ROME, LA GRÈCE ET LES MONARCHIES HELLÉNISTIQUES AU IIIe SIÈCLE AVANT J.-C. (273-205)

 

CHAPITRE SIXIÈME. — LA PREMIÈRE GUERRE DE MACÉDOINE (suite) - (212-205). - LES ROMAINS EN GRÈCE. - ROME ET LA GRÈCE EN 205.

 

 

IV

Parmi les Grecs, les Romains ne connaissent, ne veulent connaître que les Aitoliens, dont ils sont les alliés. Reste à savoir jusqu'à quel point ils tiennent à leur alliance. Reste à savoir s'ils sont disposés a ne rien négliger pour se les attacher, ou du moins résolus à ne jamais faillir aux engagements pris avec eux. — Assurément, ils doivent l'être, si leurs ambitions les poussent maintenant vers la Grèce et s'ils projettent d'y jouer quelque jour un grand rôle. Car, en pareil cas, l'alliance aitolienne leur sera d'une constante utilité : elle sera pour Rome une porte ouverte à perpétuité sur la Grèce. Prenons garde, en effet, qu'elle n'est pas limitée dans le temps, mais doit survivre, sous forme défensive, à la guerre offensive dont elle a donné le signal[1]. Le traité de 212 stipule que, si les Romains accordent la paix à Philippe, ils auront soin de lui interdire de jamais attaquer les Aitoliens ou leurs alliés[2]. En conséquence, les hostilités présentes une fois closes, la protection du Peuple romain continuera de s'étendre sur les Aitoliens et ceux des Grecs qui sont de leur parti ; et si Philippe, manquant aux conventions jurées, fait mine de leur chercher querelle et devient pour eux menaçant, Rome aura, non pas seulement le droit, mais l'obligation de leur porter secours. Or, entre Philippe et les Hellènes indépendants, d'éternels conflits sont à prévoir ; et, lorsqu'un conflit se produira, il sera toujours facile aux Patres, quel qu'en soit le véritable auteur, d'en déclarer le roi auteur responsable, en sorte qu'ils pourront toujours se dire tenus de prêter assistance à ses adversaires. Ainsi, l'alliance nouée par Lævinus ménage aux Romains l'occasion permanente d'intervenir en Grèce ; elle leur met en main le moyen d'y engager, à peu près quand il leur plaira, la lutte contre la Macédoine, et, cependant, leur assure dans cette lutte le concours du seul peuple hellénique en qui réside encore une vraie force militaire. C'est pourquoi, si là Grèce les attire, s'ils ont dessein de s'y faire bientôt leur place, s'ils méditent de la disputer à Philippe et de l'arracher a son autorité, ils doivent veiller à ce que cette alliance ne soit jamais rompue, ôter aux Aitoliens tout motif ou prétexte à la rompre, la leur rendre, au contraire, aussi profitable qu'il se pourra, et, à tout le moins, pour qu'ils y demeurent fidèles, s'en montrer eux-mêmes étroitement respectueux.

En va-t-il ainsi ? — Considérons d'abord les quatre premières années de la guerre, de l'automne de 212 à l'automne de 208. Durant cette période, les Romains prennent-ils à cœur les intérêts des Aitoliens ? agissent-ils du moins — on ne saurait leur demander davantage — comme s'ils les prenaient à cœur ? font-ils tout ce qu'ils peuvent pour seconder leurs alliés contre l'ennemi commun ? La réponse est malaisée ; l'histoire de la première guerre de Macédoine ne nous est, comme on sait, que très imparfaitement connue[3], et nous sommes hors d'état de nous représenter avec exactitude les opérations dirigées par Lævinus et Sulpicius. Mais nous constatons qu'en Grèce il se trouve des gens — et qui ne sont pas des Aitoliens, qui ne sont pas suspects des mêmes exigences — pour prétendre que les Romains ont trop souci de se ménager[4]. A les en croire, le spectacle qu'offre cette guerre rappelle l'ordonnance observée dans les batailles rangées ; les tâches y sont réparties de telle sorte que les Aitoliens y tiennent l'emploi des troupes légères, les Romains celui de la phalange : les premiers vont de l'avant et s'offrent aux coups ; quant aux seconds, ils forment la réserve et demeurent à l'arrière, prêts à recueillir les fruits de la victoire si les choses tournent bien, sûrs de se tirer d'affaire sans dommage si le sort est contraire. Et, sans doute, ce peuvent être là propos calomnieux ; pourtant, les faits à nous connus donneraient à penser qu'ils renferment quelque vérité. — A l'automne de 212, pour inspirer confiance aux Aitoliens et les mettre en haleine, Lævinus s'est hâté de prendre et de leur livrer Zakynthos, Oiniadai et Nasos[5] ; mais, dès le printemps suivant, il semble que son effort se relâche. On comprend mal qu'il ne fasse autre chose que réduire Antikyra, opération qui ne dure que quelques jours[6], et ne profite pas mieux de l'absence de Philippe, obligé de courir en Thrace pour y combattre les Maides[7]. En dépit de ses promesses, consignées dans le pacte d'alliance, il n'a nullement aidé les Aitoliens à envahir l'Akarnanie, d'où le piteux avortement de leur expédition[8]. — De même, on a lieu d'être surpris qu'en 210 P. Sulpicius, trop peu pressé de gagner la Mer Égée[9], laisse à Philippe le temps d'investir et d'assiéger Échinos, ne parvienne même pas, pendant ce siège, à l'empêcher de se ravitailler par mer, et lui permette plus tard de s'emparer du port précieux de Phalara[10]. — Et la campagne de 209 nous est encore une cause d'étonnements semblables et la flotte romaine n'appuie pas les mouvements des Aitoliens quand ceux-ci s'avancent jusqu'à Lamia à la rencontre de Philippe ; elle n'arrive a Naupakte que tard en saison, et ses entreprises semblent ne consister qu'en deux débarquements sur les côtes d'Achaïe et d'Élide[11]. — Certes, ces observations n'autorisent que des conclusions très prudentes ; gardons-nous de chercher aux amiraux romains des chicanes qui risqueraient d'être téméraires. Encore une fois, l'histoire de leurs campagnes nous échappe pour une large part, et nous savons mal avec quelles difficultés ils eurent à compter. Un fait auquel il convient d'être attentif est le suivant : en 209, comme il était à craindre, comme on l'avait prévu, la flotte punique de Bomilcar, répondant enfin à l'appel de Philippe, est venue croiser à l'occident de la Grèce[12] où on la voit reparaître encore l'année d'après[13]. Bien qu'elle se soit montrée fort timide et n'ait, semble-t-il, rien tenté d'important, sa présence a eu pour nécessaire effet de gêner Sulpicius, tenu de l'observer et de se garder contre elle. Enfin, l'effectif restreint de l'escadre romaine — vingt-cinq quinquérèmes — ne permettait sans doute que des opérations limitées. — Mais, ces réserves faites, on a peine à se défendre de l'idée que Lævinus et son successeur ont, à l'ordinaire, mené sans grande vigueur la guerre maritime. Ce n'est qu'au printemps de 208 qu'entraîné par Attale dans la Mer Égée et jusque dans les eaux de Thrace, et manœuvrant de concert avec lui, Sulpicius, par cette grande diversion, par la menace dirigée contre la Macédoine et la Thessalie, par les attaques poussées contre la Lokride et l'Eubée, cause à Philippe des inquiétudes aiguës et des embarras graves[14]. D'une façon générale, dans toute cette période des hostilités, les Romains n'ont pas laissé d'être pour les Aitoliens des alliés utiles : — ils leur ont rendu, au moins le plus souvent, l'inestimable service d'interdire à l'ennemi l'usage de la mer[15] — ; mais il est permis de croire qu'ils n'ont point été des alliés fort zélés.

Ce qui n'est pas douteux, en tout cas, et ce qui est grave, c'est que tel est le sentiment qui domine à présent chez les Confédérés. Il est clair que la tournure prise par la guerre leur est un grand sujet d'impatience et de déception ; car, cette guerre, s'ils s'y sont engagés, ce n'était point, à la différence des Romains, dans le simple dessein d'inquiéter et de harceler Philippe, de l'entraver et de l'occuper, mais en vue de satisfaire, par l'abaissement définitif de leur grand ennemi[16], leurs ambitions et leurs convoitises. Ils ont compté qu'elle serait pour eux une opération lucrative : elle ne l'est pas[17], elle est même le contraire, et ils constatent avec un âcre dépit qu'elle trompe leurs espoirs et renverse leurs calculs. Qu'est-il advenu du plan de conquêtes si généreusement ébauché dans le pacte de 212 ? L'Akarnanie leur échappe toujours et, comme ils ont perdu Antikyra, presque aussitôt après l'avoir reçue de Lævinus[18], comme ils ont cédé Aigine à Attale, comme la possession de Zakynthos, si précaire, n'est pour eux d'aucun prix, tout leur gain se réduit, après quatre ans de combats, à la ville d'Oiniadai et à Pilot de Nasos. Les Romains se sont partout garni les mains par de fructueux pillages ; Attale, dès son entrée en campagne, s'est saisi en Eubée de la grande station d'Oréos : pour eux, ils n'ont rien acquis de plus à l'automne de 208 qu'à l'automne de 212. Mais, cependant, au cours des dernières années, ils ont subi des pertes, essuyé des défaites. En 209, près de Lamia, Philippe les a battus deux fois, battus encore en 208 aux Thermopyles, et, qui pis est, leur a pris nombre de villes : en Phthiotide, Larisa Krémasté, Ptéléon, Échinos et Phalara, en Lokride, Thronion et Drymaia[19]. Ce sont là des dommages qui restent irréparés, qu'aucun succès n'a compensés, de sorte qu'en fin de compte l'avantage demeure à l'adversaire. Naturellement, comme il arrive toujours en pareille aventure, leurs déconvenues, leurs déboires et leurs revers, ils les imputent à leurs alliés. Les Romains, dont ils ont présentes à la mémoire les mirifiques promesses, trop peu suivies d'effet, sont à leurs yeux les grands coupables : si Philippe a pu réduire Échinos, la faute en est à Sulpicius qui n'a pas su lui couper les vivres ; si Pyrrhias a été vaincu à Lamia, c'est que la flotte romaine, si lente à se mouvoir, n'est pas venue en temps utile croiser dans les parages voisins, menacer les Macédoniens d'une descente ; et tout récemment, à la fin de la campagne de 208, n'est-ce pas chose incroyable que Sulpicius, immobile à Aigine, ait laissé défiler devant lui à portée de ses coups, naviguer de l'Isthme à Sounion, avec une insolente audace, Philippe et sa chétive escadre, sans l'assaillir ou lui donner chasse[20] ?... Immérité ou non, ce mécontentement qui grossit contre eux, les Romains, s'ils ont souci de l'alliance, feront bien d'y prendre garde. Ils feront bien de se souvenir qu'il ne manque pas, même en Aitolie, de gens prêts à l'exploiter ; qu'il s'en faut, en effet, que tout le monde y soit ennemi-ne de la Macédoine ; qu'il s'y trouve toujours un parti pacifique, opposé à Scopas et à Dorimachos, et qui sans doute reprend crédit et fait des adeptes, s'agite et manœuvre, intrigue avec les neutres, élabore sournoisement une paix séparée. Déjà, n'est-ce point un symptôme inquiétant qu'en 209 les Confédérés aient accueilli si facilement les premières ouvertures des médiateurs, accordé une trêve à Philippe, consenti de négocier avec lui[21] ? Cette année-là, c'est seulement, semble-t-il, l'arrivée d'Attale à Aigine[22] qui, leur rendant une subite confiance, leur a fait, rompre les pourparlers en cours. Mais, à l'automne de 208, Attale, rappelé par une invasion de Prousias, doit regagner son royaume[23], quitter en hâte la Grèce, sans promesse ni espoir de retour. Son départ n'aura-t-il pas en Aitolie un fâcheux contrecoup — ? n'y va-t-il pas abattre les courages vacillants ? Voici peut-être pour l'alliance le moment critique... C'est pourquoi les Romains auront grandement raison, lors de la campagne prochaine, de s'évertuer davantage en faveur des Aitoliens, de s'appliquer à les mieux satisfaire, de se montrer plus actifs et plus entreprenants et, bref, d'apporter de notables changements à leur façon de combattre. Sans doute, l'absence d'Attale leur rendra la tâche plus lourde — pas plus toutefois qu'elle ne l'a été jusqu'en 208 — ; mais, d'autre part, l'escadre de Bomilcar a été défaite, comme elle s'en revenait de Grèce, par la flotte romaine de Sicile[24], et défaite de telle sorte qu'il n'est point à craindre qu'elle reparaisse jamais dans les eaux helléniques : Sulpicius n'aura donc plus à la surveiller ni à la contenir, et, par là, sa besogne se trouve heureusement simplifiée.

De fait, en 207, survient un grand changement, mais qui n'est pas du tout celui qu'on attendrait. Cette année-là, les affaires de Grèce, pour parler comme T. Live, sont soudain négligées des Romains[25]. Sulpicius garde son commandement[26], mais s'abstient à présent de rien entreprendre contre Philippe. Et la cause manifeste en est que la majeure partie de ses troupes lui ont été enlevées ; les Patres en ont ordonné le renvoi en Italie[27] ; ce qu'ils lui ont laissé suffit tout juste à protéger, contre un coup de main toujours possible, les places côtières de l'Illyrie[28]. — Or, combien grave est cette décision du Sénat, il ne faut qu'ouvrir les yeux pour le voir. Elle peut entraîner les pires conséquences, militaires et politiques tout ensemble. En effet, en se retirant de la lutte alors qu'Attale a dû s'en retirer aussi, Rome prive les Aitoliens de son concours au moment précis où ce concours leur redevient indispensable. Voilà désormais les Confédérés sans alliés maritimes ; voilà, partant, la mer rendue à Philippe et les conditions de la guerre retournées en sa faveur : car, n'ayant plus à craindre ni les débarquements, ni la rencontre des escadres ennemies, le voilà maitre, d'une part, de manœuvrer sur terre tout à l'aise, maitre, de l'autre, de débarquer lui-même où il voudra, et, revenant, il la méthode qu'il employait jadis, de renouveler contre les Aitoliens les mêmes coups de surprise qui, dix ans plus tôt, lui ont si bien réussi. Justement, le bruit court qu'il a sur mer de vastes projets ; que, résolu à se passer des Puniques, il entreprend de construire une grande flotte ; qu'à cet effet, il a rassemblé à Kassandreia un peuple d'artisans spéciaux et fait mettre en chantier cent bâtiments de ligne[29]. Convient-il que Sulpicius s'éloigne au moment où se répandent ces troublantes nouvelles ?... Sa retraite inopinée va confirmer avec éclat les dires des malveillants, assidus à répéter que, depuis l'origine de la guerre, les Romains ont eu pour principe et système d'en faire porter la charge à leurs alliés[30] ; elle va fournir aux neutres et aux pacifiques un trop juste motif de se déchaîner à nouveau contre eux[31] ; elle ruinera la confiance, hésitante déjà, des Confédérés dans la foi romaine. Il est probable qu'elle leur ôtera tout courage, les décidera à s'accommoder au plus tôt, coûte que coûte, avec Philippe, les précipitera dans la paix ; ce qui est sûr, c'est qu'elle les révoltera. Même si, s'obstinant bravement a le combattre, ils réussissent, par grande chance, à repousser les assauts du Macédonien, ils ne pardonneront jamais au Peuple romain ni le péril qu'ils auront couru par sa faute, ni son brusque abandon, si semblable une défection. Vainqueurs ou vaincus, leurs sentiments pour lui seront les mêmes ; il n'y a point à se méprendre : le jour où il a rappelé les forces mises au service des Aitoliens en vertu de l'alliance, le Sénat a marqué la fin de cette alliance. Et c'est à quoi, si elle lui est chère, s'il l'estime nécessaire à ses futurs desseins sur la Grèce, s'il en a fait un des fondements de sa politique étrangère, il eût dû, semble-t-il, prêter attention.

A la vérité, si l'on en croit la plupart des historiens modernes, la décision qu'il a prise, if s'est vu forcé de la prendre ; un devoir supérieur la lui imposait. L'année 207 est la dernière grande année de a guerre punique en Italie, mais c'en est peut-être la plus critique. C'est celle où, s'étant échappé d'Ibérie par les Pyrénées de l'Océan[32], ayant parcouru en un temps incroyablement bref la route jadis ouverte par son frère, Hasdrubal envahit la Cisalpine puis, accru d'auxiliaires gaulois, pousse au Sud et descend jusqu'en Ombrie dans le dessein de joindre Hannibal. Obligé de faire tête contre les deux Barkides pour les empêcher de s'unir, de repousser l'un et de contenir. l'autre, l'État romain doit bander les forces dans un effort héroïque[33]. Mais, cependant, les hommes font défaut. Dix années d'une guerre épuisante ont presque tari l'Italie, et l'extrême lassitude y engendre la révolte : douze colonies latines ont refusé ou menacent de refuser leurs services, et l'Étrurie s'agite sourdement[34]. Dans ce dénuement et ce suprême péril, quoi d'étonnant si le Sénat, à bout de moyens, réduit à faire flèche de tout bois, réclame la plupart des soldats qui servent sur les vaisseaux de Sulpicius ? Il obéit simplement, en négligeant la guerre de Macédoine, à une nécessité de salut public[35]. — Ainsi raisonnent quantité d'historiens ; mais il est permis de ne point se rendre à leurs raisons. Ce qu'on ne saurait d'abord oublier, c'est que ces soldats, ôtés au proconsul et ramenés en Italie, devaient être en bien petit nombre : le total, semble-t-il, n'en atteignait pas deux mille[36]. Devons-nous croire que, même à l'approche d'Hasdrubal, l'État romain ne se pût passer de cette poignée d'hommes ? Sans doute, la pénurie de combattants commençait de se faire sentir ; il faut se garder toutefois de l'exagérer. Les critiques qui acceptent, sauf à les rectifier dans le détail, les renseignements transmis par la tradition annalistique, sont d'avis qu'en 207, les Romains avaient sur pied, en face d'Hannibal et de son frère, forts chacun d'une trentaine de mille hommes[37], huit légions d'un effectif total de 70.000 à 75.000 hommes[38] tandis que sept autres, formant ensemble 35.000 hommes environ, se tenaient en réserve, soit dans la Ville, soit en diverses parties de l'Italie[39] ; et ceux qui repoussent, probablement à tort, les indications des Annalistes, estiment pourtant que la République disposait de ressources suffisantes pour lutter sans désavantage contre les deux généraux puniques[40]. Les choses étant ainsi, n'aurait-on pu laisser en Grèce, où ils étaient si nécessaires, les épibates de Sulpicius ? Aussi bien, s'il paraissait indispensable de se renforcer au moyen de troupes embarquées, que ne les empruntait-on, non à la faible escadre d'Illyrie, mais à la grande flotte de Sicile ? Délivrée depuis deux ans, depuis la chute d'Akragas, du soin de combattre les Puniques dans l'île, cette flotte venait, en 208, d'infliger à l'escadre de Bomilcar, à son retour de Grèce, la défaite que nous avons rappelée : elle avait, dès lors, achevé sa tâche, et rien n'empêchait, semble-t-il, d'en commencer le désarmement, auquel il fut en effet procédé l'année suivante[41]. Il est étrange qu'au lieu de prescrire cette mesure, le Sénat ait préféré condamner Sulpicius à l'oisiveté. Il en faut convenir : ce parti si grave, il parait, à l'examen, le prendre bien aisément, avec une hâte excessive, et sans raison majeure qui l'y oblige.

Voici venir, toutefois, une objection. Ceux qui s'en tiennent, pour expliquer la résolution des Patres, à l'hypothèse traditionnelle m'opposeront sans doute ces réflexions : Ne nous pressons pas, diront-ils, de prêter au Sénat une conduite absurde. Apparemment, l'alliance de l'Aitolie, qui peut, comme on l'a vu, être si précieuse aux Romains dans l'avenir, le leur est davantage encore dans le présent ; apparemment, ces effets détestables, indiqués plus haut, qu'entraînera la retraite de Sulpicius, ils n'ont nul intérêt à les laisser se produire, nul intérêt, en désespérant les Aitoliens, à leur faire tomber les armes des mains, nul intérêt à permettre à Philippe de se débarrasser d'eux et de recouvrer ainsi sa liberté : mais, au contraire, tous leurs intérêts leur prescrivent, comme devant, d'entretenir la guerre hellénique et, par le moyen de cette guerre, de distraire, d'occuper, et de fixer en Grèce le Macédonien. Tous les mêmes motifs qui leur ont fait conclure le pacte de 212 leur font encore une loi de l'observer fidèlement. Si donc le gouvernement romain y devient infidèle, s'il délaisse ses alliés, risquant tout ensemble et de causer leur désastre et de s'en faire d'irréconciliables ennemis et de rendre à Philippe le meilleur des services, c'est qu'il s'y trouve contraint et doit, quoi qu'il en ait, sacrifier les intérêts de Rome en Grèce à d'autres plus pressants encore... — Argumentation plausible à première vue, fautive pourtant en ce qu'elle ne tient pas compte des faits récents et de l'état de choses nouveau qui en est résulté. Est-il exact qu'en 207 le Sénat ait, à entretenir la guerre hellénique, le même immédiat intérêt que précédemment ? Non, pas. Après sa défaite de 208, la marine de Carthage n'est plus à redouter ; les vaisseaux puniques ne s'approcheront plus des côtes grecques, et la flotte de Philippe est encore à naître. Et, d'autre part, dès 209, les Romains ont repris Tarente[42] : Philippe a perdu son port de débarquement. Qu'importent dès lors les succès que le roi peut remporter en Grèce ? Sa jonction avec Hannibal semble désormais impossible ; le péril qui a fait conclure les accords de 212 parait maintenant dissipé, et, si l'on n'a égard qu'aux circonstances présentes, l'alliance aitolienne a perdu presque toute sa raison d'être. Ce sont là, peut-on croire, les considérations qui déterminent les Patres.

Du tour favorable qu'ont pris les événements, ils tirent aussitôt la conséquence directe et pratique ; et cette conséquence, c'est que les affaires de Grèce peuvent être négligées sans dommage. Partante, la guerre que Rome y a suscitée, l'alliance qu'elle y a contractée, les obligations que comporte cette alliance, le sort même des alliés du Peuple romain, reculent au dernier plan de leurs préoccupations, s'effacent dans le lointain, deviennent à leurs yeux choses indifférentes d'où se détachent leur regard et leur pensée. Et c'est ainsi que, s'autorisant de certaines raisons d'ordre militaire — ou peut-être simplement d'économie — qui nous demeurent obscures, mais qui, sûrement, ne sont que d'importance très relative, ils n'hésitent point à ôter à l'Aitolie, par un manquement brutal à la parole donnée, l'appui de la marine romaine.

Que la conduite tenue en 207 par le Sénat doive s'expliquer de la sorte, c'est ce que montre, aussi bien, celle qu'il tient l'année d'après. — Admettons, comme on le veut d'ordinaire, qu'une nécessité impérieuse ait seule, en 207, interdit aux Romains de continuer au peuple aitolien l'assistance promise et due : sans doute, ils tiendront à honneur, sitôt qu'ils le pourront, de réparer cette défaillance forcée en s'empressant à son secours. L'occasion ne tarde guère. Contrairement à ce qu'on eût pu croire, même après le départ des deux flottes amies, les Aitoliens, dont il faut admirer la constance, ont fait effort, durant toute une année, pour soutenir la lutte contre Philippe ; au commencement de 206, il est donc temps encore pour le Sénat de leur venir en aide. Et, cette fois, rien qui le retienne ou le détourne. L'alerte de 207 a été aussi brève que vive. Hasdrubal a péri, avec toute son armée, aux bords du Métaure[43], et, reconnaissant à ce coup la fortune de Carthage, Hannibal a fait retraite dans le pays bruttien où six légions le contiennent et l'observent[44]. En Italie, la guerre, désormais stagnante, semble ainsi proche de sa fin ; et, pareillement, elle touche à son terme en Espagne, où, par sa victoire d'Ilipa, Scipion a mis en pièces les deux armées puniques et forcé de fuir jusqu'à Gadès Magon et le second Hasdrubal[45]. D'autre part, la flotte de Sicile qui, cette année même, va rallier l'Italie et s'y disloquer, peut envoyer dans les eaux orientales autant de vaisseaux qu'il sera nécessaire[46]. S'il plaît donc aux Romains d'agir énergiquement en Grèce, ils en ont et la liberté et les moyens[47]. Seulement, il importe qu'ils se hâtent, car leur absence a causé de grands maux, et plus rapides qu'on ne s'y fût attendu. Tandis que les neutres, se remettant à l'ouvrage et plus ardents que jamais à faire le siège des Aitoliens, les conjuraient de rompre avec le barbare abhorré[48], Philippe, dispensé de surveiller la mer et d'en garder les côtes, a concentré contre eux tout son effort. C'est peu de les avoir chassés des régions de la Thessalie qu'ils avaient autrefois ravies à Antigone[49] : par la cession de Zakynthos[50], aisément recouvrée après le départ des Romains, il s'est acquis l'alliance d'Amynandros, qui règne sur les montagnes et les défilés de l'Athamanie, il a obtenu de lui libre passage sur son territoire, et, prenant l'ennemi à revers, lui tombant sur le dos, a, comme onze ans plus tôt, percé au plus profond de la Vieille-Aitolie, occupé et saccagé Thermos, porté un coup terrible aux Confédérés, et brisé leur courage[51]. Tels ont été, dès 207, les effets directs et funestes de l'inaction romaine. Et, dans le même temps, par un soudain miracle, l'Achaïe, jusque là si débile, s'est transformée en puissance militaire : l'activité d'un chef énergique, Philopœmen, las de voir sa nation mendier l'aide de Philippe, l'a dotée en huit mois d'une armée, d'une belle armée de 15 à 20.000 hommes, organisée à la macédonienne[52], qui, sitôt en campagne, a sauvé Mantinée, écrasé les Spartiates — dont le grand homme de guerre, le tyran Machanidas, a été tué —, reconquis Tégée, et poussé ses ravages jusqu'en pleine Laconie : si bien que, dans le Péloponnèse comme dans le reste de l'Hellade, c'est désormais la cause de la Macédoine qui l'emporte[53]. — Assurément, si les Romains prennent encore intérêt à ce qui se passe là-bas ; s'ils ont souci des Aitoliens et des Péloponnésiens amis de l'Aitolie, s'ils regrettent l'isolement désastreux où ils les ont laissés, s'ils les veulent sauver et garder pour alliés ; et, en même temps, s'ils jugent désirable de raffermir en Grèce leur prestige ébranlé, détruire l'impression mauvaise produite par leur retraite inexpliquée, où certains voient un signe d'impuissance et d'autres un acte de félonie ; s'il leur plaît que le nom de Rome, craint et respecté, impose comme naguère aux Hellènes, voici pour eux l'instant de se montrer. — Mais ces raisons ne les émeuvent point. L'année 206 s'avance sans qu'on les voie paraître. Aux appels des Aitoliens[54], à ceux mêmes de Sulpicius[55] qu'inquiètent les manœuvres des neutres et leur ascendant croissant en Aitolie, le Sénat oppose un silence tenace ; il n'expédie en Grèce ni un vaisseau ni un soldat ; pour qu'il se souvienne qu'il y a des alliés, il faut que ces alliés, victimes de son abandon, aient été forcés de mettre bas les armes.

L'évènement, aisé à prévoir et qu'il a dû prévoir depuis plus d'un an, a lieu dans le courant de 206[56]. En ce temps-là, bousculés par l'ennemi, exhortés par les neutres, travaillés par les adversaires de Scopas et des belliqueux, les Aitoliens, après avoir fait preuve d'une généreuse patience, se lassent d'attendre une aide qui, sans doute, ne leur viendra jamais, et subissent la paix accablante que Philippe leur impose[57]. Mais, alors seulement, le Sénat secoue sa longue inertie. Il s'avise sur le tard que, même après l'échec du grand dessein d'Hannibal et de Philippe, la guerre hellénique avait du bon, qu'elle occupait utilement le roi, qu'il est fâcheux qu'elle ait pris fin, et qu'il serait souhaitable qu'elle recommençât : car, libre du côté des Grecs, Philippe va se retourner sans doute contre les dernières places illyriennes, Épidamnos et Apollonia, encore en la possession de Rome. Le danger que court l'Illyrie rappelle aux Patres que la Grèce existe. Par leur ordre, au printemps de 205, le proconsul P. Sempronius, allant au plus pressé, passe le détroit[58], amène à Épidamnos des forces imposantes — trente-cinq vaisseaux de ligne qui portent dix mille hommes et mille chevaux. Et, tandis qu'il prévient l'attaque de Philippe par une prompte offensive, assiège Dimalé et s'efforce de soulever les Parthiniens, son légat, Lætorius, se rend en Aitolie avec quinze vaisseaux et des troupes de terre[59]. Lætorius a pour mission de troubler la paix toute fraiche[60]. Il invite donc, non sans quelque effronterie, les Confédérés à se remettre en campagne au côté des Romains. Démarche inutile : sachant ce que vaut l'alliance romaine, voyant ce qu'elle leur coûte, les Aitoliens n'ont aucun goût à en faire une nouvelle épreuve. Ce sont maintenant les pacifiques, Agélaos de Naupakte et ses hommes[61], qui, chez eux, mènent les affaires. L'envoyé du proconsul est rebuté, et les Romains demeurent seuls en face de Philippe.

Ainsi se terminent les premières relations de Rome et de l'Aitolie. Les Romains garderont toujours le souvenir irrité de la défection des Confédérés ; leur orgueil n'admettra jamais que ceux-ci aient osé, sans leur aveu, traiter avec l'ennemi commun[62]. Ils sauront imposer silence à leurs rancunes quand l'exigera l'intérêt politique ; mais ces rancunes, sagement assoupies aussi longtemps que durera leur seconde guerre contre Philippe, auront, comme on sait, au lendemain de cette guerre, un violent réveil. Après Kynosképhalai, les Aitoliens, redevenus depuis trois ans les auxiliaires de Rome, entendront T. Quinctius alléguer brusquement, pour leur refuser les villes de Phthiotide qu'ils revendiquent, la forfaiture impardonnée qu'ils ont commise en 206[63]. — La vérité, pourtant, est que cette forfaiture n'a été que la conséquence d'une autre, qui a eu, celle-là, les Romains pour auteurs[64]. Ce sont eux qui, les premiers, ont failli aux conventions jurées en 212, et donné aux Aitoliens un long exemple d'infidélité ; sont, eux qui, en les délaissant, ont permis à Philippe victorieux de les acculer à la paix ; ce sont eux qui, par leur désertion renouvelée deux ans de suite, les ont contraints à la défection. Si, finalement, il y a rupture entre l'Aitolie et Rome, la faute en est toute aux Romains ; s'ils perdent leurs alliés, c'est qu'ils n'ont pas voulu s'imposer le soin de les garder ; c'est qu'à partir d'un certain moment, du moment où ils ont cessé de redouter Faction combinée de la Macédoine et de Carthage, ils ont cessé aussi, la jugeant désormais à peu près sans objet, de faire cas de l'alliance aitolienne. Or, il est clair qu'ils eussent été d'un autre sentiment et qu'ils auraient agi de façon différente, s'ils avaient, eu sur la Grèce les projets qu'on leur veut attribuer. Occupés de l'avenir, au heu de s'attacher uniquement au présent, ils eussent alors estime à son prix cette alliance qui leur procurait, comme nous l'avons dit, la facilité de se mêler, en tout temps et presque à leur gré, aux querelles de l'Hellade et de la Macédoine ; ils eussent vu en elle ce qu'elle eût été, en effet, l'instrument politique dont, leur ambition ferait, à l'occasion, le plus utile usage ; et, supputant le profit qu'ils en pouvaient tirer, ils n'eussent point été si malavisés que de la laisser échapper.

 

 

 



[1] Ceci résulterait déjà du fait que l'alliance a la forme d'une amicitia. Tout fœdus amicitiæ est, de sa nature, perpétuel ; cf. Täubler, Imp. Romanum, I, 4-5 ; 212, à propos, justement, du traité de 212.

[2] Liv. (P.) 26. 24. 12 : si Aetoli pacem cum Philippo facerent, fœderi adscriberent ita ratam fore pacem si Philippus arma ab Romanis sociisque quique eorum dicionis essent abstinuisset ; (13) item si populus Romanus fœdere iungeretur regi, ut caveret ne ius ei belli inferendi Aetolis sociisque eorum esset. La dernière phrase est très bien commentée par De Sanctis, III, 2, 415. Du texte de T. Live cité ci-dessus on peut rapprocher un article du traité d'Hannibal avec Philippe : Polybe, VII. 9. 13 ; cf. 9. 15.

[3] C'est ainsi, par exemple, que T. Live, passe entièrement sous silence les événements militaires de l'année 210.

[4] Polybe, X. 25. 1-5. Ce fragment, comme je l'ai indiqué déjà, doit provenir d'un discours prononcé, peut-être aux conférences de Phalara ou d'Aigion, par un ambassadeur de Philippe. — On trouve, égarée dans Pausanias (VII. 7. 7), cette appréciation curieuse : ωμαοι δ πεπμφεσανλγ μν πικουρσοντας Ατωλος ναντα Φιλππου, τ δ ργ μλλν τι π κατασκοπ τν ν Μακεδονίᾳ πραγμτων.

[5] Liv. (P.) 26. 24. 15. — tout ce qui suit, je rappelle que je m'en tiens à la chronologie établie par Niese, II, 477 suiv. — De Sanctis, qui place la conquête de Zakynthos et d'Oiniadai dans l'été de 211 (III, 2, 417-418 ; 684), admet que Lævinus est demeuré inactif pendant la fin du même été : le propréteur s'empresse de retourner à Kerkyra cf. Liv. (P.) 26. 24. 16) et n'en bouge plus (III, 2, 419).

[6] Liv. (P.) 26. 26. 1-3.

[7] Liv. (P.) 26. 25. 6-8 ; 25. 15.

[8] Liv. (P.) 26. 25. 16-17 (cf. 25. 9) ; voir les remarques de Niese, II, 479, 2. Il est sûr qu'une descente des Romains en Akarnanie, ou que la présence de leur flotte dans les parages de l'Eubée ou de la Thessalie eût grandement aidé les Aitoliens : dans le premier cas, les Akarnaniens auraient dû se diviser, donc dégarnir leurs frontières de terre ; dans le second, Philippe, retenu à l'orient de la Grèce, se fût trouvé hors d'état de leur porter secours. Les difficultés d'une campagne navale des Romains dans la Mer Égée paraissent fort exagérées par De Sanctis (III, 2, 419). — Noter ce qu'écrit Liv. (P.) 26. 25. 10 : Arcananum gensiam Oeniadas Nasumque amissas cernens Romanaque insuper arma ingruere.... Le fait notable, c'est que, contrairement à ces prévisions, les Romains ne tentent rien contre eux. — On est stupéfait de lire dans Mommsen (R. G., I7, 624) : — die Aetolerdie in Gemeinschaft mit der römischen Flotte die unglücklichen Akarnanen vernichteten.

[9] Sur la lenteur des Romains à se mettre en campagne, cf. les justes observations de Niese, II, 479, 3.

[10] Polybe, IX. 41. 1-10 : travaux d'investissement exécutés par Philippe à Échinos ; si rapides qu'aient été ces travaux (41. 10), on a peine à croire qu'ils n'aient pas pris quelques semaines ; 42. 4 : Philippe se ravitaille par mer malgré la présence de l'escadre romaine ; peut-être est-ce avec l'Eubée qu'il communique (cf. Niese, II, 484). — Liv. (P.) 27. 30. 3 : Philippe à Phalara ; la conquête de Phalara doit avoir suivi celle d'Échinos (cf. De Sanctis, III, 2, 422). — On admet d'ordinaire (cf. Niese, ibid.) que Sulpicius s'empara d'Aigine après que Philippe eut pris Échinas ; sans preuve, à ce qu'il me semble. Bien n'indique, en effet, que l'exc. de sententiis (§ 58, 138 Boissev.), où est mentionnée la prise d'Aigine, soit tiré d'un chapitre du l. IX de Polybe placé après celui qui traitait de la prise d'Échinos. Les deux événements peuvent s'être succédé dans l'ordre inverse de celui qu'on leur assigne communément. Il est possible que Sulpicius se soit trop attardé à Aigine, et que Philippe en ait profité pour envahir la Malide et commencer le siège d'Échinos.

[11] Liv. (P.) 27. 30. 1 : marche des Aitoliens, conduits par le stratège Pyrrhias, sur Lamia. T. Live ajoute : habebant (Aetoli) — et mille ferme ex Romana classe a P. Sulpicio missos. De Sanctis (III, 2, 422-423) conclut de ces mots que la flotte romaine se trouvait ans le golfe maliaque, et que c'est de là qu'ayant fait le tour du Péloponnèse, elle s'en vint à Naupakte (30. 11). Cette interprétation du texte de T. Live est inexacte. L'arrivée de P. Sulpicius à Naupakte (27. 30. 11) correspond à son entrée en campagne ; et c'est au lieu (Kerkyra ?) où il hivernait, qu'il a expédié 1.000 auxiliaires aux Aitoliens. Il est évident qu'au moment des négociations de Phalara, la flotte romaine ne croisait pas dans ce voisinage ; cela ressort de Liv. 27. 30. 7-8 : Philippe ne prend de précautions que contre les attaques éventuelles d'Attale, dont la venue est annoncée. — Débarquement de Sulpicius entre Sicyone et Corinthe : Liv. (P.) 27. 31. 1-3 ; à Kyllène, en Élide 32. 2. Sulpicius se rend ensuite à Aigine où il hiverne avec Attale : 33. 4-5.

[12] Que, pendant l'été de 209, une flotte punique, d'abord envoyée à Tarente, soit venue, l'appel de Philippe, dans les parages de Kerkyra, c'est ce qui résulte de Liv. (P.) 27. 30. 16, rapproché de 15. 7 (P., selon De Sanctis, III, 2, 638) ; cf. Kahrstedt, 505 et note 2, 507. La présence de cette flotte dans le détroit d'Hydrous expliquerait très bien l'inaction de Sulpicius au début de la campagne de 209 et son arrivée tardive à Naupakte Liv. (P.) 27. 30. 11). — Si le proconsul, quittant les eaux occidentales, se décide à venir à Naupakte, opère ensuite dans le golfe de Corinthe, et, finalement, hiverne à Aigine, c'est apparemment que les Puniques se sont éloignés de Kerkyra et ne font pas mine d'en reprendre le chemin. Le plus probable me parait être que, peu de temps après leur arrivée dans le détroit, ils se sont de nouveau rendus à Tarente, appelés par les habitants qu'assiégeait Q. Fabius. C'est à cette circonstance que se rapporte, selon moi, le fragm. de Polybe, X. 9. 11. Ce texte a certainement trait au siège de 209, comme l'indiquent les mots τά περί τήν στρατοπεδείαν, et il n'y a nul compte à tenir du fait qu'on le retrouve chez T. Live où il a subi un grossier remaniement) sous la date de 211 (Liv. 26. 20. 7-11 ; cf. Niese, 1, 551 et note 4 ; erreur de Kahrstedt, 493, note 1). Si T. Live, ou l'Annaliste qu'il a suivi, place en 211, et non en 209, la venue et le séjour des Puniques à Tarente, et fait venir leur flotte, non des mers de l'Est, mais de la Sicile (20. 7), c'est par une confusion avec e qui avait eu lieu à l'automne de 212 (25. 27. 12 ; cf. Kahrstedt, ibid.). Le fragment de Polybe nous apprend que l'amiral qui essaya de débloquer Tarente en 209 était Bomilcar ; c'est donc lui qui, auparavant, avait conduit la flotte punique dans le voisinage de Kerkyra. S'il n'y fit rien — inaction dont on s'est justement étonné (cf. Kahrstedt, 507) — la première raison en est qu'il n'y resta qu'un temps très court. — Il dut, après son échec à Tarente, passer l'hiver de 209/208 soit dans un des ports de la Grande-Grèce qu'occupaient encore les Puniques, soit à Carthage.

[13] En 208, la flotte punique, commandée probablement encore par Bomilcar, reparait dans la Mer Ionienne. Elle y arrive sans doute à l'improviste, à la requête de Philippe, après qu'Attale et Sulpicius sont partis pour la Mer Égée ; s'ils avaient prévu sa venue, le proconsul et le roi de Pergame l'eussent attendue et combattue. Profitant de leur absence, les Puniques poussent d'abord jusqu'à Aigion, où Philippe leur a prescrit de se rendre et compte s'unir à eux (Liv. (P.) 28. 7. 17-18 ; cf. 8. 8) ; mais, avertis que la flotte de Sulpicius et d'Attale a quitté Oréos et craignant d'être bloqués par elle dans le Golfe, ils font retraite à l'Ouest, touchent les îles Oxéai et gagnent les ports d'Akarnanie (7. 18). A partir de ce moment, on ne sait plus rien d'eux ; mais le fait que Sulpicius, après être revenu de l'Eubée, ne va pas plus loin qu'Aigine (7. 11) et ne songe point à couvrir la côte d'Illyrie, prouve qu'ils ont quitté la Mer Ionienne et ne sont plus à craindre. Comme je l'indique plus loin, il parait certain que la flotte punique fut battue, à son retour de Grèce, par la flotte romaine de Sicile. — L'extrême timidité que montrent les Puniques pendant leur double campagne orientale est tout-à-fait dans la manière de l'amiral Bomilcar (comp. sa conduite à Pachynos et à Tarente).

[14] Cf. Polybe, X. 41 — 42 ; Liv. (P.) 28. 5. 2.

[15] Toutefois, il est singulier qu'à la fin de l'été de 208, Sulpicius, qui se trouve à Aigine, laisse Philippe se rendre par mer de Kenchréai à Chalkis : Liv. (P.) 28. 8. 11.

[16] Cf. Polybe, IX. 37. 10.

[17] Cf. Polybe, XI. 4. 7 : le Rhodien Thrasykratès a soin d'insister (en 207) sur le caractère stérile de la guerre.

[18] Antikyra était retombée au pouvoir de Philippe dès 208 : cela résulte de Liv. (P.) 28. 8. 7-8 (ce texte est omis par Salvetti, qui, dans les Studi di stor. ant., II, 120, se réfère seulement à Liv. (P.) 32. 18. 4) ; cf. Weissenborn, ad h. l. ; Niese, II, 480, 2 ; 492, 4.

[19] Double défaite des Aitoliens près de Lamia en 209 Liv. (P.) 27. 30. 2 ; leur défaite aux Thermopyles en 208 : 28. 7. 3 ; — ravages de Philippe aux environs du golfe maliaque, Polybe, X. 42. 5 ; — sur la côte Sud de l'Aitolie (Lokride) : Liv. (P.) 28. 8. 8-10. Pour les conquêtes faites, en 21.0 et 208, par Philippe autour du golfe maliaque, voir l'excellent exposé de Salvetti, 121-122. Prise probable, vers 210, de Larisa Krémasté et de Ptéléon. — ibid. 117 ; 122. — Notez qu'Oréos est réoccupée par Philippe après le départ d'Attale : Liv. (P.) 28. 8. 13.

[20] Liv. (P.) 28. 8. 11. Dans ce texte, inter medias prope hostium classes est une erreur ; Attale étant déjà parti (7. 10 ; cf. 8. 14), il ne peut s'agir que de la flotte romaine.

[21] Liv. (P.) 27. 30. 4 ; 30. 6 ; 30. 10 ; 30. 12-14.

[22] C'est ce qu'il paraît naturel d'induire de Liv. (P.) 27. 30. 11, et de Polybe, X. 41. 1, bien que les Romains soient nommés à côté d'Attale. Le langage de Polybe montre bien qu'avant l'arrivée d'Attale les Aitoliens avaient passé par une crise de découragement.

[23] Liv. (P.) 28. 7. 10 ; 8. 14.

[24] C'est seulement par un désastre naval infligé en 208 aux Puniques que s'expliquent la fois : 1° (comme je ]'indique plus loin dans le texte) la retraite, en 207, de l'escadre se P. Sulpicius ; 2° la résolution prise par Philippe, à la fin de 208, de se construire une grande flotte (Liv. (P.) 28. 8. 14) ; 3° l'impuissance maritime de Carthage depuis 208 jusqu'en 203 (cf. De Sanctis, III, 2, 476, note 52, et les faits cités par Gsell, Hist. anc. de l'Afrique du Nord, II, 459) ; 4° le rappel et le désarmement de la flotte romaine de Sicile en 206 (Liv. (Ann.) 28. 10. 16). Si, en 204, les Puniques laissent P. Scipion passer et débarquer en Afrique, communiquer de façon permanente avec l'Italie, la Sicile, la Sardaigne et l'Espagne (Liv. (Ann.) 29. 29. 3 ; 35. 1., cf. 5 et 8 ; 36. 1-2 ; 30. 3. 2, naviguer jusqu'à Utique et en faire le siège, la raison en est évidemment qu'ils ne possèdent plus, cette époque, de flotte en état de combattre ; et le fait est que, dans l'hiver de 204/203, ils jugent nécessaire de s'en créer une (Polybe, XIV. 1. 2 ; 9. 7 ; 10. 4 ; 10. 9), — Je ne doute pas qu'il ne faille rapporter à cette défaite navale l'indication donnée, sous deux dates successives, par deux Annalistes de T. Live : 27. 29. 7 (année 208) : (descente de M. Lævinus à Clupea avec la flotte de Lilybée) inde ad navesrecepti, quia repente lama accidit classem Punicam adventare. (8) LXXX erant et tres naves, cum his haud procul Clupea prospere pugnat Romanus ; X et VIII navibus captis, fugatis aliis, cum magna terrestri navalique præda Lilybæum rediit. — 28. 4. 6 : (année 207) : (descente de M. Lævinus sur le territoire d'Utique) repetentibus (Romanis) Siciliam classis PunicaLXX erarat longæ navesoccurrit. X et VII naves ex iis captæ sunt, quattuor in alto mersæ, cetera fusa ac fugata classis (le doublet est évident ; cf. De Sanctis, III, 2, 476, note 52 ; 643). Toutes les particularités de l'événement peuvent avoir été forgées par les Annalistes, mais c'est à tort qu'on a nié (cf. Kahrstedt, 516, 1) l'événement lui-même. La réalité en est impliquée par l'ensemble des circonstances historiques rappelées ci-dessus. — Quant à avoir ce qu'était la flotte vaincue par M. Lævinus, la réponse ne me parait pas douteuse. L'indication des Annalistes, d'après laquelle cette flotte aurait eu pour mission d'attaquer l'Italie, la Sicile et la Sardaigne (Liv. (Ann.) 27. 22. 8 ; cf. 5. 1.3), ne mérite pas d'être discutée. Les Annalistes ont ignoré la présence sur les côtes de Grèce, en 209 et 208, de la flotte de Bomilcar — la seule flotte importante dont disposât alors Carthage. C'est elle qui, à son retour d'Akarnanie (cf. Liv. (P.) 28 7. 18) en Afrique, ayant rencontré la flotte romaine de Sicile, qui devait l'attendre et l'épier, fut défaite par Lævinus. La date vraie de la bataille est donc l'été de 208 (cf. De Sanctis, III, 2, 476, note 52, 643, qui me parait toutefois se méprendre lorsqu'il fait remonter directement à Polybe le passage de Liv. 28. 4. 6-7). Le désastre dut être considérable ; en tout cas, l'impression morale fut si forte que le gouvernement punique renonça, de ce jour et pendant quatre ans, à toute action sur mer.

[25] Liv. 29, 12. 1 : neglectæ eo biennio [207 et 206] res in Græcia erant.

[26] Cf. Liv. (P.) 29. 12. 2 ; Appien, Maced., 3. Le texte d'Appien, d'origine annalistique, renferme, comme je l'indique plus loin, une erreur énorme et certainement intentionnelle au sujet des prétendus renforts envoyés (en 207 ?) d'Italie à P. Sulpicius ; mais ce qui y est dit de la présence de Sulpicius en Grèce jusqu'à la fin de la guerre aitolique ne parait pas devoir être rejeté. Il est singulier, toutefois, que, dans T. Live, il ne soit pas fait mention de Sulpicius lorsqu'il est parlé de la répartition des provinciæ pour 207 (Liv. 27. 5. 2 ; 36. 10-13 ; cf. De Sanctis, III, 2, 429, note 83).

[27] Ceci n'est, à vrai dire, qu'une hypothèse des modernes (cf. Niese, II, 494 ; Grundriss4, 22-123 ; De Sanctis, III, 2, 429) : T. Live ne parle pas du rappel des soldats de Sulpicius, au lieu qu'il parle de prétendus renforts expédiés d'Espagne par P. Scipion (27. 38. 11). Mais l'hypothèse parait nécessaire. On ne concevrait pas qu'ayant gardé ses forces au complet, Sulpicius eût cessé de se mêler à la guerre hellénique. — D'autre part, je ne puis admettre, comme quelques critiques (cf. Clementi, Studi di stor. ant., I, 75), que l'escadre d'Illyrie ait été rappelée tout entière en Italie.

[28] Cf. Niese, II, 494 ; De Sanctis, III, 2, 429.

[29] Liv. (P.) 28. 8. 14. — Si Philippe avait accompli ce projet, il ne semble pas douteux que la marine romaine eût vite reparu dans les eaux orientales ; mais le roi en a presque tout de suite suspendu l'exécution. Il est sûr qu'en 205 il ne possède pas encore de grande flotte ; c'est ce que démontrent indirectement : 1° la dislocation de la flotte romaine de Sicile en 206 ; 2° le fait que P. Sempronius, comme je l'indique plus loin, n'amène en Illyrie, en 205, qu'une escadre de 35 vaisseaux ; 3° la complète inaction maritime de Philippe en cette même année 205. Aussi bien, une fois Attale et Sulpicius partis, n'ayant plus d'adversaires dans les mers grecques, et, d'autre part, ne pouvant plus songer, après la journée du Métaure et la retraite d'Hannibal, à faire campagne en Italie, il est naturel que Philippe ait jugé moins urgent de se créer une marine de guerre. Le but qu'il se proposait en 209 et 208 est clairement indiqué par T. Live (P. ; 27. 30. 16 ; cf. 28. 7. 7) : — statuerat navali proplio lacessere Romanos iam diu in regione ea potentis maris. Le départ de l'escadre romaine résolvait la question en la supprimant.

[30] Cf. Polybe, X. 25. 1-5.

[31] Intervention des neutres (l'Égypte, Rhodes, Byzance, Khios, Mytilène ; les Athéniens ?) en 207 ; discours de l'ambassadeur rhodien Thrasykratès : Polybe, XI. 4-6. 8. Il est d'ailleurs surprenant que, dans ce discours, nulle allusion ne soit faite à l'inaction es Romains en Grèce.

[32] Jullian, Hist. de la Gaule, I, 495.

[33] Cf. Liv. (Ann.) 27. 38. 1-9.

[34] Cf. Liv. (Ann.) 27. 38. 1 sqq. ; — 27. 9. 7-9 (refus d'obéissance des colonies latines : ann. 209) ; — 27. 21. 6-7 ; 24 ; 38. 6 (troubles en Étrurie : ann. 209, 208, 207).

[35] Voir, par exemple, Brandstäter, Gesch. des ætol. Landes etc. 400 ; Hertzberg, I, 39 (trad. fr.) ; Clementi, Studi di stor. ant., I, 75 ; Niese, II, 494 ; Grundriss4, 122-123 ; Cavaignac, Hist. de l'Antiq., III, 308 ; Niccolini, Confed. achea, 99, etc. Speck (Handelagesch. des Altert., III, 2, 10) exprime la même idée en termes singuliers : Wegen Hasdrubals Anmarsch zogen die Römer ihre Flotte ins Adriatische Meer. Ce n'est cependant pas avec des vaisseaux que les Romains se proposaient de combattre Hasdrubal.

[36] C'est ce qu'établit un calcul plausible. Les 25 quinquérèmes placées sous le commandement de P. Sulpicius comportaient un effectif total d'environ 3.000 épibates ou soldats de marine (cf. Polybe, I. 26. 7 : 120 épibates par vaisseau ; Kahrstedt, 441 ; Kromayer, Philolog., 1897, 491). Observons maintenant qu'il n'est guère possible que Sulpicius ait gardé n Illyrie moins de 10 quinquérèmes : tel était le nombre de bâtiments que comptaient es plus faibles divisions navales (Cf., par exemple, Polybe, V. 110. 9) ; si bien que celles qu'il eut ordre de renvoyer en Italie étaient seulement au nombre d'une quinzaine. Sur ces 5 quinquérèmes devaient être embarqués environ 1.800 soldats.— A la vérité, De Sanctis est d'avis (III, 2, 429 et note 81) que Sulpicius avait gardé une partie de l'ancienne legio macedonica. Les textes annalistiques relatifs à cette légion sont contradictoires pour la période qui va de 210 à 208 ; mais, comme je l'ai dit, il y a tout lieu de croire qu'elle n'a existé à aucune époque. — Kahrstedt (507, 2) montre très bien, à propos du débarquement de 4.000 hommes opéré par Sulpicius en 209 (Liv. (P.) 27. 32. 2), que cette troupe put être fournie, partie par les épibates, partie par les socii navales débarqués des 15 quinquérèmes que commandait le proconsul à ce moment.

[37] De Sanctis, III, 2, 572-573 ; 574 ; cf. 486-487. Même évaluation des forces d'Hasdrubal chez Kromayer (Ant. Schlachtf., III, 1, 492-494) : 30.000 hommes ou un peu plus. Les effectifs puniques seraient beaucoup moindres selon Lehmann (Die drei Angriffe der Barkiden, 266) ; il n'attribue qu'env. 12.000 h. à Hasdrubal et qu'env. 15.000 à Hannibal. La disproportion des forces adverses serait alors énorme : plus de 80.000 h. du côté romain, env. 30.000 seulement du côté punique. Les chiffres proposés par Lehmann pour les Puniques se rapprochent de ceux qu'adopte Kahrstedt (522 ; 525) — (12.000 h. env. pour Hasdrubal, 20 à 22.000 pour Hannibal — ; mais Kahrstedt (524-525), jetant par dessus bord, à son habitude, les renseignements annalistiques, réduit les forces romaines de telle sorte qu'elles balancent seulement celles de l'ennemi. — De Sanctis (III, 2, 489) fait bien voir que la célèbre manœuvre de G. Claudius Nero, amenant en hâte à M. Livius un corps d'élite de 7.000 hommes, ne fut pas aussi aventurée qu'on a coutume de le dire ; même diminuée de ce corps, l'armée romaine du Sud était en mesure de contenir Hannibal.

[38] Voir le calcul fort acceptable de De Sanctis, III, 2, 571 ; 573-574 ; cf. 486-487. Les nit légions opposées à Hasdrubal et à Hannibal, qui représentent au total une force de 70 à 75.000 hommes, sont : 1° (contre Hasdrubal) les deux légions consulaires de M. Livius (20-25.000 h.), appuyées par les deux légions du préteur L. Porcius Licinus (10-12.000 h.) ; 2° (contre Hannibal) les deux légions consulaires de G. Claudius Nero, auxquelles s'adjoignent les deux légions du proconsul Q. Fulvius Flaccus (au total, 40.000 h. environ). Évaluation semblable, chez Kromayer (III, 1, 491 ; 493), des forces opposées à Hasdrubal : env. 35.000 hommes. Les estimations de K. Lehmann (265) sont beaucoup plus élevées : env. 40.000 h. pour les deux légions de M. Livius et les deux légions de L. Licinus ; 42.500 h. (chiffre de Liv. 27. 40. 14) pour les deux légions (très renforcées) de G. Nero, indépendamment des deux légions de Q. Fulvius ; le total, qui paraît très exagéré, serait ainsi de 82.500 hommes.

[39] Les sept légions tenues en réserve et fortes, selon De Sanctis (III, 2, 574), d'env. 35.000 h. sont : les deux légions d'Étrurie ; les deux légions urbaines ; la légion de Capoue ; les deux légions qui se trouvent au voisinage de Tarente. Lehmann (265) leur attribue, par une exagération manifeste, un effectif total de 52.000 hommes. — Sur le rôle important que pouvaient. jouer certaines de ces légions, notamment celles de Tarente et les légions urbaines, cf. De Sanctis, III, 2, 487-488, 489 ; Lehmann, 272. — La preuve que l'État romain est loin d'être aussi démuni d'hommes qu'on le suppose d'ordinaire, c'est qu'outre es quatre légions d'Espagne (env. 30.000 h. : De Sanctis, III, 2, 574) et les deux de Sicile, il entretient encore en Sardaigne, sans grande nécessité, semble-t-il, deux légions qui seront licenciées l'année suivante et remplacées par une légion de conscrits (Liv. (Ann.) 8. 10. 14).

[40] Voir le calcul de Kahrstedt (522-524), dont je ne me porte nullement garant. Il faut noter sa conclusion (524) : Hob man nun den Jahrgang 207 gleich im Frühjahr aus, ohne von ihm Ersatzmannschaften nach Spanien oder sonstwohin ahzugeben, sowar (man) also den beiden Barkiden gewachsen. Man muss sich dieses klar machen, um zu verstehen dass Scipio den Zug Hasdrubals ruhig geschehen liess...

[41] La flotte est désarmée en 206 : Liv. (Ann.) 28. 10. 16 : M. Valerius proconsul, qui tuendæ circa Siciliam maritumæ oræ præfuerat, XXX navibus C. Servilio prætori traditis, cum cetera omni classe redire ad urbem iussus. Les mots cum cetera omni classe semblent indiquer qu'elle avait gardé jusque-là son effectif complet de 100 bâtiments ; cf. 27. 22. ; 29. 7, pour l'année 208.

[42] Liv. (Ann.) 27. 15. 4-16. 9. Pour les autres sources, voir De Sanctis, III, 2, 471, note 42. Beloch (Klio, 1918, 402) place en 208 la prise de Tarente. — Les villes du voisinage, Hérakleia et Métaponte, sont perdues par les Puniques peu après Tarente, probablement dès 207 ; cf. Niese, II, 552. La présence de la grande flotte romaine de Sicile a, d'ailleurs, rendu jusqu'en 206 les côtes de la Basse-Italie inaccessibles à toute escadre ennemie.

[43] Sur les grandes conséquences de la bataille du Métaure : Kahrstedt, 528. — Retraite d'Hannibal dans le pays bruttien : Liv. 27. 51. 12 : Hannibal, tanto simul publico familirigue ictus luctu, agnoscere se fortunam Carthaginis fertur dixisse... ; cf. Polybe, XI. 6. 1. Inaction d'Hannibal en 206 : Liv. (P. ; cf. Kahrstedt, 531, 1) 28. 12. 1.

[44] Cf. De Sanctis, III, 2, 506. Les six légions qui, d'après la tradition annalistique, ont campagne en 206 dans l'Italie méridionale sont les quatre légions placées sous les ordres des consuls L. Veturius et Q. Cæcilius, auxquelles on peut joindre les deux légions e Tarente, commandées par Q. Claudius Flamen.

[45] Comme Matzat (Röm. Zeitrechn., 154 et note 2) et De Sanctis (III, 2, 496, note 84), je crois, après examen, devoir placer en 207 la bataille d'Ilipa (Silpia). — Sur les conséquences de cette bataille, qui marque l'écroulement de la puissance punique en Espagne : Kahrstedt, 534.

[46] Cf. Liv. (Ann.) 28. 10. 16. Les 35 vaisseaux mis, en 205, à la disposition de P. Sempronius (P. ; 29. 12. 2) doivent être en partie tirés de cette flotte.

[47] Sur l'inaction singulière des Romains en 206, voir les justes remarques de Brandstäter, Gesch. des ætol. Landes etc. 400 : So lange die Römer noch auf den so gefürchteten Anzug Hasdrubals nach Italien gespannt waren, mochten sie nicht im Stande sein, ihren überseeischen Bundesgenossen wesentliche Hülfe zu leisten ; nachdem aber diese Gefahr durch Hasdrubals Niederlage und Tod beseitigt, und nun Hannibal auf sich selbst beschränkt worden war, hätten sie sich der Aetoler nachdrücklicher annehmen sollen. Niese a tenté de justifier la conduite du Sénat (II, 500 ; cf. 501) : ... Auch im nächsten Jahre, 206, blieben die Römer aus, da sie um diese Zeit wiederum alle Kräfte brauchten, um die Karthager aus Spanien zu vertreiben, und zugleich für den Feldzug nach Afrika rüsteten. L'inaction des Romains s'expliquerait ainsi par un double motif : 1° Ils auraient besoin de toutes leurs forces pour chasser d'Espagne les Puniques ; 2° ils seraient occupés à préparer l'expédition d'Afrique. Cette double explication ne vaut rien. — 1° A supposer, comme le veut Niese avec la plupart des critiques, que la grande offensive de Scipion contre les Puniques soit de l'année 206, il n'y a aucune apparence qu'on lui ait, cette année-là, expédié d'Italie des renforts considérables : cf. Kahrstedt, 523 ; 540, 1. L'armée romaine d'Espagne se renforçait sur place au moyen de contingents indigènes : De Sanctis, III, 2, 455, note 21 s. j. Noter que, d'après T. Live, 27, 38. 11, ce serait Scipion qui, en 207, aurait envoyé des troupes aux armées d'Italie, bien loin de leur en emprunter sur la valeur d'ailleurs douteuse de ce renseignement, cf. De Sanctis, III, 2, 482, note 63 ; Kromayer, Ant. Schlachtf, III, 1, 490, 2). — 2° Il n'est pas exact que les préparatifs de l'expédition d'Afrique aient commencé dès 206 ; ils ne datent que de 205, après que Scipion, élu consul, a reçu la Sicile pour province ; et l'on doit observer que, même en 205, le Sénat expédie en Illyrie des forces considérables sous le commandement de P. Sempronius. — De Sanctis (II, 2, 432) écrit : I quali (Romani), vinto Asdrubale, espulsi dalla Spagna i Cartaginesi, liberatisi d'ogni timore per parte d'Annibale, credettero venuto il tempo [en 205] d'aggiustare i loro conti con Filippo... Mais il résulte de son exposé même que la situation était également favorable en 206 ; ce qu'ils firent en 205, les Romains l'auraient donc pu faire un an plus tôt.

[48] Cf. Polybe, XI. 4. 3 ; Appien, Maced., 3. Cette intervention des neutres est de l'année 207 ; je la crois antérieure aux grands succès de Philippe, car le discours de Thrasykratès n'y fait point allusion. Pour la légère difficulté que soulève la phrase de ce discours relative à la retraite d'Hannibal (XI. 6. 1), j'admets la seconde des deux explications proposées par De Sanctis (III, 2, 444).

[49] On admet communément aujourd'hui que la Thessalie fut reconquise par Philippe : De Sanctis, III, 2, 430 et note 85, 431, 435, note 92 ; Svoboda, Staatsaltert., 345-348. La chose est très vraisemblable, malgré la difficulté, signalée ci-après, que soulève le texte de Polybe, XVIII. 3. 12.

[50] C'est vraisemblablement au commencement de 207 que Zakynthos est retombée en la possession de Philippe. On ne cannait pas à autre entreprise maritime du roi dans les derniers temps de sa guerre contre Rome.

[51] Liv. (P.) 36. 31. 10-11 ; Polybe, XI. 7. 2 ; je crois, comme De Sanctis (III, 2, 430, note 7), que les deux textes se rapportent à la même campagne. — Liv. 36. 31. 11. : — qua expeditione fractis animis Aetolos compulit (Philippus) ad petendam pacem.

[52] La réorganisation de la cavalerie achéenne par Philopœmen date de 209/208 ; mais la réforme de l'infanterie n'a commencé qu'à l'automne de 208, lorsque Philopœmen devint stratège, soit huit mois seulement avant la bataille de Mantinée ; cf. Polybe, XI. 10. 9 ; Kromayer, Ant. Schachtf., I, 288. — Sur l'effectif de l'armée achéenne en 207 (15 à 20.000 hommes) : Kromayer, I, 289.

[53] Notez que l'armée achéenne s'est grossie d'auxiliaires certainement fournis par Philippe : Polybe, XI. 11. 4 ; 14. 1 ; 15. 5 (mention d'illyriens).

[54] Cf. Liv. 32 21. 17 — Aetolos nequiquam opera Romanorum implorantis —.

[55] Cf. Appien, Maced. 3 (témoignage un peu suspect).

[56] Pour cette date, communément admise et qu'il n'y a pas lieu, je crois, de contester : Niese, II, 501, 2 ; De Sanctis, III, 2, 431-432, 444.

[57] Cf. Liv. 29. 12. 1. : — Philippus Aetolosquibus voluit condicionibus, ad petendam et paciscendam subegit pacem — texte qui n'est d'ailleurs que médiocrement significatif. J'admets, avec De Sanctis (III, 2, 431-432), que la paix fut désastreuse pour les Aitoliens : c'est ce qui parait ressortir naturellement des circonstances ; mais nous ne savons rien de précis sur les sacrifices qui leur furent imposés. Il me parait probable qu'ils durent renoncer à tout ce qu'ils possédaient en Thessalie (De Sanctis, III, 2, 431 ; cf. 435, note 92 ; Swoboda, Staatsaltert. 345-348) ; seulement, il faut reconnaître qu'en ce cas la forme qu'ils donnent, en 198 et 197, à leurs réclamations concernant Échinos, Thèbes-de-Phthiotide, Pharsale et Larisa Krémasté est assez singulière (Polybe, XVIII. 3. 12 ; cf. 38. 3). Les objections de Niese (II, 503, 1. ; cf. aussi, dans un sens analogue, V. Costanzi, dans les Studi storici de E. Pais,1908, 427 suiv.) gardent sur ce point leur valeur, et De Sanctis (III, 2, 435, note 92) ne les a pas résolues. Il est certain que si, en 198, Philippe occupe les villes ci-dessus nommées en vertu d'un traité régulier, ayant consacré son droit de conquête, et qui, pour ce qui est de Thèbes, aurait simplement confirmé le traité de Naupakte, on ne comprend guère qu'Alexandros hies s'indigne si vivement de cette occupation et la tienne pour aussi peu légitime que la prise de Kios et de Lysimacheia (Polybe, XVIII. 3. 1-12). Il faut convenir que le langage des Aitoliens donnerait plutôt à croire que Philippe a promis de leur rendre les villes qu'ils énumèrent, puis les a retenues indûment ou reprises après les avoir cédées. Je signale cette difficulté que je renonce, pour ma part, à résoudre.

L'intéressant mémoire de Fr. Stähelin sur la situation faite aux villes de Phthiotide par la paix de 206 (Die Phthiotis und der Friede zwischen Philippos V. und den Aetolern : Philolog. 1921, 199 suiv.) ne parvient à ma connaissance qu'au moment où se termine l'impression de mon ouvrage. Autant que je puis voir, la question relative à ces villes est posée par Stähelin à peu près dans les mêmes termes que par moi. Quant à la solution qu'il adopte, elle me parait se rapprocher beaucoup de celle qu'a proposée Costanzi.

[58] On sait à quels artifices a recours T. Live (qui parait mêler ici une tradition annalistique à celle de Polybe) pour pallier l'inexcusable retard des Romains (29. 12. 1-4 ; cf. Niese, II, 501, 2 ; De Sanctis, III, 2, 443) : Philippe, à l'en croire, s'est tant hâté de faire sa paix avec les Aitoliens, que P. Sempronius n'a pu arriver à temps pour les secourir. L'Annaliste d'Appien (Maced., 3) y va plus hardiment : P. Sulpicius obtient du Sénat, en temps opportun, les renforts qu'il a réclamés (il s'agit, en réalité, des forces placées sous le commandement de Sempronius), et, grâce à ces renforts, les Aitoliens s'emparent d'Ambrakia (cette dernière indication me demeure, du reste, inintelligible comme à la plupart des critiques ; cf. De Sanctis, III, 2, 429, note 83 s. f.) les Romains sont ainsi sans reproche, et les Aitoliens sans excuse de s'être accommodés avec Philippe.

[59] Liv. (P. et Ann. ?) 29. 12. 2-5. Il faut noter la façon dont s'exprime T. Live (29. 12. 4) : eo (en Illyrie) se averterant Romani ab Aetolorum, quo missi erant, auxilio, irati, quod sine auctoritate sua adversus fœdus cum rege pacem fecissent. Ce passage est rédigé de manière à faire croire que Sempronius avait d'abord mission de porter secours aux Aitoliens, mais qu'ayant appris en route la paix conclue entre eux et Philippe, et justement indigné à cette nouvelle, il se détourna de l'Aitolie et s'en fut en Illyrie. C'est le même artifice que précédemment. La vérité est que Sempronius ne quitta l'Italie qu'après, et peut-être assez longtemps après qu'y était parvenue la nouvelle de la paix, et qu'il cingla tout droit vers l'Illyrie. — L'envoi de Lætorius en Aitolie a dû naturellement suivre de très près le débarquement du proconsul ; on le peut croire contemporain du siège de Dimalé ; je ne sais pourquoi Weissenborn (note à Liv. 29. 12. 5) veut que Sempronius ait interrompu ce siège pour dépêcher Lætorius aux Aitoliens.

[60] Liv. (P.) 29. 12. 5 : ad visendas res (misso Lætorio) pacemque, si posset, turbanam. T. Live fait le silence sur l'échec de Lætorius ; l'Annaliste d'Appien omet complètement l'expédition, peu glorieuse, de Sempronius.

[61] Agélaos de Naupakte redevient stratège en 207 /206 (date approximative) : Pomtow, Delph. Chronol., 95-96 ; Dittenberger, Sylloge2, 923.

Les hypothèses nouvellement proposées concernant la seconde stratégie d'Agélaos de Naupakte (Sylloge3, 546 A, not. 1, p. 26) demeurent tout à fait arbitraires.

[62] Sur le mauvais accueil fait à l'ambassade aitolienne venue à Rome peu après la paix de Phoiniké, probablement vers la fin de 202 (Appien, Maced., 4. 2 ; cf. Liv. (P.) 31. 9. 4).

[63] Polybe, XVIII, 38, 8.

[64] Il est notable que T. Live n'essaie point d'excuser la conduite des Romains à l'égard de l'Aitolie. Il écrit (P. ; 29, 12. 1) : — PhilippusAetolos desertus ab Romano, cui uni fidebant, auxilio, quibus voluit condicionibus, ad petendam et paciscendam subegit pacem. — Aux Panaitolika de 199, l'ambassadeur romain L. Furius Purpurio se contente de dire (P. ; 31. 31. 19) et forsitan dicatis bello Punico occupatis nobis coactos metu vos leges pecis ab eo, qui tum plus poterat, accepisse. Remarquez, dans la même circonstance, ces paroles attribuées aux ambassadeurs macédoniens (P. ; 31. 29. 3) : quibus enim de causis experta inutili societate Romana pacem cum Philippo fecissent (Aetoli)...