LA SAINTE FAMILLE

 

TROISIÈME PARTIE. — LA SAINTE FAMILLE DANS LE TALMUD

III. — ÉCHEC AU TALMUD PAR D'AUTRES FAUX.

 

 

I. — TRANSFORMATION DU PAPAS IEHOUDDA PANTHORA DES TALMUDISTES EN SOLDAT PANTHÈRE.

On a vu qu'à part l'erreur de Rabbi Chasda, l'honneur conjugal de Marie sortait intact des Écritures talmudiques. On verra aussi dans quel esprit les Apparition du Vaurien de l'étranger résolvaient les questions d'état-civil, soulevées par les ineptes et malpropres Nativités que l'Église fait endosser à Loucas le Cyrénéen et à Mathias bar-Toâmin.

Nulle part les rabbins n'avaient voulu dire que Salomé, mère des sept, eût été adultère envers Panthora ; ils s'étaient bornés à la défendre contre les mensonges de ceux qui l'exploitent sous son pseudonyme de Marie, en un mot à prendre l'Église dans son propre piège.

Jusque dans les rapports de la Sotada avec Panthora, R. Chasda avait respecté ses habitudes de xénophobie. Car Panthora, son nom l'indique assez, est un farouche zélateur de la Loi.

Il ne pouvait convenir à l'Église que les docteurs du Talmud fissent de Pandira un coreligionnaire de Marie, puisqu'en orientant ses recherches avec intelligence dans un champ circonscrit par la nationalité de ce Naziréen, un curieux pouvait arriver très vite à l'identité de ce personnage avec le mari lui-même, ce papas Iehoudda qui jouait si patiemment le rôle d'époux trahi.

a. — Calomnie inventée par l'Église contre Marie pour donner le change sur la nationalité de Panthora. Le soldat romain Panthère

L'Église décida donc que Panthora cesserait d'être juif, et deviendrait soldat romain, de service dans les légions de Tibère en Judée. De cette manière il ne serait pas facile aux chercheurs de l'identifier avec Joseph Pandera le Naziréen.

Qui soutiendra cela ? Un rabbin naturellement, et qui, seul de son espèce, lie connaîtra point le papas Iehoudda ! De plus il fut entendu que ce serait un rabbin du second siècle, de manière que ses collègues du cinquième, fussent blâmables d'avoir pris Panthora pour un de leurs coreligionnaires.

Ce rabbin va trouver Celse le platonicien, qui a écrit sur Barabbas un Livre de vérité que l'Église a fait disparaître, et qu'elle a ramené au second siècle, alors qu'il appartient au quatrième. Et voici ce que, fidèle mandataire de l'Église, ce rabbin révèle à Celse comme digne de figurer en tête d'un livre consacré à la vérité :

Celui qui s'est prétendu Roi des Juifs et fils de Dieu, était né d'une humble villageoise, obligée de travailler de ses mains pour vivre, car c'était tout bonnement la femme d'un ouvrier charpentier. Que penser de ceux qui la font de royale naissance ? Une femme que personne ne connaissait, pas même ses voisins ! Dieu avait de singuliers goûts, s'il a jeté les yeux sur elle ! Mais non, son enfant (le seul qu'elle ait jamais eu), fut conçu d'un adultère avec un beau soldat romain, nommé Panthère. C'est une chose que tout le monde savait, excepté le mari. Celui-ci cependant, ayant fini par s'en apercevoir, chassa honteusement sa femme qui, errant de village en village, accoucha en grand secret. L'enfant grandit dans la détresse, se réfugia en Egypte, où il vécut comme mercenaire[1], et s'étant initié à la magie, il rentra en Judée où, enflé par le succès, il s'est proclamé Dieu. Quant à ce qu'est devenu sa mère, il vaut mieux n'en pas parler ! Le reste de sa vie n'intéresse plus que l'histoire de la prostitution.

Cette calomnie a le très grand avantage de déshonorer celui qui la propose, c'est-à-dire le rabbin, et de discréditer celui qui l'accueille, c'est-à-dire Celse.

Le pape qui l'a forgée, sous le nom d'Origène, a pensé que, se détruisant par elle-même, tant elle est inepte et monstrueuse, elle n'aurait aucune prise sur les ouailles.

Il a cru aussi qu'il ne serait jamais découvert, et que les fils du rabbin calomniateur paieraient de génération en génération pour Celse mort et oublié. Il ne s'est point trompé, tant il est rare que les calculs de la méchanceté ne réussissent pas, quand ils s'adressent à l'ignorance. Alors que l'Église est seule coupable de l'invention du soldat Panthère, ce sont les Juifs qu'on en accuse, et il ne s'en est pas encore trouvé un seul, du moins à ma connaissance, qui en ait défendu les autres[2].

Vous verrez d'ailleurs, dans les Vaurien de l'étranger, par quelles grossièretés ils ont gâté une cause qu'ils pouvaient rendre excellente en la présentant, comme doit être présentée la vérité : toute nue.

 

II. — LE JUIF DE RAPPORT SOUSTRAIT À SA RÉPUTATION DE CHIEN ENRAGÉ.

a. — Le démon dont était possédé Iehoudda bar-Abba, transporté dès l'enfance à Iehoudda de Kérioth

Pour conjurer cette vérité que le Juif de rapport s'appelait en circoncision Iehoudda, comme son papas, et avait laissé la renommée d'un chien enragé, l'Église a senti le besoin d'écrire un rôle pour ce Iehoudda, dont l'enfance se confond si étroitement avec celle du Jésus actuel. Et voici comment elle s'y est prise dans l'Évangile de l'Enfance, qu'elle a répandu chez les Arabes :

Il y avait là (à Bethléhem) une autre femme (que Marie), dont le fils était tourmenté par Satan, — comme le divin fils dont Marie elle-même et les pharisiens disent à chaque instant : Il est possédé, il a le démon. — Il s'appelait Juda[3], et chaque fois que Satan s'emparait de lui, il grinçait des dents contre ceux qui étaient présents. Et s'il n'y avait personne à sa portée, il se mordait lui-même à la main et ailleurs[4]. La mère de ce malheureux, ayant appris la renommée de la divine Marie et de son fils Jésus, se leva en hâte, et prenant dans ses bras son fils Juda, elle l'apporta à la Dame Marie. Or, Jacob (le grand-père) et Jasés avaient emmené le Seigneur Jésus pour jouer avec les autres enfants, et ils étaient assis hors de la maison, et avec eux le Seigneur Jésus. Juda le possédé s'approcha donc, et s'étant assis à la droite de Jésus, comme Satan l'agitait selon son habitude, il voulut mordre le Seigneur Jésus. Mais ne pouvant l'atteindre, il le frappa au flanc droit, si bien que Jésus pleura. Et à l'heure même Satan, sortant de cet enfant, s'enfuit, semblable à un chien enragé.

Et cet enfant qui frappa Jésus, et dont Satan sortit sous la forme d'un chien[5], fut Juda Iscariote, qui le livra aux Juifs ; et ce même côté sur lequel Juda l'avait frappé, c'est celui que les Juifs[6] ont percé de la lance[7].

 

III. — UNE MARIE CLÉOPAS QUI N'EST PLUS LA MARIE ACTUELLE.

a. — Histoire forgée pour donner le change sur l'identité de Marie Cléopas avec Marie la Gamaléenne et sur l'identité de son fils aîné avec le Jésus actuel

Le Talmud constatant que Miriam était fille de Lévi, autrement dit Cléopas, l'Église, pour donner le change, a introduit dans l'Évangile de l'Enfance, une Marie Cléopas qui n'est plus la Marie actuelle, mais dont le fils a pu passer en son temps pour un égal du fils de celle-ci devant le feu et devant l'eau. Cette Marie Cléopas habite Bethlehem, et voici le rôle que l'Église lui fait jouer[8] :

En cette ville étaient deux femmes d'un même mari (le papas Iehoudda), lesquelles avaient chacune un fils malade. L'une d'elles (Salomé, bien entendu), s'appelait Marie, et le nom de son fils était Kaljufas (Cléopas). Ayant pris son fils (on laisse croire qu'il est unique), elle se leva et alla trouver la divine dame Marie, mère de Jésus, à qui elle offrit un manteau splendide, disant Ô madame Marie, accepte de moi ce manteau, et donne-moi un bout de tissu ! Ce qu'ayant fait Marie, la mère de Kaljufas s'en alla, du bout de tissu façonna une tunique et en revêtit son fils, dont la maladie fut guérie ainsi. Mais le fils de sa rivale mourut. D'où il y eut division entre elles.

Comme elles s'acquittaient des fonctions domestiques chacune sa semaine, le tour de Marie, mère de Kaljufas, étant venu, celle-ci fit chauffer le four pour cuire le pain, et sortit pour aller chercher de la farine, laissant son fils Kaljufas près du four.

Le voyant seul (le four était rouge de feu), la rivale de Marie Kaljufas le prit, le jeta dans le four, et s'éloigna.

Etant revenue, et ayant aperçu son fils Kaljufas, qui riait, étendu au milieu du four redevenu froid, comme s'il n'y avait point eu de feu allumé, Marie connut que sa rivale l'avait jeté dans le feu.

L'ayant tiré de là, elle le porta à la divine dame Marie, à qui elle conta son cas : Garde le silence, lui dit celle-ci, car je crains pour toi, si tu divulgues ces choses !

Oui, si elle divulgue ces choses, tout le monde en conclura que le fils de Marie Cléopas a une tunique avec laquelle il traverse le feu qui brûlerait tout autre mortel. Alors, où est la différence entre le fils de cette Marie-là, et le fils de la divine clame Marie ?

Ensuite, étant allée au puits pour tirer de l'eau, et ayant aperçu Kaljufas qui jouait auprès, comme il n'y avait personne, sa rivale le saisit et le jeta dans le puits.

Et les hommes qui étaient venus au puits pour prendre de l'eau, ayant vu l'enfant assis à la surface, l'en tirèrent en lui envoyant des cordes. Alors ils furent saisis d'admiration pour cet enfant, au point de le célébrer comme un dieu.

Tout au moins comme l'Esprit de Dieu se tenant sur les eaux.

Sa mère étant arrivée, le prit et l'apporta à la divine dame Marie, pleurant et disant : Ô madame, vois ce que ma rivale a fait à mon fils, et comment elle l'a précipité dans un puits ; point de doute pour moi qu'un jour elle ne soit cause de sa mort ! La divine Marie lui dit : Dieu vengera l'injure qui t'a été faite ! Et peu de jours après, comme sa rivale était venue au puits pour y puiser de l'eau avec son fils (elle en avait plusieurs, à ce qu'il paraît), celui-ci fut comme lié dans la corde et précipité dans le puits. Et ceux qui vinrent pour lui porter secours, le trouvèrent la tête brisée et les os rompus — selon la prophétie des Toledoth canoniques sur la pierre d'angle qu'était Barabbas —. Ainsi mourut-il de mauvais destin, et en cela s'est réalisé ce qui a été écrit : Ils ont creusé un puits, défonçant profondément la terre ; mais ils sont tombés dans la fosse qu'ils avaient préparée.

Cette phrase résume les passages des Psaumes dirigés contre les ennemis de la maison de David, et dont les rabbins évangélistes ont fait de si fréquentes applications aux Jérusalémites, punis de leur infidélité à l'Even-guilayon par la destruction de leur ville.

 

IV. — FAUX DÉBATS AVEC DÉPOSITIONS DE RABBINS CONTRE LE TALMUD.

a. — Procédé inventé pour tirer des rabbins cette déclaration que les passages du Talmud relatifs à la Sainte Famille s'appliquent à des personnages différents

Prévoyant l'emploi que l'avenir pourrait faire contre elle des vérités talmudiques, l'Église n'a pas craint d'instituer de faux débats, véritables Conciles, où les rabbins les plus savants de leur siècle viennent contester publiquement aux Juifs toute compétence dans l'établissement de leur propre histoire, et nier que les passages anti-barabbalâtriques du Talmud s'appliquent aux choses et aux personnes de la Sainte-famille.

Pendant que l'Église, par la plume des Rabban Maur, des Agobard, et des Raymond Martin, faisait ce qu'il lui plaisait dés Apparition du Vaurien de l'étranger, elle forgeait des écrits où des docteurs en Israël viennent déposer et plaider en langue hébraïque, à la fois témoins et avocats, contre les passages du Talmud d'où ces Vaurien de l'étranger ont tiré leur substance.

Les deux faux les plus énormes de cette sorte, sont la Dispute de Rabbi Jéchiel avec frère Nicolas, et la Dispute de R. Mosès ben Nachman avec frère Paul. Il suffira, pour juger la seconde, d'avoir une idée de la première. Voici ce qu'a imaginé l'aigrefin qui l'a forgée.

§ I. — DISPUTE DE RABBI JÉCHIEL AVEC FRÈRE NICOLAS.

La scène est à Paris en 1240.

Certain rabbin, nommé Donin (Disputeur), a quitté la Judée, il s'est fait barabbalâtre et inquisiteur bénévole, sous le nom de Nicolas. Comme ce Donin n'a jamais existé, on déclare qu'il n'a pas eu d'enfants : personne parmi les Juifs ne prendra donc. la défense de sa mémoire. Une fois passé à l'Église, Donin, aujourd'hui Nicolas, dénonce les Juifs au Roi, à la Cour, aux évêques et aux clercs ; il demande contre eux des poursuites, se proclamant l'honneur d'Israël, l'irréprochable docteur de la loi du vrai Dieu (Barabbas père).

Il fait citer Rabbi Juda, fils de Rabbi David, R. Samuel, fils de R. Salomon, Rabbi Mosès, fils de Koch, et Rabbi Jéchiel. Nouvel Aman, il veut les exterminer, eux et toute la race. On apporte le Talmud, et l'audience s'ouvre, consacrée uniquement à l'examen des passages où il est question du nouveau Seigneur que s'est choisi Nicolas.

A l'aspect de cet apostat, tous les Juifs tremblent. Rabbi Jéchiel répondra seul pour eux :

Que me veux-tu ? demande-t-il à Nicolas le fourbe. — Te parler de Ieschou, répond Nicolas, et je ne te permettrai pas d'éluder la question, car voici un Talmud qui a plus de quatre cents ans, etc. Rabbi Jéchiel bondit : Quatre cents ans ? s'écrie-t-il. Plus de quinze cents ! Et se tournant vers la reine : Je vous prie, Maîtresse, ne me forcez pas de répondre à tout ce qu'invente cet homme, il ne connaît pas l'ancien Talmud. Mais votre Hiéronymus (Saint-Jérôme) le connaissait bien, lui qui l'avait appris en entier ! Jamais personne, pendant ces quinze cents ans, n'y a relevé le moindre mal ! — Par conséquent, et c'est ce qu'on va lui faire dire, s'il y a maintenant quelque chose contre Barabbas et sa mère, ç'a été ajouté par des mains impies que Rabbi Jéchiel déteste de toute sa force !

Car, sans être barabbalâtre, Rabbi Jéchiel sait tout ce qu'il y a de beau et de grand dans Barabbas et dans sa mère, — le fourbe Nicolas ne lui fait donc pas peur ! — Il réussit par cette déclaration à éviter le serment. Les clercs insistent, mais la reine intervient : Puisqu'il n'a jamais juré, dit-elle, laissez-le ![9]

Après diverses généralités, Nicolas, cet âne, ce fourbe, cet ennemi de sa race arrive au fait : Ce peuple, s'écrie-t-il, blasphème et couvre d'injures le Dieu des christiens ! Pourquoi, ô clercs, souffrez-vous qu'il vive au milieu de vous ? Il dit que votre religion est une honte, et que votre Dieu est châtié dans l'ordure bouillante ! Sur ce, Nicolas commence la lecture du targum de Flavius Clémens, de Balaam et de Bar-Juda de Gamala, dans le traité Gittin.

Rabbi Jéchiel est bien forcé de le reconnaître, c'est à l'individu connu aujourd'hui sous le nom de Jésus, que s'applique la peine talionesque de l'ordure bouillante, et Nicolas en prend la reine à témoin. Comment Jéchiel va-t-il se tirer d'affaire ?

a. — Déclaration par Rabbi Jéchiel que l'infernalisation de Barabbas dans son excrément bouillant concerne un autre individu et qui n'était point de Gamala

Se tournant vers l'ex-Donin devenu frère Nicolas :

Depuis que tu t'es retiré de nous, pendant quinze ans entiers tu as cherché contre nous une raison quelconque de nous mettre à mal par tes calomnies, mais tu n'y parviendras pas, tu seras pris au lacet de tes propres paroles ! Tes paroles mêmes seront ma réponse ! Oui, les choses sont telles que je ne nierai point ce qui est écrit, et te couvrirai ainsi d'une ignominie d'autant plus grande ! Car ce n'est pas du dieu des christiens que ces choses sont dites, mais à un autre Ieschou, lequel se moquait des paroles des docteurs, n'ayant point foi en eux et ne professant que la Loi écrite, comme tu le fais en toute sécurité ! Apprends toi-même que c'est vrai ! Car il n'est point écrit (dans le Talmud que l'ex-Donin est censé avoir apporté) : Ieschou Naziréen, mais Ieschou Géréda[10]. De plus on n'a pas pu l'entendre du vôtre ! Car celui dont il est question ne s'est pas borné à cela, il a soulevé et trompé Israël, s'est constitué lui-même pour dieu, et a détruit tout fondement de piété ! Il s'en suit, indubitablement, que votre Ieschou est différent de celui qui n'admettait que la Loi écrite, rejetant seulement l'orale, et qu'il convient de l'appeler tout autrement que ne font les hérétiques !

Et quels sont ces hérétiques ? Les rabbins qui, comme Rabbi Jéchiel et ceux qui l'assistent, ne faisaient aucune différence entre le Ieschou ben Nézer et le Ieschou de Gamala (ou de Gérasa, c'est tout un).

b. — Que la Marie appelée Parfumeuse de cheveux de femmes dans le Talmud n'a rien de commun avec la mère de Barabbas au sacre

Ici frère Nicolas cite les endroits du Talmud où Marie est appelée Tresseuse, Parfumeuse, l'interprétation de Rabbi Chasda sur le mot Sotada, et le passage où il est dit : Autant en firent-ils au fils de la Sotada à Lydda. Et ils le suspendirent (au bois) la veille de la pâque.

Alors, au comble de la fureur, les juges vociférèrent : Pourquoi calomnier ainsi Marie ? et que vous a-t-elle fait ? Rabbi Jéchiel répondit : Pourquoi tout ce tumulte ? et d'où vient cette indignation ? Vous ne devez point faire attention aux paroles de ce fourbe ! Le poison de l'aspic est sur ses lèvres, et sa bouche vous en infecte ! Mais, je vous prie, écoutez aussi ma réponse. C'est à bon droit que vous l'avez dit, il ne nous convient pas d'injurier Marie ! En quoi a-t-elle péché ? En quoi a-t-elle failli ? Ajoutez que nous sommes du même sang, de la même race. En vérité, il n'est pas parlé d'elle dans tout le Talmud, et nulle part les livres historiques n'en font mention[11]. Car celle dont a parlé ce fourbe est une femme bien différente, et je vais vous en fournir la preuve ! En effet, c'est à Jérusalem qu'est arrivée l'affaire de votre Dieu, c'est là qu'est l'Hopital où l'on dit qu'il a habité avec sa mère, et qui pour cette raison est appelé de Marie.

c. — Qu'elle a bien passé par Lydda, mais sept cents ans après

Au contraire, la Marie qu'évoquent les Talmudistes vécut à Lydda, qui est loin des limites de Jérusalem (tribu de Juda), et dans le royaume d'Israël. Et puis il n'est point écrit dans le Talmud : Ils ont fait cela aussi à Ieschou le Naziréen. En outre, le mari à qui était fiancée la mère du Naziréen s'appelait Ioannès, comme il est écrit dans vos Évangiles[12], tandis que celui-ci (l'époux de la Marie de Lydda), est appelé Papas, fils de Iehoudda. Enfin la Marie du Talmud y est dite coiffeuse de femmes, et elle est morte dans les jours de Rabbi Papa et de Rabbi Aba, comme il est dit au traité Chagiga (ch. I, p. 4 b). Et cela s'est produit sept cents ans après la mort de Ieschou le Naziréen, car celui-ci vivait avant la destruction du Temple de Jérusalem.

Cette réponse ayant satisfait ceux que les passages sur Marie dans le Talmud avaient poussés à la colère, ils cessèrent de s'agiter et de crier.

d. — Que le passage sur Barabbas en Egypte ne saurait le concerner

Nicolas lit ensuite le passage tiré du traité Sota (De l'adultère), ch. XI, relatif au séjour de Barabbas en Egypte avec Ieschoua ben Péréja. Bien entendu, le passage ne porte plus le nom de Salomé ; ce n'est plus Salomé qui écrit à Alexandrie pour rappeler son fils, c'est Siméon ben Schetach. Encouragé par cette suppression Rabbi Jéchiel déclare que ce passage ne concerne en aucune façon le Dieu des barabbalâtres, mais un Ieschou bien antérieur, et il a beau jeu vraiment, maintenant que la mère de celui-ci n'y est plus nommée.

Il lui faut ensuite expliquer comment il se trouve que deux Ieschou soient tous les deux pendus au bois la veille de la pâque, puisqu'il les fait tous deux différents de celui qu'adorent les barabbalâtres, lequel est présenté par l'Église comme n'ayant été mis en croix que le lendemain.

Rabbi Jéchiel répond triomphalement :

Il y a en France plus d'un homme qui s'appelle Louis, et plus d'un qui puisse être mort dans la même ville, à la même date et de la même façon !

La reine est tellement saisie de cet argument, qu'elle s'emporte contre les clercs, qui prêtent toutes leurs mauvaises pensées à cet invincible rabbin.

e. — Que le passage où la mère de Barabbas est appelée Fille de la Promesse, n'a pas cette signification

Nicolas lit ensuite le passage du Bava Bathra sur la révélation de la fille de la Parole à Rabba, neveu de Chana.

Il espère amuser ses auditeurs aux dépens des Juifs, cette folle race qui invente toutes sortes de prodiges. Mais Rabbi Jéchiel lui coupe tous ses effets en niant qu'il y ait jamais eu en Judée une femme, fille de David, qui ait pu avoir la prétention d'être Eloï-schabed ; et il affirme que par fille de la Parole (l'Eloï-schabed de la Nativité selon Luc), il faut entendre une simple répercussion prophétique, quelque chose de semblable à un écho, et que c'est là l'opinion de tous les Juifs instruits dans le Talmud. Au moment où il abordait le cas particulier de Rabba, neveu de Chana, le texte cesse tout à coup, et la Dispute entre Rabbi Jéchiel et frère Nicolas fait place à tine autre : celle de Rabbi ben Nachman avec frère Raymond Martin et frère Paul.

§ II. — DISPUTE DE RABBI BEN NACHMAN AVEC FRÈRE RAYMOND MARTIN ET FRÈRE PAUL.

La scène est au Palais de Barcelone en 1263.

Sur l'ordre de Jacques, roi de Tarragone, Rabbi Mosès ben Nachman est venu défendre les Juifs contre les imputations de frère Paul, de l'Ordre de Saint-Dominique, et de Raymond Martin, de l'Ordre des frères Prêcheurs. Il désire parler du Messie dans des formes libres, mais mesurées, et le roi Jacques l'approuve. Frère Raymond Martin ouvre la discussion, mais c'est frère Paul qui la conduit. Qu'il soit maudit et que son nom périsse ! s'écrie R. ben Nachman, afin de bien montrer qu'il n'est pas l'organe d'un moine caché dans la peau d'un Juif.

a. — Que le targum sur Ménahem ne saurait s'appliquer au Ménahem qui fut roi-christ en 819

Livre en main, frère Paul se fait fort de prouver que les talmudistes ont reconnu à Barabbas la qualité de Messie. R. ben Nachman soutient le contraire, mais faiblement. Alors frère Paul lui lit le targum d'Echa Rabbati sur Ménahem, targum où l'Arabe dit au Juif : Votre Messie est né, et ce, au temps de la chute du Temple. R. ben Nachman répond que cela ne peut être entendu de Ieschou, lequel, selon la véritable chronologie, est né (et a été pareillement pendu), deux cents ans avant la ruine du Temple, tandis que, selon votre calcul, il ne s'est pas écoulé moins de quatre-vingt-treize ans. A quoi le vaurien (frère Paul) ne répondit rien.

Il s'en donne bien garde ! Car si le passage sur Ménahem ne peut s'appliquer à Barabbas par raison chronologique, il ne saurait, et par la même raison, s'appliquer à un frère de celui-ci, puisque ces deux frères meurent à peu d'années près dans le même temps.

C'est qu'au fond R. ben Nachman fait deux Ieschou, comme R. Jéchiel, l'un qui aurait vécu sous Alexandre Iannaos, l'autre, sous les Hérodes.

Mais l'aigrefin qui lui souffle ses réponses a fort mal calculé sur le second, car la chute du Temple est de 823, et de cette chute en remontant à la naissance de Barabbas (qu'on date celle-ci, comme fait l'Église, de 750 ou de 754), il n'y a, selon le cas, que soixante-treize ou soixante neuf ans. Et si on la date de 739, comme le veut la réalité, il n'y a que quatre-vingt-quatre ans.

D'ailleurs ce qu'on demande à R. ben Nachman, c'est de nier avec mollesse que le Messie soit venu. Pour le reste, on ne lui pose aucune des questions qu'on a déjà résolues à Paris par la bouche de R. Jéchiel. R. ben Nachman n'en ment que plus à l'aise. Ainsi, il affirme que jamais Barabbas n'a songé à régner temporellement, soit sur le monde, soit simplement sur la Judée.

b. — Que la présence à Rome, sous Vespasien, de Barabbas échappé à la croix, ne peut concerner le Juif de rapport, puisque celui-ci est monté au ciel après une résurrection immédiate

Frère Paul (que son nom périsse !) dit enfin : Il est écrit dans le Talmud[13] que Ioshua ben Lévi demanda à Elie quand devait venir le Messie et où il vivait, et qu'Elie avait répondu (songeant alors à Barabbas) : Il est à Rome parmi les malades ; ce qu'entendant, Ioshua ben Lévi alla à Rome, et y trouva en effet sinon le Messie lui-même, du moins celui-là. — Si cela est vrai, objecte Paul, comment se fait-il que le Messie fût venu à Rome et y demeurât ? Rabbi ben Nachman se garde bien de dire pour quelle raison Ioshua ben Lévi avait pu prétendre que Barabbas était à Rome, et il se lance dans une suite de considérations aussi éloignées que possible du sens de ce targum. Et une main, qui n'est certainement pas la sienne, écrit en marge[14] du passage qui a donné naissance à la question : Delenda hæc sunt : A détruire (sous-entendu, dans le traité du Sanhédrin, où il se trouve).

 

V. — FAUSSES LETTRES DE KARAHITES EN FAVEUR DE BARABBAS.

a. — Myriam, non adultère, le mariage avec le papas Iehoudda n'ayant pas été consommé

L'Église a forgé, sous le nom des Karaïtes ou mieux Karahites, des Lettres où ces sectaires, restés fidèles en effet à l'Even-guilayon et à la Sainte Famille, viennent, avec une maladresse insigne d'ailleurs, au secours de Barabbas attaqué dans sa mère ou dans son innocence. Huldrich[15] dit tenir de l'un d'eux une de ces Lettres aux rabbinistes, c'est-à-dire aux Juifs talmudisants et auteurs de Vaurien de l'étranger :

Vous avez, dit ce pseudo-Karahite, répandu le sang innocent, le sang de Ieschoua, et vous l'avez faussement calomnié en disant que c'était un fils de l'adultère, alors que Myriam n'avait pas été fiancée au Papas par l'accouplement, mais seulement pour l'argent ; or, selon la loi, la promesse n'emporte pas fatalement l'acte.

Pardon, mais dans cette combinaison où est le soldat romain Panthère, de pontificale invention ?

b. — C'est donc à tort que dans le Talmud et les Vaurien de l'étranger les docteurs excommunient Ieschou

Si donc il en est ainsi[16], il n'y avait pas de raison pour que Ieschoua n'osât plus venir dans l'assemblée du peuple saint, et il n'a ni blasphémé ni insulté Dieu, lorsqu'il a dit être fils de Dieu. Car il a seulement voulu dire par là qu'il n'était point un bâtard, mais un de ces fils d'Israël à qui il est dit dans l'Ecriture Vous êtes des fils du Seigneur, votre Dieu.

Par conséquent, l'idée de se dire littéralement bar-Abba ne lui est jamais venue, voilà ce que veut prouver ce Karahite.

c. — Barabbas vrai prophète et encore plus innocent que Joseph, s'il est possible

Nous avons également le bonheur de posséder la Lettre d'un Karaïte aux talmudistes sur Barabbas, vrai prophète :

Les autres livres que vous avez écrits sur lui sont de honteux mensonges : car nous avons appris de nos pères ce qu'il fut : un vrai prophète ! Ce fut un homme intègre et droit, comme son père Joseph[17], ce juste dans le sens le plus absolu[18], et c'est pour votre bien qu'il vous a fait des reproches. Mais vous vous êtes levés, et vous l'avez tué sans motif, injustement !

d. — Harmonie des rapports de Barabbas avec les tribus

D'autres Karahites, de la même encre sinon de la même officine, ont prêté main-fausse aux premiers ; et dans un intérêt qui n'a pas besoin d'être fixé davantage, ils dénoncent comme une honte nationale, voire internationale, la condamnation à mort d'un individu qui, après tout, n'était coupable que de trahison envers son pays, de vol et d'assassinat. Au nombre de ces manifestations de la conscience est la Lettre que ces Karahites auraient écrite du temps d'Hanan ben Schanan, et où ils disent, s'adressant aux autres Juifs :

Vous avez tué Ieschoua le Naziréen contrairement à la loi de Moïse, n'écoutant que la voix de votre exécrable cœur... C'est pourquoi vous êtes responsables de son sang et de celui des siens. Et ne dites pas que vos pères aussi ont consenti au crime d'avoir tué cet innocent ! C'est une fausse assertion, car il n'y avait point de division entre Ieschoua et nos pères[19], sinon sur l'article de la résurrection des morts ! Ieschoua, en effet, e soutenu que la résurrection aurait lieu par quelque pouvoir de la nature, et il a appuyé d'arguments son opinion. Nos ancêtres, au contraire, ont estimé qu'elle devait être l'effet de la puissance divine, et ils ont soutenu leur assertion par des raisons à eux.

Les choses étant ainsi[20], Ieschoua ne peut être aucunement convaincu d'avoir mérité son supplice.

 

 

 



[1] Charpentier, comme son père. On se met ici d'accord avec la pseudo-légende du Juif errant.

[2] A l'Église, qui les a persécutés, les rabbins avaient le droit de répondre : Il est possible que nous soyons dégoûtants lorsque nous faisons de Pandera l'amant de Marie, mais au moins faisons-nous de Pandera un coreligionnaire de cette femme. Nous conservons ainsi une certaine mesure ; nous ne sommes coupables que d'outrer notre défense. Dans notre système, Marie est adultère envers son époux, au moins ne l'est-elle pas envers sa race ! Mais que penser de toi, Église, qui as fait de Panthère un soldat romain et qui as mis ce surcroît de calomnie à notre charge ? N'est-tu pas encore plus répugnante que nous ? Car enfin nous ne vivons pas de Marie, nous autres Nous sommes au contraire ses victimes !

[3] Eh ! oui, comme son père.

[4] Comme le possédé que Jésus délivre devant Gamala après la Journée des Porcs. Cf. Le Mensonge chrétien, pet. édit. p. 426.

[5] A rapprocher du vieux mendiant-chien qu'Apollonius détruit dans Ephèse.

[6] Les Juifs ? Relis donc tes textes, malheureux !

[7] Cf. Fabricius, Codex Apocryphus Novi Testamenti, Kamboure, 1719, in-12°, p.197 et 198.

[8] Fabricius, Codex apocryphus Novi Testamenti, 1719, p. 189.

[9] L'aigrefin qui a fabriqué cette histoire sait bien où le bât le blesse : Jésus, dans les Toledoth synoptisés, proscrit le serment.

[10] Géréda est substitué à Gamala dans l'exemplaire du traité Gittin que produit au procès le pseudo-Nicolas. Peut-être y lisait-on Gerasa, lieu resté célèbre dans l'histoire de Barabbas (à cause de la fameuse Journée des Porcs), ainsi qu'en témoignent les Toledoth canoniques et de même le Vaurien de l'étranger que nous allons donner.

[11] Ah ! comme il est bien sûr qu'il ne reste plus rien là-dessus dans le Flavius Josèphe de l'Église !

[12] Dans quelques-uns, il est vrai, et pour que Simon dit la Pierre n'ait pas l'air d'être le frère du fils de Joseph.

[13] Sanhédrin, p. 98 a.

[14] Page 33 de la Dispute de R. ben Nachman avec frère Paul.

[15] Théologien protestant auquel on doit la publication d'une des Apparition du Vaurien de l'étranger.

[16] C'est la formule de tous les aigrefins ecclésiastiques, lorsqu'ils ont posé quelques prémisses de mensonge.

[17] Jamais ce Karahite, disciple de Rabbi Akiba, n'a entendu dire dans sa secte que le papas du Jésus actuel s'appelât Iehoudda. Jamais !

[18] Eh ! oui, un véritable Panthora.

[19] Il n'y avait contre lui que les dix tribus d'Israël : une paille !

[20] Je le répète, c'est la formule. Je l'ai bien rencontrée cent fois !