligures. — L’expression d’îles Britanniques est postérieure : Pythéas semble l’avoir connue (Strabon, II, 4, 1). On ne peut affirmer ni qu’elle soit indigène, ni qu’elle ait été importée par des envahisseurs gaulois, ni encore qu’elle ait été simplement donnée par les peuples voisins. Le mot en tout cas est d’origine ligure ou gauloise.

[227] C’est cette population ligure dont on fait d’ordinaire des Celtes du premier ban (d’Arbois, Habitants, II, p. 282-3 ; le même, Celtes, p. 17 et s. ; et bien d’autres), ou encore les Celtes goïdéliques d’où descendraient les Gaëls d’Écosse, de Man et d’Irlande (théorie anglaise courante), et cela n’est pas absolument inadmissible, si l’on persiste à entendre par Celtes une population parlant une langue point trop différente de celle des Gaulois.

[228] Diodore, V, 21, 5-6 (d’après Timée, et celui-ci d’après Pythéas) ; César, V, 14, 4.

[229] C’est ainsi que j’interprète l’autochtonie que revendiquaient ces peuples (Diodore, V, 21, 5 ; César, V, 12, 1, d’après la même source).

[230] Diodore, II, 47, 2 (Hécatée d’Abdère).

[231] Avienus, 96-107 ; Diodore, V, 22, 1 (Timée) ; Pline, IV, 104 (Timée).

[232] Diodore, V, 21, 5 et 6.

[233] Cela résulte de l’accueil qu’ils paraissent avoir fait à Pythéas.

[234] Date approximative. En tout cas après 300 et avant César (V, 12, 2).

[235] César, V, 12, 2 ; cf. V, 14, 1.

[236] Les Dumnonii, qui l’occupent, semblent porter un nom gaulois ; cf. Holder, I, c. 1369 (Ceux du Couchant ?, nom en tout cas qui se rapporte à leur situation géographique). Je ne suis pas d’ailleurs convaincu que les Gaulois aient occupé la péninsule jusqu’à son extrémité.

[237] Une nation dite de Belge se trouve installée à Bath et à Winchester (Ptolémée, II, 3, 13) : c’est sans doute une colonie envoyée au nom de tous les Belges.

[238] Solin, XXII, 10, p. 102, Mommsen.

[239] Cf. César, V, 12, 3.

[240] César, V, 12, 1. Cf. Tacite, Agricola, 11, qui rapproche les Silures (Pays de Galles) des Ibères d’en face, c’est-à-dire des Cantabres : ce qui lui fait supposer, suivant les procédés de raisonnement des Anciens, que ce sont des Espagnols immigrés ; de même, Historia Brittonum (Nennius), p. 154, Mommsen.

[241] Les Calètes et les Véliocasses sont rattachés aux Belges (César, II, 4, 9) ; comparez les Véliocasses, Viducasses, Baïocasses aux Cassi d’Angleterre (V, 21, 1), et voyez tout ce que dit César (V, 12, 2). Strabon appelle Belges tous les Armoricains, c’est-à-dire les peuples du littoral du nord à partir de la Loire et Vénètes compris (IV, 4, 1). Cette extension jusqu’en Armorique de la domination belge ou (relate peut encore être tirée de Diodore, V, 32, 1 ; de Plutarque, Cam., 15 ; d’Ausone, Technopægnion, 9, 15 (où le chef belge Virdomar est appelé un Armoricain) ; de Pline, XVI, 158, comparé à Strabon, IV, 4, 1.

[242] Cf. César, II, 4, 7 ; III, 9, 10 ; IV, 20, 1 ; 21, 7 ; V, 12, 1.

[243] On peut employer cette expression, qui se retrouve entre Cimbres et Teutons, Plutarque, Marius, 24 : Έαυτοΐς καί τοΐς άδελφοϊς.

[244] Comparez à l’état politique d’avant la conquête (Diodore, V, 21, 6) celui d’après César (V, 12, 2).

[245] Cantium : le pays est déjà mentionné, peut-être, par Pythéas (Diodore, V, 21, 3) ; il est réuni sous une fédération de tribus en 54 (César, V, 22, 1 ; cf. 14, 1). Cf. à ce mot ceux de Belgium, Boihæmum, Albion, Celticum.

[246] Trinobantes, César, V, 20 et 21.

[247] L’État de Cassivellaun, qui me paraît correspondre aux comtés d’Hertford et de Middlesex (César, V, 11, 8 ; 18, 1 ; 21, 2).

[248] Avec les réserves faites ch. IX, § 8.

[249] Sur l’Angleterre gauloise et pré-gauloise, les ouvrages sur Pythéas cités ch. X, § V, et en dernier lieu : Elton, Origins of english historv, 1882, ch. 4 : Rhys, Early Britain, Cellic Britain, 1re éd., 1882 ; 2e, 1884 ; 3e, 1904 ; [Rend et Smith], British Museum, A guide of the Antiquities of the Bronze Age, 1904 ; id., Early fron Age, 1903.

[250] Mommsen, Rœmische Geschichte, I, p. 328 : Es sind die rechten Lanzknechte des Alterthums.

[251] Les mercenaires gaulois les plus célèbres, les Gésates, venaient surtout de populations que Tite-Live appelle à demi germaniques.

[252] Elle en eut, dès 343 ? dans sa guerre de Sicile contre Timoléon (Diodore, XVI, 73, 3). En 262 Polybe, II, 7, 7 ; Frontin, Strat., III, 16, 3. En 249 : Polybe, I, 43, 4. De 247 à 241 Frontin, III, 16, 2 ; Pol., II, 7, 8-9 ; Dion Cassius, XII, 43 = Zonaras, VIII, 16, 8, p. 173, Boissevain ; Appien, Sic., 2, 3.

[253] 241-237 : Polybe, I, 77-85 ; cf. Diodore, XXV, 2 et 9. Autaritos, comme l’appelle Polybe, parlait fort bien le punique (I, 80, 6).

[254] Diodore, XXV, 10, 1 (entre 236 et 228), qui cite le nom de Istolatios.

[255] Dion Cassius, XII, 43, p.172 = Zonaras, VIII, 16, 8 (entre 247 et 241 ; cf. plus bas).

[256] Tite-Live, X, 10, 7 (en 299) : il est vrai qu’Étrusques et Gaulois ne s’entendirent pas.

[257] Diodore, XX, 64, 2 : campagne africaine de 307 ; il s’agit évidemment de Celtes italiens.

[258] Diodore, XV, 70, 1 ; Xénophon, Helléniques, VII, 1, 20. En 388 : c’est, je crois, le plus ancien témoignage sur l’enrôlement de Celtes comme mercenaires ; Denys les envoya à Corinthe au secours des Lacédémoniens : ce sont sans doute de ceux qui, vers cette date, allèrent dans le Latium et jusqu’en Apulie.

[259] En 218 : T.-L., XXI, 26, 5 ; Polybe, III, 41, 9.

[260] Polybe, II, 21, 3 ; 22, 1 : à partir de 236 ou 232.

[261] Justin, XXV, 2, 9 et 10 ; XXVII, 3, 5 : Galli, humiliorum semper mercenaria manus.

[262] En 274-3 : Plutarque, Pyrrhus, 26, 28, 30 et 32 ; Diodore, XXII, 12. Cf. Polybe, II, 5, 4 ; 7, 5-11.

[263] En 274 : Justin, XXV, 3, 7 ; Plutarque, Pyrrhus, 26 ; Polyen, IV, 6, 17.

[264] Justin, XXVII, 2 et 3 (240-228) ; Dittenberger, Or. Inscr., 275 (vers 228).

[265] Vers 278 : Polybe, V, 65, 10 ; Pausanias, 1, 7, 2 ; scholies à Callimaque, p. 127 et 303, éd. Schneider ; cf. Contzen, p. 227 ; Bouché-Leclercq, Histoire des Lagides, I, 1903, p. 167. Autres Celtes mercenaires d’un tyran grec, Diodore, XXII, 5, 2 (vers 279).

[266] Διά τό παρασπονδήσαι, Polybe, II, 7, 6 ; II, 5, 4 ; 7, 5-11. — Voyez aussi l’histoire de la bande de Pyrrhus (Plutarque, 26-32) ; celle de la bande des Aigosages en 218-7 ; celle de la bande des Bastarnes de Clondicus en 179-168, (T.-L., XL, 58 ; XLIV, 26-27 ; etc.).

[267] Le tarif était, en 168, sur le Danube : 10 statères d’or par cavalier, 5 par fantassin, 1000 pour le chef (T.-L., XLIV, 26, 4), pour une troupe de 10.000 cavaliers, 10.000 fantassins ; cf. Plutarque, Paul-Émile, 12 ; Appien, Macedonica, 18, 2.

[268] Polybe, VIII, 32.

[269] Diodore, XV, 70, 1.

[270] Plutarque, Pyrrhus, 32.

[271] Polyen, VIII, 50.

[272] Il serait possible que des Gaulois aient été installés aussi comme cultivateurs dans certains États grecs, dans les mêmes conditions que plus tard les Germains sur le sol romain (cf. Tite-Live, XLV, 30, 5 : Gallos... impigros cultores, en Macédoine en 167).

[273] Rappelons ici les dates : 390, prise de Rome, connue des Grecs (Plutarque, Camille, 22) ; 368, les Celtes, de Syracuse à Corinthe ; en 335 et 324, du Danube à Babylone ; 279, marche vers Delphes : en ce dernier temps, dit Polybe, ή τύχη λοιμικήν τινα πολέμου διάθεσιν έπέστησε πάσι Γαλαταΐς (II, 20, 7). Cf. Diodore, V, 32.5.

[274] Cf. ch. XI, § 2.

[275] Tite-Live, V, 37, 5 : Longe ac late juso agmine ; V, 44, 4 : Effuso agmine adventant ; Callimaque, IV (in Delum), 175 et suiv.

[276] Cf. Tite-Live, V, 44, 5 et 6.

[277] Obsidionis tædio victi, Tite-Live, V, 44, 5 ; Diodore, XIV, 115, 6.

[278] Justin, XXIV, 8, 2.

[279] Voyez le discours de Camille, Tite-Live, V, 51-54 ; cf. 44, 5, et Denys, XIV, 9.

[280] Gallis vix quietem ferentibus in mari, Tite-Live, XLIV, 28, 12.

[281] T. II, ch. XIV, § 12.