LA SAINTE FAMILLE

 

DEUXIÈME PARTIE. — APOLLONIUS DE TYANE OU LA JUSTICE POURSUIVANT BARABBAS ET LA VÉRITÉ DÉMASQUANT JÉSUS

III. — LA PESTE ÉVANGÉLIQUE EN IONIE.

 

 

I. — APOLLONIUS DANS LES VILLES PESTIFÉRÉES.

a. — Apollonius lève les sorts jetés par Barabbas sur l'Ionie

L'Ionie a bien changé depuis qu'Apollonius l'a quittée pour d'autres lieux. L'Évangile du Royaume des Juifs, cette pestilence comme dit l'auteur des Actes des Apôtres, l'Évangile est venu en Ionie, réchauffé par la vieille Lionne dont Apollonius avait aperçu l'image, projetée morte sur le sable de la Chaldée, par les Simon dit la Pierre, les Jacob senior, les Akiba, et toute la maison de Chléo[1], comme dit aujourd'hui la Deuxième de Paul aux Corinthiens.

La mère et les frères survivants de Barabbas ont persuadé les Juifs d'Asie que le Roi-messie se cache parmi eux sous les habits d'un mendiant, et qu'il va déchaîner sur les goym tous les fléaux décrits dans son Apocalypse : famine, tremblement de terre, incendie, peste, rage caniculaire, nous en passons.

Il est temps qu'Apollonius lève les sorts jetés sur l'Ionie par Barabbas[2].

b. — Le vaisseau d'Apollonius contre l'Arche du Charpentier

Déjà la discorde, mortelle aux villes[3], est dans Smyrne où, divisés eux-mêmes au sujet de leurs destinées, les Juifs répandent l'esprit de folie et de violence que le Charpentier de l'Arche a exalté parmi eux.

Et contre cette formidable machine de détraquement universel que fera le vaisseau d'ordre et d'harmonie, dont les voiles blanches se détachent sur le ciel tranquille, invitant les Grecs à suivre Apollonius[4], son premier pilote aux temps heureux où il n'y avait pas de Juifs en Égypte ?

c. Apollonius à Pergame

La ville de Pergame est une de celles qui ont le plus souffert des Juifs évangélisés, on en a la preuve par l'Apocalypse de Pathmos. Apollonius y va pour lui donner ses soins.

Il s'arrêta avec plaisir dans le temple d'Esculape. A ceux qui étaient venus consulter le dieu, il indiqua ce qu'il fallait faire pour obtenir des songes contenant des présages favorables, et il fit plusieurs cures.

d. — Le pan-ionium contre le pan-iudœum

Comme il se dirige vers Smyrne, ceux qu'on appelle les Asiarques dans les Actes des Apôtres, et ici les Pan-ioniens, viennent à lui pour l'inviter à des fêtes qui doivent réunir tous les Grecs d'Ionie. Ces fêtes nationales s'appellent le Pan-ionium. Or les Ioniens étaient maudits par le Ioannès des Juifs, comme par les prophètes qui l'avaient précédé.

Apollonius lut un décret par lequel les Ioniens le priaient de se rendre au lieu de leur réunion.

Il y avait des noms latins au bas du décret, non seulement parce que ce décret était approuvé par le proconsul, mais encore parce que beaucoup de Grecs étaient citoyens romains, et que des affranchis avaient pris le nom de leur patron[5].

Apercevant des noms qui sentaient l'hébreu sous un faux air ionien, Apollonius blâmait le Conseil d'Asie pour les avoir acceptés sur la liste des citoyens, et même, avec son franc parler ordinaire, particulièrement quand il s'adresse aux empereurs, Apollonius exposait à Claude combien il avait tort de donner contre argent le droit de cité aux Juifs. Il ne fait que des ingrats, il irrite les Kanaïtes de l'école de Barabbas et de Simon la Pierre, et en outre il mécontente les Grecs[6].

L'Église a biffé le passage, elle a fabriqué une Lettre d'Apollonius aux Ioniens, sortie du même encrier que les Lettres de Paul aux Corinthiens, elle l'a introduite dans la prétendue Correspondance d'Apollonius[7] ; après quoi, reprenant la plume, elle écrit dans le texte de Philostrate :

Ses yeux tombèrent sur un nom qui n'était pas ionien ; c'était celui d'un certain Lucullus, inscrit au bas du décret. Il envoya une lettre au Conseil pour lui reprocher de reconnaître des noms barbares ; il avait encore lu sur le décret le nom de Fabricius et quelques autres semblables. Ses reproches furent pleins de véhémence, comme on le voit par sa Lettre aux Ioniens.

e. — La coupe qui n'est pas faite de la corne de l'Ane

Sous le bénéfice de ces observations, accompagnées sans doute de prédictions que l'avenir ne devait pas protester, Apollonius se rend au Pan-ionium. On veut lui présenter la coupe de l'Alliance grecque, pendant que les Juifs évangélisés pleurent sur la Coupe de l'Alliance juive, où Barabbas n'avait pu porter ses lèvres à la Grande pâque des Poissons de mille ans. Les Grecs d'Asie n'ont pas été vendangés par ce scélérat, ils peuvent encore boire du vin de la vigne terrestre.

Le jour où il 'oint à l'assemblée des Ioniens, il demanda : Quelle est cette coupe ?C'est, lui répondit-on, la coupe de la Confédération Ionienne. Il y mit du vin, et faisant une libation, il s'écria : Ô Dieux qui présidez aux villes Ioniennes, faites que cette belle colonie ait une mer sûre, qui ne lui apporte aucun mal ; faites qu'Egéon, qui ébranle la terre, ne renverse jamais ces villes ! S'il fit cette prière, c'est, sans doute, qu'il prévoyait le tremblement de terre qui dans la suite affligea Smyrne, Milet, Chio, Samos, et plusieurs autres villes ioniennes.

S'il fait cette prière, c'est surtout parce qu'il connaît les sentiments de Barabbas et ses phurim (sorts) contre les provinces d'Asie.

 

II. — LAPIDATION DU CHIEN ENRAGÉ QU'INCARNAIT BARABBAS.

a. — Apollonius prévoit la peste évangélique d'Éphèse

Un genre de peste, dont la suite nous apprend la nature, menaçait alors les sept villes d'Asie où il y avait tant de Juifs, que l'Apocalypse de Pathmos fait de leurs synagogues les sept premiers évêchés.

Cependant, la peste commençait à se glisser dans Éphèse. Le fléau n'était pas encore bien déclaré ; mais Apollonius en pressentit l'approche, et il l'annonça plusieurs fois au milieu de ses allocutions. Il disait : Ô terre, reste telle que tu es ! Ou bien il prononçait d'autres paroles inquiétantes, comme : Sauve ces peuples ! Ou encore il s'écriait : Ici tu t'arrêteras !

Mais on n'y faisait pas attention, et l'on croyait que ces paroles étaient des formules sacramentelles, d'autant plus qu'on le voyait sans cesse dans les temples, cherchant par ses prières à détourner le mal qu'il prévoyait. Voyant l'aveuglement des Ephésiens, il pensa qu'il n'y avait plus lieu à leur venir en aide, et il parcourut tout le reste de l'Ionie, redressant partout le mal sur son passage, et tenant toujours des discours salutaires à ceux qui les entendaient.

Car depuis longtemps il connaît le mort dont l'odeur incommode ces malheureux, il l'a déjà aperçu une fois, sous la forme d'un âne, au pied du Caucase où Prométhée attend toujours sa délivrance.

Ne trouvant aucun remède à opposer au fléau, les Éphésiens envoyèrent des députés à Apollonius, dont ils espéraient leur guérison. Apollonius ne crut pas de voir différer : Allons, dit-il. Et au même instant il fut à Éphèse, sans doute pour imiter Pythagore, qui s'était trouvé en même temps à Thurium et à Métaponte.

Lorsque Jésus voudra en faire autant dans les Toledoth canoniques, il ne sera qu'un plagiaire d'Apollonius.

b. — Apollonius dans le temple de Diane menacé par les Juifs barabbalâtres

Apollonius s'établissait dans le temple de Diane, ce fameux temple dont les Juifs évangélisés tentèrent le pillage et la destruction en 802, sous l'impulsion et, semble-t-il, la conduite de Simon dit la Pierre et de Jacob senior.

Le temple est ouvert à ceux qui sacrifient, qui prient, qui chantent des hymnes, aux suppliants, aux Grecs, aux Barbares, aux hommes libres, aux esclaves. Voilà une loi merveilleusement divine.

J'y reconnais les attributs de Jupiter et de Latone. Plût aux Dieux qu'il n'y en eût pas d'autres ![8]

c. — Barabbas au théâtre sous la forme d'un vieux mendiant Apollonius sait qui a jeté un sort sur Ephèse et est cause de la peste

Il rassembla les Éphésiens et leur dit : Rassurez-vous, dès aujourd'hui je vais arrêter le fléau. Il dit, et mena la multitude au théâtre, à l'endroit où se trouve aujourd'hui une statue d'Hercule Sauveur.

Là se tenait un vieux mendiant[9], dont les yeux semblaient fermés[10]. Cet homme portait une besace remplie de morceaux de pain, était vêtu de haillons, et avait le visage pâle et défait : Entourez, s'écrie Apollonius, cet ennemi des Dieux, ramassez autant de pierres que vous en pouvez trouver, et jetez-les lui ! Un tel ordre étonne les Éphésiens : ils jugent inique de tuer cet étranger, un homme dont la position était si misérable, et qui, par ses prières, s'efforçait de provoquer leur commisération. Mais Apollonius insiste, il presse les Éphésiens de ne pas le laisser aller, et quelques-uns se mettent à lui jeter des pierres.

Alors cet homme, qui avait paru aveugle, fait voir des yeux étincelants et tout flamboyants.

En effet, les pierres qu'on lui jette ne ressemblent pas précisément à l'Éven dont les Juifs évangélisés donnent le nom à son frère cadet Simon.

d. — Il est lapidé sur l'ordre d'Apollonius

Les Éphésiens reconnaissent un démon[11], et l'ensevelissent sous un monceau de pierres.

L'auteur de l'Apocalypse évangélique s'était trahi à sa méchanceté !

e. — Le corps de Barabbas ramené à l'état de charogne de chien enragé

Après un court intervalle, Apollonius ordonne d'enlever ces pierres, pour que tous voient le monstre qui vient d'être tué. On les écarte, et que voit-on ? Le vieux mendiant a disparu, et à sa place est là gisant un énorme chien, de la taille d'un gros âne[12], tout meurtri et la gueule remplie d'écume comme un chien enragé[13]. C'est à la place même où l'Esprit mauvais fut ainsi lapidé qu'a été élevée la statue d'Hercule Sauveur[14].

Ce vieux mendiant, dont la dépouille est une charogne de chien enragé, a fort préoccupé les savants, et ils trouvent des explications différentes selon qu'ils appartiennent ou non à l'Église[15]. Il n'y en a qu'une de bonne, celle qui parait ici pour la première fois[16].

 

III. — LA PESTE ÉVANGÉLIQUE EN TROADE.

a. — L'ombre d'Achille dressée contre l'Évangile

Apollonius vient ensuite sur le territoire de Troie. La peste d'Éphèse y faisait ravage. Il y avait là des hommes qui prêtaient l'oreille aux Juifs, par haine des Grecs établis en Troade. Ces hommes passaient de là en Macédoine et en Thessalie, où ils évangélisaient. C'est la situation telle que la constatent les Voyages de Saülas, quand Saül, converti par l'auteur de cet écrit, reçoit l'ordre de passer en Macédoine pour y répandre l'Évangile. Apollonius remarque avec chagrin la ligue impie qui se forme entre les habitants de la Troade et ceux de la Thessalie contre les Grecs d'Achaïe, quoique les gens de Troade doivent tout aux douze villes d'Achaïe et rien aux douze tribus juives, et que les Thessaliens soient les ancêtres des Achéens. Maintenant le même Évangile les réunit : les Troyens contre leurs bienfaiteurs, les Thessaliens contre leurs fils.

Apollonius visite pieusement tous les tombeaux des Achéens, tient plusieurs discours en leur mémoire, et marque sa vénération pour eux par des sacrifices non souillés de sang. Puis il va passer une nuit sur le tombeau d'Achille, mort de la flèche empoisonnée que Pâris lui lança au talon. Il veut évoquer cette grande ombre, et faire impression sur les Grecs de Troade, qui cèdent à la parole de dissolution semée par les Juifs évangélisés.

Car c'est une erreur de croire, sur la foi des diviseurs de peuples, qu'Achille ait nourri une haine irréconciliable contre la Troade. Achille n'est point un Barabbas ; son âme est d'un héros, et non d'un méchant ; il cherchait la lumière, il aimait Nestor pour sa sagesse, et Phénix pour ses discours. Il ne fut point cruel envers Priam, son ennemi le plus odieux, et le considéra avec douceur, quand il le vit accablé.

Achille, pour être apaisé, ne demande pas qu'on lui sacrifie des enfants, qu'on les coupe en petits morceaux et qu'on les mange. Une telle ombre ne peut pas déplaire à Apollonius. Ce n'est pas un démon qu'il verra, chien ou âne, c'est un homme. Et lorsque ses disciples lui demandent comment il a pu sans trembler la faire paraître devant lui, voici ce qu'il répond :

Je n'ai pas creusé une fosse, comme Ulysse, je n'ai pas versé le sang des brebis, pour évoquer l'ombre d'Achille. Je me suis borné à faire la prière que les Indiens m'ont dit qu'ils font à leurs génies : Ô Achille ! le vulgaire te croit mort, mais tel n'est pas mon sentiment, ni celui de Pythagore, mon maître. Si nous avons raison, offre-toi à mes regards sous la forme qui est aujourd'hui la tienne ; tu seras assez payé de t'être montré à moi, si tu m'as pour témoin de ton existence présente !

J'avais à peine dit ces mots que la terre trembla légèrement autour du tombeau, et je vis se dresser devant moi, haut de cinq coudées, un jeune homme couvert d'une chlamyde thessalienne, qui n'avait rien de cet air fanfaron que l'on prête quelquefois au fils de Pélée, mais grave et d'un visage qui n'avait rien que d'aimable. Sa beauté n'a pas encore été, selon moi, vantée comme elle le mérite, bien qu'Homère en ait beaucoup parlé ; mais c'est qu'on ne saurait en donner une idée, et que celui qui entreprend de la louer risque plutôt de lui faire tort que d'en parler dignement.

Il apparut avec la taille que je viens de dire ; peu à peu il sembla que sa taille grandît, bientôt qu'elle fût doublée, enfin qu'elle fût plus haute encore. Lorsqu'il eut acquis toute sa grandeur, je crus le voir haut de douze coudées ; et sa beauté croissait avec sa taille[17]. On voyait que sa chevelure n'avait jamais été coupée : il l'avait conservée entière pour le fleuve Sperchius, le premier oracle qu'il eût consulté[18]. Son menton avait gardé sa première barbe : C'est avec plaisir, me dit-il, que je reçois votre visite, car il y a longtemps que je désire me trouver en face d'un homme tel que vous ! Il y a longe temps que les Thessaliens négligent de m'offrir des sacrifices. Je ne veux pas encore écouter ma colère ; car, si je le faisais, ils périraient en plus grand nombre que ne périrent autrefois les Grecs ici même. J'aime mieux les avertir avec douceur de ne pas outrager mon ombre en lui refusant les honneurs qui lui sont dus, et de ne pas se montrer moins respectueux envers moi que les Troyens qui, bien que je leur aie tué tant d'hommes autrefois, m'offrent des sacrifices publics, m'apportent les prémices de leurs champs, et m'adressent des prières pour rentrer en grâce avec moi.

b. — Achille annonce que Péréghérinos ne fera pas la Ville de l'or sur les ruines de Troie

Ils ne l'obtiendront pas ! Car leur parjure envers moi sera un éternel obstacle à ce que Troie revienne à son ancienne prospérité et reprenne la splendeur qu'ont reprise quelquefois des villes après une ruine passagère ; ce parjure fera que leur ville sera toujours comme si elle était prise d'hier Je ne voudrais pas exercer contre les Thessaliens semblables rigueurs. Ainsi je vous prie de rapporter mes paroles à leur assemblée. — Je le ferai, répondis-je, heureux de me charger d'un message d'où dépendait le salut des Thessaliens.

Il autorise Apollonius à lui poser cinq questions, entre autres s'il a été enseveli :

Oui, répond-il, et brûlé. Cela ne l'empêche pas d'apparaître à qui l'invoque.

La cinquième question est de savoir pourquoi, étant donné la science de Palamède, Homère n'a pas chanté ce héros dans ses poèmes. Achille répond qu'à la vérité Palamède est venu à Troie, lui aussi, que nul ne l'a surpassé en sagesse, et que les Muses lui ont fait des Révélations.

e. — Un devin mort innocent et digne d'être adoré : Palamède

Qu'Apollonius aille dans l'île de Lesbos, où est le tombeau de ce grand Palamède ! Sa statuette n'est haute que d'une coudée, et elle le représente sous les traits d'un homme plus vieux que lui, non qu'à l'instar de Barabbas, parlant d'Abraham, il eût dit : Devant que fût Orphée, j'étais, mais parce que sa science était au-dessus de son âge et du temps. Des mains, impies l'ont renversée et enterrée. Qu'Apollonius la relève, et peut-être Palamède laissera-t-il échapper les divins secrets que lui ont confié les Muses !

Cet ordre d'Achille n'est plus expliqué, et on comprend pourquoi. Palamède, voilà un homme que des Grecs peuvent pleurer, adorer même, si c'est par la science qu'on est dieu. On lui doit l'écriture même, l'art de supputer le cours du soleil, de régler le mois sur le cours de la lune ; il a donné à la Grèce ses poids et mesures, et plusieurs lettres d'un alphabet qui ; si on en juge par les services rendus à la civilisation, est plus aimé des dieux que celui d'un Barabbas. De plus, s'il faut être mort de mort violente pour prétendre aux hommages des Grecs, Palamède a été tué, non comme Barabbas par des étrangers appliquant la loi commune, mais par les Grecs eux-mêmes, à l'instigation d'un autre Grec, Ulysse. Enfin, ce n'était pas un horrible scélérat, plus haïssable encore par ses sentiments que par ses actes : Palamède était innocent !

d. — Ordre à Apollonius de ne pas recevoir dans son vaisseau le prototype de Péréghérinos

Achille ne demande qu'une chose à Apollonius, en échange de ces confidences, c'est d'éloigner aussitôt un jeune Mysien, venu de Parium[19].

Ce jeune Mysien, venu de Parium, est là depuis sept jours. Il se nomme Antisthène.

Aucun doute que, dans l'esprit de Philostrate, l'habitant de Parium ne soit le prototype de ce fameux Péréghérinos, qui se disait Protée, et émerveilla le monde par ses prodiges jusqu'au temps de Marc-Aurèle[20]. Mais de même qu'Apollonius est ressuscité bien avant que les rabbins évangélisés songeassent à ressusciter le Baptiseur, de même il était né Protée bien avant que Péréghérinos naquît.

Cet Antisthène prétend descendre des Troyens et rêve de faire de Troie rétablie une Ville de l'or égale à Nazireth. Apollonius n'ignore pas ce nouvel élément de division. Apollonius, qui prévoit tout, prévoit Péréghérinos.

Au point du jour, Apollonius, revenu au vaisseau, demanda à ses disciples : Où est Antisthène de Parium ?

— Me voici, répondit Antisthène, qui s'était entendu appeler. — N'avez-vous pas, lui dit Apollonius, un peu de sang troyen dans vos veines ? — Beaucoup, répondit le jeune homme, mes ancêtres étaient Troyens. — N'êtes-vous pas même de la famille de Priam ? — Oui, certes ; aussi je me flatte d'être homme de cœur et d'appartenir à une race d'hommes de cœur. — Achille a donc raison de me défendre toute liaison avec vous. En effet, il m'a chargé d'avertir les Thessaliens d'un grief qu'il a contre eux, et comme je lui demandais si je ne pouvais pas encore faire quelque chose qui lui fût agréable, il m'a répondu : Ce sera donc pas admettre au nombre de vos disciples le jeune homme de Parium : car c'est un pur Troyen, et il ne cesse de chanter les louanges d'Hector.

Grâce à cette expulsion, Apollonius n'a avec lui aucun Troyen ennemi de sa mission et pouvant, à un moment donné, s'inspirer de l'Évangile, comme fit Péréghérinos.

 

 

 



[1] Nom hiéroglyphique de Lévi : d'où est venu Cléopas.

[2] Leur premier signe date de 771. Il fut terrible, un tremblement de terre renversa douze villes d'Asie en une seule nuit ; Sardes, Magnésie de Sipyle, Temnos, Philadelphie, Æges, Apollonide, Mostène, Hyrcanie la Macédonienne, Myrine, Cyme, Tmole, croulèrent. Le sol s'entrouvrit sous elles, la campagne même n'offrit que des abymes. De hautes montagnes s'affaissèrent, d'autres surgirent des plaines, et les flammes s'élevèrent dans les ruines. Le souvenir de cette catastrophe ne fut pas effacé par la grande éruption du Vésuve. Barabbas en tira un argument d'autant plus puissant en faveur des Phurim de Juda ben Péréja, son arrière grand-père, que ces villes étaient au nombre de douze, comme les signes du Zodiaque, et qu'en Judée pas une ville ne fut atteinte.

[3] Il faut, dit Apollonius, qu'une république soit exempte de ces discorde qui portent les citoyens à lever le glaive les uns contre les autres ou à se lapider ; car elle ne vit que par l'éducation, par les lois, par des hommes qui sachent parler et agir. Mais les rivalités au sujet du bien commun, les luttes ardentes pour surpasser les autres dans les conseils donnés au peuple, dans les magistratures, dans les ambassades, dans la magnificence des édifices publics, à la construction desquels il préside, ne sont-ce pas là des querelles et des discordes qui tournent au profit de la république ? Je sais bien qu'autrefois les Lacédémoniens trouvaient puéril de prétendre travailler au bien public en s'attachant à des occupations différentes ; chez eux on ne songeait qu'à la guerre, c'est vers la guerre que se tournaient tous les efforts, la guerre était toute leur vie. Mais il me semble préférable que chacun fasse ce qu'il sait et ce qu'il peut. Que l'un se fasse admirer par son talent à conduire le peuple par la parole, l'autre par sa sagesse, un autre par des richesses dont il fait profiter ses concitoyens, celui-ci par sa bonté, celui-là par une sévérité qui ne pardonne aucune faute, ce dernier par une intégrité au-dessus de tous les soupçons ; voilà comment la république restera prospère, ou, pour mieux dire, voilà comment sa prospérité croîtra.

[4] Comme il parlait ainsi, il aperçut un vaisseau à trois voiles qui allait sortir du port, et dans lequel tous les matelots, chacun de son côté, faisaient leurs préparatifs : Vous voyez l'équipage de ce vaisseau, dit-il à ses auditeurs, en le leur montrant du doigt ; les uns sont des rameurs, les voici à bord des chaloupes ; les autres lèvent les ancres et les suspendent aux flancs du navire ; d'autres tendent les voiles au vent ; d'autres encore surveillent les manœuvres de la proue et de la poupe. Qu'un seul de ces hommes manque si peu que ce soit à la tâche qui lui est échue, ou qu'il y soit inexpérimenté, le vaisseau sera mal conduit, et c'est comme s'il recélait dans son sein la tempête. Qu'au contraire chacun y mette de l'émulation, qu'ils se disputent tous à qui l'emportera sur l'autre, d'abord ils sortiront heureusement du port, puis ils ne trouveront dans toute leur navigation que bon temps et vent favorable ; leur prudence sera pour eux un Neptune tutélaire.

Ce vaisseau-là, c'est celui qu'Hadrien Antinoos oppose à l'Arche évangélique, et qui porte Lucius désasiné jusqu'à Ostie, en dépit des sorts exécrables jetés par Barabbas sur toute la navigation commerciale.

[5] De ce nombre fut, sous Vespasien ou tout autre empereur de la famille Flavia, l'arrière grand-père de Philostrate.

[6] D'où la Lettre de Claude au Sénat de Tyane, fausse à souhait : Nous avons honoré comme il le mérite, c'est-à-dire comme il faut honorer les philosophes les plus éminents, votre concitoyen Apollonius, philosophe de l'école do Pythagore, qui a parcouru avec éclat la Grèce (et la Judée ?) et fait beaucoup de bien à vos jeunes gens, et nous avons voulu vous assurer par lettres toute notre bienveillance.

[7] C'est la Soixante et onzième :

AUX IONIENS.

Vous croyez qu'on doit vous appeler Grecs, à cause de votre origine et de la colonie que les Grecs ont autrefois établie chez vous. Mais ce qui fait un peuple Grec, ce sont non seulement les coutumes, les lois, la langue, la manière de vivre, mais encore l'air et la mine. Mais vous, pour fa plupart, vous n'avez pas même gardé les noms de vos pères ; mais votre nouvelle félicité vous a fait perdre les attributs de vos ancêtres. Ils feraient bien de ne pas vous recevoir dans leurs tombeaux, car vous leur êtes devenus étrangers. Autrefois, vous portiez les noms de héros, de navigateurs, de législateurs : maintenant, vous prenez les noms des Lucullus, des Fabricius, des heureux Lucius. J'aimerais mieux m'appeler Mimnerme.

[8] Ce passage, avec bien d'autres sans doute, était certainement dans Philostrate. Il en a été détaché pour entrer dans les Lettres d'Apollonius, où il détonne furieusement. Car dans les Lettres qu'elle a mises sous le nom d'Apollonius, l'Église accable les Éphésiens de toutes sortes de calomnies, quelques-unes dans le style des calomnies de Jésus contre les prêtres du Temple de Jérusalem.

C'est d'abord celle-ci Aux Ephésiens :

Il est venu d'une terre grecque un homme, Grec d'esprit et de cœur, sans être ni Athénien, ni Mégarien. Il se nomme Apollonius et veut visiter votre déesse. Donnez-lui un endroit qu'il n'ait pas besoin de purifier, même y restant constamment.

Et puis, c'est celle-là, où reparaissent, attribuées aux assemblées païennes, toutes les infamies dont les premières églises sont convaincues, non-seulement par les histoires, mais par les Lettres de Paul aux Corinthiens et autres :

Vous avez conservé tous les rites des sacrifices, tout le faste de la royauté ! Comme banqueteurs et joyeux convives, vous êtes irréprochables : mais que de reproches n'a-t-on pas à vous faire, comme voisins de la Déesse nuit et jour ! N'est-ce Pas de votre milieu que sortent tous les filous, les brigands, les marchands d'esclaves, tous les hommes injustes et impies ? Le temple est un repaire de voleurs.

[9] Il avait soixante-trois ans, étant mort à cinquante. Toutefois, Philostrate le peint, non tel qu'il aurait été, mais tel qu'étaient les disciples auxquels Jésus adresse les Instructions apostoliques dans Luc.

[10] Par ce qu'il est devant Apollonius, qui a bu de l'eau d'Asèbamma et qu'il a fait assassiner.

[11] C'est en effet le premier des sept démons sortis des flancs de la Gamaléenne.

[12] Il y a maintenant lion. Mais on ne peut douter qu'il n'y ait eu âne, étant donné que, dans la kabbale évangélique, l'Ane est en opposition avec le Chien.

[13] Il lui arrive ce qu'il avait souhaité à la semence de bétail.

[14] Ce dernier détail doit être exact. Après l'exécution des Juifs barabbalâtres, un remercia Hercule d'avoir, par la main de Saül, de Démétrius et de Tibère Alexandre, purgé la ville de ces monstres. Cf. Le Mensonge chrétien, pet. édit. p. 203.

[15] Pour l'abbé Fleury, qui croit à l'existence d'Apollonius, parce qu'il croit à celle de Jésus, le Démon fit paraître un fantôme (le mendiant) pour favoriser son prophète (Apollonius). Mais il est assez vraisemblable qu'il n'y ait eu que de la hardiesse et de l'industrie ; qu'en faisant ôter les pierres, il (Apollonius) fit mettre un chien mort, et que l'on ne chercha pas plus avant : car il est aisé d'en imposer à un peuple prévenu. (Histoire ecclésiastique, t. I, p. 122).

Pour Legrand d'Aussy, qui n'est point d'Église, mais qui est envoûté par elle au point de croire à l'existence d'Apollonius, (comme aussi à celle de Jésus et de Paul), il ne s'arrêterait point à cette histoire, si, dit-il, je ne croyais y entrevoir la vérité qui a pu lui donner naissance :

On sait que chez les Grecs, la religion et les arts personnifiaient et représentaient, sous des traits humains, et avec des caractères distinctifs, les vertus et les vices, les bons et les mauvais génies, les maladies et les fléaux, la discorde, la guerre et la mort, en un mot, tout ce qui pour nous n'est qu'un être abstrait, ou un état passager do l'âme et du corps. Éphèse est ravagée par la peste ou par une épidémie mortelle, à qui on donne le nom vague de peste, parce qu'on ne sait comment la désigner. La confiance qu'a inspirée Apollonius le fait rappeler dans la ville. Par ses lumières en médecine, par ses conseils et les précautions de propreté qu'il indique, il arrête le mal ; et la reconnaissance lui érige un monument qui' exécuté par un artiste sans goût, le représente faisant étouffer le fléau, sous la forme d'un quadrupède noir et hideux.

Cette plate allégorie donne lieu, par la suite, à une fable plus sotte encore. Les générations suivantes la prennent à la lettre. On lui donne, d'après les principes de la religion grecque, une ombre de méchanceté vraisemblable, en supposant que ce mauvais démon de la peste, mort en bête, s'était introduit dans la ville et avait pénétré dans les maisons sous la figure d'un mendiant décrépit. Avec le temps, ce conte s'accrédite. Au siècle de Philostrate, la tradition le donne comme l'événement lui-même. Philostrate, écrivain sans critique et sans philosophie, l'adopte à son tour ; et c'est ainsi qu'il nous le transmet.

Plus près de nous, M. Aubé (Histoire des persécutions de l'Église), un peu plus libre d'esprit, a entrevu le fond de l'allégorie :

En un ou deux passages peut-être, dit-il, on croit voir percer les sentiments intimes et particuliers de Philostrate à l'égard du Christianisme.

A Éphèse, Apollonius découvre que le démon de la peste qui désole la ville a pris la figure d'un vieux mendiant, couvert de haillons, portant une besace pleine de croutons de pain, le visage pâle et défait et fait lapider cet ennemi des Dieux. Il est possible que l'auteur ait songé à représenter ici un chrétien. Un chrétien, ô exégète ? Votre Seigneur Jésus-Christ lui-même !

Ailleurs, poursuit M. Aubé, Philostrate, parlant de la manière d'enseigner d'Apollonius (nous avons rapporté le passage, p. 142) semble critiquer indirectement le genre de discours que la tradition écrite prête à Jésus. Ces deux allusions sont très voilées, et peut-être prêtons-nous ici à Philostrate une intention qu'il n'a pas eue. En tout cas, et quand il y aurait dans ces passages une échappée de haine secrète, ou une arrière-pensée de critique littéraire, ces quelques mots isolés, où l'allusion n'est ni précise ni certaine, ne modifieraient en rien le caractère de l'ouvrage entier, duquel on peut dire encore une fois qu'il ne trahit nulle part l'hostilité ou la malveillance envers le christianisme. En effet, Philostrate combat pour la vérité, pour la civilisation, pour son île natale, et pour lui-même, nulle part il ne montre de malveillance injustifiée.

La défensive philosophique, voilà le caractère dominant de son œuvre.

[16] Il ne faut point douter que l'allégorie des moineaux qui, à l'appel d'un se précipitent sur du blé répandu dans la rue, ne vise expressément les douze passereaux de Barabbas au Jourdain. Mais elle a été à ce point adultérée qu'on n'en peut proposer une explication qui ne semble forcer le texte actuel.

[17] Achille observe de la modestie jusque dans sa taille. Qu'est-ce que douze coudées en comparaison des 144 mètres que Barabbas se proposait d'atteindre ?

[18] Ici, Philostrate se met en légère contradiction avec Homère, mais c'est pour opposer Achille à Barabbas. Le père d'Achille avait promis la chevelure de son fils au Sperchius, et c'est volontairement qu'Achille l'a coupée.

Barabbas au Jourdain avait encore la sienne, mais ce n'est pas précisément pour remplir son vœu que les Romains la lui ont coupée au prétoire.

[19] Il y a Paros dans le texte actuel.

[20] Cf. Le Mensonge chrétien, pet. édit., p. 264.