1815

LIVRE II. — LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE ET LE RETOUR DU ROI

 

CHAPITRE III. — LA COMMISSION DE GOUVERNEMENT.

 

 

I

En renversant Napoléon par peur de la dictature, les Chambres avaient créé l'anarchie. En face de l'ennemi, la France se trouvait sans gouvernement. Les députés et les pairs avaient délégué le pouvoir à une Commission exécutive, ils sanctionnaient de leur vote toutes les mesures prises ou proposées par cette Commission et ils se fussent peut-être résolus à lui donner la puissance dictatoriale qu'ils avaient tant redouté de voir entre les mains de l'empereur. Mais la Commission exécutive n'était qu'un mot, un simulacre, une ombre. Sans espoir comme sans volonté, elle était asservie à Fouché qu'elle avait nommé son président et dont elle était dupe jusqu'à la complicité. Et Fouché, devenu le chef' du gouvernement, n'usait de son pouvoir sur la France que pour paralyser les dernières énergies.

Pendant quelques jours, le duc d'Otrante dissimula bien ses trahisons. Il sut garder la confiance du parlement par sa proclamation aux Français[1], par ses nombreux messages aux Chambres, par les projets de loi qu'il leur demanda de voter au nom de la Commission de gouvernement : appel ou prétendu appel des conscrits de 1815[2], droit de réquisition pour les subsistances militaires, envoi de commissaires aux armées, mise de Paris en état de siège, suspension de la liberté individuelle à l'égard des personnes prévenues de correspondre avec l'ennemi, de provoquer des troubles, d'engager à la désertion et d'arborer d'autres signes de ralliement que les couleurs nationales[3]. Toutes ces paroles et tous ces semblants d'actes abusaient les Chambres en leur faisant croire, comme le proclamait effrontément Fouché dans un de ses messages, que la Commission utilisait pour la défense de l'indépendance française le patriotisme et le dévouement des citoyens, et ne cessait pas de prendre des mesures pour appuyer les négociations par le développement de toutes les forces nationales[4].

Les lois furent votées, mais par la volonté de Fouché et par l'inertie de la Commission exécutive, elles restèrent sans effet. Nulle mesure ne fut prise pour accélérer la levée de 1815 ; on usa à peine du droit de réquisition ; Paris demeura sous l'état de siège aussi agité et aussi turbulent qu'il l'était auparavant ; pas un conspirateur royaliste ne fut arrêté. La Chambre transmit à la Commission exécutive, avec avis favorable, une pétition des fédérés parisiens qui demandaient des armes et une organisation militaire afin de servir aux frontières ou aux approches de Paris[5]. C'étaient des milliers de bras pour la défense : — Ces gens-là, dit Fouché, sont plus propres à effrayer Paris qu'à le défendre[6]. Les fédérés ne furent point armés[7]. Il y avait à prendre des mesures efficaces pour le prompt achèvement des ouvrages et lignes de retranchements que l'empereur avait ordonné d'établir autour de Paris. Rien de plus urgent. Or, le 1er juillet, ces fortifications se trouvèrent presque clans le même état qu'au 20 juin, inachevées sur lit rive droite, à peine commencées sur la rive gauche[8]. Bien loin qu'à l'approche du péril on eut accéléré ces travaux, ils s'étaient ralentis. Les ouvriers, mal payés et irrégulièrement, abandonnaient les chantiers, et les travailleurs volontaires diminuaient de nombre chaque jour par l'effet du découragement qui des gouvernants s'étendait à la population[9].

Caulaincourt, ce larmoyeur, n'avait jamais cru à la défense. Grenier et Quinette, ces comparses, n'y croyaient guère, Carnot n'y croyait plus. Fouché n'en voulait point. Son espoir était ailleurs, en des négociations occultes avec l'étranger et en de multiples intrigues avec les royalistes.

Le duc d'Otrante ne se bornait pas à voir chaque jour Vitrolles qui tenait tous les fils de la conspiration bourboniste de Paris. Dès le 24 juin[10], il avait dépêché à Wellington son vieil ami Gaillard, ex-oratorien devenu conseiller à la cour impériale. Cet émissaire devait demander un sauf-conduit anglais qui lui permit d'aller à Gand, et profiter de son entretien avec Wellington pour le pressentir sur les sentiments des puissances à l'égard du duc d'Orléans[11]. Tout en conspirant pour Louis XVIII, qui lui semblait imposé par la logique des événements, Fouché n'avait pas cessé de regarder comme un meilleur but et une tâche plus facile de faire roi le fils de Philippe-Egalité[12]. Il ne fallait que le consentement des Alliés, car en France tous les obstacles, toutes les difficultés que présentait la restauration du roi légitime semblaient devoir tomber devant le duc d'Orléans. II était le secret espoir de la majorité des deux Chambres, il avait de très nombreux partisans chez les officiers généraux, il eût bien convenu à la bourgeoisie libérale ; le peuple, enfin, et l'armée se fussent ralliés aisément à un ancien combattant de Jemmapes avec qui le maintien du drapeau tricolore ne pouvait faire question.

Fouché jouait sur deux cartes, mais il était prêt à mettre son enjeu entier sur celle des deux qui deviendrait l'atout. De là, la mission à double fin de Gaillard. Mais aux premiers mots de Wellington que vraisemblablement il vit le 26 juin, à Péronne, ou le 27 juin, à Nesles. Gaillard comprit que les Alliés étaient opposés au duc d'Orléans. Il partit pour Cambrai où Louis XVIII s'était arrêté. Avait-il, comme on l'a dit, une lettre de Fouché pour le roi ? En tout cas, ce qui valait autant, il avait une lettre. de Vitrolles pour le comte d'Artois[13]. La recommandation de Vitrolles lui assurait la confiance des royalistes-ultras tandis que la qualité d'envoyé de Fouché le fit bien accueillir par Talleyrand, le baron Louis et les constitutionnels. Gaillard se borna d'abord à dire que Fouché était entièrement dévoué à la cause royale, et que malgré l'armée, les Chambres et le gouvernement provisoire qui s'y montraient hostiles, il la ferait triompher. Le duc d'Otrante ne demanderait en retour que des garanties pour lui-même et pour quelques personnes compromises par leur participation au gouvernement usurpateur. Les paroles de Gaillard eurent leur influence. Le paragraphe de la proclamation royale relatif au classement des Français coupables fut modifié dans un sens moins rigoureux[14]. Gaillard resta à Cambrai jusqu'au départ de la cour pour Roye où il la suivit le 30 juin. Pendant ces quelques jours, il eut le temps de causer. Peut-être insinua-t-il que la meilleure garantie souhaitée par le régicide Fouché serait de devenir ministre du frère de Louis XV1. C'est possible. Quoi qu'il en soit, Talleyrand, d'ailleurs éperonné par une lettre où Wellington lui parlait incidemment de la nécessité de faire une place à Fouché[15], se hasarda à dire au roi qu'il faudrait admettre tout le monde dans le futur gouvernement et que peut-être on serait obligé d'aller jusqu'aux juges de Louis XVI. Le roi devint rouge et s'écria, en frappant avec colère les deux bras de son fauteuil : — Jamais !2[16] Talleyrand n'insista pas ce jour-là. Il savait que jamais n'est pas un mot de la langue politique.

 

II

Fouché suivait et secondait les événements plus qu'il ne les dirigeait. Vitrolles aurait voulu qu'il les fît naître. Son petit logis de la rue Saint-Florentin étant assiégé chaque jour par une foule de conseillers impatients. Royalistes de tradition ou de conversion, Pasquier, Royer-Collard, Molé, les maréchaux Oudinot et Gouvion-Saint-Cyr, les généraux de Girardin, Dessolles, de Piré, Tromelin, le bailli de Crussol, le vicomte du Bouchage, chacun avait son projet. Celui-ci s'offrait à faire déclarer, comme l'année précédente, le conseil municipal ; celui-lit voulait gagner, par Grouchy, l'armée du Nord à la cause royale. Un autre pensait à provoquer un vaste pétitionnement dans la garde nationale parisienne. Un autre encore tenait pour certain que l'on entraînerait la population par le soulèvement des quelques milliers de royalistes déterminés qui se trouvaient à Paris. Les femmes s'immisçaient dans l'affaire. Aimée de Coigny qui connaissait Tallien et Merlin de Thionville assurait que par l'action de ces deux hommes les tirailleurs fédérés se tourneraient à Louis XVIII[17]. Conseil des royalistes et confident de Fouché, Vitrolles s'efforçait de modérer ceux-là, et de presser celui-ci d'agir. Mais le duc d'Otrante temporisait. Il hésitait encore entre la branche aînée et la branche cadette ; d'ailleurs, il ne voulait pas risquer de se perdre par une manœuvre précipitée. Il objectait à Vitrolles les défiances de ses collègues, l'opinion des Chambres, l'esprit de l'armée. Toutefois, il se gardait bien de le décourager, son intérêt étant de continuer à le tenir en bride. Il affectait de chercher avec lui le moyen de faire reconnaître Louis XVIII avant l'arrivée des Alliés sous Paris. Il nous faudrait, disait-il, une déclaration du ministre de la guerre sur l'impossibilité de la résistance. Fort d'une telle pièce, j'enverrais en qualité de président du gouvernement provisoire, un message aux Chambres dans lequel je proposerais la soumission au roi comme le parti le plus efficace pour arrêter la marche de l'ennemi. Manuel et quelques autres sur qui je puis compter soutiendraient cette opinion dans la Chambre des représentants. Le plan séduisait Vitrolles, mais pour l'exécuter il fallait la connivence du ministre de la guerre, et Fouché, soit tactique, soit crainte, ne paraissait pas pressé de faire des ouvertures au prince d'Eckmühl[18].

Davout semblait inaccessible à ces intrigues. Tenu en une disgrâce outrageante pendant la Restauration, il haïssait les Bourbons. Il s'était mêlé aux conspirations de 1814 et de 1815. Le 20 mars, il était accouru de son propre mouvement aux Tuileries rouvertes à Napoléon, et, nommé ministre de la guerre, il avait rempli ses fonctions avec un ferme dévouement, une activité sans pareille et un admirable esprit organisateur. Après Waterloo, il avait conseillé d'abord de proroger les Chambres, et si, troublé par la déclaration des députés, il avait brusquement, brutalement, abandonné l'empereur, c'était par un scrupule de légalité. Nulle arrière-pensée suspecte ne l'avait déterminé. Tout en déplorant et en condamnant l'acte de La Fayette[19], il avait cru que son devoir de fidèle serviteur du pays lui imposait d'obéir à la représentation nationale.

Un incident amena une nouvelle évolution dans la conscience de Davout. Les réunions secrètes tenues chez Vitrolles s'étaient ébruitées, Pelet de la Lozère, le nouveau ministre de la police, dénonça Oudinot au prince d'Eckmühl, comme devant se mettre à la tête d'un mouvement royaliste. Celui-ci, moins inquiet des projets ou prétendus projets qui lui étaient révélés que désireux d'empêcher son vieux camarade de se compromettre dans une échauffourée, manda le maréchal au ministère. Oudinot vint aussitôt, l'après-midi du 25 juin ou le matin du 26. Il donna sa parole qu'il n'avait jamais songé à prendre le commandement d'une insurrection royaliste. Puis on causa. L'intimité qui régnait entre les deux maréchaux autorisait Oudinot à parler ouvertement et permettait à Davout d'écouter, sans s'offenser, les propos de celui qu'il appelait un enfant terrible. Oudinot en profita. Il dit que toute résistance serait vaine, qu'il faudrait accepter le roi et que mieux vaudrait pour l'honneur et le bien de la France l'appeler spontanément, en stipulant certaines conditions, que de se le laisser imposer par les Alliés sans l'assurance d'aucune garantie. Voyant que Davout au lieu de donner ses raisons d'espérer se bornait à invectiver contre les Bourbons, le duc de Reggio réitéra ses arguments et conclut que le ministre de la guerre, chef de l'armée, rendrait le plus grand service au pays en facilitant l'accord entre les Français et le roi. Il n'aurait pour commencer qu'à formuler des propositions que lui, Oudinot, transmettrait à M. de Vitrolles qui avait de pleins pouvoirs[20].

Après l'abdication, Davout avait écrit aux commandants de corps d'armée et aux gouverneurs de places que la guerre allait devenir nationale, mais, il ne croyait pas plus que le duc de Reggio à l'efficacité de la défense[21]. Il voyait avec une pitié méprisante les divisions et l'incohérence de la Chambre, l'apathie du gouvernement provisoire. Les paroles d'Oudinot éveillèrent en lui une autre espérance. Il conçut l'illusion que la prompte reconnaissance du roi pourrait arrêter l'ennemi, épargner à Paris la honte d'une seconde entrée des Alliés et à la France les désastres d'une nouvelle invasion. Abjurant ses préventions et ses justes rancunes, il prit résolument, sans plus discuter ni hésiter, le parti que lui inspirait son patriotisme. Il rédigea sur-le-champ une demande de garanties en plusieurs articles et la remit à Oudinot en l'assurant que si ces propositions étaient acceptées il s'engageait à les soumettre au gouvernement et aux Chambres comme le seul moyen de sauver la France. C'était le plan conçu par Fouché et approuvé par Vitrolles. Celui-ci l'avait exposé à Oudinot qui venait de le suggérer à Davout comme une inspiration personnelle. Dans sa lettre de garanties, Davout stipula la rentrée du roi à Paris sans troupes étrangères ; le maintien des deux Chambres, du drapeau tricolore et de la cocarde nationale ; des sûretés pour Napoléon et sa famille ; l'entier oubli de tous actes, discours ou votes relatifs aux derniers événements ; la conservation de tolites les places et fonctions civiles ou militaires aux titulaires actuels. Un dernier paragraphe portait : Le prince d'Eckmühl ne veut pas croire que l'on souillera les motifs honorables qui le déterminent en lui offrant des commandements, des honneurs ou autres avantages qu'il rejetterait.

Vitrolles n'avait, aucun pouvoir pour engager le roi, mais il était plus fécond eu ressources qu'embarrassé de scrupules. Il avoue qu'en marge des demandes de Davout il griffonna des réponses vagues. D'abord le prince d'Eckmühl ne s'en contenta point. Oudinot dut retourner chez Vitrolles et revenir encore au ministère. Enfin, acceptant de guerre lasse l'offre qu'avait commencé par lui faire le maréchal, Davout se détermina à recevoir secrètement Vitrolles. Oudinot l'amena dans la soirée. Ou s'entendit plus facilement avec des paroles que par écrit, les promesses verbales ne laissant point de trace. Il fut convenu que dès le lendemain, 27 juin, Davout ferait une déclaration à la Commission de gouvernement[22].

Le prince d'Eckmühl informa de son projet Fouché à qui Vitrolles l'avait déjà fait pressentir. Fouché jugea que Davout se hâtait trop ; il craignait qu'il ne lui soufflât le premier rôle. Apparemment, s'il n'avait eu affaire qu'au maréchal, il lui eut conseillé de temporiser quelques jours. Mais très soupçonné par Vitrolles et sur le point d'être mis par lui au pied du mur, il ne trouva point d'échappatoire. Prenant son parti de cette combinaison, dont en somme il était le premier auteur, il convoqua en séance extraordinaire la Commission de gouvernement pour huit heures du matin. Tous les ministres et les présidents et les bureaux des Chambres furent invités à assister à ce conseil[23].

En qualité de président, Fouché parla d'abord. Il fit un bref et décourageant exposé de l'état des affaires, insinua qu'il restait très peu d'espoir de se défendre et conclut que la Commission de gouvernement désirait connaître, en ces graves circonstances, l'opinion des ministres et des membres les plus qualifiés des Chambres. Quand tous ces gens, dont les uns n'avaient rien à dire et dont les autres n'osaient rien dire, curent échangé de vagues paroles, Davout demanda à être entendu. Il déclara que d'après les rapports sur la situation matérielle et morale de l'armée et sur la marche de l'ennemi, il était intimement persuadé qu'il y avait peu de moyens de résister. — Pour éviter de plus grands malheurs, dit-il nettement, il faut se rallier au roi en obtenant de lui un certain nombre de garanties essentielles. Il donna alors lecture, article par article, de la demande de garanties qu'il avait écrite la veille, mais en se gardant de rien révéler de ses pourparlers avec Oudinot et Vitrolles. Quelques membres de la réunion protestèrent, nommément Carnot et Thibaudeau ; un ou deux autres encore se récrièrent. Il fallait, disaient-ils, attendre le résultat des négociations tout en activant les préparatifs militaires de façon à imposer à l'ennemi. Mais il était manifeste que la majorité inclinait à l'opinion de Davout. Sans mettre la question en délibération, comme s'il jugeait qu'elle était implicitement résolue, Fouché proposa de rédiger séance tenante un message aux Chambres[24].

On discutait les termes de ce message lorsque Bignon reçut du ministère des affaires étrangères une dépêche écrite la veille au soir, à Laon, par les plénipotentiaires[25]. Ils annonçaient que l'on venait de leur remettre leurs passeports pour le quartier-général des souverains et invitaient le gouvernement provisoire à envoyer incontinent aux généraux alliés des commissaires pour traiter d'un armistice. Ils ne cachaient point que Blücher avait mis à cette suspension d'armes, proposée par eux-mêmes, des conditions qui leur paraissaient inacceptables. Mais des commissaires spéciaux, que le feld-maréchal s'offrait formellement à recevoir, pourraient reprendre les pourparlers. Le prince Blücher, ajoutaient-ils, nous a fait déclarer par ses aides de camp que la France ne serait en aucune manière gênée dans le choix de son gouvernement. Nous avons l'espérance de voir prendre un cours heureux à une négociation dont nous ne nous dissimulons cependant pas les difficultés[26].

Le fait est que La Fayette et ses collègues avaient reçu leurs passeports après une attente de trente-six heures aux avant-postes, et que Blücher, par l'intermédiaire de deux aides de camp, avait posé comme condition à un armistice la remise préalable de Metz, de Thionville et de six autres places fortes[27]. Tout le reste de la dépêche était interprétation, illusion, leurre. Les plénipotentiaires y donnaient comme déclarations personnelles et formelles de Blücher de vagues propos d'aides de camp[28]. Mais cette dépêche, rédigée à la légère, fut lue aussi très légèrement dans le conseil des Tuileries. On en retint seulement que les Alliés laisseraient la France libre de choisir son gouvernement et qu'il était possible d'obtenir une suspension d'armes. Un revirement s'opéra dans la majorité. — Il n'y a pas tant à se presser, dit quelqu'un, d'aller au-devant des Bourbons. —Sans doute, répondit Fouché d'un air embarrassé, cela change bien la face des choses. On laissa là le message commencé, et l'on procéda à la nomination de commissaires pour l'armistice. Fouché proposa avec autorité Flaugergues et le général Valence, qui étaient présents, et le général Andréossy, Boissy-d'Anglas et La Besnardière. A une observation de Caulaincourt que ce dernier était notoirement royaliste, qu'il arrivait de Vienne où il avait été attaché à la mission de Talleyrand, Fouché répliqua qu'il fallait parmi les commissaires un homme au courant des formes diplomatiques[29]. Le duc d'Otrante avait réponse à tout.

 

III

Il avait été convenu que l'on ne divulguerait rien de ce qui s'était passé au début de la séance[30]. Mais le moyen de tenir secrète une discussion à laquelle plus de vingt personnes avaient pris part ? On en parla dans les Chambres, à la Bourse. Le lendemain, la rente monta de trois francs sur la nouvelle que les deux Chambres allaient proclamer Louis XVIII[31]. A l'Assemblée, bonapartistes, anciens conventionnels et libéraux avancés prirent l'alarme. On dit que Fouché trahissait. Trois députés, Durbach, Regnaud, Félix Desportes, s'offrirent pour lui demander une explication. Ils le trouvèrent de grand matin, le 28 juin, à sa toilette. Félix Desportes lui parla rudement. — Les plus violents soupçons s'élèvent de toutes parts coutre vous. On vous accuse de trahison et d'intelligence avec les ennemis de la patrie. D'abord un peu déconcerté, Fouché reprit vite son assurance. — Ce n'est pas moi qui trahis, répondit-il avec feu ; c'est la bataille de Waterloo, ce sont les événements qui nous trahissent. Mais moi, quoiqu'il arrive, je ne cesserai pas d'être fidèle à la cause nationale. Pour vous le prouver je vais vous lire la lettre que j'écris à Wellington[32].

Cette lettre était bel et bien une avance à Louis XVIII. Au milieu de basses flatteries pour Wellington et de banalités sur le droit des nations, se trouvait cette phrase : Les représentants du peuple français travaillent à son pacte social. Dès qu'il aura reçu la signature du souverain qui sera appelé à régner sur la France, ce souverain recevra la couronne des mains de la nation[33]. Il fallait toute l'effronterie de Fouché pour qu'il montrât un pareil écrit comme un témoignage de son opposition aux Bourbons. Mais connaissant la passion des députés pour leur œuvre constitutionnelle, il comptait sur l'effet de ces mots magiques : le pacte social recevant la signature du souverain. Il raisonnait juste. Durbach et ses deux collègues, soudain calmés, se montrèrent si satisfaits de la lettre qu'ils en emportèrent une copie pour la lire à la Chambre. Au cours de la séance, Durbach dit : — Beaucoup d'inquiétudes se sont manifestées. Elles ne sont point fondées. Je vais donner connaissance d'une lettre du duc d'Otrante à lord Wellington. Cette lecture produisit sur la Chambre la bonne impression qu'elle avait faite à ses délégués[34].

Ce même matin du 28 juin, Fouché eut une autre alerte. On avait appris dans la Commission de gouvernement que Vitrolles était venu chez lui. La séance était ouverte depuis plus d'une heure lorsque Fouché arriva. — Nous craignions que vous ne fussiez malade, lui dit ironiquement le général Grenier. Puis Carnot, d'un ton irrité : — Nous savons que c'est pour conférer avec les agents de Louis XVIII que vous désertez votre poste de président ! Fouché était trop habile pour accepter le rôle d'accusé. Il le prit de haut : — Oui, j'ai vu le baron de Vitrolles. C'est pour procurer au pays et surtout aux patriotes des conditions favorables dans le cas très probable et vraisemblablement très prochain où il faudra entrer en arrangement avec les puissances étrangères appuyant les Bourbons. — Et de qui teniez-vous une pareille mission ? riposta Carnot. Vous imaginez-vous constituer tout seul la Commission de gouvernement ! Êtes-vous donc si empressé de livrer la France aux Bourbons ? Leur avez-vous promis ?Et vous, croyez-vous servir le pays par une velléité de résistance vaine ? Je vous déclare que vous n'y entendez rien. Caulaincourt et Quinette s'interposèrent. Le duc d'Otrante reprit son impassibilité. On s'occupa de diverses mesures. Puis Fouché proposa sans rire (ce qui fut accepté non moins sérieusement) d'adresser aux Chambres un message se terminant par ces mots : Quelque soit l'événement, nous ne vous proposerons rien de pusillanime et de contraire à nos devoirs[35].

Bien qu'en butte aux pires suspicions et sans cesse au moment d'être démasqué, Fouché continuait, multipliait ses trames. Ce matin-là, il n'avait pas seulement reçu Vitrolles, comme il le faisait chaque jour ; il avait vu Marshall, sujet britannique demeuré à Paris et ami de Wellington, et un certain Macirone, Anglais mâtiné d'Italien, aide de camp de Murat depuis 1813. Macirone devait porter à Wellington la lettre dont Fouché avait donné la copie pour être lue aux Chambres. Mais cette lettre, banale et ostensible, le duc d'Otrante ne l'avait écrite que comme prétexte à un message secret d'une toute autre importance. Encore qu'il eût accordé, à part soi, peu de crédit à la dépêche des plénipotentiaires qui assurait que les Alliés ne voulaient gêner en aucune manière la France dans le choix de son gouvernement, cette dépêche ne laissait pas de le troubler. Si, cependant, à l'encontre de toute prévision, l'Europe monarchique ne tenait pas ou ne tenait plus aux Bourbons, ce n'était pas l'heure de se compromettre pour eux. Avant de poursuivre ses manœuvres royalistes, il lui fallait se bien renseigner. De là, la double mission, à. la fois ostensible et occulte, de Macirone qui emporta, avec la lettre officielle communiquée aux Chambres, cette lettre écrite à Wellington par Marshall, sous l'inspiration, presque sous la dictée de Fouché : Je suis autorisé par le duc d'Otrante à vous envoyer cette dépêche et à vous exprimer ses sentiments pour vous. Il demande ce que veulent les Alliés et quelles sont leurs intentions. Il est pour le roi. Vous pouvez entièrement vous fier à lui. Il demande seulement que vous soyez net, et il n'est rien qu'il ne fasse de ce que Votre Grâce peut désirer. Votre Grâce aura la bonté de lui répondre explicitement par le porteur, M. Macirone, qui est homme de confiance[36].

Marshall ajoutait : Le duc d'Otrante désire que l'armée anglaise arrive le plus tôt possible. Ce souhait n'était point aussi criminel qu'il le parait. Loin de vouloir précipiter la reddition de Paris, Fouché cherchait à faire traîner les choses afin de nouer solidement son intrigue avec l'entourage du roi et de préparer à une seconde restauration les Chambres et l'armée. L'entrée de vive force des Alliés dans Paris, après une bataille, eût risqué de ruiner ses projets, et c'était principalement pour empêcher cette bataille par un armistice qu'il appelait les Anglais. Avec le fougueux Blücher, qui avait sur ceux-ci une avance de deux marches[37], il désespérait d'une entente ; il la croyait très facile au contraire avec Wellington, plus accessible aux considérations politiques.

Sauf dans l'armée et dans le peuple, l'armistice était à Paris le vœu unanime, car il cuit permis toutes les négociations et laissé à chaque parti toutes ses espérances. Fouché en était si particulièrement désireux que dans la nuit du 21 au 28 juin, deux heures après le départ des commissaires, qui avaient comme instructions de céder tout au plus une place forte pour obtenir une suspension d'armes[38], il leur avait écrit : Je vous invite à conclure sur-le-champ un armistice avec Blücher. Il vaut mieux sacrifier quelques places que de sacrifier Paris[39]. Cette dépêche fut envoyée par Davout à Grouchy afin qu'il la fit tenir aux plénipotentiaires[40]. Le porteur, l'officier d'ordonnance Laloy, rencontra Grouchy avec l'armée en retraite entre Dammartin et Nanteuil. Mais le maréchal n'avait pas vu la mission française. Supposant qu'au lieu de prendre la route de Soissons, Boissy-d'Anglas et les autres commissaires avaient pris celle de Senlis, Grouchy conseilla à Laloy, qui partit aussitôt, de se diriger de ce côté pour tenter de les rejoindre[41]. Comme il lui semblait très douteux que l'officier y parvint[42] il crut bien agir en faisant sur-le-champ connaître à Blücher, dont les têtes de colonnes étaient en ce moment aux prises avec son arrière-garde, les nouvelles instructions du gouvernement. Drouot qui était venu reprendre le commandement de la garde se trouvait à côté du maréchal. Grouchy le pria de rédiger une lettre pour Blücher, et, l'ayant signée, il chargea de la porter son chef d'état-major, le général Le Sénécal[43].

Le Sénécal et l'officier qui l'accompagnait réussirent à franchir la ligne des combattants. Menés sur leur demande au quartier-général de Blücher, à Senlis, ils rencontrèrent en route, près de Louvres, le comte de Nostiz, aide de camp du feld-maréchal ; il allait à Chenevières pour conférer avec les commissaires français que Bülow avait arrêtés à ses avant-postes et consignés sous bonne garde dans ce petit village. Nostiz interrogea Le Sénécal qui, à la vue des pleins pouvoirs dont il était porteur, l'instruisit du motif de sa mission. On entra dans une maisonnette au bord de la route. Le Sénécal paraissait très abattu ; ses paroles trahissaient son extrême inquiétude de la situation critique où se trouvait Grouchy, menacé d'être enveloppé. Nostiz pénétrant l'état d'esprit, à mieux dire l'hébétude, de son interlocuteur, s'avisa de lui proposer une convention militaire aux termes de laquelle les différents corps d'armée sous les ordres de Grouchy se replieraient librement derrière la Loire sans concourir à la défense de Paris ; Grouchy devrait en outre s'engager à rendre les places supposées occupées par ses troupes : Laon, La Fère et Soissons. Le Sénécal écouta sans révolte cette insolente proposition. Loin d'en voir l'infamie et d'en ressentir l'offense, il donna l'ordre à l'officier venu avec lui de porter au maréchal Grouchy un des exemplaires de ce projet de convention que Nostiz avait écrit en double. Lui-même demanda à être conduit au quartier-général prussien afin d'obtenir de Blücher l'envoi immédiat à Grouchy d'un officier muni de pleins pouvoirs pour conclure cet armistice[44].

Nostiz accompagna Le Sénécal à Senlis après avoir eu, à Chenevières, une très brève entrevue avec les envoyés du gouvernement provisoire. Il leur déclara que la condition sine qua non d'une suspension d'armes était la reddition de Paris, et que s'ils ne pouvaient y consentir, il était inutile de perdre son temps en discussions oiseuses. Déconcertés par ce langage, les plénipotentiaires n'osèrent même pas formuler une contre-proposition. Ils demandèrent seulement à être menés à Blücher pour tenter de le fléchir. Nostiz les fit escorter jusqu'à Senlis, mais le feld-maréchal refusa brutalement de les recevoir ; à peine s'il permit qu'on leur donnât les moyens de se rendre au-devant de Wellington, à Pont-Sainte-Maxence. — Vous nous faites beaucoup voyager, dit philosophiquement à Nostiz le général Andréossy, mais nous avons si longtemps agi comme ça avec vos plénipotentiaires ![45]

Blücher reçut Le Sénécal ou tout au moins chargea le major Bruneck d'accompagner celui-ci au quartier-général de Grouchy pour conclure la convention suggérée par Nostiz. Blücher brûlait d'entrer à Paris tambours battants et enseignes déployées. Il ne voulait à aucun prix d'un armistice qui l'eut frustré de cette fête ; mais il approuvait pleinement une trêve particulière qui lui livrerait Paris sans défense[46].

Le Sénécal et Bruneck partirent de Senlis en cabriolet dans la nuit du 28 au 29 juin. Après avoir dépassé les têtes de colonnes prussiennes, ils atteignirent, entre Meaux et Lagny, un gros de cavalerie qui formait l'arrière-garde de Vandamme[47]. A la vue d'un général français voyageant côte à côte avec un officier prussien, des exclamations, des murmures, des cris : Trahison ! s'élevèrent des rangs. Les cavaliers du 1er chasseurs s'ameutèrent autour de la voiture qui dut s'arrêter. L'un d'eux dit qu'il avait vu le général mâcher un papier et l'avaler[48]. Il n'en fallait pas tant pour perdre Le Sénécal. On l'arracha du cabriolet et on le jeta, son uniforme en lambeaux, ses épaulettes déchirées, sur un tas de pierres. Des chasseurs voulaient le sabrer, d'autres le lapider. Ils proféraient aussi des menaces contre le major Bruneck, tapis au fond de la voiture. Le bruit du tumulte attira Vathier[49], puis Exelmans. Ils parvinrent, non sans peine, à calmer les chasseurs. — Les tribunaux militaires, dit Exelmans, doivent seuls faire justice d'un traître. Remettez-le moi, soyez sûrs que vous serez vengés. Il emmena les deux officiers jusqu'à Vincennes. Là, il autorisa Le Sénécal aller retrouver Grouchy qui se trouvait déjà à Paris, et, dans la nuit, il envoya Bruneck au quartier-général de Davout, à la Villette, sous la conduite d'un chef d'escadrons du 1er chasseurs[50]. Exelmans avait fait dîner Bruneck à sa table. Pendant le repas, le Prussien lui ayant dit, avec la morgue ingénue habituelle à ses compatriotes, que Blücher entrerait à Paris le lendemain, Exelmans répliqua hautainement — Avant ça, vous mangerez la lame de nos sabres[51].

 

 

 



[1] ... On peut détruire en partie des armées, mais on ne détruit, on ne soumet pas surtout une nation intrépide qui combat polir la justice et pour sa liberté. Proclamation de la Commission de gouvernement aux Français. Paris, 23 juin. (Moniteur, 25 juin).

Berlier, secrétaire de la Commission de gouvernement, avait été chargé par Fouché de rédiger cette proclamation et de la faire laconique et vague. Mais ces mots qu'il y inséra : ... sans avoir à subir le retour d'un pouvoir qui ne serait pas dans le vœu national déplurent à Fouché. Il dit : Ce n'est point cela. Je m'en occuperai moi-même, et il rédigea ou fit rédiger soit par Jay, soit par Manuel, une autre proclamation (Berlier, Précis de ma vie politique, 118-120, bibliothèque de Dijon).

[2] Au commencement de juin, l'empereur sur l'avis conforme du conseil d'État avait ordonné par simple mesure administrative la levée des conscrits de 1815, et dés le 11 juin, il y avait dans les dépôts 46.500 hommes de cette levée qui était susceptible d'en fournir 100.000. Ainsi, on ne fit le 24 juin que donner l'autorité d'une loi à une mesure déjà en pleine exécution. Dans la correspondance générale des Archives de la guerre, il est quelquefois question, du 25 juin au 4 juillet, de conscrits de 1815 rassemblés ou mis en marche. Mais ces réunions et ces mouvements curant lieu en vertu d'instructions ministérielles antérieures de quinze jours à la constitution du gouvernement provisoire.

[3] Procès-verbaux et correspondance de la Commission de gouvernement, du 24 au 27 juin (Arch. nat., AF. IV, 1933 et, AF. IV, 200). Moniteur, 25 au 28 juin.

[4] Message aux Chambres, 26 juin. (Moniteur, 27 juin).

[5] Moniteur, 23 juin.

Dès le commencement de juin, on avait organisé 24 bataillons de fédérés parisiens. C'étaient maintenant les autres fédérés de Paris qui demandaient à être enrôlés comme leurs camarades. — Une lettre du général Darricau, commandant les fédérés embataillonnés (Moniteur, 27 juin), précise la différence entre les fédérés en général et les tirailleurs fédérés, officiellement dénommés : Tirailleurs de la garde nationale.

[6] Th. Berlier, Précis de ma vie politique, 132-133.

[7] Non seulement les fédérés ne furent pas armés mais, malgré les instances du général Darricau, les tirailleurs fédérés eux mêmes ne reçurent que le 30 juin 4.000 fusils (Darricau à Davout, 27, 28, 29 juin, Arch. guerre. Procès-verbaux de la Commission de gouvernement, 30 juin. (Arch. nat., AF. IV, 1933), ce qui, avec les 3.000 fusils distribués le 11 juin, portait à 7.000 les armes pour un effectif de 17.280 hommes.

[8] Comparer le rapport du capitaine de service de Villeneuve, du 17 juin (Arch. Guerre), et le Journal du général Valée (manuscrit communiqué par M. le général de Salle), qui porte, à la date du 1er juillet : Quelques ouvrages de la rive droite sont inachevés ; sur la rive gauche, les ouvrages ne sont qu'ébauchés. Cf. aussi le rapport du général Valence. 24 juin (Arch. Guerre) et le rapport de Carnot au conseil de guerre de la Villette, le 1er juillet, rapport dont il sera parlé plus loin.

[9] Bulletin de Réal, 20 juin. (Arch. nat., AF. IV, 1934). Général Freitag à Davout, 28 juin (Arch. Guerre). Journal précité du général Valée.

Les fonds cependant ne manquaient pas. Sur les 500.000 francs affectés par l'empereur, par décret du 2 mai, aux retranchements de Paris, il restait environ 150.000 francs le 15 juin. (Davout à Napoléon, 15 juin, Arch. Nat., AF. IV, 1940.) Le 26 juin, la Commission de gouvernement vota 50.000 francs pour ces travaux, et le 27 juin, ce crédit fut porté à 300.000 francs (Procès-verbaux de la Commission de gouvernement. Arch. Nat., AF. IV, 1933). Comme les ouvriers étaient payés 1 fr. 75, par jour (Commandant Martin à Davout, s. d. [juin] Arch. Guerre), ces 300.000 francs représentaient plus de 170.000 journées. Avec cela, on pouvait remuer de la terre. Il est probable d'ailleurs que ces crédits, ouverts trop tard, ne furent que partiellement touchés.

[10] Lettre de Gaillard à Vitrolles, 24 juin 1817 (citée, dans les Mémoires manuscrits de Gaillard, tome X, communiqués par Mme Martineau).

[11] La mission de Gaillard, mentionnée en détail dans les Mémoires de Fouché, qui bien qu'apocryphes méritent souvent créance, est confirmée non seulement par Beugnot (Mém., II, 278) et par Pasquier (Mém., III, 241), mais, témoignage décisif, par une lettre de sir Charles Stuart à Wellington, de Cambrai, 29 juin (citée dans le Supplément des Dispatches de Wellington, X, 625). Gaillard, dans un passage de ses Mémoires manuscrits (Mémoires dont malheureusement à peu près toutes les pages du tome VIII, — environ 150 — relatives aux quinze jours où Fouché fut président du gouvernement provisoire ont été coupées au ras de la marge), Gaillard, dis-je, nie avoir été chargé d'aucune mission. Mais au tome X de ces mêmes Mémoires, il transcrit une lettre de lui à Vitrolles, du 11 juin 1817, dans laquelle il rappelle le voyage qu'il fut à Cambrai le 24 juin 1815.

D'après les Mémoires de Fouché (II, 355), Gaillard partit avec deux lettres cousues dans le collet de son habit, l'une pour le duc d'Orléans, l'autre pour le roi. Il dit à Wellington qu'il désirait être présenté au duc d'Orléans, à quoi le général anglais répondit : — Il n'est point ici, mais vous pouvez vous adresser à votre roi qui est à Cambrai. Il est fort douteux que les choses se soient passées ainsi. Fouché et par conséquent Gaillard ne pouvaient ignorer que le duc d'Orléans ne se trouvait pas au quartier général anglais, ni même, vraisemblablement, à Gand. En se référant à la mission, postérieure de trente-six heures, d'un autre émissaire du Fouché, le général Tromelin, mission qui avait pour but ostensible de demander des sauf-conduits pour l'empereur et pour but secret de sonder Wellington relativement au duc d'Orléans (Mém. de Fouché, II, 356, et lettre de sir Charles Stuart, Cambrai, 29 juin, précitée), il semble bien que Gaillard dut se borner à poser la même question au général anglais.

[12] Notes de Rousselin (Collection Bégis). Stuart à Castlereagh, Gand, 6 juin (cité par Romberg et Mallet, Louis XVIII à Gand, II, 162. Mém. de Fouché, II, 355-356. Lamarque, Souv., I, 338. Villemain, Souv., II, 448-449. Fleury de Chaboulon, II, 301, 321.

[13] Lettre de Gaillard à Vitrolles, 24 juin 1817 (citée dans les Mém. manuscrits de Gaillard communiqués par Mme Martineau).

[14] Lettre de Gaillard à Vitrolles, précitée. Sir Charles Stuart à Wellington, Cambrai, 29 juin. (Supplementary Dispatches of Wellington, X, 625.) Beugnot, Mém., II, 278. (Beugnot mentionne la présence de Gaillard à Roye et non à Cambrai, mais la lettre de Stuart fait foi.)

[15] Lettres de Wellington, Saint-Denis, 29 juin (citée dans les Mém. de Talleyrand, III, 234).

[16] Chateaubriand, Mém., VII, 54-55. Cf. Beugnot, II, 278-280. — Talleyrand prétend dans ses Mémoires (III, 233) avoir combattu l'entrée de Fouché au ministère. Cela est contredit à peu près par tous les témoignages. Talleyrand était resté en bons rapports avec Fouché pendant le congrès de Vienne et même pendant les Cent Jours. (Notes de Rousselin, précitées, Beugnot, II, 280.) En rentrant en France, il sentait que Fouché était nécessaire à la restauration, et il soupçonnait qu'un homme comme le duc d'Otrante ne ferait rien pour rien, car il savait, par expérience, que tout service se paye.

[17] Vitrolles, Mém., III, 40-42, 45-47, 51, 54-55, 71, 73-74. Bulletin de Réal, 28 juin. (Arch. Nat., AF, IV, 1934.) Piré à Davout et Fouché à Piré, 25 juin. (Arch. Guerre.) Souvenirs manuscrits de Davout. Pasquier, III, 265-271. — D'après la note précitée de Réal, la pétition des gardes nationaux ne réunit que 500 signatures.

Hyde de Neuville, mêlé plus tard au complot royaliste, n'était pas encore à Paris. Il n'y arriva que le 30 juin ou le 1er juillet, avec cette mission de Louis XVIII : faire reconnaitre dans Paris, avec l'aide des bons royalistes, l'autorité royale et former une commission de gouvernement qui aurait à éloigner ou à arrêter les partisans de l'usurpateur, à épurer la garde nationale et à dissoudre l'armée. (Hyde de Neuville, Mém., II, 109-108). Cf. Pouvoirs et instructions à Macdonald, Gand, 1er juin, citée par Romberg et Mallet, Louis XVIII à Gand, I, 69-72). Il va sana dire que Hyde de Neuville et autres ne devaient se mettre à l'œuvre que lorsque l'activité de Bonaparte aurait été ébranlée par des revers. (Stuart à Castlereagh, Gand, 20 juin, citée par Romberg et Mallet, II, 178.)

[18] Vitrolles, III, 47-48, 51, 57-58, Cf. 62-63. — Sur les hésitations et les temporisations de Fouché, voir Pasquier, Mém., III, 266 et Mémoires de Fouché, II, 357-358, 361-362.

[19] Mémoires manuscrits de Davout (communiqués par le général duc d'Auerstaedt) : La postérité, comme le firent alors les esprits sages, jugera sévèrement La Fayette. Il s'allia avec l'étranger dans la guerre que celui-ci ne prétendait faire qu'à Napoléon. Il brisa follement le faisceau qui seul pouvait encore conjurer les grands désastres, et, en venant avec une pompe théâtrale défendre la cause de la liberté, il ne fit autre chose que consommer le suicide de la patrie.

[20] Souvenirs manuscrits de Davout. Vitrolles, Mém., III, 58-59.

[21] Davout à Grouchy, 27 juin, 3 heures du matin : Vous sentez combien il est nécessaire que l'armée se rallie à Paris ; au moins le gouvernement pourra encore traiter et obtenir des conditions. Corresp., IV, 1767.

[22] Souvenirs manuscrits de Davout. Vitrolles, Mém., III, 62-64. Note confidentielle pour Carnot, s. l. n. d. [Paris, 27 ou 28 juin], Papiers de Carnot. Cf. le procès-verbal de la séance du 27 juin de la Commission de gouvernement. (Arch. Nat., AF. IV, 19131. — Il y a quelques divergences de détails entre les récits de Davout et de Vitrolles, conformes quant au fond. Davout dit que tout se passa dans la même journée, 26 juin. Mais peut-être la première entrevue avec Oudinot eut-elle lieu le 25 dans l'après-midi. D'après la narration très confuse de Vitrolles, les divers pourparlers auraient duré au moins quatre jours. C'est impossible, attendu que Davout fit sa déclaration à la Commission du gouvernement, le 27 juin à neuf heures du matin. Vitrolles assura aussi que Davout appela Oudinot au ministère non point sur la dénonciation de Prelet de la Lozère, mais pour lui offrir un commandement. Je suis la version de Davout.

[23] Procès-verbal de la séance de la Commission de gouvernement, 27 juin. (Arch. Nat., AF. IV, 1933.) Souvenirs manuscrits de Davout, Vitrolles, III, 38, 62-63. Thibaudeau, X, 430.

[24] Procès-verbal de la séance de la Commission du gouvernement, 27 juin. (Arch. Nat., AF. IV, 1933.) Souvenirs manuscrits de Davout. Thibaudeau, X, 430-432.

Le procès-verbal de la Commission passe sous silence toute cette discussion et le projet de message aux Chambres qui en fut la conséquence. Il rapporte simplement que la Commission avant d'avoir reçu la lettre des plénipotentiaires décida qu'on devait s'en tenir à la question militaire.

[25] Procès-verbal de la séance de la Commission de gouvernement, 27 juin. (Arch. Nat., AF. IV, 1933.) Souvenirs manuscrits de Davout. Thibaudeau, X, 432.

[26] Lettre au baron Bignon, (signée : Sébastiani, Pontécoulant, La Fayette, d'Argenson, Laforest et Benjamin Constant) Laon, 26 juin, 10 heures du soir (citée par Ernouf, la Capitulation de Paris, 191-192). — Cette pièce n'existe pas aux Arch. des Affaires étrangères, mais il y en a une analyse, conforme au texte donné par Bignon, aux Arch. Nationales, AF. IV, 908.

[27] Partis de Paris le 24 juin dans la soirée, les plénipotentiaires étaient arrivés le lendemain matin à Laon. Ils avaient aussitôt fait remettre aux avant-postes prussiens, établis à une lieue de Laon. une lettre pour Blücher. Ils demandaient des passeports pour le quartier-général des souverains, et, d'abord, une conférence avec lui en vue d'un armistice. Cette lettre resta sans réponse jusqu'au 26 dans la soirée où ils eurent uni entretien non avec Blücher, mais avec ses aides de camp, le comte Nostiz et le prince de Schöenburg, qui leur remirent les passeports.

[28] La Fayette, dans son récit de sa mission à Laon et à Haguenau (Mém., V, 468) ne mentionne même pas les paroles des aides de camp de Blücher sur la liberté laissée à la France de choisir son gouvernement. Dans l'Esquisse historique sur les Cent Jours et les négociations d'Haguenau, il est dit seulement qu'à Laon les propos des Prussiens sur Louis XVIII ne donnaient pas lieu de croire qu'ils missent un grand prix à son rétablissement. Voilà qui est bien éloigné des termes de la lettre du 26 juin : Le maréchal Blücher nous a fait déclarer que la France ne serait en aucune manière gênée dans le choix de son gouvernement.

[29] Procès-verbal de la séance de la Commission de gouvernement, 27 juin (Arch. nat., 1933). Sont cuirs manuscrits de Davout. Thibaudeau, X, 433-435. Cf. 436.

La Beynardière avait quitté Vienne deux semaines avant la clôture du congrès. Arrivé à Paris dans la première quinzaine du judo, il se mit à la disposition de Fouché pour lequel il avait vraisemblablement un message verbal de Talleyrand, et se fit remarquer par ses propos alarmants et ses déclamations contre l'empereur. Le 27 juin, Fouché avait boucles raisons secrètes pour le désigner comme commissaire. (Note de Dubois, directeur des Archives des Affaires étrangères, 20 juin, 1838, Arch. étrangères, 680. Méneval, Souv., III, 393. Gentz, Corresp., II, 162).

[30] Thibaudeau, X, 134-135.

[31] Rapport de Réal, 28 juin (Arch. nat., AF. IV, 1934). Thibaudeau, X, 435.

[32] Thibaudeau, X, 437-438. Cf. Béranger, Ma Biographie, 169-172. — D'après Béranger, les interlocuteurs de Fouché auraient été Durbach, Dupont de l'Eure et le général Solignac. Thibaudeau était certainement mieux renseigne.

[33] Lettre de Fouché à Wellington, Paris, 27 juin, lue à la séance de la Chambre du 28 juin. (Moniteur, 29 juin).

[34] Thibaudeau, X, 417-438. Séance du la Chambre, du 28 juin (Moniteur, 29 juin).

[35] Behrer, Précis de ma vie politique, 133-134. Procès-verbaux des séances de la Commission de gouvernement, 28 juin. (Arch. nat., AF. IV, 1933). — Dans le compte rendu donné par le Moniteur du 29 juin, de la séance de la Chambre du 29 où le message fut lu, ce message porte, par suite d'une faute d'impression, la date du 27 juin.

[36] Marshall à Wellington, Paris, 28 juin, 11 heures et 11 heures et demie du matin. (Supplementary Dispatches of Wellington, X, 620.) Macirone, Faits intéressants relatifs à la capitulation de Paris, 34-36. Passeport délivré par Fouché, au sieur Macirone, Anglais, chargé de dépêches pour lord Wellington, Paris, 26 juin. (Arch. Guerre.)

[37] Le 28 juin, les têtes des colonnes prussiennes avaient dépassé Senlis, Crépy, Villers-Cotterêts, tandis que l'armée anglaise était encore entre la Somme et l'Oise.

[38] Instructions pour MM. les plénipotentiaires, 27 juin (Arch. Affaires étrangères, 1802). — Ces instructions, rédigées par Bignon, avaient été remises aux commissaires à neuf heures du soir, le 27, dans une séance de la Commission de gouvernement. (Procès-verbaux, 27 juin. Arch. nat., AF. IV, 1933.)

[39] Fouché aux plénipotentiaires, 28 juin, deux heures du matin. (Arch. Guerre.)

[40] Ordre de Davout à Laloy, 28 juin, trois heures du matin. (Arch. Guerre). Davout à Grouchy, 28 juin. (Vente Charavay, 26 avril 1888.)

[41] Grouchy à Fouché, Paris, s. d. (29 juin) ; à Davout, Paris, 29 juin. (Arch. Guerre).

[42] Des dépêches des plénipotentiaires à Bignon (Louvres, 28 juin, Pont-Sainte Maxence, 30 juin et Gonesse, 30 juin citées par Ernouf, 319-323), dépêches où il n'est pas question de nouvelles instructions reçues, il apparait implicitement que Laloy ne put rejoindre Boissy-d'Anglas et ses collègues.

[43] Grouchy à Blücher, 28 juin (citée par von Ollech, der Feldzug von 1815, 346-347). Grouchy à Davout, 29 juin. (Arch. Guerre). Lettre de Drouot à Grouchy, Nancy, 11 avril 1840 (citée par Pascalet, Notice Biographique sur Grouchy, 2e édition, 137).

La lettre de Grouchy à Blücher, que von Ollech cite en français, et qui est d'ailleurs fort mal tournée, porte en substance que Grouchy est autorisé par le gouvernement français à traiter avec Blücher d'un armistice basé sur les demandes faites aux envoyés français par les puissances alliées. — Grouchy entendait par là, conformément à la dépêche de Fouché, la cession de plusieurs places.

[44] Relation de Nostiz, et projet de convention (cités par von Ollech, 347-349). Major Bruneck à Davout, La Villette, 30 juin. Chef d'escadron Rambourg à Davout, La Villette, 30 juin. (Arch. Guerre.) Cf. Exelmans à Davout, Vincennes, 29 juin, minuit. ..... J'envoie l'aide de camp du maréchal Blücher à V. E. pour qu'il lui fasse part de l'objet de sa mission, ce dont V. E. rira probablement beaucoup. (Arch. Guerre et Arch. nat., AF. IV. 1936.)

La conduite de Le Sénécal est d'autant plus inexplicable qu'il n'agit pas dans un dessein politique, pour faciliter le retour du roi. Il n'aimait point les Bourbons. A Louvres, devant Nostiz, il s'emporta coutre des agents royalistes qui prétendaient que l'armée avait reconnu Louis XVIII. L'armée, s'écria-t-il indigné, n'a pas reconnu Louis XVIII et elle ne le reconnaitra jamais. (Relation de Nostiz). Il semble que ce malheureux s'exagérant les dangers qui menaçaient Grouchy, le croyant sur le point d'être coupé et enveloppé. voulut épargner à son chef le crime militaire de capituler en rase campagne. Mais la trahison ne valait pas mieux, et un armistice particulier n'aurait, été rien moins qu'une trahison.

[45] Relation de Nostiz (citée par Von Ollech, der Feldzug von 1815, 347-348). Dépêche des commissaires français à Bignon, Pont-Sainte-Maxence, 30 juin (citée par Ernouf, 221-222.)

[46] Relation de Nostiz. Cf. Bruneck à Davout, La Villette, 30 juin. (Arch. Guerre.) Gneisenau donna aussi son approbation au projet de traité avec Grouchy.

[47] On a vu que le 28 juin, à la suite des combats de Villers-Cotterêts, l'armée de Grouchy pour continuer sa retraite sur Paris avait dû se séparer en trois colonnes : la garde à pied et la garde à cheval avec Grouchy avaient marché sur Claye ; les débris des corps Reille, Lobau et d'Erlon, et la cavalerie de Milhaud et de Kellermann sur Gonesse ; Vandamme avec son corps, l'ancien corps de Gérard, nt la cavalerie de Pajol et d'Exelmans sur Meaux, Lagny, Vincennes.

Le Sénécal, dépourvu de tout renseignement depuis la veille, croyait que Grouchy s'était replié par Meaux. C'est pourquoi, de Dammartin il s'était dirigé sur cette ville au lieu d'aller directement à Claye.

[48] On conçoit que si Le Sénécal avait sur lui, comme il est probable, le texte de la convention projetée, il ait cherché à le détruire par le plus sûr moyen. Dans l'état d'exaltation où étaient les chasseurs, ils l'auraient tué immédiatement s'ils eussent trouvé cette pièce.

[49] Vathier commandait par intérim la 2e division de cavalerie légère (corps Reille) en remplacement de Piré, absent sans permission. Par suite du désordre de la retraite, cette division se trouvait dans la colonne de Vandamme.

[50] Grouchy à Fouché, Paris, s. d. (29 juin) ; à Davout, Paris, 30 juin (datée par erreur : 29 juin). Exelmans à Davout, Vincennes, 29 juin, minuit. Chef d'escadron Rambourg à Davout, La Villette, 30 juin, deux heures du matin. Rapport de Bruneck, La Villette, 30 juin. (Arch. Guerre). Simon Laurière à Vandamme et Vandamme à Simon Laurière, 8 mai et 10 mai 1830 (Arch. Guerre, à la date du 18 juin 1815).

[51] Lettre d'Exelmans à Berthezène, 13 juin 1840 (citée par Ch. Le Sénécal, Sévère justice sur la capitulation de Paris, 10).