ROANNE - SOUCHIER - 1929
Aux
confins de la mer Egée et de l'Asie-Mineure, détachée de l'Archipel, proche
l'entrée du golfe de Smyrne, minuscule et calme, paresse sous le soleil
d'Orient et le ciel toujours bleu : l'île de Chio. Que de souvenirs éveillés
par ce nom ? Les Turcs ont passé là, laissant derrière eux le sang, la
dévastation et la mort. Ils sont restés les maîtres, mais les temps, ont
passé et le silence, s'est fait. Au
début du XVIIIe siècle cependant, les Cordeliers français, déjà
missionnaires, avaient élevé une belle église votive. Elle est encore
intacte. Si on pénètre dans le chœur on voit à même le sol une tombe. Sur la
pierre : le pieux et fidèle Jean de Village a fait graver cette inscription
que l'on retrouve aussi sur le livre obituaire de Saint-Etienne de Bourges : Obiit generosi animi Jacobus Cordis ecclesiæque capitan us generalis contra infideles[1]. Non
datée, cette épitaphe est d'autant plus noble et plus évocatrice qu'elle est
brève. Il semble que la piété et l'amitié réunies aient voulu donner à
l'infortuné défunt la paix et la sérénité, mais en même temps lui affirmer
une juste et solennelle réhabilitation. Car
cette tombe, oubliée aujourd'hui, est celle de messire Jacques Cœur,
bourgeois de Bourges, conseiller et grand argentier du roi Charles VII de
France, homme. noble et puissant, seigneur du splendide Hôtel de la Chaussée
à Bourges,. des châteaux de Beaucaire, de Sancerre, de Béziers, de Lyon,
seigneur de Saint-Gérand-de-Vaux en Bourbonnais, de Saint-Fargeau, des
baronnies de Toncy et des Perreuses, avec leurs appartenances et dépendances
en pays de Puisaye, seigneur de Boisy et de La Motte, de la moitié de
Saint-Haon et de Roanne en Forez, de Menetou Salon, en Berry, des
châtellenies de Feillanne en Murat, propriétaire des bruyères de l'Aubépin,
des mines d'argent de Pompalieu et des mines de cuivre de Chessy, créateur de
la première Bourse de commerce en sa maison de la Loge à Montpellier[2]. Arrêté, poursuivi, convaincu
et condamné, après avoir subi une détention de quinze mois et la question
préventive des coins, le 29 mai 1453, par le Grand Conseil du Roy, réuni sous
la présidence du Chancelier de France Juvénal des Ursins, séant au château de
Lusignan sur la Vonne, en pays de Poitou. Ce
procès eut un retentissement formidable. La personnalité de Jacques Cœur, son
crédit à la Cour, sa puissance, sa richesse d'un côté ; de l'autre, les
crimes de félonie, de trahison et de lèse-majesté, les concussions et les
exactions qui lui étaient imputés soulevaient à la fois la curiosité, la
pitié et l'anathème de tous. Or il nous
intéresse d'autant plus que Jacques Cœur avait appartenu à notre Roannais. Le
8 novembre 1447, en effet, par acte reçu Clavelli, notaire, il avait acheté
de noble et puissant seigneur Eustache de Lévis, seigneur de Couzan et de
Villeneuve et de noble dame Alix de Couzan son épouse, les châteaux, places
et forteresses, terres et justices de La Motte, La Forest, Saint-Romain et
Boisy, ainsi que la moitié -ou autre part et portion qu'ils ont dans les
châteaux, villes et mandements de Saint-Haon et de Roanne, moyennant le prix
de 12.000 livres tournois. Immédiatement
après, par lettres patentes obtenues, par abénavis, et par ventes successives
il avait acquis à titre définitif la superfluité de toutes les eaux, soit du
Renaison, soit de la rivière de Bordel, soit des ruisseaux de Bétron et
autres pour alimenter les étangs déjà considérables et les fossés du château
de Boisy qu'il faisait agrandir et embellir sans regarder aux dépenses. Il se
proposait, car cet homme de génie avait toutes les audaces, de créer à cet
endroit un centre considérable où de grands moulins seraient élevés, puis de
lancer à travers la légion des prospecteurs hardis pour retrouver les
gisements miniers qu'il soupçonnait. Déjà même il avait transporté le siège
de justice séant à Roanne, à Saint-Haon, quand l'écroulement survint. Homme
d'affaires consommé, comparable à nos plus éminents ministres des Finances,
Cœur sut trouver des ressources considérables dans un pays ruiné par la
Guerre de Cent Ans, l'occupation des Anglais et les pillages organisés par
les bandes. Ses contemporains eux-mêmes lui rendaient les hommages qui lui
étaient dus : A la conqueste et recouvrement
de la Normandie,
écrit Jean Chartier, s'employèrent le duc de
Bretagne, le comte de Richement, connétable de France, son oncle feu Prégent,
seigneur de Coëtivy et de Raiz, amiral de France et d'autres qui moururent à
l'œuvre. De plus, afin d'entretenir le faict et la charge de ladite guerre,
tant sur le faict de la justice que des finances et pour conseiller bien et
loyalement le faict et l'entretenement des gens d'armes pour le recouvrement
de ce duché, se gouvernèrent et travaillèrent grandement Juvenal des Ursins, seigneur
de Fraisnel, chancelier de France, et sire de Goncourt, messire Théoulde de
Valpergue, bailli de Lyon, et surtout sire Jacques Cœur, conseiller et argentier
du Roy, lequel inventait les manières et trouvait toutes subtilités[3] à
lui possibles afin d'avoir
financés et recouvrer argent de toutes parts
dont il a fallu sans nombre pour entrestenir lesdites armées et soudoyer les
gens de gerre. Fut-il
victime d'un orgueil[4] et d'une ambition démesurés
comme plus tard devait l'être le connétable de Bourbon ? Certainement non.
Dans sa vanité de plébéien parvenu aux plus hauts sommets eut-il le geste
ridicule d'e faire ferrer ses mules avec des fers en argent ? Fit-il graver
sur la porte principale de sa demeure princière cette arrogante et sotte
devise : Le Roy fait ce qu'il peut ; Jacques
Cœur, ce qu'il veut,
ou cette autre que Verchère prétend avoir pu déchiffrer à Boisy[5], en caractères gothiques du XVe
siècle, sur un bloc de pierre calcaire encastré dans le mur au-dessous des
mâchicoulis : A
vaillans cœurs, rien d'impossible. Magnifique
devise en réalité et bien en rapport avec l'esprit entreprenant et tenace de
Jacques Cœur. Mais quelle importance attacher à de si puérils détails ? En
quoi ont-ils modifié les événements ? En quoi peuvent-ils les expliquer ? A
cette heure encore et après cinq siècles ils restent incertains. Ce qui
nous saisit, ce qui motive notre émotion et la captive, ce qui d'ores et déjà
est malheureusement démontré, c'est la faiblesse de Charles VII et la
perfidie de son entourage. Jacques Cœur fut la victime d'une atroce cabale
ourdie lentement mais sûrement avec le maximum d'astuce, de mensonge,
d'audace et de haine par ses ennemis personnels, favoris du Roy, gens de
noblesse mais vils, tarés, endettés et ruinés qui visaient les dépouilles du
fastueux argentier. Ces dépouilles opimes, ils les ont obtenues de la
jalousie et de l'incapacité du Roy, par ignominie et par forfaiture.
D'avance, ils les ont partagées, n'ayant en vue que leurs intérêts et leurs
appétits. Leurs
noms sont restés au pilori de l'histoire. Citons les principaux : Antoine de
Chabannes, Georges de la Trémouille, Otto Castellani le Florentin, de
Canillac, de La Fayette, Guillaume Gouffier, Antoine d'Aubusson, Antoinette
de Maiguelaie, dame de Villequier[6], François de Montbéron seigneur
de Mortagne et sa femme Jeanne de Vendôme dame de chambre d'Agnès Sorel, plus
deux comparses abjects, l'un à la discrétion d'Antoine de Chabannes, l'autre
à celle de Jeanne de Vendôme : Ferrand de Cordule et Jacques Calonne. Formée
aux débuts de l'année 1451, cette association malfaisante suivit
admirablement le plan qu'elle s'était donné. L'attention et la jalousie du
Roy furent éveillées et maintenues par chacun des conjurés agissant à tour de
rôle et en toutes occasions utiles, soit sur la richesse déjà monstrueuse
pour l'époque et sans cesse grandissante du tout-puissant argentier :
richesse dangereuse pour le pouvoir royal et l'organisation du pays libéré
des Anglais, soit sur ses accaparements, ses concussions et ses exactions en
Languedoc où il avait été délégué par le Roy comme commissaire auprès des
trois états de cette province et chargé de l'installation du Parlement de
Toulouse ; soit sur les trafics extraordinaires d'armes, de harnais de guerre
et de monnaies opérés avec les Turcs ; soit sur les changes usuraires
prélevés sur lesdits trafics ; soit sur les intrigues menées de concert avec
le dauphin ; soit sur les manœuvres et recherches alchimiques et autres
maléfices de sa vie privée à Bourges ; soit enfin sur sa responsabilité de
l'empoisonnement et de la mort de la dame de Beauté si chère au Roy : Agnès
Sorel[7]. La vertu royale, écrit Montaigne, semble consister le plus à la justice, et, de toutes les
parties de la justice celle-là remarque mieux les Roys qui accompagne la
libéralité. Encore
bien qu'il eût courageusement lutté pour reconquérir son royaume sur les
Anglais, Charles VII était donc un pauvre Roy, sans personnalité, sans
caractère, sans générosité[8]. Il n'avait ni la force de
vouloir, ni l'énergie de résister. Incapable de maîtriser ses passions, de
taire ses sentiments, il était loin d'avoir la perspicacité de son fils le dauphin.
Gardant toujours un souvenir amer de sa misère passée[9], la richesse fabuleuse de son
argentier lui apparaissait tout à la fois inquiétante et insupportable : il
était donc à la merci des envieux et des intrigants de son entourage. Dès les
premiers jours de l'année 1452, exaspéré par les dénonciations continuelles
et les manœuvres habiles : Charles VII n'avait plus sa liberté d'esprit.
Travaillant chaque jour avec son chancelier, puis avec son trésorier, il
conférait en outre avec ses maréchaux et grands officiers et s'occupait des
affaires de l'Etat avec sa régularité ordinaire. En apparence donc, rien ne
paraissait changé dans ses habitudes ; mais de jour en jour son caractère se
modifiait, ses paroles devenaient plus brèves et plus cassantes, son humeur
plus amère. Il voulait être le plus souvent seul et n'admettait plus personne
à sa table, même son beau-frère, le comte du Maine qu'il affectionnait. Or, le
9 février 1452, Agnès Sorel qui était venue rejoindre le Roy en Normandie[10], décédait subitement à l'abbaye
de Jumièges. Le Roy, la Reine, Jacques Cœur, Guillaume Gouffier, Hugues de
Tancarville sénéchal de Poitou et sa femme, étaient présents dans la chambre
pendant que le moine Augustin M. Denys exhortait pour la dernière fois la
Dame de Beauté. Agnès Sorel avait tout son calme d'esprit, toute -sa lucidité
de pensée. Déjà son sacrifice était fait et la mort ne l'effrayait pas. N'oubliez pas, messire Jacques Cœur, dit-elle, en se tournant vers lui et en lui prenant les mains ;
n'oubliez pas de faire exécuter les legs et autres que vous savez et qui se
trouvent inclus mon testament. Je désire aussi que mon corps soit enterré à
Loches et mon cœur conservé à la présente abbaye de Jumièges, si toutefois Monseigneur
le Roy le permet. Ce
furent ses dernières paroles. Charles VII garda le silence et les obsèques
furent de la plus grande simplicité. Cœur se
doutait-il des agissements perfides de ses ennemis ? Jusqu'à cette date,
aussi préoccupé des affaires de l'Etat que des siennes propres, il n'avait
prêté aucune attention aux bruits qui croissaient autour de lui. Il ne
voulait pas croire aux racontars et aux commentaires. Cependant, il ne put
s'empêcher de remarquer que le Roy le congédiant à l'issue du travail de
chaque jour ne lui disait plus en lui serrant les mains : Adieu, messire Jacques, notre ami et bon conseiller, mais très sèchement : Dieu vous garde de mal encombre, messire argentier. Il avait prévenu de ce
changement de formule son épouse, Macée de Léodepart, digne et sainte femme
en laquelle il avait toute confiance. Dieu
sauve les armes de France,
avait répondu Macée, qui ne se doutait pas du danger. Les temps étaient
cependant révolus. Le 31
juillet 1452, Jacques Cœur travaillait comme de coutume ayee1e Roy quand
celui-ci s'interrompit tout à coup et se tournant vers l'argentier lui
dénonça en termes violents toutes les accusations qui étaient portées contre lui. En agissant de la sorte, continua le Roy, vous saviez pourtant que ces entreprises dont vous aviez
le profit, tournaient au désavantage de votre souverain, en suscitant contre
notre personne le mécontentement du populaire. Je ne sais, répondit doucement Jacques
Cœur, si c'est le Roy qui me parle en ce
moment, si c'est le Roy qui m'accuse. Ce n'est pas moi, dit le Roy, mais répondez à l'accusation. Puisque ce n'est pas vous, dit l'argentier, qu'importe ! Continuons notre travail, lequel
est urgent. Dans la
journée, on alla visiter un étrange monument druidique qui se dresse à peu de
distance. C'est la Pierre Levée de Civrac qui abrita, dit-on, le sommeil de
saint Louis après la bataille de Taillebourg. Au retour, Gouffier
s'approchant de Jacques Cœur lui demanda son épée au nom du Roy. L'argentier
était arrêté. Incontinent, le procès tant souhaité par les favoris allait
commencer. Laissons conter le narrateur du XVe siècle en gardant le plus
possible la naïveté et la saveur de son récit[11]. Après
le décès subit de Dame Agnès Sorel, le bruit se répandit dans tout le pays
qu'elle avait été empoisonnée. Jacques Cœur, pour lors conseiller du roy Charles
VII et son argentier fut soupçonné de cet horrible crime. Dans le même temps,
il fut aussi accusé d'avoir envoyé des harnais de guerre aux Sarrazins
ennemis du Roy et de la Foi chrétienne, d'avoir fait de grandes concussions
et exactions sur les sujets du Roy dans le pays de Languedoc et d'avoir fait
transporter sur les vaisseaux et galères une grande quantité d'argent monnayé
auxdits Sarrazins de manière que l'on disait de manière courante que le pays
de Languedoc était entièrement dépourvu d'argent. Le Roy
ordonna d'informer à ce sujet, pour les informations faites et rapportées par
devant lui et son Conseil être statué ce qu'il appartiendrait. La commission
d'enquête fut composée de la plus grande partie des ennemis et détracteurs de
Jacques Cœur et se réunit aussitôt sous la direction et présidence d'Antoine
de Chabannes qui se fit adjoindre pour les besoins de la procédure Me Jean
Dauvet, procureur général de la Chambre du Trésor. Les informations étant
faites furent rapportées au Roy qui se trouvait pour lors au château de
Taillebourg en Saintonge, sur les bords de la Charente, pour la conquête du
duché de Guyenne, mais seulement après avoir été examinées par le Conseil et
beaucoup d'autres personnes à ce commises. Ainsi fut retenue aussi la déposition
faite par Jeanne de Vendôme, épouse de François de Montberon, seigneur de
Mortagne, laquelle avait chargé Cœur de l'empoisonnement et de la mort de la
demoiselle Agnès Sorel. Le
Conseil donna un décret de prise de corps contre Cœur ; ordonna que ses biens
seraient incontinent mis sous la main du Roy et qu'on y établirait des
commissaires ordonnateurs. Immédiatement
après ce décret, et même avant son exécution, Cœur se retira par devers le
Roy et son Conseil encore assemblé en audience. Là, il exposa que, déjà par
ordre du Roy, un de ses serviteurs avait été pris et ajouta qu'il avait ouï
dire que l'on procédait aussi contre lui-même sans l'entendre au mépris de
tout droit, équité et justice. Il
demanda avec la plus belle et grande énergie que son affaire fût examinée et
qu'on lui rendît justice, offrant pour cela de se constituer volontairement
prisonnier pour le temps qu'il plairait au Conseil, afin de se justifier des
basses et méchantes accusations intentées contre lui. Le Roi,
en acceptant les offres qui lui parurent justes, ordonna qu'il fût arrêté,
prisonnier audit château de Taillebourg, duquel il fut, quelque temps après,
transféré au château de Lusignan sur la Vonne, en pays de Poitou, où fut
commencé l'interrogatoire, ses réponses étant rédigées par écrit[12]. Dès les
premiers interrogatoires, confronté avec ses accusateurs et mis en présence
de Jeanne de Vendôme qu'il ne connaissait pas, son indignation fut si vive et
sa défense si forte, que l'accusatrice saisie et troublée fit amende et
rétracta sa déposition en tombant à genoux et demandant pardon à tous de ses
mensonges et calomnies[13]. Cette femme a menti ! s'écria Jacques Cœur, vous en êtes témoins. Pourquoi donc me retenez-vous encore
appréhendé et prisonnier ? Si cette femme a menti, répondit Dammartin, elle sera condamnée pour faux témoignage à faire amende
honorable, comme il convient, et toutes réparations vous seront accordées à
raison de ses calomnies. Mais c’est un point qu'il importe d'éclairer.
Confiez-vous à la sagesse et à l'impartialité de vos juges. Je ne vois pas de juges ici ; je
ne vois que des ennemis déloyaux qui veulent se partager mes dépouilles. Si
je dois être jugé, le seul tribunal que je reconnaisse à compétence, c'est le
Parlement. Il ne
fut donc ni répondu ni statué sur ses demandes. Puis le Roy étant allé pour
les affaires de Guyenne au château de Montilz-les-Tours, Cœur fut conduit
incontinent au château de Maille. Là, on
produisit, encore à sa charge, de nouvelles informations plus graves qui y
furent examinées et par le Conseil et par de nouveaux commissaires à ce
député. Dans
ces nouvelles informations, Cœur était accusé du crime de fausse monnaie. En ce que, en 1429, étant associé aux fermes de la Monnaye
de Bourges, il avait fait forger des écus au-dessous du poids de
l'ordonnance, c'est-à-dire qu'au lieu de faire forger les écus au nombre de
soixante-dix pour former le marc et au titre de dix-huit carats, il les avait
fait forger au nombre de soixante et seize : quatre-vingts et quatre-vingt-neuf
écus pour le marc et au titre de quatorze ou quinze carats. Comme
aussi en l'année 1430 au lieu d'avoir fait forger les réaux au nombre de
soixante-quatre pour le marc et au titre de vingt-trois carats et
trois-quarts de carats, il les avait fait forger seulement au titre de
vingt-trois carats du poids d'un demi-réal de moins par marc[14]. Plus :
il est dit dans le réquisitoire d'information que Cœur : afin que ses
vaisseaux et galères fussent mieux traités et qu'il pût tirer deux ou trois
cents exportes de poivre du pays d'Alexandrie, sans payer le droit du Soudan,
qui pouvait monter à quatorze ou quinze ducats par exporte, avait envoyé et
fait présenter audit Soudan par ses gens, au nom du Roy, une grande quantité
d'instruments de guerre comme cranequins, haches, guisarmes, couleuvrines,
vouges, juserans, etc., etc., quoique le roi ne lui en eût donné aucune
commission, ce qui accrédita le Conseil, qu'à cause desdits instruments de
guerre, les Sarrazins avaient gagné une bataille sur les Chrétiens, dont le
blâme retomba sur le Roy. Plus :
que ledit Cœur avait fait fondre une grande quantité d'argent allié, composée
en partie des espèces courantes du royaume, montant environ au poids de vingt
mille marcs, qu'il avait fait mettre en lingots, et qu'il avait fait
transporter avec une grande quantité de cuivre à Alexandrie et autres parts ;
qu'il les y avait vendues sans aucune permission du Roy et contre les
ordonnances du royaume en appauvrissant les sujets du Roi et en enrichissant
ses ennemis ; que quoique ledit argent fondu et transporté par ledit Cœur fut
de beaucoup au-dessous du taux de l'ordonnance du royaume ; néanmoins pour le
vendre au même prix que celui du taux de l'ordonnance, il avait fait marquer
ledit argent à une fleur de lys contrefaite ; qu'ainsi en falsifiant la marque
du Roi il avait déshonoré Sa Majesté et avait porté atteinte à la réputation
des Français et des Sarrazins. Plus :
que ledict Cœur avait aussi fait transporter une grande quantité de billon
tant en or qu'en argent à Avignon et autres lieux hors du royaume. Plus :
que ledict Cœur avait de son autorité privée et par violence fait mettre dans
les prisons de Montpellier, pendant l'espace de deux mois, un enfant de
quatorze ou quinze ans, que Michel Tainturier, serviteur dudict Cœur, avait
ramené d'Alexandrie sur la galère Saint-Denys, qui appartenait audict Cœur.
Cet enfant s'était enfui de l'esclavage d'un Sarrazin qui le retenait captif
en qualité de chrétien, et en se réfugiant sur ladite galère, s'était mis à
genoux aux pieds du patron en criant à haulte voix : Pater noster, Ave Maria,
disant par là qu'il voulait être bon chrétien. Cœur, craignant que ses
galères essuyassent quelque insulte de la part des Sarrazins à cause de
l'enlèvement de cet enfant, força avec menaces ledit Tainturier, patron de sa
galère Saint-Denis, à le ramener à son prochain voyage chez son maître, à
Alexandrie. Plus :
que ledict Cœur avait fait prendre et emprisonner plusieurs gens qu’il disait
être des coquins et les avait fait mettre sur ses galères pour y travailler,
parmi lesquels se trouve un jeune pèlerin allemand allant à
Saint-Jacques-de-Compostelle, qui de chagrin de se voir pris et mis sur
ledites galères, se jeta à la mer et se noya ; que ledict Cœur fit aussi
pendre et mettre sur ses galères deux sergents du Roy de la ville de
Montpellier ; que ledict Cœur les donna à des corsaires et pirates en échange
contre d'autres gens. Plus :
que ledict Cœur, de son autorité privée et à l'insu du Roy, avait fait faire
un petit scel en plomb ou en cuivre semblable au petit scel de secret du Roy,
lequel petit scel depuis l'emprisonnement dudit Cœur avait été jeté au feu et
fondu secrètement par ses gens. Plus :
qu'à l'époque où l'on traitait du mariage de Jeanne, fille du Roy, avec le
comte de Clermont, ledict Cœur, à l'insu et au déshonneur du Roy, avait dit
aux sieurs de Canillac, de La Fayette et autres qui étaient réunis à Chinon,
pour parler au Roy de ce mariage, qu'ils ne l'obtiendraient pas de Sa Majesté
si : premièrement, ils ne lui donnaient deux mille écus pour jouer aux dés et
que Cœur prit au nom du Roy les obligations desdits seigneurs pour la somme
de deux mille écus. Plus :
que lorsque Cœur, en qualité de conseiller et d'officier du Roy, avait la
charge et gouvernement des finances et qu'il était commis avec plusieurs autres
conseillers et officiers pour bailler les fermes du pays de Languedoc, sans
pouvoir être lui-même associé avec ceux qui prenaient lesdites fermes, il s'y
était néanmoins associé dans les fermes des foires de Pézenas et Montignac
durant plusieurs années ; qu'en ce faisant, ils donnaient lesdites fermes
au-dessous du prix de leur valeur pour avoir moyen d'y faire de grands
proficts au préjudice du Roy et de l'Etat ; que, notamment en 1441, ledict
Cœur avec les autres commissaires ayant passé le bail à ferme desdites foires
de Pézenas et de Montignac, au prix de 9.550 livres tournois, où il était
intéressé, fit néanmoins observer et entendre à ses associés que ces fermes
avaient été précédemment affermées au prix de 12.000 livres et, par son
autorité, força ses associés à lui tenir compte de la somme de 2.450 livres
dont il ne tint aucun compte lui-même au Receveur général. Plus :
que ledit Cœur en recevant les finances du Roy dans le pays de Languedoc, ne
recevait les écus qu'au-dessous de la valeur courante, c'est-à-dire les écus
pour 26 sols et 8 deniers et les réaux pour 29 sols et 2 deniers ; qu'à ce
prix il avait reçu plus de deux ou trois cent mille pièces, et que, lorsque
ledit Cœur tenait compte au Roy desdites finances, il lui baillait les écus pour
27 sols et 6 deniers tournois et les réaux pour 30 sols. Plus :
que ledit Cœur avait levé et exigé dudit pays de Languedoc, en outre de la
taille, des sommes excessives à l'insu du Roy et commis plusieurs autres
concussions par force et sans ombre de perte de finances, tant sur ledit pays
de Languedoc en général que sur les revenus particuliers dudit pays, et
s'était rendu coupable de diverses exactions vulgairement appelées épices, de
manière que cette province était par son fait obérée d'argent. Plus :
que ledit Cœur prêtait au Roy ses propres deniers et s'en faisait payer
l'intérêt. Cet
acte complet d'accusation déposé en mains du Conseil, ce dernier ordonna de
nouveau que Cœur serait interrogé derechef par les commissaires à ce députés,
tant sur la mort et empoisonnement de la demoiselle Agnès Sorel, que sur les
accusations contenues dans lesdites informations et que ses réponses rédigées
par écrit seraient rapportées par devers le Roy pour en être ordonné ce qu'il
appartiendrait. C'est
alors que le conseiller enquêteur, Antoine de Chabannes, lors du premier
interrogatoire, déposa ès-mains du Conseil un parchemin qui fut présenté à
Cœur et que ce dernier reconnut pour être signé de Ferrand de Cordule et qui
contenait les déclarations suivantes : Je,
Ferrand de Cordule, docteur ès sciences, maître ès arts, natif du royaume de
Léon au pays des Espagnes, déclare être venu au pays de France pour prendre
grades à l'Université de Paris, en laquelle cité me trouvant, ai noué
commerce avec le grand argentier, messire Cœur, noble homme, opulent de
toutes richesses et curieux de tout sçavoir, qui, par belles promesses
m'ayant attiré à Bourges et lié à sa fortune, me fit voyager sur ses vaisseaux
de commerce du Levant, pour rapporter des Levantins notables recettes de
parfums précieux et de subtils poisons, comme aussi nous cherchions ensemble les
moyens de faire de l'or. Le
sire Charles septième — que Dieu conserve ! — ayant baillé à cens, pour douze
années, moyennant deux cents livres par an, audict Jacques Cœur les mines de
Saint-Pierre-la-Palud près Lyon, item les mines de Pompalieu et de Cosnes,
item les mines de Chessieu et de Rose-sur-Tarare ; nous recherchâmes de
connivence les moyens d'extraire de ces mines l'or, l'argent et autres métaux
qu'elles contenaient. Mais tant d'ouvriers payés pour cette besogne eussent
faict œuvre vaine si les engins et subtilités de magie ne fussent venus s'y
joindre ; ce par quoi l'on peut dire que la pierre philosophale est véritablement
échue audict argentier pour accroître ses trésors à l'instar de ceux de
Crésus. En
son hostel de Bourges, où j'ai gîté, se trouvent les preuves de mon dire :
telles que fourneaux, alambics, mortiers, matras, cornues et autres
instruments servant à la cuisine d'alchimie, et pour mon compte ai beaucoup aidé,
m'étant de longue main muni de tous enchantements à ce nécessaires, lesquels
enchantements m'ont rendu invulnérable même à la dent des lions et des léopards,
ce que témoigna la rencontre où j'eus le signalé bonheur de préserver les
jours de très victorieux et très excellent prince Monsieur le Roy. S'il m'eût
été donné de préserver également les jours précieux de très haulte dame Agnès
Sorel de Saint-Gérand morte ès abbaye de Jumièges, le neuf février de l'année
dernière, je pourrai espérer le pardon de Dieu pour mes fautes. Mais ladite
dame étant trépassée par le fait d'un poison ou breuvage noir, dont pour
notre usage, j'avais baillé la recette au sire argentier, je dois m'en
remettre humblement à la justice miséricordieuse du Roy, confessant ma part
de complicité involontaire dans ce crime et résigné d'avance au châtiment
terrible qui m'est dû. En
foi de quoi de tout ce que dessus j'ai signé et paraphé la présente
déclaration. FERRAND DE CORDULE. Cette
lecture faite, Cœur garda le silence en regardant de tous côtés. Que demandez-vous donc ? interrogea l'un des
commissaires. Je demande qu'on fasse venir
céans le misérable qui a écrit et qui rétractera en ma présence comme déjà
l'a fait Jeanne de Vendôme. Il doit être prisonnier dans le château. Faites-le
chercher. Cette
demande trop juste ne pouvait être rejetée. Guillaume Gouffier donna au
gouverneur du château l'ordre d'amener Ferrand de Cordule devant le Conseil.
Ce dernier sortit sur le champ accompagné d'archers, mais revint peu après
pour déclarer que le prisonnier ne pouvait être traduit céans car il venait
de s'évader et toutes diligences étaient faites pour sa capture. Vous êtes gouverneur du château, déclara Chabannes, par conséquent responsable des prisonniers. Vous aurez à
répondre de leur évasion devant le Conseil. S'ils disparaissent, vous prenez
leur place ! Cœur
resta longtemps sans parler, puis s'adressant à Dammartin, qu'il savait moins
excessif que les autres : Ainsi mon
calomniateur est libre et je reste prisonnier ? Mais laissons cela. Je
repousse avec horreur le double crime qu'un vil accusateur m'impute. Ma
parole suffit. Je refuse toute justification comme déjà je l'ai refusé au Roy. Quelques
jours après, le corps sanglant et dépouillé de Ferrand de Cordule était trouvé
au bord du grand chemin. Toute
confrontation devenait impossible. La Commission d'enquête décida de porter
l'interrogatoire sur les charges accessoires ; le chef d'empoisonnement étant
d'ores et déjà à peu près écarté. Interrogé
sur l'énorme quantité d'argent et de cuivre qu'il avait fait sortir du
royaume, Cœur répondit que telle est la loi du commerce, de faire sortir
l'argent des frontières d'un Etat et de l'y faire rentrer suivant le courant
des affaires et l'afflux des opérations, le niveau finissant toujours par
s'établir d'Etat à Etat comme de négociant à négociant, lorsqu'arrive la
balance de l'année. Interrogé
sur ses malversations en Languedoc et sur le fait de contrefaçon du petit
scel d'Etat, répondit : qu'il avait toute sa vie servi le Roy Charles de tout
son pouvoir, prudemment et loyalement, sans avoir détourné ni dérobé aucun de
ses deniers, mais que, par les faveurs et grands biens qu'il avait reçus du
prince, il s'était avancé dans le négoce et avait gagné la fortune dont il
jouissait. Les gratifications a lui votées par les Etats du Languedoc durant
trois années successives comme dédommagement des sommes que lui coûtait
l'entretien de l'armée employée à la conquête de la Normandie, ces
gratifications faisant foi de la fidélité de l'administration en matière
d'impôt et repoussaient victorieusement tous reproches de malversations en
cette province. Puis
Cœur déclara solennellement n'avoir jamais eu l'âme assez basse et l'esprit
assez mauvais pour avoir contrefait ou fait contrefaire, ni en cuivre ni en
plomb, le petit scel d'Etat que, sur ce point, il mettait tous accusateurs au
défi d'en rapporter preuve quelconque. Interrogé
sur la violence exercée par son ordre contre un esclave chrétien, lequel
s'étant sauvé d'Alexandrie y avait été ramené à bord d'un vaisseau de Jacques
Cœur et restitué à son maître Sarrazin, ce qui avait forcé cet esclave de renier
la foi chrétienne. — Il faut que Michel et Isaac Tainturier soient bien
lâches pour m'accuser, eux pour qui je fus si bon maître. Cet esclave, j'ignorais
qu'il fût chrétien, et quand je l'aurais su, avais-je le droit d'enlever et
de pendre furtivement un esclave qui appartenait à un Sarrazin, lorsque par
un traité conclu avec le Soudan d'Egypte notre allié, il est convenu que les
sujets de l'une et l'autre nation, ne s'enlèveront pas leurs serviteurs. Tout
serment engage, fût-il prêté à un infidèle, et le commerce a besoin de ses
mutuelles garanties. Les commerçants se sont plaints à moi de l'enlèvement de
cet esclave ; le grand maître de Rhodes, Jean de Lastic, m'a écrit lui-même
que c'était agir contre la sûreté donnée aux marchands français, et. qu'au
premier voyage nos galères seraient inquiétées. J'ai
donc assemblé, dans ma maison de la Loge à Montpellier, un Conseil de
négociants, et d'assentiment unanime, il a été décidé qu'on rendrait
l'esclave. Pouvais-je alors hésiter ? Interrogé
sur le fait d'avoir embarqué de force à bord de ses galères, un pèlerin de
Saint-Jacques-de-Compostelle, que l'on disait homme d'Eglise, et qui de
désespoir s'était incontinent jeté dans les flots de la mer et noyé, répondit
: que cette accusation odieuse était l'œuvre de ses haineux Isaac et Michelet
Tainturier père et fils, lesquels, après avoir grandement démérité comme
patrons de ses galères, s'étaient tournés contre lui et avaient vendu leurs
témoignages pour le perdre. Interrogé
sur le transport de plusieurs armures et d'un grand nombre d'armes et de
harnais de guerre expédiés au pays des Sarrazins, tels que cranequins,
haches, guisarmes, couleuvrines, vouges, fescrans, au moyen desquels lesdits
mécréants, ainsi armés et défendus, avaient remporté de cruels et notables
avantages sur les chrétiens. Cœur
protesta d'abord contre cette accusation infâme, puis répondit que tous les
envois d'armes ou autres avaient été faits sur l'ordre du Roy lui-même, avec
l'agrément et permission de leurs Saintetés Eugène IV et Nicolas V,
permissions qui existaient encore soit à Rome, dans les registres du Vatican,
soit à Aigues-Mortes et à Montpellier, sur les registres personnels de Cœur. Quant
au harnais de guerre complet qui aurait été porté au Soudan d'Egypte, par son
écuyer Jean de Villaye, Cœur affirma sur sa foi et honneur que c'était un
présent du roi de France et invoqua sur ce point et le témoignage du roi de
France et la lettre du Soudan d'Egypte[15]. Guillaume
Gouffier intervint avec violence pour déclarer que le Roy ne se souvenait pas
d'avoir autorisé l'envoi d'un pareil présent et que du reste il était en
déplacement au château de Chicey. Cœur demanda à être transporté auprès du Roy,
ce qui lui fut refusé. Interrogé
sur les faits d'avoir, dès l'année 1429, alors qu'il n'était encore que
maître des Monnaies de Bourges, fait fabriquer des écus de moindre poids et
aloi que ceux dont le cours était permis par les ordonnances, comme aussi
d'avoir transporté ou fait transporter au pays d'Alexandrie vingt mille marcs
et plus d'argent blanc qu'il avait fait fondre et diminuer par alliages, ce
qui, tout en appauvrissant le royaume, avait déconsidéré le poinçon royal aux
yeux des Sarrazins et mécréants qui, pour lors, ne s'étaient point fait faute
de traiter le Roy de France de faux monnayeur. Répondit
noblement que loin d'avoir diminué le titre et le poids des monnaies du
royaume de France, il s'était, au contraire, efforcé de les rétablir en
faisant fabriquer sur le fin ; que l'affaiblissement de valeur et de poids
des monnaies lui avait toujours paru un expédient funeste pour relever les
ressources d'un Etat affranchi, et que l'épithète de faux monnayeur donnée
autrefois au roi Philippe-le-Bel ne pouvait l'être aujourd'hui sans injustice
à Charles VII, le souverain le plus excellent et le plus loyal de toute la
chrétienté. Pour
lors, quant à lui, Jacques Cœur, ses opérations de change n'avaient rien de
contraire et de blâmable puisque, depuis deux siècles au moins elles
faisaient la base principale du commerce de la France du Midi avec le Levant :
les Mahométans échangeant librement, et au su de tous, leurs dinars d'or et
leurs dirms d'argent contre le cuivre des chrétiens, pour fabriquer avec leur
monnaie simple et de l'usage ordinaire. Puis il
protesta encore que l'honneur de la France n'avait point été entamé par ces
affaires de change de monnaie et qu'aucun affront n'était échu à la
souveraine fleur de lys. Interrogé
sur le fait d'avoir, alors qu'on traitait le ' mariage de Madame Jeanne,
fille aînée du Roy, avec le comte de Clermont, déclaré ouvertement aux
seigneurs de Canillac et de La Fayette et à d'autres encore qui étaient
venus, de Chinon de la part du duc de Bourbon, pour conclure le traité,
qu'ils ne feraient rien que préalablement le Roy n'eût reçu deux mille écus
pour jouer aux dés et faire ses plaisances aux prochaines fêtes de Noël,
lesquels deux mille écus, lui, Jacques Cœur, poussé de lucre et d'avarice,
avait touchés au nom du Roy qui avait toujours été ignorant de cette chose. Répondit
à voix forte : Les
seigneurs de Canillac et de La Fayette cy présents sont mes obligés et
débiteurs de pareille somme de deux mille écus. Leurs obligations et
signatures que je possède en mains font foi de leurs dettes et de mon
désintéressement. Au
reste, bon nombre d'entre vous, Messeigneurs[16], sont logés à cette même
enseigne et de beaucoup mon meilleur plaidoyer serait de lire la liste de
toutes ces bonnes créances que je tiens sur chacun de mes juges. Je ne ferai
point pareille lecture, ne le craignez pas. Mais laissez-moi liberté de me
défendre ; donnez-moi temps suffisant pour assembler preuves et témoins ;
donnez-moi des avocats et des conseils pour me guider, car je suis seul. Mes
amis et serviteurs ont été pourchassés et sont en fuite ou disséminés au loin
sur mes galères ; certains témoignages sont enfouis dans les archives des villes
du Languedoc, il faut les rechercher. Lors
Guillaume Gouffier intervint : Quant
au délai sollicité, il est nécessaire d'attendre avant de prononcer définitivement.
Mais la coutume du Royaume — et sur ce point il en appela à la déclaration du
Procureur Général, Jean Dauvert présent — n'est pas d'accorder un conseil quelconque
à un officier de Finances accusé d'avoir malversé dans son office, à raison
plus forte, à l'argentier du Roy. Il doit donc être laissé à l'accusé de se
défendre seul. Je
voudrais, répondit Jacques Cœur, qu'il fut permis à Guillaume de Varic, le
premier de mes facteurs, actuellement en Orient, de revenir en France et de librement
m'assister. Dammartin
traita cette demande de folle prétention, et Cœur ayant alors demandé
l'assistance soit de l'évêque d'Agde, soit du cardinal d'Estouteville, personnages
de toute honorabilité et grandeur, Dammartin, Gouffier et d'Aubusson s'y
opposèrent avec la dernière violence. Devant
ces refus systématiques, Cœur eut un moment de défaillance. Vous refusez à l'accusé un avocat, au prisonnier un ami et
un soutien, vous refusez au grand argentier de voir le Roy, permettrez-vous
au père de voir son fils. Monsieur de Bourges est près d'ici, laissez-le venir.
Ma pauvre Macée est morte de mon arrestation et emprisonnement. Je vous
supplie, Messieurs, d'accorder cette requête. Vous l'accorderiez au plus
criminel. Les
commissaires se réunirent pour en délibérer, puis la demande fut rejetée.
Cœur dit avec découragement : Alors, je suis
à votre merci, faites donc de moi ce qu'il vous plaira. Dans le même temps, les
informations reprirent. Cependant deux des conseillers, Hugues de Couzay,
lieutenant général du sénéchal du Poitou, et Hélie de Tourotte, lieutenant
général de Saintonge, firent observation et déclarèrent qu'il y avait rigueur
excessive et injustice à refuser au prisonnier les facultés de recueillir et
rassembler les titres épars nécessaires à sa justification. En conséquence
ils demandèrent à la Commission de décider d'accorder à Cœur, à titre
d'intermédiaires pour cette recherche, deux de ses facteurs, les sieurs Jean
Thierry, secrétaire du Roy, et Pierre Jober, changeur du Trésor. Cœur
fit remarquer immédiatement que ces deux facteurs, honnêtes hommes
d'ailleurs, étaient complètement étrangers et ignorants des affaires de
finances, que leur mission ne lui serait d'aucun secours, qu'ils seraient
inhabiles pour retrouver tous documents en Languedoc. La Commission maintint
cette désignation et enjoignit aux deux experts de s'en tenir expressément
aux preuves écrites et de ne retenir aucun témoignage, quel qu'il pût être. De
plus, elle persista dans sa décision première d'écarter l'audition de tout
témoin à décharge. Pareillement
et sans aultre adict, il était notifié à l'accusé qu'on lui accordait un
délai de deux mois suffisant pour le rassemblement et la présentation de ses
preuves matérielles, délai devant partir du 1er juillet pour finir au 1er
septembre. Les
deux experts choisis par les commissaires, Jean Thierry et Pierre Jober,
reçurent lors toutes instructions utiles et suffisantes, mais leur départ
pour le Languedoc fut volontairement différé jusqu'au 15 juillet, dans le but
de rendre leur mission inutile et leurs recherches vaines, étant donné le
court espace du temps. Cependant,
les interrogatoires avaient repris et se continuaient d'abord au château de
Maillé, par la suite au château de Montilz-les-Tours, où Cœur avait été
transféré. En ce
dernier lieu, les commissaires demandèrent au Roy adjonction de quelques
officiers et de quelques conseillers des Parlements de Paris, et de Toulouse,
étant considéré le grand nombre de pièces à dépouiller et examiner, et des
témoins à entendre, étant compris également la difficulté et l'importance de
l'accusation. Point à
ne pas laisser dans le silence : pas un des témoins nommés par Cœur pour sa
décharge et acquittement ne fut admis à audition, alors que cent cinquante et
plus témoins furent ouïs par la Commission. Pour
lors, une fois encore, le transfert et déplacement de Cœur fut ordonné et ce
dernier fut conduit prisonnier au château de Poitiers. Les
instructions restaient incertaines et menaçaient de tourner à confusion,
quand la Commission, outrée de la résistance et de la constance de Cœur,
voulut elle-même consacrer sa honte et son injustice. Elle décida que pour
arracher les aveux nécessaires, la torture serait appliquée. Ordonné,
par sentence rendue par la Commission sous la direction d'Antoine de
Chabanne, le 22 mars 1453, le supplice de la question du brodequin fut subi
par Cœur le lendemain, veille du' dimanche des Rameaux. J'en
appelle au Roy, dit Cœur avec force, de toute cette infâme procédure suivie
contre moi et de l'horrible torture que vous allez me faire subir. Vous en
répondrez devant Dieu. Au
cours du supplice et alors que le bourreau frappait du maillet le second
coin, Cœur demanda grâce d'une voix brisée et se déclara prêt à faire tous
les aveux qu'on demanderait. Evanoui et sans force, il fut transporté dans
son cachot, mais acte des déclarations avait été pris et mentionné par les
greffiers. C'est
dans cette prostration que son fils, l'archevêque de Bourges, put enfin le
voir. L'entrevue fut poignante. L'archevêque en larmes prit son père dans ses
bras et le conjura d'espérer. De suite, il s'entremit avec quelques-uns de la
commission. Après discussions, ayant acquis certitude que tout espoir
d'arriver à sauver son père devait être abandonné étant donné la partialité
et l'indignité des juges, il eut alors la pensée de soulever un déclinatoire
d’incompétence de la juridiction laïque et soumit son projet à l 'archevêque
de Tours et à l'évêque de Poitiers qui l'approuvèrent et l'appuyèrent de
leurs démarches personnelles auprès du Roy. D'après
le déclinatoire, Jacques Cœur était et ne pouvait être justiciable que des
tribunaux ecclésiastiques car il était clerc. Il
n'était pas rare, en effet, que des hommes mariés fussent clercs et tonsurés
Jacques Cœur se trouvait dans ce cas. De plus, la mort de sa femme, Macée de
Léodepart, brisant le lien conjugal, faisait de lui ce que l'on appelait un
clerc libre, suivant l'expression un clerc
solu. Le
déclinatoire soulevé régulièrement, les trois prélats de Bourges, de Tours et
de Poitiers, déposèrent les lettres de tonsure retrouvées après d'activés
recherches et les accompagnèrent de doctes commentaires et réclamations. La
commission ne se tint pas pour convaincue, et sur les conclusions de la
procédure suivie jusqu'alors, déclara qu'elle ne pouvait accepter que des
preuves matérielles, et se refusa à prendre en considération les lettres de
tonsure qui n'étaient point décisives. L'exhibition fut repoussée. Ce fut
Guillaume Gouffier qui donna les conclusions avec sa brutalité de soldat : Aucune recherche n'a pu faire découvrir le barbier qui a
tonsuré Cœur. L'a-t-il donc été en réalité ? Il faut donc croire que le fait
de cette cléricature a été inventé de toutes pièces et imaginé pour la
sauvegarde du coupable. Il est de notre devoir de passer outre. La
commission se ralliant à cet avis et rejetant le déclinatoire, double appel
fut émis : le premier par l'évêque de Poitiers, le second par l'archevêque de
Bourges. Le
premier appel se basait uniquement en droit. Reçu par Louis Piat, notaire
royal il protestait contre la sentence de rejet au nom de la juridiction
ecclésiastique, méprisée lésée et compromise. Le second appel reçu par
Geoffroy Goron, clerc et garde du scel royal établi aux Contreaux, à
Poitiers, exposait que : puis naguères il
était venu à sa notice et cognaissance que certains haineux malveillants de
Jacques Cœur son père s'efforçaient de pourchasser plusieurs griefs,
dommages, intérêts, troubles et empeschements à sa délivrance, dont et
desquels griefs par lui dits et exposés il a appelé et appelle où il pourra
et devra, et de ce requiert instrument ou lettres testimoniales pour lui
servir et valoir ce que pourra et devers qui il pourra. Charles
VII, dans ce même temps, revenait à Lusignan pour surveiller les mouvements
de ses troupes opérant en Guyenne. II demanda la production intégrale du
dossier afin de pouvoir examiner par lui-même cette grande et émouvante
accusation et redresser si besoin était les erreurs des juges. A cet
effet, il convoqua son Grand Conseil composé de seigneurs et princes du sang,
mais auxquels il adjoignit sans scrupule les commissaires qui avaient dirigé
l'information et conduit si indignement le procès. Situons
les débats : Les erreurs et les malversations des juges étaient nombreuses,
manifestes, éclatantes. A leur honte, la défense de l'accusé avait été
entravée et rendue impossible. L'avocat du Roy, Barbin, pour emporter
condamnation, avait truqué les pièces, modifié les aveux, changé les
déclarations de témoins et supprimé toutes les pièces justificatives
produites par l'accusé. Les
témoins, déposant sous serment prêté sur les Saints Evangiles, étaient des
gens perdus, infâmes, déjà convaincus de meurtres et de crimes, gagnés à prix
d'argent pour déposer contre Jacques Cœur. Plusieurs d'entre eux avaient
rétracté leurs dépositions, notamment Jeanne de Vendôme, épouse de Montbéron,
qui avait confessé son crime à haute voix et demandé pardon à genoux pour sa
mensongère déclaration faite contre Cœur. Ferrand de Cordule avait été retrouvé
assassiné et dépouillé, peu de jours après la lecture de sa lettre devant la
commission, et tout portait à croire que cette lettre accusatrice n'était
qu'un faux. Les deux commissaires dépêchés par les soins de la commission,
Jean Thierry, secrétaire du Roy, et Pierre Jober, changeur du Trésor, n'étaient
jamais revenus de Languedoc où ils avaient été dépêchés et n'avaient jamais
'envoyé aucun procès-verbal régulier de leur investigation. Faut-il
signaler enfin la composition de la commission d'information ? Tous les
commissaires, tous les enquêteurs étaient les ennemis et les accusateurs de
Jacques Cœur, et leur commission régulière n'avait jamais été donnée. Cependant,
le 29 mai 1453, le jour même où Constantinople, après un siège de cinquante et
un jours, tombait aux mains des Turcs, l'arrêt suivant était rendu contre
Jacques Cœur : Charles,
par la grâce de Dieu, Roy de France. A tous ceux qui ces présentes lettres
verront, salut. Comme après le décès de feue Agnès .Sorel, damoiselle, la commune
renommée fut qu'elle avait esté empoisonnée, et par icelle renommée, Jacques
Cœur, lors nostre conseiller et argentier, en eust été soupçonné et aussi
d'avoir envoyé des harnais de guerre aux Sarrazins nos anciens ennemys et de
la foi chrétienne et que aucun de nos sujets nous essent faict plusieurs
grants plaintes et clameurs dudit Jacques Cœur, disant icelui Jacques Cœur
avoir faiet plusieurs grandes concussions et exaccions en nostre païs de
Languedoc et sur nos sujets et avoir transporté ou fait transporter aux-dits
Sarrazins par ses gens, facteurs ou serviteurs, sur ses galères, grande
quantité d'argent blanc et tellement qu'il en avait, ainsi que l'on disait,
comme du tout exillé et décimé notre païs de Languedoc. Pour quoy, eussions
ordonné être faietes informations par aucuns de nos gens et officiers et
icelles faictes : rapporter par devers nous pour y pourvoir et en ordonner
ainsi que faire se devrait par raison. Lesquelles informations faites
mesmement sur ledit cas de la mort et empoisonnement de la dicte demoiselle
Agnès et rapportées par devers nous au chastel de Taillebourg où nous estions
pour la conqueste de notre païs et duché de Guyenne ; les avons faiet voir et
visiter en nostre présence par ceux de nostre Grand Conseil et plusieurs autres
de nos gens et officiers à ce appelés en grand nombre. Et icelles
informations vues et visitées bien au long et aussi la déposition de Jehanne
de Vendosme damoiselle dame de Mortaigne qui touchant ledit cas de la mort et
empoisonnement de ladicte demoiselle Agnès, avait depposé à la charge dudit
Jacques Cœur par l'advis et délibération desquels gens de nostre Grand
Conseil et autres dessusdits eussions appointé et ordonné : que iceluy
Jacques Cœur soit arresté, ses biens mis en nostre main par inventaire et en
garde de bons et surs commissaires qui en eussent rendu compte et reliqua
quant et là où il appartiendrait. Depuis lequel nostre appointement et
inoontinant après et avant l'exécution d'iceluy ; ledit Jacques Cœur se fut
traict par devers nous et en la présence desdits gens de nostre Conseil et
autres dessusdits étant encore assemblez nous eut dist et exposé : Que
l'on avait pris par nostre ordonnance l'un de ses serviteurs et avait entendu
que l'on faisait certain procès contre lui ; en nous requérant qu'il nous
plust avoir regard a son faict et lui tenir terme de raison et de justice, en
nous offrant de soy mettre en prison et tenir tel arrêt qu'il nous plairait
pour soy justifier des cas dont on l'accusait ; auquel Jacques Cœur par
l'advis et délibération desdits gens de nostre Grand Conseil et autres
dessudits eussions faict dire de par nous : que sa dite offre était juste et
raisonnable et que en icelle acceptant voulions et ordonnons qu'il tint
arrest audit chastel de Taillebourg — et pour ce eust iceluy Jacques Cœur été
arresté prisonnier audit chastel de Taille-bourg — et en iceluy détenu et
gardé par aucun temps et depuis mené par nostre ordonnance en nostre chastel
de Lezignan, auquel chastel ledit Jacques Cœur fust interrogé par plusieurs
et diverses fois par notables hommes tant de nostre Conseil que autres a ce
commis par nous et depputés et ses confessions rédigées par écrit. Et depuis,
pour ce que, pour aucuns nos grants affaires nous transportâmes au chastel de
Montilz-les-Tours, fust aussi ledict Jacques Cœur mené et transporté de nostre
dict chastel de Lezignan au chastel de Maillé ou par devers nous et nosdits
commissaires furent apportées plusieurs autres informacions à la charge dudit
Jacques Cœur. Lesquelles ordonnâmes, par iceux nos commissaires et autres que
de nouvel commismes avec eux, être vues et visitées, et par lesdites
informacions ledit Jacques Cœur fut trouvé chargé. Que
dès l'an 1429, lui étant compaignon de la ferme de nostre Monnoye de Bourges,
il avait forger écus a rlloindre poix et loy, comme etant escus de soixante
seize, quatre vingt quatre et quatre vingt neuf écus pour marc et a quatorze
et quinze carats ; combien qu'il derest avoir lors forgié escus de soixante
et dix au marc et à dix huit carats, selon nos ordonnances royaux et par ce
moyen y avait en prouffit de vingt ou trente escus pour marc où il n'en
devait avoir que deux escus en desfraudant et dérobant. Nous et la chose
publique de nostre royaume et en commettant, ce faisant, crime de fausse
monnoye. Et
pareillement en l'an 1430, duquel an, par nostre ordonnance, furent forgiés
royaulx de soixante quatre au marc et a vingt trois carats et trois-quars de
carats, d'avoir forgié et fait forgier en ladite Monnoye de Bourges : royaulx
a vingt trois carats et de poix moins demi réal sur le marc. Et semblablement
aussi d'avoir fait et commis plusieurs autres grant faultes ou abus ou fait
de nos dites monnoyes de Bourges. Fut
aussi trouvé chargé ledit Jacques Cœur par lesdites informations : que lui ou
ses gens avaient fait mener grande quantité de harnais ausdits Sarrazins et
mes-créans et que iceluy Jacques Cœur, afin que ces galères fussent mieux
traitées et qu'il put tirer deux ou trois cens exportes de poivre du pays
d'Alexandrie sans païer le droit au Soudan, qui pouvait monter quatorze ou
quinze ducats par exporte ; avoir envoyé et fait présenter par ses gens audit
Soudan des Sarrazins certaine grant quantité de harnois ou habillemens de
guerre ou aultres armes invasi-ves, c'est assavoir de cranequins, haches,
guysarmes, cou-leuvrines, vouges, paserans et autres habillemens de guerre,
et qui pis était, avait fait présenter ledit harnois audit Soudan en nostre
nom, combien que de ce faire n'eust charge ni commission aucune de par nous. Et
estait commune renommée que par le moien desdits harnois ainsi transportez
audit Soudan et Sarrazins par ledit Jacques Cœur, iceux Sarrazins avaient
gagné une bataille sur les chrétiens, dont on nous donnait charge et blasme
de le avoir souffert, cuy dans ceux qui ainsi nous en donnaient blasme que ce
fut de nostre congié et voulonté, combien qu'il n'en feus rien. En
outre fut trouvé chargé par lesdites informacions ledit Jacques Cœur, d'avoir
fait mener et transporter audit païs d'Alexandrie et vers lesdits Sarrazins
grant quantité de cuivre et aussi d'avoir fait fondre et mettre en lingos en
notre royaume et en aucune de nos Illonnoyes, et ailleurs grant quantité
d'argent blanc alayé en partie de notre monnoye ayant cours à présent, et
d'autre billon a moindre loy de deux deniers ou environ que n'est l'argent aiant
cours en nostre dit royaume et iceluy argent blanc ainsi fondu et alayé comme
dit est, en grant quantité et jusqu'à vingt mil marcs d'argent, mené ou fait
mener par ses dites gens, facteurs et serviteurs, sur ses dites galères et de
là au païs d'Alexandrie et autre part, sans aucun congié ou licence de nous,
ausdits Sarrazins mescréans nos enne-mys et ennemys de la foy, en venant et
faisant par ce moïen contre nos ordonnances royaulx et en apouvrissant et
comme du tout désimant dudit argent et de chevance nosdits royaume et subject
d'iceluy ; et aussi en enrichissant lesdits Sarrazins nos ennemys et ennemys
de la foy chrétienne. Et combien que ledit argent blanc ainsi fondu, alayé et
transporté auxdits Sarrazins par ledit Jacques Cœur ou ses dites gens et
serviteurs ne fust de pareille loy comme celuy qui avait et qui a cours en
nostre dit royaume : mais de moindre loy beaucoup. Néanmoins pour le mieulx
vendre et a pareil pris que celuy de la loy de nostre royaume, ledit Jacques
Cœur de son autorité privée l'avait signé ou au moins permis et souffert
signer par ses dits facteurs, gens et serviteurs, a une fleur de lys
contrefaite, en falsiffiant et contrefaisant notre marque, dont grant
deshonneur était advenu de nous et a nos sub-jects, car les Sarrazins qui
avaient acheté dudit argent et l'avaient trouvé de moindre loy que ladite
marque ne démontrait, avaient dit tout communément et en présence de
plusieurs autres marchans estrangés que Françoys étaient trompeurs. Avait
ainsi ledit Jacques Cœur, comme il apparaît par lesdites informations,
transporté ou fait transporter par ses dites gens, facteurs et serviteurs,
grant quantité de billon tant d'or comme d'argent, en Avignon et ailleurs,
hors de notre dit royaume, en contempnant nos dites ordonnances royaulx sur
ces faictes, lesquelles, ledit Jacques Cœur, qui autrefois avait été maître
des monnayes, ne pouvait ignorer ni les peines contenues en icelles. Fut
aussi ledit Jacques Cœur trouvé chargé par infor-macions que : combien que,
en l'an 1446, la galère Saint-Denis, appartenant audit Jacques Cœur estant en
Alexandrie et Michel Taincturier, patron d'icelle, ung jeune enfant de l'aâge
de quatorze à quinze ans, chrestien, de la terre du Prestre Jehan, détenu
esclave par ung Sarrazin, se fut rendu en ladite galère Saint-Denis, est mis
à genoils devant ledit patron en criant : Pater
noster, Ave Maria,
et en disant qu'il voulait être bon chrestien et que pour ceste cause il s'en
était fouy de l'hostel dudit Sarrazin son maistre et que ledit Michel
Taincturier l'eust fait amener sur la dite galère Saint-Denis jusques en
nostre ville de Montpellier où ledit enfant eust demeuré pas loing temps et
pas plus de deux mois avecque aucuns bourgeois et marchans de ladite ville et
aussi avecque feu maistre Pierre du Moulin lors archevêque de Toulouse, en le
servant de office de. varIet de chevaulx, et cependant se feut ledit enfant
maintenu et gouverné comme chrétien, en alant à l'église, oyant messe comme les
autres chrestiens et eust été en sa franchise et liberté sans être détenu
aucunement ainsi que l'on a accoutumé destenir esclaves. Néanmoins ledit
Jacques Cœur estant audit Montpellier avait mandé ledit Michiel Taincturier
venir parler a luy et luy avait fait très mauvaise chière et dist plusieurs
paroles injurieuses en lui disant : qu'il avait mal fait d'avoir amené ledit
esclave chrestien d'Alexandrie et de l'avoir robé à son maîstre, que ses
galères en pourraient avoir à souffrir au temps lors à venir, et jà soit que
ledit Michiel Taincturier se feust excusé et eust conté au dit Jacques Cœur
le cas tel qu'il estoit, et avec ce-luy eust dit qu'il ne faisait pas grande
estimacion du danger des dites galères et que le Sarrazin maistre
dudit,enfant, sy aimerait mieux cinquante ducats que l'enfant. Néanmoins
ledit Jacques Cœur n'avait tenu compte de ladite excusacion dudit Taincturier
ni de chose qu'il luy eust dit, mais luy avait dit qu'il falloit rendre ledit
enfant et que si aucun dommage en advenait à ses galères il destruirait ledit
Michiel Taincturier et son frère aussi. Et depuis, ledit Jacques Cœur avait
pareillement envoyé quérir Ysart Taincturier père dudit Michiel et luy avait
dit semblables et toutes et telles paroles qu'il avait dit par avant audit
Michiel son fils — et en oultre avait renyé Dieu, que, au cas que ses dites
galères en auraient à faire, il destruirait ledit Ysart et son fils de corps
et de biens en lui disant qu'il fust comment que ce feust qu'il recouvrast
ledit enfant — et depuis iceluy Jacques Cœur ou ses gens et sa victime par
son ordonnance et commandement et de leur autorité privée, si avaient prins
et emprisonné ledit enfant ès prison du bailly de nostre ville de Montpellier
et illecy avoit été détenu par force et contre son gré et volonté l'espace de
deux mois et plus et jusques à ce que les galères dudit Jacques Cœur se
furent despéchées pour s'en aller audit païs d'Alexandrie que iceluy Jacques
Cœur le fist traire desdites prisons prendre et mener ses dites galères,
retourner audit pais d'Alexandrie et délivrer audit Sarrazin son maistre, où
il a depuis autrefois renyé la foy chrétenne, en commettant par ce moien et
en ce faisant plusieurs grants et énormes crimes, comme crime de lèse-majesté,
force publique, prison privée, transfert de notre juridiction en autre, crime
de plaige et autres plusieurs. Fust
en outre trouvé ledit Jacques Cœur chargé par lesdites informacions d'avoir
fait prendre et emprisonner plusieurs gens qu'il disait être ruffians et
ooqùins, et mectre en ses galères pour naviguer : entre lesquels y avait de
prins ung jeune homme aleman, pèlerin qui allait à Saint-Jacques, que l'on
disait estre homme d'église, lequel quant s'était trouvé ainsi prins et mis
es dites galères de deuil et desplaisances, s'estait geste en la mer et noyé.
Furent aussi prins et mis ès dites galères deux nos sergens de nostre dite
ville de Montpellier, et par les gens et facteurs dudit Jacques Cœur, chargés
et baillés avec coursai-res et pirates pour et en échange d'autres gens et
lesquels deux ijios sergens estoient morts ou l'un d'eux depuis en la main
desdits coursaires. Fust
aussi ledit Jacques Cœur chargé par icelles informacions d'avoir fait faire
de son autorité et sans notre sceu, ung petit scel de plomb en cuivre pareil
et semblable à notre petit scel de secret, et lequel petit scel, depuis
l'arrest et empeschement dudit Jacques Cœur avait été gesté au feu et fondu
secrètement par aucuns de ses gens et serviteurs. Et
aussi fust trouvé par lesdites informacions que pendant le temps que l'on
traitoit le mariage de nostre très chiere et très aimée fille Jehanne avec
nostre très cher et très aimé cousin le comte de Clenllont : iceluy Jacques
Cœur, meu de grant avarice et non siant nostre faict et honneur devant ses
yeux ainsi qu'il devait, avoir dict aux seigneurs de Canillac, de la Fayette
et d'autres qui estoient venus en nostre ville de Chinon par devers nous, de
par. nostre très chier et très aimé cousin le duc de Bourbon, pour la
poursuite dudict traictié de mariage ; qu'ils, ne feroient rien vers nous
touchant ledict traictié de mariage sinon que nous, eussions payment deux
mils escus pour jouer aux dés et faire nos plaisances es fêtes de Noël qui
estoient lors prochaines à venir, et que pour ladite somme de deux mil escus
il avait prins les obligations et scellés desdits seigneurs de Canillac et de
la Fayette, en nous chargeant en ce faisant très grandement en notre honneur,
car jamais ne l'eussions, voulu ni daigné penser. Fust
en outre trouvé ledit Jacques Cœur chargé par lesdites informacions d'avoir
exigé et en induement plusieurs grandes sommes de deniers des marques des
Gene-voys, de Provence et de Cataloigne et especialement d'avoir accumulé
l'ancienne marque des Genevoys mise sur pour récompenser les dampniffiez en
la perte de la galère de Narbonne avec la dernière marque mise sur pour les
dampniffiez en la galère Saint-Denis au grand préjudice et dommage desdits
dampniffiez pour lesquels ladite première et ancienne marque avait été
ordonnée ; car par ladite accumulation et union desdites deux marques des
Genevoys : le paiement des dits premiers dampniffiiez £n avait été délogé et
appetisié et en telle manière que là où ils eussent été payés dedans six ou
huit ans, ils ne le seront pas dedans trente ans et là où ils eussent eu par
chacun ou livres ou escus ils n'auront pas sols. Avait
aussi ledit Jacques Cœur fait croistre la somme desdites marques de beaucoup
plus qu'elle ne devait être, à la grande charge de nos subjects — et si avait
levé et exigé sur ladite marque des Genevoys la somme de six mil escus d'or —
soulz ombre de ce qu'il était pour distribuer entre les commissaires qui
avaient varqué à l'assiette de la dite marque et paier les autres frais et
dépenses faites en la poursuite d'icelle marque, combien qu'il n'en ait siens
baillé. Avoit
aussi reçu ledit Jacques Cœur de Aubert Panes, receveur de ladite marque, la
somme de six cens escus d'or pour obtenir lettre de nous pour mectre sur
ladite marque, et combien que les autres dampniffiez en ladite galère de
Narbonne ne feussent payés contens de ce pour-quoy ils avaient été colloqués
en ladite marque des Genevoys, mais attendant leur paiement par chacun ou,
selon leur collocation. Néanmoins ledit Jacques Cœur par son autorité
s'estoit fait paier content et en avait reçeu six cents soixante escus et
pour ses intérêt la somme de mil francs, et combien que par ce moien il eust
été payé content et entièrement de sa dite dampniffication de ladite galère
de Narbonne. Néanmoins, par la grande autorité qu'il se donnait, il s'était
fait de rechief colloquer en la marque de Cataloigne pour sa dite
dampnification pour ladite galère de Narbonne, et aussi s'était fait payer
content et en avait receu deux mil escus d'une part et la somme de treize
cent soixante trois livres d'autre part, et avec ce s'estait fait paier
content les deniers de ladite marque la somme de six mil escus d'or soubz
couleur des frais et mises qu'il disait avoir faictes en la poursuite de
ladite marque dont il n'était riens du grant retardement du paiement et dommaige
des autres dampniffiez colloqués en ladite marque. Avoit
aussi ledit Jacques Cœur receu de la composition de la marque de Provence la
somme de douze mil florins pour icelle somme distribuer entre les dampniffiez
colloqués en ladite marque, dont il n'avait riens. fait ; aincois avait
retenu ladite somme de douze mil florins et appliquée a soy, et combien que
ledit Jacques Cœur fust lors notre conseiller et officier et eust la charge et
gouvernement de nos finances et commission avecque nos autres conseillers et
officiers de bailler ou faire bailler en nostre païs de Languedoc nos fermes
— et qu'il ne deust estre fermier, parcionnier ni compaignon de ceulx qui
prenoient nosdites fermes. Néanmoins ledit Jacques Cœur, en baillant icelles
nos fermes, avait été compaignon d'aucuns fermiers et parcionniers d'aucunes
desdites fermes et mes-mement des foires de Pezenas et de Montignac par
plusieurs et diverses années, en quoi il avait eu de grands gaings a notre
très grant perte et dommaige, car par ce qu'il était parcionnier desdites
fermes il trouvait moiens et façons que nos dites fermes étaient baillées a
moindres pris qu'elles ne valaient et en l'année 1441 combien que par nos
commissaires et ledit Jacques Cœur ; aussi lesdites foires si eussent été
affermées pour la somme de neuf mil cinq cent cinquante livres tournoys. —
Néanmoins ledit Jacques Cœur qui fut parcionnier de ladite ferme donna à
entendre à sesdits compaignons qu'elles avoient été affermées a douze mil
livres tournoys et par son autorité et que sesdits compaignons ne lui osèrent
contredire ; il les contraignit à luy tenir compte de ladicte ferme jusques a
la dicte somme de douze mil livres tournoys et toutefois ledit Jacques Cœur
n'en avait tenu compte à nostre receveur général que ladicte somme de neuf
mil cinq cens cinquante livres tournoys, et par ce moien avoit prins et robé
tant sur nous que sur sesdits compaignons la somme de deux mil quatre cens
cinquante livres tournoys. Fust
oultre plus ledit Jacques Cœur trouvé chargé par lesdictes informacions
d'avoir faict mectre sans notre sceu et consentement en nostre dist pais de
Languedoc, en oultre et par-dessus nos tailles, plusieurs grandes sommes de
deniers et icelles fait lever et exiger de nos subjects et aussi avoir faict
en nostre païs de Languedoc et sur nosdits subjets plusieurs commissions
grandes et énormes exac-cions, les unes par force de dons et d'intérêt, les
aultres soubz ombre de pertes de finances tant sur nostre dit pais de Languedoc
en général comme sur nos receveurs particuliers dudit païs et aultres
exaccions que l'on nomme vulgairement epices montans a grandes et excessives
sommes de deniers, et tellement que, par le moien desdites commissions et exaccions
faites par ledit Jacques Cœur, nostre païs de Languedoc estoit par commune
renommée comme du tout apauvry, désimé et vuide d'argent et de chevance, et
si avait ledit Jacques Cogur en oultre prins pertes de finances sur nous,
combien que alors il eust entre ses mains grant somme de nos deniers et
desquels nos deniers mesmes souventes fois nous faisait prêt, comme l'on
disait, néanmoins prenait sur nous pour ledit prest pertes de finances. Et en
oultre : combien que ledit Jacques Cœur, en recevant et recueillant nosdites
finances en nostredit païs de Languedoc ne print ni receust escus a présent
aiant cours que pour vingt neuf sols huit deniers, et que à ce pris, il a
receu grant somme montant a plus de deux a trois cens mil pièces. Néanmoins
ledit Jacques Cœur en nous tenant comptes de nos dites finances nous avait
baillés lesdits escus pour vingt sept sols six deniers tournois et royaulx
pour la somme de trente sols tournois : en quoy il avait eu grant gaing a la
grant perte de nos dits subjects, desquels il les avait receus a moindre pris
ou de nous a qui il les baillait au plus hault pris. Fust
aussi trouvé ledit Jacques Cœur chargé par lesdites informacions d'avoir fait
en nostre dit païs de Languedoc et sur nos subjects d'iceluy plusieurs contrainctes
et violences, soubz ombre de l'auctorité qu'il se donnait de par nous. Pourquoy : par l'advis et délibéracion
desdits gens de nostre grant conseil et aussi de nosdits commissaires,
eussions de rechief ordonné et appoinctié que ledit 'Jacques Cœur par nosdits
commissaires et députés serait de rechief interrogé, tant sur le cas de la
mort et empoisonnement de ladite damoiselle Agnès comme aussi sur tous les
aultres cas contenus et déclarés esdites informacions et desquels ou de la
pluspart d'iceux a esté faicte mencion ci-dessus, et ses confessions faictes
sur iceux cas reddigés et mises par escript, et ce fait, rapportées par
devers nous pour en appoincter et ordonner ce que serait de raison. Et
depuis par nosdits commissaires ledit Jacques Cœur eust de rechief été
interrogé sur tous iceux cas bien au long et ses confessions mises et
reddigées par escript et finalement apportées par devers nous au chastel de
Chicey, avec toutes informacions et charges servans a la matière et en la
présence de nous, de plusieurs seigneurs de nostre sang, de nosdits gens de
notre grant Conseil, de nosdits commissaires et de plusieurs nos conseillers
et officiers, tant de nostre Court de Parlement et autres, rapportées et
visitées en grande et mense délibéracion pour savoir si : vueues lesdites
informacions aussi et les confessions faictes par ledit Jacques Cœur, on
devait procéder a sentence définitive absolutoire ou condempnatoire, ou a
l'eslargisse-'ment d'iceluy Jacques Cœur, ou si l'on devoit procéder plus
avant a savoir la vérité des cas et crimes dont ledit Jacques Cœur estoit
chargé et auxquels il n'avait souffisamment répondu et par quelle voye. Et
finalement, pas l'advis et délibéracion de tous les dessusdits eust esté par
nous dict et appoinctié que : attendu lesdites informacions faictes à l'encontre
dudit Jacques Cœur, les procès et confessions diceluy, la matière n'estait
encores disposée pour procéder a sentence absolutoire ou condempnatoire ni a
l'eslar,gissement d'iceluy Jacques Cœur et eust été donné délay de deux mois
audit Jacques Cœur pour monstrer et enseigner de plusieurs choses dont il
s'estait chargé de montrer par sesdites confessions comme : des congiez qu'il
se disait avoir de nostre Saint Père le Pape pour transporter harnais et
habillemens de guerre auxdits Sarazins et mescreans, enne-mys de nous et de
la foy chrestienne ; des remissions et abolicions qu'il se disait avoir de
Nous touchant les fautes qu'il avait faictes et commises du faict de nosdites
mon-noyes et aussi de la distribucion de plusieurs de nos finances et aultres
choses plus a plain déclarés en sesdictes confessions, et que après ledit
délay on parlerait derechief audit Jacques Cœur et serait interrogué plus
avant sur lesdits cas et charges dont il avait est étrouvé chargé par
lesdites informacions et auxquels il n'avait souffisamment répondu et que
s'il ne monstrait et enseignait souffisamment dedans ledit délay desdites
choses dont il s'estait chargé à montrer et aussi s'il ne disait la vérité
sur ses dites charges l'on en saurait la vérité par sa bouche par voye extraordinaire
de question : ainsi que l'on verroit estre a faire par raison. Lequel délay de
deux mois et encore ung autre délay par Nous prolongué audit Jacques Cœur
pour montrer et enseigner des choses dessusdites passées et les productions
faictes de tout ce que en ceste partie l'archevêque de Bourges fils dudit
Jacques Cœur et autres ses gens et serviteurs ont produit et voulu produire
et mettre par devers nosdits commissaires. Par notre ordonnance ait iceluy
Jacques Cœur esté amené dudit chastel de Maillé en nostre chastel de Tours et
illac derechief esté interrogé par nosdits commissaires et aussi par autres
nos officiers et conseillers tant de nos cours de Parlement de Paris et de
Toulouse que autres, et parfait et parachevé son procès. Et depuis pour le
recouvremen de nos pais et duchié de Guienne Nous ait convenu hastivement
partir de notre païs de Touraine. Pourquoy N'avons pu vacquer bonnement à l'expédicion
et jugement dudit procès et pou ? ceste cause avons mandé venir par devers
nous en nostre chastel de Lusignan tous nosdits commissaires et apporter par
devers nous tous lesdits procès faicts es matière dudit Jacques Cœur et ce
que par ledit archevêque de Bourges et autres gens et serviteurs d'iceluy
Jacques Cœur a sa justiffication et des charges avoir esté produit. Lesquels
nos commissaires soient venus par devers Nous et aient apporté tous lesdits
procès et aussi ce que pour la justifficacion et descharge dudit Jacques Cœur
avoit ainsi été produit par devers eulx et ait été ledit Jacques Cœur amené
de nostre dit chastel de Tours en nostre chastel de Poitiers. Les procès
veus, visités et rapportés en nostre présence, en nostre grant Conseil, où estoient
aucuns seigneurs de nostre sang, les gens de nostre grant Conseil, tous
lesdits commissaires et plusieurs autre conseillers et officiers et autres
notables clercs que pour ce, avons assemblés en grant nombre. Sçavoir
faisons que : Veus lesdits procès et confessions dudit Jacques Cœur et tout
ce que pour la justiffication et descharge d'iceluy Jacques Cœur a esté
produit par devers nosdits commissaires, et vœu et considéré tout ce que fai-soit
a veoir et considerer et ceste partie, et en sur ce grande et mense
délibéracion de Conseil : Avons, par nostre arrêt jugement et a droit, dict
et déclaré, disons et déclarons. : Que
ledit Jacques Cœur est encheu ès crimes de concussions et exaccions de nos
finances et de nos païs et subjeots : de faulx, — de transports de grant
quantité d'argent aux Sarrazins, ennemys de la foy chrestienne et de Nous, —
de transports de billon, d'or et d'argent en grand nombre hors nostre
royaume, — de transgression des ordonnances royaulx, de crime de lèze majesté
et autres crimes et que par ce il a commis et forfait envers Nous, corps et
biens. Toutefois
pour aucuns services à Nous faicts par ledict Jacques Cœur et en
contemplacion et faveur de nostre Saint Père le Pape qui nous a pour lui
rescript et faict faire requeste et pour autres causes et considérations a ce
nous mouvons : Nous
avons remis et remettons audict Jacques Cœur la peine de mort et l'avons
privé et le déclarons inhabille a toujours de tous offices royaulx et
publicques et avons condempné et condempnons ledit Jacques Cœur à Nous faire
amende honorable en la personne de Nostre procureur, nue tête, sans
chapperon, a genouls, tenant en ses mains une torche ardant de dix livres de
cire, en disant : que mauvaisement, indeuement et contre rayson il a envoyé et
fait présenter harnoys et armes au Souldan ennemy de la foy chrestienne et de
nous et aussi faict rendre aux Sarrazins ledit enfant et fait mener et
transporter auxdits Sarrazins grant quantité d'argent blanc et aussi
transporté et faict transporter grant quantité de billon, d'or et d'argent
hors du royaume contre les ordonnances royaulx et qu'il a exigé, prins,
recelé et retenu plusieurs grandes som111eS de deniers, tant de nos deniers
que sur nos pais et subjects, en grant desolacion et destruction de nos dits
païs et subjects — en requérant de ce mercy et pardon a Dieu — a Nous et a
justice. Et
aussi Nous l'avons condempné et condempnons a racheter des mains des
Sarrazins ledit enfant et à le faire ramener et rétablir en la ville de
Montpellier où il fut prins, si faire se peut et si non a racheter un
chrestien des mains desdits Sarrazins et à le faire amener audit lieu de
Montpellier Et
avons déclaré et déclarons ledit scellé et obligation de la somme de deux mil
escus baillé par lesdits seigneurs de Canillac et de la Fayette nul et de
nulle valeur — et faussement et mauvaisement avoir esté prins et exigé
desdits seigneurs et Canillac et de la Fayette par ledit Jacques Cœur. Et
en oultre avons condempné et condempnons iceluy Jacques Cœur à Nous rendre et
restituer pour les sommes par luy recelées et retenues sur nous et aussi pour
les sommes extorquées, prinses et exigées indeuement sur nos subjects, en la
somme de cent mil escus et en amende prouffitable envers nous en la somme de
trois cent mil escus et à tenir prison jusques à pleine satisfaction. Et
au surplus avons déclaré et déclarons tous les biens dudit Jacques Cœur
confisqués envers Nous — et avons iceluy Jacques Cœur banny et bannissons perpetuelment
de ce royaume réservé selon notre bon plaisir. Et
au regard des poisons pour ce que le procès n'est pas en état de juger pour
le présent. Nous n'en faisons à présent aucun jugement. Et pour cause. En
tesmoing de ce : Nous avons fait mettre notre scel à ces présentes. Donné
en nostre chastel de Lezignan, le vingt neuviesme jour de may, l'an de grâce
1453 et de nostre regne le trente et uniesme. CHARLES. Et pour cause, disait cyniquement l'arrêt du
Grand Conseil qui ne faisait pas mention du supplice de la torture subi par
Jacques Cœur et des aveux ainsi obtenus. Et pour cause, disait encore plus cyniquement
cet arrêt de justice souveraine qui ne statuait pas sur le chef principal
d'empoisonnement et de mort d'Agnès Sorel. Cependant,
par une contradiction singulière, le même jour, 29 mai 1453, à la même heure,
dans le même prétoire, le même Grand Conseil rendait un autre arrêt portant
la même signature : Charles VII, roy de
France, et le même
sceau fleurdelysé. Cet arrêt déclarait : fausse
et calomnieuse l'accusation d'empoisonnement et de mort d'Agnès Sorel
intentée contre Cœur par Jeanne de Vendôme épouse de François de Montbéron,
et condamnait l'accusatrice à faire amende honorable à genoux, tête nue, une
pesante cire à la main, la condamnant en outre à se tenir éloignée de plus de
dix lieues de toute résidence royale, écartant la peine de mort justement
méritée en raison du nom honorable et honoré qu'elle portait et des bons
offices et services rendus par son époux. C'est
dans ces conditions que fut condamné Jacques Cœur. Condamnation plus odieuse
et plus injuste fut-elle jamais prononcée ? Déni de justice fut-il plus
manifeste ? Tribunal plus partial et plus criminel fut-il jamais constitué ? Par la
suite, au moment des tentatives de révision faites par les héritiers Cœur,
nous verrons les avocats en Parlement choisis par ces derniers, écrire dans
leur consultation préalable : Le procès fut
fait de place en place, de chasteau en chasteau, les témoins ne furent
récolés ni confrontés. Il y eut mutation de commissaires parmy lesquels quoi
qu'il s'y trouvat de notables gens, les uns ont esté au commencement et les
autres non et ceux qui ont opiné n'on esté à faire le procès, ainsi ne peut
qu'il n'y ait eu des fautes au jugement. Quoi
qu'il en soit, Jean Dauvet, le procureur général qui avait suivi les débats,
dirigé partie de l'information et de la procédure et requis la condamnation,
se transportait à Poitiers par devers Jacques Cœur et dans sa prison, le 2
juin 1453, en vertu des lettres de jussion données par le roi Charles VII la
veille, pour lui notifier l'arrêt et lui faire commandement d'avoir à payer
400.000 escus d'or, Jacques Cœur, assisté de ses fils, était complètement
abattu et désespéré. Il écouta silencieux, puis déclara : qu'il lui estait impossible de païer une si grande somme
et que tous ses biens n'etoient point suffisans de la fournir à beaucoup
près. Qu'il devait encore 200.000 escus d'or qu'il avait empruntés pour les
affaires du Roy. C'est pourquoi il priait le sieur Dauvet et M. de Dammartin de
remontrer au Roy son pauvre faict et lui supplier qu'il lui plaise d'avoir
pitié et compassion de lui et de ses pauvres enfans. Les
commissaires ayant à leur tête le chancelier de France, Guillaume Juvénal des
Ursins, se transportèrent à leur tour, le 4 juin 1453, au château de
Poitiers, pour lire et notifier à Jacques Cœur son arrêt de condamnation. A leur
arrivée au château, Pierre de Chaumont, abbé de Saint-Cyprien, et maitre Jean
Triffault, vicaire général et officiel, députés par l'évêque de Poitiers. les
attendaient et se présentèrent devant M. le chancelier et les autres
seigneurs tous du Grand Conseil, assemblés en la Grande Salle. Ils requirent
qu'on leur remit incontinent la personne de Jacques Cœur comme clerc solu. A
l'appui, ils déposèrent les lettres de tonsure retrouvées et certifiées. Il
ne fut fait aucune réponse à leur demande et ils durent se retirer. Mais le
lendemain s'étant derechef présentés pour avoir réponse définitive et
satisfaction sur leur réquisitoire, ils furent empêchés par ordre des
commissaires et du chancelier et par les huissiers apostés, d'entrer dans le
prétoire qui était ouvert au public. Contraints
de rester dans la Grande Salle, ils furent rejoints en icelle par Hugues du
Couzai, lieutenant général du sénéchal du Poitou et Hélie Tourrotte,
lieutenant général du sénéchal de Saintonge, tous deux accompagnés du
greffier du Grand Conseil et d'huissiers qui venaient leur demander leurs requêtes
et désirs pour les transmettre au Conseil, assurant toutefois que s'il s'agissait
seulement du réquisitoire présenté la veille, ils avaient reçu l'ordre
d'opposer un refus formel et définitif et de déclarer aux deux députés de
l'évêque de Poitiers que l'entrée et présentation au Conseil ne leur serait
point accordée et encore bien qu'ils ne pourraient adresser la parole à aucun
de Messeigneurs du Conseil. Pierre
de Chaumont et Jean Triffault protestèrent vivement contre cet abus de
pouvoir et répliquèrent : que le réquisitoire
par écri fait estoit juste et raisonnable puisqu'il s'agissait de rendre à
l'Eglise comme subject Jacques Cœur pour estre puni et corrigé selon
l'exigence des cas, crimes et maufaits par lui commis. Qu'ils signifiaient
aussi à leur tour qu'au cas que Messeigneurs du Conseil voudraient procéder
contre ledit Jacques Cœur et le contraindre à faire amende honorable ou autre
exécution, de quoi pourroit estre infamé, ils en appelaient et de faict en
appellent au Roy leur souverain seigneur, bien conseillé ou autre de qui il
appartiendra. Ceci
déclaré, ils prièrent ensuite Hugues du Couzai et Hélie Tourrotte, de
notifier aux seigneurs du Conseil l'appel par eux fait et la cause pourquoi
ils appelaient, de les supplier qu'il leur plût au moins de surseoir et de
différer contre Jacques jusques à ce qu’ils eussent nouvelles et réponses du
Roy vers lequel déjà l'évêque de Poitiers avait envoyé pour lui faire de très
humbles remontrances. Passant
outre aux appels, demandes et supplications, les chancelier et commissaires
firent venir Jacques Cœur et lui firent lecture in extenso de son arrêt de
condamnation. Et fin
juin 1453, au milieu du jour, Cœur fut amené devant la principale entrée du
Palais. Il était en chemise, la tête et les pieds nus. Exposé
durant un moment aux huées, aux injures et mêmes aux coups du populaire surexcité,
il entendit derechef à genoux la lecture de son arrêt de condamnation, puis
tenant en mains une cire du poids de dix livres, il dut faire amende
honorable. La
justice du Roy Charles VII étant satisfaite, il fut reconduit dans sa prison. En
exécution de l'arrêt du Grand Conseil, rendu le 29 mai 1453 et le 1er juin
suivant, M. Jean Dauvet, procureur général à la Chambre du Trésor Royal de
Paris, régulièrement commis pour mettre cet arrêt à exécution, reçut pleins
pouvoirs dudit Conseil pour faire saisir et
vendre, au profit du Roy, en observant toutes les formalités et solennités
requises, tous les
biens appartenant audit Jacques Cœur en quelques mains qu'ils puissent être. Le procureur
général commit à son tour Jean Bonhale, licencié en droits, pour l'exécution
de l'arrêt. Ce
dernier transmit les pièces le 18 septembre 1453 à Jean Monteray, sergent
royal à Saint-Haon-le-Châtel, avec ordre de procéder aux criées et
subhastations de la moitié des terres et seigneuries de Roanne et de Saint
Haon, d'une maison située au château de Saint-Haon et des terres et
seigneuries de la Motte et de Boisy. De ce
requis, Jean Monteray procéda à cinq criées de ces seigneuries diverses,
lesquelles eurent lieu à Roanne les 21 septembre, 4 octobre, 2 novembre, 14
novembre et 6 décembre 1453, sans que personne y apparut et y mit une
enchère. Sur
procès-verbal de carence dressé, les Conseillers de la Chambre du Trésor
Royal réunis, le 10 février 1454, firent adresser une commission
extraordinaire au sergent royal Monternay, de Saint-Haon, portant qu'il eut à
faire visiter et certifier lesdites criées pour s'assurer si elles avaient
-été faites avec la régularité et la solennité usitées en pays de Roannais. Le 18
mars suivant, sur ce, interrogés par le sergent qui écrivit leur réponse, les
sieurs Jean Dupré, vicaire à Roanne, et Guichard Doyen, lieutenant de juge
ordinaire de la justice commune de Roanne, attestent que les criées avaient
eu lieu avec la régularité et la solennité requise. Ces
seigneuries furent donc mises en adjudication par quatre criées faites
solennellement à Saint-Haon-le-Châtel, les 22 septembre, 10 et 24 novembre et
15 décembre 1454. Il n'y eut pas non plus d'enchère. Par procès-verbal, daté
de courant décembre, Antoine Fourgon, vicaire à Saint-Haon-le-Châtel, et
Guichard Doyen, lieutenant de juge de Saint-Haon et de Boisy, certifièrent la
régularité et la solennité desdites criées. On
tenta finalement l'adjudication à Saint-Romain. Cinq criées desdites
seigneuries furent faites en ce lieu les 24 septembre, 4 novembre, 2 et 16
décembre, sans attirer les enchérisseurs. Procès-verbal de carence dut être
dressé. Et le 18 mars suivant, le châtelain juge de Saint-Romain en
certifiait les régularités et solennités. Toutefois
ces criées et adjudications sensationnelles avaient suscité des oppositions
portées devant la Chambre du Trésor Royal et les défenses régulières avaient
été déposées par les deux fils de Jacques Cœur. Henri Cœur, archevêque de
Bourges et Geoffroy Cœur — leur père restant prisonnier et condamné, mort
civil au château de Beaucaire —, par les anciens propriétaires des
seigneuries confisquées et mises sous main royale qui espéraient rentrer en
possession ; Jean de Lévis, seigneur de Couzan, et dame Alix de Couzan,
épouse de messire Eustache de Lévis, chevalier ; par enfin un certain nombre
de bourgeois et petits propriétaires ayant cédé leurs droits, possessions et
titres à Jacques Cœur durant les années ayant couru de 1447 à 1452. D'ordre
royal il fut statué sur toutes ces oppositions par différentes sentences
rendues par la Chambre du Trésor Royal avec une rapidité déconcertante. Tous
ces opposants furent déboutés de leurs prétentions. Seuls les héritiers de
Cœur obtinrent reste de droit sur le point le moins important de leur
revendication. Le 29 mai
1455, les conseillers du Roy sur le fait de justice, réunis en la Chambre du
Trésor à Paris, rendent la sentence suivante : Entre
: le Procureur Général en ladite Chambre, demandeur, et : messire Henry Cœur,
chancelier de l'église de Bourges, et Geoffroy Cœur, son frère, tous deux
enfants de Jacques Cœur, défendeurs et opposants aux criées et adjudications
des seigneuries saisies au préjudice de leur père. Sur
ce que : les opposants soutenaient que Jacques Cœur leur père, après avoir
épousé Macée de Léodepart leur mère, selon la coutume du Berry, avait acquis
du vivant d'icelle plusieurs terres et seigneuries ; que suivant la coutume
de ladite province, les biens, meubles et immeubles acquis pendant la vie des
conjoints étaient communs entre eux ; qu'ainsi lesdits défendeurs, comme
héritiers de feue leur mère, étaient fondés à s'opposer aux dites criées et
adjudications et à demander la distraction de la moitié de tous les biens
saisis sur leur père, ainsi que la totalité des biens dotaux de leur mère. De
plus que : quand même leur père aurait été déclaré et convaincu du crime de
lèse-majesté par arrêt, cet arrêt serait nul pour plusieurs raisons : 1°
Parce que leur père n'avait rien fait pour qu'on dût le déclarer criminel de
lèse-majesté ; 2°
Parce que leur père n'avait point été ouï à proposer ses défenses quoiqu'il
l'eût requis plusieurs fois, puisqu'il avait toujours été tenu prisonnier si
étroitement que personne n'avait pu lui parler et qu'on n'avait pas voulu lui
permettre d'avoir un Conseil, ni qu'il fut ouï en justice, et que ledit arrêt
avait été donné en son absence. Et
quand même cet arrêt aurait été donné selon le droit il serait nul, en ce que
leur père comme natif et comme habitant de la ville de Bourges, jouissait des
privilèges de ladite ville, qui sont : qu'un bourgeois de Bourges ne peut
voir confisquer ses biens pour quelque crime que ce soit. Et que, s'il avait
été rendu quelque arrêt contre leur père ce n'avait pu être qu'après le décès
de leur mère et que dès l'heure du décès de cette dernière la moitié de tous
les meubles et immeubles acquis par lesdits père et mère, leur était dévolu
en qualité d'héritiers, ainsi que les droits dotaux de leur mère, de manière
que tous ces objets ne pouvaient être compris dans la confiscation. A ces moyens,
le Procureur Général répondit que touchant
les droits dotaux de leur mère Macée de Léodepart, les défendeurs n'en ayant
fait aucune déclaration, on ne devait pas avoir égard à leur demande en
distraction ; que touchant les biens immeubles acquis par leur père et mère
dont les défendeurs requéraient la moitié, ils avaient été déclarés
confisqués au profit du Roy par l'arrêt prononcé contre leur père pour crime
de lèse-majesté et qu'en fait de crime de lèse-majesté et même de tout autre
crime, le mari forfait meubles et conquêts puisqu'il en est le maître pendant
sa vie, qu'ainsi Jacques Cœur avait eu tout confisqué. D'ailleurs que les défendeurs
n'étaient point recevables à objecter que l'arrêt de condamnation n'ayant été
rendu qu'après le décès de leur mère, les biens de cette dernière leur
étaient dévolus en qualité d'héritiers, parce que en crime de lèse-majesté on
ne devait pas avoir égard au temps de l'arrêt seulement, mais au temps du
crime commis, qu'ainsi le crime ayant été commis par leur père du vivant de
leur mère les biens étaient censés confisqués à cette époque. Après
délibéré, sentence fut rendue par laquelle il est prononcé : 1°
Que les articles insérés dans les moyens d'opposition desdits défendeurs
tendant à la nullité de l'arrêt et des condamnations prononcées par le Roy en
son Conseil contre Jacques Cœur leur père, par lesquelles il aurait été
déclaré criminel de lèse-majesté, sont
rejetées comme attentatoires à l'autorité et à la Majesté du Roy. Fait
défences ausdits défendeurs et à tous aultres de tenir propos à l'avenir sous
peine d'amende arbitraire. Déboute
lesdits défendeurs de moyens d'opposition touchant les conquêts faits par
ledit Jacques Cœur, lesquels sont rendus, adjugés et délivrés au plus offrant
et dernier enchérisseur. Statuant,
en ce qui concerne les biens propres qui ont appartenu à ladite Macée de
Léodepart leur mère, pendant sa vie, si aucuns il y a et qui ont été compris
dans lesdites criées et adjudications, ils seront purement et simplement distraits au profit desdits défendeurs. Le même
jour 23 mai 1455, les conseillers en ladite Chambre du Trésor rendaient
également les deux sentences suivantes. La première, entre le Procureur
Général, demandeur, et Jean de Lévis de Couzan, écuyer, défendeur et opposant
aux criées et adjudications desdites seigneuries confisquées au préjudice de
Jacques Cœur. Sur
ce que, soutenait ce dernier, par le contrat de mariage passé entre : messire
Eustache de Lévis, chevalier, seigneur de Villeneuve et dame Alix de Couzan
son épouse, ses père et mère, il avait été
stipulé expressément que les terres et seigneuries de Couzan, de la Motte, de
Boisy, et la moitié des terres et seigneuries de Roanne et de Saint-Haon appartiendraient au fils aîné
desdits seigneur et dame de Couzan et qu'il en serait seigneur après le décès
de ladite dame Alix. Que lui, défendeur, étant le fils aîné issu de ce
mariage, les seigneuries de la Motte, Boisy, Roanne et Saint-Haon devaient
lui être restituées parce que ses père et mère n'avaient pu les vendre à son
préjudice ; qu'ainsi la vente qu'ils en avaient faite audict Jacques Cœur
devait être déclarée nulle. Ledit
Procureur Général répondit : Que
la clause du contrat de mariage alléguée par le défendeur ne pouvait lui être
d'aucune utilité en ce qu'il ne produisait pas le titre. Que d'ailleurs
lorsqu'il échoit au Roy des héritages par confiscation et même pour crime de
lèse-majesté, il n'était pas tenu de payer les charges et hypothèques desdits
héritages, à moins qu'elles ne fassent ensaisinées et inféodées ce dont ledit
défendeur ne faisait pas apparat. Après
délibéré, il est prononcé : Qu'il
ne sera fait aucune distraction en faveur dudit Jean de Lévis de Couzan,
défendeur desdits héritages criés, mais qu'ils seront adjugés au plus offrant
et dernier enchérisseur, nonobstant son opposition de laquelle il est
purement et simplement débouté. La
seconde, Entre : Le Procureur général, demandeur ; Et : Dame Alix de Couzan,
épouse de Messire Eustache de Lévis, chevalier, seigneur de Couzan,
défenderesse et opposante auxdites criées et adjudications desdites
seigneuries. Sur
ce que : ladite dame soutenait que lesdites seigneuries de la Motte, Boisy,
Roanne et St-Haon lui avaient appartenu comme de son propre héritage,
provenant des successions de ses prédécesseurs ; que lorsque le seigneur de
Couzan, son mari, proposa audit Jacques Cœur de lui rendre lesdites
seigneuries au prix de huit mille réaux (valant 12.000 livres tournois). Il ne l'avait proposé que sous
la condition de pouvoir les racheter dans l'espace d'un an, en cédant audict
Cœur à la place desdites seigneuries : la
seigneurie de Lers située près d'Avignon ; ce que Cœur avait accepté et promis d'insérer
dans le contrat de vente. Mais au moment de passer ce contrat, Cœur sachant
que le sieur de Couzan avait de grands besoins d'argent refusa d'insérer la
condition du rachat dans le contrat et se contenta de la promettre
verbalement. Qu'alors, ledit seigneur de Couzan força ladite dame son épouse à
lui donner procuration pour passer cette vente : ce qu'elle ne nt que par
rapport aux menaces de son mari protestant devant plusieurs personnes qu'elle
ne consentait à cette vente que sous la faculté du rachat et qu'au temps de
l'emprisonnement de Jacques Cœur lesdits seigneur et dame n'avaient pu
trouver le moyen de traiter avec lui pour rentrer en possession desdites
seigneuries. En conséquence,
ladite dame concluait à la nullité de cette vente comme ayant été faite par
abus, force et contrainte ; que si l'on passait aux adjudications desdites
seigneuries ce devait être seulement au profit et bénéfice de ladite dame en
remboursant par elle les huit mille réaux qu'elle avait reçus de Cœur, avec
d'autant plus de raison et droit que par cette vente elle avait été lésée
d'autre moitié du juste prix de ces seigneuries qui, à cette époque valaient
dix-huit mille réaux. Le
Procureur général répondit que les allégations que soumettait la défenderesse
pour moyens d'opposition comme la force et la contrainte dans la passation du
contrat de vente desdites seigneuries, ainsi que la faculté qu'elle disait
avoir réservée de les racheter n'étaient pas recevables en ce qu'elle n'en
faisait point apparaître la preuve ; qu'elle ne pouvait tout au plus avoir
son recours contre Cœur. De plus
que : quand même les promesses que Cœur lui aurait faites seraient évidentes
et emporteraient hypothèque, cela ne pourrait empêcher que les dites
seigneuries ne fussent vendues au plus offrant et dernier enchérisseur car de
droit toutes hypothèques se perdent lorsqu'il échoit au Roy quelques biens
ensuite de confiscation et surtout pour crime de Lèse-Majesté. Qu'enfin, le Roy
n'était jamais tenu de payer les charges -et hypothèques à moins qu'elles ne
fussent ensaisinées et inféodées. Le
Conseil en ayant délibéré prononce que l'adjudication desdits héritages criés
sera faite au plus offrant et dernier enchérisseur nonobstant l'opposition,
de ladite dame de Couzan, défenderesse, le tout sans préjudicier en rien aux
droits et actions qu'elle peut avoir contre celui ou ceux qu'il appartiendra. Ces
oppositions rejetées, les Conseillers de la Chambre du Trésor rendirent, du
24 mai 1455 jusqu'au 26 novembre 1455, neuf sentences basées sur les mêmes
motifs, contre les divers particuliers qui s'étaient aussi portés opposants aux
criées et adjudications des biens dudit Jacques Cœur. Ces sentences
identiques déboutent purement et simplement les opposants de leurs moyens,
fins et conclusions et les condamnent en tous les dépens. Henry
et Geoffroy Cœur interjetèrent appel au Parlement de Paris de la sentence
inique rendue contre eux par les Conseillers de la Chambre du Trésor Royal. Cet
appel fut jugé dangereux. De tous temps le Parlement s'était déclaré
indépendant et il était à prévoir qu'il ne se souciait pas d'entériner un
arrêt aussi peu juridique et aussi inique. Il fallait éviter sa juridiction à
toute force. C'est
alors que le Procureur Général de la Chambre du Trésor, Jean Dauvet, demanda
et obtint, le 14 juillet 1455, commission du Grand Conseil du Roy étant alors
avec lui le Roy ou Bon Sire aimé, aux fins d'assigner Henry et Geoffroy Cœur
devant ladite Chambre pour déposer ses moyens d'appel. Cette commission fut
signifiée par ministère d'huissier le troisième jour d'octobre suivant. Il
fallait à tout prix éviter le contrôle du Parlement et paralyser son action. Le
Parlement ne réclamant pas la cause qu'il aurait dû d'office évoquer, Henry
et Geoffroy Cœur durent comparaître devant la Chambre du Trésor Royal et
demandant d'être renvoyés au Parlement où ils en avaient appelé. Le 28
octobre 1455, le Procureur général requit donc défaut contre eux et obtint
par les motifs qu'ils n'avaient point voulu procéder au Conseil et refusé de
donner des conclusions. Le même
jour, le Procureur général obtint également une commission du Grand Conseil
pour réassigner Henry et Geoffroy Cœur aux fins de voir adjuger en sa faveur
le profit de ce défaut. Cette commission leur fut signifiée avec extrême
diligence le lendemain 23 octobre. Une
fois de plus Henry et Geoffroy Cœur interjetèrent appel au Parlement sur ce
jugement profit joint. Le
samedi suivant 25 octobre 1455, Henry Cœur comparut en personne au Grand
Conseil, accompagné de Jean Chastaing, fondé de pouvoirs de Geoffroy Cœur. Le
Procureur général les ayant requis de conclure au procès sinon qu'il allait
demander contre eux un second défaut profit joint. Ils répondirent : 1° Qu'ils
étaient déjà appelants au Parlement où ils avaient déjà requis être renvoyés ; 2°
Qu'ils requéraient encore ce renvoi juste et fondé et qu'ils n'entendaient
aucunement procéder devant le Grand Conseil qui ne pouvait plus avoir
compétence. Ils présentèrent
alors au Grand Conseil les, deux notaires Jean Alabat et Pierre Dubost qui,
tenant ès-mains l'appel régulier interjeté au Parlement, furent interrogés
par le Conseil au sujet de leur présentation. Ces deux officiers de justice
déférant à l'interrogatoire déclarèrent avoir été amendés pour donner et
garder acte du réquisitoire des appelants et de la réponse qui serait faite
par le Conseil. Cette
attitude fut déclarée attentatoire de l'autorité du Roy : car il n'était pas
et ne pouvait pas être permis d'appeler de son Grand Conseil au Parlement. En
conséquence, le Grand Conseil donna ordre au Procureur général de la Chambre
du Trésor, acte des déclarations faites et prononça second défaut contre les
appelants avec tel profit que de raison. En outre,
ordonna que Henry Cœur, Jean Chastaing, Jean Alabat et Pierre Dubost, en
raison et cause de l'offense par eux volontairement commise seraient
appréhendés et constitués prisonniers en la grosse Tour de Bourges, tous
droits et moyens étant réservés au Procureur général du Conseil pour prendre
ses conclusions contre eux en raison de cette très grave affaire. Le 27
octobre, le Grand Conseil, le Procureur Général ayant été entendu en ses
conclusions et réquisition, rendit un arrêt définitif adjugeant tel profit de
défaut que de raison au Procureur général de la Chambre du Trésor contre
lesdits Henry et Geoffroy Cœur, disant que les appelants sont déchus de leur
cause d'appel ; qu'il avait été bien jugé par les conseillers du Trésor et
mal appelé par les appelants ; que la sentence .dont il avait été sans raison
appelé, serait mise à exécution selon sa forme et teneur. Et
statuait sur l'offense grave commise par Henry Cœur, Jean Chastain, Jean
Alabat et Pierre Dubost dit : que les appelants tortionnairement et au mépris
du Roy et de son Conseil ont appelé dudit Conseil ; que cette appellation
n'est pas recevable et qu'ils n'ont pu la faire valable-mnt. Pour réparation,
condamne Henry Cœur comme partie principale en trente livres d'amende, Jean
Chastain en vingt livres, et, en ce qui concerne Jean Alabat et Pierre
Dubost, dit que la prison préventive soufferte par eux suffirait pour leur
amende encourue. Puis le 4 novembre 1455, le Procureur général en la Chambre
dii Trésor, obtint une nouvelle commission du Grand Conseil pour assigner
Henry et Geoffroy Cœur par-devant les Conseillers de ladite Chambre du Trésor
pour faire déclarer si dans les biens criés et subhastés de Jacques Cœur
étaient compris les biens propres de Macée de Léodepart, sa feue femme : pour
en ce cas les déclarer non incorporés et en ordonner la distraction au profit
et en faveur desdits Henry et Geoffroy Cœur, ses enfants. Cette
commission fut signifiée par huissier le lendemain et le 7 du mois de novembre
Henry et Geoffroy Cœur passèrent procuration à Guillaume de Besançon pour
faire la déclaration desdits biens. Le 2
décembre 1455, Guillaume Besançon, procureur de Henry et Geoffroy Cœur, fit
la distraction des biens criés et subhastés de Jacques Cœur d'avec les biens
propres de Macée de Léodepart lesquels consistaient : 1° En une rente et une
maison, toutes deux situées en la ville de Bourges ; 2° En un domaine situé
en ; la paroisse de Bussy. Dès
lors, ce fut la curée : Chacun des juges s'octroya sa part et portion des
biens du malheureux argentier qu'ils avaient injustement condamné. Le 5
décembre 1455, en effet, les criées et adjudication des terres et seigneuries
de la Motte et de Boisy, d'une maison forte à Saint-Haon, de la moitié des
seigneuries de Roanne et de Saint-Haon furent tranchées par lesdits
Conseillers en la Chambre du Trésor Royal en faveur de Messire Guillaume
Gouffier, premier chambellan du Roy, plus offrant et dernier enchérisseur
moyennant la somme de dix mille écus d'or à payer au Trésor, pour en jouir
par lui héréditairement et à perpétuité. La
cupidité de Guillaume Gouffier n'avait pu attendre ce dernier arrêt qui
dépossédait définitivement sa victime. Déjà le 20 janvier 1454, avant même la
solution du procès dont il était sûr, n'osant agir directement, il avait passé
procuration à Ytier de Puygirand, notaire royal, pour en son nom et place
porter enchère sur les dites seigneuries de Boisy et de la Motte et sur la
moitié des seigneuries de Roanne et de St-Haon, de dix mille écus d'or, cette
enchère étant faite et enregistrée par-devant la Chambre du Trésor Royal à
Paris. L'arrêt
rendu le 5 décembre 1455 par cette Chambre n'était donc autre chose que la
confirmation de cette enchère déjà faite et acceptée. Les
autres conseillers juges : ces vautours de la Cour, comme les appelle La
Thaumassière, ne restaient pas en retard. Antoine de Chabannes se faisait
confirmer la propriété de la seigneurie de St-Fargeau et des baronnies de
Toucy et des Perreuses en pays de Puisaye avec leurs appartenances et
dépendances dont il était déjà en possession[17]. La terre de Moreton-Salon en
Berry était dévolue à Antoinette de Maignelaie, dame de Villequier, qui
l'avait gagnée par ses fourberies, ses intrigues et ses calomnies. Dammartin,
de Canillac et de la Fayette obtenaient sans bourse délier, remise de leur
dette envers Jacques Cœur, soit chacun de deux mille écus d'or sans parler
d'autres avantages. Antoine d'Aubusson, Otto Castellani, Georges de la
Trémoille obtinrent remise gratuite de pareille somme et chacun des juges eut
pour prix de sa lâcheté une part dans les dépouilles. Peut-être
pareilles ignominies et pareilles forfaitures eussent-elles soulevé
l'indignation de tous ? Mais les temps étaient trop troublés, le pays de
France souffrait encore de l'occupation anglaise et des ravages des bandes
pillardes ; d'autre part, la chute du grand Empire d'Orient et la prise de
Constantinople retenaient l'attention de tous. La
sentence passa pour ainsi dire inaperçue. Ruiné, condamné, déshonoré et
prisonnier, Jacques Cœur était mort civilement : il n'existait plus en
France. Si l'on
visite à Bourges le magnifique Hôtel de la Chaussée, on remarque au-dessus de
la porte, non seulement le bas-relief figurant les trois arbres : le pin,
l'oranger et le palmier entremêlés de plantes fleuries et présentant les mots
gravés sur la pierre : Dire, Faire, Taire, c'est-à-dire tout le programme
auquel Jacques Cœur a été fidèle, mais encore une singulière sculpture. Revêtu
de son costume traditionnel, le grand argentier de France est représenté
monté sur un mulet ferré à rebours. Que penser de cette anomalie et pourquoi
Jacques Cœur voulut-il qu'elle fut placée à l'entrée de sa maison ? D'aucuns
ont cru devoir avancer et soutenir que cette particularité se rapportait à
l'évasion de Jacques Cœur et au moyen de salut fort habilement employé, grâce
auquel les traces du fugitif ne purent être retrouvées. Certes, cette
explication est fort élégante et ingénieuse. Mais, laissons de côté cette
part de l'imagination : car il faudrait supposer ou bien que Jacques Cœur
était prescient de sa destinée, ou bien que cette sculpture ait été placée
postérieurement à l'évasion du château de Beaucaire, ce qui est inadmissible
puisque déjà les biens de l'argentier étaient passés dans les mains du Roy.
Ne cherchons donc pas la clef de l'énigme. En réalité, au mois de janvier
1455, Jacques Cœur était encore prisonnier au château de Beaucaire. Avec la
complicité du fidèle Jean de Village qui nie l'abandonnera plus, et de deux
de ses anciens facteurs, Guillaume Gymaut et Gaillaudet, il put s'évader et
gagner rapidement la Tour de Bouc où il prit la mer sur une de ses galères.
Ayant touché successivement Marseille et Pise il se rendit à Rome et se présenta
devant le pape Nicolas V auprès duquel il était déjà venu, durant l'année
1448, en qualité d'ambassadeur de France. Les temps étaient changés : néanmoins
le pape l'accueillit avec la plus grande bonté et l'admit au Palais. Nicolas
V, déjà vieilli, ne pouvait se consoler de la prise de Constantinople par
Mahomet et de la chute de l'Empire d'Orient. Il prévoyait encore de plus
grands revers pour la foi chrétienne. Sur les conseils de Jacques Cœur,
toujours entreprenant, il décida d'envoyer en sa qualité de chef. de l'Eglise
catholique et de chef de l'Etat romain, des légats dans les diverses Cours,
d'Europe pour appeler aux armes tous les princes chrétiens et entreprendre
une nouvelle et dernière croisade. Seul de
tous les souverains pressentis, le duc de Bourgogne offrit au Saint Père
quatre galères équipées et armées. Nicolas V se vit dans la nécessité de
renoncer à son projet et mourut de chagrin. Ce fut son successeur Calixte III
qui, sur les fonds du Trésor pontifical fit prélever deux cent mille écus
d'or et armer une flotte de seize galères. Jacques Cœur fut investi du
commandement en chef et partit avec ses vaisseaux pour la mer Egée. Successivement,
il fut toucher Rhodes, Lesbos, Lemnos, Thases et enfin Chio. C'est
dans cette île qu'il fut débarqué mourant pendant les premiers jours de
novembre 1456. —o—o—o—o—o— ÉPILOGUE
La
nouvelle de la mort de Jacques Cœur parvint en France au début de l'année
1457. Ses enfants firent alors une nouvelle demande auprès du Roy qui reçut
requête de l'archevêque de Bourges et de ses frères ainsi que de Guillaume de
Varic, le principal des facteurs de Jacques Cœur déjà anobli, et dont les
biens avaient été confisqués et mis en la main du Roy. En
souvenir des services rendus par son argentier et en repentir de sa conduite,
Charles VII rendit, le 5 août 1457, à Courceilles près Souvigny, les lettres
patentes suivantes qui étaient un legs en réparation des injustices commises : Désirant
pourvoir auxdits enfants et aussi audit Guillaume de Varic afin qu'ils
puissent mieux et plus honorablement vivre et trouver leur provision en
mariage ou autrement, quitte et transporte à Renaud et Geoffroy Cœur et à leurs
successeurs et ayant cause : les maisons de Bourges qui appartenaient à
Jacques Cœur leur père, ensemble toutes les autres maisons, places, jardins
et rentes assises en ladite ville de Bourges, terres, près et héritages assis
à l'entour et généralement au pays de Berry qui n'ont été adjugés par décret
à ceux qui les ont mis à prix ; deux grandes maisons situées à Lyon, les mines
d'argent, plomb et cuivre de la montagne de Pompalieu et de Cosne, et le
droit que le Roy avait des mines de Chessière, St-Pierre-Ia-Palud et de
Rose-sur-Tarare, sans aucune chose réserver en icelles. Item
: avecque et outre les choses dessus dites, le Roy donne par ces présentes
auxdits Renaud et Geoffroy Cœur et à Guillaume de Varic ; c'est à savoir, à
chacun par tiers : toutes les dettes, actions et biens meubles qui
appartenaient à feu Jacques Cœur tant par lettres et cédules que par les
papiers et autres enseignements qui furent dudit Cœur, quelque part que
soient lesdites dettes et biens tant dans le royaume que dehors qui ne sont
venues au profit du Roy ou au profit de ceux en faveur desquels il en avait
disposé et veut le Roy que lesdits Renaud et Geoffroy Cœur et de Varic en
puissent faire action, demande et poursuite et qu'ils soient à ce faire reçus
en jugement et débas comme eussent esté lesdits Jacques Cœur et Guillaume de
Varic avant la prononciation de l'arrêt. Toutefois
le Roy se réservait pour en ordonner à son plaisir les sommes de deniers que
Jacques Cœur avait prêtées à différentes personnes dont les noms sont
spécifiés dans une longue liste de gens de tout état à la tête desquels était
le comte de Foix pour 2.985 écus d'or. Dans cette liste très longue on peut
lire les noms d'évêques, de maréchaux de France, de chambellans du Roy,
d'échansons et de secrétaires du Roy, de maîtres des requêtes et des
lavandières. Jacques Cœur, dont la générosité égalait la richesse, avait
obligé tout le monde. Mais le
Roy, en donnant par une grâce spéciale et une pure libéralité, aux enfants de
Jacques Cœur, qu'il regarde toujours dans cet acte comme justement condamné,
déclare en même temps qu'il entend : Que
l'archevêque de Bourges (c'est-à-dire Jean Cœur), Maistre Henry Cœur (d'abord
chancelier de l'église de Bourges), Renaud et Geoffroy Cœur ses fils, Perrette Cœur,
femme de Jacques Trousseau, sa fille ; aussi bien que Guillaume de Varic,
renonceront à tous les biens qui furent dudit Cœur et ne pourront jamais
aucune chose demander au Roy ni à autres pour raisons des biens dudit feu
Jacques Cœur et dudit Guillaume de Varic, prises de par lui, soit à cause de
la succession de la femme dudit feu Jacques Cœur, mère desdits enfans, ni autrement
en quelque manière que ce soit. En
conséquence de ces lettres patentes du Roy, Jean Cœur, archevêque de Bourges ;
Henri Cœur, alors doyen de l'église de Limoges ; Renaud et Geoffroy Cœur,
ainsi que Guillaume de Varic donnèrent leurs lettres de renonciation à tous
les biens qu'ils pouvaient répéter encore et les présentèrent eux-mêmes aux
gens des comptes et trésoriers de France. Ces
derniers, par lettres enregistrées en date du trois octobre 1453, ordonnèrent
à tous les officiers et justiciers du Roy de laisser jouir desdites cessions
paisiblement et publiquement Renaud et Geoffroy Cœur ainsi que Guillaume de Varic. C'était
une première étape dans la voie de la révision. Or, le 23 juillet 1461,
Charles VII mourut, délaissé des siens et dégoûté de sa propre vie. Il
laissait le trône de France à son fils qui avait alors 38 ans et résidait au
château de Genappe en Hainaut, dans les Etats du Duc de Bourgogne. Louis XI
n'avait ni les mêmes idées ni les mêmes favoris que son père. Antoine de
Chabannes, tout puissant jusqu'alors, tombait en disgrâce, et les enfants de Jacques
Cœur jugèrent l'occasion favorable pour revenir contre un arrêt donné par le
feu Roy. Jean
Cœur, l'archevêque de Bourges, rédigea un mémoire qu'il fit envoyer à sept
avocats au Parlement de Paris : Fradet, La Réaulté, Luillier, Simon, Fournier,
Le Maire et Besançon. Tous
les sept furent d'accord qu'il y avait dans le procès injustice et iniquité
manifeste ; que la révision s'imposait et serait prononcée. Mais leur
désaccord fut complet sur la procédure à suivre et la manière de revenir contre
l'arrêt. Fradet, nommé rapporteur, émit l'avis que les enfants
Cœur n'arriveraient à faire rétracter l'arrêt du Grand Conseil du Roy en
relevant les applications déjà interjetées par Jacques Cœur lui-même. Etant
donné : que la sentence avait été donnée par le Roy lui même par forme
d'arrêt a quo non appellatur ; Qu'on
devait, en conséquence, venir par supplication et par proposition d'erreur ;
que du reste, cette voie était bien plus rapide puisque le procès serait jugé
ex eisdem actis. Si au contraire on procédait
par la voie du relèvement des appellations déjà faites, il faudrait
recommencer les enquêtes et cette procédure serait interminable. La Réaulté
partageait l'opinion de Fradet. Faire venir le procès devant le Parlement
était dangereux. La plupart des notables conseillers et plus influents
avaient gardé si grande et bonne opinion du feu Roy que jamais ils ne
voudraient restreindre ou rétracter une sentence rendue par lui ; que du
reste le procès avait été conduit par des gens de grande autorité, en grand
nombre et après mûre délibération. Il conseillait donc comme Fradet que les
enfants Cœur réussissent par forme de grâce telle qu'il plairait au Roy leur
faire, pour la restitution des biens de leur père. Simon
ne fut point de l'avis des deux premiers opinants. Il conclut : Qu'on
ne devait revenir par le moyen de relever les deux appellations interjetées
par Jacques Cœur, lesquelles ses dits enfants relèveraient comme héritiers au
nom de leur feu père ; qu'ils relèveraient également les appellations qu'ils
avaient eux-mêmes interjeté après la mort de leur père et seraient relevés du
laps de temps et de la renonciation, si aucun en avaient faite du temps du
feu Roy et impètreraient encore un examen à futur pour faire examiner témoins
vieux et valitudinaire et par autres lettres pendant le procès serait mandé à
la Cour que ledit examen fut joint audict procès pour y avoir tel égard que
de raison. Cet
avis fut partagé par Luillier, Fournier, Le Maire et Besançon. La procédure indiquée
allait commencer quand, le 20 avril 1463, Antoine de Chabannes fut condamné
au bannissement et ses biens furent confisqués et mis sous main du Roy. Geoffroy
Cœur, qui avait été nommé valet de chambre de Louis XI en profita pour
demander au Roy la remise en possession de ses biens. Il agissait seul, car
son frère Renaud était mort sans postérité et ses frères Jean et Henry, étant
ecclésiastiques lui avaient déjà fait cession de tous leurs droits. Le 29
décembre 1461, les héritiers Cœur obtinrent du Grand Conseil des lettres qui
les relevèrent du laps de temps et leur permirent de poursuivre l'appel de
leur père et de faire entendre tous témoins utiles. En même temps, Geoffroy
Cœur s'était transporté en pais de Puisaye et s'était mis en possession de tous
les châteaux, forteresses, seigneuries, terres et meubles d'Antoine de
Chabannes. Les 8
janvier, 12 et 18 février 1462, des exploits d'assignation à comparaître en
la Cour du Parlement furent données aux commissaires enquêteurs. Sur ces
assignations, le 4 mars 1462, le Roy donna des lettres de jussion à sa Cour
de Parlement pour qu'elle eut à recevoir les héritiers Cœur suppliants et
appelants de l'arrêt rendu en Grand Conseil par le Roy Charles VII. Guillaume
Gouffier fit alors déposer des écritures par ses avocats pour voir dire par
le Parlement que, dans le cas où par impossible, les héritiers Cœur
réussissaient dans leur appel, cette réussite ne pourrait en rien préjudicier
à ses droits judiciairement établis. Le
procès s'ouvrit à huis clos au Parlement, le 20 mai 1462. Me Haslé, avocat des
héritiers Cœur, appelants, fit l'historique du procès, s'étendit en louanges
sur Jacques Cœur, démontra son innocence et put établir la nullité de la
procédure. M. de Ganay, avocat parlant pour le Procureur du Roy soutint
l'importance de la matière et la non-recevabilité des appels. Le procès ayant
été fait par des commissaires délégués de Sa Majesté, qui par l'advis d'aucuns de son sang, de tout son Grand Conseil,
avaient donné leur jugement, dont Jacques Cœur lui-même n'avait point appelé,
acceptant la sentence, que au contraire le jugement avait reçu exécution, sur
quoi et par plusieurs autres moyens il établit les fins de non recevoir. M.
Haslé fit longue réplique : Il y eut alors
appointement à mettre devers la Cour le procès et tout ce que les parties
voudraient et au Conseil. Le quatre juin suivant il y eut le même
appointement sur les lettres des appelants qui furent jointes au procès
principal. Le
Parlement ne voulut pas se prononcer au fond sur les appellations ni sur les
lettres obtenues de Louis XI. Antoine
de Chabannes s'était sauvé de la Bastille et, en 1465, alla rejoindre les
princes révoltés dans la Ligue du Bien public. Du Bourbonnais, il s'avança
sur St-Fargeau, fit prisonnier Geoffroy Cœur et se remit en possession de ses
biens. Lors de
la paix, il fut rétabli dans cette possession : c'était une des conditions du
traité. Geoffroy Cœur tenta de nouvelles démarches mais inutilement et les
choses restèrent en l'état même après la mort de Jean Cœur, archevêque de
Bourges, survenue le 29 juin 1482. Louis
XI décédait à son tour, dans la paix du Seigneur, disent les vieux auteurs,
le 30 août 1483, 'disant avec angoisse : Notre-Dame d'Embrun, ma bonne
maîtresse, ayez pitié de moi ! Misericordias
Domini in æternum cantabo. Peut-être avait-il beaucoup à se faire pardonner ? Charles
VIII, jeune et généreux, prenait le pouvoir royal. Il inaugurait son règne
par la convocation des Etats généraux de 1484, n'ayant en vue qu'une grande
réforme politique et qu'un régime de liberté et de légalité[18]. Les
enfants de Jacques Cœur qui avaient gardé le silence sans désespérer jamais,
jugèrent le moment favorable pour demander la révision du procès de leur père
et solliciter du Parlement sa réhabilitation. A cet
effet, le 11 janvier 1486, ils présentaient requête aux Premier Président,
Présidents et Conseillers, tous composant la Cour du Parlement de Paris pour
voir dire les débats ouverts et prononcer ensuite la nullité de la sentence
prononcée contre Jacques Cœur par le Grand Conseil du Roy, "le 29 mai
1453. Me de Ganay, avocat en Parlement et leur défenseur, posait et
développait dans ses conclusions les moyens suivants : 1° Les
informations contre Jacques Cœur avaient été faites par Otto Castellani[19], ennemi juré et capital dudit
Cœur ; 2° De
plus, Otto Castellani avait été du nombre des commissaires qui firent son
procès ; 3° Ceux
qui s'étaient dits commissaires n'avaient jamais reçu de commissions
régulières et n'avaient eu, par conséquent aucun pouvoir ; 4° Ni
le droit, ni la forme n'avaient été respectés dans la procédure ; 5°
L'arrêt définitif rendu contre Cœur ne portait ni absolution, ni condamnation
du crime de l'empoisonnement suivi de la mort d'Agnès Sorel, dont on
l'accusait ; 6° Il
n'y avait point été fait droit quoique le même jour il y eut eu sentence rendue
contre Jeanne de Vendôme, épouse de Montbéron, par laquelle elle fut déclarée
avoir faussement et méchamment accusé ledit Cœur de ce crime d'empoisonnement
; 7° Le
procès de Jacques Cœur avait été fait et s'était poursuivi de château en
château et de place en place, et non en un lieu convenable où la procédure
eut été régulière et la défense possible et assurée ; 8° Les
commissaires irrégulièrement institués n'avaient fait aucun examen ni aucun
droit sur les titres de cléricature et de tonsure dont Jacques Cœur était
pourvu, que de ce fait, ils étaient des juges incompétents et n'avaient pu
connaître du procès ; 9°
Ainsi : par tous ces moyens et par les fausses accusations dont la jalousie,
la haine et la malignité des ennemis de Cœur l'avaient chargé, l'arrêt rendu
contre lui était nul. La
procédure ayant suivi régulièrement et le dépôt des pièces ayant été effectué
au greffe, Charles, sur les observations de son Conseil, se fit communiquer
tout le dossier dont il fut dressé inventaire. Pour
éteindre cette affaire qui eut été un scandale, le Roy rendit, le 15 juin
1486, à Troyes, où il se trouvait alors, des Lettres patentes interdisant aux
héritiers Cœur de se porter par voie d'appel devant le Parlement de Paris
contre le jugement rendu le 29 mai 1453 contre Jacques Cœur. Bien
plus, le 25 janvier 1487, il réunit solennellement son Grand Conseil et fit
venir les Premier Président et Conseillers de la Cour du Parlement. Tous
ayant pris place devant Sa Majesté : le chancelier de France, Guillaume de
Rochefort se leva et fit un long exposé touchant l'incident pendant en la
Cour du Parlement ; Entre : M. le Procureur général, demandeur et requérant
l'entérinement pur et simple des lettres patentes du Roy, d'unie part ; Et :
Messire Geoffroy Cœur, chevalier, défenseur à cet entérinement et appelant
d'un arrêt rendu par le Roy Charles VII en son Conseil contre Jacques Cœur,
son père, d'autre part ; Ces
qualités posées, le chancelier conclut ainsi : Pour
conserver l'autorité et la souveraineté royale, l'intention formelle de Sa
Majesté était de ne point permettre que ledit Geoffroy Cœur ou d'autres
fussent reçus à interjeter appel de l'arrêt ou jugement définitif donné par
ledit feu Roy Charles VII en son Conseil contre ledit Jacques Cœur. Mais que
si ledit Geoffroy Cœur voulait objecter quelque chose contre ledit arrêt, il
y vint, par voie de supplication et de proposition d'erreur en la manière
accoutumée et suivait les ordonnances royales. Que de
cette manière, Sa Majesté le recevrait volontiers pourvu que le jugement qui
interviendrait sur ce point fut rendu en sa présence, dans son Conseil et non
ailleurs. Et du
tout, le Chancelier requit acte, déclaration et inscription sur les registres. C'était
l'enlèvement de la juridiction ; au Parlement et par conséquent l'échec
définitif de toute tentative de réhabilitation. Geoffroy Cœur étant décédé,
il intervint le trois septembre 1489 sur le désir du Roy lui-même la
transaction suivante qui éteignait toutes discussions. Entre :
Haut et puissant seigneur Jean de Chabannes, comte de Dampmartin, baron de
Toucy et de Tours en Champagne, seigneur de Constenay de Villeneuville, Montesfilloniruet
et du pays de Puisaye, fils et héritier de feu Antoine de Chabannes, comte de
Dampmartin, seigneur desdits lieux, grand maître d'hôtel de France, d'une
part ; Et :
Noble dame Ysabeau Bureau, veuve de feu noble Geoffroy Cœur, seigneur de la
Chaussée, tant en son nom que comme mère et tutrice de leurs enfants, d'autre
part ; Touchant
le procès pendant au Parlement entre ledit feu Geoffroy Cœur et ledit feu Antoine
de Chabannes qui, sous prétexte de l'arrêt rendu par le feu Roy Charles VII
en son grand Conseil, le 29 mai 1453 contre feu Jacques Cœur, s'était mis
el1l possession des seigneuries de St-Fargeau, Toucy, Saint-Maurice, Perreuse
et autres seigneuries situées en pays de Puisaye appartenant audit feu
Jacques Cœur, père dudit Geoffroy. Duquel
arrêt ce dernier avait appelé au Parlement, relevé son appel et poursuivi
contre le Procureur général du Roy de manière que les parties étaient depuis
longtemps appointées en droit en ladite Cour et le procès prêt à être jugé. Au
moyen duquel ladite veuve comme mère et tutrice de ses enfants, prétendait
recouvrer lesdites seigneuries dudit Jean de Chabannes comme héritier de son
père, ainsi que les autres seigneuries dudit feu Jacques Cœur qui étaient
possédées par plusieurs autres personnes en divers lieux. Ledit
Jean de Chabannes soutenait qu'il était légitime possesseur desdites seigneuries
par ce qu'en vertu de l’arrêt rendu par Charles VII contre feu Jacques Cœur :
toutes ses seigneuries et entre autres celles du pays de Puisaye avaient été
mises en criées et subhastations à la requête du Procureur général du Roy, de
telle manière que lesdites seigneuries de St-Fargeau, Toucy, St-Maurice, Perreuse
et autres étant au pays de Puisaye avaient été vendues et adjugées par décret
en l'auditoire de la Chambre du Trésor à Paris dès l'an 1454 au profit dudit
Antoine de Chabannes, son père, moyennant unie grosse somme d'argent. Par
laquelle transaction ; Ledit Jean de Chabannes cède à perpétuité à ladite
dame et aux héritiers dudit feu Geoffroy Cœur, la rente annuelle et
perpétuelle de quatre cents livres tournois et, en conséquence leur laisse et
délaisse la terre et seigneurie de Beaumont ave toutes ses appartenances et
dépendances comme représentant deux cents livres de rente et pour les deux
cents livres de rente restantes, il les leur assigne sur des rentes et fonds
de terre situés dan% le vicomté de Paris. Au
moyen de quoi : ladite dame et lesdits héritiers de Geoffroy Cœur se
désistent en faveur dudit Jean de Chabannes de tous les droits qu'ils avaient
à prétendre sur lesdites seigneuries sans préjudice des droits qu'ils ont ou
pourront avoir sur les autres terres dudit Jacques Cœur, possédées par divers
particuliers en divers lieux. Et-ont signé les notaires : Lemaire et de
Montrailloin. Le
procès de Jacques Cœur était définitivement terminé. L'injustice était consacrée.
Les petits-fils étaient vaincus dans la lutte comme l'avait été l'ancêtre
lui-même. On transigeait déjà au XVe siècle sur les questions les plus
graves. Peut-on s'étonner qu'on transige aussi facilement aujourd'hui soit en
morale, soit en politique ? Non à coup sûr ! L'intérêt
n'a-t-il pas été toujours et n'est-il pas encore aujourd’hui la base de toutes
les actions humaines ? FIN DE L'OPUSCULE
|
[1]
Un certain nombre d'auteurs dont : La Thaumassière, Godefroi, le Père Daniel et
quelques autres, sont d'accord pour dire que Jacques Cœur, ayant reçu de ses
facteurs Guillaume de Vaire et Jean de Village une somme de 60.000 écus d'or,
se retira dans l'île de Chypre où il fit fortune et put marier richement, par
la suite, deux filles qu'il avait eues d'une dame du pays, nommée Théodora.
Ce récit fantaisiste est dû à André Thevet, voyageur
qui vivait sous le règne de Henri Ier et qui, de son temps déjà, était décrié
pour son ignorance et ses mensonges.
André Thevet poussa l'impudence jusqu'à déclarer avoir
vu lui-même, dans l'île de Chypre, le tombeau de Jacques Cœur portant cette
épitaphe :
Hic jacet : Jacobus Cordatus, civis Bituricensis.
Cette version est démontrée fausse : Jacques Cœur resta
durant toute l'année 1455 à Rome auprès du Pape et mourut au mois de novembre
1456. Il est donc impossible d'admettre qu'il ait pu vivre à Chypre, faire une
grande fortune, s'y marier et établir richement ses deux filles durant un si
court espace de temps.
Au reste Jean d'Auton, historien de Louis XII qui avait
vécu dans l'intimité des enfants de Jacques Cœur, après avoir raconté
l'expédition des Français dans l'île de Mytilène (Matelin) en 1501, dit : que leur flotte aborda l'île de Chio pour y descendre les
malades dont quelques-uns moururent et furent enterrés dans l'église des
Cordeliers, auquel lieu est pareillement ensepulturé Jacques Cœur dedans le
milieu du chœur de ladite église.
[2]
Pierre Clément : Jacques Cœur et Charles VII ou la France au XVe siècle.
L'auteur dénombre la fortune de l'argentier, soit : trente-deux
terres ou seigneuries en différents lieux, 1 hôtel à Bourges, 2 maisons à
Paris, 4 maisons et deux hôtels à Lyon, maisons et châteaux à Beaucaire,
Béziers, Marseille, Montpellier, St-Pourçain.
Il ne tient pas compte des mines d'argent, de plomb et
de cuivre de Tarare, Chessy, Pompalieu, etc...
Il le porte créancier de sommes importantes sur
quarante-deux personnages ou officiers royaux.
L'argentier du Roy n'était pas le surintendant des
finances : c'était celui à qui les trésoriers royaux étaient obligés de
remettre, tous les ans, une certaine somme des revenus du Roy, pour être
employée aux dépenses de sa maison et l'argentier était tenu d'en rendre compte
à la Chambre des Comptes. Etienne de la Fontaine, qui exerçait cet office en
1351, n'avait que quatre cents livres de gages. Glossaire de du Cange. Voir : Argentarius.
Les fonctions de Jacques Cœur étaient plus amples ; il
était le banquier de la Couronne et de l'Etat.
[3]
Voici, parmi les subtilités dont parle Chartier, 'la manière de Jacques Cœur
pour trouver et équilibrer son budget :
On dit qu'il trouva, par la
songneuse reserche qu'il fist de l'estat des finances du Roy, qu'au royaume de
France il y avait dix sept cent mil clochiers, prenant chacune ville pour un
clochier, dont il rescindait (retranchait) pour pays gasté ou autrement sept
cent mil et par ainsi demeurait un million de clochiers. Et a prendre sur
chacun clochier, le fort portant le faible, vingt livres tournoys par an pour
tous aydes, tailles, impositions et huictiemes, se monte en somme, par chacun
an, vingt millions qui satisferont à ce qui s'ensuyt :
Premierement : pour, la
despence de l'hostel du Roy, par chacun jour, mil livres tournoys, qui sont par
an trois cent dix mil livres tournoys. Autant pour la despence de l'hostel de
la Royne et ses dames et autant pour la despence des enfans, s'il en a.
Pour entretenir en estat : les
villes, forteresses et chasteaux du royaume, par chacun an, ung million. Pour
les gaiges de vingt mil hommes d'armes, tant hyver que esté, pour chacun homme
d'arme, par an, six millions deux cent trois livres tournoys ; pour les gaiges
des officiers, ung million par an ; pour donner aux chevaliers, escuyers et
autres, pour leurs mérites et récompenses, ung million par an ; pour donner aux
estrangiers comme ambassadeurs et plusieurs gens alliés, ung million par an ;
pour les engins de guerre, trois cent mil livres par an ; pour entretenir gens
sur mer, deux millions par chacun an qui est en tout quinze millions quatre
cent vingt six mil livres tournoys.
Et par ainsi demeurait encore
au Roy, a mettre en son espargne, ou pour augmenter le nombre de ses gens de
guerre, quatre millions cinq cent soixante quatorze mil livres, par an, sous
son domaine.
Jehan Bouchet, de Poictiers.
Panégyrique du chevalier sans reproches, Louis de la
Trémouille.
Jacques Cœur ajoutait à ces ressources déjà puissantes,
celles de sa k fortune personnelle.
[4]
Thomas Basin, écrivain du XVe siècle, rencontre en 1432, à Damas, Jacques Cœur
et trace de lui ce portrait :
C'était un homme sans lettres,
de famille plébéienne, mais d'un esprit grand et ingénieux, très versé dans les
habiletés de son siècle. Le premier en France, il fit construire et équiper des
navires qui transportaient en Afrique et en Orient, des étoffes de laine et
autres productions de ce royaume, pénétraient jusqu'en Egypte et en rapportaient
des étoffes de soie et toutes sortes d'épices qu'ils distribuaient non
seulement en France, mais en Catalogne et dans les pays voisins, tandis1
qu'auparavant c'était par les Vénitiens, les Génois et les Barcelonais, que ces
denrées arrivaient en France.
[5]
Boisy date de la fin du XIVe siècle, ayant été bâti par Humbert et Jean de
Boisy. Le donjon carré est la partie qui fut le plus habitée par Jacques Cœur.
Ce dernier avait certainement fait effectuer de grandes réparations au château.
Dans les bâtiments de l'Est, en effet, qui se composent d'une galerie ogivale,
les clefs de voûte sculptées portent les armes des Gouffier, des Genlis et de
Jacques Cœur.
Ces dernières sont des armes à enquerre (d'azur à la
fasce d'argent chargée de trois coquilles de sable et accompagnée de trois
cœurs de gueules). Ce blason fait échec à la loi héraldique qui veut qu'on
place couleur sur métal et non couleur sur couleur.
Voir : Roannais Illustré : Boisy, art de Verchère.
— Noélas : Légendes et traditions foréziennes.
[6]
Antoinette de Maiguelaie, veuve du sieur de Villequier, la même qui vécut
ensuite avec François II, duc de Bretagne, dont elle eut quatre enfants, était
la maîtresse de Charles VII. On lit à ce sujet dans les mémoires de du Clercq :
En ceste saison aussi audict an 1455, Mademoiselle de
Villeclerc, laquelle était très bien en la grâce du Roy et comme on disait, en
faysait le Roy ce qui lui plaisoyt , avait toujours trois ou quatre belles
filles ou damoiselles les plus belles qu'elle pouvoit trouver, et suivoient le
Roy partant en moult grand estat et bobant et tout aux depens du Roy.
[7]
François Ier, poète à ses heures, avait écrit sur un de ses livres ce quatrain
sur Agnès Sorel :
Gentille Agnés, plus d'honneur tu mérites
La cause etant de France recouvrer
Que ce que peut dedans un cloitre ouvrer
Close nonnain ou bien devot ermite.
[8]
Jacques Duclerc (historien du XVe siècle) donne cet aperçu sur Charles VII :
Le Roy Charles avant qu'il eût
paix avec le duc Philippe de Bourgogne menait moult sainte vie et disait ses
Heures Cannoniaires. Mais depuis la paix faite audit Duc — encore bien que le
Roy continuait au service de Dieu — il s'accointa d'une jeune femme laquelle
fut depuis appelée la Belle Agnès.
La paix faite avec le Duc de Bourgogne date de 1437.
Agnès Sorel avait à ce moment 27 ans.
Montaigne disait, avec son langage si précis : Que chascun se sonde au dedans, il trouvera que nos souhaits
intérieurs, pour la plupart, naissent et se nourrissent aux dépens d'autrui.
[9]
La misère de Charles VII avait été proverbiale et l'on se souvient de ce
quatrain de Martial d'Auvergne au sujet d'un grand dîner donné par le roi à
Lahire et à Poton de Xaintrailles :
Un jour que La Hire et Poton
Le venoient veoir pour festoiement
N'avoyent qu'une queue de mouton
Et deux poulets tant seulement.
[10]
Agnès Sorel s'était rendue à Jumièges pour apporter au Roy une lettre qui
portait le sceau du Dauphin et qui était adressée à Messire Jacques Cœur. Elle
remit cette lettre à la Reine en lui disant : Ah !
Madame, sauvez le Roy, sauvez la France, car tous deux sont en grand péril.
Mais ce qu'il y a de certain, c'est que Messire Jacques Cœur est innocent de
tout complot contre le Roy et lisons ce message, bien qu'il lui soit adressé.
Voici le contexte de la lettre :
Monsieur
l'argentier,
Dieu vous garde autant que je
le désire. Vous avez souvenir des différends qui s'élevèrent il y a quatre ans
entre mon très redouté père et moi pour cette entreprise tentée à Razilli
contre ceux de mon conseil. Aucuns disent contre sa personne royale, mais ceux-là
sont malavisés. L'affaire échoua par le fait de M. de Chabannes qui la redit au
Roy et s'ensuivit notre disgrâce. Depuis ce temps tout va de mal en pis et
votre advis sur ce point est conforme au nôtre. Si donc vous pensez toujours de
même, il n'est besoin de tant retarder pour chasser hors cette poignée de
mauvais conseillers qui, si on n'y met ordre, conduiront l'Etat en ruine de
finance et perdition d'honneur. J'ai des gens à moi qui, sur un signal, se
rendront où vous êtes et agiront sur ce que vous leur direz. Leur exemple en
attirera d'autres et s'il était besoin, vous vous feriez appuyer par l'anglais.
Sommerset entretient des
intelligences parmi les plus proches amis du Roy, je le sais. Plusieurs sont
donc en bonne voie de trahir, et si tel événement arrivait (ce qu'à Dieu ne
plaise) qui livrât notre honoré père et souverain aux mains de ses ennemis, il
faudrait d'abord laisser faire, pour aviser au moyen de le délivrer ; et ce soin
nous regarderait, puisque c'est nous alors qui serions, Roy de France.
La Reine remit cette lettre au Roy sur la demande de ce
dernier et en présence de Jacques Cœur. Après lecture, le Roy se tournant vers
Jacques Cœur la lui remit en tremblant. Cœur la lut et la rendit au Roy en
disant froidement : Cette lettre est un faux, Sire.
Jamais le Dauphin n'a écrit pareille infamie. On a volé son cachet et imité son
seing. Et il ajouta : Si le Dauphin me faisait
l'honneur de m'écrire, jamais il n'eût dit : Au besoin, faites-vous appuyer
par l'Anglais. Un fils de France a-t-il pu dicter cela. Tout cela n'est que
trahison.
Le Roy fut impressionné par les paroles de Jacques Cœur
et se tournant vers Agnès Sorel, lui demanda de préciser. Agnès protesta
vivement de l'innocence de Jacques Cœur qui devait ignorer et ignorait ce message
qui lui avait été remis à elle par un courrier disparu depuis. Le Roy déclara :
S'il est retrouvé, je le ferai pendre. Sans
dire autre chose, il s'en alla songeur.
Le coup habile imaginé par les adversaires de
l'argentier était porté et la faiblesse du Roy ne put le supporter.
On comprend tout le parti que plus tard le Grand
Conseil, à qui Cette lettre fut remise par le Roy, put tirer de cette
production. Antoine de Chabannes, qui était spécialement visé, fut le plus
ardent -et le plus odieux des accusateurs. Il parvint à persuader le Roy des
relations qui existaient entre le Dauphin et Jacques Cœur.
A la réflexion cependant, Charles VII qui connaissait
son fils, aurait dû comprendre que jamais un esprit aussi réfléchi que le
Dauphin aurait pu écrire une lettre aussi compromettante et li confier au
premier venu.
[11]
Archives de la Bibliothèque de la Ville de Roanne. Du 29 mai 1453 au 5 décembre
1455 (XVe siècle) :
Rouleau de vingt-huit membranes de parchemin formant
environ quatorze aunes, scellé du Grand Sceau, contenant les procédures et
condamnations prononcées par arrêt du Grand Conseil du Roy, en date du 29 mai
1453, contre Noble Jacques Cœur, argentier du Roy, seigneur de St-Romain-la-Motte,
Boisy et de la moitié des seigneuries de St-Haon et de Roanne dont les biens
furent confisqués et vendus au profit du Roy pour cause de crime de
lèse-majesté et de concussion ; contenant aussi les sentences du Conseil de la
Chambre du Trésor à Paris, touchant les crises subbastations et discussions
desdits biens et infirme la sentence d'adjudication desdites seigneuries.
Il serait fort intéressant de faire une étude parallèle
des procès des trois grands argentiers de France : Enguerrand de Marigny sous Louis
X le Hutin, Jacques Cœur sous Charles VII et Fouquet sous Louis XIV.
[12]
Le château de Lusignan sur la Vonne était une véritable forteresse. Au-dessus
de la principale entrée l'effigie de Geoffroy de Lusignan, dit Grande Dent,
était sculptée dans la pierre. D'après la tradition, l'origine du château
remontait à la fée Mélusine. Il comprenait trois grandes enceintes échelonnées
à deux cents pas de distance.
Brantôme parle du château de Lusignan avec admiration :
On pouvait dire que c'était la plus forte marque de
forteresse antique et la plus noble décoration vieille de toute la France. J'ai
ouï dire, a un vieux morte paye : Il y a plus de cinquante ans que quand l'empereur
Charles Quint vint en France (1539) on le passa par Lusignan pour la
délectation de la chasse des daims qui étaient là dedans un des beaux et
anciens parcs de France, à très grande foison ; qui ne put se saouler
d'admiration et de toute la beauté, la grandeur et le chef-d'œuvre de cette
maison, et faite, qui plus est, par une telle dame, de laquelle il se fit
plusieurs contes fabuleux qui sont là fort communs jusques aux vieilles bonnes
femmes qui lavaient la lessive à la fontaine que la reine Catherine de Médicis
mère du roi voulut aussi interroger et ouïr. Les uns disaient qu'ils la voyaient
venir à la fontaine pour s'y baigner en forme d'une très belle femme en habits
de veuve. Les autres disaient qu'ils voyaient, mais très rarement — et ce le
samedi après vêpres (car en cet état ne se faisait-elle guère voir se baigner),
moitié le corps d'une très belle femme, moitié de serpent.
[13]
Déposition de Jeanne de Vendôme : Une ombre s'est
glissée la nuit dans l'appartement de Dame Agnès où je couchais comme dame de
chambre. Le pêne de la serrure a cependant grincé. Cette ombre, bien
reconnaissable à sa démarche et à la forme particulière de l'aumusse qu'elle portait,
ne pouvait être que Jacques Cœur à qui toutes les portes et corridors du
monastère de Jumièges étaient connus, et j'offre de prêter serment de ce que
j'ai dit.
Le serment de Jeanne de Vendôme ne fut point requis.
L'aumusse était un chaperon rare.
[14]
Réale d'or ou Réal d'or : Valait trente sols tournois, c'est-à-dire une livre
et demie d'après les tersiens ; d'après d'autres dix-sept sols et six deniers
tournois.
[15]
Voici la teneur de cette lettre qui fut remise en mains du Roy à Bourges par
Jean de Village. Le Roy la passa au chancelier Guillaume Juvénal des Ursins qui
en donna lecture à haute voix.
Au lion, seigneur du monde,
grand comme St Georges qui tua le dragon, seigneur de la terre de France,
seigneur aumônier, roi des rois à qui toutes gens demandent licence, seigneur
de la mer et de la terre, très bien sailli d'hôtel, très-chrétien en nom de St
Jean qui baptisa Jésus-Christ, et de Notre-Dame ; ami des Mores et seigneur des
Mores, notre seigneur te donne santé et bonne vie. Charles, Roy de France, des
cités du Soudan, grand roi des rois Jamascq, Maher et Daher, seigneur sage,
guerroyeur et défenseur de la loi des Mores, grand soudan des Mores et de leur
foi, qui fait raison à chacun qui a guerre l'un contre l'autre, seigneur des
deux mers et de maintes terres, libéral aux esclaves de son pays des deux
églises saintes de Lameth et d'Abraham. Dieu croisse le mien et me donne bonne
vie et à tout mon peuple.
Au nom de Dieu soit fait et te
donne bonne vie, seigneur lion, dragon, loup, forticien, qui restes seul
chrétien au monde, oncle du seigneur qui porte la bannière jaune (le roi de
Hongrie) libéral, sage et miséricordieux, seigneur et conseiller des autres
seigneurs, seigneur de la mer et de la terre et de tous les chrétiens, puissant
à tous, mainteneur du baptême et défenseur de la bannière du Christ, Charles de
France, ami des Mores et de leurs seigneurs ; Dieu te maintienne en paix,
exauce tes prières et te laisse bien mourir.
Cette lettre te demande que tu
sois bien advisé : que nous soyons amis et bien d'accord.
Ton ambassadeur, homme
d'honneur-gentilhomme, lequel tu nommes Jean de Village, est venu à moi et m'a
présenté tes lettres avec le présent que tu m'as mandé et je l'ai reçu, et j'ai
fait toutes choses suivant ton désir, donnant licence à tous marchands pour
tous nos pays et ports de marine. Ledit ambassadeur est venu en grand honneur
et lui ai fait accueil, recevant son présent en grand amour et plaisir pour
l'amour de toi.
J'ai donc écrit et mandé à
tous les seigneurs de mes terres, et par spécial au seigneur d'Alexandrie,
qu'il fasse libre entrée aux marchands de ton pays, de préférence à tous autres
et sûre compagnie et bonne escorte aux pèlerins de France qui vont à Jérusalem
et à Ste-Catherine, car le tien ambassadeur m'en a prié. Il ne sera donc rien
exigé d'eux que les droits et us d'usage et nul sur Ma Majesté ne sera si osé
d'entreprendre davantage. Et le tien ambassadeur est retourné vers toi avec ma
présente réponse après avoir été de mes mains revêtu de robe d'or. Et je lui ai
remis pour toi en présent savoir : du baume fin de notre sainte vigne, un beau
léopard, trois écuelles de porcelaine de Chine, un plat de pareille porcelaine,
deux grands plats ouverts, deux jonques vertes de porcelaine, un lavoir pour
les mains et un garde-manger de porcelaine ouvrée, une jatte de fin gingembre
vert, une jatte de noyaux d'amandes, une jatte de poivre vert, des amandes,
cinquante livres de notre fin bamouguet et un quintal de sucre fin.
Dieu te mène a bon sauvement,
Charles, roi de France.
Voir à ce sujet la Chronique de Mathieu de Coussy.
[16]
Jacques Cœur était créancier non-seulement des courtisans, mais encore de la
famille royale elle-même. Signalons seulement les déclarations suivantes. La
première de Marguerite d'Ecosse, femme du dauphin plus tard Louis XI, écrivant
le 20 juillet 1445. Nous Marguerite, dauphine de
Viennois, confessons avoir reçu de Me Etienne Petit, secrétaire de Monseigneur
le Roy et receveur général de ses finances en Languedoc et Guyenne, deux mille
livres tournois a nous donnés par mondit seigneur et a nous baillées par les
mains de Jacques Cœur son argentier. Nous était naguère en Lorraine pour avoir
des draps de soie et martres pour faire robes pour notre personne. Une
pièce de 1450 au cabinet des titres de la Bibliothèque Nationale porte un reçu
de soixante mille livres donné par Jacques Cœur au receveur général de
Normandie pour restitution de semblable somme par moi
prêtée comptant audit seigneur au mois d'août l'an passé, pour le fait de la
rendication en son obéissance des villes et chastel de Cherbourg lors occupés
par les Anglais, anciens ennemis du royaume.
[17]
Au cours de l'année 1454, Antoine de Chabannes avait acquis en la Chambre du
Trésor à Paris ensuite de criées, toutes ces seigneuries moyennant une grosse somme
d'argent, dit le texte.
[18]
Les idées libérales et démocratiques ne sont pas l'apanage du régime
républicain qui se flatte de les avoir fait naître. Elles existaient déjà en
1484, si l'on s'en rapporte aux belles paroles prononcées lors de l'ouverture des
Etats Généraux à Tours, par Philippe Pot, seigneur de la Roche.
Trouverait-on aujourd'hui un esprit politique à la fois
aussi hardi et prudent, aussi conservateur et réformateur.
Je voudrais vous voir bien
convaincus que le gouvernement de l'Etat est l'affaire du peuple ; j'appelle
peuple non-seulement la foule de ceux qui sont simplement sujets de cette
couronne, mais encore tous les hommes de chaque Etat, y compris aussi les
princes. Dès que vous vous considérez comme les députés de tous les Etats du royaume,
pourquoi craignez-vous de conclure que vous avez été surtout appelés pour
diriger par vos conseils, la chose publique en quelque sorte vacante en raison
de la minorité du Roy ? Loin de moi l'intention de dire que le règne proprement
dit, la domination passe à quelque autre personne que le Roy ; c'est seulement
l'administration, la tutelle du royaume qui est attribuée pour un temps au
peuple ou à ses élus. Pourquoi tremblez-vous de mettre la main à la
disposition, à l'arrangement et à la nomination du Conseil de la couronne ?
Vous êtes ici pour dire et pour conseiller librement, ce qui, par l'inspiration
de Dieu et de votre conscience, vous croyez utile au royaume.
Georges Picot : Histoire des Etats Généraux. — Journal
des Etats Généraux de 1484, par Jean Masselin, chanoine, publié et revu par
Besnier.
[19]
Otto Castellani (Othon Castellain ou Chastellain) était un Florentin venu de
bonne heure en France où il avait fait grande fortune. Il avait été nommé Trésorier de Toulouse au moment où Jacques Cœur était
commissaire du Roy en Languedoc et sur les indications de ce dernier. A la
chute de Jacques Cœur, il fut un de ses plus ardents accusateurs et obtint ses
titres et place d'argentier du Roy.
Il n'en jouit que fort peu de temps car, accusé et
convaincu de malversations, il fut arrêté et incarcéré à Lyon, en 1455, par
Jean de la Gardette, prévôt de l'Hôtel du Roy, ce dernier se trouvant séjourner
dans cette ville.