ROME, LA GRÈCE ET LES MONARCHIES HELLÉNISTIQUES AU IIIe SIÈCLE AVANT J.-C. (273-205)

 

CHAPITRE DEUXIÈME. — LA PRÉTENDUE POLITIQUE ORIENTALE DES ROMAINS AU IIIe SIÈCLE.

 

 

 

§ IV. — PRÉTENDUES RELATIONS AVEC L'ASIE GRECQUE.

Je ne saurais quitter ce sujet de la prétendue politique orientale des Romains au IIIe siècle, sans discuter brièvement une opinion qui a trouvé et trouve encore quelque crédit. Certains historiens ont pensé qu'au cours de ce siècle, des raisons d'ordre économique avaient induit le Sénat à entretenir des rapports publics avec plusieurs des grandes cités maritimes de l'Asie grecque, et à s'unir à elles par des traités commerciaux[1]. Ce qu'on a supposé — à tort — s'être passé dès la fin du ive siècle entre les Romains et l'État rhodien se serait ainsi passé, un peu plus tard, entre eux et d'autres États de la même région. Or, il va de soi que les traités dont il s'agit, bien que l'objet en fût proprement commercial, n'auraient pas laissé d'avoir quelque caractère politique : c'auraient été nécessairement des traités d'amitié[2]. Pratiquant en Orient une politique économique, le Sénat se serait trouvé par là même avoir, dans quelque mesure, une politique orientale.

Il est visible que ceux qui professent cette opinion admettent implicitement deux choses : l'une, c'est que, dès le IIIe siècle, Rome avait dans l'Orient hellénique de grands intérêts commerciaux ; l'autre, c'est que, dès ce temps-là, la protection de ces intérêts tenait une place importante dans les préoccupations du gouvernement romain.  Ces deux points doivent être examinés.

Or, sur le premier, il y a déjà lieu de faire d'expresses réserves. — Entendons-nous bien : qu'au IIIe siècle — et dès les temps les plus anciens — la Sicile, la Grande-Grèce et la Campanie grecque aient entretenu avec la Grèce d'Asie d'actives relations commerciales, nul n'en a jamais douté. Mais ce qui était vrai de ces contrées l'était-il de Rome et de l'Italie romanisée ? Mommsen l'a cru[3], sans toutefois dire quels motifs il avait de le croire ; sa conviction l'a dispensé d'une démonstration. Après lui, reprenant et amplifiant sa doctrine, quelques historiens ont assuré que les Italiens fréquentaient depuis longtemps la Mer Égée quand la guerre y amena la marine romaine[4]. Cependant, ils n'en ont apporté aucune preuve, la seule qu'ils aient alléguée s'étant retournée contre eux. Cette preuve, c'est des inscriptions de Délos qu'ils n'avaient voulu tirer : ils y avaient pensé découvrir des traces certaines et précoces de l'activité romaine[5] à Délos, et, le IIIe siècle, le premier noyau de cette colonie de negotiatores italiens et romains, qui devint plus tard si prospère[6]. Par malheur, ils s'étaient fait quelque illusion[7]. Interrogées à nouveau et de plus près[8], ces inscriptions ont montré que, durant tout le IIIe siècle, les Romains et les habitants de l'Italie romaine sont, autant dire, absents de Délos[9] ; que, jusqu'au moment où l'île fait retour aux Athéniens, ils y apparaissent a peine[10] ; que la clientèle étrangère, lorsque s'ouvre le port franc, y est surtout égyptienne et orientale[11] ; que c'est seulement après 166, soit plus de quarante ans après la première intervention armée des Romains en Grèce, que les Italiens commencent de s'y établir ; mais que, même à cette époque, leur colonie demeure embryonnaire[12] et cède le pas aux groupements bien plus considérables formés par les Orientaux et les Grecs d'Asie ; qu'on ne la voit prendre figure qu'entre 150 et 125, et qu'elle ne devient compacte et puissante qu'aux approches du Ier siècle[13]. Or, il est certain, et l'on a soutenu avec raison que la grande extension du commerce italique et romain aux mers orientales dut avoir pour prompte conséquence l'établissement de nombreux trafiquants italiens dans cet emporion insulaire, où se concentrait de longue date tout le négoce de l'Archipel. Partant, le témoignage de l'épigraphie délienne se trouve infirmer directement la thèse qu'il devait fortifier ; et ce qu'il en faut induire, c'est que le commerce italo-romain ne se répandit en Orient que sur le tard, longtemps après la fin du IIIe siècle[14]. Encore sied-il d'ajouter que lest Romains et les Italiens de leur voisinage ne participèrent jamais à ce commerce que dans une faible mesure : la grande majorité des negotiatores résidant à Délos se composa, à tout époque, de Grecs d'Italie et d'Italiens du Sud[15]. — Et, inversement, il est permis de se demander s'il existait au IIIe siècle un courant commercial puissant et régulier, se dirigeant de l'Orient hellénique vers Rome et l'Italie romaine. C'est, à y bien regarder, ce qui semble assez douteux. Car, en pareil cas, on comprend mal la fondation tardive et la prospérité, plus tardive encore, de Puteoli, premier port romain destiné à servir de débouché au trafic oriental[16]. On ne comprend pas davantage l'opposition obstinée que firent les cités maritimes de l'Asie grecque, Rhodes en tête, aux entreprises des Romains en Grèce durant la première guerre de Macédoine[17] : comment ces cités ne craignaient-elles pas qu'irritée de leur attitude, Rome n'en vint à user contre elles de représailles commerciales ? On ne s'explique guère, enfin, la démarche extraordinaire que, lors de la disette de 210 (?), le Sénat se trouva, dit-on, dans la nécessité de faire auprès de Philopator[18]. Les Patres sollicitèrent du roi l'exportation en Italie des blés d'Égypte. La raison, dit Polybe, en était que « nul secours ne pouvait venir d'ailleurs[19] : pourtant si les États commerçants de la côte asiatique, si, notamment, les Rhodiens, grands convoyeurs de blé, avaient accoutumé d'expédier leurs chalands clans les ports italiens, comment le marché romain n'était-il pas approvisionné par leurs soins ?...

Tant, y a que ces grands intérêts que, dès le IIIe siècle, Rome aurait eus dans l'Orient hellénique, échappent aux regards attentifs. Et c'est ici que se pose la seconde question. A supposer ces intérêts réels, y a-t-il apparence que le Sénat ait eu la prompte volonté de les servir et de les protéger, et qu'à cet effet il se soit hâté d'avoir en Orient une politique économique ?

On croyait beaucoup jadis, à la suite et peut-être sur la foi de Mommsen[20], à la politique économique ou, comme on disait, mercantile de l'État romain[21]. On est bien éloigné aujourd'hui d'y croire aussi volontiers, du moins pour la période antérieure à l'époque des Gracques[22] et le temps n'est plus où, de l'aveu unanime, l'humiliation de Rhodes, la création du port franc de Délos, la ruine de Carthage et celle de Corinthe passaient pour des satisfactions accordées à la cupidité des financiers de Rome[23]. Que, dès le cours du IIIe siècle, les considérations d'ordre économique aient été puissantes sur l'esprit des Patres, assez puissantes pour devenir, en certains cas, la règle de leurs rapports ave l'étranger, c'est à coup sûr une opinion hardie et qui aurait besoin d'être fortement appuyée sur les faits. Or, on n'en produit aucun qui l'autorise ; mais on en peut, en revanche, alléguer plusieurs qui lui apportent un démenti formel. Comme l'a justement signalé T. Frank[24], c'est chose assez frappante que ni le traité de 201 avec Carthage, ni celui de 197 avec Philippe, ni celui de 189 avec l'Aitolie, ni celui de 188 avec Antiochos ne renferment une seule stipulation commerciale en faveur des Romains et de leurs alliés l'Italie[25]. Et, d'autre part, il y a lieu d'observer que le gouvernement romain, comme il a été dit plus haut[26], refusa longtemps de prêter attention aux doléances des marchands italiens molestés par les corsaires d'Illyrie ; que ce fut seulement après 228 qu'il entra en rapports officiels, du reste éphémères et sans conséquences, avec Athènes et Corinthe[27], c'est-à-dire avec les deux métropoles du commerce hellénique en Europe ; qu'en 197, T. Quinctius n'hésita point à contracter alliance avec le roi forban Nabis qui, par ses pirateries, rendait intenables les parages du Péloponnèse[28] ; qu'en 189, l'amiral Q. Fabius Labeo s'abstint d'engager une action vigoureuse contre les Crétois, écumeurs assidus des mers, dont l'île regorgeait de captifs italiens et romains, et que les Patres firent preuve a leur endroit de la plus patiente longanimité[29] ; qu'enfin, vers l'an 180, l'allié préféré de la République, le roi Eumènes, put, sans soulever à Rome aucune réclamation, barrer l'entrée de l'Hellespont et fermer les détroits aux navigateurs[30] : on vit alors les Rhodiens s'indigner et défendre contre le Pergaménien la liberté du commerce maritime, mais le Sénat se tint en repos. De tels faits sont instructifs. Les historiens qui admettent — à tort, selon nous — l'existence, au IIIe siècle, d'un puissant trafic entre l'Italie romaine et les pays grecs sont tenus d'y avoir égard. La conclusion qu'ils en doivent nécessairement tirer, c'est qu'à la fin de ce siècle et au commencement du suivant, le Sénat, loin de prendre à cœur les intérêts du commerce italique, ne s'inquiétait guère d'en favoriser le développement, et n'avait même point souci d'en garantir la sécurité[31]. Or, ce qui est vrai de cette époque a dû l'être plus encore de la précédente ; en sorte que cette politique économique, déterminée par des raisons d'ordre commercial, que, dès le courant du IIIe siècle, les Romains auraient pratiquée en Orient, a toutes les chances de n'être qu'une paradoxale illusion.

Au surplus — et peut-être eût-il suffi de bien. marquer ce point l'embarras est grand de découvrir ces États marchands de l'Orient hellénique, avec qui Rome se fût pressée de conclure des traités de commerce et d'amitié. Quels seraient-ils, quelles seraient ces villes maritimes dont on parle en termes vagues, sans se risquer à prononcer aucun nom[32] ? J'ai tenté cette recherche et l'ai tentée sans succès. — S'agit-il d'Éphèse, de Samos, d'Halikarnasse ? Non point ; car ces cités dépendent, au IIIe siècle, tantôt des Séleucides, tantôt et finalement des Ptolémées[33], et ne sont donc pas maîtresses de leurs relations extérieures. — S'agit-il de Byzance, de Mytilène, de Khios ? Non encore ; car ces villes, alliées, amies ou clientes de Rhodes, se montrent, comme Rhodes elle-même, décidément hostiles aux Romains lors de leur première guerre contre Philippe[34]. — S'agit-il de certaines des villes dites autonomes, échelonnées sur les rivages d'Asie qui ont réussi à secouer la domination des deux grandes monarchies, orientales et qui sont parvenues à recouvrer, en fait, leur indépendance ? Non vraiment ; car l'histoire de la longue querelle diplomatique qui précède la guerre d'Antiochos fait voir qu'au début du IIe siècle, aucune de ces villes n'est unie à Rome par d'anciennes relations d'amitié[35]. Lorsque commence cette guerre, les seules qui aient fait appel aux Romains contre le Séleucide, les seules dont les Romains soutiennent la cause, les seules qui leur soient connues, sont Lampsaque, Smyrne et Alexandrie-Troas[36]. Mais ils ne les connaissent que de la veille ; ce n'est qu'en 196[37] que, menacées par Antiochos et jugeant nécessaire de se couvrir de la protection romaine, ces trois villes se sont mises en rapports avec le Sénat ; jusque-là elles lui étaient demeurées tout-à-fait étrangères[38]. Quant aux autres cités helléniques, il n'est fait mention d'aucune d'elles, en 196 ni 193, dans ces discussions laborieuses où les Patres, jaloux d'enrayer les progrès d' Antiochos, curieux de lui opposer sans cesse des obstacles, affectent un si grand zèle à défendre contre lui les droits des Hellènes d'Asie, qu'il prétend replacer sous sa suzeraineté[39]. Ce silence est la preuve qu'à la réserve des Lampsakéniens, des Smyrniens et des Alexandrins, les Hellènes d'Asie se sont abstenus de solliciter l'assistance de Rome[40]. Or, est-il besoin d'indiquer que les choses se seraient passées différemment, si certains d'entre eux avaient pu, de longue date, se dire les amis du Peuple romain ? Nantis d'un titre si précieux, il est clair qu'ils s'en fussent prévalus auprès du Sénat afin d'obtenir son appui. Ce qui ressort de ces observations, c'est que, durant tout le IIIe siècle, Rome et les villes autonomes de la Petite-Asie se sont entièrement ignorées[41] ; et ce qui ressort en même temps de nos éliminations successives, c'est que ces traités, qu'on suppose avoir été si promptement conclus par le Peuple romain avec divers États de la Grèce asiatique, sont une pure imagination.

 

 

 



[1] Voir notamment De Sanctis, II, 427 ; III, 2, 438, note 96.

[2] Effectivement, comme l'a fait observer Täubler (Imp. Romanum, I, 205), le droit public romain ne connaît pas de traités qui soient simplement commerciaux. Tout traité conclu par le Peuple romain est un acte politique : fœdus amicitiæ, fœdus societatis, traité de clientèle. — De Sanctis indique expressément que les traités conclus, au IIIe siècle, par les Romains avec les cités d'Asie auraient été des traités d'amitié (trattati d'amicizia) (III, 2, 438, note 96).

[3] Voir son exposé des motifs commerciaux (commerciellen Motive) qui auraient fait entreprendre aux Romains leur seconde guerre contre Philippe : R. G., I3, 697-698.

[4] Homolle, B. C. H., 1884, 83. Le même auteur admet qu'il y eut intervention de Rome dans le commerce de l'Orient dès le début du IIe siècle (ibid. 79). Cf. De Sanctis, III, 2, 401 : ... Il mercante Italiano, il quale nel corso del secolo III sempre più imparava a frequentare i porti del Levante.... — H. Graillot (Le culte de Cybèle, 33) estime que, depuis sa victoire sur Pyrrhus, Rome a étendu ses relations avec les États grecs et que, selon toute vraisemblance, elle n'est pas sans rapports de commerce avec les grandes cités marchandes qui constituent alors les Échelles du Levant, Rhodes, Mitylène, Smyrne, Cyzique....

[5] G. Colin, Rome et la Grèce, 93.

[6] Homolle, Rapport sur une mission archéologique à Délos (Arch. miss. scientif., 1887), 424 ; cf. B. C. H., 1884, 78 : Grâce à eux [les documents épigraphiques de Délos], on verra cette colonie [romaine] se former (250-168), se développer et devenir prospère...

[7] Voir notamment les critiques de T. Frank, Americ. histor. Review, 1913, 241 et note 19 ; Roman Imperialism, 284-285, 295, note 24.

[8] Voir, avant tout, le mémoire de J. Hatzfeld, Les Italiens résidant à Délos (B. C. H., 1912, 1 suiv. ; en particulier, 102 suiv., 140, etc.) ; cf. P. Roussel, Délos colonie athénienne, 75 suiv. ; T. Frank, Roman Imperialism, 284-285, et les autres écrits du même savant, cités ici dans les notes. — Je n'ai pu prendre qu'une connaissance sommaire du livre tout récent de J. Hatzfeld, Les trafiquants italiens dans l'Orient hellénique (Paris, 1919). Je dois dire que, dans ce remarquable ouvrage, l'auteur me semble assigner parfois une date trop ancienne aux premières entreprises du commerce italique en Orient ; ses conclusions sur ce point (voir, par exemple, 19-20, 178-179, 367) outrepassent et vont jusqu'à contredire les observations si exactes et si précieuses qu'il a faites sur les inscriptions de Délos.

[9] Cf. Hatzfeld, B. C. H., 1912,140-141. Il n'est fait mention, pour le IIIe siècle, que du θαυματοποιός Σέρόων (IG, XI, 2, 115), qui se qualifie de 'Ρωμαΐος, mais dont le nom n'est pas latin (cf. la note de F. Durrbach sur IG, XI, 2, 115), d'un ouvrier agricole appelé Νόυιος (IG, XI, 2, 287, A, l. 58), et d'un citoyen de Canusium en Apulie (IG, XI, 4, 642) ce qui est assurément peu de chose. Hatzfeld (80) admet que la famille des Staii a pu s'établir à Délos dès la fin du IIIe siècle (avant 220) ; mais elle semble originaire de Cumes.

[10] Cf. P. Roussel, Délos colonie athénienne, 75-76 : Les recherches les plus exactes n'ont permis de découvrir, dans les textes antérieurs à 166, que quelques mentions de personnages de noms romains qui aient été des particuliers, peut-être des marchands ; Hatzfeld, B. C. H., 1912, 102 : C'est à la fin de la période de l'indépendance qu'on... voit apparaître les premiers 'Ρωμαΐοι [nom qui ne désigne pas du tout nécessairement des Romains : cf. 132 suiv., 138] ; mais ils restent rares jusqu'au moment où Délos est rendue aux Athéniens ; Les trafiquants italiens, 20, 34, etc.

[11] P. Roussel, 87 suiv. ; T. Frank, Roman Imperialism, 284-285 ; Hatzfeld, Les trafiquants italiens, 374.

[12] P. Roussel, 76 : Nous avons [vers 160-150], si l'on veut, l'embryon d'une colonie italienne... Pour saisir une réalité plus consistante, il faut en venir à l'époque qui suivit la ruine de Corinthe ; cf. Hatzfeld, Les trafiquants italiens, 28.

[13] Hatzfeld, B. C. H., 1912, 104 : A partir de 125 environ, les 'Ρωμαΐοι se multiplient à Délos. — C'est... dans le dernier quart du IIe siècle que les Italiens sont assez nombreux pour mériter une mention spéciale dans l'ensemble de la population de l'île... Il résulte des recherches de J. Hatzfeld (110-117) que l'édifice spécialement affecté à la colonie italienne (Agora des Italiens) n'a été construit que vers l'année 100. Cf. T. Frank, Roman Imperialism, 285 ; Classic. Journal, 1909-910, 104.

[14] On m'objectera la ρωμαική ναΰς (Plut., Arat., 12) en route pour la Syrie, qui, en 249 ou 248 (cf. Tarn, Antig. Gonatas, 368), recueillit Aratos naufragé. Je n'oublie pas ce vaisseau romain ou italien, mais je le tiens pour extrêmement suspect. Quelle apparence, comme le fait observer Tarn (369, 3), qu'un négociant italien soit allé se risquer dans les eaux de Syrie, au voisinage de la Phénicie, pendant le fort de la première guerre contre Carthage ? Le plus probable, à mon gré, c'est que le mot ρωμαική provient de quelque faute de manuscrit. On sait les inextricables difficultés qu'a soulevées, dans le même passage, la présence du mot Άδρίας qui, lui aussi, parait être une leçon vicieuse. — Il me semble que Hatzfeld (Les trafiquants italiens, 19-20 ; 178), dans son désir de montrer la marine italienne fréquentant de bonne heure les mers d'Orient, fait quelque abus du texte douteux de Plutarque.

[15] Hatzfeld, B. C. H., 1912, 131 suiv. ; Les trafiquants italiens, 240-242, 243-244, sur l'emploi abusif du terme 'Ρωμαΐοι à Délos ; cf. T. Frank, Roman Imperialism, 285.

[16] Cf. Nissen, Ital. Landeskunde, II, 2, 738-739 (Ch. Dubois, Pouzzoles, 65 suiv., n'ajoute rien). L'établissement du portorium est, comme on sait, de 199 ; la colonie romaine est fondée en 194. Le commerce de Puteoli grandit pendant le IIe siècle ; il atteint un haut degré de prospérité vers l'an 100.

[17] Les cités qui suivent alors la même politique que Rhodes ont ses alliées ou ses clientes : Byzance, Khios, Mytilène (Polybe, XI, 4. 1).

[18] Polybe, IX, 11 a.

[19] Polybe, IX, 11 a. 2. Ce qu'ajoute Polybe est là une erreur manifeste : à l'époque dont il s'agit, après la victoire d'Antiochos sur Achalos (213), il n'y a point de guerre dans la Petite-Asie (les hostilités de Prousias contre Attale ne commencent qu'en 208 et se limitent à un théâtre restreint).

[20] Voir, par exemple, la façon trop hardie dont A. Merlin (L'Aventin dans l'Antiquité, 278-280) amplifie les indications de Mommsen : (279) Après comme avant et pendant les guerres puniques, (la classe mercantile) exerce un minutieux contrôle sur l'opportunité et la direction des opérations militaires. Elle exige que l'on tienne compte de ses appétits, de ses revendications, qu'on lui fasse une large part dans les gains de la victoire, etc. Je voudrais qu'on montrât dans les textes un mot, un seul mot, qui autorisât ces affirmations. — Cf., au contraire, T. Frank, Econom. History of Rome, 108 : When we review the second century, therefore, a period in which Rome's commercial interests are popularly supposed to have gained such influence in politics..., we find upon examination of our sources practically no Roman trade of importance, and certainly no evidence except in the Græchan days that the state cared to encourage Roman traders.

[21] G. Colin (Rome et la Grèce, 92-95 ; cf. 70), enchérissant sur Mommsen, penche à croire que la seconde guerre de Macédoine doit être attribuée, pour une large part, aux convoitises des capitalistes et des financiers qui, depuis longtemps, tournaient leurs regards vers le monde grec, et qui encourageaient... de leur mieux les efforts du Sénat pour prendre pied en Orient... Il aurait dû s'aviser que la tradition annalistique prête aux capitalistes, créanciers de l'État, des sentiments très différents (Tite-Live (Ann.) 31. 13. 2-4). En l'an 200, la guerre nouvelle leur agrée si peu qu'ils sont au moment de la rendre impossible par les réclamations pressantes, portant sur l'arriéré de leurs créances, dont ils assaillent le Sénat. — D'autre part, un fait qu'on ne saurait trop signaler, c'est, en 167, la défense faite par le Sénat d'exploiter les mines aurifères et argentifères de la Macédoine (Tite-Live (P.) 45. 29. 11 ; cf. (Ann.) 18. 3 ; Diodore, XXXI, 8. 7) ; il en faut nécessairement conclure, ou qu'il ne se trouvait point alors à Rome de financiers disposés à exploiter ces mines, ou que, s'il s'en trouvait, le Sénat avait résolu de s'opposer à leurs projets et qu'il y réussit facilement. Cf. Hatzfeld, Les trafiquants italiens, 371- 72 ; on trouvera dans cet ouvrage (370-371) une critique très judicieuse de la thèse aventurée de G. Colin, qui est aussi celle de L. Homo, Rev. histor., t. 122 (1916), 20.

[22] Voir en particulier T. Frank, Roman Imperialism, 277 suiv., 283-286 ; et, sur l'importance attribuée à tort, avant l'époque des Gracques, aux intrigues et à l'influence des equites, 292-293. Cf. Hatzfeld, Les trafiquants italiens, 369-374 (noter que l'auteur n'a pas connu les travaux de T. Frank), 370 : Il est ... une première période où l'on ne peut relever aucune marque de [ces] préoccupations (mercantiles des Romains) : c'est celle des deux premières guerres de Macédoine et de la guerre contre Antiochus.

[23] On peut s'étonner qu'à propos de la création du port franc de Délos, Wilamowitz (Staal und Gesellschaft, 182) reproduise encore en partie l'ancienne doctrine. Cette création ne fut qu'une mesure de vengeance prise contre les Rhodiens et destinée à frapper leur commerce (cf. Polybe, XXX, 31. 10-12) ; rien ne permet de croire qu'elle ait eu pour objet d'avantager les négociants romains. Cf. T. Frank, Econom. History of Rome, 109. — Pour la destruction de Carthage, U. Kahrstedt, Gesch. der Karthager, 616, et, avec plus de réserve, Ferguson, Hellen. Athens, 329. Il vaut la peine de citer, comme l'a fait aussi T. Frank (Roman Imperialism, 293, 1), les paroles de Kahrstedt : Nirgendsin der guten antiken Literatur ist das bezeugt, was die Modernen, selbst Mommsen, als Grund der Zerstörung Karthagos angeben, die merkantile Eifersucht der italischen Grosskaufmannschaft. — Pour la destruction de Corinthe, bonnes remarques de Hatzfeld, Les trafiquants italiens, 373.

[24] T. Frank, Roman Imperialism, 283 ; cf. 279-280. — Le silence gardé sur les Romains et les Italiens dans le traité avec Antiochos est d'autant plus notable que ce traité maintient expressément aux Rhodiens les privilèges commerciaux dont ils jouissaient dans le royaume d'Asie : Polybe, XXI, 43. 16-17.

[25] T. Frank (279-280) a fait voir combien sont exagérées les conclusions qu'on a voulu tirer du sénatus-consulte relatif à Ambrakia (Tite-Live (P.) 38. Y. 4), qui exempte les Romains et leurs alliés des péages (portoria) établis par les Ambrakiotes ; cf. Econom. History of Rome, 108. — L'État romain, comme il a été rappelé ci-dessus, ne tire en Macédoine aucun profit de la défaite de Perseus.

[26] Polybe, II, 8. I ; 8. 3.

[27] Polybe, II, 12. 8.

[28] Cf. Tite-Live (P.) 34. 32. 18-19 ; 36. 3. — Noter que, dans Tite-Live (P.) 34. 32. 18-19, il n'est parlé que des attaques dirigées par Nabis, durant la guerre de Macédoine, contre les convois qui ravitaillaient en Grèce l'armée romaine. Nulle allusion à des dommages causés, en temps de paix, à la marine de commerce italique et romaine. Ce silence ne laisse pas d'être un argument indirect contre la présence de cette marine dans les mers grecques au commencement du IIe siècle.

[29] Cf. Tite-Live (P.) 37.60. 2-5. — Voir, en général, les observations de Cardinali, Riv. di Filol., 1907, 12-16. C'est seulement en 184 que les Romains interviennent en Crète avec un succès relatif.

[30] Cf. Polybe, XXVII, 7. 5.

[31] Cf. la conclusion générale de T. Frank (Econom. History of Rome, 110) : ... the ancient World has no record of any state of importance so unconcerned about its commerce as was the Roman Republic.

[32] H. Graillot (Le culte de Cybèle, 33) parle de Rhodes, Mitylène, Smyrne, Cyzique, mais il est visible que ces noms sont jetés au hasard dans son texte.

[33] Sur l'histoire de ces villes au IIIe siècle, voir, en général, Beloch, III, 2, 266, 271 suiv., et mes observations dans la Rev. Ét. anc., 1916, 244, 1 et 2. Halikarnasse peut avoir appartenu constamment aux Lagides (Beloch, III, 2, 266-267) ; Samos et Éphèse sont de nouveau en leur possession dans la seconde moitié du IIIe siècle (Beloch, III, 2, 275277). — Milet, qu'on range volontiers, à la même époque, parmi les villes ptolémaïques (Beloch, III, 2, 277), semble, en réalité, avoir été indépendante (cf. Rev. Ét. anc. 1916, 244, 1, d'après A. Rehm, Delphinion, 267, 323, etc.) ; si les Lagides exercent sur elle quelque autorité, cette autorité n'est guère que nominale. La ville pourrait donc prendre place parmi les cités autonomes.

[34] Pour ce qui est de Byzance, comment d'ailleurs supposer que les Romains eussent dès le IIIe siècle des intérêts commerciaux dans la Propontide et l'Euxin ? Les observations archéologiques de E. von Stern (Arch. Anzeiger, 1900, 152) ont montré que les produits des industries italiques n'ont commencé de pénétrer dans les pays portiques qu'après le milieu du IIe siècle, et d'abord par l'intermédiaire des Rhodiens. Les anciennes relations, qu'on s'est parfois imaginé (en se fondant peut-être sur l'absurde indication d'Appien, Syr., 12) avoir existé entre Rome et Kyzique, ne peuvent avoir non plus aucune réalité.

[35] Ce qui parait déjà significatif, c'est que le Rhodien Thrasykratès, dans le discours si véhément contre Rome qu'il adresse en 207 aux Aitoliens, déclare parler au nom de tous les Hellènes qui habitent l'Asie (Polybe, I. 4. 6).

[36] A la vérité, en 193, les habitants de Téos ont prié le Sénat de reconnaitre l'άσυλία de leur ville, consacrée à Dionysos ; mais cette requête n'implique nullement qu'il existât auparavant des relations entre eux et Rome ; c'est même le contraire qui est certain : cf. O. Scheffler, De rebus Teiorum (diss. Leipzig, 1882), 29. Au reste, à l'époque indiquée, Téos n'est point une cité libre, mais dépend d'Antiochos ; cf. mon mémoire dans Klio, 1913, 158. — En 196, si les Romains prennent sous leur protection les petites villes d'Iasos, de Bargylia, d'Euromos et de Pédasa, précédemment occupées par Philippe, c'est là une simple conséquence de leur victoire.

[37] Il est même possible que la démarche faite à Rome par les Alexandrins-de-Troade ne date que de 192 ; cf. Cardinali, Regno di Pergamo, 69, 2. C'est cette année-là qu'ils ont nommés pour la première fois : Tite-Live (P.) 35.42. 2.

[38] Cela résulte avec évidence, pour Lampsaque, du décret en l'honneur d'Hégésias (Dittenberger, Sylloge 2, 276).

[39] Voir notamment les déclarations de T. Quinctius aux conférences de Rome, en 193 : Tite-Live (P.) 34. 58. 12 : sic et ab Philippo Græciam liberavit (populus Romanus), ita et ab Antiocho Asiæ urbes, quæ Graii nominis sint, liberare in animo habet — ; 58. 3 : ut et Romanis ius sit Asiæ civitatium amicitias et tueri, quas habeant (il s'agit là de Lampsaque, de Smyrne, et peut-être d'Alexandrie-Troas le mot amicitias n'est d'ailleurs pas pris dans son sens juridique), et novas complecti — ; 59. 4-5. — Dès 196, le Sénat affecte, pour gêner Antiochos, de prendre sous son patronage les Hellènes d'Asie, comme le montrent le sénatus-consulte relatif à la paix avec Philippe (Polybe, XVIII. 44. 2), les paroles adressées Corinthe par T. Quinctius aux ambassadeurs syriens (47. 1), et le langage tenu à Antiochos lui-même par L. Cornelius, à Lysimacheia (50. 7). Notons que c'est là une politique nouvelle motivée par les progrès du Grand-roi ; à l'automne de 198, aux conférences du golfe maliaque et de Nikaia, T. Quinctius laissait encore aux Rhodiens le soin de défendre contre Philippe les intérêts de l'Asie grecque : Polybe, XVIII. 2. 3-4 ; 8 . 9.

[40] Même en 193, aux conférences d'Éphèse, il n'est nommément question, dans les entretiens de Minnion et des légats sénatoriaux, que de Smyrne et de Lampsaque : Tite-Live (P.) 35. 16. 3 ; 16. 5 ; cf. 17. 6 ; 17. 8 : — Romanis de duabus civitatibus agi ; et allias civitates, simul duas iugum exuisse vidissent, ad liberatorem populum defecturas — ; plus tard, en 192, on leur trouve adjointe Alexandrie-Troas : 42. 2 : tres eum (Antiochum) civitates tenebant, Zmyrna et Alexandria Troas et Lampsacus eqs. Voir aussi Polybe, XXI. 3. 3 c'est seulement du conflit qui s'est ému entre le Sénat et Antiochos au sujet de Lampsaque, de Smyrne et d'Alexandrie-Troas, que la guerre est sortie. Il ressort du même texte (cf. 14. 2) que, si d'autres villes d'Aiolide et d'Ionie se placèrent sous la protection de Rome, ce ne fut qu'après le passage des Romains en Asie. — Je remarque, à ce propos, que T. Live exagère certainement, lorsqu'il parle (34. 57. 2 ; cf. 59. 4) de nombreuses ambassades qui seraient venues de l'Asie grecque à Rome au commencement de 193 ; il ne doit s'agir, en réalité, que des ambassades envoyées par les Lampsakéniens, les Smyrniens et, peut-être, les Alexandrins-de-Troade. On observera que, dans le passage correspondant de Diodore (XXVIII, 15. 1 ; 15. 4), il n'est parlé que des άπό τής Έλλάδος πρεσβεΐαι.

[41] Se rappeler d'ailleurs le texte déjà cité de T. Live : (29. 11. 1) nullasdum (en 205) in Asia socias civitates habebat populus Romanus.