LA SAINTE FAMILLE

 

DEUXIÈME PARTIE. — APOLLONIUS DE TYANE OU LA JUSTICE POURSUIVANT BARABBAS ET LA VÉRITÉ DÉMASQUANT JÉSUS

II. — APOLLONIUS À LA SOURCE DES PLAGIATS DU IOANNES JUIF.

 

 

I. — APOLLONIUS POURSUIVANT BARABBAS MÉTAMORPHOSÉ EN BÊTE.

a. — Plan de Philostrate

Dès son enfance Apollonius s'est abreuvé à la fontaine d'Asèbamma, dont l'eau a la propriété non seulement de démasquer les menteurs, mais de les lier, vivants ou morts ; il va démasquer ceux qui ont nié la première mort de Barabbas, le lier dans la tombe, et poursuivre son revenant, sous quelque forme que celui-ci se montre, jusqu'à ce qu'il lui fasse connaître publiquement la seconde mort.

C'est un duel qui commence, et le plan de Philostrate apparaît avec une netteté parfaite.

Voici ce qu'il dit aux Juifs barabbalâtres : Vous passez de mensonge en mensonge. Après avoir soutenu pendant plus de soixante ans que Barabbas avait échappé la veille de la pâque et qu'il apparaissait partout au milieu de vous, après avoir fait des Ecritures (le Mahazeh de Cérinthe) dans lesquelles vous soutenez cette thèse, aujourd'hui vous en proposez d'autres (les Toledoth) où vous le crucifiez le lendemain de la pâque et le ressuscitez au bout de trois jours et trois nuits, qui sont le temps passé par Ionas dans le ventre du Zib. Revenons, s'il vous plaît, au premier de ces mensonges. Mettons que Barabbas ait échappé, et vécu jusqu'à l'âge insolite de cent-dix ans. Voici Apollonius, qui, tué par lui, — mais ressuscité celui-là ! — ne mourra point avant cet âge. Eh ! bien, notre homme est allé partout où selon vous le vôtre s'est montré ; partout il l'a cherché : il ne l'a vu nulle part, si ce n'est sous la forme d'un démon infernal ou d'une bête immonde, aussi méchant après sa mort qu'il l'a été pendant sa vie, et sous quelque forme que ce soit, il l'a chassé ou détruit partout où vous l'avez fait apparaître.

Il va donc parcourir officiellement, s'offrant même aux ovations publiques, les provinces où, selon les Juifs de la secte, Barabbas vivait clandestinement au milieu de son peuple. Et il le rencontrera en plus d'un endroit, mais toujours sous les formes les plus hideuses de la métempsycose régressive.

Voilà toute l'économie du mythe d'Apollonius, à partir de la crucifixion de Barabbas.

 

II. — APOLLONIUS CHEZ LES ARABES.

Ses investigations commencent dans le pays même de Gamala, où les Arabes de la Journée des Porcs sont encore campés. Il n'y voit point Barabbas, mais peut-être y voit-il le prince Saül, qui s'est lancé à la poursuite de la Sainte famille. Il entendra certainement dire par les Arabes que Barabbas n'avait pas été crucifié, car c'était encore leur croyance au temps de Mahomet.

Le tripatouilleur ecclésiastique de Philostrate n'a rien laissé de ce que rapportait Dagis à ce propos, il y a substitué ceci, qui est le résumé d'un passage où Apollonius condamnait les pratiques de sorcellerie par lesquelles Barabbas venait de s'illustrer au Jourdain

Si je voulais tout dire, et ne rien omettre de ce que rapporte Dagis, j'aurais à raconter ce que fit Apollonius au milieu de ces barbares : mais il me tarde d'arriver à des faits plus importants et plus merveilleux. Cependant je ne veux pas négliger de faire remarquer ici deux choses : d'abord le courage dont fit preuve Apollonius en s'aventurant ainsi à travers des nations barbares, adonnées au brigandage, et qui n'étaient pas encore soumises aux Romains ; puis la pénétration qui lui fit, à la manière des Arabes, comprendre la voix des animaux[1]. C'est un secret qu'a apprit en voyageant parmi les Arabes, les hommes du monde qui le connaissent le mieux et savent le mieux s'en servir. Chez ce peuple, en effet, il n'est presque personne qui n'entende les oiseaux prédire l'avenir aussi bien que les devins[2] ; on y acquiert le talent de comprendre les animaux, en mangeant, selon les uns, le cœur, selon les autres, le foie d'un Dragon.

Lisez : Dagon, et pour ce qui est de son emploi dans la magie évangélique, lisez l'histoire de Tobie et du poisson[3].

a. — Départ d'Apollonius pour rechercher la source de la Zib-boulè usurpée par le Ioannès juif

Il annonce à ses sept disciples le projet d'aller voir les Mages de Babylone et de Suse, les Brachmanes de l'Inde et les Ichtyophages de la Mer Erythrée.

C'est de là et d'Égypte, que viennent, non seulement la science grecque, mais la spéculation astrologique que Barabbas, hier encore, faisait passer pour une Révélation de son Père céleste.

Aucun n'ayant accepté de le suivre, il part avec deux Tyanéens à son service, dans l'intention de se rendre à Ninive, où Barabbas s'est sans doute rendu pour y chercher le Zib par lequel Ionas a été sauvé jadis.

 

III. — SUR L'EUPHRATE.

a. — Apollonius devant l'Euphrate, qui coule toujours

Sorti de chez les Arabes, voici Apollonius à Zeugma, ville de la Célé-Syrie et pont sur l'Euphrate.

L'Euphrate ne s'est nullement desséché, il coule comme à l'ordinaire. Les rois et les peuples d'Orient ne l'ont pas traversé à pied sec pour aller se faire exterminer et dépouiller au Haram Mégiddo par les sujets de Barabbas.

Quand Apollonius se présente au péage, le percepteur, le prenant pour le Roi des rois, s'attend à ne voir autour de lui que des esclaves ivres et des gens de mauvaise vie, une bande analogue à celle qui dans les Toledoth canoniques suit le revenant de Barabbas au péage de Képhar-aïn.

Il les fit passer au bureau, et leur demanda ce qu'ils apportaient avec eux : J'apporte, répondit Apollonius, la Continence, la Justice, la Force, la Tempérance, la Bravoure, la Patience, et il énuméra encore plusieurs vertus dont les noms sont au féminin. Le percepteur, ne songeant qu'au droit d'entrée, lui dit : Donnez-moi la liste de tous ces esclaves. — Non pas, s'écria Apollonius ; ce ne sont pas des esclaves, ce sont des maîtresses !

 

IV. — À NINIVE.

a. — Apollonius dans la ville de Ionas. La génisse de Myriam

La première chose qui le frappe à Ninive, c'est la statue d'Io, où cette Image de la Nature, cette Isis, est représentée, non comme le veulent les Egyptiens et les Grecs, mais en son premier état, l'état de génisse, avec deux cornes qui commencent à poindre de ses tempes.

D'où la fameuse vache de Moïse et de Miriam.

C'est aussi la Vache qui sert d'exergue au chapitre V du Coran sur la Révélation à Moïse.

C'était l'image animale de la Vierge du monde[4] ; elle jouait un rôle considérable dans la kabbale de Barabbas, comme représentant la vertu nourricière, et quant à ses deux cornes, elles marquent assez les deux équinoxes. Le Veau d'or n'a jamais été qu'une renonciation sacrilège à la promesse du Messie, fils de la Vierge[5].

b. — Suppression par l'Église du Zib, but de l'arrêt

Mais ce qui nous frappe le plus, c'est qu'Apollonius marque si peu d'intérêt pour le Zib, signe de Ionas. C'est que ce Zib est le cryptogramme de Ninive ; que les mots Zib boulè sont l'origine du mot Sibylle ; qu'Apollonius est accompagné d'un historiographe né dans la ville et nommé Dag-isch (poisson-homme), et que le but du voyage est d'exposer, en remontant à leurs sources, tous les plagiats du Ioannès baptiseur.

Comme le Zib a été supprimé par l'Église dans l'Apocalypse de l'Even-guilayon, il ne faut pas s'étonner qu'on ne le retrouve plus dans Philostrate.

 

V. — SUR LE CHEMIN DE BABYLONE.

Le roi de Babylone était alors Bardane, si l'on en croit le texte actuel ; mais il y a gros à parier que Philostrate nommait d'abord Artaban, roi des Parthes, et voici pourquoi.

A la suite d'une révolution de ses sujets, Artaban avait trouvé asile chez Izate, roi de l'Adiabène. On sait qu'Izate s'est fait circoncire, que sa mère Hélène, veuve de Monobaze, vint se fixer à Jérusalem, et que tous deux, pendant le règne de Claude, sont venus en aide, avec une inépuisable générosité, aux populations de Judée que Simon dit la Pierre et Jacob senior avaient réduites à la famine par leur prédication de l'année sabbatique. On sait aussi que c'est Tibère Alexandre qui a fait crucifier ces deux fanatiques, et que l'un d'eux, tous les deux peut-être, ont été traînés après leur supplice devant le palais de la reine Hélène, ils avaient paralysé l'action bienfaisante[6].

Ils étaient du nombre des affameurs d'Aspendus.

Artaban devait une grande reconnaissance à Izate, car celui-ci ne s'était pas borné à lui donner une hospitalité sans réserve, il avait négocié sa rentrée chez les Parthes, et obtenu d'eux qu'ils le reprissent pour roi.

Or, tout en nommant Bardane comme le roi auquel Apollonius a affaire, on insiste à plusieurs reprises sur ce fait qu'il a été détrôné, mais que, par son courage et sa justice, il a su reconquérir son Royaume. C'est un revirement de fortune qui ne semble pas pouvoir convenir à Bardane, mais à Artaban. On donne même un chiffre qui peut être exact : il y a deux ans qu'il est rentré, et on est dans le troisième mois de la troisième année. Ceci ne semble pas pouvoir convenir à Artaban, mais à Bardane, son fils, lequel ne régna sur les Parthes qu'en 800 et fut tué dans une partie de chasse en 802 ou 803. Or nous sommes en 802 (nous en avons la preuve), lorsqu'Apollonius prend son chemin vers Babylone. On peut donc être certain que toute cette partie a subi des changements profonds en raison des relations d'Artaban, peut-être d'Apollonius lui-même, avec la reine Hélène ; car voilà treize ans qu'Apollonius est en voyage, et il n'y a point d'apparence qu'il ait passé tout ce temps chez les Arabes et à Ninive. Quoiqu'il en soit, Bardane doit être fort au courant de ce qui touche Apollonius par son frère Mégabate, qui l'a vu et approché à Antioche.

Mais peut-être le croit-il mort tout à fait, alors qu'au contraire c'est un ressuscité qui arrive.

 

VI. — APOLLONIUS PRIS POUR BARABBAS À CTÉSIPHON.

a. — Apollonius aux portes de Ctésiphon

A la vue de ce spectre hâve, décharné, dont les cheveux en désordre accentuent l'horreur, le gouverneur, un eunuque, pousse un cri comme une femme effrayée, et se cache la face avec les mains ![7] Est-ce la Mort, en la personne de Barabbas, qui se présente aux portes pour aller faire son œuvre chez le roi de Babylone ? Cependant, si c'était le crucifié de Pilatus, il n'aurait pas ses cheveux ! Mais le gouverneur ignore ce détail, car il demande au spectre : D'où viens-tu et qui t'a envoyé ?Je ne reçois d'ordres de personne, répond Apollonius, c'est moi qui m'envoie moi-même. Autant en disait hier l'Envoyé du Dieu des Juifs. Serait-ce lui ? Si c'est lui, il ne passera pas ! Ses intentions sont trop connues !

L'eunuque se tourne alors vers Dagis et les deux Tyanéens qui accompagnent Apollonius. S'envoient-ils eux-mêmes, comme Apollonius ? Ou ont-ils un maître qui les envoie ? S'ils sont apôtres de celui qui disait aux Juifs : Vous n'avez qu'un maître sur la terre, c'est moi, et la terre elle-même est à vous ! ils n'iront pas plus loin. Apollonius répond pour eux et dit à l'eunuque : La terre est à tous[8], elle est toute à moi, j'ai le droit d'aller où il me plaît.

b. — Le gouverneur détrompé

Le gouverneur croit comprendre qu'Apollonius a le dessein de braver le roi, il le menace de la torture, s'il ne répond pas plus clairement. Mais Apollonius : Arrête, et sache que si toi, ou l'un des tiens, osez seulement me toucher, à l'instant même, oui, j'en jure par le Dieu du ciel, tu es mort ! Le gouverneur s'étant radouci au nom du Dieu de tous, Apollonius lui dit son nom, sa patrie, son but. Il n'a rien à cacher. Quelle leçon pour le futur Jésus au prétoire, pour ce pitre de l'innocence interrogé par Pilatus !

Heureux de connaître un homme qui a été si bon, si sage, si utile pendant sa vie, l'eunuque veut le recevoir chez lui splendidement, et l'assure de l'accueil que lui réserve le roi ; celui-ci, s'il l'exige, lui donnera la moitié de son trône d'or !

c. — Une preuve qu'Apollonius n'était point Barabbas

En attendant, mets fastueux, vin royal, provisions de route, l'eunuque lui offre tout, mais Apollonius ne vit que de pain, de racines et de fruits. Et quant à ces derniers objets, toutes les fois qu'il peut les avoir sauvages, voire un peu amers, sa philosophie les préfère à ceux du jardin de Barabbas, qui est imaginaire et dont ce Juif ne dispose pas. Mais s'il avait pu conserver un doute sur l'identité de son hôte, l'eunuque aurait vu que ce n'était point Barabbas à ce signe que, lui ayant montré ses meubles, sa vaisselle d'or et d'argent, ses bijoux, ses pierreries, et lui ayant offert d'y choisir à son gré et d'y puiser jusqu'à dix fois, Apollonius refuse et prend congé.

 

VII. — LE CORPS DE LA GAMALÉENNE BESTIALISÉ APRÈS SA MORT.

a. — Lionne qui accouche en mourant de huit lionceaux morts

Apollonius poursuit son chemin vers Babylone. A une lieue de Ctésiphon on aperçoit une Lionne énorme que des chasseurs viennent de tuer, et qui, au moment où elle a été frappée, a mis bas huit lionceaux morts en naissant. Qu'est-ce que ce signe ? Nous pouvons le dire, sachant que Lévi veut dire lion ; que cet animal est le signe de la famille Cléopas ; que la mère de Barabbas est elle-même une Lévi, fille de Cléopâtre ; que le Lion précède la Vierge sur le Zodiaque, et que l'année de la Vierge aux Poissons, l'Année de mille ans, n'est point venue. La grande Gamaléenne vient de mourir à Ephèse, et, comme nous l'avons dit[9], de mort violente. Son corps, bestialisé par application de la métempsycose régressive, gît étendu sur le sable.

Maintenant, qu'est-ce que les huit lionceaux morts dont elle accouche ? Ces petites bêtes sont les Lions des huit Années sabbatiques écoulées depuis l'Année 739, date de la naissance de Barabbas, jusqu'au moment où leur lévitique mère a été tuée elle-même.

Si nous avions affaire à une Lionne qui ne fût point astrologique, et de la Sainte-Famille, il n'en serait jamais sorti huit lionceaux d'un coup ; et les assistants, parmi lesquels il peut bien y avoir des Juifs, ne manquent pas de faire observer qu'une lionne ordinaire n'a jamais plus de cinq petits, même dans les portées les plus fortes.

Ce qui est là, visible à tous, et en l'année même de sa mort, c'est, sous les espèces de la bête lévitique par excellence, la mère de Barabbas en effigie. Et ce qu'a imaginé Philostrate dans son écrit, c'est une séméiologie chiffrée, comme il en a vu dans les Mahazeh et dans les Toledoth qui ont cours chez les Juifs évangélisés[10].

Il n'y a pas besoin d'être de la force de Joseph à la cour de Pharaon pour en donner l'explication.

b. — Déchiffrement du signe par le principe séméiologique des Toledoth

Philostrate s'empare de la séméiologie métronomique du Toledoth où, sous le nom de Shâna (aujourd'hui Anna), Salomé incarne l'année de deux ans (738-739) pendant laquelle Barabbas est né. Les cadavres des huit lionceaux signifient que le temps doit être compté sabbatiquement à partir de cette Lionne jubilaire.

Le premier Lionceau est celui de l'an sabbatique 746.

Le second est celui de l'an sabbatique 753.

Le troisième est celui de l'an sabbatique 760.

Le quatrième est celui de l'an sabbatique 767.

Le cinquième est celui de l'an sabbatique 774.

Le sixième est celui de l'an sabbatique 781.

Le septième est celui de l'an sabbatique 788.

Le huitième est celui de l'an sabbatique 796.

La Lionne aurait pu en connaître un neuvième, si elle avait été tuée en 803, mais elle l'a été avant ce terme.

c. — Change donné par l'Église sur ce déchiffrement

L'Église a, comme on va le voir, enlevé ce qui pouvait conduire à ce déchiffrement. Et voici le change qu'elle donne par la bouche même d'Apollonius :

Après avoir vu cette portée monstrueuse, Apollonius se tut quelque temps, puis s'adressant à Dagis : Notre séjour chez le roi de l'Inde[11] durera un an et huit mois : il ne nous laissera pas partir plus tôt, les lionceaux nous annonçant un mois[12] chacun, et la mère une année[13] ; car un temps parfait, tel qu'une année, ne peut être représenté que par un animal qui, arrivé à son entier développement, soit parfait et achevé comme lui.

C'est absurde, car le mois est un temps tout aussi parfait que l'année, et Barabbas au Jourdain ne le représente point par des lionceaux, mais par des passereaux. Dagis, même dans le texte actuel, ne peut accepter l'explication mise dans la bouche de son maître :

Rappelez-vous, lui dit-il, ces huit passereaux dont parle Homère, et qui, dans l'Aulide, en présence de l'armée grecque, furent dévorés avec leur mère par un serpent. On consulta Calchas sur ce prodige, et le devin répondit que les Grecs resteraient neuf ans entiers devant Troie (les neuf oiseaux représentant chacun une année). Si de jeunes passereaux, encore dans leur nid, annonçaient une année complète, pourquoi ces lionceaux ne présageraient-ils qu'un mois ? D'après l'explication de Calchas, qui fut vérifiée par l'événement, ne devons-nous pas, au contraire, nous attendre au malheur d'un séjour de neuf ans dans l'Inde ?

Dans sa réponse Apollonius montre bien qu'il n'avait jamais interprété les huit lionceaux comme équivalant à des mois à venir, mais à des mesures de temps passées et que nul ne pouvait faire revivre : l'Apocalypse dont l'Agneau juif rompt les sept sceaux dans l'Even-guilayon est bien morte avec la mère-lionne :

Homère, dit-il, a raison de comparer les passereaux à des années, car (dans son dispositif) ils étaient déjà éclos et ils vivaient. Mais des animaux qui (comme les lionceaux) ont été tués avec leur mère avant de naître, comment les comparer à des années futures ? Les monstres naissent rarement, ou s'ils naissent, ils meurent vite[14]. Croyez-moi donc, et allons prier les Dieux qui nous révèlent ainsi l'avenir[15].

La Grande année du Royaume des Juifs ne viendra jamais, pas plus que ne reviendra le fils aîné de Salomé Cléopas, en dépit de ce que dira le Seigneur Jésus à Pierre dans le Mahazeh de Cérinthe : S'il me plaît qu'il reste sur la terre jusqu'à ce que je vienne, que t'importe ?

 

VIII. — LES GRECS DÉLIVRÉS PAR APOLLONIUS DE LA ZIB-BOULÉ DE BARABBAS.

a. — Les poissons grecs à la merci du Zib érythréen

Ce n'est pas en vain qu'Apollonius a passé sept années dans le temple d'Apollon Daphnéen. à Antioche. Le Dieu des oracles l'a mis au courant de tout ce qui touche la Zib-boulè érythréenne. Barabbas n'est qu'un Sibylliste érythréen en faillite ; Moïse aussi, l'Osir-zib des Egyptiens.

Comme Apollonius s'avance vers la terre de Cissie et approche de Babylone, Apollon lui envoie un songe. Et voici quel est ce songe :

Des poissons, jetés en grand nombre sur le rivage de la mer (d'Erythrée), et se débattant avec souffrance, faisaient entendre des gémissements humains ; ils se plaignaient d'être hors de leur demeure habituelle. Près de la terre, une baleine[16] nageait paisiblement sur la surface des eaux.

Ils la suppliaient avec larmes de les rendre à leur élément, et faisaient pitié, Comme des exilés qui se lamentent pour être rendus à leur patrie.

Ce songe ne l'effraie nullement, il en voit tout de suite la signification et la portée ; mais voulant faire peur à Dagis, qu'il sait millénariste à la façon chaldéenne, il lui dit la vision qu'il a eue, et feint d'en être épouvanté comme d'un présage sinistre.

C'est en effet leur perte assurée, si Barabbas règne demain, comme l'affirmait hier encore la femme dont ils ont vu le cadavre, ramené par les Dieux à sa forme animale et étendu sur le sable de Ctésiphon.

Car qu'est-ce que ces poissons jetés hors de leur élément ? La proie du Juif Pêcheur d'hommes, et les Phurim réalisés[17].

Aussitôt Dagis se met à pousser des cris, comme s'il tombait sous le coup de la Zib-boulè, et il engage Apollonius à ne pas aller plus avant :

Reconnaissons ici la voix des Dieux, dit-il, car voici le second avis qu'ils nous donnent du mauvais sort de notre voyage. J'ai bien peur que nous ne ressemblions à ces poissons, jetés hors du sein des eaux, et que nous n'allions chercher notre perte loin de notre pays. Nous serons réduits à nous lamenter sur une terre étrangère ; et ne sachant comment échapper aux derniers périls, il nous faudra tendre nos mains suppliantes vers quelque roi ou quelque prince qui nous méprisera, comme les Baleines[18] ont méprisé les poissons.

b. — Apollonius arrache les poissons grecs à la sentence de mort portée contre eux par l'Even-guilayon

En parlant ainsi, Dagis songe au Ioannès érythréen, au Roi-poisson qui doit être un jour le Roi des rois.

Ce Ioannès a fait faillite en la personne juive de Barabbas, mais il n'a pas dit son dernier mot en sa forme originelle.

Apollonius apprend à Dagis comment une vision néfaste peut tourner à bien par l'interprétation. Ce présage des Erythréens d'Asie, Apollonius va en faire bénéficier les Erétriens de Grèce, jadis transportés sur ces terres par les Perses.

Il répondit en riant : Dagis, ton âme, pour celle d'un adepte en philosophie, est encore bien pusillanime. Apprends donc que ce n'est pas notre sort qu'ont désigné les poissons de mon songe, mais les Erétriens établis dans cette contrée. Sans doute, il m'a été envoyé par les mânes de ceux d'entr'eux que la mort a moissonnés depuis qu'ils l'habitent, ils me prient de rendre le bonheur, si je le peux, à ceux de leurs descendants qui vivent encore.

C'est à quoi il s'emploie, en bon grec qu'il est, et je ne voudrais pas jurer qu'il ne les fît rentrer en possession de terres détenues par les Juifs. Car, sitôt arrivé à Babylone, il demande au roi de défendre les Grecs contre certains Barbares qui, chaque été, lorsqu'ils ont bien ensemencé, viennent et emportent la moisson. Et ainsi ceux qui ont eu tout le mal se trouvent réduits à la famine, tels les habitants d'Aspendus.

Quant à leurs morts, ils seront plus heureux que les Juifs de l'Évangile exécutés à Rome, à Alexandrie, à Corinthe, à Ephèse et ailleurs. Car ils connaîtront la paix d'une sépulture honorable :

Erétriens relégués ici par un sort cruel, que vos mânes se consolent de n'être pas ensevelis auprès de vos ancêtres ! S'il vous a condamnés à ce tombeau, si éloigné de votre patrie, au moins vous en avez un ; et les ossements des Barbares qui causèrent vos maux gisent encore étendus sur la terre autour de votre île. Ainsi l'ont voulu les justes Dieux, jaloux de venger Eubée !

 

IX. — APOLLONIUS À BABYLONE.

a. — Apollonius part sans avoir rien vu de ce qu'il est venu voir

Ce qui a trait à Babylone est complètement substitué, et plein d'anachronismes qui ont mis les exégètes à la torture.

Apollonius passe entièrement à côté de son but, qui est de consulter les Mages et de savoir s'ils ont jamais prophétisé en faveur de Barabbas. Car le Toledoth dit de Matthieu les fait venir du fond de la Chaldée, pour adorer ledit Barabbas à Bethléhem, sur les indications de l'étoile Anesse.

Ils ont donc renoncé à leurs Phurim (sorts) ?

Certes il n'y avait point de Toledoth, ni même de Mahazeh, au temps du roi Bardane. Mais les Mages n'avaient pas attendu ce genre d'écrits pour protester contre la confiscation de leurs Phurim par les prophètes et sorciers Juifs.

Apollonius trouve le moyen de quitter Babylone, sans avoir rien appris des hommes qu'il est venu consulter.

b. — Nouveau change sur la séméiologie chiffrée de la lionne

Le tripatouilleur ecclésiastique de Philostrate a senti le besoin de liquider la situation ainsi présentée, et de faire qu'Apollonius fût resté un an et huit mois quelque part, conformément au propos mis plus haut dans la bouche de Dagis. C'est chez le roi de l'Inde qu'Apollonius les aurait passés, s'il avait suivi le texte actuel. Le tripatouilleur ne se l'est point rappelé : c'est chez le roi de Babylone qu'il le retient pendant vingt mois, et de force.

Voyant le roi disposé à suivre ses préceptes, et ayant tiré de ses entretiens avec les Mages tout ce qu'il en pouvait attendre[19], Apollonius dit à Dagis : Allons, partons pour l'Inde. Les voyageurs qui abordaient chez les Lotophages, après avoir goûté du lotos, oubliaient leur patrie : et nous, bien que cette terre ne produise rien de semblable, nous nous y arrêtons plus longtemps qu'il ne faut et qu'il ne convient[20]. — Je suis tout à fait de votre avis, dit Dagis ; mais j'attendais que le temps fixé par le présage de la lionne fût accompli. Or, il ne l'est pas encore, car il n'y a qu'un an et quatre mois que nous sommes ici. Si nous partions maintenant, n'aurions-nous pas à nous en repentir ? Soyez tranquille, le roi ne nous laissera pas partir avant que le huitième mois soit écoulé : vous voyez comme il est bon[21], comme il mériterait mieux que de régner sur des barbares !

 

X. — LE CRUCIFIÉ-HOMME (PROMÉTHÉE) ET LE CRUCIFIÉ-ÂNE (BARABBAS).

a. — Apollonius se dirige vers le Caucase

Étant donné le plan de Philostrate, il est fort difficile d'admettre qu'au lendemain du jour où Barabbas avait été crucifié pour ses crimes et sa haine du genre humain, Apollonius, en arrivant au Caucase, passât aussi légèrement sur le noble et admirable mythe de Prométhée, enchaîné et crucifié pour avoir trop aimé les hommes. Si Apollonius ne faisait pas sentir cette opposition, ce n'est pas la peine que Protée l'ait doué de divination et Philostrate de justice.

Prométhée, voilà le symbole splendide et pur du martyr, victime, comme le répète Lucien d'après Eschyle, de son trop d'amour pour l'humanité. Il ne s'agit pas ici d'un Juif dont ses disciples n'avouaient pas la crucifixion, avant qu'ils n'en fissent argent, et dont le corps réel n'est même pas sur la croix dans les écrits où il est présenté comme un Dieu, puisque dans cette mystification il échappe dès le prétoire !

Il s'agit d'un homme dont les Dieux sont jaloux, et (c'est là le mythe) ont le droit de l'être.

Lucien avait fait, sur le cas actuel de Barabbas, un dialogue où Mercure, refusant de se prêter au rôle de Jésus dans les Toledoth, disait à Prométhée, qui se recommandait à sa pitié afin de n'être point mené au rocher fatal : Veux-tu (comme Barabbas dans la mystification) nous faire pendre à ta place pour désobéissance aux ordres de Jupiter ? Et pour éviter qu'il y réussît (comme Barabbas), on prenait contre lui des précautions qu'on n'avait pas songé à prendre contre le Pendu de Jérusalem[22] :

Mercure. Voici le Caucase, où il faut attacher le criminel. Cherchons quelque rocher qui n'ait point de neige, afin d'y pouvoir solidement fixer ses liens, et qui soit découvert de tous côtés, pour rendre son supplice exemplaire.

Vulcain. Cherchons, Mercure. Il faut qu'il ne soit pas trop près de terre, pour éviter qu'il ne soit délivré par les hommes, ni trop élevé, afin qu'il soit bien aperçu de ceux qui sont en bas. Il sera très bien ici, s'il t'en semble, à mi-hauteur de ce mont, au-dessus de cet abîme. Nous attacherons l'une de ses mains à ce roc et l'autre à celui qui est vis-à-vis.

Mercure. Tu as raison, car ils sont tous deux escarpés et inaccessibles. Ce sera une potence à souhait[23]. Monte, Prométhée, et dispose-toi à être attaché au rocher ! Donne la main droite. Toi, Vulcain, enserre-la bien, place les clous sur le rocher et frappe de toutes tes forces avec le marteau ! Maintenant à l'autre main ! Voilà qui est bien. L'aigle peut maintenant descendre pour lui déchirer le foie.

Prométhée innocent a donc bien été martyrisé. Et c'est un Barabbas échappé au supplice, que les rabbins évangélistes veulent faire adorer aux goym comme ayant été réellement crucifié !

b. — Apparition du Barabbas à tête d'âne et à pied de porc

Il en est pourtant ainsi. Et pour comble d'impudence, voici ce scélérat lui-même, qui ose se montrer en face du rocher où pendent encore les chaînes glorieuses de Prométhée ! Il n'a plus la forme humaine (les dieux l'ont fait rétrograder), c'est une hideuse et répugnante semence de bétail : un âne à pied de porc.

Comme Apollonius et ses compagnons marchaient par un beau clair de lune, une Empuse leur apparut, prenant tantôt une forme, tantôt une autre, et quelquefois devenant tout à fait invisible.

L'Empuse est un démon vomi par l'enfer. On en distingue plusieurs sortes, dont quelques-unes n'ont qu'un pied[24].

Le cas de cette Empuse est unique : elle est démon à tête d'âne et à pied de porc.

C'est une caricature du Tharthak, et une des choses qui amusèrent le plus les lecteurs de Philostrate. La tête du Tharthak, pour être conforme à la Kabbale, devait être surmontée de la corne une et indivisible, symbole de l'indestructible puissance. Au contraire, le Hazir (Porc), signe infernal correspondant, est, par la corne fourchue qui termine ses extrémités, le symbole de la division, et conséquemment de la mort. Le Barabbas à tête d'âne, qui apparaît ici, a sa corne au pied, il n'a réalisé l'un en deux, deux en un, que de cette sinistre façon.

Apollonius n'a qu'à le voir pour l'identifier à l'instant.

Et sachant ce que c'était, il chargea d'imprécations ce fantôme, et dit à ses compagnons d'en faire autant. C'était là, selon lui, le véritable préservatif contre de telles apparitions. Et en effet, le fantôme s'enfuit, en poussant des cris aigus comme font les spectres.

Les spectres ? Non, mais les voleurs et les menteurs qui ont peur d'être arrêtés[25].

 

XI. — APOLLONIUS DANS L'INDE.

Nul doute que le chapitre sur le séjour d'Apollonius dans l'Inde et chez les Brachmanes ne soit presque entièrement substitué, et tiré de plusieurs auteurs, les uns antérieurs, les autres postérieurs à Philostrate.

Que reste-t-il je ne dirai pas du texte ancien, mais de l matière traitée ? Bien peu de chose : ceci toutefois.

a. — Le champ qui contient un trésor. Réplique à la parabole des Toledoth sur ce sujet

Les lecteurs du Mensonge Chrétien se rappellent la similitude[26] dans laquelle le Royaume du monde est comparé par le revenant de Barabbas à un champ qu'il faut acheter, parce qu'il y a dedans un trésor caché, dont par ce moyen on dépouille le vendeur[27].

Un cas différent est soumis au roi de l'Inde : c'est le vendeur qui veut ravoir le trésor ; et comme Barabbas (qui d'ailleurs n'eût pas vendu, voulant tout garder pour lui, champ et trésor), c'est un fort méchant homme.

Un homme, dit le roi, a vendu à un autre une terre qui renfermait un trésor caché : peu après, une crevasse s'étant formée dans la terre a laissé voir un amas d'or : C'est à moi, dit le vendeur ; jamais je n'aurais vendu ma terre, si j'avais su y trouver de quoi vivre !

— J'ai, dit l'acquéreur, la pleine jouissance de tout ce que renferme une terre qui est définitivement à moi. Les raisons de l'un et de l'autre sont bonnes. Je pourrais bien leur dire de partager la trouvaille ; mais ce serait trop simple[28], une pauvre vieille en dirait autant. — Je vois bien, dit Apollonius, que les deux plaideurs ne sont pas philosophes, puisque c'est pour de l'or qu'ils sont ainsi divisés. Quant au meilleur jugement à rendre, selon moi vous le trouverez en songeant que les Dieux favorisent d'abord les amis de la sagesse, qui ont une vertu agissante, puis ceux qui n'ont pas commis de faute, et qui n'ont jamais nui à personne. Aux philosophes ils accordent de bien distinguer les choses divines et les choses humaines ; à ceux qui sont justes, sans être philosophes, ils donnent ce qui est nécessaire à la vie, de peur que le manque de ce nécessaire ne les rende injustes.

Je pense donc, ô roi, qu'il faut peser ces plaideurs comme dans une balance, et examiner leur vie. A ce qu'il me semble, les Dieux n'auraient pas enlevé au premier son trésor, s'il n'était pas mauvais, et à l'acquéreur ils n'auraient pas donné même ce qui était sous terre, s'il ne valait mieux que l'autre.

Les deux plaideurs arrivèrent le lendemain : il fut prouvé que le vendeur était un homme méchant, qu'il avait négligé d'offrir aux Dieux des sacrifices dans son champ ; que l'acquéreur, au contraire, était un homme juste et fort attentif à honorer les Dieux.

L'avis d'Apollonius fut donc admis par le roi, et l'homme de bien eut gain de cause : le champ lui fut adjugé comme un présent des Dieux.

Au moins le champ appartenait-il au vendeur, tandis que, dans l'espèce proposée par les Toledoth, le vendeur a vendu ce qui ne lui appartient pas. Une autre espèce est examinée plus loin par Apollonius.

 

XII. — LES ÂNES À CORNE.

a. — La corne de tête d'âne, matière de la coupe du triomphe de Barabbas selon son Évangile

Il était impossible que, parcourant l'Inde, Apollonius n'entendît point parler de ces ânes symboliques, empruntés par Abraham à Zoroastre, par les rois de Juda à Abraham, et par Barabbas aux rois de Juda, ses ancêtres. C'est en partie pour les voir qu'Apollonius avait entrepris le voyage.

Ce que nous lisons actuellement est une réduction faite par l'Église. Il reste toutefois que les rois seuls ont la faculté de s'emparer de ces ânes et le pouvoir de les lier, pour en faire au besoin leur monture. C'est une manière d'ânes comme celle dont parle le revenant de Barabbas dans les Toledoth, des ânes péréjim[29], sur lesquels jamais homme n'est monté qui ne fût pas le Roi des rois.

Dans les marais qui bordent le fleuve on prend des ânes sauvages. Ces animaux ont sur le front une corne, dont ils se servent pour combattre à la manière des taureaux, et cela avec beaucoup de courage. Les Indiens font de ces cornes des coupes[30], et leur attribuent des propriétés merveilleuses : il suffit d'avoir bu dans une de ces cornes pour être pendant tout le jour à l'abri de toute maladie, pour ne pas souffrir d'une blessure, pour traverser impunément le feu, pour n'avoir rien à craindre des poisons les plus violents : ces coupes sont réservées aux rois, et les rois seuls font la chasse à l'âne sauvage. Apollonius dit avoir vu un de ces animaux, et s'être écrié : Voilà un singulier animal.

b. — La corne de pied d'âne, matière de la coupe de Jésus dans la mystification eucharistique

Si l'homme d'Église qui se substitue ici à Philostrate, et qui l'avoue d'ailleurs, avait laissé la parole à Apollonius, celui-ci n'exprimerait aucun étonnement. Car le Tharthak de Zoroastre a cette corne, et Apollonius y était préparé par la tête de l'âne sans corne, l'âne vulgaire, à la forme duquel les justes Dieux ont ramené l'Empuse Barabbas.

Et, comme Dagis lui demandait s'il croyait ce que l'on contait de la corne de l'âne sauvage, il répondit : Je le croirai quand on me montrera quelqu'un de ces rois de l'Inde qui ne soit pas mortel. Lorsqu'un homme peut me présenter, ou présenter au premier venu, une coupe qui, loin d'engendrer les maladies, les éloigne, comment supposer qu'il ne commence par s'en verser à longs traits et jusqu'à s'enivrer ?

Et en vérité, personne ne pourrait trouver mauvais qu'on s'enivrât à boire à une telle coupe !

Si l'on ne peut montrer aucun roi de l'Inde qui ne fût pas mortel, il en est de même des rois de Juda, a fortiori de Barabbas, leur descendant, qui n'ayant pu délier l'Ane scellé au ciel, n'a par conséquent pas pu boire dans sa corne de tête. La coupe que donne Jésus dans la mystification eucharistique ne peut provenir que de la corne du pied des ânes sur lesquels il fait son entrée à Jérusalem : ce n'est pas encore cette coupe-là qui sauvera les hommes de la mort. Pourvu seulement qu'elle ne les transforme pas en ânes éternels !

 

XIII. — SUPPRESSION DU IOANNÈS ÉRYTHRÉEN, L'ΙΧΘΥΣ ORIGINEL.

Le voyage d'Apollonius ayant pour objet de remonter à la source même de la Kabbale millénariste, Apollonius ne s'arrêtait que devant le fameux Ioannès, l'homme-poisson sorti de la Mer Erythrée, l'Ιχθύς originel, préadamique, et le père de toutes les Sibylles, jusqu'à la Zibboulè du Ioannès baptiseur au Jourdain. Ce spectacle révélateur a complètement disparu, et c'est à peine s'il est question, au pluriel, d'Ichtyophages inconscients, qui habitent sur les bords de la Mer Erythrée.

 

XIV. — LE RETOUR.

a. — Suppression du voyage de retour d'Apollonius

On a supprimé tout le retour d'Apollonius[31], qui retraversait Babylone et Ninive et reparaissait à Antioche, sans qu'on puisse savoir si, pour se rendre dans cette dernière ville, il repassait par la Judée que Tibère Alexandre venait de purger de deux des frères de Barabbas : Simon dit la Pierre et Jacob senior.

 

 

 



[1] Cf. le Targum de Ménahem, dernier frère de Barabbas. Le Mensonge chrétien, pet. édit, p. 222.

Ce targum exploite la Kabbale de Barabbas relative au langage des animaux. On y voit un Israélite qui entend sa vache se plaindre à diverses reprises, et un Arabe qui en tire conséquence au point de vue de l'avènement de Ménahem. L'Israélite partage sa façon de voir, achète un taureau et se rend à Bethléhem. La mère de Ménahem avait, elle aussi, entendu la vache, car, de son côté, elle s'est rendue à Bethléhem.

[2] Barabbas les faisait parler, lui aussi.

[3] Cf. Le Mensonge chrétien, grande édit., t. XI.

[4] Mahomet l'a parfaitement entendu, et l'on ne peut douter que sur le Zodiaque d'Abraham, la Vierge ait été figurée par cette génisse :

Dieu, dit Moïse aux Israélites, vous commande de lui immoler une vache : Prétends-tu abuser de notre crédulité ? répondirent-ils. — Je retourne vers le Seigneur, ajouta Moïse, pour n'être pas au nombre des insensés. — Prie le Seigneur, répliquèrent-ils, de nous déclarer quelle vache nous devons lui sacrifier. — Quelle ne soit ni vieille ni jeune, ajouta le prophète, mais d'un âge moyen. Faites ce qui vous a été ordonné (par le Seigneur, sur l'Even-guilayon gravé par lui-même).

Prie le Seigneur, continua le peuple, de nous faire connaître sa couleur. — Qu'elle soit, dit Moïse, d'un jaune clair, qui réjouisse la vue !

Prie le Seigneur de nous désigner plus particulièrement la victime qu'il demande ; nos vaches se ressemblent, et si Dieu veut, il dirigera notre choix. — Qu'elle n'ait point servi à labourer la terre, ni travaillé à l'arrosement des moissons ; qu'elle n'ait point souffert l'approche du mâle ; qu'elle soit sans tache : tel est le précepte du Seigneur. — Maintenant, s'écria le peuple, tu nous dis la vérité. Ils immolèrent la vache, après avoir été sur le point de désobéir.

Pour mettre le sceau à sa démonstration de la toute-puissance de la Vierge à qui doit être immolée la vache, Moïse cite aux Israélites le cas d'Hammiel ressuscité. D'après Abulfeda, cet Hammiel était un des plus riches d'entre les Israélites. Ayant été tué, ses parents conduisirent à Moïse les prétendus meurtriers. Ils nièrent le fait. On n'avait point de témoins. La vérité était difficile à découvrir. Dieu ordonna d'immoler une vache dans les conditions requises. On toucha le cadavre avec la langue de la vache. Il revint à la vie, se leva, prononça le nom de son meurtrier, et mourut de nouveau. C'est ce que Moïse rappelle aux Israélites qui étaient sur le point de lui désobéir :

Lorsque vous mîtes un homme à mort, et que le meurtre était l'objet de vos disputes, Dieu produisit au grand jour ce que vous cachiez. Nous commandâmes de toucher le mort avec un des membres de la vache. C'est ainsi que Dieu ressuscite les morts, et fait briller à vos yeux ses merveilles, afin que vous compreniez. (Le Coran, II, 63-68.)

Le pouvoir de cette vache est très compréhensible, en effet, mais à la condition que les évangélistes n'interviennent pas. Lorsque la Miriam Gamaléenne vient au Guol-golta pour enlever son fils, celui-ci, sous les espèces du Jésus Jardinier, lui répond : Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers mon Père. C'est que Cérinthe, auteur de tous ces jeux de Kabbale, restitue à la mère le rôle de Vierge céleste qu'elle joue dans la Nativité apocalyptique : si elle touchait son fils, celui-ci ne pourrait pas faire moins qu'Hammiel, il ressusciterait ; et alors il monterait vers son Père. Or s'il faisait un coup pareil, il donnerait un furieux démenti à sa mère, puisqu'elle a soutenu qu'il n'avait pas été crucifié du tout.

[5] D'où la colère de Moïse. Car les Juifs, en substituant dans leurs prières un principe masculin au principe féminin de la génisse, mettaient leur Dieu dans l'impossibilité matérielle de tenir sa promesse.

[6] Cf. Le Mensonge chrétien, pet. édit., p. 207.

[7] Il semble que cette scène aurait dû se produire déjà chez les Arabes et au pont sur l'Euphrate. C'est une nouvelle preuve des coupures faites dans le texte de Philostrate.

[8] C'est ce qu'il a dit déjà aux entrepreneurs de famine d'Aspendus.

[9] Cf. Le Mensonge chrétien, pet. édit. p. 203.

[10] Philostrate savait parfaitement que le mot Lévi signifie Lion, et que Cléopas en est le mode égyptien.

Dans le langage des Crétois lion se disait leben, presque comme l'allemand lœw : Le temple d'Esculape au mont Ida s'appelle Lebenéen, dit Philostrate, parce qu'il est sur un promontoire qui a la figure d'un lion. Tacite donnait cette étymologie au nom de Cléopas, dans le chapitre où il parlait de la mère de Barabbas et de ses prétentions à avoir accouché du Messie. On en a la preuve par ceci que le texte actuel de Tacite fait les Juifs originaires du Mont Ida, chose que Tacite n'aurait pu ni penser ni dire, sans être taxé de folie.

[11] En ce moment ils ne vont pas du tout chez le roi de l'Inde, mais chez celui de Babylonie.

[12] Oui, mais d'année sabbatique.

[13] Oui, mais d'année jubilaire, (année de deux ans).

[14] Ainsi, Barabbas n'a vécu que cinquante ans, croyant en vivre mille.

[15] Par l'expérience du passé.

[16] C'est le mot Kètos qu'il y avait là, comme dans les Toledoth où l'on parle de Ionas, à propos du Ioannès baptiseur tiré du Guol-golta après trois jours et trois nuits. Il y a maintenant Dauphin. Le Dauphin est d'ailleurs un Cétacé, mais de le petite espèce, comparé au Kètos Baleine. La vérité est qu'il y avait là deux Baleines, le mâle et la femelle.

[17] Les Sorts juifs, dont la fête précédait d'un mois la pâque. Cf. Le Mensonge chrétien, grande édit., t. I.

[18] Vous le voyez, il y en avait bien deux.

[19] C'est-à-dire rien du tout.

[20] Il n'avait donc pas dit que sous aucun prétexte on ne les laisserait partir avant vingt mois ?

[21] De les retenir sans cause, et oisifs.

[22] Lucien se sert ici pour Prométhée du mot qu'il emploie pour Barabbas dans la Mort de Péréghérinos : anascolopisthènai dans Prométhée ; anascolopisthenta dans Péréghérinos.

[23] Pour qu'on ne puisse l'en enlever et le faire disparaître ensuite, comme Barabbas au Guol-golta.

[24] Voyez ce qu'en dit Gyraldi, Historia deorum, Syntagma XII.

[25] Le Grand d'Aussy (Vie d'Apollonius) a bien compris qu'il s'agissait d'un voleur, mais il n'a pas deviné lequel :

Probablement ce prétendu génie malfaisant était quelque montagnard du canton, quelque voleur nocturne, qui, épiant le moment où la caravane serait endormie, venait rôder autour d'elle, et s'était affublé de quelque habillement étrange, pour effrayer celui de la troupe qui serait chargé de faire sentinelle. L'exorcisme qu'il fallait à un pareil démon était de montrer qu'on était sur ses gardes, et c'est ce que fit Apollonius, en ordonnant à ses compagnons de le poursuivre avec des clameurs et des injures. Par cette ruse innocente, il leur donnait le change sur un brigand qui pouvait avoir des armes, tandis qu'ils n'en avaient pas ; il commandait à leur imagination, ranimait leur courage, et se débarrassait du voleur.

[26] Cf. petite édition, p. 393.

[27] Et pendant mille ans !

[28] Pas si simple que cela, puisqu'Hadrien fit une loi pour régler le cas.

[29] Anes sauvages, ânes indomptés : d'où venait le surnom de ben Péréja donné à Juda, l'arrière grand-père de Barabbas.

[30] C'est ce qu'on appelle en grec rhyton.

[31] L'abbé Du Pin (Vie d'Apollonius convaincue de fausseté) en profite pour dauber sur Philostrate : Le retour d'Apollonius est décrit avec tant de négligence par Philostrate, qu'il le fait entrer par la mer Rouge dans l'embouchure du fleuve de l'Euphrate, pour revenir à Babylone. Le fleuve qui se décharge dans le golfe Persique, et qui conduit à Babylone, n'est point l'Euphrate, mais le Tigre, et ce n'est point le golfe Persique, mais le golfe Arabique, qui a proprement le nom de mer d'Erythrée ou mer Rouge. M. Chassang fait à ce propos une observation plus juste qu'il ne croit :

Il ne faudrait pas attacher trop d'importance à cette dernière objection, car les anciens ont souvent appliqué le nom de mer Erythrée à toutes les mers qui baignent l'Arabie, la Perse et l'Inde. On peut le voir dans le Périple de la mer Erythrée, d'un auteur anonyme. (Geographi græci minores, t. I, édit. Didot).

a Mais en y regardant de plus près que l'abbé Du Pin, poursuit M. Chassang, on trouve bien d'autres erreurs. Philostrate dit que l'Hyphase se jette, comme l'Indus, dans la mer Erythrée, et il fait de son embouchure une description effrayante. Or, l'Hyphase est un affluent de l'Indus, au milieu des terres. Il dit encore que, en descendant vers la mer, Apollonius avait à sa droite le Gange, à sa gauche l'Hyphase : c'est le contraire qui serait le vrai. D'ailleurs le Gange n'a rien de commun avec la contrée que, selon le récit de Philostrate, Apollonius est supposé avoir visitée. Il est au fond, non de la mer Erythrée, ni même du golfe Persique, mais du golfe aujourd'hui appelé golfe de Bengale. Évidemment nous avons affaire à un rhéteur ignorant qui compte sur l'ignorance de ses lecteurs. Il est vrai que ces contrées étaient peu connues, et que Philostrate a pu être induit en erreur par des autorités suspectes. Il suffit de parcourir la collection des Petits Géographes pour voir quels ont été les tâtonnements de la science géographique. La source où a puisé Philostrate paraît être un certain Orthagoras, dont il ne reste que le nom, et qu'il cite au chapitre LIII (p. 156 de l'édition donnée par M. Chassang, et que nous suivons).