LA VRAIE MATA-HARI, COURTISANE ET ESPIONNE

DEUXIÈME PARTIE

 

XI. — Le divorce.

 

 

Le commandant Mac Leod savait que sa femme se trouvait de nouveau à Paris depuis son départ de chez le général Mac Leod à Nimègue et qu'elle se montrait nue ou demi-nue dans les salons de la capitale française.

Il était bien décidé à demander le divorce contre elle, mais, bien que depuis son retour de Java elle eût commis de nombreux actes d adultère, il n'avait pas de ses multiples trahisons les preuves que la loi exige.

En demandant en mai 1905 — donc après les danses au Musée Guimet — l'intervention du chevalier de Stuers, ministre des Pays-Bas à Paris, et de M. Van Lier, consul-général du même pays, il apprit que, d'après les informations de la Préfecture de police, sa femme, qui avait pris le nom de guerre de Mata Hari, habitait au 3, rue Balzac, dans un hôtel meublé[1], avec une bonne, et qu'elle fréquentait les maisons de rendez-vous.

Cela prouve que, malgré sa soudaine célébrité, elle ne pouvait pas encore, quelques semaines plus tard, se passer des bénéfices que produisait le trafic fructueux de son corps.

Le commandant Mac Leod cherchait à faire constater, avec la collaboration de la police parisienne, le flagrant délit d'adultère dans une des maisons de rendez-vous que fréquentait sa femme. Mais comme il habitait loin de Paris, ce constat, qui réclamait, sa présence, n'était pas facile à effectuer.

Il abandonna donc ce projet. D'autre part, il ne pouvait pas citer sa femme, puisqu'elle se trouvait souvent en voyage.

Un fait imprévu devait le servir. Sa femme avait fait faire pour ses amis des photos qui la montraient complètement nue. Le photographe, sans demander le consentement de sa cliente, en avait mis quelques-unes en vente. Mata Hari voyant en cela une atteinte à sa pudeur de femme et aimant les procès, résolut de poursuivre le coupable. Comme elle avait besoin pour cela, du consentement de son mari, elle le lui demanda par ministère d'huissier. — Il parait d'ailleurs que l'exemple donné par le photographe avait été suivi par le sculpteur qui avait modelé le corps de Mata Hari. — Connaissant alors par la demande officielle venue de Paris le domicile de sa femme, le commandant saisit le Tribunal d'arrondissement d'Arnhem d'une demande en divorce et la fit citer le 27 janvier 1906.

Mata Hari se résigna facilement à abandonner tout espoir de jamais reprendre son enfant. Le succès et le luxe, enfin trouvés à Paris, suffisaient à ses besoins. Elle se disait qu'il était inutile d'aller en Hollande défendre une cause indéfendable, faire une impossible opposition à la demande si pleinement justifiée de son mari. Elle fit défaut.

Et le divorce aux torts et griefs de la défaillante fut prononcé à Arnhem le 26 avril 1906 par le jugement suivant :

EXTRAIT DES MINUTES DÉPOSÉES AU GREFFE DU TRIBUNAL D'ARRONDISSEMENT D'ARNHEM.

Le président a prononcé le jugement ci-après, rendu par le Tribunal,

dans l'affaire de

RUDOLF MAC LEOD, commandant en retraite de l'infanterie de l'armée des Indes Néerlandaises, demeurant à Velp, commune de Rheden, demandeur par citation du 27 janvier 1906, par l'organe de l'avoué Me Hymens à Arnhem,

contre

MARGARETHA GEERTRUIDA ZELLE, épouse du demandeur, séjournant à Paris, sans domicile connu dans le Royaume, défenderesse défaillante.

Le Tribunal d'arrondissement d'Arnhem, chambre des affaires civiles et commerciales,

Ouï le demandeur

Ouï en outre M. l'officier de justice en ses conclusions tendant à ce qu'il plaise au Tribunal :

Accueillir la demande première du demandeur,

Fixer la date de la convocation des parents et alliés de l'enfant mineur issu du mariage des parties, en vue de la nomination d'un tuteur et d'un subrogé-tuteur, quid des dépens.

Vu les pièces

Considérant que le demandeur a fait exposer :

qu'il a contracté mariage à Amsterdam le onze juillet mil huit cent quatre-vingt-quinze, avec la défenderesse M. G. Zelle, duquel mariage sont issus deux enfants, savoir un garçon (décédé depuis) et une fillette ;

que le demandeur a appris qu'au cours du mariage son épouse a eu des rapports charnels avec d'autres hommes et par conséquent s'est rendue coupable d'adultère, ce qui constitue un motif de divorce ;

que la défenderesse qui séjourne actuellement à Paris se produit dans ladite ville dans des cafés-concerts et des cirques et y exécute des danses dites   brahmaniques et cela presque entièrement nue ;

qu'elle a posé également entièrement nue comme  modèle chez un sculpteur et que cette œuvre de sculpture est offerte en vente au public ;

que ces faits devront être qualifiés d'extravagances donnant lieu à la séparation de corps et de biens ;

qu'aux termes d'une Ordonnance rendue par M. le Président du Tribunal en date du 15 janvier 1906, le demandeur a été autorisé à citer la défenderesse en divorce, subsidiairement en séparation de corps et de biens,

et que par ces motifs il a conclu plaise au Tribunal :

déclarer dissous par divorce le mariage conclu entre le demandeur et la défenderesse à Amsterdam le onze juillet mil huit cent quatre-vingt-quinze, pour cause d'adultère commis par la femme défenderesse ; subsidiairement :

dire que les parties seront séparées de corps et de biens pour cause d'extravagances de la défenderesse, avec toutes les conséquences prévues par la loi, le tout en condamnant !a défenderesse aux dépens de instance.

Attendu que la défenderesse, bien que dûment citée, n'a pas comparu en justice, pour quoi elle a été déclarée défaillante ;

Point de droit :

Attendu que le fait premier relevé dans la citation et les conclusions doit être tenu pour prouvé et que ce fait constitue l'adultère, motif justifiant la demande en divorce de sorte que le tribunal considère la demande première elle-même ni injustifiée ni mal fondée et qu'il convient de l'accueillir ;

Attendu qu'en ce qui concerne la garde de l'enfant mineur des parties, il convient de différer la décision à cet égard, jusqu'à ce qu'il soit pourvu à la nomination des tuteur et subrogé-tuteur ;

Vu les art. 264 par. I et 284 et suivants C. C. ainsi que les art. 56 et 74 C. P. C.

Faisant droit au nom de la Reine,

le Tribunal

Déclare dissous par divorce le mariage contracté à Amsterdam, entre le demandeur et la défenderesse le 11 juillet 1800 quatre-vingt-quinze, pour cause d'adultère commis par la femme défenderesse ;

Et avant de pourvoir à la nomination des tuteur et subrogé-tuteur de l'enfant mineur des parties

Dit que les parents et alliés dudit enfant seront convoqués à comparaître, le jeudi 28 juin 1906 à 11 h. ¾, en chambre du conseil de ce Tribunal, siégeant au Palais de Justice de cette ville, pour être entendus concernant ladite nomination ;

Condamne la défenderesse aux dépens de l'instance, taxés jusqu'au présent jugement pour le demandeur à la somme de quatre-vingt-six florins soixante-cinq cents, ainsi qu'y ceux qui seront occasionnés par la nomination des tuteur et subrogé-tuteur, lesquels seront fixés par l'ordonnance à rendre à ce sujet.

Ainsi jugé par Messieurs le Baron Van Lynden, président, Van der Poel Hiddingh et Cremers, juges, et prononcé en l'audience publique du 26 avril mil neuf cent six, en présence de Messieurs Alpherts, officier de justice, et Van Leeuwen, greffier.

(signé) : D. R. B. Van Lynden

(signé) : Van Leeuwen

Pour copie conforme

Le Greffier dudit Tribunal,

(signé) : illisible.

L. S.

 

Les parents et alliés de la fillette issue du mariage, convoqués au Palais de justice d'Arnhem pour la nomination d'un tuteur, désignèrent le père de l'enfant, malgré l'opposition énergique, mais burlesque et peu convaincante, du père Zelle.

Celui-ci avait eu la sottise d'escompter la tutelle, bien qu'à la mort de sa femme il eût déjà été déchu de ses droits paternels.

Sa nouvelle élimination fut un nouveau coup porté à sa vanité. Il n'était, pas non plus sans se souvenir de l'attitude pleine de dédain et de mépris que son ex-gendre avait — bon droit — toujours eue vis-à-vis de lui.

Le vaincu résolut de se venger de sa déconvenue.

 

 

 



[1] Le 3 et le 5 de la rue Balzac forment ensemble l'Hôtel des Champs-Élysées actuel.