1815

LIVRE II. — LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE ET LE RETOUR DU ROI

 

CHAPITRE IV. — LA MALMAISON.

 

 

I

L'empereur était encore à la Malmaison. A son arrivée, dans l'après-midi du 25 juin, il y avait été reçu par la princesse Hortense, qui avait quitté Paris la veille afin de tout mettre en ordre clans ce château inhabité depuis la mort de Joséphine. La petite suite de Napoléon s'installa dans les chambres, trop nombreuses pour elle, du premier étage. Il y avait le grand-maréchal Bertrand, les généraux Gourgaud et Montholon, le chambellan de Las Cases, les officiers d'ordonnance Planat, de Résigny, Saint-Yon, les quelques fidèles qui s'étaient offerts à former dans l'exil la Maison de l'empereur. Le service d'honneur et de sûreté était assuré par trois cents grenadiers et chasseurs du dépôt de la vieille garde établi à Rueil et par un piquet de dragons de la garde[1].

Dès le premier jour, les visiteurs affluèrent : les princes Joseph, Lucien et Jérôme, le duc de Bassano, Lavallette, le duc de Rovigo, qui avait pris la résolution de s'expatrier avec l'empereur, les généraux de Piré, de La Bédoyère, Caffarelli, Chartran. Napoléon reçut aussi le banquier Jacques Laffitte ; il le retint assez longtemps, et, tout en causant familièrement, il dit ces paroles qui éclairent l'histoire : — Ce n'est pas à moi, précisément, que les puissances font la guerre. C'est à la Révolution. Elles n'ont jamais vu en moi que le représentant, l'homme de la. Révolution. Napoléon était profondément triste, mais non abattu. Il exprima à chacun sa ferme résolution de partir pour Rochefort dès que l'ordre d'appareiller aurait été envoyé aux frégates qui devaient le conduire en Amérique[2].

Avant ces visites, à son arrivée même à la Malmaison, l'empereur avait dicté une proclamation ou plutôt un adieu à l'armée : Soldats, je suivrai vos pas quoique absent. Je connais tous les corps, et aucun d'eux ne remportera un avantage signalé sur l'ennemi, que je ne rende justice au courage qu'il aura déployé. Vous et moi, nous avons été calomniés. Des hommes indignes d'apprécier nos travaux ont vu dans les marques d'attachement que vous m'avez données un zèle dont j'étais seul l'objet. Que vos succès futurs leur apprennent que c'était la patrie pardessus tout que vous serviez en m'obéissant... Sauvez l'honneur, l'indépendance des Français. Napoléon vous reconnaîtra aux coups que vous allez porter[3]. Cette proclamation, qui ne pouvait qu'enflammer les soldats contre l'envahisseur, fut envoyée au président du gouvernement provisoire pour être communiquée aux troupes et imprimée dans le Moniteur. Fouché tremblait de rappeler à l'armée même le nom de Napoléon. Comme si elle l'avait oublié ! Il enfouit la pièce dans un tiroir2.

Sur le soir, le général Beker arriva à la Malmaison. Il avait pour mission ostensible de veiller sur Napoléon et pour mission secrète de le surveiller. Il fut reçu dans la jolie bibliothèque, toute revêtue de hautes vitrines de cèdre, incrustées d'ornements de bronze doré, qui servait de cabinet de travail à l'empereur. Beker était confus et peiné de sa mission. Il ne l'avait acceptée qu'à contre-cœur, et ce n'est pas sans trouble qu'il présenta respectueusement à l'empereur la lettre de service de Davout : — Sire, dit-il, voici un ordre qui me charge, au nom du gouvernement provisoire, du commandement de votre garde pour veiller à la sûreté de votre personne. L'empereur ne se méprit pas sur l'attention que Fouché et Davout portaient à sa sûreté. Il en eut une révolte qu'il maîtrisa vite. Il dit avec hauteur : — Je regarde cet acte comme une affaire de forme, et non comme une mesure de surveillance. Il était inutile de m'y assujettir puisque je n'ai pas l'intention d'enfreindre mes engagements[4].

Beker était ému jusqu'aux larmes : — Sire, c'est uniquement pour vous protéger que j'ai accepté cette mission. Si elle ne devait pas obtenir l'assentiment et l'entière approbation de Votre Majesté, je me retirerais à l'instant même. L'émotion sincère de Beker toucha l'empereur. Adoucissant sa voix, il lui dit avec bonté : — Rassurez-vous, général, je suis bien aise de vous voir près de moi. Si l'on m'avait laissé le choix d'un officier, je vous aurais désigné de préférence, car je connais depuis longtemps votre loyauté. Il l'entraîna dans le parc par la porte vitrée qui y donnait directement et commença de le questionner sur l'opinion de Paris, les espérances du gouvernement, les nouvelles de l'armée, les négociations. Au cours de cet entretien qui dura deux heures, Beker dit que l'empereur aurait mieux fait de rester à la tête de l'armée ; qu'il aurait gagné trois mois ; qu'en abdiquant conditionnellement en faveur de son fils, il aurait fort embarrassé son beau-père, l'empereur d'Autriche. L'empereur coupa court à ces niaiseries : — Vous ne connaissez pas ces gens-là ! Puis il exposa les raisons très légitimes de son retour à Paris. — Mais, conclut-il, il n'y a plus d'énergie. Tout est usé, démoralisé. Comment compter sur un peuple que la perte d'une seule bataille met à la discrétion de l'ennemi ?[5] L'empereur ne pouvait se faire à cette idée que la Chambre l'eût renversé parce qu'il avait perdu une bataille. Plus tard, il disait encore à Montholon : — Si j'avais été l'homme du choix des Anglais, comme je l'étais du choix des Français, j'aurais pu perdre dix batailles de Waterloo sans perdre une seule voix dans les Chambres[6].

Bien que la nuit fut venue depuis longtemps, Napoléon continuait sa promenade dans le parc, sous le ciel profond, scintillant d'étoiles. Ses paroles embrassaient k présent et l'avenir. Il semblait moins affecté de sa position que Beker ne l'était lui-même et paraissait avoir oublié son empire. Quand il parlait de lui, c'était pour causer de sa retraite projetée en Amérique, des moyens de gagner les Flats-Unis, des prétentions que les Alliés devaient avoir sur sa personne. — Il me tarde, disait-il, de quitter la France pour échapper à cette catastrophe dont l'odieux retomberait sur la nation. En rentrant au château ses derniers mots furent : — Qu'on me donne les deux frégates que j'ai demandées, et je pars à l'instant pour Rochefort. Encore faut-il que je me rende convenablement à ma destination sans tomber aux mains de mes ennemis[7].

L'empereur, inoccupé et sans espoir, passa la journée du lendemain dans la rêverie et le souvenir. La Malmaison était encore telle qu'il l'avait habitée pendant le Consulat. C'était la même distribution des appartements, le même décor néo-grec, les mêmes meubles, les mêmes statues, les mêmes tableaux, et, dans le parc, les vastes pelouses, les corbeilles de fleurs, les arbres exotiques, les taillis de sureaux et de lilas, les futaies d'ormes, d'acacias et de hêtres, les sources nombreuses, les petites rivières, l'impression de fraîcheur et de calme. L'empereur retrouvait les sites et les intérieurs qui lui étaient familiers, l'allée de tilleuls, l'étang aux cygnes, le temple antique, la salle du conseil avec des trophées d'armes peints en trompe-l'œil, le salon décoré de scènes d'Ossian par Gérard et par Girodet, son cabinet de travail où tout était religieusement conservé dans l'état où il l'avait laissé, cartes déployées, livres ouverts, enfin sa petite chambre, attenante à celle de Joséphine. Chaque point de vue, chaque lieu, chaque objet le reportait à ses belles années du Consulat où les éclatantes faveurs de la Fortune séduite lui donnaient la croyance qu'il l'avait pour jamais asservie.

En 1815, aux mois d'avril et de mai, l'empereur était venu plusieurs fois à la Malmaison avec la princesse Hortense. Mais il était encore dans la lutte et dans l'espérance ; les souvenirs avaient moins d'action sur son esprit. Maintenant, ils le reprenaient tout entier. Il s'absorbait dans ces douces et mélancoliques évocations, oublieux du présent, revivant le passé. Tantôt il restait silencieux, ranimant et suivant dans sa pensée des ressouvenirs lointains. Tantôt il rappelait à Hortense, à Mme Caffarelli, à Bassano, avec une certaine volubilité, des scènes et des incidents domestiques qui s'étaient passés à la Malmaison. La vue d'une allée, d'une peinture, d'un guéridon, du moindre objet lui en donnait l'occasion en ravivant sa mémoire. Il redisait des paroles de Joséphine, répétait des plaisanteries de Lannes, de Rapp, de Junot, de Bessières, contait des épisodes des fêtes de nuit et des parties de barres. Pendant une promenade dans le parc, avec Hortense, il s'arrêta devant un massif de rosiers en pleine floraison, et dit, comme se parlant à lui-même : — Cette pauvre Joséphine ! je ne puis m'accoutumer à habiter ici sans elle. Il me semble toujours la voir sortir d'une allée et cueillir une de ces fleurs qu'elle aimait tant... C'était bien la femme la plus remplie de grâce que j'aie jamais vue ![8]

 

II

Trois fois depuis trois jours, Napoléon avait fait la demande formelle d'aller s'embarquer à Rochefort pour les Etats-Unis. Aux deux premières demandes, transmises verbalement par Bertrand, le 23 et le 24 juin, au ministre de la marine Decrès et communiquées par celui-ci à Fouché, le duc d'Otrante avait différé de répondre. Puis, le 25 juin, sans d'ailleurs donner à Decrès aucune instruction touchant l'appareillage des frégates, il avait fait demander par le ministre des affaires étrangères, dans une lettre officielle au duc de Wellington, des sauf-conduits pour Napoléon[9].

Fouché ne pouvait douter du refus de Wellington. Aussi des contemporains mêlés aux événements, Boulay, Thibaudeau, Rovigo, Lavallette, l'ont-ils accusé d'avoir fait cette démarche uniquement pour avertir les Anglais du départ projeté de Napoléon et les mettre à même de s'y opposer en renforçant leurs croisières sur les côtes de France[10]. Fouché ne saurait être entièrement disculpé[11] ; mais il semble que cet avis, au moins très imprudent sinon infâme, n'était pas le seul ni même le principal motif de la lettre à Wellington. Fouché comptait trouver dans l'attente des sauf-conduits un prétexte plausible aux retardements qu'il présumait devoir apporter au départ de Napoléon. Il voulait, par là, couvrir ses menées aux yeux des partisans et des amis que l'empereur avait conservés dans les Chambres et dans l'armée. Certes Fouché croyait que Wellington n'accorderait pas les sauf-conduits. Mais Napoléon et plusieurs personnes de son entourage, qui se faisaient comme lui beaucoup d'illusions sur la magnanimité britannique, n'étaient pas sans espoir. Le duc d'Otrante ne risquait donc point d'être incriminé pour une démarche qui, au sentiment même de l'empereur et de quelques-uns des plus fidèles bonapartistes, pouvait réussir. Et si, contre toutes ses prévisions, elle réussissait en effet, il serait heureusement dégagé par les Alliés eux-mêmes de la responsabilité de Napoléon, et il se proclamerait son sauveur. Chez Fouché, il y a toujours double jeu, trame superposée, lame à deux tranchants, masque de Janus bifrons.

Le général Tromelin, porteur de la lettre à Wellington, courait vers le quartier-général anglais, lorsque, le 2G juin, vers neuf heures du matin, Davout remit à Fouché la dépêche où Beker renouvelait, au nom de l'empereur, la demande des deux frégates implicitement par sa lettre à Wellington, Fouché voulait moins que jamais consentir au départ de Napoléon. Mais Davout regardait la présence de l'empereur à la Malmaison comme un grand embarras et même comme un danger. Il appréhendait qu'il ne reprît le commandement de l'armée. Vraisemblablement, il convainquit Fouché, qui, lui aussi, savait les tentatives de plusieurs généraux pour entraîner l'empereur à en appeler aux soldats, et connaissait les sentiments persistants du peuple de Paris. Le duc d'Otrante lit donc prendre cet arrêté par la Commission de gouvernement : Art. Ier. Le ministre de la marine donnera des ordres pour que les deux frégates du port de Rochefort soient armées pour le transport de Napoléon Bonaparte aux États-Unis. Art. II. Il lui sera fourni jusqu'au point de l'embarquement une escorte sous les ordres du général Beker, qui est chargé de pourvoir à sa sûreté... Art. V. Les frégates ne quitteront point la rade avant que les sauf-conduits demandés ne soient arrivés[12]. Fouché trouvait dans cette mesure le double avantage d'éloigner Napoléon de Paris et de le garder prisonnier à Rochefort.

Beker, incontinent mandé à Paris, revint, à la fin de l'après-midi, à la Malmaison avec l'ampliation de cet arrêté. L'empereur éventa le piège. — Je désire, dit-il, ne pas me rendre à Rochefort, à moins que je ne sois sûr d'en partir à l'instant même[13]. C'est ce refus, pourtant très raisonné et très explicite, qui a créé la légende des tergiversations de Bonaparte. Napoléon ne tergiversait pas. Il avait demandé trois fois de suite à s'embarquer pour les États-Unis. Au lieu de cela, on l'invitait à aller attendre à Rochefort la décision des Alliés sur sa personne. Prison pour prison, il préférait la Malmaison. Là, du moins, lui restait la chance de quelque revirement d'opinion, de quelque révolution politique, de quelque tumulte militaire qui lui rendît son épée. A Rochefort, il ne pourrait, quoi qu'il advînt, profiler d'aucune circonstance. Mais la bonne foi de Napoléon était entière. Il avait promis de quitter la France, il le voulait encore : S'il eût cherché un prétexte pour manquer à cet engagement, il l'aurait trouvé dans les conditions suspectes mises par Fouché à l'embarquement. Or, loin d'en profiter en s'enfermant obstinément dans une nouvelle résolution, il chargea le jour même Rovigo, puis Lavallette, qui étaient venus l'un et l'autre à la Malmaison, de parler à Decrès et à Fouché afin d'obtenir la levée de l'article restrictif[14].

Lavallette trouva Decrès déjà au lit : — Je ne puis rien, lui dit le ministre. Allez voir Fouché, parlez au gouvernement. Bonsoir ! Et il se renfonça sous ses couvertures, Lavallette tenta vainement de joindre Fouché et revint dans la nuit à la Malmaison rendre compte de sa mission avortée. Rovigo, parti une heure avant lui, avait été plus heureux. Après avoir vu Decrès, qui tout en montrant beaucoup d'inquiétude de cet article V, s'était déclaré impuissant à le faire rapporter, il avait couru aux Tuileries où la Commission tenait sa séance du soir. A l'issue du conseil, Rovigo arrêta Fouché au passage. Le duc d'Otrante l'écouta en feignant de ne pas bien comprendre tout ce qu'il racontait et finit par dire que, le lendemain, il ferait résoudre cela selon le désir de l'empereur par la Commission de gouvernement. Carnot et Caulaincourt avaient entendu la fin de l'entretien. — On ne veut mettre nul obstacle au départ de l'empereur, déclara Carnot. Et il ajouta, avec une ingénuité un peu brutale mais sans méchanceté : — Bien au contraire, on veut prendre des mesures pour ne plus le revoir. — Qu'il parte ! qu'il parte ! s'écria Caulaincourt, il ne pourrait le faire trop tôt. — Soit, répondit Rovigo, mais pourquoi ne satisfait-on pas à sa demande ? Ce refus n'a point de motif raisonnable, et les conséquences en rejailliront sur ceux qui s'en seront rendus coupables. Le duc de Vicence s'éloigna sans répliquer[15].

Très peu confiant dans la promesse de Fouché, Rovigo vint le relancer le lendemain de grand matin. Fouché l'assura qu'il allait porter la question devant la Commission et que le ministre de la marine ne tarderait pas à recevoir l'ordre de mettre les frégates à la disposition de l'empereur[16]. Cette fois, le duc d'Otrante disait vrai. Il s'était résigné à laisser Napoléon quitter la France. Ce changement d'idée était-il dû à des exhortations, à des remontrances de Carnot, de Caulaincourt, de Davout ? Il pouvait aussi y avoir des motifs moins généreux et plus puissants. Peut-être, à la réflexion, Fouché jugeait-il qu'il serait dangereux de pousser à bout Napoléon. Il savait que, dans l'entourage de l'empereur et parmi les officiers généraux présents à Paris, nombre de gens l'engageaient avec ardeur à reprendre le commandement. La veille, des ministres, des députés, des généraux, avaient été reçus par lui. Vingt voitures, dit un rapport de police, stationnaient devant la grille de la Malmaison. La population agissante de Paris manifestait son indignation que l'on eût relégué l'empereur à la Malmaison comme un prisonnier. Des bandes d'ouvriers et de soldats parcouraient les rues avec des cris menaçants. Des appels aux armes, des écrits provocateurs, étaient jetés la nuit sur le pas des portes[17]. Enfin, la proposition de rappeler Louis XVIII, que Fouché, d'accord avec Davout, comptait, ce matin même du 27 juin, soumettre à la Commission exécutive pour être portée devant les Chambres, risquait d'exciter dans le parlement et dans le pays une révolte contre le gouvernement provisoire et un revirement en faveur de Napoléon. Si l'empereur était déjà loin de Paris, sur le chemin de Rochefort, la Commission aurait le temps d'agir avant qu'il ne pût profiter de ce retour de la Fortune.

Donc, Decrès reçut ce matin-là, 27 juin, une lettre de Fouché l'autorisant à regarder comme nulles les dispositions restrictives de l'article V et l'invitant à se rendre sur-le-champ à la Malmaison pour faire part à l'empereur de cette nouvelle décision et le presser de se mettre en route[18]. Accouru à la Malmaison, Decrès communiqua cette lettre à l'empereur, qui déclara qu'il était prêt à partir[19]. Mais deux heures ne s'étaient pas écoulées depuis que Decrès avait pris congé, quand une dépêche de lui arriva à la Malmaison. En retournant à Paris, écrivait le ministre, j'ai rencontré vis-à-vis l'Élysée un courrier qui m'a remis une dépêche du duc d'Otrante, laquelle porte textuellement ce qui suit : D'après les dépêches que nous avons reçues ce matin, l'empereur ne peut partir de nos ports sans sauf-conduit. Il doit attendre ce sauf-conduit en rade. En conséquence, l'arrêté d'hier reste dans toute son intégrité, et la lettre que nous avons écrite ce matin pour annuler l'article V est nulle. Tenez-vous au texte de notre décret d'hier[20].

Les dépêches on plutôt la dépêche à quoi Fouché faisait allusion était celle que La Fayette et ses collègues avaient écrite à Laon la veille an soir, 26 juin, et qui, arrivée presque à l'issue de la séance extraordinaire de la Commission, venait de faire ajourner la reconnaissance du roi proposée par Davout. Les plénipotentiaires déclaraient en écervelés que la France serait laissée libre pour le choix de son gouvernement et qu'ils avaient bon espoir dans les négociations. Ils ajoutaient : Des conversations que nous avons eues avec les aides de camp de Blücher, il résulte, et nous avons le regret de le répéter, qu'une des grandes difficultés sera la personne de l'empereur. Ils pensent que les puissances exigeront des garanties afin qu'il ne puisse reparaître jamais sur la scène du monde. Ils prétendent que leurs peuples mêmes demandent sûreté contre ses entreprises. Il est de notre devoir d'observer que nous pensons que son évasion avant l'issue des négociations serait regardée comme une mauvaise foi de notre part et pourrait compromettre essentiellement le salut de la France[21].

Quand Bignon, ministre des affaires étrangères par intérim, eut achevé la lecture de la dépêche, Fouché dit sans ambages : — Le plus pressé est d'empêcher le départ de Napoléon[22]. Et comme parmi les vingt personnes présentes, aucune, ni Caulaincourt, ni Carnot, ni Davout, ni Cambacérès, ni Thibaudeau[23], ne fit entendre la moindre protestation, il griffonna sur-le-champ l'ordre à Decrès de ne point laisser les frégates quitter la rade avant l'arrivée des sauf-conduits[24].

Les sauf-conduits ! Si Fouché avec une ingénuité qu'il est difficile de lui supposer en avait fait la demande dans l'espérance de les obtenir, il était bien sûr désormais qu'ils ne seraient point accordés. Volontairement ou par ignorance, les aides de camp de Blücher avaient trompé La Fayette et ses collègues sur les desseins des puissances à l'égard du futur gouvernement français, mais ils avaient dit vrai sur la question des garanties qu'elles comptaient prendre contre Napoléon. Les Alliés voulaient en finir avec le perturbateur du monde. A la lettre de Bignon, portée par Tromelin au quartier-général anglais, Wellington répondit : — Je n'ai aucun pouvoir de mon gouvernement pour donner une réponse quelconque à la demande de sauf-conduits pour Napoléon Bonaparte[25]. Castlereagh opposa un même refus, mais en termes plus inquiétants encore, dans une lettre au comte Otto qui, pour remplir sa mission à Londres, attendait en vain à Boulogne des passeports du Foreign-Office : J'ai l'ordre de vous faire connaître que le gouvernement anglais ne pense pas qu'il puisse se permettre d'accorder des sauf-conduits pour Napoléon Bonaparte. — Ces expressions, écrivait Otto à Bignon en lui transmettant la dépêche de Castlereagh, sembleraient indiquer un engagement particulier pris envers les puissances coalisés touchant la personne de Napoléon[26].

Cet engagement n'était pas encore pris, mais déjà les ministres et les généraux de la coalition s'occupaient du sort plus ou moins rigoureux réservé à l'homme qui, si longtemps, avait ruiné leur politique, déchiré leurs traités, anéanti leurs armées, démembré leur pays. Metternich écrivait à sa fille Marie : On a attrapé le chapeau de Napoléon. Il faut espérer que nous finirons par le prendre lui-même[27]. Quelques jours plus tard, les commissaires alliés réunis à Haguenau déclaraient officiellement aux plénipotentiaires français que les puissances, regardant comme condition essentielle de la paix et d'une véritable tranquillité que Napoléon Bonaparte fût mis hors d'état dans l'avenir de troubler le repos de la France et de l'Europe, elles exigeaient que sa personne fût livrée à leur barde[28].

Les plus modérés pensaient à un emprisonnement à vie dans une forteresse continentale ou à une relégation perpétuelle, sous bonne garde, en quelque île très lointaine. Lord Liverpool jugeait que ce qu'il y aurait de mieux serait de remettre Bonaparte au roi de France, qui pourrait le traiter en rebelle. Il suffirait pour cela de reconnaitre son identité ![29] Blücher voulait purement et simplement faire exécuter Napoléon devant les têtes de colonnes de l'armée prussienne pour rendre service à l'humanité[30]. Sitôt pris, sitôt pendu. En bons piétistes, Blücher et Gneisenau se regardaient comme les instruments de la Providence, qui ne leur avait accordé une pareille victoire qu'afin qu'ils exerçassent l'imprescriptible justice de Dieu[31].

Fouché ne pouvait connaître ces projets dans toute leur beauté. Mais après avoir lu la lettre de La Fayette, il était bien certain du refus des sauf-conduits. Cette certitude lui imposait de précipiter le départ de l'empereur. Il l'empêcha, et machina les choses de telle sorte que Napoléon dût rester prisonnier à la Malmaison ou se rendre à Rochefort pour y demeurer également prisonnier.

Fouché fit plus. Les nouveaux plénipotentiaires, nommés sur sa désignation par la Commission de gouvernement, partaient ce soir-là pour le quartier-général de Wellington. Il leur donna comme instructions secrètes d'offrir de livrer Napoléon à l'Angleterre ou à l'Autriche, si cette proposition pouvait engager les Alliés à conclure un armistice[32].

La présence de l'empereur à la Malmaison continuait cependant d'inquiéter gravement le président de la Commission exécutive et le ministre de la guerre. Ils le voulaient tenir prisonnier en rade de Rochefort plutôt que dans le voisinage de Paris. Sur l'avis de Fouché[33], Davout envoya ce jour-là une nouvelle dépêche au général Beker pour lui enjoindre de presser l'empereur de partir et pour lui prescrire, si cette démarche restait vaine, d'augmenter les mesures de sûreté autour de la Malmaison. Si l'empereur, écrivit Davout, ne prenait point une résolution, vous exerceriez la plus active surveillance soit pour que Sa Majesté ne puisse sortir de la Malmaison, soit pour prévenir toute tentative contre sa personne. Vous feriez garder toutes les avenues qui aboutissent de tous les côtés vers la Malmaison. J'écris au premier inspecteur de la gendarmerie et au commandant de la place de Paris de mettre à votre disposition la gendarmerie et les troupes que vous pourriez lui demander. Toutes ces mesures doivent être prises dans le plus grand secret possible. Je vous réitère que cet arrêté[34] a été entièrement pris pour l'intérêt de l'Etat et la sûreté personnelle de l'empereur. Sa prompte exécution est indispensable. Le sort futur de Sa Majesté en dépend[35]. Dans cette dernière phrase, il y avait, en vérité, une ironie cruelle.

 

III

L'empereur était irrévocablement résolu à rester à la Malmaison tant que les frégates n'auraient pas l'ordre d'appareiller aussitôt après son arrivée au port. — Annoncez, dit-il à Beker, que je renonce à ce voyage parce qu'en arrivant à Rochefort je me considérerais comme prisonnier, mon départ pour l'Amérique étant subordonné à l'arrivée de passeports qui sans doute me seront refusés... Je suis déterminé à recevoir mon arrêt ici. J'y resterai en attendant qu'il soit statué sur mon sort par Wellington à qui le gouvernement peut annoncer ma résignation[36]. En vain on le pressait de partir, on lui représentait les dangers qu'allait lui faire courir l'approche de l'ennemi ; il paraissait ne point s'en inquiéter. — Qu'importe ! murmurait-il. Parfois aussi il répondait : — Qu'ai-je à craindre ? Je suis sous la sauvegarde de l'honneur français. Mais ceux qui l'entouraient de très près sentaient bien que ces paroles étaient affectées, qu'il ne se dissimulait pas la réalité du péril. Il se trahit en disant, à la princesse Hortense : — Moi, je ne crains rien ici. Mais vous, ma fille, partez, quittez-moi ![37] Il soupçonnait les desseins de Fouché. Une certaine Mme P., qui parait avoir été, pendant les Cent Jours, de la dernière intimité avec Napoléon, vint à Rueil, y vit secrètement Marchand et lui dit d'informer l'empereur que Fouché s'entendait avec Vitrolles, que Davout paralysait la défense et que le duc d'Otrante serait homme à livrer l'empereur s'il y trouvait quelque avantage. L'empereur à qui Marchand communiqua cet avis, dit simplement : — Tout ce que j'avais prédit se vérifie. La Fayette est un niais [38].

Dans la matinée du 28 juin, l'empereur chargea un de ses aides de camp, le général Flahaut, de faire une dernière démarche auprès de la Commission exécutive. Introduit dans le salon des Tuileries où se tenaient les séances, Flahaut renouvela la demande que les frégates missent à la voile sans attendre les sauf-conduits et déclara, au nom de son souverain, que si le gouvernement refusait de donner cet ordre, l'empereur ne quitterait pas la Malmaison[39]. Davout était présent, adossé à la cheminée. Il gardait rancune à Flahaut de l'espèce d'inquisition que, sur l'ordre de l'empereur, ce très jeune lieutenant-général avait exercée au ministère de la guerre pendant les Cent-Jours. En outre, il ne voulait plus entendre parler de Napoléon. Converti par raison on illusion patriotique à la cause du roi, devenu, selon l'expression trop juste d'un contemporain, le bras de la politique dont Fouché était l'âme[40], le prince d'Eckmühl regardait la demande si légitime de l'empereur comme un moyen de temporisation ; il soupçonnait des calculs, des espérances, des intrigues. Son irritation éclata dans une apostrophe colère. Sans laisser au président le temps de formuler une réponse qui d'ailleurs dit été négative, il dit impétueusement à Flahaut : — Général, retournez auprès de l'empereur, et dites-lui qu'il parte ; que sa présence nous gêne ; qu'elle est un obstacle à toute espèce d'arrangement ; que le salut du pays exige son départ. Qu'il parte sur-le-champ ! Sans quoi, nous serons obligés de le faire arrêter... Je l'arrêterai moi-même. Flahaut regarda fixement Davout, et, leurs regards de feu croisés comme des épées, il répondit d'une voix vibrante : — Monsieur le maréchal, il n'y a que celui qui donne un pareil message qui soit capable de le porter. Quant à moi, je ne m'en charge pas. Et si, pour vous désobéir, il faut donner sa démission, je vous donne la mienne[41].

Le soir, Flahaut rendit simplement compte à l'empereur du mauvais résultat de sa mission. Il s'était promis, pour ne pas ajouter à ses douleurs, de ne rien lui dire de l'altercation avec Davout. Mais Napoléon, avec sa pénétration, s'aperçut qu'il lui cachait quelque chose. Il le questionna, dit qu'il lui importait de tout savoir. Flahaut, alors, se décida à répéter les paroles du ministre de la guerre. — Et bien ! dit l'empereur, qu'il y vienne ![42]

Napoléon avait cru au succès de cette dernière démarche. En attendant que revînt Flahaut, il avait fait quelques préparatifs de départ. Il reçut son trésorier Peyrusse et son notaire Noël (le successeur du fameux Raguideau) pour les formalités nécessaires à la vente d'une inscription nominative, en cinq pour cent, représentant en capital 180.333 francs. C'était l'argent qu'il comptait emporter pour son voyage. Des sommes beaucoup plus considérables devaient être déposées chez le banquier Jacques Laffitte qui les ferait passer en Amérique à mesure des demandes de Napoléon. L'empereur donna à cet effet des ordres à Peyrusse qui, le soir même, fit transporter secrètement des caves des Tuileries à la banque Laffitte trois millions en or[43].

Madame mère et le cardinal Fesch vinrent ce jour-là à la Malmaison. L'empereur fit ses adieux à la comtesse Walewska, accourue tout en larmes de Paris. Il y eut d'autres visiteurs : Joseph, Bassano, Rovigo, Lavallette, la duchesse de Vicence, Mme Duchâtel, la comtesse Caffarelli, la comtesse Regnaud, les généraux Lallemand et La Bédoyère, Méneval, Talma[44], et Corvisart, déjà venu la veille. Après le départ de Corvisart, l'empereur remit à son fidèle Marchand un très petit flacon rempli d'une liqueur rougeâtre. — Arrange-toi, lui dit-il, pour que j'aie cela sur moi, soit à ma veste, soit à une autre partie de mes vêlements, mais de façon que je puisse m'en saisir vite[45].

Quand l'empereur se retrouvait seul, il reprenait la lecture d'un livre d'Alexandre de Humboldt : les Voyages aux contrées équinoxiales du Nouveau Continent. Son imagination le transportait déjà en Amérique. Il rêvait d'y suivre les traces de l'illustre savant, de s'occuper à de grands travaux scientifiques. Trois jours auparavant, il avait dit à Monge : — Le désœuvrement serait pour moi la plus cruelle des tortures. Désormais sans armée et sans empire, je ne vois que les sciences qui puissent s'imposer fortement à mon âme. Mais apprendre ce que les autres ont fait ne saurait me suffire. Je veux faire une nouvelle carrière, laisser des travaux, des découvertes dignes de moi. Il me faut un compagnon qui me mette d'abord et rapidement au courant de l'état actuel des sciences. Ensuite, nous parcourrons ensemble le Nouveau Continent depuis le Canada jusqu'au cap Horn, et, dans cet immense voyage, nous étudierons tous les grands phénomènes de la physique du globe. Monge aimait profondément l'empereur. Sur le trône, à la tête des armées, il ne lui avait jamais paru si grand, si digne d'admiration, qu'en ce moment où, terrassé par le sort, il se relevait pour une vie nouvelle. — Sire ! s'écria-t-il dans l'enthousiasme, votre collaborateur est tout trouvé. C'est moi qui vous accompagnerai. Monge avait soixante-dix ans. Tout en le remerciant avec effusion, Napoléon lui rappela que ce n'était plus l'âge des voyages lointains. Le vieux savant se laissa convaincre, niais il promit et s'occupa aussitôt de trouver à l'empereur un compagnon digne de lui[46]. En lisant à la Malmaison le livre de Humboldt, Napoléon continuait le rêve qu'il avait exposé aux yeux éblouis de Monge.

Par instants le capitaine se réveillait en lui. On se battait entre Nanteuil et Gonesse. Quand le bruit du canon devenait perceptible, Napoléon s'arrêtait de lire, courait à la table où étaient déployés ses cartes de France, les méditait et piquait d'épingles à grosses têtes rouges et bleues les positions à défendre et la marche probable de l'ennemi[47].

Sur la fin de l'après-midi, Gabriel Delessert, adjudant-commandant de la 3e légion de la garde nationale, arriva à franc étrier. Introduit auprès de la princesse Hortense, il lui dit que les Prussiens approchaient, qu'ils étaient déjà près de Gonesse, et que l'empereur eût à se bien garder car l'état-major ennemi, qui le savait à la Malmaison, pourrait envoyer un parti de ce côté. Hortense communiqua aussitôt cet avis à l'empereur. Il jeta un regard sur sa carie, et dit en riant : — Ah ! ah ! je me suis en effet laissé tourner ! D'après ses ordres, Gourgaud et Montholon visitèrent le parc et les abords au point de vue des positions à occuper en cas d'attaque. De petites reconnaissances, de trois dragons chacune, furent envoyées le long de la Seine, vers Épinay, Argenteuil, Bezons, Chaton et Saint-Germain[48]. Gourgaud se montrait très agité et très inquiet. Il pensait à Charles XII à Bender. Il dit : — Si je voyais l'empereur au moment de tomber entre les mains des Prussiens, je lui tirerais un coup de pistolet[49].

Presque en même temps, Beker reçut de Davout l'ordre pressant de brûler le pont de Chatou. Il se rendit au bord de la Seine avec Gourgaud et un détachement de la garde. Le pont brûla toute la nuit[50]. Davout avait aussi chargé l'officier commandant les avant-postes de Courbevoie de faire couper le pont de Bezons[51]. Ces précautions n'étaient pas inutiles. Blücher allait envoyer au major de Colomb l'ordre de se porter à la Malmaison avec le 8e hussards et de l'infanterie pour s'emparer de Napoléon[52].

Fouché avait fait de la personne de l'empereur l'objet de négociations occultes avec les puissances, et s'il eût fallu leur livrer son ancien maitre en retour de certaines conditions, il s'y fût résigné sans scrupule et sans peine[53]. Mais il ne voulait pas que Napoléon fût inopinément pris ou tué par des coureurs prussiens dans une échauffourée. Cet événement fortuit ne l'eut pas servi auprès des Alliés, faute de pouvoir s'en faire un mérite à leurs yeux, et l'aurait gravement compromis devant les Chambres et l'opinion. A retenir plus longtemps l'empereur, le duc d'Otrante voyait encore un autre péril pour sa politique. L'arrivée simultanée de l'armée ennemie sous Paris et de l'armée française dans Paris pouvait émouvoir si impétueusement Napoléon qu'il accourût à la, tête des troupes pour les mener à une suprême bataille. Le bruit s'en était déjà répandu[54], si bien que Davout, alarmé, donna cette nuit même l'ordre de rassembler plusieurs bataillons de garde nationale pour s'opposer à cette tentative[55]. Les sentiments des soldats qui regardaient encore le nom de Napoléon comme un talisman[56], ne laissaient aucun doute sur l'accueil qui serait fait à l'empereur. Peut-être même l'armée, apprenant que Napoléon était encore si près de Paris, le réclamerait-elle spontanément comme chef, et serait-il arraché de la Malmaison pour être ramené en tumulte dans ses rangs par les dragons d'Exelmans ou les lanciers rouges de Lefebvre-Desnoëttes, Fouché, enfin, n'ignorait pas qu'au Luxembourg comme au Palais-Bourbon, on commençait à incriminer la conduite de la Commission envers Napoléon. Dans un comité secret tenu la nuit précédente à la Chambre des pairs, plusieurs membres avaient exposé qu'en retenant l'empereur à la Malmaison, Fouché et ses collègues semblaient vouloir le faire enlever par un parti ennemi ou le livrer aux puissances. Deux pairs furent délégués par l'assemblée pour transmettre ses craintes et ses remontrances à la Commission et pour la presser de lever les obstacles qu'elle n'avait cessé d'apporter au départ de l'empereur[57].

Quelques raisons d'honneur et d'intérêt qu'eût Fouché pour prendre ce parti, il ne s'y résolut que très tard dans la soirée. A neuf heures seulement, il se décida à faire écrire à Decrès par la Commission de gouvernement : Les circonstances actuelles faisant craindre pour la sûreté de Napoléon, nous nous sommes déterminés à regarder comme non avenu l'article V de notre arrêté du 26 de ce mois. En conséquence, les frégates sont mises à la disposition de Napoléon. Rien maintenant ne met obstacle à son départ. L'intérêt de l'État et le sien exigent impérieusement qu'il parte aussitôt après la notification que vous allez lui faire de notre détermination. M. le comte Merlin doit se joindre à vous pour cette mission [58].

On trouva Decrès au ministère de la marine ; mais Merlin était déjà couché, et l'âge, la richesse, les honneurs avaient rendu très craintif cet ancien conventionnel. Son portier parlementa à travers les barreaux de la loge. Merlin, réveillé en sursaut, ne crut pas qu'on pût le mander à pareille heure à la Commission de gouvernement. Il soupçonna un guet-apens et fit déclarer par sa femme elle-même qu'il n'était pas rentré et qu'elle ignorait où il était allé passer la nuit[59]. Pour remplacer Merlin, Fouché pensa à un autre ministre d'État, Boulay de la Meurthe. Boulay, moins défiant, se leva à l'instant, rejoignit Decrès et partit avec lui longtemps après minuit[60].

Ils arrivèrent à la Malmaison le 29 juin au point du jour. Arrêtés par les Qui-vive ? des sentinelles, ils se firent reconnaître de l'officier commandant le poste et furent introduits au château. On réveilla l'empereur qui les reçut en robe de chambre. Les deux ministres lui communiquèrent les nouvelles instructions de Fouché, en vertu desquelles les frégates étaient mises à sa libre disposition. Decrès l'engagea à partir sans délai, la cavalerie ennemie se trouvant à proximité. Boulay, très ému, insista de même sur la nécessité d'un prompt départ. L'empereur ne fit pas d'objection ; il dit qu'il partirait dans la journée[61].

 

IV

Le matin, Napoléon donna ses ordres pour son départ, mais sans fixer l'heure, et il envoya l'officier d'ordonnance Résigny faire une reconnaissance vers la Seine[62]. Celui-ci, à son retour, sur les neuf heures, trouva l'empereur en conférence avec Bassano et Lavallette, arrivés tous deux de Paris. Le prince Joseph et le général Flahaut assistaient à l'entretien[63]. Napoléon avait commencé par annoncer son départ. — J'ai fait tout ce qu'on a voulu, dit-il. Voici les lettres du gouvernement provisoire et du ministre de la marine. Les difficultés qu'ils m'ont faites pour me donner deux frégates armées m'ont retardé jusqu'à ce moment. C'est leur faute si je ne suis pas parti plus tôt, mais je partirai aujourd'hui. Il demanda des nouvelles de Paris, de l'armée, de l'ennemi. Chacun dit ce qu'il avait appris dans la soirée de la veille et dans la nuit. En qualité de directeur général des postes, Lavallette avait non seulement des avis du gouvernement mais des rapports de tous les courriers. Il était le mieux informé. Il savait que les débris de la garde et des corps Drouet d'Erlon, Reille et Lobau rentraient dans Paris avec Grouchy par Claye et le Bourget, et que Vandamme ramenait les 3e et oie corps et le gros de la cavalerie par Meaux et Vincennes. II connaissait l'occupation de Gonesse, de Pierrefitte, de Stains, du Bourget, par les avant-gardes de l'armée prussienne dont les masses défilaient sur les routes de Senlis et de Soissons. Il savait enfin que dans les combats de la veille on n'avait pas vu un seul corps anglais.

Tandis que parlait Lavallette, on entendit de grands cris sur la route. Napoléon s'informa. C'étaient des : Vive l'empereur ! d'un détachement de la ligne qui allait occuper Saint-Germain. Les soldats, sachant leur empereur à la Malmaison, le saluaient par des acclamations. Napoléon parut ému. Il réfléchit un instant, se pencha sur sa carte, changea de position les épingles qui y étaient piquées. Il releva la tête, ses yeux brillaient. — La France, dit-il, ne doit pas être soumise par une poignée de Prussiens. Je puis encore arrêter l'ennemi et donner au gouvernement le temps de négocier avec les puissances. Après, je partirai pour les États-Unis afin d'y accomplir ma destinée. Il remonta dans sa chambre par le petit escalier dérobé qui accède de la Bibliothèque au premier étage, redescendit presque aussitôt en uniforme, et fit appeler le général Beker[64].

Beker s'attendait à quelque nouvel ordre pour le départ. Il ne fut pas peu surpris de voir Napoléon avec l'habit de chasseur de la garde, botté, éperonné, l'épée au côté et le chapeau sous le bras. Son visage rasséréné, sa voix ferme respiraient la confiance. Il semblait rajeuni, transfiguré. Le morne captif de la Malmaison était redevenu l'empereur. — Général, dit-il, la situation de la France, les vœux des patriotes, les cris des soldats réclament ma présence pour sauver la patrie. Je vous charge d'aller dire à la Commission de gouvernement que je demande le commandement, non comme empereur, mais comme un général dont le nom et la réputation peuvent encore exercer une grande influence sur le sort de la nation. Je promets, foi de soldat, de citoyen et de Français, de partir pour l'Amérique, afin d'y accomplir ma destinée, le jour même où j'aurai repoussé l'ennemi. Beker résista un moment, objectant que ce message serait mieux rempli par un aide de camp de l'empereur. Mais il était déjà subjugué. Il avait une âme de soldat où les paroles de Napoléon avaient ranimé la fierté et fait renaître l'espérance. Il partit sur-le-champ, désirant sincèrement le succès de sa mission. Comme il s'éloignait, la princesse Hortense, qui venait d'apprendre les nouveaux projets, demanda à l'empereur si l'on serait en forces. — Non, répondit Napoléon, mais que ne fait-on pas avec les Français ![65]

Après avoir franchi, non sans difficulté, la barricade que l'on venait d'élever au pont de Neuilly, le général Beker entra à Paris, gagna les Tuileries, et fut introduit dans le salon où la Commission tenait séance. Sa vue provoqua la surprise et le dépit. On croyait qu'il était déjà avec Napoléon sur la route de Rochefort. Sans explications préalables, Beker répéta textuellement les paroles que l'empereur l'avait chargé de transmettre. — Est-ce qu'il se moque de nous ? s'écria Fouché d'une voix colère. Et ne sait-on pas comment il tiendrait ses promesses, si ses propositions étaient acceptables ! Puis, interpellant Beker : — Pourquoi vous êtes-vous chargé d'une pareille mission quand vous deviez hâter son départ, dans l'intérêt de sa sûreté personnelle que nous ne pouvons plus garantir ?... Dites-moi qui était avec l'empereur, lorsqu'il vous a donné ce message ? Beker nomma plusieurs personnes, entre autres le duc de Bassano. A ce nom, Fouché l'interrompit : — Je vois d'où est parti le coup. Mais dites à l'empereur que ses offres ne peuvent être acceptées. Tout espoir de négociation serait perdu. Il est de la plus grande urgence qu'il parte immédiatement pour Rochefort où il sera plus en sûreté qu'ici[66].

Caulaincourt, Carnot, Quinette, Grenier, assis autour de la table aux côtés du président, gardaient un silence contraint mais glacial. La face bouleversée de Caulaincourt et de Carnot décelait le combat qui se livrait dans leur cœur. Carnot, n'y tenant plus, se leva brusquement, et marcha à grands pas au rond de la salle jusqu'au départ de Beker ; mais il se tut comme les autres. Ils semblaient tous dominés par Fouché[67].

L'attitude défiante, presque haineuse, du duc d'Otrante, ses paroles emportées, la torpeur de ses collègues troublèrent Beker. Il se sentit un peu embarrassé de la mission qu'il avait acceptée. Il protesta que l'engagement de l'empereur était sincère. Fouché répliqua vivement : — Croyez-vous que nous soyons ici sur un lit de roses ? Il ne nous est pas permis de rien changer aux dispositions prises par nous. Beker comprenant qu'il n'y avait pas il lutter contre la volonté omnipotente de Fouché eut le cœur navré de douleur. Il dit : — Je voudrais au moins être porteur d'un écrit du gouvernement, car si je ne retourne à la Malmaison qu'avec une réponse verbale, Sa Majesté pourra douter de mou zèle à exécuter son mandat. Fouché traça précipitamment et remit à Beker ce billet pour le duc de Bassano : Le gouvernement provisoire, ne pouvant accepter les propositions que le général Beker vient de lui raire de la part de Sa Majesté, par des considérations que vous saurez apprécier vous-même, je vous prie, monsieur le duc, d'user de l'influence que vous avez constamment exercée sur son esprit pour lui conseiller de partir sans délai, attendu que les Prussiens marchent sur Versailles[68].

Fouché avait parlé et écrit sans consulter ses collègues, sans même leur demander le moindre signe d'acquiescement. Ceux-ci ne semblaient être que des témoins. A l'étonnement profond de Beker, le duc d'Otrante résolvait seul les plus graves questions et semblait disposer de la France comme un dictateur[69]. Quand Beker revint à la Malmaison, il vit dans la cour un mouvement fébrile comme aux abords d'une ruche d'abeilles. Des hommes d'écurie, des ordonnances amenaient les chevaux sellés et harnachés ; les officiers en grande tenue sortaient du château, y rentraient l'air affairé, inspectaient les sangles et les fers des chevaux, vérifiaient la position des chabraques, visitaient les fontes et les porte-manteaux. Beker ne pressentait que trop le motif de cette agitation. s'enquit cependant, redoutant que Napoléon ne passât outre à la décision du gouvernement. M. de Montaran, écuyer de service, lui dit que l'empereur allait monter à cheval pour se rendre à l'armée. — Attendez de nouveaux ordres, se hâta de dire Beker. L'empereur pourra modifier son projet quand il aura connaissance des faits que j'ai à lui apprendre. En même temps, pour calmer l'effervescence des jeunes officiers, il leur lit un signe de tête négatif qui les désespéra[70].

Napoléon attendait dans son cabinet. Il écouta sans l'interrompre le récit de Beker. — Ces gens-là, dit-il, ne connaissent pas l'état des esprits. Ils se repentiront d'avoir refusé mon offre. Il réfléchit un instant et reprit : — Leur avez-vous rapporté mes paroles et mon serment ?Oui, Sire. — Bien ! alors je n'ai plus qu'à partir. Donnez les ordres. Quand ils seront exécutés, venez me prévenir[71].

C'était une illusion de Fouché et de ses collègues de croire qu'ils tenaient Napoléon en leur pouvoir. A la Malmaison, l'empereur était prisonnier, mais il était prisonnier uniquement sur parole. S'il avait persisté dans sa résolution, ni les ordres de Fouché ni l'autorité toute nominale du général Beker n'auraient pu l'empêcher de monter i cheval pour rejoindre l'armée. — Je n'aurais qu'un signe à faire, dit-il, et la troupe qui me garde arrêterait Beker et me servirait d'escorte pour passer où je voudrais[72]. Mais, durant ces quatre ou cinq heures d'attente, la volonté d'agir, qui ne l'animait plus qu'avec intermittence, s'était épuisée. Il n'eut point de révolte. Il accepta son sort, moins par nécessité ou respect de sa parole que par lassitude. Les récents événements lui avaient donné le découragement des choses et le dégoût des hommes. — Ils ont encore peur de moi ! dit-il à Hortense. Je voulais faire un dernier effort pour le salut de la France. Ils ne l'ont point voulu ![73]

L'empereur remonta dans sa chambre, déposa l'épée, revêtit un frac de couleur brune et prit lut chapeau rond. Il se fit ouvrir la chambre où Joséphine était morte et y resta seul, portes closes, pendant quelques minutes. Rentré dans son cabinet, il fit ses adieux à Joseph et à Hortense ; la princesse le força d'accepter un collier de diamants, d'une valeur de 200.000 francs, qu'elle-même avait cousu dans une ceinture. Il reçut les officiers du détachement de la garde qui formait la petite garnison. Ils pleuraient. L'un d'eux, voulant parler au nom de ses camarades, ne trouva à balbutier que ces dix mots : — Nous voyons bien que nous n'aurons pas le bonheur de mourir à votre service ! L'empereur l'embrassa[74].

Les apprêts du départ traînaient par la faute de Bertrand qui, en qualité de grand-maréchal, avait tenu à régler lui-même les moindres détails et y perdait la tête. Je n'ai jamais vu homme plus empêtré, écrivait l'officier d'ordonnance Planat. Enfin, les voitures impériales se rangèrent à la file dans la cour d'honneur, devant le porche en forme de tente qui servait de premier vestibule. En même temps, une calèche jaune, sans armoiries, attelée de quatre chevaux de poste, vint stationner à la petite porte du parc sur le chemin de traverse conduisant à la Celle-Saint-Cloud. C'était la voilure destinée à l'empereur. Par une attention conforme à ses secrets désirs, on avait voulu lui épargner l'émotion de traverser la cour où ses serviteurs attendaient pour l'acclamer. Un peu avant cinq heures, le général Beker entra chez l'empereur et lui annonça que tout était prêt. Napoléon embrassa encore une fois Hortense, promena un dernier regard sur son cabinet, plein de tant de souvenirs et de tant de pensées fécondes, et, sans dire un mot, il suivit le général. Il traversa la salle du conseil, la salle à manger, le grand vestibule, passa dans le jardin par le frêle pont-levis que flanquaient deux obélisques de marbre rouge et gagna, au sud du parc, la petite porte où stationnait la calèche. Il s'y jeta d'un brusque élan. Bertrand s'assit à sa gauche, Rovigo et le général Beker prirent place en face de lui. Les chevaux partirent à une vive allure, s'enfoncèrent sous bois, et rejoignirent, par la Celle-Saint-Cloud, Rocquencourt et Saint-Cyr, la grande route de Paris à Rochefort. Napoléon était perdu dans sa rêverie. Le respect de l'empereur, la grandeur de son infortune, la tristesse de ces jours maudits, imposaient à ses compagnons le recueillement et le silence. Jusqu'à Rambouillet, où il voulut s'arrêter, pas une parole ne fut prononcée[75].

 

 

 



[1] Mémoires manuscrits de Mme de X. Planat à Constant D., Malmaison, 26 juin (Vie de Planat, 212-216.) Montholon, Récits, I, 24. Gourgaud, Sainte-Hélène, II, 554-555. Las Cases, Mémorial, I, 25.

[2] Mémoires manuscrits de Mme de X. Planat à Constant D., Malmaison, 26 juin. Mémoires manuscrits de Marchand. Montholon, I, 31. Gourgaud, II, 554-555. Rovigo, VIII, 165-169. Récit de Laffitte dans le Journal manuscrit de Lechat (comm. par le vicomte de Grouchy).

D'après une note de M. de Châtillon, ami de Lucien (reproduite dans Lucien Bonaparte et sa famille, 106-125). Joseph et Jérôme auraient quitté Paris dès le 24 juin sur l'ordre, du 23, de la Commission de gouvernement, et Lucien, parti le 25 ou le 26, n'aurait pas été à la Malmaison. D'une part, l'ordre de la Commission du gouvernement est du 26 et non du 23 (Procès-verbaux des séances, Arch. Nat., AF. IV, 1933) ; d'autre part, dans les Mémoires de Mme de X., il est dit textuellement : • Le 25 juin, les frères de l'empereur vinrent à la Malmaison.

[3] A l'Armée, La Malmaison, 23 juin (Arch. Guerre, carton de la Corresp. de Napoléon.) — Au lieu d'être signée, comme toutes les proclamations de l'empereur : NAPOLÉON, cette pièce est signée : NAPOLÉON Ier.

[4] Lettre de Beker à Davout, La Malmaison, 20 juin (au matin) citée par Beker, Relation, 24-25, et Beker, Relation de ma mission auprès de Napoléon, 21-22. Cf. les Mémoires manuscrits de Mme de X, et Montholon, I, 29-30.

[5] Beker, 24.

[6] Note de Montholon (publiée dans le Carnet historique et littéraire, 15 mars, 1898).

[7] Lettre de Beker à Davout, La Malmaison, 26 juin (5 heures du matin), citée par Beker, Relation, 28-29, et Beker, Relation, 22-27.

[8] Mémoires manuscrits de Mme de X. Note de Mme Caffarelli (citée par Sismondi, Notes sur les Cent Jours, 21).

[9] Bignon à Wellington, Paris, 25 juin. (Arch. Affaires étrangères, 1802.) Ce même jour, 25 juin, Bignon écrivit à lord Castlereagh, à Londres, pour lui faire la même demande de passeports. (Arch. Affaires étrangères, 1802.)

[10] Thibaudeau, X, 424, 446. Boulay, 312, 316. Rovigo, VIII, 162, 187, 193, 269. Lavallette, II, 197. Cf. Villemain, Souv., II, 417 : ... Afin d'assurer ce départ difficile, on l'annonçait officiellement, on le soumettait au bon plaisir de l'ennemi !

[11] On peut alléguer à la décharge de Fouché que la lettre ne précisait pas le port d'embarquement, et que Bignon, qui rédigea cette lettre d'après les instructions de Fouché, était un honnête homme très dévoué à l'empereur. L'eût-il écrite s'il avait cru qu'elle compromit le salut de Napoléon ? Mais on peut penser aussi que dans le trouble d'esprit ou le mettaient les évènements, Bignon ne réfléchit pas eux conséquences possibles d'une demande de passeports.

[12] Arrêté de la commission de Gouvernement, Paris, 26 juin. (Arch. de la Marine, BB3 426.)

[13] Beker, 31-34, Cf. la déclaration de Decrès la Chambre des pairs, le 29 juin (Moniteur, 30 juin).

[14] Rovigo, VIII, 169. Lavallette, II, 199-200.

[15] Lavallette, II, 199-200. Rovigo, VIII, 169-173.

[16] Rovigo, VII, 174-176.

[17] Rapport général de police, 27 juin (Arch. nat., AF. IV, 1934). Davout à Pelet de la Lozère, 27 juin. (Arch. Guerre). La Bretonnière, Souv. du Quartier latin, 276, Cf. Pasquier, III, 269-270. Rovigo, VIII, 169-190.

Dans une lettre écrite de la Malmaison, le 29 juin, par Planat à son beau-frère (Vie de Planat, 219), il est parlé d'un projet qui, l'avant-veille avait mis en mouvement toute la Malmaison et que chacun travaillait à faire réussir. Il faut, rapprocher de cette assertion mystérieuse :

1° La lettre de Fouché à Decrès, le 27 juin au matin : Il serait important que l'empereur partit incognito. (Citée par Rovigo, VIII, 183) ;

2° La lettre de l'ouche à Davout, 27 juin, après-midi : Il est indispensable, vu les circonstances, que Napoléon se décide à partir. S'il ne s'y résout, pas, faites-le surveiller à la Malmaison de façon qu'il ne puisse s'échapper. En conséquence, mettez à la disposition du général Beker de la gendarmerie et des troupes ; (citée donc le Supplément aux Dispatches de Wellington, X, 601) ;

3° La lettre de Davout à Beker, 27 juin, après-midi : Vous exercerez la plus active surveillance, soit pour que Sa Majesté ne puisse sortir de la Malmaison, soit pour prévenir toute tentative contre sa personne ; vous ferez garder toutes les avenues. De la gendarmerie et des troupes seront mises à votre disposition ; (citée par Beker, 38-39).

De ces divers témoignages, on doit supposer que le 27, Fouché et Davout appréhendaient à tort ou à raison quelque tentative bonapartiste. Le 27 juin, en tout cas, les coureurs ennemis n'étaient pas encore à craindre pour l'empereur. D'autre part, les trois cents hommes de la vieille garde qui occupaient la Malmaison auraient bien suffi à protéger Napoléon contre un coup de main des royalistes, en admettant qu'il en fût question.

[18] Fouché à Decrès, 27 juin au matin. Decrès à Fouché, 27 juin. (Arch. de la Marine, BB3 426.)

[19] Déclaration de Decrès à la Chambre des pairs, 29 juin. (Moniteur, 30 juin). Cf. Rovigo, VIII, 182-183. — Rovigo était revenu à la Malmaison après avoir vu Fouché.

[20] Fouché à Decrès, 27 juin. (Arch. de la Marine, BB3 426.) Decrès à Napoléon, Paris, 27 juin, 2 heures après-midi citée par Rovigo, VIII, (84). Cf. La déclaration de Decrès à la Chambre des pairs (Moniteur, 30 juin) : ... Je revenais à Paris, lorsque je reçus une lettre du gouvernement qui m'annonçait que de nouvelles dépêches rendaient nécessaires l'exécution de l'article V.

Beker ne fait nulle mention de ces graves incidents. Sa Relation, bien que très véridique et plutôt sympathique à l'empereur, abonde cependant en réticences et en omissions.

[21] Lettre à Bignon (signée ; Sébastiani, Pontécoulant, La Fayette, d'Argenson, La Forest et Benjamin Constant). Laon, 26 juin, 10 heures du soir (citée par Ernouf, 191-192).

[22] Thibaudeau, X, 434. — Thibaudeau était présent à cette séance extraordinaire en qualité de secrétaire de la Chambre des pairs. Les bureaux des deux Chambres y avaient été convoqués.

[23] Ni tant d'autres parmi les aurions ministres de l'empereur : Regnaud Mollien, Merlin, Gaudin, car tous les ministres à portefeuille et ministres d'État avaient été convoqués. (Mémoires manuscrits de Davout.) Il est juste de dire que plusieurs d'entre eux ne s'étaient peut-être pas rendus à la convocation. On a vu, par exemple, que Decrès avait à cette heure-là été envoyé à la Malmaison.

[24] Fouché à Decrès, 27 juin (Arch. de la Marine, BBa 426).

[25] Wellington à X (Bignon) quartier-général (Nesles ou Orvillé) 28 juin (Dispatches, XII, 515.)

[26] Castlereagh à Otto, Londres, 30 juin. Otto à Bignon, Boulogne, 2 juillet (Arch. Aff. étr., 1802).

Otto avait reçu, dès le 22 juin, de pleins pouvoirs à l'effet de conclure avec le gouvernement anglais tous actes devant amener la cessation immédiate des hostilités... Il ne put remplir sa mission. Les passeports anglais qu'il avait demandés, de Boulogne, le 25 juin, lui furent refusés par une lettre de Castlereagh, du 27 juin, le gouvernement anglais étant d'opinion qu'aucun avantage ne pouvait résulter de l'admission de M. Otto en Angleterre. (Otto à Bignon, Boulogne, 25 juin. Arch. Aff. étrang., 1802).

[27] Metternich à sa fille, Heidelberg, 22 juin (Metternich, Mém., II, 517).

[28] Note des commissaires alliés, Haguenau, 1er juillet, neuf heures du matin, citée dans la lettre de Metternich à Wellington, Sarrebourg, 2 juillet. (Wellington, Supplementary Dispatches, X, 651.)

[29] Liverpool à Castlereagh, Londres, 7 juillet (Wellington, Supplementary Dispatches, X, 675) et 21 juillet (XI, 47) : Nous espérons que Louis XVIII fera pendre ou fusiller Bonaparte.

[30] Blücher à sa femme, Compiègne, 27 juin (Blücher in Briefen, 154). Cf. Wellington à sir Charles Stuart, Orvillé, 20 juin (Wellington, Dispatches, XII, 516) : Blücher veut tuer Napoléon, mais je lui ai déclaré que je parlerai et que j'insisterai pour qu'on dispose de lui d'un commun accord. J'ai dit aussi à Blücher que, colonie un ami particulier, je lui conseillais de ne pas se mêler d'une affaire aussi infâme ; que, lui et moi, nous avions joué un trop noble ride dans ces événements pour devenir des bourreaux, et que, si les souverains voulaient son supplice, j'étais résolu à leur faire nommer un exécuteur qui ne fût pas moi.

J'aime à reconnaître que Stuart, Talleyrand et Louis XVIII répugnaient au supplice de l'empereur, Stuart écrivit de Cambrai, le 29 juin, à Wellington : On veut ici se débarrasser de Bonaparte, mais on approuve l'avis que Votre Grâce a donné au feld-maréchal Blücher. Le prince de Talleyrand m'assure que votre résolution guidera celle du roi, si la question lui est soumise. (Supplementary Dispatches, X, 625.)

[31] Lettre de Gneisenau, Senlis, 29 juin (citée par Pfister, Aus dem Lager der Verbündeten, 388). — Dans cette lettre si curieuse, Gneisenau dit encore : Si Wellington s'oppose au supplice de Bonaparte, il pense et agit en vrai Anglais. L'Angleterre ne doit à personne phis de reconnaissance qu'a ce scélérat car, par les événements qu'il a ramés, la grandeur et la richesse de l'Angleterre ont été augmentées. Il en a été autrement pour nous, Prussiens. Nous avons été appauvris par Napoléon.

[32] Wellington à Lord Bathurst, Gonesse, 2 juillet (Dispatches, XII, 531-573). Cf. Pozzo à Nesselrode, Louvres, 1er juillet (Corresp. de Pozzo di Borgo, I, 178)

Ernouf, pour l'honneur de Bignon dont il était le gendre, a discuté vivement (la Capitulation de Paris, 60-63), l'assertion très précise de Wellington. Il dit et prouve en en citant les textes que ni dans les instructions de Bignon aux plénipotentiaires ni dans les lettres écrites par ceux-ci à Bignon au cours de leur mission, il n'est pas question d'une offre de livrer l'empereur. Mais comment admettre, cependant, que Wellington dans un rapport, en quelque sorte officiel, à lord Bathurst ait parlé en détails de cette proposition si elle ne lui avait point été faite. Il parait donc très probable, et même certain, qu'en dehors des instructions écrites de Bignon, et à l'insu de celui-ci comme à l'insu de Carnot et de Caulaincourt, Fouché donna des instructions verbales et secrètes aux plénipotentiaires. Ceux-ci eurent d'autant moins à en faire mention dans leurs lettres à Bignon que la demande d'armistice, malgré toutes leurs offres, fut repoussée par Wellington. Voir à ce sujet Villemain, Souv., II, 417 : Il est à présumer que le duc d'Otrante, dans ses communications furtives avec les puissances ennemies, réitérait de son mieux non pas sa promesse, déjà remplie, de trahir Napoléon, mais son autre promesse implicite de ne point le laisser échapper.

[33] Fouché à Davout, 27 juin (Supplementary Dispatches of Wellington, X, 601). — J'ai déjà donné plus haut le texte de cette lettre.

[34] L'arrêté du 26 juin, modifié le 27 juin au matin, fut rétabli dans son intégrité le 27 juin à midi, après la réception de la dépêche des commissaires. Il portait que Napoléon partirait pour Rochefort afin d'y attendre l'arrivée des Sauf-conduits. Or, le 27 juin, Davout savait comme Fouché que ces sauf-conduits ne seraient pas accordés.

[35] Davout à Beker, Paris, 27 juin (cité par Beker, 38-39).

[36] Beker à Davout, la Malmaison, 28 juin (cité par Beker, 43).

[37] Mémoires manuscrits de Mme X. Cf. Beker, 42. Rovigo, VIII, 187.

[38] Mémoires manuscrits de Marchand. — Selon Villemain, l'empereur aurait dit : Ils m'ont vendu, ils vont me livrer.

[39] Mémoires manuscrits de Mme de X. Lettres de Flahaut à Villemain (Constitutionnel, 4 janvier 1856) et à Larabit (citée par F. Masson, Le général comte Flahaut, 33-34).

[40] Villemain, Souvenirs, II, 424.

[41] Lettres de Flahaut à Villemain et à Larabit, précitées. Mémoires manuscrits de Mme de X. Cf. F. de Chaboulon, II, 257-259. Villemain, Souv., II, 424-426.

Davout, dans ses Souvenirs manuscrits (comm. par M. le général duc d'Auerstedt) reconnaît avec quelque embarras avoir dit à Flahaut qu'il ferait bien partir l'empereur. Mais son récit, qui diffère beaucoup, sur presque tous les points, de ceux de Flahaut, de Mme de X, de Fleury et autres, est inexact.

[42] Lettre de Flahaut à Larabit, précitée.

[43] Peyrusse, Mémorial et Archives, 315-317. Cf. 328 : Compte des valeurs remises à Napoléon.

De ces trois millions, 1.734.000 francs avaient été rapportés de l'île d'Elbe. On remarquera qu'il était encore dû à l'empereur six millions sur sa liste civile du 20 mars au 2 juin. (Peyrusse à Caulaincourt, 23 juin. Arch. Aff. étrangères, 1802). Au reste il semble que d'autres sommes que ces 3 millions en or furent versés à la banque Laffitte, car dans la lettre de Napoléon à Laffitte, jointe au Testament de Sainte-Hélène, il dit avoir de Laffitte un reçu de 6 millions.

[44] Mémoires manuscrits de Mme de X. Mémoires manuscrits de Marchand. Gourgaud, Journal de Sainte-Hélène, II, 556. Mlle Cochelet, 145. Méneval, II, 350-351.

[45] Mémoires manuscrits de Marchand. Peyrusse, 317.

[46] F. Arago, Éloges de Gaspard Monge (Mémoires de l'Académie des sciences, XXIV, 131-133).

Monge, ajoute Arago, avait pensé à un de ses jeunes confrères de l'Académie des Sciences qui crut devoir refuser. Il retourna alors chez l'empereur et le conjura de nouveau de le laisser partir avec lui, le projet de l'empereur était très sérieux. Il avait affecté une grosse somme à l'achat d'instruments du physique, d'astronomie, de météorologie. — Il semble bien que le jeune confrère de Monge était François Arago lui-même.

[47] Mémoires manuscrits de Mme de X. Peyrusse, 317. Gourgaud, Journal de Sainte-Hélène, II, 515.

[48] Mémoires manuscrits de Mme de X. Mémoires manuscrits de Marchand. F. de Chaboulon, II, 272. Gourgaud, II, 555. Cf. Doumere à Davout, Saint-Denis, 28 juin, une heure après-midi (Arch. Guerre) Le 1er chasseurs a dû évacuer Gonesse qui allait être tourné par la gauche.

[49] Mémoires de Mme de X.

[50] Davout à Beker, 28 juin (cité par Beker, 46). Beker, ibid., et Gourgaud, II, 555.

[51] Lettre précitée de Davout à Beker, 28 juin.

[52] Blücher à sa femme, Gonesse, 30 juin (Blücher in Briefen, 156). Von Ollech, 355, 357. Clausewitz, 266. Damitz, II, 64, 82-83.

[53] Wellington à lord Bathurst, Gonesse, 2 juillet. (Dispatches, XII, 531-533.)

[54] Rapport de Réal, 29 juin. (Arch. nat., F. 7, 3774.) Cellier à Davout, Paris, 29 juin (Arch. Guerre).

[55] On vient de me faire le rapport que l'empereur veut aller à Montmartre, pour tâcher de faire un mouvement. Quelque invraisemblable que soit ce rapport, il est bon de vous mettre en mesure. Prévenez le prince d'Essling afin qu'il mette sous vos ordres quelques bataillons de garde nationale, que vous ferez entrer à Montmartre à la première nouvelle que vous aurez de pareille tentative. Davout au général Baille de Saint-Pol, 29 juin, deux heures du matin, (Davout, Corresp., IV, 1772.)

Le général de Saint-Pol fut si étonné d'un ordre de Davout lui prescrivant d'arrêter l'empereur (car l'ordre signifiait bien cela) qu'il écrivit sur-le-champ au prince d'Eckmühl pour en avoir la confirmation, prétextant qu'il ne reconnaissait pas la signature. (A Davout, Montmartre, 29 juin, trois heures et demie du matin. Arch. Guerre).

[56] Expression de Regnault-Warin, Cinq mois de l'histoire de France, 415 (Source royaliste.)

[57] Thibaudeau, X, 443.

[58] Lettres de la Commission de gouvernement à Decrès, 20 juin  (Arch. de la marine, BB3 426). Discours de Decrès à la Chambre des pairs, 20 juin (Moniteur, 30 juin).

On ne s'explique pas le but qu'avait Fondit eu adjoignant à Decrès un ministre d'East. Était-ce pour donner plus d'autorité, de solennité, à la communication ? ou Fouché, redoutant que par suite du retour de l'armée, Napoléon ne consentit plus à partir, voulait-il que deux témoins de marque pussent témoigner de ce refus devant les Chambres et dégager la responsabilité de la Commission si les Prussiens réussissaient un hurrah sur la Malmaison ?

[59] Communication de Merlin à la Chambre, 29 juin. (Moniteur, 30 juin).

[60] Déclaration de Decrès à la Chambre des pairs, 29 juin (Moniteur, 30 juin). Réponse de Boulay à Merlin, à la Chambre des députés, 29 juin (Moniteur du 30 juil.). Cf. Boulay de la Meurthe, 321-322.

Beker, mal servi par sa mémoire, est inexact en disant (47) qu'il reçut à huit heures ils soir, à la Malmaison, l'invitation de Davout, de se rendre à Paris pour une communication relative aux nouveaux ordres de la Commission. Cela supposerait que la lettre à 1/errés aurait été écrite sers six heures. Or si cette lettre avait été écrite avant sept heures, elle aurait été communiquée à Merlin avant qu'il ne fut couché, et lui et Decrès seraient partis pour la Malmaison à neuf ou dix heures, au plus tard. Si encore Beker avait quitté la Malmaison à huit heures, il y serait revenu avant minuit, au lieu d'y arriver seulement au point du jour, comme il le constate (51-52).

[61] Mémoires manuscrits de Mme de X. Déclaration de Decrès à la Chambre des pairs, le 29 juin (Moniteur, 30 juin). Lettre de Planat à son beau-frère, Malmaison 29 juin (citée dans la Vie de Planat, 217). Mémoires manuscrits de Marchand. Boulay de la Meurthe, 321-323. Beker, 51-52.

Beker, mandé à Paris dans la soirée du 2S juin par Davout, qui avait à lui communiquer le nouvel arrêté de la Commission, était revenu à la Malmaison le 29 à trois heures du matin. Il attendait le réveil de l'empereur pour l'informer de cette décision quand arrivèrent les deus ministres (Beker, Relation, 51-52).

[62] Mémoires de Mme de X.

[63] Mémoires de Mme de X. Lavallette à Davout, Paris, 29 juin au matin (Arch. Guerre). Lettre de Planat à son beau-frère, Malmaison, 20 juin (Vie de Planat, 218).

[64] Mémoires manuscrits de Mme de X. Mémoires manuscrits de Marchand. Lavallette à Davout, 29 juin (Arch. Guerre). Lettre de Planat, 29 juin (Vie de Planat, 218). Note de Mme Caffarelli (citée par Sismondi, Notes sur les Cent Jours, 21). Beker, 53-55. Montholon, I, 46-48, Gourgaud, Camp. de 1815, 151.

Montholon dit à tort que la troupe qui acclama l'empereur était la division Brayer, rappelée de l'armée de la Loire à Paris. La division Brayer figure dans la situation du 30 juin de l'armée de la Loire (Arch. Guerre) et n'est citée dans aucune des situations de l'armée rassemblée à Paris. Elle était donc restée en Vendée avec Lamarque. Mme Caffarelli mentionne le passage d'un régiment criant : Vive l'empereur : sans rien dire de la direction de ce régiment ni glu corps d'armée auquel il appartenait. Mais Mme de X., beaucoup mieux informée, dit : Des soldats allant vers Saint-Germain. C'était évidemment le détachement dont il est question dans la lettre de Davout de la veille : J'enverrai demain des troupes à Saint-Germain. (Davout à Beker, 28 juin, citée par Beker, 49).

On ne sait rien de la façon dont les interlocuteurs de Napoléon accueillirent son projet. Bassano, dit-on, l'y encouragea. Flahaut, sans doute, et Rovigo, Gourgaud, Montholon, s'ils étaient présents à l'entretien, durent aussi approuver la nouvelle détermination de l'empereur. Joseph... que penser ? Lavallette, lui, à en juger par le ton de ses Mémoires, était très abattu. S'il avait donné à l'empereur des renseignements sur la marelle des Alliés c'était pour répondre avec franchise aux questions qu'il lui posait mais nullement, à coup sûr, pour l'engager à reprendre l'épée.

[65] Mémoires manuscrits de Mme de X. Beker, 53-55. Lettre précitée de Planat, Malmaison, 29 juin. Note précitée de Mme Caffarelli. Montholon, I, 48. Gourgaud, Journal Sainte-Hélène, II, 556.

Selon Beker, il aurait reçu la mission de l'empereur dès 5 heures du matin. C'est manifestement une erreur de mémoire. Napoléon ne le fit appeler qu'après sa conversation avec Bassano et Lavallette. Or, dans sa lettre précitée, écrite le jour même 29 juin, Planat dit que ces deux personnages arrivèrent vers 9 heures du matin. C'est là un témoignage précis et immédiat qui prime celui de Beker et qui, d'ailleurs, présente les faits d'une façon plus conforme à la vraisemblance. Il est improbable que Bassano et Lavallette, n'ayant rien de particulièrement pressé à dire à l'empereur et venant simplement pour lui faire leurs adieux, aient quitté Paris dès 3 heures du matin. En outre, si Beker avait reçu l'ordre de l'empereur à 5 heures du matin, il serait arrivé à Paris (car il rapporte qu'il partit aussitôt après avoir quitté l'empereur) au plus tard à 7 heures. Or, il dit qu'il arriva aux Tuileries, où il se rendit directement, quand la Commission de gouvernement était en séance, et nous savons, par les procès-verbaux des séances (Arch. nat., AF. IV, 1933) que la Commission se réunit le 29 juin, à LI heures du matin. — L'horaire de cette matinée semble donc bien devoir être fixé ainsi que je l'ai indiqué dans le leste : de 3 à 4 heures, réception par l'empereur de Decrès et de Boulay ; de 8 heures et demie à 9 heures et demie, arrivée de Bassano et de Lavallette et entretien de l'empereur avec eux ; à 10 heures, ordre donné à Beker et départ de celui-ci ; à midi, arrivée de Beker aux Tuileries.

Une autre question soulève plus de doutes. D'après la lettre de Planat, Beker partit avec Lavallette, et d'après les mémoires de Mme de X., l'empereur aurait envoyé deux messages analogues au gouvernement provisoire, l'un par Lavallette et Flahaut, l'autre par Beker. Ce double message ne parait pas impossible, car déjà Napoléon, le 26 juin, avait fait faire une demande des frégates simultanément par deux personnes, Rovigo et Lavallette. Mais ce qui est difficile à croire, c'est que Napoléon, après la scène que Flahaut avait eue la veille avec Davout devant la Commission, scène qu'il connaissait, nit pris de nouveau Flahaut comme ambassadeur. Ce choix eut été des plus maladroits. D'autre part, Beker, Mme Caffarelli, Montholon, Gourgaud, Thibaudeau, Villemain, Pasquier, parlent seulement de la mission de Beker, et ni Lavalette ni Flahaut ne disent point qu'ils en aient reçu une. Faut-il croire que l'empereur eut d'abord l'intention de les envoyer et qu'il y renonça, ou, encore qu'ils accompagnèrent Baker en quelque sorte officieusement, sans mandat personnel. En tout cas, ils ne se présentèrent pas ans Tuileries.

Sur l'état d'esprit de Beker qui, ai-je dit désirait le succès de sa mission voir sa Relation, page 55 : La proposition de l'empereur était séduisante dans l'état où se trouvait le pays. Page 59 : J'eus le cœur navré de douleur de n'avoir pu modifier, en faveur de Napoléon, les résolutions de la commission. Page 67 : Qui peut dire ce qui pouvait surgir de l'enthousiasme national que Napoléon aurait fait naître en reparaissant avec tout son prestige à la tête de ses soldats appelant à grands cris leur empereur !

[66] Beker, 51-50. Berlier, Précis de ma vie politique, 133, Thibaudeau, X, 415.

On remarquera que si Fouché était si soucieux de la sûreté de Napoléon, il n'avait qu'à l'inviter à rentrer à l'Elysée. Mais il s'en gardait bien, dans la crainte d'un mouvement militaire ou populaire.

[67] Beker, 57. Berlier, 132. — Carnot avait reçu la veille ou le matin cette lettre d'un ami : Je t'écris deux mots. Si vous livrez Napoléon ou si vous l'obligez à sortir de France, vous vous déshonorez aux yeux du présent et de la postérité. (Papiers de Carnot.) Peu de jours après, Carnot dit à Barras (Mémoires manuscrits) : L'empereur, c'est la patrie elle-même. Mais, comme ses collègues. Carnot était dominé par Fouché.

Dans les Souvenirs contemporains (II, 422-424), Villemain a rapporté, je ne sais sur quel on-dit, car il va de soi qu'il n'assistait pas à la séance, que Carnot prit la parole pour défendre le projet de Napoléon et que vaincu ensuite par les arguments de Fouché, il alla à la Malmaison conjurer Napoléon de partir. Poker et Perlier, secrétaire de la Commission, disent au contraire que Carnot n'ouvrit pas la bouche, et ni dans les Mémoires sur Carnot, par H. Carnot, ni dans les écrits des personnes qui entouraient l'empereur le 29 juin (Mme de X, Rovigo, Planat, Beker, Montholon, Gourgaud, Marchand), il n'est fait mention d'une visite de Carnot ce jour-là.

[68] Beker, 57-59. Thibaudeau, X, 444. Berlier, 132.

[69] Beker, 57, 59-60. Cf. Berlier, 132.

[70] Beker, 60-61. Lettre de Planat à son beau-frère, Malmaison, 29 juin (Vie de Planat, 219-220).

[71] Beker, 62. Mémoires de Mme de X.

On a dit et maintes fois répété que ce fut l'approche d'un parti prussien, signalé sur la rive droite de la Seine, vers Chatou, qui détermina l'empereur à partir. C'est inexact. A quatre heures et demie, il n'y avait pas un seul Prussien entre la Seine et l'Oise in l'ouest de Saint-Denis. Dans l'après-midi seulement, Bülow avait transmis au major de Colomb, au Bourget, l'ordre de Blücher lui prescrivant de se porter sur la Malmaison pour enlever l'empereur. Colomb se rendit par Gonesse à Gorges, où il réunit à ses hussards deux bataillons du 15e d'infanterie. Pensant qu'il ne pourrait réussir ce hurrah qu'en pleine nuit, il ne se pressa pas et fit un long détour pour mieux dissimuler sa marche. Il prit par Deuil, Sannois, Saint-Gratien, Sartrouville et atteignit le 30 juin, à deux heures du matin, Montesson, Mu il dut laisser souffler sa troupe harassée. Pendant cette halte, il apprit par ses éclaireurs que le pont de Chaton était bridé et unie l'empereur était parti la veille, (Blücher à sa femme, Gonesse, 30 juin [Blücher in Briefen, 156.] Von Ollech, Geschichte des Feldzuges von 1815, 356.) Cf. Général Porson à Davout. Versailles, 30 juin (Arch. Guerre) : Quarante cavaliers ennemis se sont présentés ce matin, à trois heures, au pont de Chatou.

[72] Méneval, II, 330.

[73] Mémoires manuscrits de Mme de X.

[74] Mémoires manuscrits de Mme de X. Mémoires manuscrits de Marchand. Rovigo, VIII, 194. Note de M. Caffarelli, précitée. Lamarque, Souvenirs, I, 402-403. Rapport de Réal, 29 juin. (Arch. Nat., AF. IV, 1934.)

A lire Beker (62), il semble que le duc de Bassano avait quitté la Malmaison avant le retour du général.

[75] Mémoires manuscrits de Mme de X. Mémoires manuscrits de Marchand. Lettre de Planat à son beau-frère, La Rochefoucauld, 4 juillet. (Vie de Planat, 224-226.) Becker, 63-65, 68. Gourgaud, Sainte-Hélène, 556-517. Rovigo, VIII, 194-199. Montholon, I, 53-55. — Gourgaud, Montholon, la suite de l'empereur et les gens de service partirent peu après par la même route et par d'autres. Hortense rentra à Paris aussitôt après le départ de Napoléon.