ESSAI SUR LE RÈGNE DE L’EMPEREUR AURÉLIEN (270-275)

 

CINQUIÈME PARTIE. — DERNIÈRES CAMPAGNES D’AURÉLIEN. ABANDON DE LA DACIE TRANSDANUBIENNE. MEURTRE D’AURÉLIEN. (FIN 274-275).

CHAPITRE I. — CAMPAGNES D’AURÉLIEN SUR LE HAUT DANUBE ET EN GAULE. (FIN 274)[1].

Texte numérisé par Marc Szwajcer

 

 

Le programme que s’était tracé Aurélien au début de son règne était presque entièrement réalisé. L’unité romaine était reconstituée ; les réformes intérieures les plus urgentes étaient effectuées. Il ne restait plus à régler que deux questions, relatives toutes deux à la défense des frontières. Sur le Danube, la Dacie, sur l’Euphrate, la Mésopotamie n’avaient pas été reconquises. Le moment était venu de prendre une décision à leur égard.

Mais deux événements imprévus vinrent retarder encore la solution de ces questions. Sur le Haut Danube, les Barbares, sans doute des Juthunges et des Alamans, comme en 271, envahirent la Rhétie et assiégèrent Augusta Vindelicum ; des troubles se produisirent en Gaule. Avant de partir pour l’Orient, Aurélien résolut de se rendre lui-même sur les lieux, pour tout pacifier par sa présence.

Aurélien quitta Rome[2] vers la fin de 274 et gagna la Rhétie. Il battit les barbares ; Augusta Vindelicum fut débloquée[3]. Peut-être au même moment son lieutenant Constance Chlore, remporta-t-il une seconde victoire, plus à l’Ouest, à Vindonissa (Windisch, au confluent de l’Aar et de la Reuss)[4]. La Rhétie délivrée et probablement aussi le Limes Rhétique remis en état de défense, Aurélien se rendit en Gaule parla grande route du Danube.

Sur les causes et le caractère des troubles qui avaient éclaté en Gaule, nous n’avons aucune indication précise. Zosime[5] confond les deux séjours d’Aurélien en Gaule ; Zonaras[6], Syncelle[7] et la Vita Aureliani[8] se bornent à une simple mention. Un fait est certain : le mouvement ne fut pas d’origine militaire et ne partit pas des légions du Rhin. Il eut son centre à Lyon[9], l’ancienne capitale des Gaules, délaissée pour Trêves, depuis le début des grandes invasions. La population civile de Lyon dut avoir, pour être mécontente, des raisons particulières que nous ignorons entièrement. Peut-être, — c’est une simple supposition, — la révolte eut-elle au début un caractère tout spécial. Lyon était l’un des trois grands ateliers monétaires de l’Empire. Dans les deux autres, à Rome en 271, et peut-être à Antioche en 272, les mesures prises par Aurélien pour réprimer les abus, avaient amené un soulèvement général des ouvriers delà monnaie. A la suite de la reconquête des Gaules, les réformes monétaires furent appliquées également dans l’atelier de Lyon, où les abus, vers la fin du règne de Tetricus, n’avaient pas été moindres qu’ailleurs. Il est très possible que les monétaires de Lyon, irrités de voir leurs fraudes réprimées, se soient soulevés et que la population civile ait fait cause commune avec eux. Quoi qu’il en soit, le mouvement ne semble pas avoir eu une grande extension ; les légions du Rhin ne s’y associèrent pas, et il n’est pas question d’usurpation. — Aurélien réprima l’insurrection, traita durement les habitants de Lyon[10] et laissa de sa sévérité un souvenir qui ne devait pas s’effacer de longtemps.

Aurélien séjourna quelque temps en Gaule après la répression des troubles de Lyon. Il semble être passé à Autun, Sens, Auxerre et Troyes[11]. Il construisit une enceinte fortifiée à Dijon[12] et probablement aussi à Genabum qui parait avoir pris son nom (Aureliani, Orléans)[13].

Il s’occupa aussi des routes de Lugdunaise ; les deux seuls milliaires de la province qui aient été trouvés à son nom, celui d’Origans[14] et celui de Saint-Christophe-en-Elven (Morbihan), sont de 275[15].

 

 

 



[1] Sources pour les derniers événements du règne (fin 274-275).

ZOSIME, I, 62 — ZONARAS, XII, 27 (III, p. 153, éd. Dind) — JEAN D’ANTIOCHE, un fragment (Fragm. Hist. Græc., Ed. C. Müller, IV, p. 599, fragm. 2 — SYNCELLE, I, p. 721 (éd. Bonn.) — MALALAS, XII, p. 301 (id.).

Vita Aureliani, 35, 4 ; 37, 4 ; 39, 7 ; 41, 15 — Vita Taciti, 2, 3-6 ; — AURELIUS VICTOR, Cæsar., 35, 8-14 — Epitomé, 35, 8 ; — EUTHOPE, IX, 15, 1-2 — Chronique d’EUSÈBE (Vers. Armén, éd. A. Schöne, p. 184) — Chronique de Saint-Jérôme, ad ann. Abrah. 2292 (id., p. 185) — RUFUS FESTUS, 8 — OROSE, VII, 23 — JORDANES, Rom., 291.

Inscriptions (10 décembre 274. — fin août 275). - Italie : C. I. L., V, 4319 (Xe Région, Brixia : date décembre 274). Aurélien porte sur cette inscription le titre de Conservator Orbis.

Gaule : ORELLI-HENZEN, 5551 (Orléans). — Rob. MOWAT, la Station de Vorgium [Rev. Archéol., 18741, p. 7 (Saint-Christophe-en-Elven, Morbihan)]. — Afrique : (C. I. L., VIII, 5143 (Numidie : Thagaste, 1er janvier/fin août 275).

Monnaies — IIIe période monétaire du règne d’Aurélien (274-275) : Th. ROHDE, loc. cit., pp. 302-303.

[2] Vita Aureliani, 35, 4. — Th. BERNHARDT (loc. cit., p. 203) et F. DHAN (loc. cit., p. 228), placent la victoire d’Aurélien en Rhétie, un peu plus lard, au moment où l’empereur après le séjour en Gaule, revint sur le Danube inférieur. Le texte de la Vita Aureliani (35, 4) est contraire à cette interprétation : Ad Gallias profectus, Vindelicos obsidione barbarica liberavit. Deinde ad Illyricum redit. Aurélien se rend en Gaule, en passant par la Rhétie où il bat les barbares ; puis, les troubles de Gaule apaisés, il regagne l’Illyricum.

[3] Vita Aureliani, 35, 4 : Vindelicos ubsidione barbarica liberavit — 41, 8 : Ille Aurelianus Vindelicis jugum barbaricæ servitutis amovit (WIETERSH.-DAHN, loc. cit., I, p 249. — On ne peut admettre avec A. HOLLENDER (loc. cit., p. 43) et H. SCHILLER (I2, p. 870), que la Rhétie était restée occupée, d’une manière permanente par les barbares depuis le règne de Gallien. D’après le texte de la Vita Aureliani, il s’agit non d’une occupation du pays à laquelle Aurélien met fin, mais d’un siège (Obsidum barbarica), qu’il contraint les barbares à lever. La Rhétie avait été une première fois reconquise, lors de la première campagne d’Aurélien contre les Juthunges, au printemps de 270 ; la bataille décisive. DEXIPPE le dit formellement (Fragm. Hist. Græc., éd. C. Müller, III. p. 682), avait eu lieu sur les bords du Danube.

[4] INCERT. PENEGYR. Constantino Augusta. 4, éd. Bæhr., p. 162. Constantin est né en 274 : le texte ne dit pas que la victoire se place l’année même de la naissance de Constantin. Peut-être s’agit-il simplement de la victoire de Vindonissa remportée par Constance Chlore, en 208. — Cf. Th. PREUSS, der Kaiser Diokletian und seine Zeit, Leipzig, 1869, p. 63, not. 1 — F. DAHN, Urgeschicht., p. 228.

[5] ZOSIME, I, 62.

[6] XII, 27 (III. p. 153 Dindorf).

[7] I, p. 721 Bonn.

[8] 35, 4.

[9] Vita Procul., 13, 1.

[10] Vita Procul., 13, 1.

[11] Voir Appendice V.

[12] GRÉG. TOURS, Hist. Franc., III, 19 (éd. W. Arndt, pp. 129-130) — J. CHIFFLET (Vesontio, Civitus Imperialis, 1618, Lyon, I, p. 159) incline à croire que l’arc de la porte Noire, à Besançon, est l’œuvre d’Aurélien. Il est plus probable que ce monument remonte à l’époque de Marc-Aurèle [CASTAN, Mémoires de la Société d’Emulation du Doubs, IVe série, t. II, 1866, p. 428 — cf. C. JULLIAN, Inscriptions romaines de Bordeaux, p. 296.]

[13] Notit. Gall., IV, 1 (Civitas Aurelianorum) — SID. APOLLIN., Epist. VIII, 13 (Urbis Aurelianensis) — GRÉG. TOURS (éd. W. Arndt) ; p. 57, l. 19 ; 68, 18 ; 83, 5 ; 160, 11 ; 324, 12, etc. — Un fragment de l’enceinte d’Orléans : B. DE MOLONDON, Bullet. du Comité des Trav. Histor., 1882, pp. 171-172 — E. DESJARDINS, Géographie historique et administrative de la Gaule Romaine, Paris, 1883, III, p. 343 — AUG. LONGNON, Géographie de la Gaule au VIe siècle, Paris, 1878, pp. 313 sqq. — H. D’ARBOIS DE JUBAINVILLE, Recherches sur l’origine de la propriété foncière en France, Paris, 1890, p. 412, croit que Genabum, en se développant, engloba plusieurs Fundi Aureliani, qui existaient antérieurement et en prit le nom. — Cette explication du nom Aureliani est peu vraisemblable ; il vaut mieux admettre, je crois, que la Civitas Aurelianorum, a dû son nom soit à Aurélien [(d’ANVILLE, Notice de l’Ancienne Gaule (au mot Genabum). p. 347], soit à un des empereurs du début du IIIe siècle, — de préférence Caracalla ou Sévère Alexandre — qui portèrent le nom d’Aurelius.

[14] ORELLI-HENZEN, 5351.

[15] Rob. MOWAT, la Station de Vorgium (Rev. Archéol., 18741, p. 7).