LA SAINTE FAMILLE

 

DEUXIÈME PARTIE. — APOLLONIUS DE TYANE OU LA JUSTICE POURSUIVANT BARABBAS ET LA VÉRITÉ DÉMASQUANT JÉSUS

VI. — LA SECONDE MORT DE BARABBAS.

 

 

I. — LE CENTENAIRE DE BARABBAS ET D'APOLLONIUS EN 839.

Domitien régnait depuis cinq ans, lorsqu'en 839 tomba le Centenaire de la naissance de Barabbas, mort et enterré depuis cinquante ans. C'est aussi le Centenaire d'Apollonius ; voilà cinquante ans qu'il est ressuscité, étonnant le monde entier par ses miracles.

L'année 839 est une année exceptionnelle pour les Juifs barabbalâtres, c'est le Jubilé de la publication de l'Évangile : le Royaume n'est point venu, et, quoiqu'en disent les rabbins, Barabbas ne se montre pas.

La veille de la pâque, en guise d'agneau, sur divers points de l'Empire, ils sacrifient leurs premiers-nés au Roi-Messie pour hâter son avènement. Ce fut une des raisons pour lesquelles Jésus dira aux disciples : Vous serez en exécration à tous à cause de mon nom. Et c'est dans le passé de l'Église, un tournant d'autant plus difficile, qu'environ neuf ans après, il y a l'exécution de Flavius Clémens et autres pour avoir conspiré contre Domitien après s'être fait circoncire et baptiser. L'assassinat de Domitien, par un émissaire de la veuve de Clémens, clôt le règne.

L'Église ayant fait du père de Clémens le compagnon de Paul et le successeur de Pierre à Rome, ce Clémens ayant même déclaré, dans les écrits mis sous son nom, qu'il était des Douze, qu'il avait assisté à une Cène célébrée par un nommé Jésus[1], à telles enseignes que sa tête reposait sur le sein de ce divin personnage pendant la cérémonie, je vous laisse penser ce que peut être devenu le texte de Philostrate sur les pâques infanticides consacrées à Barabbas, et sur la vengeance publique qu'Apollonius va tirer de ce scélérat.

a. — Manœuvres d'Église pour dénaturer le rôle d'Apollonius à propos des pâques barabbalâtriques

Le falsificateur de Philostrate est condamné à mentir sur tout. Et dès le début du chapitre, nous voyons cet Apollonius, hier encore si plein de la douceur pythagoricienne, souhaiter, annoncer même le meurtre de Domitien, et y préparer les lecteurs comme à un acte commandé par la philosophie.

 

II. — APOLLONIUS MENACÉ PAR DOMITIEN.

La philosophie, au contraire, et plus particulièrement la sienne, lui ordonnait de défendre les sages, que Domitien allait exiler ou mettre à mort, contre ceux qui, pour assouvir leurs appétits, ne craignaient pas d'ébranler la patrie, en se servant de prophéties condamnées par tous les Dieux, y compris le Père céleste de leur auteur. D'un côté, il y a les philosophes ; de l'autre, il y a les traîtres. Apollonius est avec les premiers contre Domitien, et avec Domitien contre les seconds.

a. — Apollonius ne reconnaît pas Domitien pour empereur

Si Domitien ne se conduit pas bien, il le remplacera par Nerva, l'homme le plus doux, le plus simple, le plus probe de son temps.

C'est Apollonius qui a donné l'Empire à la famille Flavia, il a régné par Vespasien et par Titus. Mais Domitien, qui leur a succédé, est un tyran, il persécute la philosophie. Persécuter la philosophie, c'est attenter à la souveraineté d'Apollonius. Apollonius n'a point reconnu Domitien.

A Éphèse il blâme publiquement ses mauvaises actions, il se déclare solidaire de ceux qui luttent pour la liberté.

b. Il est appelé à Rome sous menace de mort, parce qu'il est dit Roi des rois par la philosophie

On l'avertit que, s'il continue, Domitien le fera mettre à mort. Il ne s'émeut point. A Smyrne il invite les habitants à tourner leurs regards vers la statue de l'empereur : Insensé, s'écrie-t-il, que tu connais mal les Parques et la Destinée ! Celui qui doit régner après toi, tu aurais beau le tuer, il ressusciterait ! En effet, un autre tyran, qui se disait Roi des rois, l'a fait tuer une première fois, ce tyran a été crucifié ignominieusement, et Apollonius vit toujours !

Dans le texte actuel, on feint que par ces paroles prophétiques Apollonius a désigné soir. Nerva, soit Orphitus, soit Rufus, tous les trois dignes de l'Empire, de manière que Domitien puisse l'inquiéter pour avoir conspiré avec eux contre lui. Or nous ne sommes qu'en 839, Domitien ne sera assassiné qu'en 849, et il fallut tirer Nerva de l'ombre pour le faire empereur malgré lui.

Les paroles d'Apollonius ne concernaient donc que lui-même, et elles ne se comprennent qu'à cette condition. Le Roi des rois, c'est lui, tous les philosophes le disent après Vespasien et Titus.

Apollonius fuira-t-il, comme Barabbas devant les Jérusalémites et plus tard devant les Romains ? Il n'attend même pas qu'on le poursuive, il va à Rome, où Barabbas se cache, tremblant au milieu des Juifs ; il n'a pas peur de la Bête romaine, et quant à la Bête juive, il s'en charge !

e. — Le port de Justice

Apollonius débarque à Pouzzoles[2], où pullulaient les Juifs évangélisés.

Il faut noter ici que, pour les besoins de l'affabulation, Philostrate rend à Pouzzoles son nom grec de Dicéarchie (Ordre de justice).

S'il est vrai, comme le disent les Juifs évangélisés, que Barabbas ait échappé en 789, avant la pâque prochaine il subira le châtiment qui lui est dû ; et c'est pourquoi Apollonius a choisi, pour y débarquer, la ville qui porte le nom même de l'invincible Droit.

A Dicéarchie il rencontre Démétrius le cynique, — un chien non enragé celui-là ! — qu'il a jadis donné à Titus pour le garder de lui-même et des autres.

Démétrius lui conseille de ne point pousser jusqu'à Rome, qui le considère comme un dieu, le dieu de la liberté.

 

III. — LES ENFANTS NAZIRS SACRIFIÉS ET MANGÉS.

a. — Apollonius accusé par l'Église d'avoir été le sacrificateur

Quoiqu'innocent, Apollonius sera condamné, dit Démétrius, car l'accusation portera sur un point qu'il ne soupçonne pas.

Pour se débarrasser de lui, on lui imputera un de ces crimes comme seuls les Juifs barabbalâtres en commettent. Et précisément il y en a un qui date de peu de jours.

Le fait est patent.

Il y a eu aux environs de Rome un enfant coupé...

Un enfant coupé ? s'écrie Apollonius. Quoi ! ce serait un eunuque qui renverserait l'empereur ?

Ce serait, en effet, singulier ! Le décret de Domitien, punissant la circoncision des goym et la mutilation totale, n'aurait servi de rien, au contraire !

Le falsificateur ecclésiastique de Philostrate omet de dire à cet endroit que l'enfant a été mangé par ceux qui l'ont coupé, mais un peu plus loin il accusera Apollonius d'avoir eu sa part dans cette Cène de cannibales.

— Ce n'est pas là ce dont on vous accuse, reprend Démétrius ; mais on prétend que vous avez immolé un enfant dans un sacrifice, pour lire les secrets de l'avenir caché dans de jeunes entrailles ! On vous reproche encore votre manière de vous vêtir et de vous nourrir, et l'on ajoute qu'il y a des gens qui vous adorent comme un Dieu.

b. — Nerva présenté comme ayant été le bénéficiaire du sacrifice

Sur la réponse qu'ont faite les entrailles consultées (c'est dire qu'elles avaient promis l'avènement de quelqu'un), Apollonius a excité Nerva, Orphitus et Rufus, à conspirer contre Domitien. Celui-ci en a la preuve, il a résolu de faire mourir les trois conjurés, et l'auteur du sacrifice avec eux. Car, ajoute Démétrius, les tyrans sont soupçonneux, surtout à l'égard de ceux qui ont un rang, s'ils viennent à conférer avec des hommes accusés de crimes comme ceux qu'on vous impute.

Si nous tenons compte de l'indication chronologique fournie par la mort de la vieille lionne (802) et du passage où Apollonius déclare à Domitien qu'il s'est écoulé trente-huit ans depuis son voyage de l'Inde (il s'agit du départ), c'est en 849 que Nerva, Orphitus et Rufus auraient conspiré contre Domitien sur les présages favorables tirés des entrailles de l'enfant sacrifié.

Or, il est certain que les personnages capables de conférer avec des hommes accusés de crimes comme ceux qu'on impute ici à Apollonius ne furent ni Nerva, ni Orphitus, ni Rufus, mais les Clémens et les Glabrio, circoncis et baptisés en 848. D'où il suit absolument, qu'après avoir antidaté les rapports de ceux-ci avec les mangeurs d'enfants, le faussaire ecclésiastique a rejeté sur Nerva[3] toute la honte qui pesait sur Clémens, fils de celui qui est aujourd'hui Saint-Clément, successeur de Saint-Pierre.

Quant à la pâque de 839, à supposer qu'Apollonius existât, le sacrifice de l'enfant dont il est plus spécialement question ayant eu lieu dans les environs de Rome, comment Apollonius peut-il en être accusé à Pouzzoles, lui qui arrive d'Asie, au vu et au su de tout le monde ? Pour qu'Apollonius puisse être accusé d'avoir sacrifié un enfant, il faut qu'il y ait eu des pâques barabbalâtriques de cette nature ailleurs qu'à Rome. C'est sur un de ces exemples que les délateurs auraient pu s'appuyer.

e. — Une falsification évidente de texte et de date

Il y a mieux : Démétrius dit tenir de Télésinus, consul sous Néron et ami d'Apollonius, la nouvelle de l'enfant sacrifié et mangé. C'est donc dans la bouche de Télésinus, et non dans celle de Démétrius, que Philostrate avait placé le récit de la pâque barabbalâtrique et de toutes ses circonstances.

Ce récit a disparu, parce que c'était le document historique dans toute sa nudité tranquille. Bien résolu à le remplacer par des élucubrations de son cru, dans lesquelles toutefois il ne peut nier le fait, le faussaire s'arrange de manière qu'Apollonius et Télésinus ne se voient ni à Pouzzoles ni ailleurs. Mais il se donne plus loin un furieux démenti, par la bouche d'Apollonius lui-même, qui déclare non seulement avoir vu Télé-sinus, mais avoir passé avec lui, à Rome, dans l'intérieur de la ville, la nuit pendant laquelle l'enfant a été sacrifié et mangé aux environs.

Et c'est là, perdu au milieu de nombreuses fausses pistes, un renseignement précieux. La pâque n'était point passée quand Apollonius débarque à Pouzzoles. C'est en arrivant à Rome qu'il apprenait la nouvelle de l'enfant mangé en guise d'agneau.

 

IV. — LA NUIT DE LA PAQUE INFANTICIDE.

a. — Apollonius à Antium. Le repas chez Nerva

Il était cité depuis dix jours[4] pour lèse-majesté, quand il a quitté Pouzzoles, et il met trois jours pour aller à Ostie[5].

Philostrate avait donc combiné ce voyage pour qu'Apollonius, ayant quitté l'Ionie le premier jour du mois de nisan (avril), arrivât à Rome le 14, jour de la préparation à la pâque.

Il s'était arrêté en route, à Antium, chez Nerva, où il y avait un repas qui tirait sa signification de sa coïncidence avec la veille de la pâque.

b. — L'avènement d'Apollonius annoncé par Télésinus

Le falsificateur de Philostrate parle bien d'un repas qui a lieu à Antium, mais il cache que ce fût chez Nerva, et Apollonius n'y assiste point. Télésinus y faisait un songe dont nous n'avons plus qu'un vague schéma[6].

Télésinus connaissait l'Évangile aussi bien qu'Apollonius, c'est-à-dire parfaitement. Au milieu du repas, il s'endormait sur la table. Il voyait en songe des torrents de flammes inonder la terre, envelopper doucement (c'est le baptême de feu) quelques personnes (dont la race n'est plus indiquée), et en poursuivre d'autres dans leur fuite (les goym), tandis qu'un homme restait hors de leurs atteintes et qu'ils s'ouvraient même pour lui livrer passage.

Que ce songe se retourne contre le Juif à qui il est emprunté ! Puisse Apollonius, c'est-à-dire la Vérité, triompher d'un Barabbas !

Télésinus faisait ensuite des libations aux Dieux qui président aux heureux présages !

c. — Apollonius dénoncé comme étant l'homme à qui un enfant a été immolé cette nuit-là

C'est au sortir de ce repas qu'on apprenait la pâque barabbalâtrique de cette nuit-là. Si Apollonius est accusé d'y avoir pris part, quels peuvent être les délateurs ? Des Grecs ? Des Egyptiens ? Des Romains ? Des goym quelconques ? A coup sûr, non. Mais, depuis cinquante ans, il pourchasse à travers le monde l'ombre du Juif que d'autres Juifs adorent comme un dieu ! Ce sont eux qui pour se venger ont dénoncé Apollonius.

Cette fois, ils espèrent bien en finir avec celui qui, naguère, dans Corinthe, arracha Ménippe aux dents sanglantes de la femme-requin. En tout cas, d'où que vînt la dénonciation dans le dispositif original, elle subsiste anonyme dans celui du faussaire. Mais, étant donné que la victime n'est plus juive, que son sacrifice ne répond plus à une date rituelle pour les Juifs, à qui elle a été consacrée ? Par qui a-t-elle été mangée ?

Apollonius a contre lui sa virginité, ses longs cheveux séculaires et sa réputation de ressuscité. Sur la terre, c'est le seul homme qui puisse être pris pour le Nazir échappé à Pilatus. Déjà la même aventure lui est arrivée avec le lieutenant du roi de Babylonie.

Ses amis s'effraient. Qu'il reparte sur le premier bateau venu !

C'est aussi l'avis de Dagis le Ninivite, qui se sent mal protégé par le signe de sa ville natale (la Baleine de Jonas).

Mais Apollonius ne cède pas. Il a engagé ses amis dans la lutte ; s'il les abandonne, comme Barabbas les siens, il mérite un châtiment pire que la mort : le mépris de tous les gens de bien. Si, comme le Jésus des Toledoth, il s'arrange de manière à ne point comparaître devant ses juges, qui osera le croire innocent ? S'il se soustrait au supplice (de la croix, par exemple) et qu'il aille ensuite se cacher en terre étrangère, tel ce Barabbas que les rabbins disent être à Rome au milieu de ses disciples, qu'est-ce que penseront de lui les Brachmanes et les Gymnosophistes, à qui il ira demander asile ? N'est-ce pas leur dire en propres termes : Lorsque vous m'avez vu, vous m'avez cru vertueux ? Détrompez-vous. J'avais des amis que j'ai laissé marcher à l'échafaud, quand je pouvais ou les défendre ou y monter avec eux, Après les avoir abandonnés et trahis, j'ai fui vers vous, parce qu'au prix de la vie, la honte n'est rien pour moi ! Et puis, en admettant qu'il réussisse à leur en imposer, n'aura-t-il pas, au fond de la conscience, un bourreau cent fois pire que tous ceux qu'il aura évités ? Pour rien au inonde, il ne voudrait être dans la situation de Trompe-la-mort, que la famille de Barabbas fait à ce Juif !

d. — Que le disciple se camoufle pour sauver sa vie, le maître, non !

Prévoyant Simon dit, la Pierre dans le Mahazeh de Cérinthe, Dagis jure de ne point se séparer de son maître. Apollonius n'accepte qu'à une condition, c'est que Dagis n'aura pas l'air d'être son disciple. Le maître conservera notamment ces cheveux qui n'ont jamais connu le froid du ciseau, et il ne se camouflera pas pour échapper à la police, comme Barabbas à la fête de la Dédicace. Mais Dagis est un irresponsable, dont il ne veut pas causer la perte. Qu'il se sauve par le procédé cher au héros des Toledoth ! Qu'il dissimule sa longue chevelure, s'il le veut, et se camoufle en homme du peuple !

Ainsi fait-il.

 

V. — ARRESTATION D'APOLLONIUS PRIS POUR BARABBAS.

a. — Apollonius refuse le moyen d'échapper que, d'après ses parents, Barabbas aurait employé à Lydda

Sur ces entrefaites,  Caspérius Ælianus, préfet du prétoire, est instruit de l'affaire de la pâque barabbalâtrique. Il fait arrêter les paschants. Apollonius lui-même, on ne sait où ni comment, est arrêté.

Ici se passe une scène que son déplacement rend encore plus incompréhensible que sa dénaturation. Nous la remettons à sa place logique, c'est-à-dire avant la comparution d'Apollonius devant le préfet.

Le tribun militaire, chargé de l'arrestation, est un homme à qui les preuves de la divinité de Barabbas, alléguées par les rabbins, ont fait perdre un esprit probablement peu solide. Ce tribun a entendu dire, les paschants le répètent eux-mêmes, que Barabbas est Dieu pour plusieurs raisons, notamment parce que les gens de Saül sont tombée à la renverse, lâchant l'arme des mains, lorsqu'ils se sont trouvés devant Barabbas à Lydda (aujourd'hui au mont des Oliviers devant Jésus). Ils n'ont pas pu le prendre, et c'est là, disent les rabbins de la secte, une preuve qu'il est encore parmi eux, avec toute sa chevelure.

Le tribun, qui était un des hommes qui connaissaient le plus Apollonius, lui demanda d'un air insolent pour quel crime il était poursuivi. — Je l'ignore, répondit Apollonius.

Personne, par conséquent, ni Démétrius, ni Nerva, ni Télésinus, n'avait pu lui dire qu'il fût accusé d'avoir sacrifié un enfant. Autrement il mentirait comme un simple Jésus.

— Eh bien moi, je le sais : on dit que vous vous faites adorer, et que vous recevez un culte comme un Dieu ![7] — Et qui donc m'a jamais adoré ? — Moi, lorsque j'étais enfant à Éphèse, à l'époque où vous nous avez sauvés de la peste. — Vous avez bien fait alors, vous, et la ville d'Ephèse, qui me devait son salut.

— Aussi ai-je préparé pour vous une apologie qui vous fera gagner votre cause. Sortons de la ville, et si je vous coupe le cou avec mon épée, l'accusation tombe d'elle-même, et vous êtes reconnu innocent ! Si au contraire vous produisez sur moi un tel effet que mon épée me tombe des mains, il faudra bien qu'on vous croie un homme divin, et par conséquent justement accusé !

Cet homme était encore plus grossier que le paysan qui voulait exiler Aristide : car il parlait ainsi en riant et en grimaçant.

Il est devenu fou. Cela se voit à sa proposition, d'après laquelle Apollonius, pour être reconnu innocent, doit d'abord avoir le cou coupé !

Apollonius ne saurait accepter un système qui le prive du moyen de proclamer son innocence lui-même, de sa propre bouche, et non par l'expédient d'un revenant, comme fera plus tard, 'mué en Jésus, l'horrible Juif à qui ses disciples sacrifient leurs propres enfants.

Il se laisse donc emmener au prétoire.

 

VI. — APOLLONIUS AU PRÉTOIRE.

a. — Le préfet actuel, ignorant qu'il y ait eu la veille une pâque barabbalâtrique, assure que l'enfant a été sacrifié chez Nerva par Apollonius et qu'il était arcadien

Le préfet a été tribun militaire auprès de Vespasien à Alexandrie, il y a vu Apollonius, il admire en lui non seulement le roi des philosophes, mais encore l'homme qui fait les empereurs. Il n'aurait donc, si l'Église n'avait un intérêt contraire, qu'un mot à dire pour le laver de l'accusation de pâque barabbalâtrique. Et ce mot même semblera inutile à tout observateur sérieux, car l'ex-tribun ne peut ignorer ni la part d'Apollonius dans la fortune de Vespasien et de Titus, ni ses sentiments à l'endroit de Barabbas ou des personnages consulaires qui spéculeront un jour sur les présages tirés de l'enfant sacrifié et mangé.

Si donc il ne le remet pas en liberté, c'est parce que Rome 'a besoin plus que jamais de ce dépisteur de démons meurtriers et de spectres sacrilèges[8]. Apollonius débarrassera la ville du scélérat à qui ses disciples venaient de sacrifier pascalement un de leurs enfants.

Mais écoutez ce que le falsificateur ecclésiastique fait dire maintenant par Caspérius Ælianus :

On dit qu'il y a des gens qui vous adorent comme un Dieu, que vous avez prédit la peste à Éphèse[9], que vous avez parlé contre l'empereur, tantôt secrètement, tantôt en public, qu'enfin vous avez quelquefois donné vos attaques comme inspirées par les Dieux.

En dernier lieu, chose parfaitement invraisemblable pour moi, — car je sais que vous n'admettez pas que l'on verse le sang, même dans les sacrifices, — mais très vraisemblable pour l'empereur[10], on vous accuse d'être allé trouver Nerva à la campagne[11], et comme il offrait un sacrifice contre l'empereur[12], d'avoir vous-même coupé en morceaux[13] un enfant Arcadien, et d'avoir exalté ses espérances par ce sacrifice, qui eut lieu, dit-on, la nuit, comme la lune commençait à décroître.

Ah ! voici qui est exact ! C'est dans la nuit du 13-14 nisan, jour où Barabbas fut enlevé à la vue de ses disciples, comme disent les Actes des Apôtres, que l'enfant fut sacrifié, contrairement à l'agneau pascal, qui n'était sacrifié que dans la journée et mangé le soir du 14-15.

Mais essayez de savoir quel est le nouveau dieu à qui on a dédié cette innocente victime ! Peut-on le soupçonner d'être Juif ? En aucune façon. Dans une ville où Pierre sera pape pendant vingt-trois ans, puis crucifié, où Paul sera décapité pour avoir prêché la résurrection de Jésus-Christ, où Clémens lui-même aura succédé à Pierre, peut-il avoir été question de Barabbas et de son culte ? Vous n'y comptez pas, je suppose !

Personne à Rome, ni dans le peuple ni au prétoire, n'a jamais entendu dire qu'il y eût là des Juifs disciples de Juda bar-Abba, toujours vivant en dépit des assertions intéressées der goym, et à qui son Père céleste avait fait le serment de donner !e Royaume universel dans une année jubilaire.

Non, pour le préfet, ce sont de vagues prophéties, que des inconnus disent inspirées des Dieux — au pluriel, afin que le soupçon puisse peser sur les goym —. Le jeune garçon, que d'autres inconnus ont sacrifié et mangé dans des circonstances mystérieuses, ne saurait, lui non plus, appartenir à l'une des douze tribus d'Israël ; il est Arcadien, et Apollonius est accusé d'avoir mangé de cet Arcadien.

Maintenant, pourquoi la victime est-elle Arcadienne ? Parce que, connaissant la renommée dont jouissent les ânes d'Arcadie et la vieille coutume étrusque de la tête d'âne arcadien exposée pour conjurer les feux de la Canicule, Philostrate avait évoqué ce souvenir antique, à propos du Barabbas à tête d'âne, devant qui fut sacrifié l'enfant.

Ce tableau supprimé, le préfet reprend :

Cette dernière accusation est tellement grave que nous pouvons considérer les autres comme n'étant rien auprès de celle-là. C'est là que vient aboutir l'accusation tout entière : car si votre dénonciateur parle de votre costume, de votre genre de vie et de vos prédictions, c'est qu'il prétend que tout cela vous a encouragé à la révolte, et a fait naître en vous l'audace d'un tel sacrifice !

Relis-toi donc, malheureux ! Tu viens de dire que c'est Nerva qui a offert ce sacrifice contre l'empereur ! Et dix ans plus tard il succédera à Domitien, sans que celui-ci ni personne l'ait jamais inquiété pour avoir fourni au sacrificateur l'enfant qui fut mangé cette nuit-là !

Il vous faut donc vous préparer à vous défendre sur tous ces points, et surtout que votre langage ne paraisse pas méprisant pour l'empereur !

Il n'est pas difficile de voir que, dans le texte de Philostrate, Apollonius n'était nullement accusé d'avoir sacrifié un enfant chez Nerva, ou de se l'être sacrifié à lui-même, mais uniquement d'être le prophète de l'empereur  philosophe que les Télésinus, les Démétrius, et les Épictète appelaient de tous leurs vœux.

b. — Apollonius, mis aux fers, se voit couper les cheveux et la barbe, comme Barabbas au prétoire de Jérusalem

Que se passait-il réellement au prétoire ? On le devine. Croyant savoir que Barabbas en personne était aux mains de la police, Domitien donnait au préfet du prétoire l'ordre de le traiter comme si ce Roi des rois n avait jamais comparu devant Pilatus au prétoire de Jérusalem.

Apollonius est donc mis à la chaîne dans un cachot, avec cinquante prisonniers : un par année écoulée depuis la proclamation de l'Évangile et par coup donné à la victime pascale[14]. Néanmoins il ne se trouve pas un seul Juif parmi eux, et leur conversation avec Apollonius nous éloigne le plus possible du dispositif original.

On ne peut pas lui enlever son manteau de pourpre, comme à Barabbas, puisqu'il ne se dit pas Roi du monde, et que d'ailleurs il s'est interdit dès l'enfance tout vêtement dont la matière ou la couleur proviendraient d'un animal. Mais on lui coupe les cheveux et la barbe.

Dans le dispositif actuel, c'est à la suite d'une première comparution devant Domitien, qu'on lui coupe ces signes de liberté, mais il résulte catégoriquement de l'ancien texte qu'Apollonius ne comparaissait qu'une seule fois devant l'empereur. Le jour même où il revient à Pouzzoles auprès de Dagis, qui l'y a précédé, il dit : Je vais vous dire ce qui s'est passé aujourd'hui même au tribunal de l'empereur... en prenant au moment où j'ai été appelé devant lui et sommé de comparaître nu : circonstance que vous ne savez pas encore, ajoute-t-il, par conséquent postérieure au départ de Dagis.

Ce n'est donc pas Domitien, c'est le préfet du prétoire qui le mettait aux fers et lui faisait raser les cheveux et la barbe, afin que cet innocent souffrit injustement et sans se plaindre une ignominie que Barabbas avait justement soufferte, et pour laquelle Jésus devait hurler au martyre dans les Toledoth, comme si le Sanhédrin s'était rendu coupable de la mort d'un dieu Apollonius est mis au rang des malfaiteurs, confondu avec des Juifs convaincus de crimes atroces, dont l'un date de la veille.

Il prévoit ainsi le rôle que les Toledoth écriront pour le Juif de rapport, et il discrédite cette mystification monstrueuse. A Barabbas présenté comme un innocent sous les apparences de Jésus, Philostrate oppose un innocent pris pour un coupable sous les apparences de Barabbas. C'est la situation renversée d'avance.

e. — Libre ou dans les fers, avec ou sans cheveux, Apollonius reste innocent, tandis que Jésus ne sera jamais qu'un criminel jouant l'innocence

Apollonius ne se sent diminué ni dans son honneur par les signes ordinaires de la culpabilité, ni dans sa puissance par l'ablation de sa chevelure, ni dans sa conscience par la perte de sa liberté.

Qu'on lui rase les cheveux et la barbe, c'est peu de chose ; il n'est pas comme Barabbas, il n'attend rien de son système pileux ; cette diminutio capitis ne le touche pas, il n'a point une âme d'esclave sous l'extérieur d'un roi. Mais pourquoi les fers ? Il s'en étonne d'autant plus que, s'il est un véritable enchanteur, il pourra toujours se délier lui-même, comme le fera Barabbas au prétoire par le moyen de Jésus, quand cette comédie sera écrite.

Dagis[15] étant venu est frappé de voir son maître sans cheveux ni barbe.

Il ne lui manque plus qu'une chose pour ressembler à Barabbas sur le chemin du Guol-golta, c'est d'être nu !

Ô Dieux ! s'écria-t-il, qui aurait pu croire qu'Apollonius eût pu être chargé de chaînes ? — Qui l'eût pu croire ? Celui qui l'a fait. Car il ne m'eût pas enchaîné, s'il n'eût cru pouvoir le faire. — Qui aurait jamais cru qu'on eût pu couper sa divine chevelure ? — Moi, qui la laissais croître. — Et comment supportez-vous cela ?[16] — Comme doit le faire un homme qui ne s'est offert à ces circonstances ni volontairement ni contre son gré. — Et comment votre jambe supporte-t-elle ses chaînes ? — Je ne sais, car mon âme est ailleurs. Cependant l'âme est ouverte à la douleur ? — Nullement, car l'âme (du moins la mienne) ou ne sentira pas la douleur ou la fera cesser. — Et à quoi donc songe votre âme ? — A ne pas se soucier de tout ceci.

d. — Apollonius se délie lui-même, ce que n'a pu faire Barabbas et ne pourra faire Jésus

Puisque, devenu Jésus dans les Toledoth, Barabbas conservera le pouvoir de lier et de délier, il semble qu'il n'aurait pas dû laisser échapper l'occasion de se délier lui-même, soit dans la synagogue de Lydda, soit au Hanôth de Jérusalem. Pour donner une leçon de logique aux futurs évangélistes, Apollonius tire des fers une de ses jambes, la droite évidemment, et il pourrait en faire autant de l'autre ; mais il l'y remet aussitôt, n'ayant rien à craindre d'un juge.

Est-ce de la magie, comme un imposteur du genre de Barabbas le soutiendrait ? Nullement. S'il le fait, c'est que cela peut se faire :

Quant aux artifices par lesquels les magiciens opèrent tous leurs prestiges, ç'a été l'objet de plusieurs écrits où leur science a été bafouée[17] ; je les dénonce à mon tour, pour que les jeunes gens ne s'adressent jamais à ces gens-là, et ne s'habituent pas à de pareilles choses, même pour en faire un sujet de badinage. Mais cette digression m'a mené trop loin. Qu'est-il besoin d'insister davantage sur une chose que condamnent à la fois la nature et les lois ?

e. — Avant d'être mené devant Domitien, Apollonius ordonne à Dagis d'aller l'attendre au Port de justice

Après cinq jours d'emprisonnement, on prévient Apollonius qu'il comparaîtra le lendemain devant Domitien. Ces cinq jours constituent l'écart entre la pâque, selon la supputation de Barabbas qui faisait l'année de 360 jours, et le 15 avril, jour du passage du Soleil dans le Bélier, selon le calendrier romain. Apollonius se couche alors pour dormir. Dagis lui objecte qu'il ferait beaucoup mieux de préparer sa défense.

Et comment me préparerais-je, dit Apollonius, ne sachant sur quoi je serai interrogé ?[18]

Dagis, qui souvent l'est venu voir dans la prison, l'accompagne jusqu'au palais. Quoique son camouflage lui garantisse la sécurité, il tremble comme un simple Barabbas au milieu de son peuple de Rome : Je te croyais vivant, lui dit Apollonius ; mais à ta pâleur, on te dirait un mort qui va aux enfers pour y être jugé par Eaque !

Apollonius lui ordonne d'aller l'attendre au Port de justice par la voie de terre : il ira le rejoindre par la voie de mer. Et il sera beaucoup plus fort que ne le sera Jésus, ordonnant aux Douze d'aller l'attendre en Galilée. Car, pour rejoindre Dagis, il marchera sur les eaux. Dagis n'en doute point, puisqu'Apollonius est fils de Protée, mais il lui demande si c'est son ombre qu'on verra ou lui-même en personne : Moi vivant, répond Apollonius ; ou, comme tu le crois[19], moi ressuscité ! Ce ne sera pas un simple mahazeh, une phanie, ce sera une réalité ; et Dagis fait à son maître un crédit que Juda Toâmin refuse à son frère dans Cérinthe : il le croit sur parole, sachant que, pour confondre Barabbas en Jésus, Apollonius ne promet jamais rien qu'il ne tienne.

 

VII. — APOLLONIUS TOUT NU DEVANT DOMITIEN.

a. — Apollonius mis nu avant sa comparution

Au prétoire de Jérusalem on avait dépouillé Barabbas de sa pourpre, et on l'avait mis nu avant de le conduire au Guol-golta.

Ce n'était pas seulement parce que les criminels de sa sorte étaient crucifiés nus, c'était parce que les assistants voulaient voir sur sa cuisse la fameuse croix tatouée qui, à l'entendre, le rendait imprenable.

Avant d'introduire Apollonius au tribunal de Domitien, on le somme de quitter ses vêtements[20]. Mais quoi ! il n'est pas condamné à mort depuis quarante jours par la justice de son pays natal, il n'a aucun signe sur sa peau, aucun talisman dans sa poche. Il demande en riant si c'est pour le juger, ou pour lui faire prendre un bain, qu'on l'a amené ! On lui avoue que, redoutant de lui les sortilèges ordinaires aux enchanteurs, on se flatte de les conjurer en lui enlevant les caractères magiques, signes et herbages, qu'il pourrait avoir sur son corps ou dans ses habits.

Il répond qu'on devrait lui permettre de prendre des baguettes aux faisceaux des licteurs pour corriger les imbéciles qui l'ont cru capable de tomber dans de telles extravagances. Décidément est-ce qu'on le prendrait pour Barabbas ?

b. — Apollonius montre qu'il n'est point Barabbas

Le voilà tout nu devant Domitien. L'empereur vient de sacrifier à Minerve dans un de ces parterres qu'on appelait Jardins d'Adonis, parce qu'ils étaient consacrés à ce dieu, image du Soleil printanier.

Le soleil est passé une fois de plus dans le Bélier (l'Agneau juif), et Barabbas ne règne point.

Philostrate a voulu que l'empereur eût dans l'intérieur même de son palais un jardin où il célèbre le mystère d'Adonis, (le passage à l'équinoxe ;) il fait donner Adonis, parce qu'Adonis, c'est Thammuz entrant dans le Bélier, et que les rabbins évangélisés s'approprieront un jour son agonie annuelle pour l'appliquer à leur Jésus sur le Mont des Oliviers : comédie indigne, et particulièrement déplacée, puisque Barabbas était déjà en croix lors du passage du soleil dans l'Agneau.

En apercevant Apollonius, Domitien a le même geste que le lieutenant du roi de Babylone à Ctésiphon. Il le prend pour un démon, Barabbas lui-même, mais par une raison signalétique toute contraire à celle qui a motivé son arrestation.

En effet, pour les Juifs qui croient que Barabbas a échappé aux gens de Saül dès Lydda, il a les cheveux centenaires.

Pour ceux qui disent qu'il s'est échappé sur le chemin du Guol-golta, en rejetant sa croix sur Simon de Cyrène, il a la tête rasée et il est nu. C'est celui-ci que Domitien croit avoir sous les yeux. Mais ce quiproquo ridicule ne peut pas durer bien longtemps, car Apollonius n'est pas circoncis, et il n'a pas de tatouage à la cuisse droite, c'est facile à voir.

Apollonius n'a donc pas de peine à détromper Domitien, ni besoin de lui montrer qu'ayant fait Vespasien et Titus empereurs, il ne saurait être le scélérat que les Juifs évangélisés font dieu dans leurs pâques infanticides. Au contraire, il en est la victime, ayant connu la première mort en 789 par un sicaire à sa solde.

c. — Apologie d'Apollonius pour Rome et réquisitoire contre Barabbas contumax

Il l'a même cité à comparaître devant Domitien, mais il ne se présente pas plus qu'il ne s'est présenté cinquante ans auparavant devant le sanhédrin. Et pourtant on dit qu'il est dans la Ville ! Fuyard émérite, il a la spécialité d'être contumax. Mais, s'il ne peut être jugé en personne, il peut l'être sur son testament écrit, l'Even-guilayon, l'ordre aux Juifs évangélisés de baptiser Rome du feu de l'incendie : testament qui a déjà reçu un commencement d'exécution en 789.

Le discours d'Apollonius pro Roma, et son réquisitoire contre Barabbas contumax, un chef-d'œuvre certainement, ont disparu tous les deux. En ce qui touche l'exécution du jugement sur les biens du condamné, lesquels, aux termes de la loi, devaient être confisqués et réunis au domaine impérial, comme ils se réduisaient à ce meuble, asinaire par la tête et porcin par les pieds, qu'on appelle Tharthak, il est évident que Domitien le laissait aux héritiers naturels, en l'espèce les paschants.

d. — Expédient par lequel le falsificateur ecclésiastique se libère de l'accusation qu'il a portée contre Apollonius d'avoir été le sacrificateur de l'enfant pascal

Mais le falsificateur ecclésiastique de Philostrate n'a pas pu conserver ce dénouement, et puisqu'il a accusé Apollonios d'avoir été le sacrificateur de l'enfant pascal, Domitien est censé avoir connu de cette accusation.

Pour ce qui est de ces sacrifices à Barabbas, Domitien ne sait plus ni où ni quand a eu lieu le dernier, ni qui fut sacrifié, ni à qui. Mais comme il a connu le fait, il se borne à en accuser Apollonius :

Tel jour, dit-il, vous êtes sorti de votre demeure, vous êtes allé dans un champ.

Apollonius non plus ne peut nier le fait, il se borne à plaider qu'il y est étranger :

Pas de calomnies, s'écrie-t-il ! Si ce jour-là, je suis sorti de ma demeure, il se peut que je sois allé dans un champ ; si je suis allé dans un champ, il se peut que j'aie sacrifié ; si j'ai fait un sacrifice, il se peut que j'aie mangé de la victime. Mais c'est ce qu'il faudrait faire attester par des hommes dignes de foi !

Des hommes d'Église, par exemple. Or comme ils ne le font pas, il n'est même plus prouvé qu'un enfant a été sacrifié par quelqu'un, et c'est ce qui dispense Apollonius de répondre à la question de Domitien : A qui ? Pour qui ? Aussi s'élève-t-il en faveur de l'homme nu un murmure d'approbation plus fort que ne permet le tribunal de l'empereur. C'est quelque chose comme le vote unanime d'un Concile, biffant l'histoire. Domitien lui-même en est frappé : Je vous absous ! s'écrie-t-il. Du même coup Nerva est déchargé de l'accusation d'avoir fourni l'enfant et d'être le bénéficiaire du sacrifice. Mais qu'Apollonius ne fasse pas venir de témoins comme Tacite ! Qu'il se garde bien également de citer le préfet du prétoire, qui tient en prison les paschants !

 

VIII. — APOLLONIUS IMPOSTEUR ECCLÉSIASTIQUE.

a. — Apologie substituée par l'Église à celle d'Apollonius

Au discours que prononçait Apollonius pro Roma dans l'affaire du testament de Barabbas, l'Église a substitué une Apologie de sa façon. Elle en convient, en avouant que cette Apologie n'a pas été prononcée.

b. — Apollonius déclare que le vieux mendiant d'Ephèse n'est point Barabbas, mais la peste

La lapidation de Barabbas sous les traits du vieux mendiant d'Éphèse, dont le cadavre se trouve être celui d'un chien enragé, est une des choses qui embarrassent le plus l'auteur de l'Apologie substituée. Elle suffisait à montrer ce qu'il y avait au fond dans le Juif de rapport.

Aussi l'apologiste, oubliant avoir dit que l'Apologie n'avait pas été prononcée et que Domitien avait refusé de l'entendre, se fait-il interrompre violemment pour n'avoir point à identifier ce vieux mendiant, dont le corps (eucharistique pourtant) ne vaut pas celui d'un chien enragé : Ici, dit-il, l'accusateur m'interpelle, vous l'entendez, ô prince ! Et selon l'interpellé, le vieux mendiant n'est qu'une façon de parler, il n'incarne personne : c'est le fléau lui-même qui avait la forme d'un vieux mendiant ! S'il a été vaincu, c'est moins par Apollonius que par Hercule Sauveur : d'où la statue élevée au dieu par les Éphésiens[21]. Le faussaire insiste fortement sur ce point, afin d'effacer autant que possible l'image hideuse du Juif de rapport, lapidé par ordre d'Apollonius et mué en charogne de chien enragé.

c. — Il déclare aussi que la femme-requin de Corinthe n'est point le revenant de la mère de Barabbas

Pour ce qui est de la femme-requin, il est bien vrai, qu'un spectre, une lamie, errait autour de Corinthe, dévorant les beaux jeunes gens. Mais il en est d'elle comme du mendiant. C'est un fantôme sans précédent charnel, ce n'est pas le mahazeh de la Gamaléenne, aujourd'hui troussée en Vierge Marie par les rabbins évangélistes.

d. — Domitien constitué garant qu'il n'y a pas eu de pâque infanticide en 839

Le falsificateur ecclésiastique de Philostrate en arrive à la pâque infanticide de 839. Il s'agit non pas d'un fait historique, mais bien plutôt d'une composition élégiaque !

Il se sent si peu embarrassé par les textes, il est tellement sûr d'avoir supprimé Tacite et Dion Cassius, qu'il propose lui-même sa version comme définitive, et provoque Domitien à l'entendre. Mieux que cela, il le convainc de l'avoir approuvée.

Et d'ailleurs qu'importe qu'il y ait eu un enfant sacrifié et mangé ? puisque, (Domitien le reconnaît par son silence), cet enfant n'était ni du peuple de Dieu, ni consacré au Juif de rapport, mais arcadien, tout ce qu'il y a de plus arcadien, et amené au milieu de goym sanguinaires !

Voulez-vous maintenant que je me justifie au sujet du sacrifice ? Vos gestes me dictent votre désir ! Écoutez à donc la pure vérité, que j'allègue pour ma défense... Jamais je ne toucherai à des autels où l'on fera couler du sang, jamais je ne ferai de prières les yeux fixés sur un couteau, ou sur une victime comme celle dont parle mon accusateur !

Il y a dans l'accusation je ne sais quelle élégie sur un enfant arcadien, que j'aurais mis en pièces, la nuit, en songe peut-être, je ne sais pas trop ce que dit sur ce point mon accusateur[22]. L'enfant appartiendrait à une bonne famille[23], et sa beauté aurait été celle des enfants arcadiens, qui éclate même sous de misérables vêtements ! Il avait beau pleurer et me supplier : je l'ai tué, dit mon accusateur, et après avoir trempé mes mains dans son sang[24], j'ai prié les Dieux[25] de me dévoiler l'avenir. Jusqu'ici, c'est moi qui suis en cause : ce qui suit touche les Dieux. Au dire de l'accusation, les Dieux auraient prêté l'oreille à ma prière, et m'auraient accordé de bons présages[26], au lieu de punir mon impiété ! Certes, une telle complaisance est bien coupable, mais ce n'est pas à moi d'en parler.

e. — Que l'enfant était arcadien et qu'il n'y avait point de Juifs à son sacrifice

Qu'il me suffise de répondre sur ce dont j'ai à répondre. Quel est cet enfant arcadien ? Puisqu'il était d'une famille distinguée, puisque ce n'était pas un esclave[27], l'accusateur devait demander quel était le nom des parents ? de quelle famille il était ? quelle ville arcadienne l'avait nourri ? à quels autels domestiques il avait été arraché, pour être immolé en cet endroit ? L'accusateur n'en dit rien, lui qui est si fort sur le mensonge !

Il s'agit donc d'un esclave, car un enfant qui n'a pas de nom, pas de famille, pas de patrie, pas de fortune, Dieux ! n'est-ce pas là un esclave ? Les esclaves, en effet, n'ont pas de nom qui leur soit propre. Mais alors, à quel marchand[28] appartenait cet esclave ? Qui l'avait acheté en Arcadie ?

Si sa race arcadienne est propre à la divination meurtrière, il est probable que cet enfant a été acheté bien cher, et que l'on a envoyé un exprès dans le Péloponnèse pour nous ramener ce petit Arcadien. En effet, rien de plus facile que de se procurer ici-même des esclaves venus d'autres contrées, du Pont, de la Lydie, de la Phrygie[29] ; on en rencontre des troupeaux que l'on amène ici, Ces peuples, et en général tous les peuples barbares, ayant toujours été esclaves, ne se doutent pas de ce que l'esclavage a de honteux. C'est la coutume en Phrygie de vendre même ses enfants, et de ne plus s'en soucier ensuite. Mais les Grecs sont encore épris de la liberté, et un Grec ne vendra pas même un esclave pour être conduit hors de Grèce ; aussi n'est-ce pas là qu'il faut aller pour voler des hommes et les réduire en esclavage, ni pour faire trafic d'esclaves de quelque façon que ce soit, et en Arcadie moins que partout ailleurs : car, outre que ce sont, de tous les Grecs, les plus jaloux de leur liberté, il leur faut une multitude d'esclaves. L'Arcadie, en effet, est vaste et boisée, non seulement sur les hauteurs, mais dans les plaines : elle a donc besoin de beaucoup de laboureurs, de chevriers, de porchers, de bergers, de bouviers, d'éleveurs de chevaux, de bûcherons ; et dès leur enfance on les forme à ces divers emplois.

Si les Arcadiens n'étaient pas tels que je les représente, si, comme les autres peuples, ils vendaient leurs esclaves, quel intérêt trouverait cette prétendue science (de la divination) à ce que la victime vînt d'Arcadie ? Les Arcadiens ne sont pas les plus instruits des Grecs, et il n'y a pas apparence que l'examen de leurs entrailles soit plus instructif que l'examen des entrailles des autres hommes : ce sont, au contraire, les plus grossiers des hommes, ils tiennent beaucoup du porc, et comme lui, ils se nourrissent de gland.

De cette manière on est sûr qu'il n'était pas Juif ! voilà ce que veut établir le ministre du Juif de rapport qui a fabriqué cette Apologie.

Mais il y a une autre raison à l'évocation du porc : le sacrifice de l'enfant pascal avait eu lieu devant un Barabbas à tête d'âne, terminé par des pieds de porc, le porc étant le signe infernal soumis à l'Ane, et en l'espèce Domitien envoûté, condamné à l'abîme par le rabbin sacrificateur.

f. Apollonius n'étant pas celui qui a sacrifié l'enfant, et ceux qui l'ont mangé ayant disparu du texte, y-a-t-il bien eu sacrifice ?

Le temps même qu'a indiqué mon accusateur est une preuve de mon innocence. Si le jour où il prétend que j'ai commis ce crime, je me suis trouvé dans la campagne, je reconnais avoir fait le sacrifice, et si j'ai fait le sacrifice, je reconnais avoir mangé de la victime.

Mais il n'y était pas, et il ne devrait pas consentir à discuter, puisque dans le texte actuel il était à Pouzzoles avec Démétrius, lequel tenait le fait de Télésinus, arrivant lui-même de Rome.

Vous me demandez avec instance si je n'étais alors à Rome vers ce temps-là ?[30] Et vous aussi, ô le meilleur des princes, vous y étiez ! et cependant vous ne vous reconnaissez pas coupable d'un tel sacrifice !

L'accusateur y était aussi, et cependant il n'ira pas dire pour cela qu'il a commis un meurtre ! Il y avait aussi à Rome une foule innombrable d'hommes, qu'il vaudrait mieux exiler que de les envelopper d'accusations, dans lesquelles un indice de crime serait de s'être trouvé ici. Il semble cependant que le seul fait d'être venu à Rome est une présomption que l'on n'est pas coupable de tentatives rebelles ! En effet, la résidence à Rome, dans cette ville où il y a tant d'yeux pour voir, tant d'oreilles pour entendre[31] ce qui est et ce qui n'est pas, cette résidence ne permet guère d'y tramer de complot, à moins que l'on ne désire ardemment la mort ! Au contraire, les hommes prudents et modérés y apprennent à ne marcher qu'à pas lents et à ne pas aller au delà du permis.

Qu'ai-je donc fait cette nuit, ô délateur ? Figurez-vous que vous vous adressez cette question, puisque aussi bien vous êtes venu ici pour questionner. Voici quelle sera la réponse : Je préparais des accusations et des procès contre des hommes de bien, je cherchais à perdre des innocents et à persuader des mensonges à l'empereur, pour faire parler de moi, et pour souiller le prince du sang d'un juste ![32]

Si vous m'interrogez comme philosophe, je vous répondrai : Je faisais comme Démocrite, je riais des choses humaines !

g. — Déposition des trente-deux témoins de l'alibi d'Apollonius

Si vous m'interrogez comme étant moi-même[33], je vous dirai : Philiscus de Mélos[34], qui avait philosophé avec moi durant quatre années, était malade en ce moment, et je veillais auprès de son lit : il était dans un état désespéré, et ne tarda pas à mourir de cette maladie. Oh ! combien de bergeronnettes j'aurais voulu avoir alors pour le sauver ![35] Par Jupiter, s'il y a quelques mélodies d'Orphée propres à ramener les morts à la vie, combien j'aurais voulu les savoir alors ! Pour lui, il me semble que je serais allé aux enfers, si cela se pouvait encore : tant je me sentais attaché à lui par toute sa conduite, si digne d'un philosophe, si conforme à mes goûts ! ! Ce que je vous dis, ô prince ! vous pouvez l'entendre de la bouche de Télésinus, personnage consulaire ; car lui aussi, il était au lit du philosophe de Mélos, le soignant, la nuit, avec autant d'empressement que moi ![36] Vous défiez-vous de Télésinus, parce qu'il s'adonne à la philosophie ? j'en appelle aux témoignages des médecins, qui sont Seleucus de Cyzique et Stratoclès de Sidon !

Demandez-leur si je dis la vérité ! Ils avaient avec eux plus de trente de leurs élèves, ce sont autant de témoins qui attesteront ce que je dis. Peut-être croirez-vous que, si j'en appelle au témoignage des amis de Philiscus, c'est pour différer le procès, parce qu'ils sont partis pour lui rendre à Mélos les derniers devoirs ? Eh bien ! avancez, témoins ! car je vous ai fait venir tout exprès.

Pour la troisième fois, le faussaire oublie avoir dit que cette apologie n'avait pas été prononcée, Domitien ayant refusé de l'entendre, et il écrit bravement : Ici les témoins déposent.

Ces témoignages, ô Prince ! vous montrent clairement combien il y a de vérité dans cette accusation Je n'étais pas dans les environs de Rome, mais à Rome même. Je n'étais pas hors des murs, mais dans une maison de la ville. Je n'étais pas chez Nerva, mais chez Philiscus. Je ne mettais personne à mort, mais je priais pour la vie d'un homme. Je ne m'occupais pas d'empire[37], mais de philosophie. Je ne tramais pas de complot contre vous, mais je cherchais à sauver un homme semblable à moi.

h. — Le faussaire conclut à l'inexistence d'un crime sans cause et d'un sacrifice sans effet

Cette hypothèse de trente-deux témoins, déposant coup sur coup en audience publique, enhardit le faussaire. Ils sont maintenant trente-trois, en l'y comprenant ; on peut même dire trente-cinq, parce que le président et l'accusé sont les plus impudents de tous.

Le faussaire conclut donc que le sacrifice a toutes les chances d'être une fable, que, s'il a été célébré, ce ne peut être que par des goym, et que ceux-ci ont perdu leur temps pour des raisons physiologiques intéressant le foie.

Qu'est-ce donc que cette fable d'un meurtre ? Pourquoi chercher à établir la foi en cette calomnie ? Peut-on faire que le faux soit vrai, parce qu'on le dénonce comme vrai ? Ne pensez-vous pas, ô Prince ! qu'il n'y a rien de plus invraisemblable que ce sacrifice ? Il a existé des devins habiles dans l'art d'examiner les entrailles des victimes ; et l'on cite parmi eux les Mégistias d'Acarnanie, les Aristandre de Lycie, les Silanus d'Ambracie, qui étaient les sacrificateurs : le premier de Léonidas, roi de Sparte ; le second d'Alexandre de Macédoine ; le troisième, de Cyrus le prétendant. Assurément, s'ils avaient vu dans les entrailles humaines quelque chose de plus clair, de plus profond, de plus vrai (que dans celles des animaux), ils n'auraient pas été embarrassés de trouver des victimes humaines, car ils pouvaient disposer de rois qui avaient sous la main je ne sais combien d'échansons[38] et de prisonniers qui pouvaient commettre des crimes avec impunité[39], et qui n'avaient pas peur d'être dénoncés comme des meurtriers ! Mais j'imagine qu'ils se sont dit, comme je me dis, moi qui suis accusé d'avoir immolé une victime humaine : Les bêtes, qu'on immole sans qu'elles se doutent qu'elles sont en danger de mort, offrent cet avantage dans les sacrifices, que l'ignorance du péril laisse leurs entrailles sans trouble et sans altération ; l'homme, au contraire, qui craint toujours la mort, même lorsqu'elle n'est pas imminente, comment pourra-t-il, quand la mort sera prochaine et sous ses yeux, présenter des entrailles propres à la divination, ou même de nature à fournir des présages heureux ? Vous allez voir, Prince, que ce que je dis est fondé sur la raison et sur la nature.

Le foie, qui est, selon les experts en cet art, comme le trépied de la divination[40], est rempli de sang impur : tout le sang pur est retenu par le cœur, qui le répand dans le corps entier par les canaux des veines ; quant au foie, il contient le fiel, qui est soulevé par la colère et renfoncé dans toutes les cavités de cet organe. Ainsi, sous l'impression de la colère, le fiel fermente, et ne pouvant plus tenir dans son vase particulier, il se répand sur le foie, occupe toute la partie unie des entrailles, celle qui sert à la divination. Au contraire, l'effet de la peur est que le fiel se resserre, et fait évanouir toutes les instructions qu'on peut tirer de l'examen du foie : alors, en effet, ce qu'il y a de pur dans le sang qui baigne le foie se retire, inondant, par un mouvement naturel, la membrane qui entoure le foie, et nageant au milieu d'une matière épaisse.

A quoi servirait-il donc, ô Prince ! de se souiller d'un meurtre, si la victime ne devait pas fournir de présages ? Ce qui empêche les présages, c'est que la nature humaine pressent la mort, et que ceux qui meurent, s'ils sont braves, s'irritent ; s'ils sont lâches, s'abandonnent à la frayeur. C'est pour cela que, chez les peuples barbares qui ne sont pas dépourvus de toute civilisation, l'art des devins approuve le sacrifice des chèvres et des agneaux, parce que ces bêtes sont simples et presque insensibles, mais éloigne de ses mystères les coqs, les porcs et les taureaux, parce que ces animaux sont trop portés à la colère. Je m'aperçois, ô Prince ! que mon accusateur s'impatiente de voir que je vous instruis de toutes ces choses et que vous paraissez m'écouter avec attention.

Si tout ce que j'ai dit n'est pas clair, vous êtes libre de me poser des questions.

 

IX. — FABRICATION DU NOUVEAU TESTAMENT PRÉDITE ET DÉNONCÉE PAR APOLLONIUS.

a. — Redevenu lui-même aux yeux de Domitien, Apollonius retourne à sa mission anti-évangélique

N'ayant de Barabbas que les apparences, et maître de sa forme par le pouvoir de Protée, Apollonius reprend ses vêtements et son extérieur habituels : acte de protéisme élémentaire. Il revient en même temps à son duel avec Barabbas, et explique la nature des miracles qu'il accomplit en faveur des philosophes et de la philosophie. Ses prodiges ne sont point du tout à la Barabbas, et plus tard à la Jésus. Il n'en fait que d'utiles.

A Domitien qui lui demande, comme Antipas à Jésus, de faire devant lui quelque miracle, notamment de se transformer en fleuve, en arbre ou en bête[41], il répond qu'eût-il ce pouvoir, il n'en userait pas pour échapper à un péril auquel il abandonnerait ses amis innocents : Je resterai tel que je suis et subirai tout ce que vous voudrez faire endurer à ce corps misérable, jusqu'à ce que j'aie justifié les innocents que l'on accuse. — Et qui vous justifiera vous-même ?Le temps, l'inspiration des dieux et l'amour de la sagesse, qui m'anime.

b. — Il prédit la série de faux que l'Église appelle le Nouveau Testament

Dans le texte actuel Apollonius disparaît tout à coup devant Domitien après avoir cité ce vers d'Homère : Tu ne peux me donner la mort, le Destin ne te le permet pas !

Ce dénouement ressemble beaucoup trop à une évasion pour répondre au plan de Philostrate. Il est de même main ecclésiastique que l'Apologie[42], et a pour but de masquer le parfait accord de Domitien avec Apollonius sur des choses d'un intérêt capital pour la vérité. Apollonius était bien trop heureux d'avoir été pris pour Barabbas ! C'était une occasion de constater publiquement, au tribunal de l'Empereur, que le Testament de Barabbas sous le nom de Jésus, en un mot ce que l'Église devait appeler un jour Nouveau testament, n'était pas encore commencé cinquante ans après la crucifixion.

Apollonius, Protée infaillible, prévoyait, prédisait, annonçait que toutes ces Écritures (célébration de la pâque, eucharistie, résurrection, ascension et le reste), seraient une suite d'impostures abominables. Le vrai Testament du Juif de rapport, c'est l'Apocalypse, le seul écrit qui portât le nom d'Évangile au temps de Domitien. Qu'un Flavius Clémens, un Acilius Glabrio, soient demain les victimes de cet Évangile, c'est assez de honte pour Rome ![43] Mais qu'après l'orgueil et la cupidité d'un Barabbas, l'hypocrisie et la fraude d'un Jésus ne puissent plus faire de nouvelles dupes !

c. — Le testament qu'Apollonius attaquait devant la Justice

Au prétoire de Jérusalem, Barabbas, revenu sur terre dans l'intérêt de sa triste mémoire, frappe d'amnésie Pilatus, qui ne se rappelle même plus le nom de circoncision du Roi des voleurs. Le faussaire ecclésiastique frappe Domitien d'une amnésie analogue au profit du même Juif de rapport : Domitien en arrive à ne plus se rappeler quel genre de testament attaquait Apollonius devant les Dieux. Il en arrive même à croire qu'il s'agit d'un procès auquel le Protée tyanéen serait resté absolument étranger, la cause ayant été appelée après son départ. En c'est Apollonius qui, en partant soudain, provoque l'amnésie de l'Empereur.

Peut-être croira-t-on que Domitien le méprisa : mais la suite prouvera qu'il ressentit plutôt du trouble que du mépris. En effet, après cette cause (celle d'Apollonius), il en entendit une autre. C'était une ville qui plaidait contre un particulier au sujet d'un testament, si je ne me trompe. Domitien ne put se rappeler ni le nom des parties, ni même le sujet de la contestation. Ses questions étaient dépourvues de sens, et ses réponses n'avaient pas le moindre rapport au procès. Il était impossible de ne pas voir que le tyran était troublé, et d'autant plus embarrassé que ses flatteurs avaient fait croire qu'il était doué d'une mémoire imperturbable[44].

d. — Prophétie d'Apollonius sur la mort de Domitien

Enfin Domitien demandait de quelle manière il mourrait. Sans répondre que ce serait par le poisson, comme il l'avait prédit à Titus, Apollonius annonçait que ce serait par ceux des membres de sa famille qui, escomptant ce signe à leur profit, ne craindraient pas de l'opposer à leur bienfaiteur. Car Domitien avait fait la fortune de Clémens, adoptant même ses enfants pour ses successeurs au trône.

 

X. — HYPOTHÉOSE DU ROI DES JUIFS INFANTICIDES.

a. — Chrisme, couronnement, second baptême, seconde mort, et bestialisation dernière de Barabbas

Apollonius manquerait à sa mission, et même on sent qu'il ne pourrait pas quitter Rome, si, là, comme au Caucase, à Éphèse, en Grèce, à Thèbes, partout enfin où il était passé, il n'avait pas exécuté l'Ordre de justice qu'il avait reçu des Dieux contre Barabbas.

Domitien gardait la couronne, Apollonius n'en voulant pas ; mais il fallait que Barabbas coiffât publiquement celle qui lui revenait de droit, la couronne de la Scélératesse, royaume où il n'avait pas de rival et auquel il venait de s'acquérir de nouveaux titres. Voici donc la scène que Philostrate avait disposée, Apollonius rentré en possession de tous ses cheveux et de toute sa barbe, et revêtu de la robe de lin des pythagoriciens.

En avant des Juifs qui furent exécutés hors de la Porte latine, leur Roi Juda bar-Abba, le Roi des rois, comme ils disaient, apparaît nu, la tête rase, les mains liées derrière le dos, tel qu'il était sur le chemin du Guol-golta cinquante ans auparavant.

On le saisit pour lui faire connaître la seconde mort devant tous les goym présents à Rome. Et d'abord on lui fait connaître un second chrisme, qu'il n'avait pas prévu ; et celui-là, on le lui administre non seulement sur la tête, comme avait fait sa mère, la Parfumeuse, mais sur tout le corps. Ce n'est plus le vase contenant l'huile de nard d'un grand prix, dont parlent encore aujourd'hui les Toledoth ; c'est la cuve remplie d'huile à brûler, bouillante. On l'y plonge, et par ce moyen on lui fait connaître le second baptême qu'il avait rêvé en 789, le baptême de feu. Le voilà Christ de la main des goym.

On lui apporte sa couronne, non plus la couronne d'or aux douze pointes, mais une couronne armée au dedans de douze clous de fer, qu'on enfonce dans cette exécrable tête qui a conçu l'Évangile. C'est son second avènement. Le voilà Roi, non plus seulement des voleurs, comme en 789, mais des paschants infanticides.

Le puits de l'abîme, où il avait rêvé de précipiter la Bête romaine, s'ouvre alors devant lui, tel le puits de Joseph en Égypte, et cent fois plus profond que la fosse creusée pour Domitien dans le champ du sacrifice. On l'y jette et il y tombe, loin du léhem de la Promesse. C'est son second enterrement, une internalisation moins superficielle qu'à Machéron, devant un public plus nombreux et plus impartial.

Mais ce n'est pas tout. Il n'est pas possible qu'Apollonius ne lui montrât pas le pouvoir de bestialisation qu'il avait déjà exercé à Éphèse en le ramenant à la forme du chien enragé. Cette bête définitive n'est plus, comme à la pâque dirigée contre Domitien, l'Ane terminé en porc, mais le Porc (à qui on a vu manger des enfants) terminé en âne. Le signe du Royaume des Juifs et de la mort des goym est sens dessus dessous.

b. — Comment l'Église a tiré Barabbas de la seconde mort

Cette apothéose renversée a disparu de Philostrate. Cependant l'Église a eu beau la supprimer, il lui a fallu compter avec ce mythe ingénieux, mais terrible. Elle avoue ailleurs que, sous le nom de Ioannès, Barabbas s'est montré à Rome au temps de Domitien, et qu'il y a été plongé dans l'huile bouillante[45]. C'est ce qu'elle appelle le Martyre de Saint Jean Porte Latine. La seule chose qu'elle nie, n'est qu'il y soit resté, et que ce soit là sa seconde mort.

Elle veut donc qu'il ait échappé une fois de plus, l'envoie à Pathmos afin qu'il y compose la belle Apocalypse qui lui a précisément valu ces représailles, et le fait mourir à Éphèse sous Nerva.

Dès que l'Église s'est sentie assez forte pour prétendre qu'Apollonius avait réellement existé, — on verra bientôt par quels faux elle a soutenu cette thèse, — son premier soin a été de mettre sous le nom de ce personnage les phases diverses de la seconde mort qu'il avait procurée au Juif de rapport, par ordre de la Justice. C'est depuis cette manœuvre qu'Apollonius passe lui-même pour avoir été, à Rome, brûlé dans l'huile bouillante, disent les uns ; condamné à mourir de faim, disent d'autres ; jeté dans un puits, disent d'autres encore, ou renvoyé avec une couronne de clous enfoncés dans la tête[46].

 

XI. — LE FUTUR JÉSUS CONVAINCU PAR APOLLONIUS DE N'ÊTRE QUE L'OMBRE DE BARABBAS APRÈS SA PREMIÈRE MORT.

a. — Dans le Port de justice Dagis et Démétrius croient que c'est Apollonius qui a connu la Seconde mort

Sur ces entrefaites, une affreuse nouvelle parvient à Dagis et à Démétrius dans Dicéarchie : Apollonius, pris jusqu'au bout pour Barabbas, a été martyrisé et précipité dans l'abîme ! C'est lui qui a connu la Seconde mort ! Ils ne le reverront plus.

Ce jour-là même, se promenant au bord de la mer, ils s'arrêtent dans un sanctuaire de Nymphes, où est une fontaine qui, contrairement à celle du Siloé-lez-Jérusalem, dont Barabbas escomptait les cinq mouvements, ne dépasse jamais les bords du bassin, ni ne diminue lorsqu'on y puise. Il leur est donc impossible de faire parler cette fontaine selon leurs désirs ; et pensant à Apollonius, ils disent : Quand le reverrons-nous ?

b. — Prévoyant la scène entre le revenant de Barabbas et son frère Toâmin, Apollonius leur coupe d'avance leur effet

Une voix s'écrie : Me voici ! C'était lui, venant à eux, vêtu comme à son ordinaire, avec tous ses cheveux et toute sa barbe. Prévoyant la scène burlesque où, sous le nom de Jésus, Juda bar-Abba émettra la prétention de se faire passer auprès de son frère Juda Toâmin, pour être, non pas un revenant, mais un vrai ressuscité, Apollonius lui coupe ainsi son effet :

Etes-vous vivant ? s'écria Démétrius ; car si nous n'avons devant nos yeux que l'ombre d'Apollonius, nous n'avons pas encore fini de le pleurer ! Apollonius lui tendit alors la main, — mettant par conséquent son interlocuteur à même de le retenir, ce que le revenant de Barabbas ne fait pas — : Prenez, et si je vous échappe, dites que je suis un spectre venu de chez Proserpine, comme les Dieux infernaux en font voir à ceux qui sont abattus par la douleur ! Si au contraire je me laisse prendre, faites que Dagis lui-même soit bien convaincu que je vis et que je n'ai pas quitté mon corps !

En un mot, il n'est pas mort, son corps n'est pas enterré, et il n'a pas besoin de le quitter, comme Barabbas sous les espèces de Jésus, pour pouvoir se montrer aux hommes.

Ils rentrent au Port de justice avec lui, et ils songent à le mettre hors des atteintes des Juifs barabbalâtres[47]. Mais prévoyant la scène du Mahazeh de Cérinthe, où les disciples se tiennent enfermés dans Lydda de peur des Juifs[48], Apollonius rassure ses amis en leur souhaitant d'être aussi imprenables que lui.

C'est l'heure où le soleil se couche, exactement comme dans le ma hazeh de Jésus entrant dans Ammaüs avec Simon la Pierre et Cléopas. Apollonius laisse ses deux compagnons à leur repas, remercie le soleil d'avoir bien voulu éclairer une journée si bien remplie, et va se coucher, comme l'astre lui-même, passé dans le Bélier depuis son lever.

 

XII. — APOLLONIUS EN GRÈCE.

a. Ses quarante jours dans le temple de Jupiter à Olympie

Le lendemain, au réveil, emmenant Dagis, Apollonius part pour la Grèce, et se montre de nouveau dans tous les temples.

On le voit dans celui de Jupiter, à Olympie. Il y reste quarante jours,

non comme fera Jésus sur le Mont des Oliviers, en se cachant des prêtres, mais au contraire en se montrant avec eux.

b. — Différences d'attitude entre Barabbas et lui, en face d'un trésor sacré

Eux de même aiment à se monter avec lui, n'ayant nulle peur qu'à l'instar de Barabbas, il essayât de piller leur trésor, quitte à les traiter ensuite de voleurs dans les Toledoth.

Sur ces entrefaites, Dagis avertit Apollonius que leur provision d'argent allait s'épuiser : Demain, répondit Apollonius, je penserai à cela. Le lendemain il se rendit au temple, et dit au prêtre : Donnez-moi mille drachmes sur le trésor de Jupiter, si vous croyez que cela ne doive pas trop le fâcher. — Ce qui le fâchera, répondit le prêtre, ce n'est pas que vous puisiez à son trésor, c'est que vous n'y puisiez pas davantage.

c. — L'eau d'oubli des prêtres grecs et la fontaine du commerce baptismal

Il passe sept jours dans la caverne où les prêtres de Trophonius donnent l'eau d'oubli, non loin de la fontaine que Philostrate appelle Mercina (de Mercès, marchandise). Cette Rémission des péchés est un commerce non moins répréhensible que celui qui se fait au nom du Juif de rapport. Mais si les Grecs le croient licite et efficace, qu'ils se tournent au moins vers les prêtres nationaux, dont ils peuvent vérifier l'origine et contrôler la conduite ! Ceux-là ont l'avantage de n'être point notoirement souillés de crimes, et de ne pas fuir la justice. Il y avait à ce propos une comparaison que l'Église n'a pu respecter[49].

 

XIII. — RETOUR D'APOLLONIUS À ÉPHÈSE.

a. — Réalisation de sa prophétie sur l'assassinat de Domitien

Il avait prophétisé l'assassinat de Domitien ; et plus assuré de sa prophétie que Barabbas de celle qui concernait Tibère, il peut en constater la réalisation à l'heure même où Domitien tombe. C'est là tout ce que Philostrate avait voulu marquer.

b. — Apollonius présenté par l'Église comme inspirateur et apologiste de l'assassin

Mais on sait que Domitien fut assassiné en trahison par Stéphanos, intendant de Flavius Clémens, circoncis, baptisé, prétendant à l'Empire et porté le quatrième sur la liste des papes.

Le récit actuel de cette fin tragique est ouvrage d'Église, mais curieux par les différences qu'il offre[50] avec les versions de Dion Cassius et de Suétone, fort sujettes à caution, pour ne pas dire inacceptables. Il semble bien qu'avant d'être frappé par Stéphanos, Domitien ait été assailli une première fois par Clémens lui-même[51]. Ce Clémens est ainsi beaucoup plus digne de succéder à Pierre.

La joie sauvage qu'Apollonius manifeste à la nouvelle de l'assassinat, la part même qu'il y prend en le suggérant télépathiquement au meurtrier, sont œuvre de ministre barabbalâtre ; elles sont en opposition formelle avec le personnage imaginé par Philostrate. Et la preuve, c'est que Nerva, qui punira le crime de Stéphanos, demande par écrit à Apollonius de l'aider dans l'administration de l'Empire, car Apollonius est le Contre-Barabbas, et Barabbas a été condamné pour assassinat.

Tandis que ces faits se passaient à Rome, Apollonius les voyait à Éphèse. Domitien fut assailli par Clémens vers midi : le même jour, au même moment, Apollonius dissertait dans les jardins attenant aux xystes. Tout d'un coup il baissa un peu la voix, comme s'il eût été saisi d'une frayeur subite. Il continua son discours, mais son langage n'avait pas sa force ordinaire, ainsi qu'il arrive à ceux qui parlent en songeant à autre chose. Puis il se tut, comme font ceux qui ont perdu le fil de leur discours, il lança vers la terre des regards effrayants, fit trois ou quatre pas en avant, et s'écria : Frappe le tyran, frappe !

On eût dit qu'il voyait, non l'image du fait dans un miroir, mais le fait lui-même dans toute sa réalité. Les Éphésiens (car Éphèse tout entière assistait au discours d'Apollonius) furent frappés d'étonnement. Apollonius s'arrêta, semblable à un homme qui cherche à voir l'issue d'un événement douteux. Enfin il s'écria : Ayez bon courage, Éphésiens, le tyran a été tué aujourd'hui !... Et que dis-je, aujourd'hui ? Par Minerve ! il vient d'être tué à l'instant même, pendant que je me suis interrompu. Les Éphésiens crurent qu'Apollonius avait perdu l'esprit : ils désiraient vivement qu'il eût dit la vérité, mais ils craignaient que quelque danger ne résultât pour eux de ce discours : Je ne m'étonne pas, dit Apollonius, si l'on ne me croit pas encore ! Rome elle-même ne le sait pas tout entière ! Mais voici qu'elle l'apprend, la nouvelle se répand, déjà des milliers de citoyens la croient, cela fait sauter de joie le double de ces hommes et le quadruple[52], et le peuple tout entier. Le bruit en viendra jusqu'ici : vous pouvez différer, jusqu'au moment où vous serez instruits du fait, le sacrifice que vous devez offrir aux Dieux à cette occasion : quant à moi, je m'en vais leur rendre grâces de ce que j'ai vu.

Les Éphésiens restèrent dans leur incrédulité ; niais bientôt des messagers vinrent leur annoncer la bonne nouvelle et rendre témoignage en faveur de la science d'Apollonius : car le meurtre du tyran, le jour où il fut consommé, l'heure de midi[53], l'auteur du meurtre qu'avait encouragé Apollonius, tous ces détails se trouvèrent parfaitement conformes à ceux que les Dieux lui avaient montrés le jour de son discours aux Éphésiens.

 

XIV. — LE MOT DE LA FIN.

a. — Disparition d'Apollonius

Apollonius a fait connaître publiquement la seconde mort à Barabbas. Mais cela ne suffit pas. Il prévoit et prédit qu'avant de substituer Jésus à celui-ci dans les Toledoth canoniques, les rabbins évangélistes prendront toutes les mesures nécessaires pour qu'on ne sache ni où ni comment le Roi des voleurs a connu la première mort, ni même s'il l'a jamais connue.

Et c'est ainsi que le bandit infâme, à qui Jésus prête son nom sur la croix, pourra, en dépit de son casier judiciaire, se faire passer pour un dieu !

D'où la moralité comique, mélancolique aussi, qu'Apollonius, en disparaissant, tire de cette mystification imminente : Si vous ne pouvez pas réussir à cacher votre vie, dit-il, cachez au moins votre mort ! Dans certains cas, cela suffit pour être adoré. Voyez ce qui advient à Barabbas !

Certes il n'a pu cacher sa vie, elle est dans l'histoire, où tout le monde peut la lire. Mais, en cachant sa mort en 789, ses parents ont permis aux rabbins évangélistes de fabriquer le testament qu'ils lui prêtent sous les dolosives espèces de Jésus, et dont Apollonius a prédit la fausseté au tribunal de Domitien.

b. — Apollonius ne disparaît qu'après avoir atteint le siècle sibyllin, soit cent-dix ans (849)

En 849, Apollonius disparaît du monde, après avoir atteint le terme de cent-dix ans, que la Zib boulè (comme disaient les Toledoth au temps de Philostrate) avait assigné à la vie la plus longue, et sur lequel la Sibylle avait calculé le siècle.

Afin qu'on ne puisse se servir de l'âge d'Apollonius pour déterminer la date de la naissance de Barabbas, le faussaire ecclésiastique dit qu'il n'en était point parlé dans la Relation de Dagis[54] ; qu'il avait plus de cent ans selon les uns, quatre-vingt-dix selon d'autres, et seulement quatre-vingt selon d'autres encore.

La raison de ces deux derniers chiffres est dans les impostures de l'Église, qui fait naître le Juif de rapport, tantôt en 750, quelque temps avant la mort d'Hérode, tantôt en 760, au Recensement de Quirinius.

c. — Son aptitude à de nouvelles métempsycoses utiles à la vérité

Apollonius a vu les douze Césars, alors que Barabbas n'en avait vu que deux, Auguste et Tibère. Il a régné sur des rois, alors que Barabbas n'avait régné sur aucun. Et surtout il a régné sur son âme, ce que Barabbas n'avait pu faire, étant une bête sans raison. Il s'en va, n'ayant connu d'autres résurrections que la sienne, et heureux d'avoir infernalisé Barabbas sous les espèces animales conformes à la justice divine. Pour lui, il retourne là d'où, s'il plaît aux Dieux, il pourra, après mille ans, revenir dans un autre corps, où il servira la vérité, comme il l'a servie pendant sa mission anti-évangélique. Il laisse derrière lui Nerva, à qui il écrit qu'ils se rejoindront bientôt dans un lieu où personne ne les commandera, et où ils ne commanderont à personne.

La seule chose qu'on puisse leur reprocher, c'est de ne pas donner le moindre souvenir au petit Arcadien dont ils ont mangé, au Jubilé barabbalâtrique de 839. Ils n'ont pas la reconnaissance de l'estomac !

 

 

 



[1] Cf. dans Le Mensonge chrétien, pet. édition, p. 531, l'analyse de cette imposture funambulesque. Le pseudo-Clémens ne se borne pas à certifier que Barabbas a célébré la pâque et inventé l'Eucharistie, quoiqu'il fût en croix depuis la veille, il soutient que Juda de Kérioth assistait à la séance, quoiqu'assassiné, depuis la veille également, par Simon la Pierre.

[2] Dans le plan de Philostrate, Apollonius arrive à Pouzzoles après l'institution des Jeux Capitolins : le philosophe Démétrius lui apprend cette création comme récente.

[3] C'est d'autant plus absurde que deux ans après Nerva fut consul avec Domitien lui-même !

[4] Vie d'Apollonius, édit. Chassang, p. 297.

[5] Vie d'Apollonius, édit. Chassang, p. 307.

[6] Aujourd'hui, c'est Démétrius qui raconte ce songe à Apollonius. Il le lui raconte à jour où celui-ci revient de Rome, après sa comparution devant Domitien ; il dit qu'il était à Antium avec Télésinus et que le repas remonte à une quinzaine de jours.

[7] Ce serait bien malgré lui, car il ne cesse de dire qu'il est fils d'Apollonius, tandis que le fils de Juda Panthora voulut de son vivant même être appelé bar-Abba.

[8] Cf. plus haut, la réponse d'Apollonius à Tigellin.

[9] Nullement. Il a trouvé Éphèse en proie à la peste évangélique, et il a fait lapider l'homme qui l'y apporta, sous les espèces du vieux mendiant.

[10] Encore moins, car Domitien le connaît par son père et par son frère, tous deux empereurs par sa prescience et son pouvoir.

[11] Impossible. Dans le texte actuel Apollonius n'était pas encore arrivé à Pouzzoles. Et c'est d'ailleurs formellement contredit plus loin.

[12] Voilà la vérité. Le sacrifice a été fait pour Barabbas contre la Bête !

[13] Apollonius remplit ici l'office de prêtre. Et c'est à lui-même qu'il sacrifie l'enfant ! Quelle logique !

[14] Cf. dans Le Mensonge chrétien, grande édition, t. VII, les pâques barabbalâtriques de Carthage.

[15] Aujourd'hui remplacé par un Syracusain.

[16] Cela semble bien être de Philostrate, mais voici qui n'est certainement pas de lui, car la comparaison qu'on y fait d'Apollonius avec Achille, à propos de cette barbe et de ces cheveux rasés, est fort éloignée de celle que commandait la similitude du cas d'Apollonius avec celui du fils de la Parfumeuse. Le faussaire a emprunté les éléments de sa glose à l'histoire de l'ombre d'Achille sur les ruines de Troie.

Notre visiteur, dit-il, revint alors à la chevelure d'Apollonius, et remit la conversation sur ce sujet :

Bien vous prend, lui dit alors Apollonius, de n'avoir pas été un des Grecs qui firent le siège de Troie ; il m'est avis que vous auriez poussé bien des gémissements sur la chevelure d'Achille, coupée en l'honneur de Patrocle (si toutefois elle fut coupée en effet), et qu'un tel spectacle vous aurait fait défaillir. Vous qui me témoignez tant de compassion pour mes cheveux, tout blancs qu'ils étaient et incultes, que n'auriez-vous pas ressenti pour cette chevelure blonde et si bien entretenue ?

[17] C'est Philostrate qui parle, il renvoie au livre de Celse (Contre les Magiciens), où Barabbas était mis à son plan comme opérateur.

[18] C'est une épave du texte original, dans lequel Apollonius était nullement accusé d'avoir sacrifié un enfant.

[19] Comme nous l'avons dit, Apollonius avait connu la première mort dans une circonstance et à une date qui ont disparu, à cause de celui qui la lui avait fait connaître.

[20] On glisse sur cette mise à nu dans le texte actuel, mais on la reconnait formellement plus loin : J'ai été sommé de comparaître nu, dit Apollonius, p. 377 de l'édit. Chassang.

[21] Comme il arrive souvent, le faussaire laisse échapper un peu de vérité sur des Pratiques importantes de la kabbale évangélique. Ainsi, à propos de l'Hercule Sauveur, il fait observer que certains magiciens, en qui il n'est pas difficile de retrouver les Juifs barabbalâtres, se gardaient bien de placer leurs maléfices sous l'invocation de ce dieu éminemment goy : Les misérables de cette espèce aiment bien mieux attribuer ce qui arrive à leurs fosses et aux dieux infernaux (les douze démons de l'Enfer selon Barabbas), dont Hercule ne fait pas partie, car il est pur et bienveillant pour l'humanité.

Ce n'est pas comme le Démon à tête de porc, qu'à l'imitation de leur Maître ils invoquaient en creusant la fosse des gens envoûtés sous la forme d'une bête quelconque.

[22] C'est un peu fort ! Il sait tout par Télésinus, Démétrius et le préfet du prétoire.

[23] Que n'appelle-t-on Nerva ? C'est lui qui l'a fourni !

[24] On ne s'est pas borné là, on en a mangé.

[25] Les Dieux ? Non, le nouveau dieu que les Juifs se donnaient.

[26] Bons pour l'avènement de Barabbas.

[27] C'en était un, d'après ce qui se voit ici et ce qu'on sait par Apulée dans une autre circonstance. Cf. Le Mensonge chrétien, grande édit., t. VII.

[28] Il n'avait pas été vendu, c'était le premier-né d'un Juif emmené en esclavage par Titus.

[29] De la Judée aucun.

[30] En ce temps-là, Jésus dit à ses disciples.

[31] Expressions empruntées aux Toledoth synoptisés.

[32] Ironie, où se sent la plume d'un ecclésiastique habitué par les Toledoth à parler du sang de Barabbas comme étant le sang du juste.

[33] Moi, être réel de la façon de l'Église.

[34] Mélos est une des Cyclades : Voici, dit M. Chassang, la première et la dernière fois que Philostrate nous parle de ce Philiscus dans sa Vie d'Apollonius de Tyane. Oléarius, trompé par son surnom de Mélien (les Méliens sont un peuple de Thessalie) le confond mal à propos avec un sophiste thessalien nommé aussi Philiscus, que Philostrate avait connu dans sa jeunesse, comme il le dit lui-même. (Vie des sophistes, II, 30).

M. Chassang, qui croit à l'existence d'Apollonius, n'a pas remarqué que Philostrate avait, au contraire, introduit Philischos dans son livre, et qu'Apollonius était l'ennemi-né de ce scélérat. Cf. la scène où il se prononce en faveur de celui qui a purgé l'Égypte du Père du butin.

L'Église s'est emparée du nom de Philischos pour en faire celui d'un ami intime d'Apollonius. C'est un de ses tours ordinaires.

[35] Cette histoire d'oiseaux sauveurs vient des douze passereaux lâchés par Barabbas après ses invocations aux douze démons.

Il semble que le rabbin sacrificateur de l'enfant pascal de 839 avait renouvelé cette cérémonie dans le champ du sacrifice.

[36] Télésinus était avec Apollonius chez Nerva, le 14 avril, pendant la nuit de la pâque infanticide. Le faussaire a gardé cela du dispositif original.

[37] Comme les Juifs de la pâque barabbalâtrique.

[38] On avait fait circuler la Coupe de l'Alliance, et on y avait bu le sang de l'enfant sacrifié.

[39] Ah ! les heureuses gens !

[40] Le foie du poisson de Tobie. Les paschants avaient opéré sur celui de l'enfant, comme la suite le montre.

[41] Il n'est pas possible que Philostrate lui prêtât ce dernier pouvoir sur lui-même. Il ne l'exerce que sur Barabbas et sa mère.

[42] Le faussaire nous met à même de percer le secret de soit procédé :

Telle était, dit-il, l'Apologie qu'avait préparée Apollonius. A la fin de cette Apologie j'ai trouvé la fin du premier discours (comme si Apollonius avait comparu deux fois devant Domitien), c'est-à-dire ce vers d'Homère : Non, vous ne me ferez pas périr ; car périr n'est pas dans ma destinée, et tout ce qui précédait et amenait cette citation.

Lorsqu'il fut sorti du tribunal de la manière merveilleuse et inexplicable que nous avons dite, la conduite du tyran ne fut pas celle qu'on attendait généralement. La plupart des assistants croyait qu'il allait pousser des cris, faire poursuivre Apollonius, faire proclamer dans tout l'empire qu'il lui interdisait de s'y montrer : mais il n'en fit rien, soit qu'il voulût surprendre les assistants, soit qu'il comprit enfin qu'il ne pouvait rien contre cet homme.

[43] Il y a certainement quelque souvenir du texte primitif à ans ce passage de l'Apologie sur les Juifs évangélisés : Qu'ils en viennent à s'élever au dessus des autres hommes au point de prétendre en savoir plus que les dieux, voilà ce que je ne puis entendre sans peine et sans horreur...

Pour moi, j'ai coutume d'enseigner en public, dans un sanctuaire, et la séquelle des magiciens évite les demeures des Dieux, pour lesquels les adeptes de la magie n'ont que de l'horreur : as s'enveloppent de nuit et de ténèbres, et ne permettent pas à leurs dupes d'avoir des yeux ni des oreilles. Autant en dit Minucius Félix, à propos des disciples du scélérat crucifié pour ses crimes. Cf. Le Mensonge chrétien, pet. édit, p. 723.

[44] La mémoire de Domitien était, en effet, renommée.

[45] Cf. Le Mensonge chrétien, grande édit. t. VI, le pseudo-Tertullien, De præscriptione hœreticorum, Saint-Jérôme, Adversus Jovinianum, I, 26, et Commentarii in Evangelium Matthœi, III, 20.

[46] Cf. Legrand d'Aussy, Vie d'Apollonius, t. II, p. 249, et l'édition Chassang, p. 380, où déjà il n'est plus question ni de l'huile bouillante ni de la couronne aux pointes en dedans.

L'histoire actuelle du Quo Vadis, et de Pierre re-crucifié à Rome, c'est-à-dire connaissant la seconde mort sous Néron, pourrait bien, elle aussi, dériver de quelque dispositif de Philostrate.

[47] Et non de Domitien, comme il est dit aujourd'hui. Domitien ne poursuit en aucune façon celui qui vient de plaider pour Rome devant la Justice divine.

[48] Cf. Le Mahazeh, connu sous le nom d'Évangile selon St. Jean, XX, 19.

[49] Elle l'a remplacée par un passage où c'est l'inexistant Apollonius qui a la renommée de fuir perpétuellement devant la police et les tribunaux :

Quelques personnes reprochaient à Apollonius d'éviter la présence des magistrats des villes, de mener de préférence ses disciples dans les endroits déserts ; et l'une d'elles dit en riant qu'il chassait ailleurs son troupeau, lorsqu'il voyait venir les hommes publies : C'est vrai, dit Apollonius, je ne veux pas que les loups se jettent sur mon troupeau ! Que voulait-il dire par là ? Comme il voyait les hommes publics regardés par la foule avec admiration, passant de la pauvreté à l'opulence, et si portés à la haine, qu'ils faisaient de la haine métier et marchandise, il détourna les jeunes gens de leur fréquentation. Et ceux qui les fréquentaient, il leur faisait de sévères reproches, Comme pour les laver d'une honteuse souillure. Il avait plus d'une cause de ressentiment contre les hommes publics, mais surtout il se souvenait de cc qu'il avait vu dans les prisons de Rome, de tous ces prisonniers et de toutes ces victimes : et il attribuait tous ces excès moins au tyran qu'à la délation et la funeste éloquence de ces misérables !

[50] Il y est dit que la femme de Clémens était sœur de Domitien, affirmation qui se rencontre également dans le Talmud.

[51] Il y a là un mystère insondable.

J'ai toujours été étonné que l'assassin de Domitien dans le texte actuel de Suétone et de Dion Cassius s'appelât précisément Stéphanos (Couronne martyrologigue), qui est le surnom de Jacob junior, assassin, lui aussi, dans les Actes des Apôtres.

[52] Idée et expression tout ecclésiastiques, empruntées à l'Apocalypse même, là où il est question de la vengeance des Juifs sur la ville de Rome : Rendez-lui au double selon ses œuvres ; dans la coupe où elle vous a fait boire, faites-la boire deux fois autant. (XVIII, 6).

[53] Et c'est à midi que Clémens a frappé Domitien. Où est donc Stéphanos ?

[54] Ici, dit-il, se termine la relation de Damis l'Assyrien sur la vie d'Apollonius de Tyane : sur la manière dont il mourut (si toutefois il est mort), il y a diverses traditions, mais Damis n'en a rapporté aucune. Pour moi, je ne dois point passer cela sous silence plus que le reste : car il faut que cette histoire ait une fin : Damis n'a point non plus parlé de son âge.