LA SAINTE FAMILLE

 

PREMIÈRE PARTIE. — L'ÉVANGILE DE BARABBAS

III. — LE JUIF DE RAPPORT ET PSYCHÉ.

 

 

I. — L'EXPLOITATION DES GOYM A L'AIDE DU PERSONNAGE DE JÉSUS.

Pendant que, sur leur Terre Sainte, leur Ghélil ha nazirim, les Juifs panthoristes adoraient Barabbas en suivant ses ordonnances dans toute leur rigueur xénophobe, les rabbins fixés chez les goym songeaient à la recette que cet imposteur avait réalisée par le baptême de rémission, et ils s'appliquaient à relever l'affaire. Mais si bêtes que fussent les goym, ils ne l'étaient pas assez pour accepter comme sacrement un truc dont l'inventeur était un criminel de droit commun. Pour les tromper sur la qualité de la marchandise à vendre, il fallait commencer par les tromper sur la personne morale de l'inventeur. C'est pour pouvoir amorcer le rapport que les aigrefins Juifs ont fabriqué le personnage de Jésus, éliminateur de Juda bar-Abba et mystificateur des goym, cette semence du bétail né pour la tonte éternelle.

J'ai montré que Jésus, c'était Barabbas revenant pour se débarrasser de son casier judiciaire et se remettre à lui-même tous ses crimes.

J'ai montré quels détours Cérinthe avait pris pour rejeter sur Juda de Kérioth, non seulement la renommée de voleur qui s'attachait à son homonyme de Gamala, mais encore tout l'échec du Royaume en 789.

J'ai montré comment, pour enlever à Barabbas la honte d'avoir été arrêté en pleine fuite, à dix lieues du champ de bataille où il avait abandonné ses partisans la veille, son revenant se faisait arrêter à l'opposé de Lydda et à l'Orient de Jérusalem, sur le Mont des Oliviers.

J'ai montré comment il apparaissait sous les couleurs de l'innocence devant Kaïaphas qui, frappé d'amnésie, ne se rappelait même pas que dans l'histoire Barabbas avait été condamné à mort pour crimes publics quarante jours auparavant ; comment, poursuivant son œuvre de substitution, il comparaissait devant Pilatus ; comment il consentait à endosser pour quelques instants le manteau de pourpre de Barabbas, pour faire croire aux goym que l'homme exposé sous ce costume en 789 était exempt de toute tare, et qu'en somme Pilatus l'avait crucifié sans cause.

Vous avez vu que, tout en mentant sur beaucoup de points pour sauver la recette, Cérinthe, écrasé par l'évidence, ne songeait pas à contester que Barabbas eût été mis en croix la veille de la pâque.

Vous avez vu qu'il ne cachait pas la date de cette déconfiture et l'âge de Barabbas à sa mort : (cinquante ans passés).

Vous avez vu aussi comment, pour entretenir leur foi dans l'Évangile, Cérinthe racontait aux Juifs de son temps que Barabbas ressuscité était encore sur la terre, attendant le moment propice pour établir le Royaume.

Vous avez encore vu qu'en dehors des pâques criminelles ou répugnantes inventées par les Juifs évangélisés[1], la seule forme de pâque barabbalâtrique innocente par elle-même était la pâque piscale, faite avec du poisson[2].

Vous avez vu enfin que, pour tous les Juifs confiants dans les Sorts, Salomé, sous le pseudonyme de Marie Gamaléenne, était incontestablement au ciel, où elle avait rejoint Panthora, tandis qu'il y avait doute sur ce qu'était devenu le corps de son fils aîné.

La mère de Barabbas était donc le personnage dominant dans l'esprit des rabbins évangélistes : c'est la fille de David, divinisée à cause de la Promesse qui est en elle ; c'est la Reine-mère des voleurs, en passe de devenir Vierge du monde.

 

II. — APULÉE ET SON ANE D'OR.

a. — La grande parabole de l'Ane d'or contre les rabbins barabbalâtres

C'est pour mettre les Grecs en garde contre ces pièges ignobles et ces orgueilleuses folies, qu'Apulée a écrit L'Ans d'or. Car l'instrument de tromperie qu'est le personnage de Jésus, masquant Barabbas, commençait à faire les victimes et les dupes dont la longue théorie afflige l'œil de l'historien.

Apulée était à Rome, dans la dernière année d'Hadrien, lorsqu'il publia cet Ane d'or[3], dont la moralité nous échappe à peu près complètement, depuis le traitement que l'Église lui a fait subir[4]. Car la clef du livre est dans le mythe de Psyché menacée d'épouser Barabbas.

Une restitution de L'Ane d'or ne peut être tentée, mais la part de l'Église peut être déterminée en plus d'un point. Pour comprendre L'Âne d'or, il faut savoir qu'il est dirigé contre les Mahazeh Ieschoua qui, commençant à circuler hors des mains juives, avaient troublé des esprits dans la société grecque, surtout en Thessalie et en Macédoine.

L'Ane d'or n'a rien de milésien, comme l'affirme le petit avant-propos actuel. La faculté que s'attribuait Barabbas de changer les goym en animaux, de les ramener à leur condition originelle de semence de bétail, est la vraie cause de toutes les mésaventures qui punissent la maladive curiosité de Lucius. Les Gaulois changés en porcs sont le premier exemple du genre de métamorphoses auquel Lucius est condamné.

Fils de Thésée, qui tua le Minotaure, et né au pied de l'Hymette, Lucius est le type du grec latinisé. Au moment où il entre en scène, il est connu pour l'innocence et la pureté de sa vie antérieure. Monté sur un cheval blanc, comme celui d'un empereur romain dans un triomphe, il est fermement attaché à la fortune de la Bête romaine, dont le nom était Hadrien au Jubilé qui va se passer. J'ai dit ailleurs que son premier compagnon de rencontre est un Béotien, à qui l'Apocalypse évangélique et les premiers Mahazeh ont tourné la cervelle. Lucius est secrètement atteint du même mal : vous vous rappelez les poissons qu'il achète à l'évêque d'Hypate pour célébrer la pâque piscale où il compte être millénarisé dans la richesse et dans la puissance ; vous savez comment l'édile Pythéas réplique à l'aigrefin épiscopal, et comment il foule aux pieds les poissons, symbole des Poissons célestes[5].

Je veux toucher ici des points particuliers que j'ai négligés dans la grande édition du Mensonge chrétien, insister sur les scènes directement suggérées à Apulée par les fourberies des rabbins barabbalâtres, fournir la véritable explication du mythe de Psyché, qui éclaire tout l'ouvrage, et faire ressortir quelques allusions historiques devenues incompréhensibles à la masse.

Ainsi le Béotien qui se proposait d'accaparer toute la poissonnade et tout le miel évangéliques, manque l'affaire par la faute d'un nommé Lupus, qui n'en a rien laissé sur le marché. Ce Lupus est naturellement le mâle de la Louve, et c'est le nom du préfet d'Égypte, qui opéra sous Trajan contre les Juifs évangélisés de Cyrénaïque.

b. — La Marie Gamaléenne de Thessalie

Toute la Thessalie est envoûtée par une vieille magicienne, en même temps reine de voleurs, nouvelle venue dans le pays, et qu'on nomme Méroé, du nom de l'endroit d'où les prêtres d'Isis faisaient venir, jusqu'à Rome, l'eau nécessaire à la purification de leurs fidèles.

Depuis des siècles, Méroé était pour le Grand-Prêtre d'Isis ce que l'eau du Jourdain avait été pour Barabbas en 788.

Entre Méroé et Marie il y a parité de lettres.

Et qu'est-ce que Méroé ? La Marie Gamaléenne de la Thessalie. Reine chez qui l'on boit et l'on mange sans payer, comme celle de Képharaïn en 788, c'est l'Hôtesse des Noces de Kana, c'est chez elle que se réunit toute la bande des gens de mauvaise vie. Comme la Vierge, dont elle est l'image dans l'Évangile éternel, elle a le pouvoir d'abaisser le ciel, de suspendre le mouvement de la terre, de sécher les fontaines, de dissoudre les montagnes, de faire lever les morts et de ravaler les dieux, d'éteindre les astres, d'éclairer le Tartare lui-même[6].

Et en effet, les rabbins barabbalâtres commençaient à soutenir qu'étant la mère du Messie, ayant été baptisée par lui, c'est-à-dire purgée de ses péchés, ayant même été enlevée aux cieux avant lui, qui peut-être errait encore parmi les tribus dispersées, Salomé était toute-puissante sur les choses de la terre.

Cette vieille sorcière, qui avait déjà soixante-cinq ans au Guol-golta, inspire une passion folle à qui entend parler d'elle. Les Indiens mêmes en sont férus, dit Apulée. Ce sont eux, en effet, qui avaient appris aux Perses et aux Juifs la prophétie de la Vierge, mère puis épouse de son fils : Ô Roi, dit l'un d'eux[7], vis dans ton règne pendant mille ans ! Et que la Reine soit mille ans ton épouse ! Et que chaque année soit de mille mois, et chaque mois de mille jours, et chaque jour de mille heures, et chaque heure de mille ans !

Jalouse (Kanaïte) à l'excès, elle est impitoyable pour qui, l'ayant connue, lui est infidèle. Un de ceux-là, elle l'a changé en castor : à l'instar de cet animal, quand il veut échapper au chasseur, il s'est fait eunuque. Les adversaires de sa kabbale, elle les métamorphose en grenouilles ; c'est arrivé à un de ceux-là, nouveau Thrasylle. Ceux qui plaident contre elle, elle les change en bélier[8] : on en connaît un exemple. Les femmes enceintes qui ne sont pas bien avec elle, elle dessèche leur fruit dans leurs entrailles[9] : il y en a une qui, près d'accoucher il y a dix ans, porte encore aujourd'hui son fardeau ! Devant le mal qu'a fait cette méchante, les gens voulaient la lapider : mais par un secret pouvoir, tiré d'un mort qu'elle évoque de la tombe, elle les a enfermés chez eux, sans qu'ils puissent ni forcer les serrures, ni enlever les portes, ni même percer les murailles. En ce mort exorbitant vous avez reconnu Barabbas et le pouvoir de lier et de délier, sans qu'aucune porte d'enfer puisse prévaloir contre lui, car il ouvre et personne ne ferme, il ferme et personne n'ouvre[10]. Ces gens enfermés, elle ne les a relâchés qu'à la condition qu'ils ne se permettraient plus jamais rien contre elle. La maison de celui qui les avait ameutés, elle l'a transportée, avec le terrain, dans un autre pays, sur une montagne sans eau[11].

Et tout le monde court après cette vieille !

Pour la suivre, un béotien, Socrate, a disparu de chez lui, abandonnant sa femme, ses enfants, sa maison et ses biens[12] : il est tombé dans une misère atroce ; et sans un autre béotien, un goy compatissant resté avec les dieux, il serait mort de faim. C'est tout ce que lui a rapporté cette belle passion. A la fin, il s'est plaint Méroé l'a condamné à mort, se considérant comme trahie.

c. — L'éponge du Guol-golta

Tous les gens que l'on rencontre battent la campagne : le jour, ils disent des folies ; la nuit, ils ont des cauchemars affreux. Et pourquoi ? A cause de la crucifiction de Jésus, de la Passion pour rire[13]. Il y a des goym qui aiment à se croire responsables du trépas d'un dieu, et que l'éponge du Guol-golta étouffe, comme si vraiment leurs pères l'avaient présentée à quelqu'un d'estimable !

L'un de ceux qui savent le vrai nom du crucifié allait le dire, lorsqu'il a été changé en tortue par la malice de Méroé. Il est devenu muet, et le secret de la mystification est scellé dans sa carapace. Voici ce qu'il croit avoir vu ensuite :

La nuit, pendant son sommeil, les portes de la chambre où il est couché avec Socrate s'ouvrent, comme enfoncées : c'est Méroé qui s'annonce. Elle tient une épée nue, l'épée de David, et une éponge. Elle est avec sa sœur[14], dite aujourd'hui Panthia, qui tient une lampe allumée : celle de David. Elles agitent la question de savoir si elles ne couperont pas l'homme-tortue en petits morceaux, pour le diviser dans ce monde, mais elles lui laissent la vie, à charge par lui d'enterrer Socrate qui va mourir pour avoir trahi. Celui-ci, Méroé le frappe à la gorge, recueille tout son sang dans une petite outre, et ferme la blessure avec l'éponge, en disant : Éponge, qui es née dans la mer, ah ! prends garde de passer par une rivière ! En effet, si elle va dans une rivière, le sang qu'elle contient s'y perdra ; et au lieu d'être sauvé par l'eau, comme les gens baptisés au nom de Barabbas, Socrate y laissera ce qui lui reste d'âme.

En attendant, Méroé et sa sœur Panthia se retirent : elles se sont arrangées de manière que l'homme-tortue soit accusé du forfait commis par elles. Mais il s'en rend compte ; et redevenu homme, il disparaît pour échapper à la croix qui guette les meurtriers. Tel Jésus dans le Mahazeh de Cérinthe, lorsqu'il se voit sur le point d'être crucifié pour les crimes de Barabbas.

Le pauvre diable est néanmoins tenté de se persuader qu'il est un être immonde et tout couvert de sang humain.

d. — La bouchée de pain de Juda Kériothis

Il a beau savoir que tout cela n'est que cauchemar, les Sorts de la Gamaléenne le poursuivent. Le lendemain, Socrate et lui s'étant assis sous un arbre pour manger à son ombre, leur première bouchée de pain s'arrête net dans leur gosier, sans pouvoir ni descendre ni remonter : c'est la dernière bouchée de pain de Juda Kériothis dans le Mahazeh de Cérinthe[15].

e. — Le sang du goy changé en eau par le pouvoir de la Gamaléenne

Socrate n'ignore pas, ayant recherché ses faveurs, que la Gamaléenne a le pouvoir de frapper les goym de toutes sortes de plaies, et il sait personnellement ce qu'il en est par le coup d'épée qu'il a reçu d'elle la nuit précédente ; mais il a des raisons de croire que c'est un mauvais rêve. Cependant, saisi tout à coup d'une de ces soifs comme le Chien de l'Apocalypse sait seul en allumer, au moment où il se penche sur une fontaine qui l'invitait à boire par ses apparences de pureté, la plaie que la Gamaléenne lui a faite reparaît à sa gorge, l'éponge s'échappe, le peu de sang qu'elle contient s'en va, changé en eau : Socrate n'est plus qu'un cadavre. Il aurait pu, s'il n'avait pas abandonné Méroé, manger le doux fruit de l'Arbre de vie et boire à la fontaine millénaire. Trop tard ! le voilà mort de la première mort. Et puisqu'il n'est pas resté dans la barabbalâtrie, il connaîtra la seconde mort, lorsque le fils de la Gamaléenne viendra juger les vivants et les morts. Quant à l'innocent témoin de ce drame étrange, tourmenté pour lui-même de frayeurs horribles, il en est arrivé à se croire responsable de la crucifixion d'un dieu, il a renoncé à sa famille et à ses foyers, il ne veut même pas se rendre aux avis des gens sages, qui lui découvrent le fond de la mystification ourdie par les rabbins évangélistes.

Très ébranlé, Lucius lui-même est tout près de tomber dans le même piège. On l'entend dire : Il n'y a rien d'impossible, et s'il n'ajoute pas à Dieu, c'est pour ne pas citer Luc. Il succombera donc, car c'est chez l'évêque d'Hypate qu'Apulée l'envoie.

 

III. — LES COURTIERS THESSALIENS DE LA GAMALÉENNE.

a. — L'évêque Milon[16], sa femme Hébrœa[17] et leur servante Phôtisma[18] : La trinité de l'Usure, de la Magie et de la Débauche

Lucius arrive à Hypate, porteur d'une lettre pour un certain Milon, qui naguère était parmi les premiers de la ville. Il est maintenant parmi les derniers, du moins en apparence, car les effroyables usures auxquelles il se livre le rendent plutôt digne d'être appelé Million. On est introduit chez lui par la Débauche, sous les traits d'une servante nommée Phôtisma, d'ailleurs tentante.

En échange d'on ne sait quoi d'extraordinairement précieux, il réalise des bénéfices énormes, n'acceptant que des matières d'or et d'argent, produit de la conversion des biens des ouailles en numéraire. C'est l'évêque, et nous avons conté l'histoire des poissons qu'il fait vendre sur le marché baptismal[19]. Toute son hospitalité est de serments, de paroles intarissables, et de questions qui suent l'espionnage.

Il a épousé Hébrœa, la courtière de la Juive dont Méroé est l'ombre portée en Thessalie.

Par ses dangereux artifices, par ses attraits détestables, au moyen de petites baguettes, de petites pierres, Hébrœa peut précipiter les astres (le Chien surtout) dans les profondeurs de l'Enfer et même dans le chaos primitif (les ténèbres extérieures). Les plus beaux jeunes gens, elle les ensorcelle. Ceux qui lui résistent, elle les change en pierres, en béliers, en moutons, ou en tout autre animal[20] ; il y en a qu'elle anéantit complètement.

Elle possède la courroie en cuir de Gamala, le secret de lier et de délier : secret auquel les morts obéissent, qui trouble les astres, force les dieux, soumet les éléments. Elle menace le soleil lui-même : Si tu ne te précipites sur-le-champ du haut des cieux, lui dit-elle, et si tu ne fais immédiatement place aux ténèbres pour que j'exerce mes enchantements, je te couvre d'un voile de nuages et te condamne à une obscurité perpétuelle ! Ce sont là des paroles d'Apocalypse évangélique.

Sa lampe, la lampe dont il est si souvent question dans les sacrifices d'enfants à Barabbas et dans les Toledoth canoniques, possède la perspicacité d'une Sibylle ; elle prédit toutes sortes de choses.

b. — Phôtisma ou le baptême du feu de la chair

Comme son nom l'indique, Phôtisma, servante d' Hébrœa, est l'incarnation du Baptême de feu, mais d'un feu qui n'a rien à voir avec l'Esprit-Saint. C'est le Baptême de feu des Nicolaïtes. Phôtisma est chargée de baptiser les néophytes dans le feu de la chair.

A la vérité, sa maîtresse n'approuve ni ne partage ses écarts, mais elle en profite, ce qui n'est pas très digne pour la courtière d'une Juive qui eut une dizaine d'enfants. Nous passons sur la manière dont l'un en deux, deux en un, est pratiqué dans la maison épiscopale. C'est la peinture, et fort voilée, des mystères qui succédaient au baptême d'eau, tel qu'il était compris dans les églises Nicolaïtes. Du jour où Lucius cède à Phôtisma, lui qui jusqu'alors était connu par sa chasteté, le voilà plongé dans le feu des passions charnelles.

Et il ne peut s'en délivrer, car Phôtisma, à qui sa maîtresse a révélé ce que nulle autre femme ne sait sur la terre, tient cachée dans son sein la ceinture de cuir qui lie et délie ; elle en a lié Lucius.

 

IV. — DIANE PANTHORA CONTRE LA VEUVE DÉIFIÉE DE PANTHORA.

Avant que Lucius succombe à la Kabbale de la veuve de Panthora, morte à Ephèse, ville consacrée à Diane, l'Athènes romaine se présente à lui sous le nom et les traits de Tyrrhène[21].

La demeure de Tyrrhène est précédée, non point de cinq portiques, comme celle où Barabbas devait entrer en 789[22], mais d'un seul, aux quatre angles duquel se dressent quatre statues de la Victoire Palmaire, les ailes déployées sur un globe parfaitement rond (l'Orbis terrarum).

Elle est telle sur les monnaies de Vespasien et d'Hadrien après la chute de Jérusalem.

Diane s'élève en marbre au milieu de la demeure.

C'est Diane Panthera (Toute la prise, Toute la capture : Hébrœa en sait quelque chose). Les chiens d'Hadrien l'entourent, les yeux menaçants, les oreilles dressées, les naseaux ouverts, la gueule prête à dévorer : des ruisseaux brillent sous les pas de la chasseresse ; un petit paradis terrestre s'étend derrière elle, avec des fruits, des raisins et des fleurs, mais de dimensions ordinaires : le tout disposé dans une grotte, à portée de la main. La nature n'en peut donner davantage, et, pour être heureux, il suffit de s'en contenter. Mais Tyrrhène a bien peur que Lucius ne préfère aux produits de l'année ordinaire les richesses édéniques de la Jardinière juive. En attendant, les chiens de Diane Panthera sauront défendre l'annone de 889.

 

V. — LA VIEILLE MENTEUSE DU GUOL-GOLTA PRISE À SON PIÈGE.

a. — Le repas chez Tyrrhène

La veille de la fête de la fondation d'Hypate, Tyrrhène donne un grand repas, auquel Lucius est invité. Apulée a soin que le repas coïncide avec l'anniversaire de l'enlèvement du cadavre de Barabbas au Guol-golta.

Le service est fait par des jeunes gens de l'un et de l'autre sexe. Car, Barabbas n'ayant point épousé sa Mère céleste, la génération continue. Tyrrhène reçoit Lucius comme une mère son fils. Elle ne lui promet rien d'impossible ; elle lui a tout donné : l'instruction et la liberté. Lucius se plaît à le reconnaître, et avec lui tous ceux qui sont assis à la même table :

Vous trouvez-vous bien dans notre pays ? demande Tyrrhène. Si je ne me trompe, il n'y a rien dans les autres villes qui puisse se comparer à nos temples, à nos bains et à nos différents édifices. En outre, toutes les commodités de la vie se trouvent chez nous en abondance. Pour qui recherche du repos il y a liberté complète, et l'étranger qui veut des affaires retrouve ici toute l'affluence de Rome ; de même que, s'il a des habitudes paisibles, il jouit d'une tranquillité aussi parfaite qu'à la campagne. En un mot, pour toute la province, notre ville est un séjour de délices. — Vous avez raison, madame, lui répondis-je : je ne crois pas m'être trouvé ailleurs en aussi grande liberté qu'ici.

Il y a une ombre au tableau, et telle, qu'il ne peut être question ici d'Hypate, dont l'état précaire ne répond nullement à cet éloge, mais d'une ville comme Corinthe ou Athènes. En effet, pas plus tard que la veille, l'édile d'Hypate parlait ainsi, s'adressant au vendeur des poissons de mille ans :

Vous ne finirez donc jamais, vous autres, de rançonner ainsi nos amis eux-mêmes, et tous les étrangers indistinctement ! Pourquoi vendre si cher de misérables poissons ? Cette ville, fleur de la Thessalie, vous la rendez, par le prix des denrées, aussi déserte que le rocher le plus sauvage. Mais vous me le payerez. Et toi, tu vas apprendre comment sous mon administration il faut que les fripons soient punis !

Ce n'est pas tout.

Depuis que Milon vit avec Hébrœa, toute la région est infestée de nouvelles pratiques de magie sépulcrale. Des prophètes se lèvent, qui, dans les tombeaux, sur les bûchers de certains suppliciés, vont prendre des reliques, ou des lambeaux de cadavre, par le moyen desquels ils vouent les vivants au sort le plus affreux[23].

b. — Envoûtement des goym à l'aide des cheveux coupés sur leur tête

A l'instar de Barabbas pendant l'Année des baptêmes, Rabbi Akiba avait ordonné aux Juifs de se raser la tête en manière de pénitence, et il en avait le premier donné l'exemple. Les rabbins de Macédoine avaient tenu la main à ce qu'il fût suivi, de manière que, lors du Jugement, Barabbas ne les envoyât point en enfer avec les goym.

Et à ce propos, que ne dit-on pas en Béotie ? On dit, et beaucoup le répètent en tremblant, qu'il a le pouvoir de changer les hommes en boucs et, sous cette forme, de les condamner au feu[24]. — C'est même pour cela que, dans certains Toledoth canoniques, le revenant de Barabbas déclare qu'au Grand jour il enverra les agneaux [Juifs] à sa droite et les boucs [goym] à sa gauche —. Aussi de quelles peines les serviteurs du Capricorne Augustal ne se sentent-ils pas menacés ! ils se croient déjà sur le gril.

Des Grecs de Béotie, gagnés par la contagion de la tonsure, se sont également fait raser la tête pour s'attirer la grâce du Nazir des Nazirs, qui va venir juger les vivants et les morts, non plus chez les Juifs seulement, comme en 789, mais aussi chez les goym ! Et du même coup ils s'imaginent, les malheureux ! qu'en se condamnant d'eux-mêmes à l'humiliation que lui infligea Pilatus (dont ils font dériver le nom de pilus, poil), ils seront semblables à lui, c'est-à-dire glorifiés dans la Nouvelle vie !

Or, qui ont-ils contre eux dans cette éventualité ? Hébrœa même.

Elle fait rechercher par Phôtisma tous les cheveux que le barbier fait tomber de leur tête. Face à l'Orient, elle les noue[25], et les brûle sur des charbons ardents avec une grande quantité de parfums, en attendant que le Nazir condamne au feu les têtes elles-mêmes. Méroé n'a point pardonné l'injure faite à son fils aîné ! D'autres magiciennes ont été pour cela déférées aux juges, la femme de Milon n'a jamais été inquiétée.

Quoique Lucius mette la chevelure au-dessus de tous les agréments physiques, il s'est laissé convaincre qu'il fallait sacrifier la sienne[26].

Mais Phôtisma, chargée de rapporter à Hébrœa les cheveux coupés, s'est fait prendre, et elle a dû les laisser au barbier, heureuse de n'avoir point été dénoncée.

c. — Les trois boucs émissaires des trois voleurs crucifiés au Guol-golta selon le dispositif de Cérinthe

Elle avait grand'peur d'être grondée par sa maîtresse, mais, en revenant au logis, elle a aperçu trois outres de boucs (émissaires) pleines de sang, qu'un homme était en train de tondre, de gonfler, de lier fortement et de faire tenir debout. Elle a ramassé par terre plusieurs touffes des poils tombés, et elle les a présentées à Hébrœa comme étant les cheveux de Lucius.

Au commencement de la nuit, Hébrœa, déjà hors d'elle-même, monta dans un petit observatoire fait de voliges[27], exposé à tous les vents, d'où l'on découvrait l'orient ainsi que les autres directions, et qui était pour elle l'endroit le plus commode aux opérations mystérieuses de son art. Elle commença par mettre en place dans ce laboratoire infernal ses appareils accoutumés. C'étaient des aromates de tout genre[28], des laines d'airain couvertes de caractères indéchiffrables[29], des pièces de fer, tristes débris de navires[30], de nombreux morceaux de chair humaine appartenant à des corps récemment pleurés, et pareillement à des cadavres déjà ensevelis : ici des nez et des doigts ; là des lambeaux accrochés à des clous de gibet[31] ; ailleurs du sang d'hommes égorgés, qu'elle avait conservé ; des crânes à demi dévorés par des bêtes sauvages, et arrachés d'entre leurs dents.

Ensuite elle prononça des paroles magiques sur des entrailles encore palpitantes[32], puis se prépara à un sacrifice en y répandant tour à tour de l'eau de source, du lait de vache, du miel de montagne ; elle fit aussi des libations d'hydromel. Après quoi, elle entrelaça fortement ces prétendus cheveux.

Sur le champ, par la force invincible de sa magie et la puissance mystérieuse des esprits qu'elle avait évoqués, les outres, dont la toison grillait sur la braise en fumant, s'animent comme des créatures humaines. Elles sentent, elles entendent, elles marchent ; et arrivant jusqu'où les attirait l'odeur de leurs dépouilles qui brûlaient, elles se mettent à bondir à la porte pour entrer.

Elles remplacent Lucius. Par ce moyen, il échappe au sort qui attend les trois boucs mués en hommes.

Voilà ce qui se passe dans la ville, pendant que Lucius en personne, sans se douter de rien, célèbre Momus à la table de Tyrrhène.

Il s'est passé, non loin de là, une autre chose qui n'est plus dans le texte actuel et que nous y rétablissons, car elle est indispensable à l'intelligence de ce qui va suivre ; c'est même pour cela qu'elle a été enlevée.

Un homme, et le premier de Larisse, convaincu de divers crimes, a été condamné à mort et crucifié ; c'est un scélérat, qui à tous ses crimes aurait ajouté l'inceste, si la mort ne l'en avait empêché ; il avait annoncé qu'il épouserait sa mère ! Celle-ci, de son côté, après s'être débarrassée de son mari dans le plus grand mystère, a enlevé le corps de son fils, et l'a transporté nuitamment chez elle ; la chose est déjà faite quand les trois outres de boucs deviennent hommes.

Dans le texte actuel l'histoire de ces boucs-hommes vient après celle de certain mort qu'on ressuscite malgré lui.

Aucun doute que l'histoire des boucs ne précédât celle du ressuscité, dont elle est le prologue. Nous la rétablissons dans son ordre, ce qui la rend intelligible, et nous passons la parole à Lucius :

Pendant que les buveurs réclamaient pour le dieu du Rire les libations d'usage, Tyrrhène m'adressa la parole : C'est demain une grande fête solennelle, l'anniversaire de la fondation de notre ville ; et dans ce jour, nous sommes le seul peuple sur la terre qui, par des cérémonies joyeuses et divertissantes, invoque la protection de l'auguste dieu du Rire. Votre présence ne peut qu'embellir pour nous cette journée. Combien je souhaiterais que votre propre gaieté vous inspirât quelque joyeuse facétie en l'honneur du dieu, pour rendre plus agréable et plus complet l'hommage que nous offrons à sa puissance !A merveille, madame, lui dis-je : vos ordres seront accomplis, et puissé-je trouver une matière qui se ressente de toute l'influence d'un dieu si puissant !

Lucius a l'air bien sûr de lui, mais, sans le savoir, il est déjà au pouvoir d'Hébrœa par Phôtisma, l'inséparable servante de cette pernicieuse kabbaliste.

d. — Envoûté par Hébrœa, Lucius s'accuse d'avoir tué trois innocents

Lucius, au sortir de table, revenant de chez Tyrrhène, rencontre les trois ex-boucs qui essayaient de forcer la porte. Les voyant dans une telle attitude, il n'a pas pu s'empêcher de les prendre pour des voleurs, il les a chargés comme tels, et percés d'un glaive[33], si bien que, devant cette mare de sang, le voilà forcé de s'accuser d'avoir commis trois assassinats

Son affaire s'instruit au théâtre, tribunal bien digne d'une comédie aussi tirée par les cheveux.

e. — Réquisitoire du Saül d'Hypate

D'abord paraît le préposé à la garde de la ville, personnage qui équivaut au stratège du Temple de Jérusalem en 789, le fameux Saül, dont, au temps d'Apulée, les rabbins évangélistes n'avaient pas encore fait l'apôtre Paul. On le représente actuellement comme un vieillard, mais la nature de ses fonctions, l'énergie de son réquisitoire et l'éclat tonitruant de sa voix, montrent assez que, dans le texte original, c'était un homme jeune et entreprenant, et d'ailleurs citoyen romain, comme celui qui arrêta Barabbas à Lydda :

Vous qui observez la loi romaine, dit-il, l'affaire qui vous est soumise est des plus graves : car il s'agit, avant tout, de la tranquillité de la ville entière. Il faut un grand exemple, et il importe beaucoup qu'individuellement comme en masse vous vengiez les droits de la société outragée ; qu'un infâme meurtrier ne reste pas impuni, après avoir d'une main sanglante égorgé tant de victimes. Ne croyez pas que ce soit une animosité particulière qui m'excite et que j'obéisse à un ressentiment personnel[34] ; car je suis capitaine des gardes qui font le guet pendant la nuit, et jusqu'à ce moment je ne pense pas que personne ait pu accuser ma vigilance et mon zèle.

Mais je viens au fait, et je vais vous exposer fidèlement ce qui s'est passé la nuit dernière. Il était environ minuit, et avec la plus scrupuleuse exactitude je faisais ma ronde dans la ville, examinant tout de porte en porte. Soudain j'aperçois un jeune homme (c'était l'accusé), qui, furieux et l'épée à la main, répandait partout le carnage[35]. Déjà trois citoyens étaient tombés, victimes de sa cruauté ; ils étaient à ses pieds, noyés dans le sang, respirant encore, encore tout palpitants. Je dois dire qu'effrayé avec raison de l'énormité d'un aussi grand forfait, il prit sur le champ la fuite ; il se glissa dans une maison à la faveur de l'obscurité, et il y est resté caché toute la nuit. Mais la providence divine ne permet jamais que les coupables restent impunis. Avant qu'il ait pu s'échapper par quelque issue secrète, je suis venu l'attendre de grand matin, et j'ai voulu le faire comparaître à votre auguste et sacré tribunal. Vous avez donc devant vous un accusé qui s'est rendu coupable de trois assassinats, un accusé pris en flagrant délit, un accusé qui n'est pas de ce pays. N'hésitez pas à condamner un étranger pour un crime dont vous puniriez sévèrement un de vos concitoyens.

Tous les hommes, en effet, sont égaux devant la loi, quand la justice est bien rendue ; et tel qui se serait conduit comme Barabbas, aurait, n'importe où, fini comme lui. Mais si les trois boucs tués par Lucius sont trois hommes, ce sont bien trois voleurs, comme Barabbas et ses deux voisins de croix dans les Mahazeh, il a bien fait de les tuer :

N'ayant jamais paru en justice sous le poids de la moindre accusation, dit-il, et passant dans mon pays pour un homme d'honneur, j'ai toujours mis l'innocence au-dessus de tous les avantages de la fortune. Aussi ne puis-je m. 'expliquer pourquoi l'on me fait un crime aujourd'hui d'avoir, dans ma juste indignation, tiré vengeance de ces infâmes brigands. Oserait-on prétendre qu'il ait existé antérieurement quelques inimitiés particulières entre nous, et que j'aie le moins du monde connu ces misérables ? Ou bien, que l'on montre au moins quelques dépouilles, dont l'appât semble m'avoir excité à un pareil forfait ![36]

Après que j'eus ainsi parlé, je versai encore un torrent de larmes ; puis, joignant les mains d'une façon suppliante, j'implorais tristement tantôt les uns tantôt les autres, au nom de la pitié publique et de ce qu'ils avaient de plus cher au monde. A l'instant où je les croyais attendris et tout à fait émus de mes lamentations, je voulus attester l'œil du Soleil et de la Justice, et me recommander, au milieu de mes infortunes, à la Providence céleste. Je lève un peu la tête pour regarder l'assemblée... Tout le monde poussait de grands éclats de rire !

f. — Hilarité épiscopale de Milon

Il n'y avait pas jusqu'à mon vénérable hôte, mon père, jusqu'à Milon enfin, qui ne rît à gorge déployée : Voilà donc où sont la bonne foi et la conscience, commençai-je à me dire en moi-même C'est pour sauver mon hôte que je deviens un homicide, que je subis l'affront d'une accusation capitale ; et lui, non content de me refuser même une consolante assistance, se permet encore de rire sur ma triste aventure !

Certes, le fou rire de l'évêque d'Hypate n'est ni d'un père, ni d'un ami, mais il est bien humain : on méprise toujours sa dupe. Ce qui rend Milon si joyeux, c'est qu'il a presque réussi à persuader la sienne qu'elle avait perdu un sauveur en la personne d'un des trois voleurs crucifiés au Guol-golta. Il vient aujourd'hui parler de la résurrection de leur Roi, quand il sait pertinemment que, selon sa mère, ce scélérat n'était même pas parmi les suppliciés !

g. — Intervention d'une vieille menteuse comme celle qui a perdu son fils au Guol-golta

Ne peut-on prendre cette vieille menteuse à son propre piège ? La voici justement qui arrive, sinon en personne, du moins en un mahazeh de la plus haute importance pour l'histoire des écritures qui composent aujourd'hui le Nouveau Testament. C'est le mahazeh d'une femme en deux états et sous deux espèces : la femme qu'on voit accoucher de son premier-né dans l'Apocalypse, et celle qu'on ne voit pas accoucher dans le Toledoth placé sous le nom de Luc.

On sait, en effet, et nous aurons à le rappeler encore une fois, que dans la Nativité selon cet évangéliste, ce n'est pas la femme présentée sous le nom de Marie qui accouche, mais celle qui figure sous le nom d'Eloï-schabed (aujourd'hui Elisabeth) ; que Marie et Eloï-schabed sont deux états de la même femme (Salomé), et que, de cette femme double d'aspect, il ne sort au bout de neuf mois qu'un seul enfant : le Baptiseur. Ce thème de Nativité, le seul qui existât au temps de Bar-kochev, ne pouvait pas tromper des hommes comme Hadrien ou comme Apulée, mais il peut tromper un faible comme Lucius, tombé aux mains d'un aigrefin comme Milon. Apulée va donc produire devant lui, pour son édification, la mère de Barabbas envisagée sous ses deux espèces : la femme qui pleure l'enfant dont elle a accouché sous le Capricorne de 739, comme il est dit dans l'Apocalypse évangélique, et celle qui a encore son enfant dans son sein, au dire du Toledoth de Luc.

Dans ce moment une femme s'avance, en courant, au milieu du théâtre, toute baignée de larmes, dans la plus profonde tristesse. Elle était vêtue d'habits de deuil, et portait un petit enfant dans son sein.

C'est l'enfant qui ne doit pas mourir, dont le règne doit marquer la fin du temps et n'avoir point de fin. Celui-là, c'est l'enfant différé, le Messie définitif, son règne n'a pas commencé, et le temps a continué !

Il est resté scellé, il n'est point venu à terme au sens révélé, il est encore à naître, les Juifs espèrent toujours qu'il naîtra de la Vierge, et Rabbi Akiba avait cru le reconnaître en Bar-kochev.

Celui qui est né, que les Juifs ont connu et condamné, c'est l'individu qui vainement a baptisé sa mère, qui vainement s'est baptisé lui-même, qui vainement a baptisé les Kanaïtes, qui n'a point été le Messie, puisqu'il n'a pas régné mille ans, qui n'a pas été le Sauveur, puisqu'il ne s'est pas sauvé lui-même, et qui a été crucifié la veille du jour où il allait arrêter le Temps. C'est celui dont sa mère a dit qu'il avait échappé à Saül dès Lydda, d'autres qu'il avait échappé à Pilatus par le moyen de Simon de Cyrène ; c'est Barabbas en un mot, et, pour qui croit sa vieille menteuse de mère, il doit vivre encore à l'heure qu'il est.

Une autre vieille suivait la première, couverte d'horribles haillons, affligée et pleurant comme elle ; toutes deux secouaient des branches d'olivier.

Les deux ne font qu'une (une en deux, deux en une), malgré les apparences dont Lucius seul est victime, car son digne père, Milon, se tord de plus en plus. Quant aux oliviers dont proviennent les branches, ce sont ceux de l'Évangile éternel[37], les deux Oliviers dressés devant le Seigneur de toute la terre (Barabbas), et c'est de ces deux Oliviers (Panthora et son frère), que devait sortir l'huile du chrisme.

Elles entourent le lit sur lequel étaient placés les cadavres recouverts d'un manteau, et se mettant à pousser des cris et de lugubres lamentations : Au nom de la pitié publique, des droits de l'humanité tout entière, disent-elles, oh ! prenez compassion de ces jeunes hommes indignement massacrés, et ne refusez pas la consolation de la vengeance à une malheureuse veuve, à une mère sans appui[38]. Du moins, secourez ce petit enfant, privé de ses destinées dans ses premières années ; et que le sang de ce meurtrier (Lucius) soit une expiation offerte à vos lois et à la morale publique !

Elle demande donc deux choses qui ne sont pas conciliables : à Dieu, de la délivrer, s'il le peut, du fruit de son ventre, car elle approche de son troisième terme jubilaire, et il y a cent-quarante-neuf ans qu'elle est grosse ; aux Hypatiens, de venger le fils que les Romains lui ont tué en 789. Et voilà la femme à qui des gens attribuent le pouvoir de dessécher les enfants dans le ventre de leur mère !

On pourra s'étonner qu'Apulée, instruit comme il l'est, de la vérité historique, retienne encore dans le sein de sa mère, cent cinquante ans après sa naissance, un enfant qui, normalement et publiquement, est né au terme ordinaire de neuf mois, le six thébet (janvier) 739. Mais Apulée connaît jusqu'en ses moindres détours les dispositions de l'Esprit-Saint, et il met les rabbins barabbalâtres en demeure d'opter : il faut ou qu'ils renoncent à incarner dans cet enfant le Royaume universel des Juifs, ou que le Messie naisse de nouveau, selon le mot de Jésus à Nicodème dans le Mahazeh de Cérinthe.

Et ceci nous permet de rendre à cette scène fameuse le sens qu'elle avait avant les additions que l'Église lui a fait subir :

...Maître, dit Nicodème, nous savons que vous êtes venu de Dieu pour enseigner : car nul ne pourrait faire les prodiges que vous faites, si Dieu n'était avec lui.

Certes, et si Barabbas en eût fait autant, il eût été le Messie, mais il est mort sans avoir pu fournir aucun des signes que donne Jésus.

Jésus lui répondit et lui dit : En vérité, en vérité, je te le dis, si quelqu'un ne naît de nouveau, il ne peut voir le Royaume de Dieu.

Parfaitement. Barabbas ayant échoué, il faut, pour voir le Royaume universel des Juifs, qu'un autre fils de l'Étoile (ce fut bar-Kochev), naisse d'une fille de David autre que Salomé. Sinon, il faut que Barabbas se montre. Or il ne se montre pas, du moins on ne le voit plus. Et c'est là une grande faute de sa part, étant donné qu'au temps où écrivait Cérinthe, il passait pour être encore sur terre, tandis que, dans le même Cérinthe, la Gamaléenne est au ciel.

Nicodème lui dit : Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ?[39] Peut-il rentrer dans le sein de sa mère et naître de nouveau ? Jésus répondit : En vérité, en vérité, je te le dis, si quelqu'un ne renaît de l'eau et de l'Esprit-Saint, il ne peut entrer dans le Royaume de Dieu... Ne t'étonne point que je t'aie dit : Il faut que vous naissiez de nouveau.... Nicodème répondit et lui dit : Comment cela se peut-il faire ? Jésus lui répondit et lui dit : Tu es maître en Israël, et tu ignores ces choses ? En vérité, en vérité, je te le dis, ce que nous savons, nous le disons ; et ce que nous avons vu, nous l'attestons. Et vous ne recevez pas notre témoignage.

Lisez : Il faut que vous vous fassiez baptiser par celui que Rabbi Akiba a sacré Messie. Les signes que son grand-oncle Barabbas a jadis fournis au Jourdain, la colombe lumineuse notamment, attestent la divine origine de ce sacrement.

Mais, si tel est l'avis des aigrefins, Juifs comme Cérinthe ou Thessaliens comme Milon, qui exploitent la rémission des péchés, tel ne saurait être celui d'Apulée. Apulée enferme Barabbas dans le dilemme posé par Jésus à Nicodème : il le fait rentrer dans le ventre de sa mère. Mais il n'ignore pas qu'il en est sorti, et que le destin n'a pas été favorable à cet homme dans les premières années d'une vie qui devait tourner en règne de mille ans à partir du 15 nisan 789.

h. — L'égalité devant le droit proclamée par le magistrat

Maintenant, sa vieille menteuse de mère le pleure publiquement et veut qu'on le pleure avec elle, avouant ainsi qu'il était compris au nombre des voleurs crucifiés, et qu'un Simon de Cyrène ne l'a pas remplacé dans ces circonstances. Mais ses larmes, qui toucheraient tout le monde, si elles ne trahissaient pas son mensonge, ne font qu'exciter la risée. Seul, le magistrat le plus âgé prend la chose au sérieux ; doyen de ce sanhédrin, il demande l'application de la loi ; puisque la vieille prétend que son fils est au nombre dés trois voleurs assassinés par Lucius à Hypate, il est facile de s'en assurer, et juste de condamner le meurtrier à la peine des meurtriers.

Et s'adressant ainsi au peuple : Un crime, que son auteur ne peut désavouer, vient d'être commis : la justice exige une vengeance sévère ; niais il nous reste un devoir à remplir encore, c'est de découvrir les autres complices d'un forfait aussi grand. Il n'est pas vraisemblable, en effet, qu'un homme seul en ait pu terrasser trois, si jeunes et si vigoureux. Ainsi donc, il faut employer les tortures pour lui arracher la vérité ; car l'esclave qui l'accompagnait ayant furtivement pris la fuite, l'affaire se réduit à appliquer celui-ci à la question pour qu'il indique ses camarades. Il faut à tout prix mettre un terme à l'effroi qu'inspire une si formidable association.

i. — La vieille excite la foule à la crucifixion de Lucius, assassin de son fils

A l'instant on apporte, selon l'usage de la Grèce, la flamme, la roue et les fouets de toute sorte : Je sentis ma douleur s'accroître, dit Lucius, et même doubler de ce que je ne pourrais du moins mourir sans être mutilé.

Mais cette vieille, dont les larmes avaient troublé toute l'assistance : Dignes citoyens, dit-elle, avant que vous fassiez mettre en croix l'infâme assassin de mon malheureux enfant[40], permettez que les cadavres soient découverts, pour que la contemplation de tant de beauté et de tant de jeunesse excite en vous une indignation plus vive encore, et que votre juste sévérité se mesure à l'horreur du forfait !

j. — La vieille, matériellement convaincue d'avoir enlevé le corps de son fils

Jusqu'à présent tout le monde tient pour la vieille, laquelle a oublié de dire que son fils a été ce que Lucius n'est pas : un assassin.

Des applaudissements accueillent ses paroles ; et à l'instant le magistrat ordonne à Lucius de découvrir de sa propre main les corps placés sur le lit :

J'hésitai longtemps, ne voulant pas renouveler encore par ce spectacle la scène affreuse de la veille. Mais les licteurs, sur l'ordre des magistrats, m'y invitent de la manière la plus pressante : ils finissent par saisir violemment mon bras, que je tenais appliqué contre mon côté, et ils l'allongent, pour mon malheur, sur les cadavres mêmes. Vaincu enfin par la nécessité, je me rends ; je porte, bien malgré moi, la main au manteau, et je découvre les corps. Grands dieux ! quel spectacle ! quel prodige ! quel changement soudain dans ma fortune ! Quoique je fisse déjà partie du mobilier de Proserpine et de la grande confrérie de l'enfer, ma figure changea tout' à coup d'expression, et je restai immobile de surprise.

Figurez-vous que, par une métamorphose dont il m'est absolument impossible de me rendre compte, les cadavres de ces victimes étaient trois outres enflées, percées en différentes places, et aux mêmes endroits où je me rappelais avoir, dans le combat de la veille, blessé les trois brigands ! Alors ce rire, que la malice de certains plaisants avait engagé la multitude à contenir pendant quelque temps, éclata en pleine liberté Les uns m'adressaient de joyeuses félicitations ; les autres riaient à s'en faire mal, et se tenaient le ventre avec leurs mains. C'était une gaieté frénétique ; et, en quittant le théâtre, chacun se tournait encore pour me regarder.

Car Lucius n'est pas plus coupable ici, que Barabbas n'est innocent ailleurs, sous le nom de Jésus. Le vrai coupable dans tout cela, c'est la vieille Juive par qui tout est à l'envers dans les esprits. Et quant aux brigands de Thessalie, car il y en a dans ce pays et de fort évangéliques, ils n'en courent que mieux.

Lucius est dans la situation d'un malheureux goy, lisant quelque Mahazeh au chapitre des exécutions de Pilatus : il a devant lui les trois voleurs que Pilatus crucifie, tandis que Barabbas échappe. Les trois voleurs (Simon de Cyrène et les deux autres), sont les trois boucs émissaires des crimes commis par le condamné du sanhédrin. Et l'homme qui a fait tenir debout leurs trois peaux est un rabbin évangéliste.

k. — Disparition, aujourd'hui inexpliquée, de la vieille scélérate et du corps de son fils

Dès l'instant où j'avais soulevé ce linceul, j'étais resté fixe, glacé comme un marbre, ni plus ni moins que si j'eusse été une des colonnes et des autres statues du théâtre.

Mais s'il se tire d'embarras par une pétrification momentanée, il n'est pas possible que les choses se terminent ainsi pour la vieille femme qui s'est répandue en dénonciations furieuses contre lui, exigeant même des magistrats qu'ils le missent en croix sur l'heure. Cette vieille, tout en portant dans son sein un fils qui s'obstine à n'en pas sortir, a fait retentir toute la ville de plaintes et de hurlements, parce qu'on lui a tué ce même fils. Or, nous avons la preuve qu'il n'est pas mort par l'épée de Lucius, et que sa mère a fait disparaître son précieux corps, puisqu'il n'a été trouvé que trois outres de boucs.

Diverses questions se posent, auxquelles le texte actuel ne répond plus.

Si la vieille voulait que Lucius fût crucifié, n'est-ce point parce que son fils l'avait été ? Pourquoi ce fils, qu'elle pleure avec tant d'éclat, a-t-il été mis à mort ? Pourquoi l'a-t-elle enlevé ? Qu'a-t-elle fait de son corps ? Et elle-même, que devient-elle, après avoir quitté le théâtre, où elle a été prise en flagrant délit de mensonge et de calomnie ?

La vieille partie, Milon rompt le charme où elle a laissé Lucius :

Je ne revins des enfers qu'à l'instant où mon hôte Milon, s'étant approché. eut posé la main sur moi. Je ne voulais d'abord pas bouger : mes larmes recommencèrent à jaillir, et j'éclatai en sanglots ; mais il m'entraîna avec lui en me faisant une douce violence. Il eut l'attention de me ramener à son logis par certains chemins détournés et solitaires. Il cherchait à dissiper le chagrin et l'agitation où j'étais plongé, me prodiguant toutes les paroles qu'il crut capables de me consoler ; mais il ne pouvait réussir à calmer l'indignation qu'un pareil outrage avait profondément imprimée dans mon cœur.

 

VI. — LES NOCES DE LA VIEILLE AVEC SON FILS MORT.

a. — Les deux Téléphoros

Le soir venu, Lucius se rend chez Tyrrhène[41], comme il s'y était engagé dans un texte qui a disparu, et nul doute qu'il ne reçût le juste tribut d'éloges que le Dieu du Rire lui devait.

C'est certainement à la table de Tyrrhène, et non chez l'évêque d'Hypate, comme aujourd'hui, que les magistrats le remercient de cette bonne journée, par la déclaration suivante :

Seigneur Lucius, nous n'ignorons ni votre mérite personnel, ni la gloire de vos aïeux[42] ; car la noblesse de votre famille est connue de toute notre province. Aussi n'est-ce pas pour vous insulter qu'on vous a fait subir cette épreuve qui vous afflige si fortement. Vous devez donc bannir de votre cœur cette tristesse et dissiper vos angoisses. Apprenez que tous les ans nous célébrons en public la fête de l'aimable dieu du Rire[43], et que nous tâchons d'égayer toujours cet anniversaire par quelque nouvelle invention[44]. C'est vous qui venez de fournir matière à la célébration de la fête ; et ce dieu vous assistera partout avec bienveillance. Il ne souffrira jamais que vous éprouviez quelque peine profonde[45] ; il répandra constamment sur votre front le charme et la sérénité de la joie. Du reste, toute la ville, pour le plaisir dont elle vous est redevable, vous a décerné des honneurs éclatants. Elle vous a inscrit au nombre de ses protecteurs, et elle a décrété que votre statue serait coulée en bronze.

Après ce discours je pris la parole : Seigneurs, dans vos personnes je remercie, comme je le dois pour un tel honneur, la ville la plus brillante, sans exception, de toute la Thessalie ; mais pour les images et les statues, je vous engage à les réserver à de plus dignes, à de plus grands que moi. Après cette réponse modeste, la gaieté commença insensiblement à briller de nouveau sur mon visage ; je montrai, aussi bien que je le pus, un air satisfait, et avec les plus grandes civilités je saluai les magistrats qui prirent congé de moi.

Il n'est pas possible que Lucius les laissât partir sans s'inquiéter davantage de la vieille scélérate, qui avait soustrait nuitamment le corps de son fils à toute enquête, pour accuser ensuite un malheureux étranger de l'avoir assassiné.

L'histoire de Téléphoros[46], payé pour veiller sur un mort, répond à la curiosité du lecteur, et c'est pourquoi elle n'est plus à sa place dans le texte actuel. L'histoire elle-même est donnée comme vieille de plusieurs semaines, et connue de Lucius lui-même depuis le repas de la veille. Quoique cette histoire soit d'un macabre achevé, chaque fois que Téléphoros la raconte, il est accueilli par une explosion de quolibets. Car il est l'homme qui, vivant, a laissé son nez et ses oreilles aux mains des vieilles sorcières.

A ces mots, les convives partent d'un grand éclat de rire : tous les visages, tous les yeux se portent sur un homme qui était couché à l'écart dans un coin de la salle. Confus de l'obstination avec laquelle chacun le regardait, il murmurait d'impatience et voulait se lever pour sortir : Non pas, mon cher Téléphoros, lui dit Tyrrhène ; rasseyez-vous, et, suivant votre complaisance ordinaire, racontez-nous encore une fois votre histoire, afin que mon cher fils Lucius ait aussi le plaisir de l'entendre de votre bouche. — Vous, madame, dit-il, vous êtes toujours fidèle à vos saintes habitudes de bonté ; mais il y a des gens desquels on ne saurait souffrir l'insolence ! Il prononça ces paroles avec beaucoup d'émotion. Cependant, à force d'insister, de le conjurer par tout ce qu'il avait de plus cher au monde, Tyrrhène parvint, quelque répugnance qu'il eût, à le faire parler.

Mais son histoire n'est nullement ancienne, comme on cherche à le faire croire.

Et si elle est devenue incompréhensible, la faute n'en est point à Apulée, comme le dit Paul-Louis-Courier, mais à ceux qui ont adultéré le dispositif original. Nous le rétablissons de notre mieux, en nous aidant des contradictions du texte actuel. Les choses se passent à Larisse[47], d'où Téléphoros était arrivé dans la journée.

b. — Téléphoros embauché pour veiller le corps de son homonyme

Lorsque Téléphoros était arrivé à Larisse, il était exactement dans la situation de Jésus, revenant de Machéron à Ammaüs dans le Toledoth de Luc. Étranger, il ne savait rien de ce qui s'était passé, là ou ailleurs, au sujet d'un autre Téléphoros qui avait été crucifié :

Comme j'errais de tous côtés, dit-il, cherchant les moyens de soulager ma détresse, car mes ressources de voyage étaient presque épuisées, j'aperçus au milieu de la place un vieillard de haute stature.

Donnons immédiatement le nom de ce vieillard, c'est Philodespotès (l'Ami du Maître). Ajoutons : son oncle. Et c'est la figure thessalienne de Cléopas senior, le Nicodème du Mahazeh de Cérinthe.

Il était monté sur une pierre et il criait à haute voix : Qui veut garder un mort ? faites votre prix ! Alors, m'adressant au premier homme qui vint à passer : Qu'est-ce à dire ? lui demandai-je, les morts de ce pays-ci ont-ils coutume de prendre la fuite ?Chut ! me répondit-il, vous êtes un jeune homme, un étranger, et je conçois que vous ne connaissiez pas ce pays. Vous êtes dans la Thessalie, où des magiciennes ont l'habitude de mutiler avec leurs dents les visages des cadavres pour leurs opérations magiques. — En quoi, s'il vous plaît, consiste cette garde des morts ?Il faut d'abord veiller très exactement toute la nuit, en ayant toujours l'œil bien ouvert, bien au guet, sans jamais le détacher du cadavre, à plus forte raison sans tourner la tête de côté. Car ces maudites sorcières se changent en toutes sortes d'animaux, se glissent en cachette, et seraient capables de tromper facilement les regards même du Soleil et de la Justice. Elles prennent la forme d'oiseaux, de chiens, de rats et même de mouches ; puis, par leurs terribles enchantements, elles ensevelissent les gardiens dans le sommeil ; enfin, on ne saurait énumérer complètement toutes les ruses ténébreuses qu'imagine la fantaisie de ces femelles maudites.

c. — Pourquoi il faut que le corps soit complet

A l'instar de certaines vieilles magiciennes qui, au moment où s'impose un enterrement, se hâtent d'aller enlever le corps pour qu'il ne soit pas enseveli par un étranger[48], et se servent ensuite du corps pour leurs maléfices, elles troublent tout le pays, qui, sans elles, serait parfaitement tranquille.

La question de savoir si le corps de Barabbas avait été rompu ou non par le crucifragium, a mis toute la Thessalie en émoi. Il n'était point rompu, il n'y manquait rien, affirment le Mahazeh de Cérinthe et ceux qui le lisent ; il était selon la loi relative à l'agneau pascal, c'est-à-dire sans fractures. Les Thessaliens veillent donc à ce que rien d'essentiel, dans le visage notamment, ne manque aux corps de leurs défunts, lorsque Barabbas reviendra pour juger les vivants et les morts, c'est-à-dire demain[49]. Sinon, comment se feront-ils reconnaître de celui qui tient le Livre de Vie ? On tremble que la nuit, déguisées en animaux carnivores, les magiciennes barabbalâtres ne défigurent ces justiciables avec leurs dents, pour rendre impossible leur entrée dans le Royaume. On cherche partout et on paye à haut prix les gens assez courageux pour garder les morts jusqu'à leur enterrement. Car ces gardiens se savent menacés, s'ils ne rendent pas le corps bien complet, de se voir couper au visage le morceau correspondant à la partie manquante : — œil pour œil, dent pour dent, pied pour pied, etc., c'est la peine du talion.

Ici le mort qu'il s'agit de garder pendant une nuit, était le fils d'un des premiers de la ville ; il s'appelait Téléphoros, il est dit le Maître, et il a été certainement baptisé, mais d'un baptême qui n'est pas le bon.

On promet mille pièces d'or à son homonyme, pour veiller sur lui, de manière que les magiciennes ne puissent le défigurer en rien, jusqu'à son enterrement. Car n'étant d'aucune des douze tribus, n'ayant même pas été circoncis, comme Flavius Clémens, il ne peut trouver grâce devant Barabbas, malgré les sacrifices d'argent qu'il a pu faire pour être baptisé par un Milon quelconque, lequel, n'étant pas juif non plus, n'a pas le pouvoir de remettre les péchés. On peut donc craindre que les sorcières juives, barabbalâtres selon la Loi, ne l'empêchent d'être reçu dans le Royaume, en le circoncisant du nez et des oreilles, par exemple. Mais par son courage et par sa vigilance, Téléphoros se croit au-dessus de toutes les entreprises d'une Méroé :

Je suis un corps de fer, je ne dors jamais ; et, pour la perspicacité, je défierais Argus et Lyncée ; bref, je suis tout yeux. A peine avais-je fini de parler, que le vieillard me conduisit sur-le-champ à une maison dans laquelle il me fit entrer par une petite porte de derrière, attendu que la grande n'était pas ouverte, et je me trouvai dans un appartement où les volets fermés ne laissaient point pénétrer le jour.

d. — La Veuve qui devait épouser son fils

Il me montra une dame tout en pleurs, habillée de noir ; puis, s'approchant d'elle : Voici, lui dit-il, un homme qui s'est présenté hardiment, et qui a fait marché pour garder le corps de votre époux.

En cette veuve il n'est pas difficile de reconnaître la vieille qui, au théâtre d'Hypate, demandait publiquement et impérieusement la mise en croix de Lucius, et qui porte dans son sein un enfant de six mois. On l'a rajeunie pour donner le change, et elle n'a plus de nom, alors que son époux et l'oncle de celui-ci en ont un.

Quant au mort, c'est en même temps son fils aîné. Mais tout l'effort des tripatouilleurs ecclésiastiques a été de faire croire que cette veuve singulière venait de l'empoisonner, afin d'en épouser un autre qu'elle devait lui donner sur l'heure pour remplaçant. Or, une femme dans ces conditions n'a qu'un parti à prendre : c'est de faire enterrer le corps le plus vite et le plus loin possible, pour le soustraire à l'examen des toxicologues.

Car si elle le fait garder dans sa chambre même jusqu'au lendemain, il ne peut manquer de présenter des taches accusatrices. Par conséquent, plus il sera près d'elle et plus elle courra le risque d'être arrêtée.

Donc cet époux est mort tout autrement qu'empoisonné, et il a été rapporté au logis de la dame, qui n'est nullement son épouse. Il est bien vrai toutefois qu'il était fiancé avec une Vierge qu'on ne voit pas plus ici qu'à Kana, qu'il devait célébrer ses noces dans la maison de sa mère, et que le repas devait être éclairé par une seule lampe. Téléphoros a entendu parler de cette lampe, et il la réclamera tout à l'heure. L'Église a biffé tout ce qui établissait l'analogie de ce fiancé, mort la veille de ses noces, aven Barabbas. Elle dissimule également, du moins à cet endroit, que ce fiancé s'appelle Téléphoros, comme son gardien, parce que, si on insiste sur ce point essentiel, le Téléphoros qui veille sur son homonyme défunt, est exactement semblable au Jésus Messie, qui veille sur Jésus Barabbas par le moyen et sous la figure de l'harammathas dans le Mahazeh de Cérinthe[50].

Quant à la femme en deuil, elle est veuve, comme la vieille qui tout à l'heure, au théâtre, escomptait déjà la crucifixion de Lucius. Elle vient d'empoisonner son mari pour pouvoir épouser son fils aîné.

C'est qu'un grand changement est survenu dans les rapports normaux de Salomé avec son fils Barabbas, depuis que les évangélistes, transformant celui-ci en Jésus et sa mère en Marie, ont inventé les dangereuses et pénibles séméiologies[51] où ce fils devient l'époux de sa mère[52], et se fait lui-même [voyez Ephrem], entre les sept démons de la Gamaléenne. Comme, en réalité, l'inceste spécialement visé plus tard par l'auteur de la Première de Paul aux Corinthiens était par trop fréquent dans les églises[53], et qu'il était puni de mort par les autorités, Apulée avait choisi son exemple dans cette étrange espèce, et mettait en scène une mère que la mort de son fils avait empêchée de célébrer ces injustes noces, mais qui les avait secrètement consommées.

Il savait parfaitement que Barabbas était né à Gamala dans le mois appelé en grec Gamèliôn, qui répond à notre janvier. Il avait donc bâti l'histoire du fils-époux Téléphoros en jouant sur le nom de ce mois ; sur les mots Kamèléios et Kamèléia, qui veulent dire Gamaléen et Gamaléenne, puisque Gamala se rend en grec par Kamèlos ; sur Gamèlios qui veut dire Nuptial, et sur Gamèlia, qui veut dire Noces. Le fait est que, ce point de départ une fois rétabli, l'histoire du mort époux de sa mère cesse d'être incompréhensible.

La Veuve alors écarta des deux côtés les cheveux qui lui tombaient sur la figure ; et, laissant voir un visage parfaitement beau dans sa douleur[54] même, elle arrêta ses regards sur moi : Je vous en conjure, me dit-elle, voyez à remplir votre ministère avec toute la vigilance dont vous êtes capable. — Soyez sans inquiétude, lui répondis-je, pourvu que vous me donniez un supplément raisonnable. Nous nous arrangeâmes ; et, se levant aussitôt, elle m'introduisit dans sa chambre à coucher, où était le cadavre, recouvert d'un suaire éblouissant de blancheur.

e. — Les sept témoins de l'état du corps avant sa remise au gardien

Nous allons avoir une nouvelle preuve que, dans le dispositif d'Apulée, cette femme, à supposer même qu'elle fût l'épouse du mort, n'avait nullement empoisonné celui-ci, car lorsqu'une femme empoisonne son mari, elle ne va pas chercher sept témoins pour dresser concurremment avec eux l'état du cadavre.

Après avoir introduit[55] sept personnes destinées à servir de témoins, elle découvrit elle-même le mort, et ce spectacle la fit d'abord fondre en larmes. Et ensuite, adjurant l'assistance réunie, elle commença une inspection exacte de tous les membres, tenus à dessein voilés jusqu'à ce moment, et quelqu'un en dressa en même temps inventaire sur des tablettes : Vous voyez, dit-elle, le nez est entier ; les yeux sont en bon état, les oreilles aussi ; on n'a pas touché aux lèvres, et il ne manque rien au menton. J'en appelle donc ô votre bon, à votre fidèle témoignage. Après ces paroles, et l'inventaire ayant été signé, elle allait se retirer.

f. — Réponse de la veuve au veilleur qui se croit invité au repas des Noces

Le Téléphoros qui doit veiller sur son homonyme ne saurait la laisser partir ainsi. Le repas des noces doit être encore sur la table : il doit y avoir quelque part une lampe d'une grandeur exceptionnelle, des reliefs de poisson, et du vin comme il n'y en a pas ailleurs. Le Téléphoros qui veille trouve juste de manger la part du Téléphoros mort, il ne fait tort à personne, puisqu'il ne voit pas d'invités. Il réclame donc.

Madame, lui dis-je, faites-moi donner tout ce qui est nécessaire en cette circonstance. — Eh ! quoi donc ?La grande lampe annoncée, répondis-je, l'huile qui éclairera jusqu'au jour de la Lumière, la Chaleur, les amphores de vin[56], le calice, et un plat des restes du festin.

Ce Téléphoros s'imagine qu'au cas où le repas des Noces aurait eu lieu, la maîtresse de cette maison le laisserait goûter aux restes. Il oublie qu'il est goy, entièrement goy, comme l' harammathas, et que le mort lui-même, étant incirconcis, n'aurait pas été admis dans la beth-léhem (maison du pain) de la Juive dont la veuve de Larisse est la thessalienne image.

Mais elle, secouant la tête : Allez, me dit-elle, vous êtes un insensé ! Quoi ! dans une maison désolée, demander un repas et des restes, lorsque, depuis tant de jours passés sous le joug, on n'en a pas vu fumer le toit ! Croyez-vous être venu ici comme invité ? Ne devriez-vous pas plutôt répandre des larmes et prendre l'air de tristesse qui convient à ce lieu ? En disant ces mots, elle se retourna du côté de sa servante : Myrrhine[57], dit-elle, donne sur le champ une lampe et de l'huile[58] ; et, après avoir enfermé le gardien, tu sortiras aussitôt de la chambre à coucher !

Notez que, s'il ne s'agissait point d'un repas d'où la semence de bétail était évangéliquement exclue par le Maître, la dame veuve se conduirait ici, non pas seulement avec une inhumanité qui révolterait tout autre veilleur, mais avec une inintelligence frappante de ses intérêts, puisqu'elle a besoin d'un gardien en possession de toutes ses forces et de tout Son bon vouloir.

g. — Un cadavre que les sorcières ne réussissent pas à enlever, comme celui du Guol-golta

Le soir arrive, puis la nuit : les vieilles sorcières changent de formes à plusieurs reprises, viennent pour enlever le cadavre, mais si elles y ont réussi au Guol-golta, elles n'y parviennent pas à Larisse. Cependant rien ne les en empêche. Car, à minuit, l'une d'elles, sous la forme d'une belette, entre dans la chambre à coucher, et se retire, mais non sans avoir lancé au gardien un regard si perçant qu'elle le plonge dans le sommeil le plus profond, le plus complet, à tel point que le Dieu de Delphes lui-même aurait eu peine à distinguer de ces deux corps étendus lequel était plutôt le mort. Et comme le dit très bien le vivant, ayant besoin moi-même d'un autre gardien, j'étais là presque comme n'y étant pas. Par conséquent elles auraient pu faire comme il a été fait au Guol-golta : enlever le mort et l'emporter au loin sans que son veilleur s'y opposât.

Jadis la Gamaléenne a pu soutenir ce qu'elle a voulu, après avoir soudoyé le bon Samaritain qui transporta son fils aîné à Machéron ; mais ici, nous sommes à Larisse, et Apulée ne veut pas que le corps de Téléphoros disparaisse avant son enterrement, car il doit servir à confondre la veuve devant tous les habitants.

h. — Le règlement des honoraires de gardiennage par le Cléopas[59] de Larisse

Les honoraires acquis à l'harammathas pour avoir facilité l'enlèvement de Barabbas, le sont inversement à Téléphoros pour avoir empêché celui de son homonyme.

Déjà les coqs du voisinage annoncent bruyamment le retour de la lumière, lorsque Téléphoros se réveille :

J'accours à mon cadavre ; j'approche la lampe, et, lui découvrant la face, je me mets à examiner en détail ce visage que j'avais reçu bien entier. Tout à coup, la malheureuse épouse, pleine d'angoisse et fondant en larmes, accourt suivie des témoins de la veille, se jette aussitôt sur le corps ; et, après l'avoir longtemps couvert de baisers, elle l'examine de tous les côtés à la lumière. Puis, s'étant retournée, elle appela son intendant Philodespotès, et lui ordonna de payer sans retard un aussi bon gardien ; ce qui fut fait aussitôt : Jeune homme, me dit-elle ensuite, je vous ai les plus grandes obligations, et je ne puis mieux récompenser votre vigilance qu'en vous comptant désormais au nombre de mes amis.

Enchanté de ce gain inattendu, et extasié à la vue de ces belles pièces d'or que je faisais de temps en temps sonner dans ma main : Non, madame, non, lui dis-je, regardez-moi bien plutôt comme un de vos serviteurs ; et toutes les fois que vous aurez besoin de mes services, commandez en toute confiance !

Le maladroit ! il donne la clef de ce qui s'est passé au moment de l'enlèvement du cadavre de Barabbas !

Autant dire tout de suite : Je suis pour cette femme ce que fut l'harammathas pour la Gamaléenne en 789 ! Il est même davantage, car, s'appelant comme le mort, il vient de jouer au vif pour les invités de Tyrrhène le personnage de Jésus Messie, veillant, sous la forme du Jardinier du Ghé-Hinnom, sur le corps de Jésus Barabbas déposé dans le caveau provisoire.

De plus, la veuve larissienne ayant, elle aussi, sept fils, en y comprenant celui qu'a si tien gardé son homonyme Téléphoros, c'est toute l'économie du Mahazeh de Cérinthe qui apparaît, avec empiètement sur l'histoire de Simon dit la Pierre et de Jacob senior. Car ceux-ci ayant été crucifiés au même lieu que leur frère aîné, il se trouve que le veilleur offre par avance ses bons offices à la veuve, pour le cas où elle viendrait à perdre deux autres de ses fils de la même façon. Il est donc impossible d'accumuler plus de maladresses. Aussi quelle scène !

A peine avais-je parlé, que tous les amis de la veuve m'accablent d'exécrations comme un prophète de malheur ; et, saisissant ce qu'ils trouvent sous la main, ils courent après moi. Les uns me donnent du poing dans le visage, les autres me meurtrissent les épaules avec leurs coudes ; d'autres m'enfoncent les côtes d'une main forcenée ; on me lance des coups de pied, on m'arrache les cheveux, on déchire aussi mes vêtements. Ainsi mutilé et mis en pièces, comme le jeune et bel Adonis, ou comme le fils de Calliope (Orphée), gloire du mont Pimpla, je suis jeté hors de la maison.

Il va sans dire que, si on n'avait pas profité de son désarroi pour lui reprendre ses mille pièces d'or, il n'y aurait là qu'une moralité fort incomplète. Il a plus faim que la veille, et il n'a pas de quoi acheter à manger.

Cependant, il le reconnaît chez Tyrrhène, il méritait un châtiment plus rude encore, car il ruine tout le commerce du père Milon. Mais il s'est remis, et il a gagné la place publique par où le mort va passer pour aller à sa dernière demeure, son Machéron.

i. — La dénonciation du vieil époux qui se croit évincé par son fils

Au moment où le cortège arrive, un vieillard se pousse aux côtés du cercueil, en donnant les signes de la plus vive douleur. C'est l'époux empoisonné qui revient, et Apulée l'avait nommé Zachias[60], par analogie avec Zachaios (Zachée, Zacharie), nom du père et précepteur de Barabbas dans certains Toledoth, dans le Coran, et dans un Évangile de l'Enfance. Il adjure les habitants de punir sa femme, l'infâme créature qui s'est rendue coupable du forfait le plus affreux : l'inceste avec un fils dont elle est enceinte, disait le texte original ; l'empoisonnement, dit le texte substitué.

Ainsi parla le vieillard, et il allait près de chacun renouveler ses lamentations et ses plaintes. Cependant la populace s'animait ; et, le crime lui paraissant vraisemblable[61], elle prit fait et cause pour l'accusateur. On demande à grands cris du feu, on cherche des pierres ; on excite les petits enfants contre la femme. Pour elle, le visage baigné de pleurs de commande, et prenant, de l'air le plus solennel qu'elle pouvait, tous les dieux à témoin, elle niait un crime aussi horrible.

j. — La résurrection du fils accusé d'inceste

Le vieillard, goy étonnamment versé dans la Kabbale évangélique, propose alors de ressusciter le mort par la méthode qu'eût employée Barabbas, s'il eût épousé sa Mère.

Il ne le ressuscite pas lui-même, ce n'est pas dans ses attributions. Mais, se reportant à l'époque où Panthora était avec son fils en Egypte et l'initiait à sa mission résurrectionnelle, il fait venir un jeune homme qui, investi de la même mission, jouera au Téléphoros mort le mauvais tour de le ressusciter contre son gré, et de lui faire avouer, devant tout le peuple réuni, le plan criminel qu'il avait ourdi pour épouser sa mère :

Remettons à la divine Providence le soin de faire connaître la vérité, dit le vieillard, il y a ici un Égyptien nommé Zachias, prophète du premier ordre, qui, moyennant une récompense considérable, est convenu depuis longtemps[62] avec moi de ramener pour quelques instants une âme des enfers et de ranimer un corps après son trépas.

En disant ces mots, il fait avancer au milieu de la foule un jeune homme couvert d'une robe de lin, dont la chaussure était en feuilles de palmier, et qui avait la tête rasée entièrement[63]. Après lui avoir longtemps baisé les mains et embrassé les genoux mêmes : Ayez pitié de nous, divin pontife, lui dit-il, ayez pitié de nous. Je vous en conjure par les astres du ciel, par les divinités infernales, par les éléments qui composent cet univers, par le silence des nuits, par les travaux que les hirondelles élèvent en secret auprès de Coptos, par les accroissements du Nil, par les mystères de Memphis et par les sistres de Pharos : versez un peu de lumière dans ces yeux fermés à jamais, laissez-les un instant jouir du soleil ! Nous ne résistons point, nous ne disputons point à la terre sa proie ; c'est dans l'espoir consolant de la vengeance que nous demandons pour ce mort quelques moments d'existence.

Le prophète, rendu propice par cette invocation, appliqua à trois reprises une certaine herbe sur la bouche du mort, et lui en mit une autre sur la poitrine[64] ; puis, tourné vers l'orient, il adressa tout bas une prière au soleil, dont le char auguste s'avançait dans les cieux. Cette scène imposante frappa tous les spectateurs, et les rendit attentifs au grand miracle qui allait s'opérer. Je me glisse dans la foule, et, me plaçant derrière le lit même, sur une borne élevée, je contemple tout avec le plus vif intérêt. Déjà la poitrine se gonfle et se soulève, le pouls se fait sentir ; un souffle créateur a rempli ce corps ; ce n'est plus un cadavre, c'est le jeune homme lui-même, qui se lève !

S'il avait été empoisonné par sa femme en vue d'un adultère, il serait enchanté de l'occasion inespérée qui s'offre à lui de dénoncer cette criminelle. C'est tout le contraire.

Prenant la parole, il dit : Pourquoi, oh ! pourquoi, quand j'ai bu les ondes du Léthé[65], que je nage déjà dans les marais du Styx, rue rappelez-vous aux devoirs d'une existence éphémère ? Cessez, de grâce, cessez, et rendez-moi au repos ! Tels furent les accents qui sortirent de ce corps ; mais le prophète s'étant de plus en plus animé : Non, dit-il, explique toute l'aventure au peuple, et dévoile Le secret de ta mort. Penses-tu que mes enchantements ne soient pas capables d'évoquer les Furies ? que je ne puisse pas faire subir des tortures à tes membres inertes ?

k. — Falsifications et suppressions dans le but d'effacer le rapport établi par Apulée entre les deux hommes que la mort a empêchés d'épouser leur mère

Devant ces menaces, qui sentent leur Apocalypse évangélique d'une lieue, le mort se décide à parler, niais comme il eût mieux aimé n'être ressuscité par personne

La façon dont il parle aujourd'hui, met à néant toute l'hypothèse de son empoisonnement par une femme qui aurait été la sienne auparavant, car voici ce qu'on lui fait dire : Ce sont les ruses coupables de ma nouvelle épouse qui ont causé mon trépas ; victime d'un breuvage mortel, j'ai abandonné à un adultère ma couche tiède encore. Un homme qui aurait été remplacé dans ces conditions ne parlerait pas de sa femme comme d'une nouvelle épouse, mais comme d'une ancienne. Et nous aurions vu paraître le nouveau mari dans la chambre à coucher, où gisait l'ancien, il n'y a qu'un instant, gardé par Téléphoros. C'est donc une toute autre situation de parties, qu'avait établie Apulée. Et c'est l'ancien époux de la femme, c'est le père du mort, qui seul a le droit de dire : Ce sont les ruses coupables de mon ancienne épouse qui ont causé mon trépas ; j'ai abandonné à un adultère ma couche tiède encore. Du moins était-il mort dans cette croyance.

Et la preuve que sa veuve n'avait nullement été la femme du Despotès[66], c'est que la dénonciation pour empoisonnement formulée par celui-ci ressuscité, tombe sans que personne songe à la relever, ni contre la femme, ni contre le complice qu'elle aurait introduit dans le lit encore tiède de son premier mari.

Le ressuscité ne prenait donc pas la parole pour reprocher à la veuve de l'avoir empoisonné, mais pour dire à son père, devant tous : S'il est vrai que je dusse épouser ma mère et que le festin des noces dût être préparé, il est encore plus vrai que ma mort a tout empêché, comme celle de Barabbas l'a empêché d'épouser sa Mère. C'est une similitude que nous venons de jouer, et à laquelle tu t'es prêté toi-même pour amuser la galerie. Tu n'as donc pas à te plaindre, et comme tu le vois, personne ne donne suite à ta plainte. Quant à l'enfant de six mois dont ta veuve persiste à n'accoucher point, demandes-en l'explication, si tu peux, à la Vierge du monde :

C'est la vérité pure, dit le ressuscité, en poussant de nouveau des gémissements profonds ; j'en vais fournir des preuves éclatantes, et je signalerai des circonstances que personne autre ne saurait indiquer.

Et ce qu'il révèle au fond, c'est que, dans des circonstances vieilles d'un siècle, une royale sorcière, aidée de femmes du même acabit, a enlevé du tombeau le corps de son fils, mort avant de célébrer ses Noces avec la Vierge, l'a fait transporter en un lieu qu'elle n'a pas voulu dire, et que, maintenant, dans le Mahazeh qui met toutes les têtes à l'envers, ce fiancé est téléphorisé, surveillé mort par un homonyme, lequel est crucifié pour lui, tandis qu'il échappe, quitte à se ressusciter un jour quand il lui faudra reconnaître que sa mère a menti !

Le mort du Guol-golta et celui de La risse sont dans une situation diamétralement opposée. Celui du Guol-golta a été enlevé par son gardien, et comme il n'est pas ressuscité, on n'a jamais su de lui ce qui s'était passé. Celui de Larisse, au contraire, n'ayant point été enlevé par le sien, on a pu, en le ressuscitant, le contraindre à dire la vérité.

l. — Le sauveur et le sauvé également insauvables à raison de leur origine

Quant au Téléphoros qui l'a veillé, qui -lui a sauvé son corps, quelle est sa situation ? Le Despotès ressuscité va nous la dépeindre, elle est encore pire que ne le croit son sauveur homonyme. Celui-ci a bien vu qu'on lui refusait à manger, quand il avait faim, qu'on lui volait ses mille pièces d'or, alors qu'il les avaient gagnées, et qu'on le rossait à le tuer, quand il s'ingérait de dire la vérité ; il sait tout cela, parce qu'il était éveillé. Mais il y a une chose qu'il ne sait pas, parce qu'elle s'est passée pendant son sommeil. Le Téléphoros ressuscité va le lui apprendre :

Pendant que celui-ci (Téléphoros le gardien) veillait sur moi avec une attention et un zèle extrêmes, de vieilles sorcières ont voulu s'emparer de mes restes. Dans ce dessein, elles ont, à plusieurs reprises et toujours inutilement, changé de formes, et ne pouvant tromper l'activité et la vigilance de mon gardien, elles ont répandu à la fin sur lui les vapeurs de Morphée et l'ont enseveli dans un profond sommeil. Puis, se mettant à m'appeler par mon nom, elles n'ont cessé leurs cris que quand mon corps roidi et mes membres glacés ont eu, après de lents et pénibles efforts, commencé à obéir à leurs enchantements. Celui-ci (le gardien), qui vivait toujours, n'ayant de la mort que le sommeil, entendit qu'on l'appelait, car il a le même nom que moi, et il se réveilla sans savoir ce que c'était ; comme un fantôme, il alla machinalement donner contre la porte de la chambre ; et quoiqu'elle fût exactement fermée, Cependant, par une ouverture qui s'y trouvait, on lui coupa le nez, puis ensuite les oreilles, et c'est lui qui a subi ces amputations à ma place !

Le sauveur a été mis par là dans l'impossibilité d'être sauvé le moment venu. Et comme, avec les oreilles et le nez de ce sauveur, les sorcières ont damné son homonyme, celui-ci est également insauvable, étant mort incirconcis !

Pour que, du reste, toutes les apparences secondassent leur larcin, les magiciennes, ayant donné à de la cire la forme de ses oreilles, la lui appliquèrent fort proprement, et lui firent un nez tout semblable au sien. Voilà où en est ce malheureux, dont on a moins payé la vigilance que la mutilation.

Tout épouvanté de ces paroles, le sauveur a voulu s'assurer des effets d'un tel envoûtement :

Je saisis mon nez, dit-il, il me reste dans la main ; je tâte mes oreilles, elles se détachent. Alors, voyant que tous les doigts étaient dirigés sur ma personne, que toutes les têtes se retournaient, et que les rires allaient faire explosion, je m'échappe, trempé d'une sueur froide, à travers les jambes des assistants. Ainsi défiguré pour jamais et voué au ridicule, je n'ai pu songer à revenir dans ma patrie et dans ma famille[67]. Avec mes cheveux que je rabats sur les côtés, je cache la blessure de mes oreilles ; et pour mon nez, j'en dissimule assez bien la difformité, au moyen de ce linge que j'y ai collé avec un onguent.

 Quand il a terminé sa fable, dont le scénario est d'Apulée, tous les convives réunis à la table de Tyrrhène éclatent de rire. Personne n'est ému, personne ne frémit, personne ne pleure, comme il le faudrait s'il s'agissait de choses tragiques, ou simplement sérieuses.

 C'est encore le goy qui paie pour toutes les impostures des rabbins évangélistes ! Il a encore des yeux, mais ils s'ouvrent trop tard pour voir, il a encore une langue, mais elle ne peut plus servir pour expliquer. Il n'a plus de nez, la vérité n'entrera plus jamais en lui par le flair ; il n'a plus d'oreilles, et personne ne songe encore à lui rendre au moins la droite, comme on le fera à Saül[68] ; il ne percevra plus jamais la vérité par l'ouïe. Avec un nez qui ne sent plus et des oreilles qui n'entendent plus, c'est le type de la dupe éternelle.

 

VII. — LE CHRISME D'HÉBRŒA : LUCIUS ASINIFIÉ.

a. — L'outil du Charpentier

On pourrait croire qu'ayant saisi l'analogie de la faillite nuptiale du mort Larissien avec celle du crucifié Gamaléen, ayant même pris sa part de la gaieté générale, Lucius est encore capable de refréner la curiosité qui le pousse vers les pseudo-mystères christiens. Pas du tout ! il n'a jamais été plus près de sa chute.

Et il supplie Phôtisma de le faire assister à quelque opération d'Hébrœa, soit que celle-ci invoque les démons[69], soit qu'elle se change en quelque chose par le pouvoir qui lui appartient. Lucius tombe bien : la nuit suivante, elle doit se changer en oiseau ; et, en effet, à l'aide du chrisme qu'elle répand sur tout son corps, elle devient hibou.

Dans une circonstance que les rabbins évangélistes enregistrent avec une émotion religieuse, Barabbas fit voler sur lui l'Esprit de son Père, sous la forme d'une colombe : d'où il appert que rien n'est impossible à celui que le Dieu des Juifs a oint dans le ciel, et la Parfumeuse sur la terre. Colombe de Phôtisma, voilà ce que veut être Lucius. Hébrœa est dépositaire de la petite onction[70]. Que Phôtisma consente à en donner un peu à Lucius, c'est son intérêt ; car la colombe est l'oiseau consacré à Vénus : Lucius, s'il devient colombe, sera éternellement le Cupidon ailé de Phôtisma.

Quel n'est pas son étonnement, lorsqu'il voit sa Vénus d'élection hésiter, refuser même, en s'écriant : Le renard me forcer à me mettre la cognée aux jambes ![71] La cognée, c'est l'instrument essentiel du charpentier, et dans les Mahazeh que les Juifs barabbalâtres colportaient en Thessalie, Barabbas en menaçait toute la génération contemporaine de l'Année des baptêmes, disant : La cognée est mise à la racine de l'Arbre (le Figuier du monde), et tout arbre (individuel) qui ne portera pas de bon fruit, sera coupé et jeté au feu.

Or, Phôtisma semence de bétail, ne peut porter de bon fruit ; de plus, céder, c'est désobéir aux ordonnances de Barabbas, qui suspendirent l'acte génésique pendant l'année proto-jubilaire 788, et qu'Hébrœa remet en vigueur pendant le centenaire où l'on vient d'entrer : à l'échéance, si elle est enceinte des œuvres de Lucius, elle tombera sous la cognée du Charpentier ; elle ne se soucie donc pas de s'engager dans des liens amoureux qu'elle ne pourra rompre en temps voulu, et qui pourront la désigner, elle et son fruit, au fer de ce bourreau stupide.

Cependant, l'amour l'emportant sur la crainte, selon une habitude que Barabbas n'a point réussi à interrompre, elle va chercher le chrisme tant convoité, mais elle se trompe de boîte, Lucius est métamorphosé... en âne !

b. Commencement des malheurs de Lucius âne

Immédiatement, comme s'il avait conscience de son état, il se dirige vers l'écurie.

Là commencent les malheurs propres de Lucius, gréco-latin asinifié par l'Évangile. Désormais, quoi qu'il fasse, tout tourne contre lui. Son cheval blanc, ne le reconnaissant pas, se joint à l'âne de Milon pour ruer contre lui et le repousser de la mangeoire.

Il s'en prend à l'image de la déesse Epone, protectrice des âniers et ânes grecs, comme son nom (Epi onon) l'indique, et peu s'en faut que son valet d'hier ne l'assomme comme iconoclaste.

c. — La bande de Méroé, la Reine-mère des voleurs

Cette bande, qui occupe les montagnes voisines, est composée comme celle de Barabbas en 789, à la circoncision près. Elle obéit, elle aussi, au signe anti-romain des deux Anes ; et trouvant ces deux ânes (Lucius et l'autre) dans l'écurie de Milon, elle les enlève.

Une des premières conséquences de sa disparition d'Hypate, en tant qu'homme, c'est que Lucius s'entend accuser, et par les voleurs eux-mêmes, d'avoir volé Milon, son hôte, son père, dit-il[72] et qu'il ne peut se défendre. Il a bien les oreilles qu'il faut pour entendre, mais la parole lui manque, et c'est triste pour un homme dont sa métamorphose même atteste l'innocence.

d. — Réflexion de Lucius sur son cas : Grâce au personnage de Jésus, Pilatus passe pour un juge inique et Barabbas pour un homme innocent

Les réflexions qu'il fait sur son cas contiennent toute la morale de la situation faite à Pilatus et à Barabbas par Jésus dans les Mahazeh en cours : Ce n'est pas, pense-t-il à part lui, une fiction sans fondement que cette allégorie par laquelle les premiers et les plus anciens moralistes ont représenté la Fortune aveugle et comme privée d'yeux. C'est toujours à des méchants et à des indignes qu'elle confère ses faveurs ; le jugement ne dicte jamais ses choix parmi les mortels. Au contraire, elle se tourne de préférence vers ceux qu'elle devrait fuir bien loin si elle voyait clair ; elle distribue les renommées au hasard et comme à contre-sens. C'est ainsi qu'un méchant (Barabbas) jouit glorieusement de la réputation d'un honnête homme, tandis que le plus innocent (Pilatus) est calomnié par la bouche même des coupables, les rabbins évangélistes qui fabriquent et répandent tous les faux écrits dont Lucius lui-même est victime.

Inapte à prononcer le nom de César, il ne peut invoquer la protection de la loi romaine. Sous l'influence de Diane Panthera, les chiens de la région, des chiens capables de combattre des lions et des ours, s'élancent à sa poursuite. Le bâton, les coups, les liens, les charges excessives, semblent désormais n'être faits que pour lui seul.

Et il en sera ainsi jusqu'à la fin, car pour la bande de la Reine-mère des voleurs, c'est un âne goy ; pour les autres, c'est l'âne de Juda bar-Juda dit Barabbas et de son neveu Bar-kochev : d'où les mauvais traitements dont il est alternativement accablé par les uns et par les autres, sans jamais pouvoir s'expliquer.

e. — Lucius avec la charge des deux Anes

L'âne de Milon étant mort, ce qui marque l'entrée dans le Lion, les voleurs lui coupent les jarrets, le précipitent du haut d'une montagne très élevée, et mettent sa charge sur le dos de Lucius, qui a maintenant la charge des deux Anes. Il va lui arriver tout le mal réservé par l'Évangile à l'âne de Balaam, âne goy, et tout le mal éprouvé par l'âne de Juda depuis la crucifixion du Rabbi onou[73].

De plus, il se met à boiter de la jambe droite, et il est même étonnant qu'il puisse encore marcher, après le crurifragium qui a été appliqué au Maître du signe dans les profondeurs du Ghé-Hinnom.

 

VIII. — LA PARABOLE DE L'AMOUR ET PSYCHÉ DANS LA BOUCHE DE LA MÈRE DE BARABBAS.

a. — La feue reine des voleurs évangéliques, vivandière de ceux de Thessalie

Les voleurs sont ceux qui, à l'ombre de l'Évangile, se levèrent presque partout contre l'ordre public. Pour les nourrir comme ils veulent être nourris, ils ne comptent que sur une vieille femme, cette Méroé dont Hébrœa suit les sorcelleries :

Dernier cadavre de bûcher[74], premier déshonneur de la vie[75], seul dégoût de l'Orcus[76], tel est son signalement, celui d'une ombre vomie par l'Enfer.

En effet, elle est revenue sur terre, pensant que son fils aîné sera plus heureux à ce Jubilé qu'à l'autre, et qu'elle le reverra triomphant. Et elle reprend (mais combien déchue !), parmi les voleurs de Thessalie, le rôle de cabaretière, de vivandière, qu'elle a créé, à Képhar-aïn, dans la bande de Barabbas. Bref, c'est le mahazeh de la Gamaléenne.

b. — La Vierge latine, prisonnière de celle de l'Évangile

Entre les paraboles imaginées par Apulée, une des plus difficiles à comprendre est celle de Charite[77], vierge royale, impériale même, que les brigands dévoués à la Gamaléenne ont enlevée dans l'espoir de faire payer aux parents une énorme rançon. Elle incarne ici la Vierge romaine, que Bar -kochev, victorieux au début, s'imaginait avoir emportée à Jérusalem. Et c'est la vieille vierge-mère de l'Apocalypse évangélique (elle a cent-soixante-cinq ans en 888), qui est chargée de la garder prisonnière, tandis que, d'autre part, pour empêcher l'âne Lucius de s'échapper, elle l'a lié avec la courroie en cuir de Gamala.

Et c'est cette vieille jeteuse de sorts, c'est la Marie Gamaléenne des Mahazeh, c'est l'Hôtesse des Noces de Kana, ivre du vin de la vigne du Diable, c'est cette horrible mégère, qu'Apulée a chargé de conter la parabole anti-évangélique de L'Amour, le Mort, et Psyché.

Il paraît étrange que, pour un tel chef d'œuvre, Apulée ait choisi une interprète aussi antipathique. Mais, voyez, pour ne pas semer ses perles devant des porcs, il a soin de faire que les voleurs s'endorment ensevelis dans le vin. Ses seuls auditeurs sont la jeune Charite et l'âne. Devant eux la mère de Barabbas laisse échapper la vérité qu'elle a cachée cent ans auparavant : celui qu'elle disait être le Messie a bien été crucifié.

Voici l'explication de cette parabole[78]. Que ceux qui ont des oreilles, autres que d'âne, pour entendre, entendent !

c. — Psyché, l'âme du monde, c'est Rome, et non Jérusalem

Psyché, c'est l'Ame du monde terrestre[79]. Il n'y a qu'à l'incorporer dans la Vierge romaine, la Vierge dont parle Virgile, pour avoir toute la pensée du mythologue. Apulée était plein de Virgile, à qui il emprunte textuellement des apostrophes.

Dans l'idée de Dieu, la femme juive, la mère de Barabbas, par exemple, n'est nullement une incarnation de l'Esprit. Dieu n'a pas eu de fils en 739, et le monde n'a pas plus fini en 889 qu'en 789. Vénus et l'Amour, qui assurent la génération, n'en ont point décidé ainsi : la longue parabole de Psyché n'est point autre chose que la poétique illustration de cette vérité. Œneas, père de Rome, était fils de Vénus. Psyché, Vierge latine, n'est point destinée à épouser soit le Serpent de l'Apocalypse, c'est-à-dire la Mort, soit Barabbas, c'est-à-dire le Mort.

d. — Psyché condamnée à épouser ou Barabbas ou Satan incarné dans le Serpent

Un roi et une reine, dont l'origine aryenne se perd dans la nuit des temps antérieurs aux douze tribus juives, ont eu trois filles (l'Asie, la Grèce et l'Italie), toutes trois fort belles, la jeune encore plus que les deux autres, et telle que les hommes l'adorent comme suppléant Vénus sur la terre. Des honneurs divins décernés à une mortelle ne sont pas sans indisposer la véritable Vénus, qui, pour perdre Psyché, donne ordre à Cupidon, son fils, de la rendre amoureuse du dernier des hommes, un homme qui a tout perdu lui-même, dignité, patrimoine, salut, au point qu'il n'en est pas de plus vil dans tout l'univers : Barabbas, en un mot.

Dans l'intervalle, les deux sœurs de Psyché se sont mariées, elles ont épousé des monarques. Seule, Psyché est demeurée vierge. A quel époux est-elle donc vouée ? Le père inquiet demande à l'Apollon de Milet un mari pour Psyché. Apollon, quoique Grec et Ionique, lui répond en Juif : l'époux que l'oracle destine à Psyché, c'est le Serpent ! Il semble vraiment ici qu'au lieu de répondre pour la Grèce et l'Ionie, Apollon parle uniquement au nom de Barabbas : le latin d'Apollon traduit l'araméen de l'Even-guilayon.

Barabbas ou Satan ! Epouser ce mort, ou épouser le Serpent qui doit lui-même périr avec l'univers entier, voilà le dilemme.

Psyché voit que c'est la colère de Vénus qui lui vaut cet hymen de mort. Mais plutôt le Serpent que Barabbas ! Pour obéir à l'oracle d'Apollon, elle se fait conduire sur le rocher où son bestial époux doit la prendre. Tout le monde l'abandonne : ses parents eux-mêmes, abattus par une perte aussi cruelle, s'enferment dans leur palais et se condamnent à d'éternelles ténèbres.

e. — La demeure de la Bête et le divin époux de Psyché

Il semble d'abord que l'Apocalypse apollonienne soit la condamnation de Psyché. Mais au rebours de ce qu'avait dit l'oracle, cette pauvre fille se trouve tout à coup transportée dans un vallon délicieux, où s'élève un palais tout d'or et de pierreries, qui pourrait se faire sa lumière lui-même, si le ciel lui en refusait une, et dont la seule différence avec Nazireth est dans sa décoration, toute entière composée de bas-reliefs sur lesquels il n'y a que des bêtes sauvages, comme si c'était la demeure de la Bête Panthera[80], leur maîtresse à toutes ! Et le spectacle de cette semence de bétail est ce qui frappe le plus dès l'entrée. Ce qui frappe le plus dans la suite, c'est qu'en dépit des richesses qui y sont accumulées, il n'y a ni chaînes, ni barrières, ni gardes pour défendre ce trésor de l'univers entier. — C'est cette faculté hospitalière que Barabbas appelle de la prostitution.

La nuit, un époux invisible vient, qui ravit à Psyché sa virginité, mais cet époux n'est point le Serpent annoncé, c'est l'Amour lui-même, c'est Cupidon, qui, sans l'aveu de Vénus, lui fait grâce de Barabbas. Psyché serait donc parfaitement heureuse, si elle pouvait voir et consoler ses sœurs qui la croient morte. Cupidon l'autorise à les recevoir, mais sans céder au conseil qu'elles lui donneront de chercher à voir la figure de son divin époux. Si elle y consent, ce sera la fin de son bonheur.

f. — Le travail des deux sœurs jalouses, afin d'amener Psyché à délaisser l'Amour pour s'unir à Barabbas

Les deux sœurs arrivent, tout en larmes, sur le rocher, croyant y voir exposée la pauvre Psyché. Mais la trouvant dans sa demeure quasi-divine, leurs craintes font place à un nouveau sentiment aussi peu noble qu'il est humain : l'envie, la jalousie. C'est celui qui a dicté l'Apocalypse du Royaume des Juifs. Il semble qu'un tel sentiment ne devrait point germer chez deux sœurs.

Au contraire, gonflées de dépit à en perdre la raison, elles s'en vont chez elles, et là se mettent à organiser contre une sœur innocente un duel scélérat ou plutôt un véritable parricide[81].

L'époux de Psyché l'en avertit : Ne voyez-vous pas, lui dit-il, les périls que la Fortune prépare contre vous dans le lointain ? Prenez longtemps à l'avance de solides précautions, ou bien elle ne tardera pas à vous attaquer corps à corps. Petites louves[82], elles déploient des efforts incroyables pour vous dresser de criminelles embûches. Elles l'inciteront surtout à vouloir connaître le visage de son époux ; or, qu'elle le sache bien, elle porte en elle un enfant : un dieu, si elle garde le secret de sa céleste union ; un mortel, si elle le profane !

Lorsque ses sœurs reviennent, ce ne sont plus des sœurs, mais un couple empesté de Furies, respirant le poison des vipères et se hâtant avec une promptitude impie. C'est pour égorger Psyché, c'est pour détruire sa demeure, son époux, et son enfant caché, qu'elles s'agitent avec cette célérité. L'époux lui-même le lui révèle, mais elle ne l'en peut croire, et de nouveau elle reçoit celles qui (les menteuses !) osent encore se donner pour ses sœurs, lui parlent de leur joie à la savoir mère, et mère de l'Infans Aureus, l'Enfant d'or, par conséquent conçu sans père charnel. En effet, comme la Vierge dans l'Apocalypse, et la Gamaléenne dans Luc, elle ne connaît point d'homme, et pourtant elle accouchera le moment venu. Pressée de questions, Psyché les élude de son mieux ou s'en tire par des défaites. Ses sœurs n'en sont que plus irritées contre elle : Si, dit l'une, elle ne connaît pas son homme, c'est qu'elle a épousé un Dieu, et c'est un dieu que nous promet sa grossesse. Certainement si elle est proclamée mère de l'Enfant divin (ce qu'au ciel ne plaise !), je me passerai une corde au cou et je me pendrai ! Un tel enfant, en effet, éliminera Barabbas, objet de leurs inavouables préférences.

Dans une troisième visite, elles réussissent à troubler l'esprit de Psyché : l'époux qui chaque nuit repose à ses côtés, c'est une bête immonde, c'est un Serpent — le Serpent de l'Even-guilayon, Satan lui-même —, dont le sang charrie un poison mortel.

Il n'a pu dévorer la Gamaléenne et l'enfant-christ à la naissance de celui-ci en 739, mais il dévorera la Vierge romaine avant même qu'elle accouche : l'Enfant d'or ne verra pas le jour !

Ces Sorts lugubres, dont elles négligent d'indiquer la source, traduisent le sentiment xénophobe de la mère de Barabbas.

Un Serpent ! Pauvre Psyché ! Voilà donc pourquoi son époux tient tant à ce qu'elle ne voie point son visage ! Mais qu'elle s'arme secrètement d'un poignard, et qu'à la clarté d'une lampe cachée elle lui tranche le cou !

g. — Un mariage ruineux, déshonorant, pestilent et contre nature

Ses deux sœurs seront là, et après avoir pillé le palais[83] qui lui sert de demeure, elles l'uniront, elle, homme[84], à un homme, selon la formule adamique : un en deux, deux en un. Cet homme, qu'elles ne lui désignent pas autrement, c'est Barabbas dit l'Aimable.

Elles lui feront épouser un criminel, ce qui la déshonorera ; un mort, ce qui l'infectera. Et s'il est vivant, comme le disent les rabbins barabbalâtres, elle n'en aura pas d'enfants, puisqu'il a juré de rester vierge. Elles sont donc sûres que les biens de Psyché leur reviendront.

Reste à savoir si Vénus, mère de l'époux divin, poussera la malédiction jusqu'à permettre un mariage aussi dégradant, alors surtout que Psyché porte déjà en elle le tiers diviseur qui rend impossible son admission dans le Royaume de mille ans.

h. — Psyché aux sources du Jourdain : Le dieu Pan lui promet quelle n'épousera pas Barabbas

Comment la malheureuse Psyché découvre en son mystérieux époux l'Amour lui-même, quelle honte elle éprouve d'avoir tramé sa mort, la goutte d'huile bouillante qui, tombant de la lampe sur l'épaule du dieu, le fait fuir, le désespoir de l'épouse terrestre lorsqu'elle le voit s'envoler bien loin d'elle, ce sont choses poétiques étrangères à mon sujet. Je me borne à signaler le geste de détresse par lequel elle essaye de le retenir : c'est par la jambe droite qu'elle le saisit[85]. Des explications qu'il fournit une seule me touche : s'il a désobéi à sa mère en s'unissant à une simple mortelle, c'est par charité, pour empêcher une vierge, et romaine, d'épouser le dernier des misérables, comme l'eussent voulu ses sœurs, en cela complices de la vengeance de Vénus.

Menacée d'un hymen pire que tout, si les dieux ne viennent point à son secours, la pauvre Psyché va se jeter dans un fleuve ; mais celui-ci, pour honorer le Dieu qui a coutume d'enflammer les eaux mêmes[86], la repousse doucement sur le rivage.

Dans un délicieux tableau littéraire, traduction de la fresque qu'il avait vue à la Villa d'Hadrien, peut-être même en nature, Apulée se transporte aux sources du Jourdain, près de Césarée Panéas, où était célébré le culte de Pan.

Là, le Dieu-capricorne apparaît à Psyché, assis au milieu de ses chèvres. Il a vu et entendu bien des choses depuis que, dans le voisinage du temple dédié à la Bête dont le nom est un nombre, Juda bar-Juda Panthora s'est baptisé et proclamé Barabbas ! Mais qu'elle se rassure, Psyché ne sera pas mariée à un pareil scélérat !

i. — Punition de ses deux sœurs

Consolée, Psyché va confier son secret à l'une de ses sœurs, femme d'un roi qui régnait sur la ville voisine. Elle lui raconte qui elle a trouvé dans son lit : Cupidon, au lieu du Serpent. Il a fui ; et ce qui, dit-elle, ajoute à sa peine, c'est qu'en se retirant, il a prétendu s'être amouraché de la sœur à qui elle parle. Autant en raconte-t-elle à son autre sœur. Voilà ces méchantes femmes qui tour à tour s'enflamment d'un désir adultère, quittent leur mari sous un prétexte, et se dirigent vers le palais abandonné par Psyché ; mais elles y trouvent successivement la mort leurs entrailles servent de pâture aux bêtes et aux oiseaux de proie.

j. — Épreuves de Psyché avant son envoi aux Enfers par ordre de Vénus

Les choses en sont là, lorsque Vénus, au fond de la mer où elle se baigne, en Tatar qu'elle est[87], apprend la blessure faite à son fils et la maladie qui s'en suit. Cette Psyché ! Pourquoi Cupidon ne l'a-t-il pas laissé se souiller par l'ignoble passion qu'il devait lui inspirer pour Barabbas ? Le voilà bien avancé ! Mais il sera puni par la continence, et, dernier mot de l'expiation, ses cheveux d'or tomberont sous le fer[88]. Tel est le courroux de Vénus que tous les beaux raisonnements de Cérès et de Junon ne peuvent l'apaiser. Quant à Psyché, qu'elle la rencontre ! elle la fera périr du dernier supplice : la croix, sans doute !

Cependant Psyché ne cesse de courir après son époux, et Cérès ne veut pas qu'elle meure. La moisson de 888 est faite, les faux sont encore sur la place, la terre ne sera pas moissonnée en 889. C'est Psyché qui, cette fois encore, sépare l'orge du blé. Par les mystères secrets des corbeilles, ces douze corbeilles que Barabbas enfant propose à la bénédiction de Jésus dans Cérinthe[89], elle implore la protection de Cérès, elle lui demande la permission de se cacher sous l'amas des épis, jusqu'à ce que le courroux de Vénus soit calmé. Cérès ne la livre pas, mais elle l'éloigne pour ne pas être désagréable à une autre déesse, et quelle !

Psyché arrive ainsi près d'un temple dédié à Junon, protectrice des femmes enceintes qui sont en danger. Quoique émue de compassion, Junon, par la même raison que Cérès, refuse de la prendre sous son égide. Que faire ? sinon se livrer d'elle-même à la déesse dont elle a encouru la colère. C'est sa seule chance de revoir l'époux qui s'est enfui. Peut-être même que, fléchie par ses malheurs, Vénus lui fera grâce d'un hideux mariage avec un homme jadis condamné pour crimes publics. Et puis à quoi bon tarder ? Ne sait-elle pas que Vénus a chargé son frère Mercure, sans qui elle ne fait jamais rien[90], de la rechercher parmi toutes les nations et de l'amener à comparaître ? Il attend le résultat à Rome même, derrière les Pyramides Murtiennes.

Cependant voici Psyché devant Vénus, la bru mortelle devant la belle-mère éternelle. Quelle avanie ! Quelles tristesses et quelles inquiétudes ! Elle apprend du même coup qu'elle ne verra pas son Époux céleste, et que le futur petit-fils de Vénus, s'il naît, ne sera pas reconnu. Passons sur la pénitence que la déesse lui inflige avant de l'envoyer aux Enfers, et arrivons à cette épreuve, d'où elle rapporte au moins une certitude heureuse : celle de ne pouvoir être conjointe avec le Juif scélérat que, par respect pour les dieux, personne n'a encore osé nommer ! Il est mort, et Psyché va s'assurer qu'il ne reviendra pas.

k. Spectacle consolant pour Psyché : elle voit Barabbas errant avec l'âne de Juda sur les bords du Styx

Depuis Énée, le pater Œneas, aucun mortel n'est allé vivant aux Enfers, aucun mort n'en est revenu[91]. Mais grâce à l'Aigle Antinoos, signe d'Hadrien, qui la portera sur ses ailes, Psyché pourra s'approcher des enfers sans mourir ; et elle en pourra revenir, grâce à une commission de Vénus pour Proserpine. Sur son chemin elle rencontrera un âne, et à côté de lui le Maître de l'Âne, le Rabbi onou du Mahazeh[92], tous deux boitant (de la jambe droite), tous deux chargés de bois, l'un du bois des corvées, l'autre du bois de ses baguettes[93] : ils ont été précipités dans l'abîme avant l'accomplissement de leur triste Évangile. Qu'ils y restent ! Voyant Psyché, l'Anier la suppliera de lui tendre quelques baguettes tombées de la charge de l'âne. Qu'elle passe sans répondre !

Cet Anier erre depuis cent ans sur ces affreux rivages, et Charon le considère comme ayant été abandonné sans sépulture, tout au moins privé d'une sépulture honorable. Ceux de cette sorte, la Sibylle révéla jadis à Œnéas qu'il n'est point permis de les transporter sur l'autre bord avant qu'un tombeau ait reçu leurs ossements. Privées de ce dernier honneur, les ombres errent et voltigent pendant cent ans sur ces rives. L'ont-elles enfin reçu, elles sont admises dans la barque.

Les cent ans de l'Anier sont écoulés. Aussi s'est-il précipité dans l'eau pour monter dans la barque, cette barque qui ressemble si peu à l'arche glorieuse, dont son père et lui étaient dits les Charpentiers par les évangélistes. Mais Charon n'a pas voulu le prendre. Psyché le verra flottant à la surface des eaux du Styx ; il lui tendra ses mains crucifiées[94], il la suppliera de le hisser dans la barque[95].

Riche comme il l'était, il doit avoir l'obole exigée pour le passage. Psyché a de quoi lui payer ce passage, puisqu'elle a deux oboles, mais qu'elle laisse ce méchant goûter la corruption (comme on dit dans les Psaumes dont les évangélistes font état), qu'elle ne fasse rien pour celui qui avait au cœur la haine du genre humain ![96] Aucune pitié pour celui-là, il n'avait point d'âme et point d'intelligence !

Et c'est justement qu'il a été condamné. S'il avait été faussement accusé, et qu'il eût péri victime d'un jugement inique[97], il serait depuis cent ans sur l'autre rive, avec les enfants qu'une mort innocente a ravis à leurs parents ; d'autres criminels ont été admis aux épreuves de l'expiation, parce qu'ils n'étaient pas entièrement mauvais ; un jour ils pourront revenir dans un autre corps[98]. Mais lui ! Il ne reviendra jamais ! en aucune pâque ! en aucune année sabbatique ! en aucun jubilé ! Il ne reviendra même pas après les mille ans des Poissons Sa peine est précisément d'être condamné à ne revenir jamais Que la pauvre Psyché se rassure, il ne sera jamais son époux, ni celui de personne !

Elle rencontrera de vieilles femmes occupées à tisser de la toile, qui lui demanderont de leur prêter les mains. Qu'elle s'en garde bien ! Car elles ne sont point trois, comme les Parques, et ne filent pas équitablement le destin des hommes. Ce sont de vieilles folles qui travaillent à une tente, celle de David, qu'elles voudraient planter sur la terre enjuivée pour servir de demeure à leur Barabbas. Ainsi faisait, récemment encore, la femme de Rabbi Akiba[99]. Que Psyché refuse de toucher à leur ouvrage, et qu'elle garde ses gâteaux pour le Chien !

Elle obéit.

Elle aurait pu avoir du pain millénaire, il n'en manque pas à la table de Proserpine. Modeste dans ses goûts, elle ne voudra que du pain quotidien, du pain de l'annone.

l. — Les noces de Psyché avec l'Amour : Quoique étrangers au peuple de Dieu, les goym continueront à vivre

Revenue à la lumière du jour, après bien des épreuves, elle est sauvée par l'Amour. Jupiter obtient que Vénus l'accepte pour bru, et consente à devenir grand-mère de l'enfant conçu par la Vierge romaine en cette année proto-jubilaire. Cet enfant ne mourra pas, surtout en croix, car Jupiter ordonne à Mercure d'enlever Psyché, et de l'amener au ciel pour l'unir à l'Amour en légitime mariage.

Ainsi Psyché est véritablement Vierge-Mère, on ne lui connaît pas d'homme, comme à Salomé ; l'enfant conçu en elle est immortel par destination, c'est la Volupté naturelle, l'Attraction innée, qui perpétue les générations. Quant à Vénus, Jupiter se charge de lui faire accepter le double rôle de belle-mère et de grand-mère. Le mythe finit sur ces Noces[100], dans lesquelles on ne voit pas de fils épouser sa Mère par le décret de son Père, comme Barabbas épousant la Vierge.

En mettant cette parabole dans la bouche de la Gamaléenne, Apulée avait son plan : devant le centenaire de son avortement messianique, la vieille magicienne, la fille d'Abraham et de David, est obligée d'avouer que, loin d'être encore sur la terre, comme le prétend le Mahazeh de Cérinthe, son fils erre sous la terre depuis cent ans, repoussé par Charon et renvoyé au jugement des hommes par les divinités infernales elles-mêmes !

 

IX. — L'ANE DE JUDA SOUMIS A LA VIERGE LATINE.

a. — Suicide de la Reine-mère des voleurs. Vengeance rêvée par la bande de ses sectateurs contre la Vierge latine

A bon entendeur salut ! L'âne, en qui veille un goy, et Charite, la vierge latine, n'ont pas perdu un mot de la claire parabole. C'est à eux deux qu'elle s'adresse. A peine est-elle terminée, que Lucius avise au moyen de sauver Charite. De son côté, celle-ci s'empare de la courroie, et délie l'âne, qui lui prête son dos ; mais les brigands les empêchent de s'enfuir. Quant à la vieille Reine-mère des voleurs, elle se pend, considérant que de toute manière sa fin était venue.

Pendant le repas que cette vieille leur avait préparé, les brigands délibèrent sur ce qu'ils feront de Charite et de l'âne boiteux de la jambe droite. Brûleront-ils vive cette latine ? La livreront-ils aux bêtes ? La mettront-ils en croix ? La mutileront-ils dans les tortures ? Non, ils lui feront ce que, mus par un zèle vengeur, les Juifs évangélisés ont fait sous Trajan, et peut-être sous Hadrien, à tant de jeunes filles grecques et romaines. Ils tueront l'âne gréco-latin, ils le videront, dans sa peau ils coudront celle qu'il nous a préférée, disent-ils (à nous, sectateurs de la Gamaléenne). Et exposée en cet état, ils la laisseront mourir de faim.

b. — Une fresque allégorique de la villa d'Hadrien : la Vierge latine sauvée par le signe asinaire du Messie.

Mais il n'en va pas comme ils l'espèrent. Car le fiancé de Charite, Tlépolémos (Fin de guerre), s'engage parmi eux, sous un déguisement à la Barabbas[101], pour la leur reprendre. Déjà l'âne est délivré des mains de la sorcière ; lorsqu'à son tour Charite se voit délivrée par l'âne, elle se promet de faire peindre ce miracle dans le vestibule de son palais avec cette inscription : La Vierge royale fuyant de captivité sur un âne. Car c'est un miracle, elle le dit elle-même, et dorénavant on pourra croire que Phryxus traversa la mer sur un bélier, Arion sur un dauphin, Europe sur un taureau. Étant donné que le signe du triomphe pour un général romain est le cheval blanc, c'est un miracle inouï qu'une vierge latine soit sauvée par le signe de Barabbas et de Bar-kochev ; c'est même le comble de tous les miracles[102]. Et lorsque Tlépolémos ramène Charite à sa famille, tous s'écrient qu'on n'avait jamais vu pareille vierge sur un dos d'âne évangélisé. C'est une joie universelle, à laquelle l'âne lui-même s'associe par un braire vigoureux, ne voulant pas être pris pour un âne juif. On arrête les brigands, on les exécute, on tire de leur caverne tout l'or qu'ils y avaient accumulé, on le verse au trésor public, et on met juridiquement Tlépolémos en possession de son épouse reconquise.

On oublie de dire qu'une fois reconquise, elle a nom Ælia Capitolina. Le jour même des noces, la jeune mariée appelle l'âne son Sauveur, (son Ieschoua, eût dit un rabbin barabbalâtre) ; elle lui fait donner plus de foin qu'il n'en suffirait à un chameau[103]. Mais, ce jour-là, comme il aurait préféré avoir été métamorphosé en Chien par le chrisme d'Hébrœa ! Tout ce qu'il y a de meilleur est pour cette sorte d'animaux, c'est une vraie Cène, une vraie pâque pour chiens, les chiens de Panthera.

c. — Précautions prises pour que l'âne, monture évangélique de Barabbas, ne puisse plus se reproduire

Le lendemain, les parents et les amis de l'épousée, l'épousée même, agitent la question de savoir ce qu'on fera de l'âne sauveur. On veut bien le dispenser de porter des charges, on décide même de le rendre à ses luxurieux plaisirs, mais ce sera avec les cavales, de manière qu'il s'éteigne dans son produit : le mulet. C'est le contraire de ce qui arrive, dans un Évangile de l'Enfance, au mulet égyptien que le petit Barabbas, étant en Egypte avec son père et sa mère, ramène à l'état de jeune homme en le montant.

Il est remis à un gardien de troupeau, dont la femme s'appelle Mégapole (Grande ville)[104], par opposition à Jérusalem, qui n'est Mégapole que dans l'Apocalypse. Mais peu de temps après meurent tragiquement Tlépolémos et Charite[105].

 

X. — DERNIÈRES ÉPREUVES DE LUCIUS.

a. — Les inconvénients d'être pris pour l'âne juif

N'entrons pas dans le détail des mésaventures de l'âne après sa domestication. Pris pour l'âne juif, il retombe dans le plus affreux esclavage. Chargé de porter du bois, comme pour un charpentier, on le remet à un petit garçon qui, le frappant surtout à la cuisse droite, finit par lui faire à cette place un fossé, une fenêtre même[106], et ne cesse pas une seule minute de frapper cette fenêtre toujours saignante. C'est là le moindre des tours que cet enfant lui inflige. Il va jusqu'à l'envelopper d'étoupes auxquelles il met le feu avec un charbon allumé, et il ose ensuite l'accuser de s'être enflammé lui-même (baptisé de feu) en se frottant à des charbons ardents. Il dénonce les excès nicolaïtes auxquels se livre cet âne, et qui aboutissent à des procès épouvantables : il veut qu'un tel époux, et de tant de femmes, soit mis à mort et donné aux chiens. Il s'apprête à le châtrer, mais bientôt il périt lui-même, coupé en mille morceaux : des gens mystérieux (Juifs) se sont vengés du mal qu'ils l'ont vu faire à l'âne, et c'est encore le pauvre Lucius qu'on accuse d'avoir facilité ce forfait. On recherche les morceaux de l'enfant divisé, et on l'enterre, quand on a retrouvé le corps en son entier, de manière qu'il puisse reconnaître ses assassins, s'il y a une résurrection, et les faire condamner à la seconde mort par les dieux.

L'âne vient ensuite à Bérée de Macédoine[107], où Jason prêcha autrefois l'Évangile. Mais renvoyons le lecteur aux paraboles anti-barabbalâtriques dont nous lui avons donné l'explication ailleurs[108], et hâtons-nous vers la fin.

b. — Mariage, mort et résurrection de l'âne qu'était devenu Lucius

Comme conséquence de sa métamorphose, et en punition de sa curiosité, Lucius est exposé à se conjoindre — un en deux, deux en un — avec une adoratrice de Barabbas, une Scilitaine[109], condamnée aux bêtes pour ses crimes, et l'amphithéâtre est préparé pour cela. Il est certain que cette scène fantastique ne finissait pas, comme aujourd'hui, en queue de poisson ou plutôt d'âne. Lucius était mis à mort avec sa compagne, car nous voyons plus loin que ses amis, ses domestiques, ses proches parents, ayant connu sa fin, prennent le deuil. Il allait en enfer comme la Scilitaine, il y voyait Barabbas et son âne dans la situation où Psyché es a vus. Mais, jugé plus précieux dans l'ordre animal que sa scélérate épouse, il ressuscitait, non comme le Juif de rapport, pour propager ses erreurs et masquer sa conduite dans la vie, mais au contraire pour faire amende honorable et complète. Revenu des Enfers, et rendu à la forme humaine par la grâce d'Isis, ceux qui l'avaient connu et aimé avant sa métamorphose viendront s'assurer de sa résurrection et lui apporter les choses nécessaires à la vie.

 

XI. — CÉLÉBRATION DE LA TROISIÈME FAILLITE DE BARABBAS.

a. — La pâque jubilaire des goym en 889

Dans le Jubilé des mystères d'Isis à Kenchrées est la moralité de cette longue série de paraboles. Il se développe selon l'Apocalypse d'Antinoos (Hadrien), agrémentée de détails imaginaires, groupés en vue de la démonstration. C'est une façon de Jeux séculaires, par lesquels les Corinthiens célèbrent la faillite de Bar-kochev, succédant à celle de Barabbas. La pleine lune d'avril est venue encore une fois, le soleil passe des Poissons dans le Bélier, et Barabbas n'est point revenu comme un voleur, dans la nuit, pour donner la terre aux Juifs. Le signe de leur triomphe n'a valu à Lucius que des malheurs. Pour se purifier, sept fois il plonge sa tête dans la mer, parce que selon Pythagore le nombre sept a sa signification religieuse. L'homme qui est en lui invoque la divinité, la suppliant de lui rendre la forme qu'un grossier appétit des richesses millénaires et un chrisme impie lui ont fait perdre[110] : il se contentera désormais de ce que la Nature offre à tous les humains.

A sa voix, la Nature elle-même apparaît, disant : Le jour qui va naître de cette nuit fut, de temps immémorial, consacré à mon culte ; (la pâque juive n'est qu'une forme de cette pâque universelle). Ce jour-là les prêtres d'Isis me consacrent un vaisseau tout neuf, comme pour placer le commerce maritime sous mes auspices : — c'est l'Arche de l'alliance, non pas avec les Juifs, mais avec tous les hommes, et l'Antinoos Hadrien est l'interprète de ce mythe. Sous la figure du Grand-Prêtre, lors du lancement, il tiendra des roses à la main. Que Lucius s'approche de lui, et à l'instant même, lui dit la déesse, tu seras dépouillé du cuir de ce détestable animal qui m'est odieux depuis longtemps : (depuis que les Juifs en ont fait le signe de leur triomphe).

b. — Barabbas courant après son âne

La cérémonie commence par une procession où chacun vient présenter ses vœux à la déesse : soldats, chasseurs, amoureux, gladiateurs, magistrats, philosophes, oiseleurs[111], pêcheurs. Mais le clou, c'est une mascarade : en guise de Pégase, un âne sur le dos duquel on a collé des plumes, et que suit, en guise de Bellérophon, un vieillard cassé, comme doit l'être un homme de cent cinquante ans. Pour saisir le comique de ce groupe, il faut se figurer le vieillard tenant un message à la main. Car Barabbas (c'est lui) joue le rôle de Bellérophon, qui avait été chargé de porter des tablettes sur lesquelles était gravée en signes mystérieux sa condamnation à mort. Tel l'Envoyé du Dieu des Juifs, le Siloé, porteur de l'Even-guilayon que terminait le thav, figure de la croix dont, à son insu, il devait mourir. Moins heureux que Bellérophon, qui put monter Pégase et tuer à temps la Chimère, Barabbas a été crucifié par la Bête avant de pouvoir enfourcher le Tharthak. Et c'est précisément de cette déconvenue que s'amusent tous les spectateurs[112].

Cette mascarade rappelle par l'intention celle que les Alexandrins dédièrent en 788 au Roi du monde. Au fond, c'est le troisième jubilé de la faillite de l'Évangile éternel que célèbrent les Corinthiens venus à Kenchrées.

c. — La main de la Justice divine

Derrière la statue de la déesse, une foule nombreuse de l'un et l'autre sexe s'avance, qui, résignée à ne pas connaître l'un en deux, deux en un, et heureuse d'avoir échappé aux ténèbres éternelles, porte des lanternes, des torches, des bougies et autres espèces de lumières, pour se rendre propice la Maîtresse des astres qui sont restés attachés au firmament. Les initiés ont la tête rase, comme Rabbi Akiba, mais c'est pour offrir un miroir au corps solaire. Les prêtres portent les symboles de divinités puissantes : l'un élève en l'air celui de la Justice, figurée par un bras gauche dont la main est ouverte : et si l'on a choisi le gauche, c'est que, par sa paresse naturelle à dérober et à frapper, il paraît plus apte que le droit à faire justice. C'est la main de l'Occident, celle qui a frappé Barabbas en 789, puis Bar-kochev, et avec eux le Royaume universel des Juifs. Un van d'or est porté, celui de Bacchus, et non celui que Barabbas désirait tenir de la main droite après avoir moissonné la terre.

Un vase d'or est aussi porté, qui n'est pas le sixième vase de Kana, et qui n'est point à l'usage des Juifs seuls[113]. Pour la circonstance, le Chien, sous les traits d'Anubis, est remonté de l'abîme où Barabbas prétendait l'attacher pour mille ans. Pas plus en 889 qu'en 789 il ne répand la sécheresse et la rage parmi les nations. Il se promène sur la terre, il continue à être l'intermédiaire solsticial entre le ciel et l'enfer ; de la main gauche, il tient une croix qui n'a rien de patibulaire[114] ; de la main droite, un rameau verdoyant.

d. — Lucius rendu à la forme d'un homme sain de corps et d'esprit

Le Grand-prêtre qui va régénérer Lucius s'appelle Mithras : dans ce nom il y a Mithra, soleil des Perses, et Miçraïm, nom de l'Égypte dans l'Apocalypse originale[115]. Il apporte une couronne, la couronne du martyre, et bien due au malheureux gréco-latin, victime du prétendu chrisme des Juifs. Mais la couronne est de roses, et c'est la fleur de Cythère, la fleur de Vénus. D'une dent avide le pauvre Lucius la saisit, la dévore, le voilà redevenu homme ! Tel Barabbas au sortir du prétoire, il est tout nu. Quel Jésus lui prêtera sa robe de lin blanc ? Sur le signal de Mithras, un des prêtres ôte sa robe de dessus et l'en enveloppe. Après quoi Mithras lui tient ce discours :

Ni votre naissance, ni votre haute position sociale, ni cette instruction même qui vous distingue, ne vous ont été de la moindre utilité[116]. Vous aviez suivi les penchants d'une ardente jeunesse, vous vous étiez abaissé à des voluptés indignes d'un homme libre, et vous avez payé cher une curiosité fatale. Ces brigands, ces bêtes auxquelles vous avez été exposé, cet esclavage, cette contrariété de chemins âpres, impraticables, ces dangers de mort, cette poursuite de l'aveugle Fortune, qu'en avez-vous tiré ? Rien. Vous voilà recueilli par la Fortune, mais celle qui a des yeux et qui éclaire les autres dieux de la splendeur de sa lumière. Prenez désormais un visage plus joyeux et qui réponde à la blanche robe dont vous êtes revêtu, et accompagnez d'un pas fier la déesse qui vous a sauvé. Que les impies voient ! Qu'ils voient, et qu'ils reconnaissent leur erreur ! Qu'ils reconnaissent que la Nature n'est point à la merci d'un Juif condamné par ses compatriotes pour crimes publics, et dont Pilatus s'est trouvé l'exécuteur sans aucune préméditation !

Quant à Lucius, chacun se félicite de le revoir dépouillé de sa peau d'âne, il peut désormais être initié aux mystères d'Isis. Il pourrait même s'embarquer sur la nouvelle arche Anti-Noé, que le grand-prêtre va dédier à la déesse, et qui va partir de Kenchrées pour Ostie, avec son mât fait d'un seul pin, sa voile blanche, et sa poupe où étincelle l'oie d'or de la Juno Moneta[117], l'oie qui sauva le Capitole[118].

e. — L'Alphabet d'Hadrien Antinoos opposé à celui de Barabbas

Le vaisseau lancé, la foule retourne au temple où se tient devant la porte celui que tous disaient être le Grammatiste. Ayant assemblé les prêtres en conseil, et mu comme par une inspiration céleste, ouvrant le livre sacré, il tira de chaque lettre des vœux de bonheur pour le grand empereur[119], le Sénat, les chevaliers, tout le peuple romain, pour la navigation, pour tous ceux qui sont sur la mer, pour la prospérité de ce qui compose généralement notre empire, et renvoya tout le monde, en disant selon l'usage : Que les peuples se retirent ![120] Leurs vœux sont agréés.

f. — Lucius renseigné, par son initiation aux mystères d'Isis, sur la provenance de la kabbale évangélique : Les douze robes du cycle solaire

Les clefs de l'Enfer, aussi bien que celles du salut, ne sont nullement dans les mains de Barabbas, qui depuis cent ans est dans l'abîme où nous l'avons vu, avec son âne, sans que Caron veuille passer cet exécrable charpentier. Ces clefs sont entre les mains d'Isis, et les vieux livres de Thoth, dans leurs hiéroglyphes mystérieux, contiennent la science que les Juifs, par l'organe de Barabbas, présentent arrogamment comme écrite à leur unique profit.

L'initiation permet à Lucius de jouir d'une Apocalypse beaucoup plus complète que celle de Barabbas. Car celui-ci n'a même pas pu voir le bout de son nez, et quant aux enfers il n'en connaît que la première zone, Caron ayant refusé de le mener plus loin, tandis que Lucius a foulé du pied le seuil de Proserpine, vu tous les dieux de l'enfer et tous ceux du ciel, ce qui semble être une vision des antipodes. Il en est revenu couvert de douze robes, empruntées aux douze stations du soleil, et qui, sans être quarante-neuf fois plus éclatantes l'une que l'autre, comme les sept robes destinées à Barabbas par son Père[121], ont l'avantage d'être conformes au règlement du vrai Dieu sur la marche des saisons.

Le lendemain même de son initiation, tous les objets qu'il avait laissés en Thessalie, avant d'essayer le chrisme d'Hébrœa, lui sont rapportés par un serviteur que Mithras dit devoir se nommer Le Blanc, et en effet il s'agit de son cheval. Ce sont des prophéties de ce calibre qui se réalisent en Barabbas, camouflé sous la robe blanche de Jésus.

 

XII. — LA VRAIE VILLE SAINTE : ROME, LE VRAI GRAND PONTIFE : ANTINOOS HADRIEN.

Après avoir pris congé de Mithras, son père spirituel, Lucius s'embarque pour Rome, la Cité Sainte, celle que notre Rutilius appelle mère des hommes, dans le sens de citoyens. Il y arrive la veille des ides de décembre, jour de l'entrée dans le Capricorne augustal. Le solstice venu, Isis lui apparaît de nouveau. Elle n'a pas de peine à lui faire entendre que l'épiphanie de Barabbas, le 6 de thébet (janvier), ne saurait se substituer sans ridicule à la Nativité solaire, ces Natalitia qui sont un des fondements de la religion révélée à tous. Elle l'engage à se faire initier à Osiris, le Père et l'Époux véritables.

Une troisième initiation, à Sérapis celle-là, le met sous l'empire de la Trinité égyptienne, laquelle ne réserve pas la moindre place à un Juif condamné pour crimes publics ; Lucius aura désormais les cheveux ras d'un prêtre égyptien, par quoi il évitera l'ennui qui advint plus tard à Apulée pour porter les siens extrêmement longs[122] : celui d'être dénoncé comme un candidat à la Royauté universelle.

Dans le dispositif original d'Apulée, c'est indubitablement Hadrien, très attaché à ses prérogatives pontificales, qui initiait Lucius à Osiris et à Sérapis. Apulée le nommait sans doute Antinoos : en tout cas, il le désigne suffisamment par la légère claudication de la jambe droite, qui lui venait d'un accident de chasse.

Dans le texte actuel, c'est un certain Asinius Marcellus qui est l'hiérophante, et ce nom, fait-on dire à Lucius, contraste avec mon retour à la forme humaine.

A cet endroit, l'arrangeur ecclésiastique de l'Ane d'or glisse une phrase où il identifie catégoriquement Lucius avec Apulée. De cette manière, on peut accuser celui-ci d'avoir été le héros de son livre, et par conséquent un magicien, dont les païens de son temps, avec leur impiété coutumière, avaient comparé les prodiges aux miracles (combien authentiques !) de Jésus-Christ. On fait dire nettement à Lucius qu'il est de Madaure, ville natale d'Apulée, et Asinius Marcellus lui promet la gloire qu'Apulée s'est acquise au barreau.

 

XIII. — LE PRÉTENDU TESTAMENT DE BARABBAS ET LE DROIT ROMAIN.

a. — Les Juifs qui fabriquent et répandent ce faux sont passibles des mêmes peines que les citoyens romains reconnus faussaires

Il est bien vrai qu'Apulée introduisait Asinius Marcellus dans la conclusion de l'Âne d'or, mais nullement au titre d'hiérophante des mystères égyptiens.

Ce nom n'était pas jeté là uniquement polir amorcer un jeu de mots facile. Asinius Marcellus était mort depuis bien longtemps, et voici pourquoi Apulée évoquait son ombre. Asinius Marcellus est le petit-fils du fameux Asinius Pollion, à qui Virgile dédie sa prophétie sur le fils de la Vierge latine. Et cet Asinius est lui-même célèbre pour avoir été mêlé sous Néron à l'affaire de faux et d'usage de faux la plus retentissante de toute l'histoire romaine : la fabrication du testament de Domitius Balbus, ancien préteur et démesurément riche, par un de ses neveux, avec la complicité de sept personnes. Car, selon la loi, les testaments devaient être signés de sept témoins pour être valables. De tous ces faux témoins, le plus considérable par la naissance était Asinius Marcellus, qui, dit Tacite, tenait la pauvreté pour le plus grand de tous les maux : en quoi il ressemblait fort à Barabbas.

Ils ne s'étaient pas bornés à fabriquer un testament aussi faux que le Nouveau Testament du canon.

La connaissance de leur crime étant réservée au préfet de la ville, comme ils prévoyaient une condamnation, ils trouvèrent dans l'avocat Ponticus un compère qui, par une dénonciation concertée avec eux, fit évoquer le procès devant le préteur, dont ils attendaient un acquittement. Mais leur ruse fut éventée, et ils ne purent éluder le jugement du préfet. Ponticus, de son côté, fut convaincu de prévarication.

Un Sénatus-consulte fut même rendu à ce propos, frappant les avocats prévaricateurs et les particuliers qui les auraient poussés à mal faire. Il les condamnait à la même peine que les calomniateurs : le bannissement[123].

Or, en ce qui le concerne, Barabbas est dans la même situation que Balbus : il n'a pas testé en faveur de Bar-kochev, son neveu ; il est mort intestat.

Les sept témoins dont on l'entoure dans le Mahazeh de Cérinthe, et qui sont ses frères et lui-même, sont sept faux témoins, à qui devrait être appliquée la loi de Sylla contre les faussaires[124]. Et quant à Maître Jésus, que fait-il dans ce Mahazeh dont sont issus tous les autres ? Exactement ce que fit Maître Ponticus. Lorsqu'il représente Barabbas devant Pilatus, en fonction de préteur, il compte bien le soustraire à la honte d'avoir été condamné par le président du sanhédrin.

Mieux que cela, raffinant sur Ponticus, ce compère de Barabbas se montre un calomniateur cynique En se faisant passer pour le crucifié réel, il charge Pilatus d'une double honte : celle d'avoir relâché un coupable et exécuté un innocent. Il encourt donc la même peine que Ponticus dans le procès des sept témoins du faux testament de Balbus ; il tombe sous le coup du Sénatus-consulte de 814, qui est entré dans le droit[125] : il doit être banni de tout l'Empire.

L'œuvre des rabbins qui fabriquent et répandent ces faux, dont gémit toute la terre, est justiciable de la loi pénale. On les poursuivrait s'ils étaient citoyens romains ; ils bénéficient d'une impunité scandaleuse[126].

 

 

 


[1] Cf. Le Mensonge Chrétien, petite édition, p. 256.

[2] Cf. Le Mensonge Chrétien, pet. éd., p. 261.

[3] La Luciade ou L'Ane d'or, qu'on a placée dans Lucien, n'est qu'une réduction en grec de l'ouvrage latin d'Apulée. Je m'étonne qu'un écrivain comme Paul-Louis Courier ne s'en soit pas aperçu, et qu'e même il ait soutenu le contraire. La réduction en grec a été faite par un homme d'Église : il n'y a rien laissé de ce qui dans le latin pouvait compromettre le Juif de rapport. Il a changé ou volontairement omis les noms de presque tous les personnages, supprimé tout le prologue et tous les préparatifs de la pâque piscale : après quoi, il a fait tout ce qu'il a pu pour qu'Apulée eût l'air de s'être mis lui-même en scène sous le nom de Lucius. Il s'associe par là à l'effort que l'Église déploie dans le même but, sous le nom d'Augustin (Cité de Dieu). Spéculant sur ce fait qu'Apulée avait un frère, il met ceci dans la bouche de Lucius : Mon nom à moi est Lucius, et celui de mon frère Caïus ; et nous avons de commun le surnom (Apuleius). J'ai écrit des histoires, il a composé, lui, des vers élégiaques, étant avec cela bon devin, et nous sommes de Patras d'Achaïe. Avant la fin on voit même arriver ce frère, dont il n'est nullement question dans l'Ane d'or latin. La langue de la réduction grecque est toute chargée de tours et de locutions qui ne se trouvent que dans les Toledoth canoniques, les Actes des Apôtres et les Lettres de Paul. Courier, en helléniste consommé, n'a pu s'empêcher de le remarquer.

[4] Par une rencontre qui n'est point un effet du hasard, le manuscrit de l'Ane d'or, qui passe pour être le plus ancien, se trouve, à la Bibliothèque de Florence, sous la même couverture que le Tacite refait par l'Église. L'Ane d'or y est dit Métamorphoses, et à la fin du Xe livre on peut lire cette note : J'ai lu cela à Rome, moi, heureux Sallustius, et à Rome l'ai corrigé, Olibius (Olibrius) et Probinus étant consuls U. C. (Urbis Conditæ), lorsque j'ai soutenu la dispute contre l'orateur Endelechius (d'Endéléches, continuel). Je l'ai révisé de nouveau à Constantinople, Césario et Atticus étant consuls.

Il est reconnu que cette note est une fraude grossière, placée à la fin du volume, pour faire croire que le manuscrit tout entier (Tacite et Apulée), remonte à la fin du règne de Théodose (IVe siècle de l'E. C.). Mais il n'importe, puisque le faussaire avoue ici que le texte actuel des Métamorphoses est un texte refait.

[5] Cf. Le Mensonge Chrétien, petite édition, p. 273.

[6] Comme son fils dans l'horoscope de nativité selon Luc, où cet Orient d'en haut est venu pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et l'ombre de la mort. Cf. Le Mensonge Chrétien, petite édition, p. 324.

[7] Cité par Thomas Hyde, De Schachiludio et Nerdiludio.

[8] Animal consacré à Jupiter Ammon, lequel est condamné à mort avec les autres dieux de son espèce.

[9] De manière à les empêcher de réaliser l'un en deux, deux en un, lors de la reconjonction adamique. Mais vous verrez qu'elle-même est dans un état pire !

[10] Cf. l'adaptation grecque de l'Even-guilayon, connue sous le nom d'Apocalypse de Pathmos.

[11] Si tu avais de la foi, seulement gros comme un grain de sénevé, dit le revenant de Barabbas dans les Toledoth, tu dirais à cette montagne : Passe là ! et elle irait.

C'est par application de ce principe que l'Église a dit à la maison de Joseph et de Marie à Nazareth : Passe à Lorette ! et elle y est allée.

[12] Celui qui n'abandonne pas tout cela pour me suivre, n'est pas digne de moi, dit le revenant de Barabbas.

[13] Cf. Le Mensonge Chrétien, pet. édit. p. 551.

[14] La tradition est que Salomé eut une sœur, et ce passage lui donne quelque autorité.

[15] Cf. Le Mensonge chrétien, pet, édit., p. 461.

[16] Hipparque, dans la réduction grecque.

[17] Anonyme, dans la réduction grecque. Panphile, dans le latin actuel. C'était certainement Hébrœa, dont l'Église, dans le grec, a passé le nom au personnage contraire : l'incarnation d'Athènes-Rome. Appeler Panphile (Qui aime tout le monde), la courtière de la veuve de Panthora, c'est un tour de vieille guerre ecclésiastique.

[18] Fotis, dans le latin actuel. Palestra, dans le grec. L'Église ne pouvait laisser Phôtisma à côté d'Hébrœa, sans perdre tout le bénéfice de ses adultérations et de ses suppressions. Car Phôtisma veut dire Baptême, Phôtizô, baptiser, et Pleistèrion, baptistère, et ce sont les mots employés dans l'Église pour désigner la lumière, phôs, que le baptême de feu doit apporter à ceux qui ont reçu le baptême d'eau.

[19] Cf. Le Mensonge Chrétien, pet. édit., p. 273.

[20] Personne aujourd'hui n'est plus changé en porc, afin que la bataille d'où Barabbas sortit vainqueur sans combattre, grâce à la trahison des Bathanéens et à la conversion des Gaulois en pourceaux, demeure une énigme indéchiffrable. (Cf. Le Mensonge Chrétien, pet. édit., p. 428.)

[21] Il y a Byrrhène, et nous l'avons ainsi interprété dans Le Mensonge Chrétien, pet. édit. p. 276. Mais nous pensons qu'il faut lire Tyrrhène, image de l'Étrurie, mère de la kabbale sibylline, et connue, quinze siècles avant la naissance de Barabbas, par sa division en douze tribus de sang aryen. L'Ane y était honoré comme signe du triomphe des Italiotes sur les Hébreux : c'est ce triomphe que prédit Balaam descendu de son ânesse.

[22] Les cinq portiques de la fontaine du Siloé-lez-Jérusalem. (Cf. Le Mensonge Chrétien, pet. édit, p. 351.)

[23] C'est la ghéoul ah (vengeance) juive : œil pour œil, dent pour dent, pied pour pied, etc. Quelle peine prend Jésus dans le Sermon sur la montagne pour effacer cette horrible page de l'histoire des barabbalâtres Remarquez que dans le texte actuel ces prophètes de malheur n'empruntent plus rien aux croix, ni bois, ni clous : ceci pour éviter qu'on ne remonte à l'origine de leur infâme superstition et à celle de l'accusation portée ensuite contre Apulée (Cf. Le Mensonge Chrétien, pet. édit, p. 287) d'avoir eu du bois de la croix de Barabbas et un peu du suaire de ce scélérat.

[24] Témoin ce miracle, que l'Église elle-même a fabriqué et introduit dans un Évangile de l'Enfance, dû à son imagination, quoiqu'elle le présente maintenant comme apocryphe et d'un petit génie :

Un jour que le Seigneur Jésus était sorti sur la place publique, il aperçut des enfants qui étaient en train de jouer, il se mêla à leur troupe. Et, l'ayant vu, ils se cachèrent. Mais, se mettant à leur poursuite, le Seigneur Jésus arriva devant la porte de certaine maison et demanda aux femmes qui étaient là on quel endroit les enfants étaient allés. Et comme elles répondaient qu'il n'y avait personne, le Seigneur Jésus, reprenant, dit : Mais ceux lue vous voyez dans le four, qui sont-ils donc ? Elles répondirent que c'était des boucs de trois ans. Alors le Seigneur Jésus, élevant la voix, dit : Sortez de là, boues, et venez à votre Pasteur ! Et à l'instant, sortant de là, semblables à des boues, les enfants sautaient autour de lui. Ce qu'ayant vu, les femmes furent grandement étonnées, et elles furent saisies de frayeur et de tremblement. Elles se hâtèrent donc d'adorer Jésus, le suppliant et disant : Notre Seigneur Jésus, tu es vraiment le bon Pasteur d'Israël !Aie pitié de tes servantes qui se tiennent devant toi, certaines que tu n'es pas venu pour perdre, mais pour sauver ! Et le Seigneur Jésus ayant répondu que les fils d'Israël étaient parmi les nations comme des Ethiopiens, les femmes lui dirent : Toi, Seigneur, tu connais tout, et on ne te cache rien. Mais maintenant nous te prions, et nous attendons de ta miséricorde quo tu rendes ces enfants, tes serviteurs, à leur premier état. Alors le Seigneur Jésus dit : Venez, enfants, afin que nous allions jouer ! Et à l'instant, devant les femmes, les boucs furent changés et redevinrent enfants de Dieu comme auparavant.

Fabricius, Codex apocryphus Novi Testamenti, (Hambourg, 1719, in-12°, p. 201).

[25] Non plus en sept nattes, comme la Gamaléenne fit de ceux de son fils, le Nazir. Elle les lie simplement.

[26] On n'en convient plus dans le texte actuel, où Lucius est remplacé par un jeune Béotien qui ne sert qu'à égarer le lecteur.

[27] Tous les outils du Charpentier sont dans la maison : cognée, hache et doloire. Il en sera plus directement question tout à l'heure.

[28] Comme jadis chez la Parfumeuse de Gamala.

[29] Pour les goym seulement. Très déchiffrables pour des gens qui parlent l'hébreu, l'araméen surtout.

[30] Naufragés. Ces pièces ont fait leurs preuves, elles ont trahi la confiance des goym, conformément à l'Apocalypse de l'Évangile Éternel.

[31] Croix de Juifs barabbalâtres exécutés.

[32] D'enfants sacrifiés à Barabbas par leurs parents.

[33] On présente aujourd'hui ses actes comme une méprise, et on les explique en ajoutant qu'il était un peu lourd de vin. Vous verrez qu'Apulée n'avait rien dit de pareil.

[34] Il y avait un peu de cela chez Saül, mais si le capitaine des gardes insiste aujourd'hui sur son impartialité, n'est-ce pas, au contraire, parce que, dans le texte original, un serviteur de Lucius (une manière de Simon Pierre, mais innocent), lui avait coupé l'oreille droite ?

[35] Il n'est nullement donné comme ayant trop bu ; et lui-même, lorsqu'il répond à ce formidable réquisitoire, n'invoque en aucune façon cette explication.

[36] Comme les dépouilles d'Ananias expliquent son meurtre par Barabbas.

[37] Apocalypse, XI, 4.

[38] On le voit, les deux n'en font qu'une. Confirmation un peu plus loin.

[39] Barabbas, pour ceux qui croyaient à sa survie, était encore de ce monde à cent-dix ans : (le siècle, au compte sibyllin.)

[40] Maintenant qu'elle est au singulier, l'enfant qu'elle pleure est mis au pluriel. Il y a mes malheureux enfants, et il est bien vrai qu'elle en eut six autres. Mais elle n'en eut qu'un parmi les morts de ce jour-là ; et des trois voleurs tués par Lucius, c'est le seul qui l'intéresse.

[41] Dans le texte actuel Lucius trouve un prétexte pour ne pas retourner chez Tyrrhène : Voilà qu'un domestique de Tyrrhène entre en courant : Votre mère Tyrrhène, dit-il, vous prie de ne pas oublier l'approche du souper pour lequel vous vous êtes engagé hier soir. (Dans le texte actuel il ne reste aucune trace d'un tel engagement.) A ces mots je frissonnai, sentant pour la maison de Tyrrhène elle-même un éloignement qui tenait de l'horreur : Vous direz à votre maîtresse que je voudrais bien obéir à ses ordres, si je le pouvais sans manquer à une parole donnée ; mais mon hâte Milon m'a fait promettre, au nom de la divinité propice qu'on adore en ce jour, de lui rester fidèle pour ce repas ; il ne me quitte point et ne me permet pas de m'écarter : il faut donc remettre la partie à une autre fois.

Et la partie en question n'a jamais lieu, de sorte que Lucius quitte la ville sans avoir rendu le moindre devoir de politesse à sa mère.

[42] Il descend de Thésée. Mais descendit-il de David, il eût été crucifié, s'il eût été reconnu coupable de meurtre, comme Barabbas.

[43] Lucius sait cela mieux qu'eux, Tyrrhène le lui a dit la veille, avec plus de détails. C'est encore une preuve des interversions et des changements de toute nature que l'Église a introduits dans le plan et dans le texte d'Apulée.

[44] Je crois bien qu'Hypate est une ville imaginaire. Mais que ce soit ou non un lieu géographique, il est absolument certain qu'on ne célébrait pas la fondation d'une ville par des inventions d'un travail aussi macabre. Solin, qui parle des principales villes de Thessalie, n'y mentionne point d'Hypate. Afin de donner quelque réalité à cette ville et de faire croire qu'on la consacrait au dieu du Rire par des mascarades funèbres, l'Église a interpolé Pausanias pour lui faire dire que les habitants d'Hypate avaient en effet l'habitude de s'amuser ainsi. Cette habitude serait bien spéciale, et de plus tellement ennuyeuse, même pour dos carabins, qu'elle aurait eu vraiment peu de chances de devenir périodique. Ce n'est pas la fondation d'Hypate qu'on commémore en ce jour, c'est son salut par la faillite du scélérat crucifié au Guol-golta.

[45] Du moins tant qu'il conservera la forme humaine.

[46] Qui surveille la fin. Il y a Téléphron dans le latin : corruption évidente.

[47] Où sont les lares (lar, laris) de la veuve qui a fait disparaître son fils.

[48] C'est la scène de la Gamaléenne avec Jésus au Guol-golta dans le Mahazeh de Cérinthe, à propos de l'enlèvement de Barabbas : Si tu l'as enlevé, dis-moi où tu l'as mis et je l'enlèverai. Les vieilles barabbalâtres de Thessalie ne voulaient pas avouer que c'est l'harammathas, un goy samaritain, qui a enlevé le corps du Juif de rapport du Guol-golta. (Cf. Le Mensonge Chrétien, pet. édit., p. 179.)

[49] C'est le genre de folie que visera expressément l'auteur de la Lettre de Paul aux Thessaloniciens. (Cf. Le Mensonge Chrétien, grande édit., vol. XI).

[50] Gardien des morts au Guol-golta ; aujourd'hui Saint-Joseph d'Arimathie.

[51] Il y en a une encore plus gênante que celles-là dans le Talmud. Nous la reproduisons dans la Seconde partie. Voyez aussi (Cinquième partie) l'histoire de Juda-bar-Juda (Barabbas en un mot), dont la mère découvre l'identité au moment de l'admettre dans son lit.

[52] Nous n'en sommes pas encore là au moment des Noces de Kana, qui, dans l'esprit de Cérinthe, coïncident avec une fête des Tabernacles (septembre) antérieure de plusieurs années à la crucifixion du fiancé :

Il se fit des noces à Kana en Galilée ; et la mère de Jésus y était. Et Jésus aussi fut convié aux noces avec ses disciples. Or, le vin manquant, la mère de Jésus lui dit : Ils n'ont pas de vin ! Et Jésus lui dit : Femme, qu'y a-t-il entre moi et toi ? Mon heure n'est pas encore venue ! Mais les Toledoth mis sous les noms de Marc et de Luc n'en ont point jugé ainsi, ils ont fait venir l'heure. Et dans ces Toledoth Jésus fait mystiquement sept fils à sa mère.

[53] Il n'est bruit que d'une fornication commise parmi vous, d'une fornication telle qu'il n'en existe pas chez les Gentils mêmes, jusque-là que quelqu'un a la femme de son père ! Et vous êtes gonflés d'orgueil ! et vous n'êtes pas plutôt dans les pleurs pour faire ôter d'au milieu de vous celui qui a commis cette action ! v. 12.

[54] Ceci pour empêcher que le lecteur ne retrouve en elle la vieille scélérate, convaincue en plein théâtre d'avoir fait disparaître le corps de son fils.

[55] On a mis dans une autre chambre à coucher, pour écarter l'idée qu'Apulée avait nettement soulignée.

[56] Allusion aux Noces de Kana, lesquelles ne sont que dans Cérinthe :

La mère dit à ceux qui servaient : Tout ce qu'il vous dira, faites-le ! Or il y avait là six urnes de pierre préparées pour la purification dos Juifs, contenant chacune doux ou trois mesures. Jésus leur dit : Emplissez les urnes d'eau ! Et ils les emplirent jusqu'au haut. Alors Jésus leur dit : Puisez maintenant, et portez-en au maître de la table ! Et ils lui en portèrent. Sitôt que le maître de la table eut goûté l'eau changée en vin, (et il ne savait d'où ce vin venait, mais les serviteurs qui avaient puisé l'eau le savaient,) le maître de la table donc appela l'époux. Et il lui dit : Tout homme sert d'abord le bon vin, et après qu'on a beaucoup bu, celui qui vaut moins ; mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu'à cette heure !

(Mahazeh de Cérinthe, connu sous le nom d'Évangile de S. Jean, II, 5-10). Cf. Le Mensonge chrétien, petite édition, p. 371.

Téléphoros sait que les six urnes d'eau sont devenues six urnes de vin, il les réclame.

[57] Ce nom sent la myrrhe et les parfums du chrisme. N'oublions pas que, dans le Mahazeh de Cérinthe, Myriam la Gamaléenne s'acquiert un renom de parfumeuse qui lui est resté dans le Talmud. Cf. Le Mensonge chrétien, petite édition, p. 147.

[58] C'est tout ce qu'il faut à un gardien de morts. L'harammathas n'en avait pas davantage au Guol-golta.

[59] Oncle de Barabbas, et présenté sous le pseudonyme de Nicodème dans le Mahazeh de Cérinthe. Cf. Le Mensonge chrétien, petite édition, p. 178.

[60] Il y a Zachlas, mais on peut être sûr que c'était Zachias.

[61] A cause de l'enfant de six mois que la veuve porte dans son sein.

[62] Ils se connaissent depuis l'enfance.

[63] C'est un isiaque, un sérapisant, un anti-jéhoviste.

[64] L'ho ho haoma chez les Perses.

[65] Il a tout oublié.

[66] De son vivant on l'appelait Maître, comme Barabbas, Marân, Rabbi.

[67] Cela prouve bien qu'il n'avait pas raconté son histoire à Tyrrhène depuis plusieurs semaines, car, à supposer qu'Hypate existât, les cartes modernes la marquent à soixante kilomètres de Larisse. Le mutilé aurait donc eu beaucoup plus d'intérêt à s'embarquer pour retourner chez lui, qu'à se montrer en un tel état à toutes les villes situées entre Larisse et Hypate.

[68] Avant d'en faire l'apôtre Paul.

[69] Cf. l'invocation de Barabbas aux démons. (Le Mensonge chrétien, pet. édit, p. 125.

[70] Unctulum, dit le latin.

[71] Ce passage a subi les altérations les plus profondes à raison de sa signification. C'est encore trop que l'Église y ait laissé la phrase de Phôtisma sur la cognée, estimant que cette phrase serait suffisamment obscure pour que nul n'y pût retrouver une allusion à l'allégorique Charpentier dont elle a fait un dieu. Elle ne s'est pas trompée dans ses calculs, car les traducteurs les plus avisés, tout en reconnaissant là une métaphore tirée de l'état du charpentier, n'osent pas la reproduire en français, de peur de n'être pas compris, et ils traduisent (Bétolaud) par : Irai-je me donner une corde pour me pendre ?

[72] Celui qui l'a engendré à la vie spirituelle.

[73] Le Maître de l'Ane, comme dit la Gamaléenne, sa mère, dans le Mahazeh de Cérinthe, XX, 16. On lit maintenant Rabb-oni.

[74] Apulée veut dire par là qu'elle ne mérite pas d'autre baptême de feu.

[75] Son baptême par son fils ne l'a nullement régénérée ; et plus que toute autre femme, elle conserve la tache originelle par laquelle la mort est entrée dans le monde.

[76] Les Juifs barabbalâtres voulaient qu'elle fût au ciel avec son mari.

Les Gnostiques d'Égypte voulaient, au contraire, qu'elle fût en enfer, et Valentin est forcé de convenir qu'elle y est. (Cf. Le Mensonge Chrétien, petite édition, p. 577.) Apulée ne veut même pas qu'elle soit acceptée des divinités infernales. Vous verrez bientôt que Barabbas n'est pas dans des conditions meilleures.

Vous verrez enfin par le mythe d'Apollonius de Tyane, le cas qu'il faut faire de toute la Sainte-Famille.

[77] La Grâce.

[78] La parabole de Psyché n'est pas dans la réduction grecque. Et si on l'a laissée dans le latin, c'est parce que de sa nature cette langue n'est pas christologique.

[79] Le ciel, la terre, et les mers, le globe lumineux de la lune, et l'astre de Titan, sont pénétrés, nourris par un même principe, Ame universelle, qui, répandue dans les veines du monde, en meut toute la masse et se mêle avec ce grand corps. De là sont appelés à la vie les hommes et les diverses espèces d'animaux qui peuplent la terre, les oiseaux qui volent dans les airs, et les monstres que la mer contient dans ses profondeurs. Il y a dans ces êtres un feu vivifiant émané des cieux, dont l'activité s'émousse, s'il s'unit à des corps pesants, à des organes grossiers, à des membres périssables : de là naissent la crainte, les désirs, la douleur et la joie. Enfermées dans les ténèbres de leur obscure prison, les âmes ne regardent plus les cieux.

(Révélation d'Anchise à son fils Enée lors de la descente de celui-ci aux enfers avec la Sibylle de Cumes.)

[80] Apulée songe manifestement à la villa d'Hadrien.

[81] Rome, quoique la plus jeune, est mère de droit et de liberté : Mater hominem, dit notre toulousain Rutilius.

[82] Par la colonisation ce sont des diminutifs de la Grande, nourrice de Romulus et de Remus.

[83] Elles l'ont, en effet, pillé par la main des Barbares.

[84] Extraite de l'homme originel.

[85] Comme s'il avait le signe crucial sur la cuisse, tel Barabbas.

[86] Protée, le dieu que disait être Péréghérinos, au temps même où écrivait Apulée. Barabbas avait joué le même personnage. (Cf. Le Mensonge chrétien, pet. édit. p. 126).

[87] Image du principe marin de la genèse humaine.

[88] Il sera traité comme le fut Barabbas. C'est dur !

[89] Dans la séméiologie connue sous le nom de Multiplication des pains. Cf. Le Mensonge Chrétien, pet. édit, p. 379.

[90] C'est une vieille donnée astrologique, exploitée longuement dans le Mahazeh de Cérinthe. Cf. la grande édition du Mensonge Chrétien, t. VII.

[91] Œnéas, la descente aux enfers est facile, lui dit la Sibylle, la porte du sombre empire est ouverte nuit et jour. Mais revenir sur ses pas et revoir la lumière éthérée, c'est une entreprise, c'est une tâche difficile : il n'a été donné d'y réussir qu'à quelques enfants des dieux, que Jupiter favorisa ou que leur vertu sublime éleva jusqu'aux astres. Le fils aîné de Juda Panthora et de Salomé ne réunit pas ces conditions-là. Énée, au contraire, fils de Vénus, avait pu y prétendre. Deux colombes, et non une seule, avaient révélé à Énée l'existence de l'Arbre, dont le rameau d'or permet de triompher des Enfers.

[92] Les commentateurs de L'Âne d'or sont unanimes à reconnaître que l'âne et l'ânier n'appartiennent à aucune mythologie infernale, qu'on n'en trouve nulle trace dans les poètes, et qu'ils apparaissent ici pour la première et la dernière fois. Ces commentateurs sont dans l'état où Jésus veut qu'ils soient : ils ont des yeux et ne voient point ; des oreilles, et ils n'entendent point ; un nez, mais de cire.

[93] Apulée met aussi dans la charge de l'Âne quelques-unes des baguettes magiques dont Barabbas prétendait faire des verges de commandement dans son Royaume. Cf. dans Le Mensonge Chrétien, pet. édit. p.193, la scène du Gymnase d'Alexandrie où les enfants de la ville célèbrent (d'avance) la faillite de Barabbas.

[94] Il y a putréfiées.

[95] On peut se demander si ce tableau de genre macabre est dû entièrement à l'imagination d'Apulée, ou s'il n'est pas emprunté à quelque peinture des Enfers qu'Hadrien avait fait représenter sur les murs de sa villa de Tibur d'après les idées égyptiennes.

[96] Selon le mot de Tacite.

[97] Enéide, l. VI, 426-430.

[98] Lorsqu'au dernier jour la vie s'est retirée, les âmes ne peuvent se dégager entièrement des maux et des souillures du corps : car, dans cette longue union avec la matière, les vices, s'invétérant, ont laissé en elle des traces presque ineffaçables. Elles subissent donc des châtiments, et expient dans les supplices leurs anciennes fautes Les unes, suspendues dans les airs, sont le jouet des vents ; les autres, dans un vaste gouffre, lavent les taches infectes de leurs crimes, ou s'épurent par le feu. Chacun de nous est soumis au châtiment réservé à ses mânes : ensuite, nous sommes envoyés dans le vaste Élysée, dont les riantes campagnes n'ont que peu d'habitants. Lorsque dans la succession des âges, après mille années révolues, le temps a effacé les souillures de l'âme, et ne leur a laissé que les simples éléments du feu primitif et la pure essence éthérée, un dieu appelle leur nombreuse foule sur les bords du Léthé, afin qu'oubliant le passé elles puissent revoir la voûte des cieux, et qu'elles désirent retourner dans de nouveaux corps.

(Révélations d'Anchise à Énée, Enéide, l. VI, 735-751.)

[99] A l'exemple de celle d'Akiba l'ancien, le Tisserand, chez qui les Actes des Apôtres mettront le prince Saül en apprentissage. Cf. Le Mensonge Chrétien, pet. édit. p. 198.

[100] On ne peut croire à quel degré d'aberration en sont venus, à propos de ce mythe anti-évangélique, les savants et les poètes infestés de barabbalâtrie. Il en est pour qui Cupidon est le Christ lui-même ; Psyché, l'âme du fidèle qui aspire incessamment vers lui ; l'hyménée des deux amants au ciel, l'union mystique de l'homme et de Dieu dans l'Eucharistie ! Pour d'autres, ce qu'Apulée a pressenti, annoncé dans Psyché, c'est la pensée du Christ, la philosophie de Saint-Augustin, le culte de Dieu.

[101] Cf. l'affaire de la Dédicace.

[102] En effet, l'Âne de Juda devait la faire esclave ou mieux la détruire.

[103] Le texte grec ne porte pas de Bactriane, qu'on voit aujourd'hui dans le latin. Ce chameau était donné comme originaire de Gamala, berceau de Barabbas.

[104] On ne trouve ce nom que dans le grec, il a disparu du latin.

[105] La triste façon dont meurent successivement Tlépolémos, tué en trahison par un certain Thrasylle dans une partie de chasse, et Charite, dont ce Thrasylle a voulu faire sa femme, cache une allusion, devenue incompréhensible, à des faits historiques concernant un allié, sur qui on croyait pouvoir compter, et qui s'est traîtreusement défait du chef romain préposé à la garde de la Judée. Dans le grec on a supprimé tout le rôle de Thrasylle, la partie de chasse et ses suites. Le couple, en se baignant dans la mer, est emporté par le flot et englouti.

[106] Comme si l'endroit avait été préparé par une incision cruciale.

[107] Détail enlevé du latin.

[108] On se rappelle notamment qu'asinifié Lucius ne peut prononcer le nom de César ; mais, même en l'état animal auquel il est réduit, il peut encore prononcer la première lettre du nom d'Octave Auguste, la Bête dont le nom est un nombre, et il pousse un O retentissant.

[109] Christienne asinaire, espèce très répandue. Cf. Le Mensonge chrétien, pet. édit, p. 280.

[110] Reine du ciel, soit qu'étant la bienfaisante Cérès, la mère et l'inventrice des moissons, qui, joyeuse d'avoir retrouvé sa fille, enseigna aux hommes à remplacer l'antique gland, nourriture sauvage, par de plus doux aliments, vous habitiez les guérets d'Eleusis ; soit qu'étant la Vénus céleste, qui, aux premiers jours du monde, rapprocha par un amour inné les sexes différents, et propagea par une fécondité éternelle les humaines générations, vous soyez adorée dans le sanctuaire de Paphos que la mer environne ; soit qu'étant la divine Phébé, dont l'assistance secourable, répandue sur les femmes enceintes et sur leur fruit, a mis tant de peuples au monde, vous soyez aujourd'hui vénérée dans le magnifique temple d'Éphèse ; soit qu'étant la redoutable Proserpine aux nocturnes hurlements (celle qui, sous la triple forme, comprime les ombres impatientes, qui tient fermées les prisons souterraines, qui parcourt tant de différents bois sacrés), vous soyez rendue propice par des cultes divers ; ô vous ! qui, de votre lumière féminine éclairez toutes les murailles, de vos humides rayons nourrissez les précieuses semences, et qui, remplaçant le soleil, dispensez une inégale lumière ; sous quelque nom, sous quelque figure, avec quelque rit qu'il soit permis de vous invoquer, assistez-moi dans mon malheur extrême ! Raffermissez ma fortune chancelante ; accordez-moi un moment de paix et de trêve après de si rudes attaques ! Que ce soit assez de travaux, assez d'épreuves : dépouillez-moi de cette odieuse enveloppe de quadrupède ; rendez-moi aux regards des miens ; rendez-moi à ma forme de Lucius ! Ou bien, si quelque divinité offensée me poursuit d'un inexorable courroux, que je puisse au moins mourir, puisqu'il ne m'est pas permis de vivre !

[111] Avec roseaux englués pour prendre les passereaux de Barabbas.

[112] C'est pour leur fermer la bouche que, dans les Toledoth synoptisés et dans ceux-là seulement, Barabbas, revenant sur terre sous le nom de Jésus, prédit du même coup sa crucifixion et sa résurrection.

[113] Nous le retrouverons dans le mythe d'Apollonius, où il est expliqué.

[114] La croix ansée. Le texte actuel lui fait tenir un caducée (caduceum, au lieu de cruceum signum), attribut qui lui est familier aussi.

[115] Comme dans toutes les écritures juives d'ailleurs : Prophètes et autres. Dans l'adaptation grecque de l'Even-guilayon, adaptation connue sous le nom d'Apocalypse de Pathmos, Miçraïm est traduit par Égypte : Sodome et Égypte est-il dit de Jérusalem, souillée par les goym.

[116] Pas plus qu'à Flavius Clémens, sénateur et consul sous Domitien.

[117] La Junon qui avertit.

[118] Cette oie se trouve dans la fantaisie de Lucien sur la Baleine de Jonas : L'oie qui était figurée sur la proue agita soudain les ailes et se mit à crier. (Lucien, Histoire véritable).

[119] Le texte a subi à cet endroit des changements qui l'exposent aux interprétations les plus différentes et les moins sûres. Pareil à l'Égyptien Basilide, et Basilide est contemporain d'Apulée, ce Grammatiste réplique à l'Even-guilayon, divisé en vingt-deux lettres selon l'Alphabet hébreu, par le Contre-évangile d'Hadrien (Antinoos), divisé selon les Alphabets égyptien, grec ou romain.

[120] Il en était ainsi aux fêtes d'Adonis en Syrie. C'est l'origine de l'Ite, missa est : allez, la comédie est jouée.

[121] Ces vêtements devaient être de couleurs plus ou moins empruntées au prisme, à l'arc-en-ciel, et aux douze pierres qui marquaient les douze signes. Les Juifs estimaient que le Messie était capable, non pas seulement de les porter, mais de les teindre. N'oublions pas la scène des Toledoth où Barabbas, transfiguré en Jésus par les aigrefins du baptême, s'enveloppe d'un vêtement d'une blancheur qu'aucun foulon sur la terre ne pourrait égaler : d'où il est dit le Teinturier dans divers Évangiles de l'Enfance qui, pour être absurdes et dolosifs, n'en contiennent pas moins des fables curieuses sur les facultés tinctoriales concédées par le Père à son fils. Les Juifs barabbalâtres répandus parmi les Arabes et les Perses ne tarissaient pas sur ces facultés. Dans un Évangile de l'Enfance, qu'on dit avoir circulé chez les Perses, on raconte que Barabbas les a exercées en son vivant : il a été teinturier ; avec une teinture unique il produisait des vêtements de toutes les couleurs. Certains voyageurs ajoutent que les teinturiers perses l'honorent comme leur patron, et que la demeure du Messie, ils l'appellent la Maison de teinture. Voici une scène qui se passe à Jérusalem :

Un jour, en jouant et en causant avec des enfants, le Seigneur Jésus passa devant la boutique d'un teinturier dont le nom était Salem (Paix). Or, il y avait dans la boutique un grand nombre de vêtements qu'on teignait de couleurs variées. Et étant entré dans la boutique du teinturier, le Seigneur Jésus prit tous ces vêtements et les jeta dans la cuve à teinture.

Etant entré et voyant les vêtements perdus, Salem se mit à crier bien haut et à reprendre le Seigneur Jésus, disant : Que m'as-tu fait, ô fils de Marie ? Et pourquoi m'avoir fait cette injure, à moi et à mes concitoyens ? Chacun en effet demande la couleur qui lui convient, mais voilà que tu as tout gâté ! Le Seigneur Jésus répondit : De quelque vêtement que tu veuilles changer la couleur, je te la changerai. Et à l'instant, sortant les vêtements de la cuve, il les rendit chacun de la couleur que désirait le teinturier, jusqu'à ce qu'il n'en restât plus. Et voyant ce miracle, les Juifs célébraient Dieu.

Tout cela a l'air fort innocent, mais voici où est la malice : Barabbas n'a que sept ans lors de ce miracle. Or il ne devait ouvrir son atelier de teinture qu'après le 15 nisan 789, date à laquelle il avait cinquante ans passés et était en croix.

[122] C'est ainsi qu'il est représenté sur la monnaie frappée en son honneur.

[123] Asinius Marcellus fut gracié par l'intermédiaire de Néron, mais l'ignominie lui resta.

[124] Le nom de Sylla, cité par Apulée, se retrouve dans la dernière phrase actuelle de l'Ane d'or.

[125] Où il est connu sous le nom de Sénatus-consulte de Turpilianus.

[126] Vous savez maintenant pourquoi le mot Juif n'est plus prononcé ni dans L'Ane d'or ni dans l'Apologie qui y fait suite, et pourquoi cet Ane d'or lui-même a été déclaré postérieur de beaucoup à cette Apologie. Cf. Le Mensonge chrétien, pet. édit. p. 280.