LE MENSONGE CHRÉTIEN - (JÉSUS-CHRIST N'A PAS EXISTÉ)

 

TOME X — BAR-ABBAS

IV. — LE CADAVRE.

 

 

I. — Pendant que Julien allait défendre les Gaulois contre les Germains et que Georges de Cappadoce allait en Égypte défendre Dieu contre Athanase, Celse, nommé préteur en Bithynie, publiait son Discours de vérité. Celse est celui que l'Église dans Lactance appelle le Judex Bithyniæ[1].

Il est parfaitement démontré qu'il y eut deux Celse, l'un épicurien, ami de Lucien, l'autre platonicien fileté de stoïcisme, et que pour les besoins de sa cause l'Église les a volontairement confondus dans le livre qu'elle a fabriqué contre le préteur de Bithynie et qu'elle présente aujourd'hui sous le nom d'Origène. Le Contre Celse est d'un temps où l'Église semble toucher à l'absolue puissance : le christianisme est fait.

Le premier texte du Contre Celse fut mis sous le nom d'un correspondant de l'imposteur Ambroise, évêque de Milan. Le nom de ce correspondant a disparu, parce que celui du destinataire faisait date (Ambroise est mort en 397). On feignait que ce correspondant fût d'Égypte ou d'Asie, Ambroise l'avait Prié de réfuter le Discours prétendu véritable de Celse, il s'acquittait de ce devoir. C'est ce premier Contre Celse qu'a connu et résumé l'imposteur qui a fabriqué les œuvres de Lactance et les a datées de Constantin. Plusieurs siècles après la composition du Contre Celse, un autre imposteur a revu et corrigé en écrit dans lequel il était resté beaucoup trop de choses nuisibles aux progrès de la jehouddolâtrie. Modifiant l'envoi que le correspondant d'Ambroise avait placé en tête de son faux, il déclare que, le Contre Celse n'étant point destiné aux fidèles, mais à ceux qui sont faibles dans la foi ou qui y sont étrangers, il ne s'est pas cru obligé de respecter l'ordre et les proportions de l'ouvrage platonicien. Il avait d'abord écrit sa réfutation sur le seul texte du Discours, mais il s'est ravisé au cours de son travail, — lisez au cours des temps, — il a pensé bien faire en réduisant à rien tout le commencement du Discours, en venant tout de suite à l'endroit où, dit-il, Celse introduit, en façon de prosopopée, un Juif qui dispute contre Jésus ; et à partir de ce moment il réfute le texte avec l'exactitude d'un greffier — allusion significative à la fonction judiciaire de à l'auteur attaqué —. Il a divisé sa réfutation en huit livres. Mais ne réfute jamais, il ne peut pas ! Il supprime, intervertit ou substitue, et la raison pour laquelle il a hâte de donner la parole au Juif, c'est que le premier livre de Celse portait sur l'auteur des Paroles du Rabbi et sur sa famille, tandis que le Juif est an témoin supposé, en l'espèce un véritable agent de l'Église, chargé de ne rien savoir là-dessus.

Que Celse l'épicurien ait parlé de Bar-Abbas dans son traité contre les charlatans et les imposteurs, c'est tout naturel, mais il en u parlé comme d'un vulgaire magicien, et sans aucune allusion à Jésus dont la fable n'existait pas pour le grand public. Mais ce n'est pas seulement à ce Celse-là que répond l'Anticelse. C'est en même temps et par un seul ouvrage à deux autel qu'il se garde bien de nommer et qui sont l'un Celse le platonicien, l'autre, Julien lui-même. Je ne sais, dit l'auteur du Contre Celse, si mon Celse est celui qui a écrit de nombreux livres Contre la Magie[2]. Il connaît donc ces livres, où il n'est pas question de Jésus, mais de Bar-Abbas, et c'est pourquoi il n'ose identifier le Celse qu'il réfute arec l'épicurien du second siècle, car cette identification entraîne celle de Bar-Abbas et de Jésus.

Le pape qui, sous le nom d'Origène, s'est proposé de réfuter l'irréfutable Celse, dit n'avoir connu ni personnellement ni autrement celui qu'il réfute. Il a simplement appris qu'il y avait eu deux philosophes épicuriens du nom de Celse, l'un qui vécut sous Néron, l'autre au temps d'Hadrien et de ses successeurs. C'est par cette phrase seulement qu'on connaît l'existence d'un Celse, philosophe épicurien sous Néron. L'autre, nous le connaissons parfaitement, c'est l'ami de Lucien. Quant à Celse le platonicien, qui a écrit le Discours de Vérité, personne n'en a jamais entendu parler comme ayant vécu au second siècle. Or l'auteur du Discours de Vérité n'est point un disciple d'Épicure, tout le monde en convient, c'est un platonicien déterminé, parfois même pythagorisant. La confusion entre les deux Celse est la manœuvre intéressée d'un homme qui, en mettant l'attaque sous le nom de Celse l'épicurien et la réplique sous celui d'Origène, a eu pour but de ramener Celse le Platonicien au second siècle.

Paroles du Rabbi en mains, Celse le platonicien attaquait la fable de la création de l'homme dans la Genèse, il taxait cette fable de ridicule, digne d'un vieillard tombé en enfance, bonne tout au plus pour de naines femmes, et injurieuse à Dieu, car elle le montre si faible dès le commencement qu'il ne peut se faire traitait d'un seul homme qu'il a formé lui-même. Il traitait de même[3] les histoires de ce paradis terrestre dont Bar-Abbas (le Jardinier) avait annoncé le retour prochain ! Il croyait les récits d'Hésiode plus anciens que attribuait les fables enregistrées par les Juifs et il leur attribuait un sens plus respectable : le monde est autrement plus ancien que ne croient les Juifs[4] ! Chez les Athéniens, les Égyptiens, les Arcadiens, les Phrygiens, dont Hésiode et d'autres génies divinement inspirés n'avaient fait que traduire les idées, de vénérables légendes, bien antérieures aux Juifs de Palestine, plaçaient au commencement du monde une première génération d'hommes issus de terre. La fabrication de l'homme-femme par Dieu, telle qu'elle est 8 le Genèse, n'était qu'une invention de Juifs imbéciles et grossiers. C'est, on le voit, la vieille querelle de la prééminence des Écritures, débattue par Tatien au temps de Celse l'épicurien. Le Contre Celse essaie de mettre Celse en opposition avec son maître Platon sur la foi due à des poètes comme Hésiode et Homère. Car, dit-il, Platon chassait Homère et les poètes de sa République, comme corrupteurs de la jeunesse, tandis que l'épicurien Celse les fait divinement inspirés quant à la théorie de la genèse humaine, si cependant c'est ce Celse qui a écrit deux autres livres contre les christiens[5].

Voilà bien les deux Celse : l'un épicurien, qui a écrie contre les magiciens, et l'autre platonicien qui a fait un ouvrage en deux livres contre les adorateurs de Bar-Abbas. Auquel des deux l'Anticelse réplique-t-il ? Aux deux ; mais de préférence au dernier, puisqu'il lui attribue l'invention du soldat Panther, que ne connaissait pas le premier, et que le second n'a pas connu davantage.

 

II. — Nous examinons d'abord le Contre Celse adressé à Ambroise. On en a introduit une analyse dans Lactance, et par ce moyen on a ramené Celse de la fin du quatrième siècle au commencement.

Parmi les faux témoins chargés de déposer sur le premier tiers du quatrième siècle, le plus célèbre est incontestablement Lactance. Lactance est-il un personnage réel que l'Église a enzôné, comme elle a fait de Justin, par exemple, ou son œuvre est-elle entièrement supposée ? Il n'importe, mais tout ce qui y est de Jésus à l'empereur Constantin est d'un faussaire postérieur au sixième siècle[6].

Dans Lactance, tout est arrangé en ce qui concerne Pierre et Paul ; ils arrivent à Rome au commencement du règne de Néron et meurent après une prédication qui dure vingt-cinq ans. Qu'est-ce que la persécution de Néron dans Lactance ? La fraude clémentine, rectifiée par les Acta Petri et Pauli. C'est le martyre de Pierre et de Paul, sans aucun incendie auquel auraient été mêlés des hommes qui seraient leurs disciples.

On fait venir Lactance d'Afrique pour enseigner la rhétorique à Nicomédie, capitale de la province dont Celse a été préteur avant d'être gouverneur de Cilicie.

Les christiens d'Asie étant encore millénaristes au temps de Celse, Lactance est millénariste comme Papias et ses disciples ; mais à la différence de ceux-ci, qui tirent leur doctrine des écrits mêmes de Bar-Abbas, il obtient la sienne par un mariage de l'Apocalypse de Pathmos avec les Oracles sibyllins préalablement convertis à la jehouddolâtrie. Spéculant sur les Livres sibyllins accommodés à la fraude ecclésiastique, Lactance croit à l'existence de Jésus sur cette seule autorité ; cette fraude même, voilà sa preuve ! Preuve aussi les prophéties juives, d'autant moins suspectes à ses rte qu'émanant des futurs meurtriers de Jésus, elles sont le témoignage certain de son existence. La preuve que les prophéties sont vraies, c'est leur réalisation en Jésus. La preuve que Jésus a existé, ce sont les prophéties réalisées en lui. Les Sibylles, Virgile, Hermès Trismégiste, voilà pour les païens. Les Prophètes juifs à la mystification évangélique, voilà pour les christiens. L'Ancien Testament, preuve du Nouveau, le Nouveau preuve de l'Ancien, — mais seulement en ce qui touche la personne de Jésus. — voilà toute la clef du mystère' Remarquez que dans ce système on ne fait jamais de place aux témoignages qui ne sont pas fabriques et, choisis par l'Église. Douze Juifs n'ont pu mentir (comme auraient pu le faire douze païens). Pour mentir, il faut de l'intelligence, et ces hommes étaient trop bêtes pour inventer les Évangiles ! Paul non plus n'a pu mentir. On ment quand on a un intérêt : or quel intérêt avaient-ils à propager une doctrine qui les vouait, après des sacrifices sans nombre, à une mort ignominieuse ? Leur ignorance et leur désintéressement sont des preuves de leur véracité.

Les Livres sibyllins dont se sert Lactance respirent encore la haine de l'Occident et sont d'inspiration et apocalyptique : ils appellent les colères de Dieu sur Rome et voient dans sa destruction le commencement de la revanche des justes : Lactance, devenu pape, écarte net idéal hérité des Juifs et partagé par toutes les églises d'Orient et d'Afrique. Pour lui la chute de Rome est le plus grand malheur qui puisse frapper le monde ![7] Il veut le triomphe de la jehouddolâtrie, mais à Rome, car les Paroles du Rabbi sont déjà loin, et la capitale du Royaume n'est plus Jérusalem-Nazireth, c'est Rome avec Bar-Abbas pour Dieu et le pape pour empereur !

Lactance se plaint de l'insuffisance des avocats de la jehouddolâtrie : les christiens ont été mal défendus. — L'ingrat, qui ne compte ni Ignace, ni Justin, ni Méliton de Sardes, ni Athénagore, ni Théophile d'Antioche, ni Clément de Rome, ni Clément d'Alexandrie, ni Tertullien, ni Cyprien ! — Au temps où il professait la rhétorique en Bithynie, deux attaques ont paru moins contre les jehouddolâtres eux-mêmes que contre leurs traditions. Deux hommes, un philosophe qui fréquente le Palais et un juge qui a cessé d'être christien pour collaborer à la persécution, ont vomi l'un trois livres, l'autre deux contre le nom[8] et la religion du christ. Le philosophe, c'est Hiéroclès, disent les exégètes : l'autre, juge de Bithynie[9] et apostat, c'est Celse le platonicien qu'il s'agit de faire passer pour mort avant le règne de Julien.

Lactance cite Lucien[10] : par conséquent il connaît l'illustre Péréghérinos, et l'ineffable Alexandre, et il sait que Celse l'épicurien a fait un livre intitulé Contre les Magiciens, en partie dirigé contre le Juif à la colombe. Dans le récit des aventures de Péréghérinos, que l'Église n'a pas encore pu cuisiner à sa manière, il a lu l'histoire abrégée de Bar-Abbas. Cependant, quoiqu'il parle des attaques dirigées dans les temps anciens contre la foi christienne (Fronton, Crescens, Apulée, Minucius Félix), il ne cite ni Celse l'épicurien ni Celse le platonicien, qu'Origène est censé avoir pulvérisée depuis soixante ans, ni Porphyre, qui a écrit quinze livres contre les christiens de toute sorte, particulièrement les jehouddolâtres. Si Porphyre a célébré les vertus de Bar-Abbas[11], d'où vient que Lactance ne le cite point parmi les témoins de moralité dont il a tant besoin ? C'est que le plan de l'Église est de faire croire qu'il n'y a pas eu deux Celse, dont le second a vécu au temps de Julien, mais un seul, l'épicurien, mort à la fin du second siècle. Et quant à Hiéroclès, elle s'est chargée de lui répondre dans Eusèbe[12].

L'identité de Celse et du Judex Bithyniæ se révèle dans le titre même de l'ouvrage combattu : Discours de Vérité, avait dit Celse. Philalètheis, amis de la Vérité, dit de ses livres le Juge de Bithynie. Et ce que combat Lactance, c'est un Discours grec, tellement conforme à celui de Celse le platonicien, qu'on n'en peut contester l'identité sans supposer l'existence d'un troisième Celse qui, platonicien comme le second, aurait écrit contre Bar-Abbas au temps de Constantin.

Le juge de Bithynie connaissait admirablement son sujet, Lactance l'avoue. Il l'a traité d'une façon mordante. Comme juge, il a excité la persécution ; outre le crime, il a poursuivi de la plume ceux qu'il avait frappés de ses sentences. Il a composé deux livres non Contre les christiens, afin de ne point paraître les accabler, mais adressés Aux christiens, pour faire Parade de bienveillance et d'humanité. Or, dans ces livres, il s'est efforcé d'arguer de faux l'Écriture Sainte, (il s'agit des Évangiles), comme si véritablement il en avait fait une question d'amour-propre, car sur certains dans qui paraissent l'avoir contrarié, il est entré dans tant de détails et si avant, qu'il a l'air d'avoir appartenu jadis à l'enseignement christien. S'il en est ainsi (Lactance n'en est pas sûr, ce n'est qu'une insinuation), quel Démosthène pourra le défendre de l'impiété pour laquelle il est devenu traître à la religion qu'il avait adoptée, à la foi dont il avait revêtu le nom, au sacrement (le baptême) qu'il avait reçu ? Si c'est par hasard que les divines Écritures lui sont tombées entre les mains, quelle témérité d'avoir osé s'attaquer à des choses que personne ne lui a bien expliqués, faute d'en avoir rien appris ou d'y avoir rien compris ! Car il ne s'écarte pas moins des divines Écritures qu'il ne s'est écarté lui-même de la foi et de la vérité. Cependant il s'est surtout acharné contre Pierre, Paul et les autres disciples, comme ayant propagé le mensonge, semé la tromperie, quoique d'autre part il ait montre leur simplesse d'esprit et la basse condition de ceux d'entre eux qui faisaient métier de pêcher[13] : comme si dans ce genre de moquerie il était jaloux des lauriers cueillis par les Aristophane et les Aristarque ![14]

Le premier soin du juge de Bithynie, ç'avait été d'établir ou mieux de rétablir le vrai nom de l'individu qu'on appelait finalement Jésus dans les Écritures. Et ce nom n'était pas Jésus, on l'avoue dans Lactance : Mais, demandera quelqu'un, s'il existait au ciel avant de naître, comment s'appelait-il ? N'étant connu que de son Père et de lui, et inconnu des anges eue mêmes, son nom ne sera révélé que lors de l'accomplissement du plérôme. Quant au nom dont il s'est appelé parmi les hommes, c'est Jésus. Car christus n'est pas un nom propre, c'est celui de sa puissance et de sa royauté, et c'est ainsi que les Juifs désignent leurs rois. A ce propos, relevons l'ignorance de ceux qui par le changement d'une lettre ont coutume de l'appelait chrèstos[15]. C'est christos qu'il faut dire, oint, et c'est la traduction du mot hébreu Messiah[16]. Mais le mot fils de Dieu, est-ce que ce n'est pas la traduction du mot hébreu Bar-Abbas ? Et le mot Joannès, est-ce que ce n'est pas la traduction grecque de Poisson, signe de l'An de Dieu ?

Le juge de Bithynie n'avait connu qu'un seul Joannès : le christ. Aujourd'hui, et cela n'est pas surprenant, Lactance en connaît deux : le véritable et l'unique, qui est le prophète et le baptiseur de Jésus[17] dans les Synoptisés, et le faux[18], qu'il dit être l'auteur de l'Évangile que nous avons rendu à Cérinthe.

Peur établir la date de la crucifixion de Bar-Abbas, le juge de Bithynie avait le texte de Josèphe qui était alors entier et la tradition invariable de tous les christiens de Judée et d'Asie. On savait qu'il avait été crucifié à cinquante ans passés, en l'an vingt-deuxième de Tibère, soit 789, sous le consulat de Papinius Allénius et de Q. Plautius. L'Église a mis dans Lactance, conformément au mensonge concerté par elle dans Luc et dans les Actes des apôtres, qu'il avait été crucifié par les Juifs en l'an quinzième de Tibère César, sous le consulat des deux Géminus[19], et qu'il en était ainsi décidé par un accord des choses avec la kabbale sainte. Elle ajoute que Pontius Pilatus était alors légat en Syrie[20], ce que le juge de Bithynie n'avait  certainement pas dit, sachant pertinemment que Bar-Abbas avait été condamné non par Pilatus, agissant comme procurateur de Judée, mais par le Sanhédrin plus de quarante jours avant la crucifixion.

Il a affirmé que le christ lui-même, poursuivi par les Juifs[21], avait commis des brigandages avec la poignée d'hommes qu'il avait rassemblée[22]. Qui se permettrait de récuser un tel témoignage ? Croyons-le donc pleinement, car quelque Apollon le lui a peut-être annoncé dans un songe. Assez de voleurs ont péri, il en périt assez chaque jour (combien n'en as-tu pas condamné toi-même ?), et cependant qui d'entre eux, après leur supplice, appelle-t-on je ne dirai pas dieu, mais simplement homme ? Tu as sans doute cru cela de lui parce que, vous autres, vous avez fait un dieu de Mars le meurtrier ? Mais vous ne l'auriez pas fait, si les Aréopagites l'avaient mis en croix ?[23]

Outre les forfaits pour lesquels Bar-Abbas avait été condamné par le sanhédrin, le Judex Bithyniæ montrait qu'à supposer l'authenticité des miracles, Apollonius de Tyane en avait fait de pareils et même de plus forts. Lactance admire qu'il ne cite pas Apulée, à qui on en prête également beaucoup[24]. D'où vient alors, s'écrie Lactance, d'où vient, ô tête extravagante, que personne n'honore Apollonius comme un dieu, sinon toi seul, bien digne fidèle de ce dieu, que le véritable[25] punira pour l'éternité avec toi-même ? Si le christ est un magicien, parce qu'il a fait des miracles[26], Apollonius l'est encore plus que lui, car poursuivi, comme tu le dis, par Domitien qui le voulait punir, Apollonius s'est soustrait tout à coup au jugement, tandis que le christ[27] s'est fait prendre volontairement et attacher à la croix.

Ce ne sont donc pas les miracles qui font la foi de Lactance, ce sont les prophéties juives et sibyllines réalisées en Bar-Abbas. Qu'Apollonius ait plus de prodiges à son actif, c'est possible, mais qu'importe ? Ils n'avaient pas été prédits ! Au contraire, tout ce qui est arrivé à Jésus est dans les prophéties, — ce qui précisément n'est vrai que des miracles, — ils proviennent tous des Paroles du Rabbi !

Cette argumentation suit pas à pas et résume celle du Contre Celse ambrosien, et c'est pourquoi Lactance ne nomme pas Celse comme étant celui qu'il vise, il lui faudrait reconnaître en même temps que Celse lui est postérieur et plus encore à Origène, qui endossera la paternité du Contre Celse. Le parallèle entre Apollonius et Bar-Abbas peut appartenir au préteur de Bithynie, comme l'entrée en scène d'Apulée appartient bien à Augustin[28] ; le ton de l'écrit attaqué, la modération de ses idées, le style, la conclusion achèvent de  démontrer l'identité de Celse avec le préteur de Bithynie.

Pour avoir voulu amener les jehouddolâtres à résipiscence par la force de la vérité, le juge de Bithynie est aussi mal reçu de Lactance que Celse l'est du Contre Celse. Lactance, qui ne nomme pas Celse, répond au juge comme s'il répondait à Celse et copiait sa réponse dans le Contre Celse. L'auteur du Philalèthès est un fourbe, un loup qui s'est caché dans la peau d'une brebis pour prendre les jehouddolâtres au piège sous un titre menteur. Mais quelle vérité leur a-t-il apportée, sinon que, défenseur à dieux, il finit par trahir ces derniers ? Car en célébrant la louange du Dieu souverain que tu déclares le roi, le maître et l'artisan des choses, la source du bien, le père de tout ce qui est, l'auteur de tout ce qui vit, tu as précipité ton Jupiter de son trône et tu l'as relégué parmi les ministres de la souveraine puissance ! Ton épilogue montre ta sottise et ton erreur. En effet tu affirmes qu'il y a des dieux, et cependant tu les soumets au Dieu suprême dont tu essaies de ruiner la religion ![29] Comment n'être point frappé de l'analogie de cet épilogue avec celui de Celse ? Le juge Bithynie est un platonicien comme Celse, un ami de paix dans la vérité comme Celse, il est contre Jésus pour les mêmes raisons que Celse, parce que sous Jésus il y a Bar-Abbas, il n'est pas ennemi des christiens qui, malgré cette exécrable étiquette, conservent à l'honnêteté privée, il les regarde comme des dupes et des victimes du mensonge ecclésiastique, il est partisan de la clémence et de la conciliation poussées aux dernières limites. Mais il perd son temps à philosopher, à proposer des accommodements. Les jehouddolâtres n'entendent pas : c'est le pouvoir qu'ils veulent, et l'Empereur pour otage !

 

III. — Nous passons maintenant au Contre Celse que l'Église présente sous le nom d'Origène.

Selon les exégètes mystifiés par l'Église[30], Celse aurait écrit entre 176 et 180, et Origène lui aurait répondu en 249. Pourquoi 249 ? Parce qu'Origène est mort quatre ans après et qu'on a mis la réponse sous son nom. Soixante-dix grandes années se seraient passées sans que personne dans l'Église n'eut répliqué à ce formidable réquisitoire, effort combiné de l'histoire avec le Philosophie platonicienne, et ce serait Origène qui, environ trois ans avant de mourir, aurait du même Coup abjuré son Dieu et défendu contre Celse la divinité de Bar-Abbas ! Pendant soixante-dix ans tous les évêques ont laissé le venin de la calomnie circuler librement sans songer à l'arrêter, ils ont permis que Celse assimilât Jésus aux plus vils imposteurs, ils ont toléré que la persécution fit de Celse son arsenal, et c'est Origène, c'est ce gnostique qui, sur la fin de sa vie, va confondre le platonicien ! Voilà un miracle beaucoup plus fort que ceux de l'Évangile.

Si Celse est du second siècle, d'où vient que Porphyre ne le connaît pas ? Si Méthodius, Eusèbe, Apollinaris et Philostorge ont écrit pour le réfuter en ce qui touche la personne du christ, comme on le soutient, d'où vient que ces magnifiques réfutations soient elles-mêmes ignorées et de ses adversaires et de ses apologistes ? Si la personne du christ était à ce point soulevée par les jehouddolâtres au-dessus des hommes, et mise au niveau du Père commun, s'il y avait tant d'églises à sa dévotion, tant de monuments à sa gloire, d'où vient qu'il ne reste pas sous la terre et sous le ciel de l'Égypte et de l'Afrique, évangélisées les premières, une seule pierre, une seule inscription, un seul signe qu'on puisse appliquer sans conteste à ce charlatan ; qu'au milieu du quatrième siècle, toute la chrestienté soit arienne, et que des Hiéroclès, des Celse et des Julien puissent faire une telle lumière sur la personne humaine de Jésus que l'Église ait Ce indispensable de détruire tous leurs ouvrages ?

En même temps qu'on mettait le Discours de Vérité sous le nom de Celse l'épicurien, on biffait du quatrième siècle Celse le platonicien. Tandis que le nom de Julien disparaissait complètement du Discours de Vérité, celui de Celse disparaissait à jamais de tee les écrits de Julien, notamment de ses livres Contre les Galiléens. Nous ne connaissons l'écrit de Celse que par l'imposteur ecclésiastique qui lui a réponde après l'avoir supprimé !

Mais Celse savait tout. Il avait les Paroles du Rabbi : il avait l'histoire de ce scélérat et de sa famine, il avait les Évangiles, tant ceux qui ont été synoptisés que les autres, il savait la fin du tout, c'est-à-dire où gisait le corps de Bar-Abbas, il vivait encore lorsque les os de ce Juif, mêlés à ceux d'animaux, furent brûlés à Samarie. Il a pu dire des jehouddolâtres : Maintenant je puis discuter avec eux, car je les si percés à jour, je sais tout. Voilà le gnostique parfait.

Que sait-il donc de plus que les autres ? Il sait que le cadavre de Bar-Abbas est à Machéron, où on le retrouvera quand on voudra.

Celui qui a fabriqué l'Anticelse sait tout également, et c'est ce qui lui permet de falsifier Celse mort.

Lorsqu'il eut décidé qu'il démasquerait Bar-Abbas, qu'il clouerait ce scélérat à la croix de l'histoire, Celse fit une enquête en règle, se documentant partout où la vérité avait encore des partisans, en Asie, en Phénicie, en Palestine, en Égypte. Il connaît la grande Église et la distingue de toutes les autres, et c'est pourquoi on ne la nomme plus dans l'Anticelse ; c'était, je pense, celle de Jérusalem. Juifs, antijuifs, Prophètes, magiciens, exorcistes, il ne refusa personne. Il vit les évêques de Palestine et les convainquit d'imposture : eux-mêmes lui avouèrent leurs mensonges. L'Église lui en veut surtout du titre qu'il a donné à son livre : Discours de vérité.

Pour démasquer Jésus, Celse n'avait besoin que des Paroles du Rabbi : C'est de vos propres Écritures que nous avons tiré ces objections, et nous n'avons pas besoin d'autre témoignage : vous vous tuez de vos propres armes[31]. Les Écritures dont parle Celse ne comprennent ni les Évangiles, ni les Actes des Apôtres, ni les Lettres de Paul et autres, les Évangélistes n'ont point de nom, les Apôtres ne sont pas encore Douze, et c'est la femme frénétique qui joue le grand rôle après le fondateur de la secte. Le reste n'est que piperie de gens qui ne savent comment cacher leur faillite et l'indignité de leur maître.

En ce qui touche cette exécrable engeance, à l'origine c'est l'ambition du pouvoir et de l'argent, un esprit de sédition qui, du temps de... Jésus[32], a porté d'autres Juifs à se soulever contre l'Etat pour embrasser le même parti que ce... Jésus[33]. Nous voilà en plein sicariat, avec Jehoudda, ses fils et ses neveux[34]. L'auteur du Discours de vérité donnait ses preuves, citait les noms et les dates, Josèphe le lui permettait alors. Il continue : Ce goût d'orgueilleuse faction est tel encore aujourd'hui chez les christiens que, si tous les hommes voulaient se faire christiens, ceux-ci ne le voudraient plus ! Dans l'origine, quand ils étaient en petit nombre, ils avaient tous les mêmes sentiments, mais depuis qu'ils sont devenus foule, ils se sont partagés et divisés en sectes, dont chacune prétend faire bande à part, comme ils le voulaient primitivement. Ils se séparent de nouveau du grand nombre, se condamnant les uns les autres, n'ayant plus de commun, pour ainsi dire, que le nom, s'ils l'ont encore ! C'est la seule chose qu'ils ont eu honte d'abandonner ; car pour le reste les uns ont une doctrine, les autres, une autre. Ainsi Celse a la preuve que les premiers christiens de Judée jusqu'à Ménahem, usant d'armes et de siques, voulaient reconquérir le pouvoir sur les Juifs hérodiens. Sa pensée est si bien celle-là qu'il les compare aux Juifs révoltés contre les Égyptiens de plus il sait que, depuis l'époque du Recensement, ils se donnaient déjà le nom de christiens, seule trace aujourd'hui de leur commune origine. Assurément cet homme-là n'est point dupe de l'Église : il dit aux jehouddolâtres : Il y a christiens et christiens. Vous nous en présentez aujourd'hui qui dans la fable remettent l'épée au fourreau dès le temps de Pilatus et ne veulent plus l'en tirer pour défendre la civilisation contre les barbares ? Nous savons, au contraire, que les christiens, postérieurs à cette procurature, ont manié la sique et la torche avec maestria contre les Juifs non zélotes et sont restés célèbres par leurs crimes. Vous êtes la mystification intéressée, nous sommes la véridique histoire.

Celse avant opposé l'histoire à l'Évangile, l'Église eu triomphe aisément : elle oppose l'Évangile à l'histoire. Nous défions Celse et ses partisans d'articuler contre les christiens un seul fait séditieux — et en effet il n'y en a pas un seul sous le nom de Bar-Abbas révolté, assassin et voleur. D'abord, si c'était la sédition qui eût donné naissance à une société de christiens qui tirassent leur origine des Juifs, à qui il était permis de se défendre par les armes et d'immoler leurs adversaires[35], il est certain que le législateur de ces christiens ne leur eût pas interdit d'ôter la vie à personne ! Jamais il n'eût enseigné à ses disciples que la .4sleace contre un homme, même méchant, était illégitime !... D'ailleurs, ces christiens, dont l'origine remontait à une sédition, n'auraient jamais consenti à recevoir des lois si pacifiques qui les obligeassent à se laisser égorger comme des agneaux, sans leur permettre de se venger de leurs persécuteurs ![36] Parfaitement. Jamais Jehoudda et ses fils n'eussent permis une telle attitude chez leurs disciples.

Celse montrait à ce propos que, sous prétexte de restaurer la Loi juive, le fils de Panthora avait violé toutes les lois divines et humaines. A quoi l'Anticelse répond : Jésus est le fils du Dieu qui a donné la loi et les prophètes. Nous qui sommes dans son Église, ne lieu de violer la loi commune, nous répudions la fable des Juifs — la fable des Juifs, c'est l'identité constatée des christiens avec les sicaires et de Bar-Abbas avec Jésus —, et nous travaillons à nous instruire ou à nous perfectionner en cherchant le sens caché de la loi et des prophètes[37]. Et désignant les Lettres de Paul avec une clarté qui dispense de citer la source : Est-ce ne impiété que d'avoir aboli la circoncision corporelle, la distinction des viandes et l'observation des fêtes, des sabbats, des néoménies, pour élever l'intelligence jusqu'à une loi véritablement spirituelle et digne de la majesté de Dieu, sans empêcher toutefois l'Ambassadeur de Jésus-Christ[38] de vivre avec les Juifs comme s'il était Juif, pour gagner les Juifs, et avec ceux qui sont sous la Loi comme s'il était lui-même sous la Loi, pour gagner ceux qui sont sous la Loi[39].

Il connaissait parfaitement les innombrables sectes nées de Bar-Abbas et celles qui s'étaient formées contre lui, mais l'Église en arrête la nomenclature à Marcion, au delà duquel Celse l'épicurien n'a pu aller, et elle essaie de l'englober dans la série des infâmes dénoncés Par Fronton, par Minucius Félix et par Valentin. Mais, Comme il arrive trop souvent, elle a mal fait son travail et elle y a laissé la secte des Arsénocratiens[40] issus les uns de Salomé[41], les autres de Mariam[42], d'autres de Marthe[43], imaginant, ceux-ci tel maître[44] ou tel démon[45], ceux-là tel autre[46], et se roulant au milieu d'épaisses ténèbres dans des désordres encore plus antinaturels[47] et plus outrageants pour la morale Publique que ceux auxquels se livrent les compagnons de la Confrérie d'Antinoüs en Égypte ! Et ils se chargent à l'envi les uns les autres de toutes les injures qui leur passent par la tête, rebelles à la moindre concession Pour le bien de la paix, et animés les uns contre les autres d'une haine mortelle. Cependant ces hommes si divisés, et qui dans leurs querelles échangent les plus Indignes outrages, ont tous à la bouche leur mot[48] : Le monde est crucifié pour moi[49] et je le suis pour le monde ![50]

Celse eut le courage de tout lire, et l'Ancien Testament et ce que l'Église avait fabriqué du Nouveau, sans compter les Gnostiques. Outre les Paroles du Rabbi, il avait la Dispute de Jason et de Papiscos, qui est la première tentative faite pour diviniser Bar-Abbas, et les Dialogues célestes qui achèvent la démonstration. Et d'abord il prouvait que, pour arriver à faire un Jésus à peu près présentable, il avait fallu changer trois ou quatre fois et plus les Écritures fabriquées sur Bar Abbas. Encore y restait-il beaucoup à changer pour répondre aux objections de l'histoire. Cette observation a porté ses fruits, car ce qui restait à changer, l'Église l'a fait, de manière à pouvoir accuser les hérétiques[51] d'avoir truqué ces Écritures pour corrompre ce qu'elle appelle sa vérité. Les Évangiles, c'est le bien de l'Église. Elle a le droit d'user et d'abuser. N'est-ce point elle qui les produit ? C'est un secret pour les ouailles, mais ce n'en est point un pour elle. Ce qu'elle ne veut pas, c'est qu'on lui prouve ses corrections, ses interpolations et ses faux en leur opposant des textes plus anciens où rien ne se trouve de ce qu'on trouve dans les modernes. L'Anticelse s'écrie avec une indignation mal contenue : Que dire des erreurs des copistes et de la témérité impie qu'ils ont de corriger le texte ? Que dire de la licence de ceux qui se mêlent d'interpoler ou d'effacer à leur gré ? Au sixième siècle la mise au point des Évangiles n'était pas encore terminée ! Elle excitait la sollicitude de l'empereur Anastase, à cause des idioties qui y apparaissaient maigre ce travail[52].

Au temps de Celse, en dépit des efforts de l'Église, les Lettres de Paul ne passaient nullement pour être une preuve de l'existence de Jésus, bien que ce fût le but principal de celui qui les avait fabriquées. C'était un travail d'aigrefin, combiné pour faire passer la mystification évangélique. Celse le connait, il en cite même Plusieurs passages, notamment : Le monde est crucifié pour moi et je le suis pour le monde. Mais on ne lui a pas fait dire que l'auteur de ces turpitudes fût Saül repentant. Grave oubli !

 

IV. — Au début du Discours de vérité, l'Église fait intervenir un Juif de sa fabrication qui combat l'imposture ecclésiastique par des inepties révoltantes. Elle le substitue à Celse lui-même, qui dans le premier livre de son Discours prenait personnellement Bar-Abbas à Partie. Il y a donc calomnie à dire, comme l'Église feint de le croire, que Celse a pris le faux nez de ce juif pour Produire son apport documentaire : C'est Celse l'épicurien[53], dit-elle, qui se cache dans cet ouvrage en commençant sous la personne d'un juif, et ne se découvre que dans la suite. Il est vrai qu'il y a là deux discours, l'un d'un Juif imaginaire qui combat Jésus par des calomnies imbéciles, l'autre d'un philosophe platonicien qui le repousse par des arguments purement historiques. Le but de l'Église a été de coudre Celse dans la Peau de ce calomniateur et de les perdre l'un par l'autre. Car le Discours de vérité devient le Discours du mensonge, et ce qu'on appelle le Juif de Celse est en réalité l'agent direct de l'Église.

Pourquoi l'auteur du Discours de vérité, qui est un grand personnage, — cela se voit au ton qu'il prend lorsqu'il convie les christiens à servir l'Empereur, aurait-il pris les traits d'un Juif ? Ce faux nez le diminuait, le compromettait. Rappeler les christiens au paiement du tribut, à l'observation du service militaire, per le moyen d'un homme que sa loi écarte des armées romaines, semble peu habile et peu décisif. Pourquoi e - Juif, alors que Celse déclare tout savoir ? En ce cas, quelle lumière lui apporte ce Juif ? Aucune, sinon la fable stupide du soldat Panthère déshonorant Joseph de Marie adultère, chassée de son logis par le charpentier furieux, réduite à la prostitution pour vivre, tandis que le petit bâtard s'exerce au métier de magicien et de guérisseur. Tout cela était-il donc dans le Discours d'un Juif au temps de Celse ? Assurément non, car cela n'est même pas dans le Talmud de Tibériade, en formation au quatrième siècle, et cela ne et trouve que dans des écritures postérieures que leur ignorance frappe d'un discrédit irrémédiable[54].

Comment se fait-il que l'Église ne connaisse pas ce juif dans Lactance, au temps de Constantin, alors que dans le Contre Celse elle le veut contemporain de Marc-Aurèle ? Comment se fait-il que ce Juif coupe la parole à Celse pour ne débiter que des calomnies ou des mensonges utiles à l'Église ? Si Celse avait introduit ce juif dans son Discours, comment se fait-il que ai Julien, ni Cyrille d'Alexandrie qui répond à Julien, n'aient eu à débattre l'histoire du soldat Panthère ? S'il Produisait le Discours d'un juif contre Bar-Abbas, d'où vient que ce Juif n'a plus de nom ? C'est précisé-tuent pour qu'on puisse reprocher à Celse de s'être servi d'un de ces témoignages que leur anonymat déshonore. Une bonne partie de ce que disait Celse est aujourd'hui dans la bouche de cet infâme qui n'ose même pas signer son œuvre ! Le Contre Celse vous dit : on a remplacé tout le commencement — un livre sur deux ! — du Discours de vérité pour lui substituer ce faux témoignage émané d'un pape qui connaît à fond par Celse lui-même et le véritable nom du Père de Bar-Abbas et l'étymologie mi-grecque mi-hébraïque de son surnom de Panthora. Aussi parle-t-on à plusieurs reprises de fables judaïques dirigées contre Jésus[55] et accuse-t-on Celse de ne s'être documenté que là, ou dans des récits mal entendus, ou encore dans certains endroits de l'Évangile malhonnêtement dénaturés. En effet Celse mériterait ce reproche s'il avait accueilli de telles inepties. Mieux que cela, son propre témoignage en serait à jamais disqualifié, et Pour ma part je l'aurais rejeté avec mépris.

Au contraire, le premier soin de Celse avait été d'identifier Jésus avec Bar-Abbas, Bar-Abbas avec Joannès, et Joannès avec Jehoudda, fils de Jehoudda et de Salomé. Aujourd'hui on veut qu'il ait ignoré la naissance royale de Bar-Abbas et les deux généalogies par où le père et la mère de celui-ci établissaient leur descendance. Il feint de croire que, dans son Apocalypse même, Bar-Abbas a prétendu n'être pas fils de Jehoudda : Tu as commencé par te fabriquer une filiation merveilleuse[56], en prétendant que tu devais ta naissance à une vierge. — Mais attends un peu, je vais te conter l'histoire du soldat Panthère ! — Suit cette histoire, où aucun Juif et aucun Celse ne sont pour rien, quoique le Contre Celse leur attribue pour elle une complaisance paternelle. A les entendre, Bar-Jehoudda, qui s'est prétendu roi des Juifs et fils de Dieu[57], était né d'une humble villageoise obligée de travailler de ses mains pour vivre, car c'était tout bonnement la femme d'un ouvrier charpentier[58]. Cependant il fallait que sa beauté fût bien puissante pour agir sur Dieu au point de le rendre acre cible aux charmes mortels, et pour l'amener à choisir, au lieu d'une femme de royale naissance[59], une paysanne que personne ne connaissait, pas même ses voisins[60]. Dans le fond, elle avait conçu cet enfant[61] d'un adultère avec un soldat romain[62] nommé Panthère. Son mari, ayant appris sa faute, la chassa honteusement, et c'est alors qu'errant de village en village, elle accoucha secrètement du christ. Ainsi toute la puissance de Dieu n'avait pu la protéger contre la colère du charpentier ni le persuader de son innocence. L'enfant grandit dans la détresse, se réfugie en Égypte où il vit comme mercenaire, puis (ici nous rentrons dans le Discours de vérité), s'étant initié aux pratiques de la magie où les Égyptiens sont passés maîtres[63], il revient en Judée pour exercer son art : exalté par le succès, il s'est proclamé lui-même Dieu[64].

Très bien. Mais comment s'appelait ce phénomène ? Le Juif de l'Église va nous le dire : Qui a vu la colombe te déclarer fils de Dieu, si ce n'est toi, et, si l'on veut t'en croire, un de ceux qui ont été châtiés avec toi ?[65]

Celse n'avait pas eu grand'peine à voir que Nazireth n'existait pas. L'Anticelse répond par cette vérité postérieure à Charlemagne : Jésus à qui on reproche d'être né dans un hameau obscur, inconnu même (Nazireth, car tous les Juifs connaissaient Bethléhem), dans un lieu que n'avaient célébré ni les Grecs, ni les autres nations (y compris les Juifs)....  ce Jésus a néanmoins remué le monde plus que l'Athénien Thémistocle, plus que Platon, plus que Pythagore, plus que tous les sages, empereurs et rois qui ont existé ![66]

Dans Celse, les Mages qui viennent à Bethléhem sont encore Chaldéens ; dans Justin on les fait venir d'Arabie, pour éviter que l'attention se porte sur Ninive, sur le poisson de Jonas et sur l'étymologie même du Zib.

Celse savait le nom de tous les personnages de la mystification, notamment celui de la femme frénétique, lequel se trouve dans le Proto-évangile de Jacques. A certains détails on reconnait qu'il avait l'Évangile de l'Enfance et celui de la Nativité de Marie. Il savait qu'il n'y avait pas deux femmes dues la Nativité selon Luc, l'une qui se serait appelée Eloï-Schabed, et l'autre Marie, et qui auraient accouché l'une du Joannès et l'autre du christ, mais une seule femme, la frénétique, qu'on retrouve au tombeau de celui-ci, ce qui ne s'accorde qu'avec Cérinthe. En revanche, il ignore une chose que nous trouvons actuellement dans Matthieu seul : la constitution d'une garde militaire par Pilatus autour du tombeau.

Pourtant il connaît les marques de clous montrées après la résurrection, ce qui n'est que dans Cérinthe et dans Luc. On peut donc en conclure que cette constitution de garde a été ajoutée après la décapitation du Joannès baptiseur, provoquée elle-même par la découverte du squelette de Bar-Abbas à Machéron.

Il connaissait parfaitement celle des deux généalogies qui établit la filiation royale de Bar-Abbas par Joseph, C'est-à-dire par Juda, mais comme cette généalogie a l'inconvénient grave de livrer le nom de circoncision du fils aîné, aujourd'hui Celse ne connaît plus que la généalogie qui établit sa descendance davidique par Marie et qui n'a pas le même inconvénient, Salomé étant une Cléopas, c'est-à-dire une fille de Lévi. La même précaution a été prise par les aigrefins qui ont fabriqué l'Apologie mise sous le nom de Justin.

Celse faisait remarquer qu'ayant été crucifié la veille de la pâque et non le lendemain, comme dans la mystification évangélique, Bar-Abbas n'avait rien pu changer à cette cérémonie, et que personne, au temps assigné à Jésus par les Evangélistes, n'avait renoncé aux prescriptions de la Loi, même celles qui concernent les sacrifices.

Remarque capitale, puisqu'elle ruine l'Eucharistie. Aussi l'Église prête-t-elle ce faux témoignage à son Juif : Joannès, qui a baptisé votre Jésus, était aussi un des nôtres, et Jésus même, né parmi nous, vivait selon notre loi et observait nos cérémonies[67].

 

V. — Celse, qui avait à défendre tout le droit romain calomnié en Pilatus[68], insistait particulièrement sur la date de la condamnation et sur les motifs qui sont encore dans les Évangiles : rébellion, assassinat et vol. Aujourd'hui il ne s'en souvient plus, et Jésus n'est plus condamné que pour ses miracles. Jésus fut un homme et rien de plus, comme la vérité le déclare et comme la raison le démontre[69]. Il a pu en imposer au vulgaire par quelques artifices de magie, mais nos contemporains ont bien fait de le punir, et nous (Romains), nous les approuvons. Cette affirmation, placée dans la bouche du Juif par l'Anticelse, prit le caractère d'un inqualifiable aveuglement, lorsque le coupable fut camouflé sous les traits innocents de Jésus. L'Église trouve que les Juifs ont attiré sur elle toute la colère de Dieu pour avoir présenté le fiel à son bar venu sur terre à cause de leurs péchés[70].

Celse montrait que, sous prétexte de défendre la Loi — c'est la remarque de Josèphe aussi, — les fils de Jehoudda l'avaient trahie par leur partialité en tee de leur tribu, celle de Juda, qui pour être la plus foie ne valait cependant qu'un douzième dans la promesse faite à toutes. Pour ce qui est des lois telles que la circoncision, le sabbat, la pâque, le refus de tribut et le reste, la fureur qu'ils avaient déployée dans leur propagation leur avait valu le nom de Zélotes d'abord, puis celui de Sicaires. Leur mère elle-même leur avait donné cet exemple. Mais aujourd'hui, dit l'Anticelse, elle n'a nullement l'air d'une fanatique. — En effet elle a perdu ce caractère en perdant son vrai nom et le lien qui l'attache au crucifié de Pilatus. — Pourquoi la traiter de fanatique ? il n'y a pas dans l'Évangile un seul mot qui autorise cette calomnie[71] !

Celui qui, au temps de Celse, se serait permis de dire que Maria la Gamaléenne avait eu dans le corps sept démons de l'espèce de ceux qu'exorcisait son fils aine, celui-là eût passé un fort vilain moment. Nul Dieu ni fils de Dieu n'est descendu et ne descendra jamais ici-bas, dit Celse. Juifs et christiens, voulez-vous dire que vos envoyés de Dieu[72] sont Dieu ou quelque autre chose ? Je vous entends, c'est celte autre chose, à savoir des démons[73], car des envoyés de Dieu qui seraient chargés sur la terre de faire du bien aux hommes, que pourrait-ce être sinon des démons[74] ? Encore eût-il fallu que, si Dieu avait mis quelque chose de lui dans un homme, celui-ci se fit remarquer entre tels les autres par la taille, la beauté, la force, la majesté, la voix et l'éloquence. Or, il n'avait rien de plus  qu'eux, et même, comme ils le disent eux-mêmes, il était petit, laid et de basse mine[75].

Le Maître n'était qu'un magicien, un imposteur, un pervers. Le pouvoir qu'il semblait posséder lui venait de noms mystérieux et de l'invocation de certains démons[76]. Jaloux de ceux qui possédaient les mêmes secrets que lui, il les a persécutés (assassinés au besoin). Il suit Moïse qui n'est nullement un législateur, mais un simple sorcier moins intelligent que ceux d'Égypte, adorateur non de Dieu, mais des anges inférieurs, et le premier instituteur des Juifs dans la kabbale. Le Moïse des christiens, c'est Bar-Jehoudda, qui passe au milieu d'eux pour être fils de Dieu : doctrine dont il est l'auteur[77] et par laquelle il les a trompés encore mieux que Moïse. Il ne s'est jamais are d'apôtres, les gens qui sont venus à lui sont l'ordinaire gibier des charlatans et des fourbes.

Le Contre Celse porte encore la trace des nombreux extraits que Celse avait faits dans les Paroles du Rabbi où cet imposteur prétendait tenir ses Révélations de Dieu lui-même, avec qui il disait s'être entretenu[78]. Mais il les avait empruntées, n'en sachant pas le Premier mot par lui-même. Celse en citait quelques-unes provenant des Écritures transmises par ses frères : Voici comme ils parlent, dit-il[79]. Platon lui aussi a parlé du Verbe de Dieu, et beaucoup mieux, car il n a jamais voulu en faire accroire ni en imposer à personne ; il ne dit pas qu'il ait trouvé quelque chose de nouveau, et qu'il vienne du ciel pour nous l'apporter, mais il reconnaît d'où il l'a pris[80]. Bar-Abbas, lui, n'avait fait que plagier les Perses dans sa kabbale : Celui qui veut comprendre les mystères christiens, dit Celse, doit les comparer avec les mystères des Perses et il en saisira les différences.

Grâce aux écrits de Bar-Abbas, à ceux de Philippe, de Jehoudda Toâmin et de Mathias Bar-Toâmin, Celse possédait à fond toute la kabbale christienne : Est-il besoin, dit-il, que j'énumère ici tous ceux qui ont enseigne la pratique des purifications, des chants ou des Paroles qui guérissent ou délivrent des maladies, l'usage des empreintes[81] ou des figures de démons et de tant d'autres préservatifs tirés d'étoffes, de nombres, de Pierres, d'herbes et de racines ? Chez plusieurs prêtres de leur religion j'ai vu des Livres barbares[82], pleins de noms de démons et de conjurations[83] ; et ces prêtres se faisaient fort non d'être utiles aux hommes, mais d'attirer sur eux toutes sortes de maux[84]. Le même charlatanisme de vos merveilleux directeurs vous dicte des formules divines au Lion, à l'Amphibie[85], au Démon à tête d'âne, et à tous ces autres gardeurs de portes célestes dont vous apprenez misérablement les noms, pour n'en tirer d'autre fruit, malheureux que vous êtes, que de perdre l'esprit et d'être mis en croix ![86]

Le diagramme des christiens contenait dix cercles enfermés dans un cercle plus grand, nommé l'âme du monde ou le sceau. Celui qui applique le sceau se nomme le père, celui qui en reçoit l'empreinte s'appelle le fils, qui doit répondre alors : Je suis oint (christ) du chrisme blanc pris de l'Arbre de la vie[87]. Ce diagramme contenait l'Âne dans le septénaire des bons démons : c'était la figure du septième, et ils la nommaient Tarthabaoth[88] ou Ono-el[89]. Ils l'invoquaient au lit des mourants, ainsi que les six autres, représentes par des animaux (comme les quatre points cardinaux de l'Apocalypse), et ils les opposaient tous aux sept archons de Satan qu'ils exorcisaient par ce moyen. Partout ils mêlent le bois de la Vie, la résurrection de la chair par le bois de l'Arbre. — L'auteur du Contre Celse ajoute ceci de son cru : Ce qui vient, je pense, de ce que leur maître a été attaché à une croix et que était charpentier de profession. — Le diagramme contenait la figure carrée et les portes de l'Éden. — Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite, dit Jésus. — Sur les plus hauts cercles hypercélestes il y avait des inscriptions qui marquaient le siège du plus grand et du plus petit[90] (le Père et le Fils décrits dans l'Apocalypse.)

Point de différence entre la kabbale juive et la kabbale Le Contre Celse est bien obligé de le reconnaître. Celse dit formellement que le Messie des Juifs, outre sa souveraineté guerrière, donnera le signal de la résurrection de la chair et de la vie éternelle à tous ceux de sa race pour prouver que rien n'est impossible à Dieu[91]. Il raisonne ici en christien orthodoxe, ce qui donne plus de prix encore à ses appréciations sur un individu dont les aptitudes à la fuite étaient encore plus éclatantes que ses titres à la couronne de Judée : Si tu devais remplacer Hérode quand tu serais en âge de régner, lui demande le Juif de l'Église, pourquoi, au lieu de prendre la couronne, as-tu traîné partout tes misérables frayeurs ?[92] Son Royaume était donc bien de ce monde et l'on a vu à quel point ! Dans l'Évangile Jésus arrange l'affaire devant les goym, et l'Anticelse ne manque pas de leur signaler l'impudence de ce Juif qui n'a pas suffisamment apprécié le passage où il est dit : Si mon Royaume était de ce monde, mes ministres auraient combattu pour que je ne fusse pas livré aux Juifs[93] ; mais maintenant, mon Royaume n'est pas de ce monde[94].

Instruit de l'identité de Bar-Abbas et pénétré de sa véritable histoire, Celse n'eût pu être dupe de la mystification évangélique qu'à la condition de s'en faire le complice. Avec tous les Gnostiques il distinguait fort bien entre Jésus et le crucifié. Il laissait à Bar-Abbas ce qui est à Bar-Abbas et à Jésus ce qui est à Jésus, sans confondre le corps de l'un avec l'esprit de l'autre, qui va et vient dans la fable avec la liberté d'un Dieu. Celui-ci n'avait souffert aucune passion, malgré les apparences, en dépit même des plaies mortelles qu'il exhibe à la frénétique ou à Toâmin, et de son colloque avec Cléopas et un autre sur la route d'Emmaüs[95]. Vous pensez avoir trouvé un beau dénouement et croyable à votre fable, lorsque vous dites qu'immédiate ment avant sa mort il jeta un cri ; que la terre trembla ; que les ténèbres couvrirent le monde ; et quand vous ajoutez que celui qui, de son vivant, n'a pu se sauver, est ressuscité après sa mort et a montré les marques des clous dont il avait été attaché à la croix. L'Église a supprimé le coup de lance qui fait obstacle à l'imposture eucharistique, ainsi que nous l'avons montré[96].

Celse était particulièrement renseigné sur la chronologie des résurrections individuelles, salaire des martyrs de la Loi dans le système jehouddique, et il plaçait le châtiment infligé à Jacob junior parmi les choses que Bar-Abbas et ses autres frères avaient fait vœu de venger sur les hérodiens et les gens du Temple. Il ne manque donc pas de dire ce que signifiaient les trois résurrections (Jacob junior, la femme de Shehimon, Éléazar bar Jaïr), qui précèdent celle de Bar-Abbas dans les Évangiles et qui forment la suite naturelle de celle de Jehoudda et de son frère dans l'Apocalypse. Il les ignore dans l'Anticelse, et cependant il cite un Évangile (celui des Naziréens) où il est dit que, si Bar-Abbas avait été crucifié, c'est parce qu'il avait juré de venger son père (tué par les Juifs du Temple au Recensement). S'il en est ainsi, pourquoi, maintenant qu'il est Dieu, ne fait-il pas justice de ceux qui l'ont châtié, lui et son père ? Mais vous savez bien que celui qui l'a condamné[97] n'a pas même été puni, comme Penthée pris de transports furieux et mis en pièces ? Après avoir vécu sans pouvoir persuader personne, pas même ses propres disciples, il a été exécuté, n'ayant su ni Se préserver du mal ni vivre exempt de reproche. Allez-vous dire que n'ayant pu convaincre personne ici-bas, il est allé dans l'Hadès[98] pour gagner ceux qui s'y trouvent ?[99]

Convaincu, jugé, condamné au supplice, Bar-Abbas s'est sauvé honteusement, il a été pris, livré par ceux-là mêmes qu'il appelait ses disciples, lié, emmené comme un criminel qu'il était, et enfin puni de ses méfaits. J'aurais maintes choses à dire de la vie de Jésus[100], toutes très véritables et fort éloignées du récit de ses sectateurs, mais je veux bien les passer sous silence. Ce sont là des faits avérés qu'on ne saurait déguiser, et vous ne direz pas sans doute que ces épreuves n'ont été qu'une vaine apparence aux yeux des impies (Romains et Alexandrins), et qu'il n'a pas souffert ![101] Vous êtes bien obligé d'avouer qu'il a souffert en effet. Mais l'imagination des disciples a trouvé une adroite défaite : c'est qu'il avait prévu lui-même et prédit tout ce qui lui est arrivé ! La belle raison ! C'est comme si, pour prouver qu'un homme est juste, on le montrait commettant des injustices ; pour prouver qu'il est sans reproche, on faisait voir qu'il a versé le sang[102] ; pour prouver qu'il est immortel, on montrait qu'il est mort... en ajoutant qu'il avait prévu tout cela ![103]

Si, pour faire un Dieu, il suffit d'être un brigand et un meurtrier suppliciés, qu'est-ce qui en empêche d'autres de lui être préférés ?[104] Des milliers d'hommes n'ont-ils pas été exécutés et avec tout autant d'igue munie ?[105] Si vous aviez si fort envie de nouveauté, fallait choisir parmi ceux qui sont morts virilement et qui peuvent justifier la fable d'une consécration divine. Mais vous vous donnez pour Dieu un personnage qui a fini par une mort misérable sa vie infatue ! Combien il eût mieux valu choisir Jonas sorti du ventre de la Baleine ![106]

Les prophéties de Jésus sur sa crucifixion, l'annonce de la trahison des apôtres (la Cène par conséquent), l'arrestation de Jésus au Mont des Oliviers, seraient, si elles étaient vraies, des embûches qu'il aurait tendues à ses compagnons pour faire d'eux des traîtres et des impies ![107] Mais tous ces prétendus faits sont des contes que vos maîtres et vous avez fabriqués, sans pouvoir seulement donner à vos mensonges une couleur de vérité ! On sait d'ailleurs qu'il en est parmi vous qui, semblables à ces hommes que l'ivresse entraîne à se frapper de leurs propres mains, changent et transforment le premier texte de l'Évangile de trois et quatre manières et plus encore, pour avoir plus facilement raison des objections qu'on y oppose[108]... Au lieu du Pur et saint Logos avec lequel vous identifiez Bar-Abbas, vous ne pouvez nous montrer qu'un individu ignominieusement conduit au supplice et bâtonné. Comment trouver un fils de Dieu dans ce hâbleur et ce sorcier ?[109] Qu'est-ce que vos Évangiles ? De méchants contes fabriqués avec de vieilles légendes (le poisson de Jonas et l'âne de Juda), dont vos prêtres remplissent d'abord l'imagination de leurs adeptes, comme on étourdit du bruit des tambours ceux qu'on initie aux mystères des corybantes[110]. Ce qu'ils enseignent à propos de Jésus n'a rien de plus relevé que les boucs et les chiens des temples d'Égypte[111].

Un païen instruit dans la séméiologie, Celse par exemple, ne pouvait être dupe des miracles. Il ne leur donnait pas plus de corps qu'à Jésus lui-même. C'était des fictions qui valaient uniquement par leur sens mystérieux, mais ne reposaient sur rien de solide[112]. Pour les comprendre il fallait les déchiffrer. Celse ne manquait donc pas d'expliquer les séméiologies enfermées dans les miracles. Dans l'Anticelse la guérison des malades, la multiplication des pains, le changement de l'eau en vin lui semblent des prodiges ou plutôt des tours fort ordinaires dont les magiciens et les charlatans font montre sur les places publiques pour gagner quelques oboles. Tous ces gens-là, qui ont étudié en Egypte, savent chasser les démons du corps des possédés, guérir les malades en soufflant sur eux[113], évoquer les âmes des héros, faire paraitre des simulacres de tables chargées de mets exquis, de festins abondants[114] et des spectres d'animaux[115] qui ont toute l'apparence d'êtres réels. Faudra-t-il donc croire gus tous ceux qui opèrent ces miracles sont des fils de Dieu ? Non, rien ne peut nous paraître divin dans ce qu'on rapporte de Jésus... Tout démontre que c'était un homme haï de Dieu, un misérable imposteur.

 

VI. — La seconde partie du Discours de Celse était adressée aux Grecs. Après avoir dit son fait à Bar Abbas il se tournait vers eux, essayant de les guérir  de leur aveuglement. Cette apostrophe est aujourd'hui dans la bouche du Juif, à qui elle convient également bien, il faut à reconnaitre. D'où vient, compatriotes, que vous avez abandonné la loi de nos pères, et que vous étant laissé ridiculement séduire par les impostures de celui à qui je viens de parler, vous nous ayez quittés pour adopter une autre loi et un autre genre de vie. Il n'y a que trois jours que nous avons puni celui qui vous mène comme un troupeau[116]. L'Anticelse reproche à son Juif de s'être imaginé que cette rupture avec la Loi nationale datait des contemporains mêmes de Pierre et de Paul[117]. Il résulte, au contraire de l'Évangile de Jochanan que, connaissant l'invincible attachement des apôtres à la lettre de la loi, Jésus n'a pas voulu les en détourner lui-même et qu'il a compté Sur le temps pour faire la besogne, disant : J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter pour le moment. Mais quand viendra cet esprit de vérité[118], il vous conduira dans toute vérité, car il ne parlera pas de lui-même (comme un docteur), mais il dira ce qu'il aura entendu (de moi, consubstantialisé avec le Père).

D'un autre côté, Celse, et c'est à bon droit, reprochait aux Juifs jehouddolâtres d'avoir abandonné leurs croyances nationales, trahi la foi de leurs pères. C'étaient des renégats, des traîtres, qui jouaient le plus méprisable des doubles jeux, trompant les goym tout en dénonçant leurs compatriotes comme des déicides. Ce grief étant justifié au delà de toute expression, le Contre Celse est assez embarrassé : Les Juifs convertis, les Juifs christiens n'ont pas abandonné la loi de teins pères ! Ils l'observent toujours, mais avec une telle pauvreté dans l'interprétation littérale de la Loi qu'on les appelle des Ébionites, du mot ebion qui veut dire pauvre en hébreu ! Mais il a répondu trop vite, il se reprend plus loin, soutient que les Ebionites ne sont pas des christiens, mais bien des hérétiques dont les christiens ne sont pas responsables. D'ailleurs ils s'éteignent lentement, immobilisés en Palestine par leurs préjugés, et repoussent les Épîtres de ce Paul qu'ils ne regardent ni comme un saint ni comme un sage.

Les christiens trouvent dans les prophètes l'annonce de tout ce qui est arrivé à Bar-Abbas, mais il y a une foule de personnes à qui ces prédictions peuvent s'appliquer beaucoup plus justement qu'à lui. Non, le Messie que les prophètes promettent aux Juifs sera et grand et puissant souverain, maître de la terre, de toutes les nations et de toutes les armées, jamais ils n'ont parlé d'un fléau tel que votre Jésus ! Nul ne saurait reconnaître en lui un fils de Dieu[119]... Comme le soleil éblouit les yeux de l'homme en illuminant l'univers, ainsi en aurait-il été du Fils de Dieu. Quelquefois, vouss enveloppez vos fourberies d'une philosophie captieuse, et vous définissez le fils de Dieu son propre Verbe. Mais au lieu de cette parole pure et sainte, c'est un misérable supplicié que vous nous présentez, un homme battu de verges et mort sur une croix. Nous aussi, nous vous approuverions, si c'était vraiment le Verbe de Dieu que vous regardiez comme son fils ! Mais l'abominable fraude que celle par où les théologiens de l'affaire étaient arrivés à évincer le Verbe grec ou Dieu créateur pour lui substituer Bar-Abbas ! Celse à ce propos cite leur Dialogue céleste, où l'un de ces coquins démontre à un apprenti jehouddolâtre que Bar-Abbas étant le Fils de l'homme, le Verbe lui est maintenant subordonné. Dans ces conditions, dit le théologien, quel autre que le Fils de l'homme (Bar-Abbas) commandera au Dieu qui gouverne le monde ? Pourquoi tant de gens sur le bord du puits (où la vérité se cache) et pourquoi personne n'y descend-il ? Pourquoi, après tant de chemin parcouru, manques-tu de cœur ?Tu te trompes, répond le néophyte, j'ai du cœur et une épée. Après avoir évincé le Verbe créateur, ils s'entendent ensuite pour rouler le Père dont l'organe visuel est affaibli par l'âge, ils lui présentent Bar-Abbas comme étant ce Verbe, et le tour est joué ! Si maintenant vous prenez la peine de leur apprendre que tous les hommes ont Dieu pour père, ils ne l'admettront pas et ils voudront adorer en même temps ce chef de leur faction qu'ils ou appelé fils de Dieu ![120] Finalement, c'est lui qu'ils adorent seul, tout en s'abritant derrière le Père !

Avec un sens magnifique de la vérité, Celse combattait et les Juifs qui attendaient le Christ, et ceux qui, contrairement à ceux-là, prétendaient ravir trouvé dans le Crucifié de Pilatus : Honteux débat, dit-il, et sur lequel il n'y a pas à insister ![121] C'est une absurdité qui cette dispute entre Juifs et christiens ; une querelle à propos de l'ombre d'un âne[122], comme dit le proverbe. Tous accordent que le Sauveur doit venir au fonde ; reste la question de savoir si celui qui est annoncé par l'Esprit-Saint est venu ou non. Eh ! bien, il n'est venu que dans la mystification évangélique.

Leur fanatisme les rend impropres à tout raisonnement. Nous injurions Jupiter, Apollon ou tout autre dieu, disaient-ils, nous les souffletons et ils ne se vengent pas sur nous !Mais votre dieu, réplique Celse, a été souffleté, battu de verges et crucifié, et il ne n'est jamais vengé, ni sur l'heure ni plus tard, sur ceux qui l'ont tourmenté. D'autre part, depuis ce jour-là, dans un aussi long espace de temps, est-il jamais rien arrivé de miraculeux à ceux qui ont pu croire que ce personnage était non un vulgaire magicien, mais le fils de Dieu ? Que dire de celui qui l'avait envoyé avec ses instructions à porter au monde ? Le messager a été cruellement châtié, il a emporté avec lui son message dans le néant, et depuis si longtemps son Père n'a pas encore agi ![123]

Leur prédication est en faillite depuis le premier jour. Elle n'est faite que de promesses absurdes, dont l'auteur a été justement puni par le Dieu à qui il les attribuait : Les prédicants sont de diverses espèces. Beaucoup, obscurs et sans nom, à propos de quoi que ce soit, dans les sanctuaires ou hors des sanctuaires, se mettent à gesticuler comme saisis de la fureur prophétique ; d'autres, devins ambulants, courent les villes les armées, donnant le même spectacle. A chacun rie : n'est plus aisé de dire, et ils n'y manquent guère : Je suis Dieu, fils de Dieu, ou l'esprit de Dieu. Je viens, car le monde va périr, et vous, ô hommes ! vous allez mourir à cause de vos iniquités. Mais je veux vous sauver. Et vous me reverrez bientôt revenir avec une puissance divine. Bienheureux alors celui qui m'aura honoré aujourd'hui ! J'enverrai tous les autres au feu éternel, les villes, les campagnes et les hommes. Ceux qui ignorent maintenant les supplices qui les attendent, se repentiront alors et gémiront en vain. Mais ceux qui auront cru en moi, je les garderai éternellement ! ... A ces effusions hautaines, ils mêlent des termes de possédés, embrouillés et absolument incompréhensibles[124], dont aucune personne raisonnable ne saurait découvrir la signification, tant ils sont obscurs et vides de sens, mais qui permettent au premier imbécile ou au premier imposteur venu de s'en emparer et de se les approprier à loisir[125]. De ces prétendus prophètes, j'en ai entendu plus d'un de mes oreilles, et, après les avoir convaincus, Je les ai amenés à avouer leur point faible, et qu'ils débitaient au hasard tout ce qui leur passait par la cervelle !

Celse ne disconvient pas qu'il y en ait parmi eux dont les mœurs personnelles sont honnêtes, mais leur honnêteté n'est point la bonne, puisqu'elle sert de véhicule au mensonge. Que ceux-là écoutent qui sont capables d'entendre la raison et la vérité ! La foi aveugle ne peut faire que des victimes et des dupes. On ne peut croire avant d'avoir compris.

Ceux qui croient sans examen tout ce qu'on leur débite ressemblent à ces malheureux qui sont la proie des charlatans et courent derrière les métragyrtes[126], les prêtres mithriaques ou sabbadiens, et les dévotes d'Hécate ou d'autres divinités semblables, la tête perdue de leurs extravagances et de leurs fourberies. Il en est de même des christiens. Plusieurs parmi eux ne veulent ni donner ni écouter les raisons de ce qu'ils ont adopté[127]. Ils disent communément : N'examine point, crois plutôt, et : Ta foi te sauvera ; et encore : La sagesse de cette vie est un mal, et la folie un bien[128]. Bien ne leur appartient dans la morale qu'ils produisent : c'est de la morale rapportée. Les maximes les plus frappantes de l'Évangile, notamment : Il est plus aisé à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche de se sauver[129], proverbe passé en Grèce avec quelque Péréghérinos, sont prise à des païens qui, eux, ont eu le mérite de les penser, tandis que les évangélistes n'ont eu que la peine de le transcrire.

La tare de leur origine (le mensonge) se trahit dans leur marche rampante, dans leur principe de divisions intestines. Les esclaves, les femmes, les enfants, tout ce qu'on rencontre à l'office et dans les communs, voilà ce qu'ils recherchent. Le cardeur, le cordonnier, le tailleur qui va en journée, voilà leurs orateurs ordinaires. Ils attendent que l'enfant, la femme ou l'esclave soit seul avec lui et ils l'entreprennent. Vienne le père, le mari, le maître, ils se taisent subitement, ou en quelques paroles étouffées remettent la suite au lendemain. Ainsi, pour apprendre à bien vivre, il faut s'écarter de la famille et aller trouver l'ouvrier qui fait son cours de jehouddolâtrie dans la pièce réservée aux Reus de service. Selon lui, c'est Bar-Abbas qui tient les clefs du Royaume de Dieu, il ne la donne qu'aux simples et aux ignorants et, qui mieux est, aux Pécheurs. Qu'est-ce donc que ces pécheurs, sinon la troupe infâme des voleurs, des brigands, des révoltés, des empoisonneurs, des violateurs de tombeaux, des sacrilèges, de tout ce qui est hors la loi ? Et d'où 'rient cette préférence pour les pécheurs, cette élection d'où les sages sont exclus ? Une association secrète qui affiche un pareil programme n'a-t-elle pas pour but avéré la destruction de l'État, de la famille et de la société ?

 

VII. — Celse fait le procès de la jehouddolâtrie Perce qu'elle vient des Juifs et celui des Juifs parce que ceux-ci lui ont donné naissance. C'est blasphémer Dieu lue de donner son nom à Iahvé. A partir du moment il compare ce qu'on peut appeler la révélation aryenne à ce qu'on appelle la révélation juive, son argumentation se confond étroitement avec celle de Julien. C'est le même mouvement, ce sont les mêmes paroles, les mêmes expressions, les mêmes révoltes. Le talent de Celse est de bien exprimer la pensée grecque et la pensée latine. Les Écritures juives et tout ce qui en dérive sont l'expression d'un déisme inférieur et grossier : Tout cela a été beaucoup mieux dit par les Grecs, et sans tout cet appareil de promesses et de menaces de la part de Dieu ou de son Fils.

Les Juifs ne disent rien de nouveau ni de particulier sur le déluge et sur le feu final. Ces idées ne sont qu'on plagiat des idées grecques et barbares mal comprises et qu'avec leur génie sinistre ils ont aggravées par l'image de Dieu descendant armé du feu comme na bourreau[130]. Les christiens de la Grande église reconnaissaient le même Dieu que les Juifs et la même cosmogonie que Bar-Abbas. Il n'en peut être autrement. Mais ceux qui tiennent que Bar-Abbas est le fils da Dieu des Juifs font contre eux la concentration de tous ceux qui ont des raisons de le combattre dans soli Père. Car les Juifs se séparent du reste du monde Par leur façon d'être et de penser. Apion les a bien peints. C'est une orgueilleuse folie, un véritable blasphème de croire que Dieu, parmi l'humanité, ne s'occupe que des Juifs et aujourd'hui des christiens. Voilà l'image d'un Dieu non moins insociable que ses adorateurs ! C'est Moïse le magicien qui a persuadé cela à cette race inférieure qui adore les anges et s'adonne à la sorcellerie. Moïse doit tout à l'Égypte, à commencer par la circoncision. La défection que les Juifs ont commise envers les Égyptiens, ils la subissent à leur tour de la part des christiens. Ceux-ci suivent un Juif rebelle nommé[131]..., et on peut juger d'eux par le mépris qu'Ils inspirent au plus méprisable de tous les peuples, celui-là même dont ils sont sortis ! Dieu ne leur a pas donné de pouvoir surnaturel. Bar-Abbas n'est qu'un magicien qui par jalousie de métier a exclu d'avance les charlatans qui pourraient venir après lui. Il les excluait même de son vivant (Ananias en sait quelque chose). Cet esprit de division, d'intolérance et d'excommunication ne peut que transformer le monde en une vaste maison de fous, en révolte les uns contre les autres.

Le matérialisme grossier qu'ils réclament de Dieu par la résurrection du corps tue l'âme, cette âme que la philosophie avait eu tant de peine à dégager dans l'homme. Celse se fait de Dieu une idée si haute et si Pure, qu'il n'admet de commerce avec lui, après la mort, que par l'âme. Pour connaître Dieu, dit-il, pour le voir, pour aller à lui, les christiens (jehouddolâtres) s'imaginent qu'il est nécessaire que leurs corps ressuscitent... Ils demandent comment ils pourraient le connaître, sinon par leurs sens, et s'il est possible de percevoir quelque chose sans le secours des sens... C'est là le langage non pas d'un homme, non pas d'une intelligence, mais de la chair. Qu'ils écoutent donc, si ces esprits faibles et charnels sont capables de comprendre quelque chose ! Vous ne pouvez voir Dieu que si, méprisant vos sens, vous le contemplez en esprit, et si, fermant les yeux de la chair, vous ouvrez ceux de l'âme. Mais si vous cherchez de bons guides pour régler votre vie, il vous faut fuir les imposteurs et les fourbes qui vous repaissent d'illusions ! Autrement vous vous rendez tout à fait ridicules en blasphémant et en traitant d'idoles les autres dieux, ceux qui ont donné des preuves de leur puissance, et en vénérant non pas même une idole, mais un mort plus méprisable que toutes les idoles, et en lui cherchant un Père semblable lui ! Car la vraie piété consiste à adorer toutes les manifestations du grand Dieu et à endurer tous les supplices, à souffrir toutes les morts plutôt que de dire, ou même de penser quoi que ce soit de contraire au respect qu'on lui doit. Mais les christiens refuseront de célébrer le Soleil ou de chanter un bel hymne à la louange de Minerve, et le même jour ils se prosterneront devant le ministre d'un Juif condamné pour ses crimes !

Celse voit avec tristesse ce détachement des choses de la communauté civilisée, ce refus de vivre et de travailler pour elle, cette grève des esprits et des bras, cet abandon complet des conquêtes de la pensée. Néanmoins il ne s'emporte pas contre ces malheureux, il ne réclame ni édits ni bourreaux, il voudrait les ramener aux règles de la solidarité, les convertir à la cause du progrès menacé dans sa marche, dans son existence même. La civilisation est une patrie, quand les barbares sont aux portes. Il exhorte les christiens à venir en aide à l'Empereur, à l'aider de toutes leurs forces dans ses justes travaux, à combattre pour lui, à porter les armes sous lui, s'il l'ordonne, et à conduire ses troupes avec lui[132]. Loin de les repousser, il les convie à accepter les charges publiques pour le salut de la Patrie  et de la défense des lois. Ces divinités séculaires, ces dieux protecteurs qui ont fait la grandeur romaine, qui sont Rome même, et dont le culte, religieusement pratiqué par vos ancêtres, les a rendus maîtres du monde, vous les abandonnez, vous les méprisez, vous les insultez, vous les foulez aux pieds, et pour qui ? Pour le Dieu des Juifs qui n'a pas même pu les défendre contre la colère d'un Pompée, d'un Titus, d'un Trajan, d'un Hadrien ! Pour un criminel mis à mort sur une croix, dont le culte est officiellement proscrit sur terre comme sur mer[133] et qui ne peut même pas vous protéger, vous, les statues consacrées à sa gloire ![134]

 

VIII. — Georges de Cappadoce avait très consciencieusement chassé de leurs églises les jehouddolâtres d'Alexandrie. Lorsqu'on apprit la mort de Constance, Athanase, homme habitué à interpréter largement les choses, en conclut qu'il était délivré d'exil et qu'il pouvait reprendre ce qu'ils appellent, dit Julien, le trône épiscopal. Tandis que Julien descend des Gaules à Constantinople, Athanase remonte vers Alexandrie, entre avec sa bande, s'empare du Serapeum, et fait assassiner Georges, Dracontius et le comte Diodore, agents de Constance. Le coup fait, il sortit de la ville. Le Dieu de la fuite, lui avant été plus favorable qu'à Bar-Abbas, permit qu'il échappât, caché on ne sait où, et qu'il mourût onze ans plus tard, après avoir bravé Julien, comme il avait bravé Constance et Constantin.

Les ariens, en effet, accusèrent immédiatement les athanasiens d'avoir assassiné le Monstre de Cappadoce[135]. Que reste-t-il aujourd'hui de cette accusation, glu certainement fut formulée par écrit, apostillée par les témoins et portée devant Julien ? Plus rien. L'Église soutient que Georges a été assassiné par ses propres ouailles. Cependant Grégoire de Nazianze, athanasien forcené, avoue que les jehouddolâtres participèrent au massacre. Mais écoutez Sozomène : Julien eût sans doute préféré que les païens fussent les auteurs de la mort de Georges, mais il ne put cacher la vérité — à savoir que Georges aurait été assassiné par les ariens —. Sozomène nous conduit tout doucement à un second faux. Julien va signer une lettre dans laquelle il accusera tous les Alexandrins sans distinction : de telle manière que les partisans d'Athanase demeurent impérialement lavés de tout soupçon. Selon l'Église Athanase n'était même pas là quand Georges fut assassiné[136]. Bar-Abbas non plus n'est pas là quand on assassine Ananias.

On produit diverses lettres de Julien concernant Athanase. Elles sont substituées, sans quoi on ne les produirait pas. Dans l'une il écrit aux Alexandrins qu'il enjoint à Athanase de quitter la ville dès la réception de la lettre[137]. Dans l'autre, Athanase n'ayant point obtempéré, il donne ordre à Ecdicius, préfet d'Égypte, d'expulser Athanase d'Alexandrie ou plutôt de toute l'Égypte, avant les calendes de décembre, simplement pour avoir osé, Julien régnant, donner le baptême à des femmes grecques de distinction[138]. Grief dérisoire, si l'on songe à ceux que sa conduite fournissait depuis trente-cinq ans ! Au fond, ce que veut Julien, c'est que le patriarche des jehouddolâtres soit absent lors de l'assassinat de Georges.

La date de l'assassinat passée, Julien écrit une troisième lettre, celle-là adressée aux Alexandrins, et dans laquelle, supposant qu'ils ont réclamé contre l'édit d'expulsion, il fait valoir les raisons d'ordre politique qui militent en faveur du maintien de cet édit. Julien, qui partout ailleurs vante comme sa vertu principale un attachement opiniâtre à la religion de ses pères, proclame ici que jusqu'à vingt ans il a été jehouddolâtre et qu'il a cessé de l'être depuis douze ans[139]. — Heureux habitants d'Alexandrie ! Renseignés de la main même de l'Apostat, avec les dates ! — Et afin que son apostasie soit une chose dûment signée et paraphée, lue et approuvée, à l'abri de toute interprétation contraire, il exige que l'édit qui en porte le témoignage soit affiché sur tous les murs de la ville où les scribes ecclésiastiques pourront le copier à loisir. Vit-on jamais apostat plus officiel ? Il ne lui manque que de faire également apposer cette affiche sur les murs de Constantinople où il est et sur ceux de Lutèce dont il vient.

Pendant que le faussaire y est, il en profite pour faire dire à Julien qu'Athanase occupe le siège fondé par Marc à son retour de Rome où il a composé son Évangile sous la direction de Pierre : Lors même que le fondateur de votre cité serait quelqu'un de ces hommes qui, violateurs de leur propre loi[140], ont été punie comme ils le méritaient pour avoir mené une vie contraire à la justice, semé la rébellion et introduit une nouvelle doctrine[141], vous n'en auriez pas plus le droit de redemander Athanase ! Mais ils ont des patrons sinon plus recommandables, — c'est impossible ! — du moins plus anciens, à commencer par Sérapis. Et c'est une honte de les voir, eux, jadis maîtres des Juifs, tellement égarés, pervertis par leurs fourberies, qu'ils se font aujourd'hui leurs esclaves. Préférer au Soleil qui éclaire le monde ce Jésus que ni eux ni leurs pères n'ont vu, comment expliquer une pareille aberration ? Si quelques-uns persistent à croire que le père de Bar-Abbas et Bar-Abbas lui-même ont étudié la magie en Égypte, libre à eux ! Mais Julien n'en croit rien. Si même ils s'imaginent avoir lu dans Philon et dans Apion la mascarade du Gymnase, reprise de celle du prétoire de Pilatus, qu'ils se livrent à cette illusion ! Quant à Athanase, c'est un habile, on n'en disconvient pas, mais il n'est pas vrai que tous ses adversaires meurent assassinés, il a seulement le tort d'interpréter les Écritures a sa manière et de penser qu'on en veut à ses jours. Julien l'avait banni de la ville, il le bannit maintenant de toute l'Égypte ! Quelques détails sur la mort de Georges feraient beaucoup mieux notre affaire, mais tel n'est pas l'avis du scribe qui a fabriqué la lettre[142].

Dans une quatrième lettre, également adressée aux Alexandrins, Julien aborde enfin l'assassinat de Georges. Maintenant qu'Athanase a reçu ses lettres d'exil et Ecdicius l'ordre de les mettre à exécution avant le 1er décembre, les Alexandrins apprennent que ce sont eux qui ont assassiné Georges[143]. Julien estime que Georges de Cappadoce méritait la mort et pis encore[144], il blâme le peuple païen d'avoir fait justice lui-même des entreprises de cet évêque, mais l'énormité des crimes de Georges explique ces pieuses représailles. Car Georges avait irrité Constance contre les Alexandrins[145], puis avec le concours du préfet d'Égypte et du chef militaire, suivi de ses hoplites, il s'est emparé du temple auguste de la Divinité, il en a enlevé de force les images, les offrandes et tous les ornements sacrés, bref il a saccagé le Serapeum sous Julien, car c'est sous Julien que la chose se passe. Georges est un sacrilège, ainsi que le préfet et le chef militaire. Si le peuple ne l'eût pas massacré, c'est Julien qui se serait chargé de sa punition. Il aurait de même puni le préfet et le chef militaire coupables d'avoir attenté à la justice, aux lois et à la religion.

Puisqu'il en est ainsi, pourquoi, au lieu de procéder énergiquement contre les deux complices survivants, se borne-t-il à blâmer simplement les Alexandrins d'avoir cédé à une indignation toute naturelle en massacrant Georges ? Car enfin le meurtre n'a profité qu'à Athanase, rentré dans Alexandrie triomphant. Athanase était l'ennemi de Georges, des dieux et de Julien. C'est pour Athanase qu'on a fait le coup. Ce coup est le second, car Georges a péri de la même façon que Grégoire. Julien va certainement donner l'ordre d'instruire contre Athanase d'une part, contre le préfet et le chef militaire de l'autre. Or il ne manque qu'un nom dans la lettre de Julien, c'est celui d'Athanase, et on ne trouve plus qu'un coupable : le peuple d'Alexandrie ! Qui profite de la mort de Georges ? Athanase. De qui est la lettre ? Des tenants d'Athanase. Elle est si extraordinaire sous la plume de Julien, que le faussaire ne peut s'empêcher de dire : Comparez donc ma lettre actuelle avec celles que je vous ai naguères écrites, et voyez la différence ! Quels éloges je vous écrivais alors ! Et ce faussaire est à ce point disciple d'Athanase qu'il fait dire à Julien : Irrités contre Georges, cet ennemi des dieux, vous avez souillé une fois de plus la ville sainte, au lieu de le traduire devant les tribunaux. En somme c'est comme s'il disait : Georges est tombé sous les coups de ces mêmes gens qui naguères ont assassiné Grégoire, je les reconnais à leur faire. Il continue : Par bonheur pour vous, citoyens d'Alexandrie, c'est sous mon règne que vous avez commis ce crime, sous roui qui par vénération envers le dieu (Sérapis) et envers mon oncle, mon homonyme, qui commandait en Égypte et dans votre ville même, veux bien vous conserver une amitié fraternelle. Mais alors c'est le comte Julien lui-même qui a pillé le Sérapéum avec Georges ?

Massacrer le Monstre de Cappadoce était beau, 'nais lui enlever tous ses livres sur Bar-Abbas et les brider avec lui était souverainement esthétique. Sa mort fut suivie du sac de sa bibliothèque. On produit deux lettres de Julien écrites pour la ravoir, l'une à Ecdicius, préfet d'Egypte, l'autre à un certain Porphyre toutes deux ont été enzônées par l'Église, ce sont des lettres de remplacement, ce qui se reconnaît leurs contradictions et à l'atténuation des termes, mais le fond est authentique. Afin d'empêcher que des hommes (les partisans d'Athanase) dont l'or de Georges ne saurait assouvir l'insatiable cupidité ne s'emparent en même temps des livres galiléens (araméens) de l'assassiné, Julien demande au préfet — à titre de service personnel — de les faire retrouver : ils ont donc été pris. Julien ne les recherche d'ailleurs que pour les faire disparaître entièrement. — Athanase aussi. C'est étonnant comme Julien ressemble à Athanase ! — Mais de peur qu'on ne détruise les bons livres — Évangiles canoniques, Actes des Apôtres, Lettres de Paul, etc. — avec les mauvais — Paroles du Rabbi, Assomption de Moïse, écrits valentiniens et gnostiques —, qu'on les recherche tous ! qu'on prenne pour guide dans cette recherche le notaire même — copiste et bibliothécaire — de Georges ! Ce notaire sait donc ce que les livres galiléens sont devenus ? Il aura la liberté (il est donc arrêté ?) s'il s'acquitte fidèlement de sa mission, mais s'il use de fourberie, c'est-à-dire si, acheté par Athanase, il ne dénonce pas les receleurs, il subira la question.

Ce notaire, comme on voit, est soit un esclave qui sera affranchi en échange de ses services, soit un homme libre qui est détenu comme suspect d'avoir facilité le rapt. En même temps qu'au préfet, Julien écrit à Porphyre, — son intendant en Egypte sans doute — : Fais-moi rechercher la collection entière de cette bibliothèquey compris la grande quantité de livres de tout genre écrits par les Galiléens[146]et dirige-la soigneusement vers Antioche, prévenu que tu seras puni d'une forte peine si tu ne mets pas tous tes soins à cette recherche. Les gens, quels qu'ils soient, que tu soupçonnerais de détenir ces livres, après les avoir enlevés, use auprès d'eux de tous les moyens, de tous les serments, ne te lasse pas de mettre les esclaves à la torture, et si tu ne parviens pas à les convaincre, emploie la force pour faire rapporter ces ouvrages ! Ce Porphyre qui a le pouvoir de mettre les esclaves à la torture ne peut être le notaire de Georges. Nous avons vs que celui-ci était lui-même esclave ou arrêté. D'où vient qu'ayant commis ce notaire à la recherche des livres écrits par les Galiléens, Julien n'en parle pas du tout à Porphyre et qu'il charge, au contraire, celui-ci de la même besogne ? Il n'importe. Le fait est là. Les raisons qui ont convaincu Julien que l'Évangile était une fourberie purement humaine[147] résultaient des livres de Georges assassiné ; et ces livres, Athanase les avait fait disparaitre. Mais trop tard ! Celse y avait puisé les éléments principaux de son Discours. Et c'est ce qu'on a voulu dissimuler par les deux faux relatifs à ces livres.

 

IX. — Quand Julien, les souliers encore humides de le rosée des Gaules, revient dans cet Orient, au milieu de cette atmosphère où Dieu est remplacé par la judéolâtrie, après la sage philosophie qu'il a laissée en Grèce, l'Instinctive bonté de cœur qu'il a trouvée chez les Gaulois, il est frappé du recul moral où la folie nouvelle a jeté la conscience humaine. Il voit les effets de l'horrible spéculation du baptême : la tache encouragée par moyen de la laver, le remords étouffé par l'imposture de la grâce ecclésiastique ; en bas la tourbe sinistre des adorateurs de tombeaux et de squelettes, l'exécrable convulsion des vivants qui se roulent sur les morts pour se frotter à l'immortalité, et en haut le commerce florissant des évêques cousus d'or, des marchands de christ rentrés dans le Temple au bras de Bar-Abbas, qui crie à tout venant : Corrupteurs, meurtriers, sacrilèges, êtres infâmes, venez ici hardiment, je vous rendrai purs à la minute en vous lavant dans cette eau ! Et quiconque retombera dans les mêmes crimes, je ferai qu'en se frappant la poitrine et en se cognant la tête, il redevienne pur comme devant ![148]

Julien n'avait en vue ni les chrestiens ni certaines sectes de christiens, mais seulement les affolés qui suivaient dans sa hideuse trajectoire le juif originaire d' Galilée. C'est pourquoi il les nomme eux-mêmes Galiléens. Et même il aurait fait une loi — c'est Grégoire de Nazianze qui parle — obligeant les christiens à prendre officiellement le nom de Galiléens[149]. Mais sauf Grégoire, dont les affirmations sont plus que suspectes, nul n'a jamais entendu parler de cette loi-là. Elle eût été fort sage, et peut-être eût-elle empêché la confusion dont l'Église fut la bénéficiaire et l'humanité la victime.

Julien, qui ne se prononçait jamais sur les matières religieuses sans mûres réflexions, qui plus que personne y montrait de la réserve, voulut voir ce qu'il y avait au commencement de la jehouddolâtrie et dans sa ligne de prolongement. Il connaissait les profondes différences qu'il y avait entre les ariens restés avec le Verbe, et les ministres de Bar-Abbas, lèpre de la société humaine[150], qui monnayaient Dieu, vendaient le baptême, brûlaient les temples, renversaient les statues et adoraient le mort, comme l'a déjà dit Celse. Ce qui effraye Julien, après leur ignorance et leur méchanceté, c'est leur orgueil, un orgueil barbare poussé jusqu'à la folie. Au-dessus des sectes qui se disputent les membres amollis de la décadente Asie, il voit planer une discipline commune : la haine, servie par une indomptable opiniâtreté, surtout dans les petites superstitions qui accompagnent la grande. Tel qui ne donnera pas sa vie pour sauver un païen ou même un frère voudra mourir pour lui-même, supportera la misère, endurera la faim plutôt que de goûter de la chair de porc ou de tout autre animal étouffé ou mort par accident. Ceux de cette secte s'en tiennent aux ordonnances de Bar-Abbas, et ils savent bien que Shehimon n'est jamais allé, sous le pseudonyme de Pierre, manger des tétines de truie chez le centurion Cornelius. Voilà la vraie, la pure Église, et le temps n'a point diminué sa barbarie.

Le problème christien, posé par la horde d'eunuques et d'intrigants qui vivaient du mort, n'intéressait ni le philosophe ni le théologien, la sagesse et Dieu y étant également étrangers. Comme homme de politique et d'affaires, — Julien prend désormais ces deux titres, — il le touchait directement. Derrière Bar-Abbas, les premiers charlatans venus le tenaient en échec. Quand ils étaient les maîtres d'une ville, il n'y avait plus de sécurité ni pour les biens ni pour les personnes. C'était la guerre civile en permanence.

L'évêque est un tyran plus redoutable que n'avait été le proconsul sous les plus mauvais empereurs. Avec ne armée de clercs, il perçoit son impôt, rend sa justice, s'attribue le bien public et celui des particuliers. Ces évêchés sont plus que des fermes générales : le fermier général rendait des comptes. On se fait évêque Par amour du gain et passion de l'absolutisme : a Tu ne sais pas écrire ? Je te ferai ton testament. Tu sais écrire ? Voici ce qu'il y faut mettre : Tout à l'évêque ! Un ancien soldat, Eleusius, évêque de Cyzique sous Constance, bouleverse la ville, renverse tantôt une église' tantôt un temple, et prend tout : est hérétique tout à qui ne produit pas. Marathon, ancien payeur de la garde prétorienne, est évêque de Nicomédie : on a grand'peine à refréner son avarice. Novatiens, macédoniens, ariens, demi-ariens, c'est à qui s'accusera d'hérésie pour se piller. Les jehouddolâtres sont les pires. La vieille barbarie se corse d'un nouveau mot d'argot théologique désignant un nouveau genre de crime : l'hérésie, le fait de penser autrement. En espionnant les intérieurs, en faisant la police des opinions, on a le droit de déclarer son voisin hérétique et par conséquent de le tuer. Sous Constance, on avait égorgé des foules entières à Samosate, le pays de Paul, ce monstre qui niait l'existence de Jésus ; à Cyzique, ville de la Chersonèse de Thrace, en Paphlagonie, en Bithynie, en Galatie et dans d'autres contrées, des bourgades entières avaient été ravagées, détruites de fond en comble[151]. Le frère tua son frère, la belle-mère son gendre, le père son fils ; dans chaque famille de cinq on fut trois contre deux ou deux contre trois, et ce fut la seule prophétie de Bar-Abbas qui, en se réalisant, établit sa divinité par des signes irréfutables !

Ces habitudes de brutalité gagnent les grands-Prêtres païens, qui traitent leurs subordonnés comme les

évêques traitent les leurs. Indigné, Julien écrit à l'un d'eux[152] : Les égards que nous avons pour des bois infâmes (il veut parler des bois de la croix), tu ne les as pas pour les hommes ! Tu as frappé, toi païen, un de tes prêtres C'est un acte honteux ! Celui qui frappe est un sacrilège ! Apparemment ce sont les évêques et les prêtres des Galiléens qui t'inspirent. Ils siègent auprès de toi, sinon en public, à cause de ma personne, du moins en secret et dans l'intérieur de la maison ! Au contraire, Julien, résolu à user de douceur et d'humanité envers tous les Galiléens, veut qu'aucun d'eux n'ait à souffrir de violence, à se voir trahie dans un temple ou obligé à toute autre action contraire à sa propre volonté[153].

En face des mauvais instincts, envie, jalousie, avarice, désir de nuire toujours en éveil, qui animent les christiens les uns contre les autres, Julien se dresse comme la dernière image de la tolérance païenne : sa raison, et c'est la bonne, va jusqu'à la pitié pour ces malheureux qu'une abjecte superstition voue à la mutualité des mauvaises pensées et des vilaines passions. Peut-être, dit-il, serait-il juste de les guérir malgré eux, comme on fait pour les frénétiques, mais nous leur accordons à tous la pleine liberté de rester malades ; car il faut, selon moi, instruire et non pas punir les gens dépourvus de raison. Julien a compté sur la force de la vérité pour vaincre, il s'est trompé.

Il essaya de la douceur qu'on doit aux fous. Un décret commun à tous ceux, quels qu'ils fussent, qui avaient été bannis par Constance pour cause de folie galiléenne les releva de leur exil. Aetius, évêque des Eunoméens, qui était le théologien de Gallus, avait été compris, à cause de cette intimité peut-are, dans les édits de Constance : Julien lui écrivit pour le rappeler et trouva en lui du secours spirituel contre les jehouddolâtres. Les Ariens d'Edesse avaient été mis par Constance en possession de l'Église enlevée aux Valentiniens. Constance mort, les Valentiniens se crurent en droit de réclamer les richesses dont ils avaient été dépouillés, mais ils n'en furent que plus maltraités par les ariens. Julien, pour les mettre d'accord, distribua aux soldats les biens que ces charlatans avaient extorqués à la crédulité publique et qu'ils se disputaient en se portant aux derniers excès les uns contre les autres. Ainsi, disait Julien, je vous renvoie aux préceptes de l'Évangile et je vous aplanis la route du royaume des cieux : Heureux les pauvres, car le royaume des cieux est à eux !

Une chose prouve que Julien n'avait jamais été jehouddolâtre, il ne persécuta pas. Les précédents et les suites prouvent qu'il avait le devoir d'interdire l'enseignement christien. Quant on voit l'immense réseau de ténèbres et de crimes dans lequel l'Église a enfermé l'humanité, on se prend à regretter que, par excès de philosophie, il se soit contenté pour tout châtiment de traiter de misérables les Athanase et les Eusèbe.

L'enseignement n'était, pas aux mains des jehouddolAtres. Mais vivant chichement de la rhétorique et des affabulations païennes, les maîtres livraient sournoisement bataille à des dieux qui n'enrichissaient pas. Julien eût voulu d'eux une chose qu'ils avaient aliénée déjà, de la franchise : S'ils estiment qu'ils se sont trompés à l'égard des dieux les plus vénérés, qu'ils aillent aux églises des Galiléens interpréter Matthieu et Luc vous ordonnent, si vous les suivez, de vous abstenir de nos cérémonies sacrées ! On feint de voir un édit là où il n'y a qu'un vœu. Si ce fut un édit, il y eut des motifs. Où sont-ils ?

 

X. — Celse avait été fait gouverneur de Cilicie. Lorsque Julien alla eu Syrie où il voulait faire la concentration des troupes qu'il devait mener contre les Perses, Celse vint au devant de lui jusqu'à Pylas et le harangua près d'un autel. Familièrement Julien le fait monter dans sa voiture et le ramène avec lui jusqu'à Tarse[154] ; il est tellement heureux d'avoir retrouvé sen compagnon d'études qu'il se propose, après avoir battu les Perses, de revenir près de lui. Et telle était sa volonté de retourner à Tarse que mort on l'y ramena.

Julien arrive vers la fin de juin 362 à Antioche. Les huit mois qu'il y passe sont décisifs pour l'avenir de l'Église. Si le mensonge n'est pas tout-puissant, elle vu être enterrée à Machéron. L'enquête est terminée : Jésus n'est autre que Jehoudda, dit le Joannès baptiseur et Bar-Abbas, justement crucifié par Pilatus et divinisé dans la suite des temps par les marchands de christ. Savamment trituré par les évangélistes, Bar-Abbas est petit à petit devenu mythe solaire, un Mithra, un Sérapis, un Apollon du gibet. Julien va se tourner vers les habitants d'Antioche, et leur dire publiquement : Ecce homo, voilà le Juif dont vous faites le Génie tutélaire d'Antioche, à la place à Jupiter et d'Apollon !

Julien tombait comme un dolmen dans cet immense marais où les grenouilles syriennes croassaient chaque nuit les louanges de la poupée Christos et celles 41.8 Constance. Antioche aimait Christos qui permettait tout, et regrettait Constance qui n'empêchait rien. Les eunuques de Constance suffisaient à conduire cette ville d'épilés, d'accapareurs, de mercantis, de danseurs et de mimes, où tout était libre, la morale encore plus que l'usure. Oh ! qu'on était bien sous Constance et ses eunuques ! Et qu'on était mal sous Julien et ses philosophes ! Que Christos avec son baptême était une religion facile ! Les chansons contre la barbe et le barbu pleuvaient sur l'empereur romain, qui des Gaules était reparti celte, couchait seul sur un méchant lit, vivait de légumes et d'eau claire, tandis que la ville se plaignait de manquer de poisson et de coquillages ! Un tremblement de terre avait bouleversé la région en 341 : les affaires du Royaume s'en étaient merveilleusement trouvées. Les femmes, ayant beaucoup à craindre du retour de Bar-Abbas, se prodiguaient corps et biens : tout passait aux Galiléens. En ne distribuant plus les 'viandes sacrifiées, on éloignait les pauvres des sanctuaires païens, on les accaparait. Pauvres toujours, ils ne diminuaient pas, ils ne faisaient que changer de camp. On avait une équipe toute prête pour des émeutes dont ils ne voyaient jamais le butin. Les pauvres tendent de Plus en plus à devenir une catégorie officielle de la Population : le plus que pussent faire les évêques, c'est d'imiter les patriciens romains dans leur clientèle et de renouveler la sportule.

Aux païens qui les accusent de tous les malheurs, les jehouddolâtres répondent en accusant les dieux de toutes les misères. C'est à cause des dieux qu'il y a des pauvres ! On se venge donc des dieux en jetant le Peuple sur leurs idoles. Tandis qu'il gronde, injurie, Cesse, brise, incendie, les malins de l'Église composent avec les riches qui, tremblant dans leur peau, livrent tout aux évêques, lesquels, s'ils sont bons, ne donnent Pas Plus que les païens charitables et, s'ils sont mauvais, gardent tout. La guerre aux dieux n'est qu'une comédie qui finit dans le sang ou dans le feu. La terre a de quoi nourrir tous ses habitants, c'est sa répartition qui est injuste. Julien a cette phrase superbe : Ce n'est pas les dieux qu'il faut accuser de la pauvreté, mais l'insatiable cupidité des riches qui permet de calomnier les dieux, en donnant aux hommes une fausse idée de la justice divine[155].

C'est tromper les pauvres que de leur annoncer la pluie d'or dans la Jérusalem d'or[156]. Car si cette pluie venait à tomber, c'est à qui enverrait ses gens pour la recueillir et s'approprier les biens communs à tous. La solution est dans la permanence des devoirs sociaux une bienfaisance éclairée, la charité (amour d'autrui), la justice, l'humanité, même envers les coupables : Je dis, en outre, dussé-je être taxé de paradoxe, que ce serait un acte saint d'accorder, même à des ennemis, le vêtement et la nourriture[157]. Julien veut une charité, qui loin d'être une tactique de secte et de confrérie, un salaire de foi, s'inspire des besoins de l'homme, à quelque religion qu'il appartienne. Depuis trop longtemps les prêtres païens ont déserté le toit de Jupiter Hospitalier. C'est leur indifférence qui a suggéré Rue impies Galiléens la pensée de pratiquer la bienfaisance ou mieux d'en exploiter les dehors pour le succès de leur œuvre perverse. C'est une bienfaisance toute d'ostentation et de surface, avec laquelle il est facile de lutter avantageusement, car ils font comme les gens qui trompent les enfants en leur donnant des gâteaux. Après deux ou trois tentatives, ils parviennent à s'en faire suivre ; puis, quand ils les ont entraînés loin de leurs maisons, ils les jettent sur un vaisseau, les emmènent et leur font expier un moment de douceur par toute une vie d'amertume. C'est ainsi que les Galiléens commencent par cette hospitalité, cette invitation aux festins qu'ils nomment Agapes, — mot et fait trop communs chez eux, — et entraînent les fidèles vers l'impiété[158].

Fût-il pur, le culte qu'on intronise vaut encore moins que celui des idoles. Sans doute, dit Julien, elles ne peuvent rien par elles-mêmes. Comment ne pas croire qu'elles ne sont que bois et pierre ? Il n'y a qu'à les voir. Comment les prendre pour les dieux eux-mêmes ? Ils sont invisibles, immortels. Il n'y a que les jehouddolâtres pour s'imaginer que les dieux ont des corps, qu'il y a là-haut un certain Fils de l'homme qui a fait le monde et qui doit revenir avec les Æons et cent quarante quatre mille Anges armés jusqu'aux dents ! Il ne faudrait pas, homme impie, toi dont l'âme est le refuge de la race entière des démons, donner un corps à des êtres qui n'ont ni figure ni forme ![159] Non, les dieux ne sont que des images d'idées, aucun d'eux ne s'est incorporé chez les Juifs.

Mais l'affaire était lancée. Bar-Abbas, si criminel qu'il fût, signifiait pour les uns : Profits. Pour les autres : Mort à Rome ! Plus d'impôt de sang ni d'argent ! Viennent ceux que les Romains appellent barbares ! Julien dit : Pour ce qui est d'un certain christ[160], je vous ai fait toutes les concessions qu'on est en droit d'attendre d'un prince qui veut et qui peut faire du bien aux hommes. Seulement il est impossible, sachez-le bien, de faire remise de tous les impôts à ceux qui les payent.

Au milieu de cette tourbe irréductible dans le mensonge, un réconfort lui vint de deux évêques : Apollinaris de Laodicée en Syrie et Eustathe de Sébaste en Samarie, tous deux anti-jehouddolâtres, le second mieux placé que personne pour contribuer à la manifestation de la vérité, puisqu'il exerçait à quelques stades de Machéron.

La haine de l'Église contre Apollinaris vient de ce qu'il avait résolu (et avec quelle facilité !), la question préalable de l'identité de Jésus avec Bar-Abbas. Il était remonté de recherche en recherche jusqu'à l'Apocalypse de Gamala. Selon lui le Verbe était chair, male essentiellement uranien, il siégeait à la droite de Dieu, sous quelque forme qu'il plût à l'imagination, mais le Père n'avait jamais eu la moindre intention de l'engendrer dans le sein d'une femme juive. Corps, âme, esprit, en tout le Fils est du ciel. Entre le Verbe et la naissance de Bar-Abbas il y a, selon l'Apocalypse même, quatre mille neuf cent cinquante ans, un abîme. Cet abîme, Apollinaris trouve que Bar-Abbas ne le comble pas. La chair du Verbe est pleinement céleste, il le répète à satiété. Ce qu'il nie, c'est que celle d'un criminel juif soit précisément cette chair-là.

Mais ceci n'est rien. Il professait une erreur non moins déplorable que la première, si l'on considère que la foi en Jésus ne reposait alors que sur ces deux grands faux intra-évangéliques : l'acte de naissance de Jésus au Recensement de 760 et l'institution de l'Eucharistie, et sur ces deux grands faux extra-évangéliques : les Actes des Apôtres et les Lettres de Jochanan, de Pierre, de Jacques, de Jude et de Paul. J'ose à peine vous dire ce que professait Apollinaris, j'aime autant laisser parler Grégoire de Nazianze, qui écrit vers 381. Pour les apollinaristes, la Foi a seulement commencé il y a trente ans d'ici ! Soit vers 350. En effet, le Dieu-homme, Apollinaris l'admet comme l'admettaient les millénaristes, mais le Juif-dieu, il s'y refuse absolument. Il repoussait donc l'Évangile qui pour la commodité d'un Juif avait retourné la proposition. Nous adorons un seul Dieu en trois états, disait Apollinaris. Mais nous n'en adorons pas quatre, le Père, le Fils, un homme et l'Esprit-Saint. C'est pourquoi nous anathématisons ceux qui font passer un homme avant l'Esprit-Saint, c'est-à-dire avant Dieu.

On a fait un grand effort contre Apollinaris. D'abord Son œuvre a disparu, sauf ce qui a pu être accommodé au dogme du Verbe en chair par l'Église elle-même. Ensuite on a fait entrer dans l'Apollinarisme authentique des apollinarisants qui avaient pris plus ou moins de ce qui leur convenait dans cette doctrine, en sorte qu'aujourd'hui on distingue plusieurs Apollinaris là où il n'y en a qu'un. Mais il est certain que pour les premiers apollinaristes l'incarnation de Jésus n'était qu'une apparence ayant tous les caractères de la mystification : Lorsqu'ils sont avec leurs fidèles, ils font comme les Manichéens avec leurs élus : à peine attribuent-ils la chair à Jésus. Quoiqu'ils eussent peur des coups, ils traitaient de judéolâtres ceux qui adoraient Bar-Abbas, et distinguant à merveille entre Jésus et lui, ils écrivaient sur leurs maisons : Il faut adorer non un homme qui porte Dieu (Bar-Abbas) mais un Dieu qui porte chair[161]. Au grand dam de la jehouddolâtrie, ils professaient sur le mystère du Verbe en chair des idées tellement anciennes et, fondées, que Basile les qualifie de nouvelles et de contraires aux Écritures. Par Écritures entendons les Évangiles qui contiennent aujourd'hui l'acte de naissance de Jésus et la décapitation de Bar-Abbas sous le nom de Jean-Baptiste. Apollinaris traite la théologie en s'appuyant sur des arguments humains et non sur l'Écriture, il enseigne des fables sur la Résurrection, un retour au culte de la Loi, à la circoncision, au sabbat[162]. Quoi de nouveau dans tout cela ? Rien, au contraire, qui ne soit conforme aux Paroles du Rabbi. Toute cette partie du pro gramme dit fait les délices de Papias et d'Irénée, avec cette différence qu'Apollinaris juge Bar-Abbas sur son dossier et non d'après sa mutation en Jésus : Son enseignement christologique a jeté un tel trouble dans les églises, dit Basile, que si quelques-uns ont conservé l'ancienne foi christienne[163], un grand nombre, curie de nouveautés, se livrent à des recherches passionnées sur l'Incarnation. Eustathe de Sébaste[164] s'est mis avec lui. L'hérésie gagne la Syrie, l'Égypte, la Palestine, Chypre, la Cappadoce où elle n'a pas de peine à se répandre[165]. Épiphane, de son côté, prétend avoir connu des apollinaristes en Chypre ; ils posaient des questions indiscrètes, mais plus gênantes encore, celle-ci par exemple, à ceux qui soutenaient la venue en chair de Jésus concurremment avec Joannès : A-t-il pris un corps, des cheveux, des ongles, comme les nôtres ? La décapitation, qui eût pu leur clouer le bec, n'était pas encore dans les Évangiles. Sans quoi on n'aurait eu qu'à les renvoyer à ceux où Jésus a une bouche avec laquelle il parle, boit et mange, des cheveux sur lesquels Marie Gamaléenne, sa mère selon le monde, verse des Parfums abondants, un corps dans lequel Toâmin introduit des doigts inquisiteurs. Il faut croire que ces détails ne confèrent pas d'existence charnelle à Jésus, Puisque personne ne s'en sert contre les Apollinaristes. Avec cela, entêtés dans leur folie, ils marcheraient à la mort plutôt que de renoncer à leurs idées ! Épiphane s'étonne qu'ils n'acceptent pas l'incarnation (c'est-à-dire Jésus en chair), car ce serait leur intérêt[166].

Malheureusement, Apollinaris démontre par des documents auxquels Eustathe de Sébaste apporte l'appoint de toute la Samarie ce que Julien appelle l'imposture des Évangiles. Jésus n'est pas venu en chair, le triste Individu qu'il recouvre est bien celui qui a été chassé du Sôrtaba par Pilatus, pris à Lydda par Saül, crucifié au Guol-golta et enterré à Machéron de Samarie, trop près de Sichem pour qu'on en puisse conter à un vieux Samaritain comme Eustathe. La façon dont a fini le Personnage ne permet pas de croire qu'il revienne de sitôt pour juger les vivants et les morts. Apollinaris propose encore d'autres fables sur la résurrection, c'est-à-dire sur l'enlèvement du cadavre et sur le point topographique où il est enterré. C'est un odieux trouble-Église[167] ; et ce qu'il y a de pis, c'est qu'il a du talent, du courage et des vertus, mais il s'est laissé débaucher par les sophistes. Quels sont ces sophistes ? Ceux qui entourent Julien dans Antioche, car Laodicée n'est pas loin d'Antioche, et Antioche n'est pas tellement loin de Sébaste qu'Eustathe ne puisse aider à l'enquête ouverte sur Bar-Abbas et sa sépulture. Car on ne saurait croire la perfidie des Apollinaris et des Eustathe : Vous dites que le Verbe s'est fait chair en Bar-Abbas ? disait Apollinaris. Vous dites que Dieu s'est fait homme ? Mais si c'est un homme qu'on a crucifié, pour quelle raison le soleil cache-t-il ses rayons ? Pourquoi la terre entière se couvre-t-elle de ténèbres ? Pourquoi tremble-t-elle ? Pourquoi ces pierres qui se rompent et ces morts qui ressuscitent ?[168] Au contraire, si c'est le Verbe qu'on a mis en croix, pourquoi est-il mort ? Depuis quand l'immortel est-il mortel, et le mortel immortel ?[169] La malice des apollinaristes allait plus loin encore, car, protagonistes des vérités morales introduites dans les Évangiles, et comme pour faire honte ale jehouddolâtres, ils donnaient eux-mêmes l'exemple de toutes les qualités qui manquaient à ceux-ci. On a pu les traiter d'hérétiques, on n'a jamais pu ternir leur mémoire autrement.

Grégoire de Nazianze donnerait à entendre qu'Apollinaris était Juif, mais on peut prouver le contraire, car dans son Église, qui avait ses évêques et ses rites particuliers, on ne reconnaissait pas les Psaumes de David, ne fût-ce qu'à cause de leur application à Bar-Abbas par les évangélistes ; on chantait des hymnes Populaires à la louange d'un Dieu qui ne s'appelait pas Iahvé : les hommes en travaillant les chantaient, les femmes en filant. Il y a dans tout cela quelque chose de doux et d'humain, une piété domestique d'un charme tranquille et pénétrant. Ce Fénelon du millénarisme avait moralisé les âmes simples de Laodicée. Un Juif n'aurait jamais écarté les Psaumes de David.

Grâce à la suppression totale de l'œuvre d'Apollinaris, le peu qui nous est présenté sous son nom provient de faussaires aux gages de l'Église et d'adversaires déclarés. On a fait si grandement les choses qu'aucun de ses contemporains ne semble l'avoir vu, ni 'eu ses ouvrages. Il naît on ne sait où, il meurt on ne quand. Tout ce qu'on sait, c'est qu'on a violé son Église, lacéré, brûlé, noyé ses écrits ; on les a dispersés comme on disperse des os. Après quoi on l'a fait mentir tant qu'on a pu, à ce point qu'on a fini par distribuer, 'Laos tous les pays où il laissait des partisans, de prétendus livres de lui approuvés par les Pères et les tapes et par lesquels il se fait le champion résolu de Bar-Abbas ! La fraude est aujourd'hui découverte[170], elle vient de la Palestine, transformée pendant plusieurs siècles en usine de faux, mais elle n'en a pas moins produit tout l'effet qu'on en attendait au cinquième et au sixième siècles. L'imposteur Cyrille d'Alexandrie trempa très probablement dans ce faux, c'est pourquoi on le représente aujourd'hui comme en ayant été victime. Malgré tout, et quoi qu'on ait pris son nom pour le contredire, Apollinaris apparaît, dans Athanase, tel qu'il fut véritablement. Il niait que le Verbe se fût incarné dans Joannès et que Jésus eût existé[171], reprochait aux jehouddolâtres d'adorer une créature le corps du Christos qu'eux-mêmes refusent d'adorer ; ils méprisent la chair du Verbe. On ne peut discuter sérieusement avec eux et l'Évangile est une fable impie[172].

Ce qui nous touche le plus dans la vie d'Apollinaris, ce sont ses rapports avec Julien au moins par correspondance. La tradition ecclésiastique veut qu'Apollinaris ait envoyé son ouvrage sur le Verbe-chair à Julien, que Julien l'ait lu et qu'il en ait rendu compte en ces termes : J'ai lu, j'ai compris et j'ai condamné[173]. Mais si, en sa qualité de platonicien, Julien condamna la théorie d'Apollinaris, il n'étendit point sa condamna aux faits qui concordaient avec ses propres renseignements, il lit venir Apollinaris et Eustathe. Pour effacer la trace de leur intervention, l'Église dans Jérôme a été obligée de feindre un Apollinaris qui aurait réfuté Porphyre, et dont Jérôme aurait suivi les leçons dans Antioche, et elle recommande instamment la lecture de cet Apollinaris[174] ; car voici ce qu'il aurait écrit des Apollinaristes de Laodicée : Considérez par quels arguments, par quels lubriques problèmes, avec quel esprit diabolique ils ruinent les textes, et comment, obligés de parler non selon leur sentiment, mais selon la nécessité[175], ils produisent contre les Écritures la même chose que les Gentils ![176] Et cet Apollinaris-là, Jérôme l'aurait entendu dans Antioche, quelque temps après la disparition de l'Apollinaris anti-jehouddolâtre.

Pour ce qui est d'Eustathe, c'est à lui, je pense, qu'est adressée la lettre, fausse ou vraie[177], dans laquelle Julien le prie de venir le rejoindre, au besoin par la poste publique. Ce qui me le fait croire, c'est qu'elle voisine avec la fausse Lettre de Julien à Basile, dans laquelle le faussaire a introduit le mot de l'empereur sur l'ouvrage d'Apollinaris : J'ai lu, j'ai compris et j'ai condamné. Ce faux nous sert à dater l'année où Apollinaris, avec l'aide d'Eustathe de Sébaste, documenta Julien sur les pèlerinages qui se faisaient au tombeau de Bar-Abbas.

 

XI. — En effet, la Samarie où il reposait avec son père, son oncle et quelques-uns de ses frères, s'était Peuplée de fanatiques, de convulsionnaires et de charlatans qui tiraient de ces tombeaux des miracles, des prophéties, des remèdes et surtout de l'argent. Le tombeau qui produisait le plus, c'était naturellement celui du christ : Ils adorent le bois de la croix dont ils tracent l'image sur leur front et sur leurs maisons, dit Julien, ils abandonnent les dieux éternels pour aller chez les Juifs adorer un mort ! S'ils s'étaient contentés d'aller avec les Juifs, ils n'adoreraient qu'un seul Dieu ; au moins n'adoreraient-ils pas un homme ou, pour mieux dire, plusieurs hommes misérables ! Comme les sangsues, ils sucent ce qu'il y a de plus mauvais dans le sang de l'humanité ! Ainsi le culte des frères de Bar-Abbas était presque aussi répandu que le sien. D'autres, les ermites, traîtres aux dieux éternels et sauveurs, ont abandonné les villes pour vivre dans les déserts, comme si l'homme n'était pas de sa nature un être sociable et fait pour vivre avec ses pareils. Beaucoup, sacrifiant leur liberté, se sont chargés d'entraves et de carcans[178], pour ressembler davantage à leur dieu chargé de liens et néanmoins glorifié.

Cependant Julien avait décidé de dire toute la vérité au peuple d'Antioche. Les dieux qui avaient dévoile l'imposture jehouddolâtrique étaient les expressions païennes de la Création, de la lumière prophétique et de l'instruction : Jupiter, Apollon, Calliope, et ses sœurs, les Muses directrices de l'intelligence humaine. Les évangélistes s'étaient purement et simplement emparés du mythe héliaque des païens pour en composer le personnage de Jésus. Le spolié, c'était Apollon dont le temple s'élevait à Daphné, près d'Antioche. C'était un site délicieux, que Julien met au-dessus de l'Ossa, du Pélion, des cimes de l'Olympe et des vallées de Thessalie[179].

Au dixième mois de l'année syrienne (loüs, août)[180], on célébrait la fête solennelle de celui que Julien place au premier rang des dieux qui ont dissipé les ténèbres de l'athéisme. Julien vint le remercier d'y avoir contribué par ses révélations, d'avoir livré à tous le secret de la mystification évangélique. Il reprocha vivement aux sénateurs de la ville leur indifférence pour la vérité. C'est en face du dieu, devant son autel, aux pieds de sa statue, et devant un petit nombre de témoins[181], que j'ai couru sus à vos méfaits. Il y eut donc là un discours solennel que nous retrouvons développé dans le livre de Julien contre les Galiléens, et dont le fond historique était tiré de celui de Celse. Ce discours porta sur le mort, et il était conçu dans la forme d'un oracle d'Apollon Daphnéen. Apollon y annonçait qu'un prince honnête et instruit ferait tomber le masque de Bar-Abbas. S'adressant à Apollon lui-même, Libanius lui dit : Tu voyais celui que tu avais prédit, tu étais vu de celui que tu avais annoncé ![182] Le dieu reprenait son bien dans l'Évangile, en montrant que les miracles et les résurrections de Jésus étaient simplement les réalisations fictives de signes annoncés[183]. Quant à celui que le peuple appelait christ et dont il allait adorer le tombeau chez les Juifs, c'était Joannès :

Ce mal provient de Joannès[184] ; mais ce que vous avez inventé dans la suite, en ajoutant de nouveaux morts à votre ancien mort[185], comment le détester assez ? Vous avez tout rempli de tombeaux et de sépulcres, quoiqu'il ne vous soit dit nulle part de vous rouler devant les sépulcres et de les honorer !

Tout ce qui s'est passé ce jour-là au temple de Daphné était dans la Vie de Julien qu'Eunape a écrite, car Eunape ne se contentait point de nier Jésus : il savait qui était en lui, c'était l'argument invincible. Et et argument, il l'a repris dans son Histoire générale[186] où il montrait toute la fourberie ecclésiastique[187].

Pour arrêter par des moyens humains l'essor de cette odieuse superstition, Julien ordonna de relever les temples dans toutes les villes héliocoles et de détruire les tombeaux qui étaient la cause première de tant de scènes répugnantes. En donnant un tel ordre, il visait spécialement les tombeaux des athées de Palestine, — Bar-Abbas et ceux de ses frères que les initiés adoraient Presque à l'égal de rainé —. Celui de Bar-Abbas que Vénéraient les jehouddolâtres de Judée était, en somme, le Saint Sépulcre. Julien n'avait qu'un but : montrer que ce scélérat n'était nullement ressuscité, comme le soutenaient les imposteurs qui vivaient de lui, et qu'il n'était point assis à la droite de Dieu, lequel d'ailleurs n'avait ni droite ni gauche. Vers la fin d'août, les Grecs, Syriens et Phéniciens de Samarie, exhumèrent les restes de Bar-Abbas, les transportèrent à Sébaste, les Mélangèrent à des os d'animaux, — inutile injure ajoutée à une mesure d'intérêt public, — et les réduisirent en cendres : fait tellement incontestable que tous les historiens ecclésiastiques sont obligés de le reconnaître[188] ; et il semble qu'à mots très couverts, — plus couverts aujourd'hui qu'autrefois ? — Grégoire, évêque de Nazianze, y fasse quelque allusion dans ses discours[189]. La tradition ecclésiastique veut que les jehouddolâtres aient sauvé quelques débris du corps de Bar-Abbas et les aient envoyés à Athanase, lequel, n'ayant point encore quitté Alexandrie, les aurait déposés avec respect dans la muraille d'une église anonyme de cette ville[190]. Tradition précieuse en ceci qu'Athanase apparait complice très conscient de la fourberie évangélique mise à nu par Julien. Julien savait tout Athanase aussi.

Le nom de Photin, évêque de Sirmium[191], est également mêlé à l'affaire, on devine pourquoi. Photin avait écrit contre la jehouddolâtrie et les jehouddolâtres des livres répandus dans toutes les églises ariennes, et que l'imposteur Augustin a parfaitement connus. Peur Photin, Jésus n'avait d'autre corps que celui de Bar-Abbas, ce qui fut démontré une fois de plus par la découverte de son tombeau[192]. Cette découverte était un succès pour la vérité que défendait l'évêque. En effet on produit une lettre de Julien à Photin[193], et dans cette lettre il est dit que Bar-Abbas avait reçu la sépulture des infâmes. Mais il n'est pas dit pendant combien de temps, ce qui rend le document suspect, car Julien savait parfaitement que, si Bar-Abbas avait été déposé dans le cimetière des criminels, cet ensevelissement n'avait duré qu'un jour ; après quoi le corps avait été transporté à Machéron. Si Julien a écrit à Photin, ce qui n'a rien d'invraisemblable, ce n'a pu être que pour lui annoncer la dispersion des restes de Bar-Abbas. Nous sommes donc en présence d'une lettre substituée. Il y est dit, en effet, que Photin est bien près d'être sauvé, pour avoir nié que celui qu'on avait cru dieu ait pu prendre chair dans le sein d'une femme[194]. Certaines parties peuvent être authentiques eu substance, comme celle où Julien annonce son intention d'écrire contre le nouveau dieu galiléen, et voue à l'opprobre, Diodore, le mage du Naziréen, le sophiste subtil[195] d'une religion grossière. Ce Diodore est le futur évêque jehouddolâtre de Tarse ; il était al ors prêtre à Antioche et dans un état de santé où

l'auteur de la lettre voit un signe de la vengeance des dieux.

Si l'Église a pu avouer dans ses historiens que le tombeau de Bar-Abbas avait été détruit et ses ossements brûlés, elle n'a pu laisser la trace de cette mesure de purification religieuse dans les œuvres de celui qui en a été l'auteur. Si nous ouvrons le Misopogon, nous y lisons que la chose s'est passée non à Samarie, mais à Émèse, et à supposer qu'elle se soit répétée à Émèse, pour des tombeaux de jehouddolâtres[196], il n'est plus dit un mot de la première, la seule qui intéresse la vérité. On lit dans le Misopogon que les habitants d'Émèse mirent le feu aux tombeaux des Galiléens[197]. Mais il n'y avait point d'apôtres galiléens enterrés à Émèse, tandis qu'il y en avait non loin de Samarie ou Sébaste. C'est donc très certainement de Sébaste, d'où était Eustathe, que Julien parlait à propos des ossements brûlés.

D'où la comparaison, incompréhensible sans cela, qu'il établit entre les sentiments des jehouddolâtres d'Antioche à son endroit et celle des gens de Sébaste : Vous aimez christ, vous en faites votre divinité tutélaire, à la place de Jupiter, d'Apollon Daphnéen, et de Calliope qui a mis à nu votre perfidie[198]. Mais ceux de... aimaient-ils christ, eux qui ont mis le feu aux tombeaux des Galiléens ?

Les jehouddolâtres répondirent en renversant dans plusieurs villes les autels païens nouvellement élevés. Fidèles à une habitude qui datait de Bar-Abbas, ceux d'Antioche résolurent de se venger, sinon de Julien, du moins du dieu qui avait mis à nu leur perfidie. Aux prophéties qu'ils débitaient contre Julien ils ajoutèrent un refrain qui leur était familier : l'incendie. Livré à leur audace par la négligence des gardiens, ces athées réduisirent en cendres le temple de Daphné[199]. Entreprise impie, dit de son côté Libanius[200], où s'affirme une âme scélérate, une main criminelle. Autant en firent-ils de celui d'Apollon Pythien à Batné[201].

Malgré les sophistications ecclésiastiques du Misopogon, Julien établit très nettement encore la relation de cause à effet qui existe entre l'incinération du mort de Machéron et l'incendie du temple d'Apollon. Quelques-uns de vous, impies envers les dieux, ont livré le temple du Dieu daphnéen à ceux qui s'étaient fâchés à cause des reliques du mort[202] ; et alors, soit négligence des premiers (les gardiens), soit intelligence avec eux, ils (les jehouddolâtres) ont mis le feu au temple : spectacle horrible pour les étrangers, mais agréable à vous (jehouddolâtres) ainsi qu'au peuple, et au Sénat qui ne se préoccupe point des coupables. Moi, je suis certain que le dieu avait abandonné le temple avant l'incendie. Dès mon entrée, sa statue me le fit connaître[203], et j'invoque contre les incrédules le témoignage du Grand Soleil. Avant l'incendie, Apollon avait dit la vérité, et cette vérité demeurait, en dépit de ceux qui avaient renversé son image.

Il n'avait pas trompé Antioche : le corps de Jésus, c'était bien Joannès, baptiseur, christ et auteur de l'Apocalypse, ainsi que Julien, transformé en oracle d'Apollon, l'avait annoncé au Sénat de la ville : Le Dieu a confirmé mes paroles[204], dit Julien. Plût au ciel qu'il n'eût jamais quitté le séjour voisin de la ville qu'il avait habitée si longtemps, afin de pouvoir, dans ces temps calamiteux, changer l'esprit et arrêter les mains de la violence devenue maîtresse ![205] Libanius, s'adressant à Apollon, exprime la même pensée : Tu venais, lui dit-il, d'être débarrassé du voisinage d'un mort importun, et voilà que tu fuis soudain notre hommage et notre culte ![206]

On lit dans Ammien Marcellin que, pour unique réponse à l'incendie de Daphné, Julien fit fermer l'église d'Antioche. C'est bien peu. Aussi les historiens ecclésiastiques ont-ils brodé autour de cette fermeture une suite de scènes où le dévergondage de leur imagination se livre ample carrière. Julien fait dépouiller l'église de ses ornements et de ses vases sacrés. Son oncle, le comte Julien, un renégat, la pille officiellement avec deux autres renégats de sa sorte, le trésorier Elpidius et le surintendant Félix. Au spectacle des vases d'or et d'argent dus à la munificence de Constantin et de Constance : Voyez, s'écrie Félix, dans quelle vaisselle on sert le fils de Marie ! Quant au comte Julien, il urine contre la table sainte, puis prenant une posture plus obscène encore, il souille de son ordure païenne les vases consacrés au culte de Bar-Abbas ! Après avoir giflé l'évêque arien, Euzoius, qui tente de s'opposer à ces actes défécatoires, il fait comparaître devant lui le prêtre Théodoret, un homme abreuvé des Saintes Écritures, il le fait mettre sur le chevalet où son corps est tellement tiré qu'il semble devenu long de huit pieds, ce qui augmente d'autant son éloquence et l'apostasie de Julien : Quitte la doctrine d'un mort, lui dit Julien, sacrifie et vis ! Théodoret répond : Reconnais le Dieu qui a fait le ciel et la terre, et Jésus-Christ, son fils, dont le sang précieux t'avait racheté !Tu donnes a un crucifié, mort et enterré, le nom de Créateur du monde ?Je prêche un crucifié qui est mort et enterré, qui est ressuscité d'entre les morts, par qui tout a été fait, qui est le Verbe et la Sagesse du Père, et que toi-même adorais quand tu étais sage, si vraiment tu as pu, un jour, être sage. Nonobstant ces déclarations, Julien lui affirme qu'il ne le fera pas tuer, mais sa résolution change quand, s'armant des prophéties que les vieilles faisaient courir sur l'empereur, le jehouddolâtre ajoute : Ton tyran, qui se flatte de faire gagner la victoire aux païens, ne pourra pas vaincre ! Il périra de telle sorte que nul ne saura par qui il a été frappé ! Il ne reviendra pas dans le pays des Romains ! Le comte Julien le condamne alors à être décapité... comme feu Jean-Baptiste. Mais l'empereur, son neveu, à qui il rend compte de l'exécution de Théodoret, manifeste son mécontentement en ces termes : Tu as agi contrairement à ma politique. Je me suis efforcé de détruire par tous les moyens la loi des Galiléens[207], mais je n'ai commandé de violenter ou de tuer aucun d'eux. Tu as mal agi en donnant aux Galiléens l'occasion d'écrire contre moi, et d'attribuer le titre de martyr aux malfaiteurs qui ont été mis à mort[208]. Vois à ne faire périr aucun d'eux, et donne à tes subordonnés des instructions semblables ![209]

Julien avait pris toute une ville en flagrant délit da mensonge : Menteurs qui n'êtes bons qu'à danser en cadence, dit-il, les premiers en larcin et en parjure ![210] Ce sont de ces choses qu'on ne pardonne pas. On l'accabla d'injures, anonymes toutefois, comme le veut la règle. Le pauvre Julien se prit à regretter ses Gaules, sa chère Lutèce : Les Gaulois m'aimaient d'une affection si vive, à cause de la ressemblance de nos mœurs, qu'ils ne craignirent point de prendre pour moi les armes et de m'offrir de fortes sommes d'argent. Plus d'une fois, comme je refusais, ils me forcèrent d'accepter, se montrant en tout d'une obéissance parfaite ; mais le point capital, c'est que de chez eux le bruit de ma gloire et de mon nom passa jusqu'à vous ; tous me proclamaient brave, intelligent, juste, redoutable à la guerre, habile dans la paix, affable et bon. Vous, vous leur avez répondu d'abord que j'ai bouleversé le monde ! Or, j'ai la conscience de n'avoir rien bouleversé, à mon escient ou à mon insu. Vous ajoutez qu'il faudrait faire des cordes avec ma barbe[211] et que je fais la guerre au X[212]. Et puis vous regrettez le K[213]. Plaise aux dieux tutélaires de votre ville de vous en donner deux[214], pour avoir calomnié à ce propos les cités voisines, villes saintes et vouées au même culte que moi, en faisant croire que les satires composées contre moi émanaient d'elles ! Moi, je sais qu'elles m'aiment plus que leurs propres enfants, elles qui se sont hâtées de relever les temples des dieux et de détruire tous les tombeaux des athées sur un de mes ordres récents[215] : zèle ardent, fougue emportée qui se déchaîna sur des impies plus que ne souhaitait ma volonté ! Chez vous, au contraire, nombre de gens ont renversé les autels nouvellement élevés, et ma douceur a eu grand'peine à les maintenir dans le devoir[216].

Outre les satires contre la barbe et le barbu, on lui décocha des prophéties d'une complexion moins signalétique, dans lesquelles on se plaignait qu'il attentât par sa chaste simplicité à la liberté de mœurs dont on jouissait encore sous Constance. Voilà, disait-on, tout le bien que tu nous procures, et pour nous débarrasser de ce fléau, nous nous sommes adressés aux vieilles qui rôdent autour des tombeaux. Du reste, nos traits d'esprit ont atteint le but, nous t'avons percé de nos sarcasmes comme de flèches. Aussi comment feras-tu, mon brave, pour affronter les traits des Perses, toi qui trembles devant nos brocards ?

Il partageait avec les dieux l'honneur d'être insulté par la ville[217] : Jamais, dites-vous, le X n'a fait de mal à notre ville, non plus que le K. L'énigme inventée là par votre finesse n'est pas facile à comprendre. Cependant quelques-uns des vôtres me l'ont expliquée. Nous avons appris quels sont les noms que désignent ces initiales. X veut dire Christ et K Constance... Quant aux injures que votre malice a vomies contre mois se en particulier, soit en public, dans des vers anapestes non, jamais je ne vous ferai pour cela le moindre mal ! Pas de tête coupée, de fers, de prison, d'amende. À quoi bon ? Puisque la vie réglée que vous me voyez mener avec mes amis vous semble méprisable et importune, puisque je ne vous offre point de spectacle qui vous agrée, j'ai résolu de quitter cette ville et de m'éloigner, non que j'aie l'esprit assuré de plaira ceux chez qui je vais[218], mais parce que je crois qu'il vaut mieux, si je suis frustré de l'espérance de leur paraître beau et bon, leur communiquer quelque chose de ma rudesse et ne plus infecter cette cité florissante du mauvais parfum de ma modération et de la sagesse de mes amis[219].

De la guerre contre les Perses Julien reviendrait-il vivant ? Qui se réaliserait de l'oracle d'Apollon ou de la malédiction christienne ? L'Empereur, disait Libanius, conduit vaillamment la guerre, et il la mènera jusqu'au point où il doit rencontrer la récompense. C'est pourquoi l'on doit avoir confiance qu'il reviendra, après qu'il aura glorieusement atteint ou même entièrement renversé la domination persane... Bientôt, notre armée soupera dans Suze, et les Perses captifs verseront à boire à nos soldats. Mais les jehouddolâtres tenaient que Julien mourrait d'une flèche conduite par l'invisible main de Bar-Abbas, et l'un de leurs historiens, Théodoret, a marqué leurs espérances par ce bout de dialogue où perce le génie du faux. Un jehouddolâtre, pédagogue à Antioche, rencontre un jour Libanius : Que fait maintenant le fils du charpentier ? demande ironiquement le sophiste. Et le pédagogue : Le Maître du monde, que tu appelles le fils du charpentier[220], fabrique un cercueil ! Et en effet le 23 juin 363, après trois mois d'efforts vains pour fixer la victoire, Julien tombait, frappé de la flèche d'un christien qui s'est conduit comme un Parthe ou d'un Parthe qui s'est conduit comme un christien : Tu as vaincu, Galiléen ! voilà le cri que l'Église, sauvée par cette flèche, a mis dans la bouche de Julien expirant.

Car Julien vivant et victorieux, c'eût été le retour des dieux enveloppés dans les plis du drapeau, et l'assaut donné au christianisme par toutes les forces intellectuelles de l'Empire.

 

XII. — Dans la découverte du squelette de celui que les Évangiles nommaient Joannès à cause de son royal état de Baptiseur, il y avait de quoi faire reculer tout autre institution que l'Église. Julien mort, on déclara que Joannès était un personnage entièrement distinct du crucifié, et, pour en administrer la preuve, on lui coupa la tête dans les trois Évangiles dont on disposait alors, Matthieu, Marc et Luc[221], sans dire toutefois en quel endroit de Palestine on la lui avait coupée, car le nom seul de Machéron eût été une preuve de l'identité charnelle de Jésus avec le Baptiseur.

La disparition des restes de Bar-Abbas sous le nom de Joannès devint la preuve de sa divinité sous celui de Jésus, car plus le corps découvert à Machéron était celui de Joannès et plus celui de Jésus était monté au ciel : On a découvert le corps de Joannès à Machéron, disaient les évêques jehouddolâtres à leurs dupes, et en effet c'est bien là que les disciples l'ont enterré, nous le reconnaissons hautement ! Mais puisqu'il est mort décapité, et que le corps du crucifié a disparu du Guol-golta le lendemain de l'Eucharistie, c'est que le crucifié n'a fait qu'un saut de la terre au ciel ! S'il en était autrement, c'est au Guol-golta même qu'on aurait retrouvé son corps ! Cette interprétation se répandit avec une telle rapidité que Celse, à supposer qu'il a écrit avant l'incinération des os de Bar-Abbas, reprit la plume pour consigner cet événement dans son Discours avec l'argument nouveau qu'en tiraient les évêques en faveur de ce Juif de rapport : Croyez qu'il est le fils de Dieu, disent-ils, quoiqu'il ait été lié honteusement et frappé du supplice le plus infâme, et que tout récemment il ait été traité avec la dernière ignominie. Croyez-le d'autant plus pour cela même ! Or, objecte Celse, si les uns proposent celui-ci (Joannès), les autres un autre (Jésus), que feront ceux qui désirent sincèrement être sauvés ? Faudra-t-il qu'ils jettent les dés pour savoir de quel côté se tourner et à qui s'attacher ?[222]... Car ces charlatans évitent autant qu'ils peuvent les hommes les plus polis, parce qu'ils ne se laissent pas tromper aisément, pour prendre les plus grossiers dans leurs filets[223].

Il n'en restait pas moins que le corps de celui qu'on appelait christ avait été dérangé dans son repos et détruit. On soutint alors que c'était simplement sous la forme d'une statue. Or vous connaissez l'aversion des christiens juifs contre tout ce qui était représentation de la figure humaine. Vous savez d'autre part qu'il n'avait pas été possible, depuis deux siècles, de rencontrer une seule personne capable d'établir l'existence de Jésus autrement que par la mystification évangélique. Eh bien ! il s'est trouvé quatre historiens ecclésiastiques, Eusèbe, Rufin, Philostorge et Sozomène, pour déclarer qu'il y avait, sur la place publique, à Césarée Panéas, ville la plus voisine des sources du Jourdain, une statue de Jésus que l'hémorroïsse[224] guérie par lui avait fait dresser par reconnaissance ! Et cette statue y serait encore si, sur l'ordre de Julien, les païens, emportés par une iconoclastie dont on ne trouve point d'exemple dans le christianisme, ne l'eussent renversée, traînée devant de nombreux témoins à travers la ville et finalement mise en pièces ! Et la preuve qu'elle y était bien, c'est qu'elle fut remplacée Par l'image de Julien, tandis que les fidèles recueillaient pieusement les débris de l'autre et les déposaient dans l'Église, car — tout se tient — il y avait une église jehouddolâtre à Césarée depuis Tibère !

Afin que personne ne pût soupçonner l'endroit où on avait retrouvé le corps du Joannès, on inséra dans Jean Chrysostome qu'hormis saint Pierre et saint Paul, saint Jacques le Mineur et saint Thomas, on ne connaissait la sépulture d'aucun apôtre. Ce n'est pas tout : en dépit des Passions de Pierre et de Paul, où Paul meurt décapité sur la route d'Ostie, Grégoire de Nysse et Jean Chrysostome déclarèrent l'un et l'autre[225] que Paul n'avait pas été décapité, mais bien pendu (crucifié) !

Sitôt que Joannès eut le cou coupé et que Jésus fût libéré de toute identité avec lui, le Saint Sépulcre, qui avait été à Machéron jusqu'en août 362, fut désormais reporté au Guol-golta. Des gardes furent constitue par Pilatus autour du caveau provisoire où Bar-Abbas avait été déposé par Joseph l'Haramathas, afin qu'il fût constaté par des témoins romains qu'il n'eu avait P85 pu sortir par un enlèvement nocturne, et son corps s'enleva de lui-même au ciel lorsqu'il parut bon à l'Église qu'il en fût ainsi. Et puisqu'elle avait décidé que Joannès, sous le pseudonyme de Jésus, avait été consubstantialisé avec son Père en 325 par le concile de Nicée, restait à trouver dans l'entourage de Constantin, par exemple, un témoin qui dès cette époque fût allé visiter le Saint-Sépulcre... au Guol-golta ! ! !

Il y avait dans la maison de l'empereur une vieille criminelle dont l'âge n'avait point affaibli la méchanceté. C'était sa propre mère Hélène, jadis répudiée par Constance l'Ancien, quoi qu'elle eût déjà de lui Constantin. Grande conseillère de meurtres, surtout au sein de sa famille, c'est à sa demande que Constantin avait fait tuer Fausta, sa seconde femme. Le Synode d'Ancyre, en 314, avait décidé que pour l'homicide volontaire la pénitence serait perpétuelle et que le coupable ne recevrait l'absolution qu'à la mort. Hélène comprit : on tira d'elle, au détriment du peuple, toutes sortes d'églises, de confessions[226] et d'ornements en or et en Pierreries, après quoi elle mourut dans la juste malédiction de Dieu. Puisqu'on jonglait dans l'espace avec les morts, pourquoi ne déciderait-on pas que, tenant à reposer dans la paix du Seigneur, à laquelle ses quatre-vingts ans ne lui donnaient pas droit, elle serait allée en Pèlerinage à Jérusalem où l'attendait un certain Macaire que nous avons revu depuis avec le prénom de Robert ? Ce Macaire, — un saint, bien entendu,... fête le..., aurait fait exécuter près du Guol-golta, dans l'ancien terrain des anciennes carrières de l'ancien jardin de Nicodème, des fouilles dont les résultats avaient été en quelque sorte foudroyants. A la voix de Macaire Hélène ordonne la destruction d'un temple et d'une idole de Vénus que les païens, avec leur légèreté coutumière, avaient élevés sous Hadrien, croit-on, au-dessus du sépulcre où avait été enseveli Jésus. En cherchant bien on trouverait le sépulcre et, en effet, il y était Macaire avait fait bonne mesure : on trouva trois croix enterrées, mais le travail avait été un peu précipité, on ne put savoir, hélas ! laquelle était celle de Bar-Abbas, parce que les inscriptions et les clous étaient séparés des croix.

Autre imposture et non moins forte.

Afin de donner le change sur le Bar-Abbas à propos duquel les jehouddolâtres d'Antioche brûlèrent le temple d'Apollon Daphnéen, on a inventé un certain Babylas martyr, dont le corps aurait été enterré en face du temple, et que Julien aurait fait exhumer pour les persécuter dans leurs croyances. Entre Barabas et Karabas[227] il n'y a qu'une lettre de différence, l'initiale ; entre Barabas et Babylas il n'y en a que trois, celles du milieu, mais dans les trois noms le nombre des lettres est le même[228]. Les faussaires qui ont inventé Babylas ont respecté ce nombre, afin qu'a ceux qui découvriraient qu'on avait déterré Barabas, l'Église pût répondre Que le déterré s'appelait non Barabas, mais Babylas, et qu'il était enterré non à Machéron de Samarie, mais presque dans le temple du dieu qui avait révélé à Julien l'identité corporelle de Bar-Abbas et de Jésus.

Toute cette histoire de Babylas vient des imposteurs émérites qui s'appellent Sozomène, Théodoret et Philostorge. Afin que le corps de Babylas se trouvât près du temple d'Apollon lors de l'incendie, Sozomène dit que Gallus, frère de Julien, s'étant fait jehouddolâtre, avait construit, en face du temple, une église où il avait transporté cette précieuse dépouille, et que, dès ce jour, toute pratique divinatoire devint impossible dans le sanctuaire païen. De cette manière Apollon n'avait rien pu révéler à Julien sur Bar-Abbas. L'Église a également forgé et mis sous le nom de Jean Chrysostome certain discours In sanctum Babylam contra Julianum et Gentiles, dans lequel il est dit que du saint une divine rosée semblait descendre dans les âmes où elle éteignait les feux impurs, brisait la tyrannie de la débauche, insinuait la piété, et que, semblable à un pécheur qui jette ses filets, Babylas, installé en face du Dieu païen, prenait chaque jour quelques-uns de ceux que les délices du site avaient attirés à Daphné. Mais le tombeau du Pêcheur d'hommes qui fut dérangé dans son sommeil était plus près de Jérusalem que d'Antioche.

Dans ce même discours de Jean Chrysostome, on raconte que, si l'oracle d'Apollon ne parlait plus au temps de Julien, — or il n'avait jamais mieux parlé, C'est que Daphné était rempli de cadavres[229]. En effet, on lit dans Ammien Marcellin (embué ?) que Julien fit alors exhumer les corps enterrés aux environs de la source, d'après le rite dont s'étaient servis les Athéniens pour purifier l'île de Délos[230]. Ouvrez les historiens ecclésiastiques tels que Sozomène, Théodoret et Philostorge, vous assistez à la sortie solennelle des restes de Babylas hors de Daphné, et à leur translation dans le cimetière d'Antioche, clergé en tête, chantant les Psaumes de David, au milieu d'une foule innombrable[231].

Quant aux braves Apollinaristes, si dangereux par le témoignage de leur maître et par sa collaboration avec Eustathe de Sébaste, on a travaillé à les oublier le plus possible après avoir pillé leurs églises. En 383, Théodose appelle à Constantinople les évêques de tous les partis, il exige d'eux une profusion de foi on examinera les différences, et on trouvera le moyen de concilier les sectes, et surtout on décidera qui il convient de persécuter, car c'est un conseil plutôt qu'un concile. On a convoqué jusqu'aux hérétiques trinitaire Une seule hérésie n'a pas été appelée, celle des Apollinaristes. Tous les écrivains catholiques se demandent pourquoi. La cause de cette exclusion est cependant bien simple. Il n'y a aucun accommodement possible avec les Apollinaristes depuis les événements de Machéron, on ne veut même pas qu'ils paraissent, qu'ils parlent, qu'ils exhibent les Paroles du Rabbi, les écrits de leur maître, ceux des Gnostiques où Bar-Abbas finit en enfer, ceux de Celse, de Julien, et peut-être ceux d'Eustathe de Sébaste. Ces maudites gens, qui se mêlent d'être vertueux tout en disant la vérité, ne sont bons qu'à être expulsés des villes. Théodose y pourvut : en persécutant les ariens, il dissipa ce qui restait d'Apollinaristes. Un des hommes qui y contribuèrent le plus, c'est Grégoire de Nazianze[232].

 

XIII. — Julien quitta Antioche pour la guerre de Perse le 9 mars 363. Rien n'établit qu'il ait écrit contre la personne de Bar-Abbas en dehors de la Lettre à un pontife et du Discours adressé au Sénat d'Antioche dans le temple de Daphné. Pour le reste, le livre de Celse suffisait.

Dans des discours qui furent authentiques, Libanius dit que Julien ; étant à Antioche, composa des livres pour venir au secours des dieux. Dans l'un[233] il dit que par ses écrits contre les christiens Julien avait surpassé le vieillard de Tyr (Porphyre), et qu'il avait consacré les longues veillées de l'hiver à un ouvrage dans lequel l'Empereur attaquait par une argumentation étendue et par la force du raisonnement les Livres qui font Dieu et fils de Dieu un homme de Palestine et montrait le ridicule et la vanité de ce qu'on adore en lui. Le fond est vrai, mais la forme a été certainement modifiée dans le sens de l'atténuation. En dehors de ces mentions nous ne connaissons les écrits de Julien contre le nouveau dieu Galiléen que par l'Église dans Jérôme et dans Cyrille. Basile, contemporain de Julien, ne répondit ni à Celse ni à Julien, et ne mentionne ni l'un ni l'autre comme ayant attaqué Jésus en Bar Abbas. Grégoire de Nazianze, qui fait deux discours contre Julien, ne dit même pas que l'Empereur eût écrit contre les jehouddolâtres. Seul Apollinaris aurait répondu et du vivant même de Julien[234] ; et il aurait démontré les erreurs de celui-ci et des philosophes grecs sans invoquer aucun texte de l'Écriture, ce qui serait un tour de force peu commun. On a mis sous le nom d'Épiphane un Contra Julianum dont il reste bien peu de chose, et c'est grand dommage !

Quant à Jérôme, mon Dieu ! Jérôme a lu les livres de Julien en Palestine, mais il a dédaigné d'y répondre : Si j'essayais, écrit-il au rhéteur romain Magnus, tu ne me le permettrais pas ![235]

Julien, pendant son expédition contre les Parthes, a vomi sept livres contre les christiens, dit Jérôme, et ailleurs : Julien, au septième livre de l'ouvrage qu'il a écrit contre nous, les christiens. Il a écrit trois livres contre l'Évangile et les christiens, dit l'Église dans le Contre Julien de Cyrille d'Alexandrie. D'abord l'ouvrage n'était nullement dirigé contre les christiens : mais seulement contre la secte des jehouddolâtres. Remarquons aussi que de Jérôme et de Cyrille aucun n'en cite le titre exact et ne dit à quelle fin spéciale Julien tendait. Remarquons enfin que pendant quatre-vingts ans[236] personne ne répond, ne s'émeut, comme si l'ouvrage d'un empereur contre une secte aussi méprisée était une chose naturelle et commune. Cependant voici Jérôme qui prétend avoir connu sept livres de Julien contre les christiens et qui n'y répond pas, alors que Cyrille qui y répond n'en a connu que trois. Julien aurait si peu écrit soit trois livres soit sept livres contre eux pendant son séjour à Antioche que Jérôme vient nous dire : ils ont été composés pendant la guerre avec les Parthes. Aussi l'Église doute-t-elle aujourd'hui que Jérôme ait vu l'ouvrage de Julien, il ne l'aurait connu que par la réfutation qu'en auraient faite Théodore de Mopsueste ou Philippe de Side, et c'est cette réfutation qui aurait été divisée en sept livres. Mais qui a vu cette réfutation ? Est-ce ce que nous avons aujourd'hui sous le nom d'Origène[237] contre Celse ? ou sous celui de Cyrille contre Julien ?

Personne ne répondit, parce qu'il n'y avait pas de réponse possible et que la décapitation de Joannès suffisait à tout. La seule arme du mensonge, quand la vérité parle, c'est le silence.

Aussi déclare-t-on dans Jean Chrysostome[238] que d'une façon générale les écrits contre les christiens n'ont aucune importance et ne jouissent d'aucun crédit : Les uns ont disparu depuis longtemps ; les autres ont péri en naissant. Si quelqu'un d'entre eux subsiste, c'est qu'il est conservé chez les christiens[239]. C'est en effet ce qui est advenu du Discours de Celse et de celui de Julien, et ce qui explique l'état dans lequel ils sont aujourd'hui. D'un seul coup les sept livres de Julien dont il est parlé dans Jérôme tombent aux trois livres dont il est parlé dans Cyrille ! A supposer donc que Julien ait écrit un ouvrage contre les Galiléens en dehors de son Discours au Sénat d'Antioche, cet ouvrage aurait perdu quatre livres entre Jérôme qui meurt en 420 et Cyrille qui meurt en 444.

D'où vient que, seul, Cyrille demeure ? De ce que Cyrille est un corpus de faux témoignages dans lequel on fait déposer Julien contre lui-même.

Mais plus je relis ce superbe fragment qu'on appelle Lettre à un pontife et plus je me convaincs que c'est l'épave d'un des livres que Julien avait écrits contre la personne même de Bar-Abbas et dont parle Libanius. On en a enlevé tout le début où, en sa qualité de souverain pontife, il montrait que, loin d'avoir donné sa vie pour autrui, Bar-Abbas l'avait ignominieusement perdue, comme il y paraissait au genre de sépulture qui s'en était suivi. Au cours de ce morceau il aborde un sujet qui lui est manifestement suggéré par l'un en deux, deux en un de la théorie jehouddique. Sur ce point de la genèse de l'homme, il professe une opinion radicalement opposée à celle de Bar-Abbas. Sans se prononcer contre l'hermaphroditisme originel, il tient pour la pluralité des couples. Plusieurs hommes sont nés ensemble, dit-il, absolument comme un seul. Comment les faits le prouvent, nous en traiterons ailleurs avec attention[240].

Il traitait les résurrections comme elles le méritent. Aux Juifs ressuscités par la main des évangélistes Il opposait l'exemple de païens beaucoup plus vertueux, à qui pourtant Dieu n'avait point fait grâce de la mort. En admettant même que Bar-Abbas eût péri pour une cause juste, est-ce que la multitude n'a pas fait périr un Socrate, un Dion et le grand Empédotime ? Je ne doute pas que les dieux n'en aient pris le plus grand soin (après leur mort), mais les ayant faits périssables, ils ont exigé d'eux le tribut à la nature. Néanmoins, dans la suite, ils ont puni les meurtriers avec autant d'éclat qu'aujourd'hui tant de sacrilèges, et — ceci est dans Celse et vient compléter la pensée de Julien — ils ont donné de longs jours à Gamaliel qui en condamnant Bar-Abbas n'avait fait que son devoir. Qu'on ne nous paie donc pas de paroles, qu'on ne trouble point notre foi dans la Providence ! Non seulement les Juifs ne ressuscitent pas plus que les païens, mais jamais leur Dieu n'a pu justifier les prophéties de ses interprètes[241] sur le pouvoir qu'il a de détruire la terre et de rebâtir le Temple en trois jours[242]. Les prophètes de ceux qui invectivent contre nous, dit Julien, nous expliqueront-ils comment leur temple trois fois renversé n'a jamais été rebâti jusqu'à présent ? Je ne dis pas cela pour leur en faire un reproche, moi surtout qui me suis récemment occupé de le rétablir en l'honneur de la Divinité qu'on y adore[243] ; mais je cite cet exemple pour prouver que rien d'humain n'est à l'abri de la corruption et que les prophètes qui ont débité ces sornettes vivaient en la compagnie de vieilles folles (les deux Salomé, Thamar, Suzanne, Jeanne et autres).

Ces prophètes sont Bar-Abbas et ses frères, particulièrement ceux qui ont écrit les livres qu'avait Georges de Cappadoce : Rien n'empêche que ce Dieu (celui des Juifs), ne soit grand, mais il n'a pas de bons prophètes[244] ni de bons interprètes[245], et cela vient de ce qu'ils n'ont pas donné leur âme à dégrossir par une instruction solide, ni ouvert leurs yeux aveuglés, ni cherché à dissiper les ténèbres de leur intelligence... Les yeux fermés au grand jour, ils s'écrient de toutes leurs forces : Tremblez ! Frémissez ! Feu ! Flamme ! Mort ! Glaive ! Grand sabre ![246] immense étalage de mots pour exprimer simplement les puissances destructives du feu. Mais il vaut mieux faire voir en leur lieu combien ces interprètes des Paroles de Dieu sont inférieurs à nos poètes[247].

D'autre part, en lisant avec soin le Contre Julien de Cyrille, on voit que quelqu'un, dont le nom a disparu, mais dont la personne est souvent évoquée, révélait à Julien le sens mystérieux des Évangiles et guidait sa main pour le transcrire[248]. C'est Apollon Daphnéen lui-même, par la voix de Calliope, la première des neuf Muses, celle qui révéla les mystères de Linus et d'Orphée.

Dans la version qui nous est parvenue, l'oracle est enveloppé dans un discours. Nous en donnons l'exorde... d'après Cyrille :

Je veux exposer à tous les hommes les raisons qui m'ont convaincu que la secte des Galiléens est une fourberie purement humaine, inventée par la perversité, et qui n'ayant rien de divin a pipé la partie insensée de notre âme, qui se plait aux fables, aux contes d'enfants, et lui fait tenir pour des vérités un tissu de choses monstrueuses[249]. Comme j'ai à parler de tous leurs prétendus dogmes, je veux avant tout établir ce principe que ceux qui me liront, s'ils ont l'intention de répondre, fassent comme dans un tribunal, c'est-à-dire qu'ils ne s'évertuent pas à introduire un élément étranger à la cause ou récriminatoire avant d'avoir détruit l'accusation. Il y aura plus d'ordre et de netteté dans leur défense, s'ils s'y renferment exclusivement en réfutant nos assertions, et si pour se laver de nos reproches ils ne nous chargent point de griefs nouveaux.

Mis sur la voie de la vérité par Georges de Cappadoce et Celse, Julien était remonté de génération en génération jusqu'à la naissance de Bar-Abbas. Ce n'est point en ergotant sur les dogmes qu'il démasqua l'Église, c'est en démontrant la fraude constitutionnelle des Évangiles[250]. Et si par hasard quelque Cyrille avait essayé de répondre, si faible était sa réponse qu'on a préféré la faire disparaître complètement sur ce point essentiel, afin que de la démonstration julienne il ne restât pas même l'ombre[251]. Car toute la supercherie est dans la substitution de Jésus à Bar-Abbas avant le châtiment de ce scélérat, et elle se décompose en deux temps : Bar-Abbas délié par Pilatus à la demande des Juifs : et Jésus crucifié à sa place ; bref tout le monde, à commencer par Dieu, roulé au bénéfice du baptême et des baptiseurs !

Quelques généralités passées au tamis ecclésiastique, voilà ce qui nous reste de l'ouvrage. Tout ce qui rentre dans le plan de Julien, tout ce qui était la démonstration spéciale de l'imposture et de l'impiété des Évangiles, la substance de vérité historique contenue dans les livres deuxième et troisième, tout a disparu. Répondre était impossible, on ne pouvait que supprimer et falsifier. C'est ce qui a été fait, car pour Cyrille Julien est un athée, Julien a prononcé contre Jésus des paroles injurieuses qu'on ne pourrait reproduire sans se souiller.

Afin d'épargner cette souillure à Cyrille, Julien a l'air de croire à l'existence de Paul et à celle de Jochanan évangéliste. 11 a même l'air de croire à celle de Jésus, et il corrobore le faux par lequel Luc le fait naitre au Recensement de 760, alors que l'enquête de Celse avait eu pour premier résultat de ramener la Nativité de Bar-Abbas au jubilé de 738-739. Il a l'air aussi de croire à la vision de Pierre dans la maison de Simon le Corroyeur, alors que Julien connaissait l'identité des deux personnages et la raison d'être de ce dernier surnom, qui avait déjà été donné au Joannès, premier porteur de la ceinture en cuir de Gamala :

En effet, dit Cyrille mettant Julien en scène, après quelques mots sur le Joannès baptiseur, il revient à son fameux Verbe et il dit : Le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous. Comment, il a craint de le dire[252]. Mais nulle part il ne nomme ni Jésus ni le christ[253]... il cherche à tromper nos oreilles doucement, secrètement, disant que le Joannès baptiseur a rendu ce témoignage à Jésus que c'est lui qu'il faut croire qui est le Verbe de Dieu. Que Joannès ait dit cela du christ, je ne le nie point, dit Cyrille, bien qu'il semble à quelques impies qu'autre est Jésus-Christ, autre le Verbe prêché par Joannès[254]. Mais il n'en est point ainsi. Car il (Julien) dit lui-même que le Verbe-Dieu est bien le christ-Jésus connu de Joannès le baptiseur[255]. Il va sans dire qu'au contraire Julien démontrait — et avec quelle facilité ! — que le pseudo-Jésus était simplement Joannès jouant le rôle du Fils de l'homme ou Verbe de Dieu, c'est-à-dire le personnage qu'il avait espéré être à partir des Ânes de la Grande Année. Et c'est ce que prouve cette phrase de Cyrille : Remarquez avec combien de précaution, de ménagement et de dissimulation, il introduit dans son drame ce dénouement impie ! Or ce dénouement, ce n'est pas Julien qui l'avait inventé, c'est l'Évangile qui l'imposait à tous. En effet, déclare Cyrille : Julien est toujours prêt à nous prêter ses inventions ![256]

Or dans quel Évangile trouve-t-on la première tentative faite pour identifier Bar-Abbas avec le Verbe ? Dans celui de Cérinthe. L'imposture et la fourberie des Évangiles résident partiellement en cela, ruais grâce à Cyrille, il ne reste rien de la démonstration que Julien avait pu emprunter aux Aloges[257], lesquels ne connaissaient pas d'évangéliste nommé Jochanan et donnaient le Quatrième Évangile à Cérinthe, son auteur primitif.

On peut être certain qu'après avoir dit que l'impiété qui consiste à adorer un mort provient du Joannès, Julien n'a pas écrit ceci que lui prête Cyrille : Ni Paul, ni Matthieu, ni Luc, ni Marc n'avaient osé dire que Jésus fût Dieu, mais l'excellent Jochanan ayant remarqué qu'un grand nombre de villes italiennes étaient atteintes de cette maladie et ayant appris sans doute que les tombeaux de Pierre et de Paul étaient adorés en secret, osa le premier soutenir cette doctrine. Savez-vous ce que vient dire ici l'homme qui a démontré en août 362 l'identité charnelle de Joannès et de Jésus par la destruction de son tombeau ? Tout le contraire de ce qu'il avait prouvé au Sénat d'Antioche ! Il lui avait dit que le point de départ de toute la mystification, c'était le corps de Joannès enterré à Machéron. Nous avons cité la phrase. Mais maintenant il certifie l'authenticité de toutes les Écritures du canon, Paul, Marc, Matthieu et Luc ; il assure qu'outre Joannès le baptiseur, décapité par ordre d'Hérodiade, il a existé un certain Jochanan apôtre, et apôtre excellent, puisqu'il a reposé sur le sein de Jésus pendant la Cène eucharistique, — laquelle est un fait indubitable ; — que ce Jochanan chéri est allé en Italie sous Domitien ; qu'il y a remarqué une jehouddolâtrie presque générale ; que Pierre et Paul étaient enterrés à Rome où ils étaient morts martyrs sous Néron ; que leurs tombeaux y étaient adorés de tous, mais secrètement, par crainte des persécutions ; qu'après avoir constaté Cet état de choses, au détriment de sa santé sinon au péril de sa vie (affaire de la Porte latine et de la chaudière d'huile bouillante), il est retourné à Éphèse qu'exilé à Pathmos il y a composé l'Apocalypse, et que revenu à Éphèse il y est mort, après avoir laissé un Évangile, le Quatrième, en témoignage de la divinité de Bar-Abbas !

Jésus, dit-il, n'est connu que depuis trois cents années, comme si Julien avait pu croire un seul instant que les Évangiles fussent de 62 de l'E. C. qui est précisément celle où l'Église fait venir Paul à Rome. Au moins eût-il fallu ne pas laisser dans Celse que ce culte infâme n'était connu que depuis très peu d'années, et dans Grégoire de Nazianze que selon Apollinaris il datait tout au plus de trente ans. Car nous avons déjà vu que Celse ne connaissait pas de résurrections à l'actif de Bar-Abbas. Or Julien n'en conne pas davantage. Il n'a fait pendant sa vie aucune action remarquable, à moins qu'on ne regarde comme une grande merveille de guérir des boiteux ou des aveugles, et d'exorciser les démons dans les villages de Bethsaïda et de Bathanéa. Ainsi les résurrections que Jésus annonce à Joannès, celles de Jacob junior, de la fille de Jaïr, et la résurrection par excellence, celle d'Éléazar dans le village même de Bathanéa que cite Julien, tout cela n'est que séméiologie, réalisation posthume des signes du Royaume.

Il est également certain que Julien ne tenait pas le discours suivant, dans lequel il accepte l'historicité des Actes des Apôtres, où les princes de la maison de David sont représentés comme des pécheurs illettrés : C'est assez pour vous de tromper des servantes, des esclaves, et par ceux-ci des femmes et des hommes tels que Cornélius et Sergius. Si l'on a vu sous le règne de Tibère ou de Claude un seul homme distingué[258] se convertir à leurs idées, regardez-moi comme le plus grand des imposteurs ! Julien, au contraire, constatait que si, du côté des hérodiens, des princes comme Saül avaient combattu la famille davidique, beaucoup de Juifs et de la plus haute naissance, —Josèphe est formel sur ce point, — allèrent avec les Jehoudda, les Cléopas et les Jaïr.

L'injustice et la méchanceté de leurs doctrines sont ce qui révolte le plus Julien. Il fait ressortir l'ambition et le vilain esprit des anges auxquels s'attachent les jehouddolâtres et qui mériteraient mieux d'être appelés démons. Or, avant d'être appelés anges, ils sont appelés démons dans les Évangiles mêmes, et c'est ce qui avait permis à Celse[259] d'identifier les sept démons de Marie la Gamaléenne[260] avec les sept fils de Jehoudda le Gamaléen. L'histoire juive aidant, Julien avait saisi le lien qui rattache le christianisme au sicariat jehouddique : Au lieu de vous préoccuper de savoir s'il y a eu chez eux (Jehoudda et les disciples) de la sainteté, vous n'imitez que leur colère et leur fureur. Vous égorgez non seulement ceux qui restent fidèles au culte de leurs pères, mais ceux d'entre vous que vous dites infestés d'hérésie et qui n'adorent pas le mort de la même manière que vous (il s'agit de l'Eucharistie). Mais ce sont là de vos inventions. Jamais Jésus (considéré dans sa personne humaine) ne vous a donné de préceptes à cet égard, ni Paul[261]. La raison en est qu'ils n'ont jamais espéré que vous arriveriez à ce degré de puissance. Donc pas de Cène dans les Évangiles anciens que Georges de Cappadoce avait dans sa collection.

Julien ne contestait nullement — comment eût-il pu le faire ? — que Bar-Abbas descendit de Juda, fils de Jacob, et que la prophétie de l'Âne convint à David et à ses successeurs. Il renvoyait même aux Nombres où Balaam, traduisant les idées de son ânesse, dit : Il se lèvera une étoile de Jacob et un homme d'Israël. Cet homme d'Israël, c'est précisément Juda, et vous avez pu voir d'après Cyrille lui-même que Julien, par respect pour la circoncision, — cet état civil des Juifs, — n'appelait jamais Bar-Abbas Jésus ni son père Joseph ni sa mère Marie. Là où il disait le fils de Jehoudda on lui fait dire aujourd'hui le fils de Marie, expression purement ecclésiastique, mise là pour amener ceci qui est du Cyrille tout pur : Il n'est point de Juda... Et pour Joseph lui-même, vous avez beau le rattacher à Juda, vous ne pouvez pas réussir dans cette imposture, et l'on prouve que Matthieu et Luc sont tout à fait en désaccord sur cette généalogie[262]. Comme nous devons examiner avec soin l'authenticité de ce fait[263] dans le second livre, laissons-le de côté pour le moment. Supposons donc que ce soit là le prince issu de Juda.

Julien demande à ceux des jehouddolâtres qui, sans être Juifs, ont embrassé l'opinion des Galiléens, — à savoir que le Christ doit régner pendant mille ans sur la terre, — comment il se fait qu'ils ne se soient pas fixés à cette opinion, mais qu'ils l'aient abandonnée pour suivre un chemin qui leur fût propre[264]. Pourquoi appeler religion par excellence un système infâme et méprisable, qui, participant de la crédulité des Juifs et de la grossière indolence des Grecs, assume les vices des deux nations et ne conserve même pas le mérite d'être resté fidèle à l'enseignement de ses fondateurs ? Cyrille a naturellement supprimé tout ce qui dans Julien faisait valoir l'étrangeté de cette volte-face. Car Julien, qui avait eu en main les ouvrages des fondateurs du système, avait très bien vu que les jehouddolâtres, formés par les Lettres de Paul, ne confessaient plus du tout le Christ millénariste, mais l'ombre éplorée de celui-là : Vous êtes assez misérables pour ne pas même observer les préceptes que vous ont donnés les apôtres[265]. Et cela s'est fait par l'impiété et la perversité de leurs successeurs[266].

La prétention des christiens primitifs était de représenter les vrais Israélites, et en cela de différer de leurs compatriotes passés à la loi modernisée, c'est-à-dire au Dieu unique des Saducéens. Ils n'avaient point changé depuis Jehoudda. Ils avaient simplement, sans même que la plupart s'en doutassent, accepté son fils pour Fils de l'Homme sous le pseudonyme de Jésus, et falsifié sans scrupule toutes les Écritures prophétiques, Moïse lui-même, pour les adapter à leurs besoins. Cette impiété — le culte d'un homme et quel homme ! — vient de l'audace des Juifs en même temps que de l'indifférence et de la confusion des Gentils. Apprendre aux enfants à négliger l'instruction civique, à mépriser les sciences, les arts, la médecine elle-même en ce qu'elle a de naturel, et tout cela pour les Écritures juives, quelle honte i Si, arrivés à l'âge d'homme, ils sont devenus meilleurs que des esclaves, dites que je suis un fou et un maniaque ! Entre le judaïsme et le paganisme Bar-Abbas est le troisième larron, s'enrichissant de ce qu'il y a de pis dans l'un et dans l'autre. A l'un il a tout pris, convertissant la malédiction en un principe religieux ; de l'autre il n'a rien retenu que la liberté de manger de tout, à l'exception des viandes consacrées aux dieux.

L'oracle d'Apollon s'exerçait surtout contre le songe de Joseph : Moïse dit que le Créateur du monde choisit la nation des Hébreux, veilla exclusivement sur elle, ne se préoccupa que d'elle et donna à elle seule tous ses soins. Quant aux autres nations, comment et par quels dieux sont-elles gouvernées, il n'en est pas question : à peine semble-t-il leur accorder de jouir du soleil et de la lune[267] ! Moïse et après lui les prophètes, et Jésus[268] le Naziréen, prétendent que Dieu est exclusivement le dieu d'Israël et de la Judée et que c'est là son peuple de prédilection. Mais tous les charlatans et les imposteurs qui furent jamais ont été surpassés par Paul. Que les Juifs aient été exclusivement sous le patronage de Dieu, qu'ils aient été son héritage de prédilection, c'est non seulement une assertion de Moïse, de Jésus, mais aussi de Paul. Et c'est une chose étonnante chez celui-ci, car à chaque instant, comme les polypes sur les rochers, il change de croyance relativement à Dieu, tantôt prétendant que les Juifs sont l'héritage exclusif de Dieu, tantôt affirmant que les Grecs y ont également part, puisqu'il dit que Dieu n'est pas seulement le dieu des Juifs, mais des Gentils, positivement des Gentils. Il est donc juste de demander à Paul pourquoi Dieu, s'il n'est pas que le dieu des Juifs, mais celui des Gentils, a envoyé seulement aux Juifs l'esprit prophétique, Moïse, le chrisme[269], les prophètes, la Loi, les prodiges et les miracles fabuleux. Tu les entends crier : Nous avons mangé le pain des anges ![270] Pour finir Dieu leur envoie Jésus qui n'est ni christ, ni prophète, ni maître[271], ni héraut de cet amour que Dieu doit plus tard montrer pour les hommes sur cette terre[272]. Mais il attend des milliers d'années[273], laissant dans l'ignorance tous les peuples depuis le levant jusqu'au couchant, à l'exception d'une petite peuplade habitant depuis deux mille ans ou à peu près un coin de la Palestine[274]. Convenez, Juifs, que ce prétendu chrisme est un produit de votre orgueil, le rêve fantastique d'un homme de votre race[275]. Nos auteurs, au contraire[276], disent que le Créateur de l'univers est le père et le roi commun de toutes les nations, chacune obéissant à l'ascendant particulier de celui des dieux qui la conduit. Si l'expérience ne confirme pas ce que je dis, que toutes nos croyances ne soient que mensonge, folle persuasion, et qu'on approuve les vôtres ! Vous prétendez que Dieu a confondu le langage des hommes par peur de leur concorde[277], et après cela vous osez dire que vous avez une juste notion de la Divinité ? Si les biens de l'âme et les avantages du corps sont une preuve de la Providence, il n'y a pas de nation qui ne soit plus aimée de Dieu que les Juifs, point de législateur païen qui ne soit égal à Moïse, si même plusieurs ne le surpassent pas de beaucoup. Où veux-je en venir ? A ceci que si le Créateur prêché par Moïse veille sur le monde, nous avons de lui une opinion meilleure en le considérant comme le maître commun de l'univers. Qui faut-il honorer ? Le Dieu de l'univers ou celui qui veille sur une petite partie du tout ?

D'autre part si le Dieu des Juifs est si jaloux de sa puissance qu'il vous punisse d'en adorer d'autres, pourquoi lui donnez-vous un fils qu'il n'a jamais ni reconnu ni regardé comme sien, c'est facile à prouver, et que vous présentez vous-mêmes comme un enfant supposé[278], alors que vous connaissez tous et son père et sa mère[279] — et ses frères et ses sœurs, et ses beaux-frères et ses belles-sœurs, et ses neveux et ses nièces —. Où trouver une preuve plus décisive non seulement que Celse n'avait pas introduit dans son Discours l'histoire du soldat Panther, mais encore qu'aucune interprétation blessante pour l'honneur de Panthora n'avait été donnée par personne au sotadisme de Bar-Abbas ?

Non, Dieu ne s'est point occupé exclusivement des Juifs, mais il veille sur toutes les nations, et il n'a donné aux Juifs rien de bon, rien de grand. S'agit-il de révélation ? Les Egyptiens depuis Hermès Trismégiste, les Chaldéens depuis le Joannès[280], les Assyriens depuis Bélus, les Grecs depuis Chiron, ont eu des interprètes plus savants dans les choses divines. A peine David et Samson ont-ils pu étendre leurs pouvoirs aux limites de la Judée. La connaissance des phénomènes célestes a été perfectionnée chez les Grecs à la suite des observations faites par les Babyloniens. Par les Egyptiens la géodésie est devenue la géométrie, les Grecs ont élevé l'arithmétique des marchands phéniciens au rang de science, et en la continuant avec l'astronomie et la géométrie, ils ont été mis sur la voie de l'harmonie universelle. S'agit-il d'humanité ? Le dieu des Juifs est battu par la douceur d'un Lycurgue, par la clémence d'un Solon, par la bonté, la modération des Romains envers leurs ennemis. Les plus pervers, les plus cruels des chefs d'armée parmi les païens se sont montrés plus cléments envers ceux qui les avaient offensés que Moïse à l'égard de gens qui ne lui avaient rien fait du tout !

On a enlevé toute la partie, la plus importante à nos yeux, dans laquelle Julien, complétant le travail de Celse, établissait les origines païennes de ce qu'on appelle la morale évangélique, et montrait à quelles palinodies Jésus s'abaisse pour déguiser le programme d'accaparement que Bar-Abbas avait prêché. Car Jésus ne raisonne plus comme le faisait Bar-Abbas : Vendez ce que vous possédez et donnez-le moi, disait celui-ci, vous vous ferez ainsi des trésors qui ne périront pas[281]. Autrement dit : Vous entrerez avec moi dans le Royaume et je vous rendrai tout au centuple. Le Royaume écarté du programme, on ne pouvait plus laisser ce texte. On mit : Vendez ce que vous possédez et donnez-le aux pauvres, étant sous-entendu que l'Église s'enrichissait seule au détriment de ceux-ci. Et comme peu de gens suivaient ce conseil quand ils jouissaient de toutes leurs facultés,

on les entreprenait quand ils étaient à l'agonie ou quand une catastrophe publique amollissait les égoïsmes. Comment suivre cet enseignement ? disait Julien ; s'il venait à triompher il n'y aurait plus ni ville, ni nation, ni maison. Qui serait acheteur ? Et si tout était vendu, pourrait-il y avoir une famille honorable ? Il est bien évident que si, dans une ville, tous vendaient, il ne se trouverait personne pour acheter[282].

Les christiens ayant quelque peine à rétorquer de tels arguments, — l'ordonnance de Bar-Abbas étant inapplicable, même revue par Jésus, — on l'a mise au conditionnel dans le texte modifié. Si vous roulez être parfaits, dit maintenant l'Évangile.

Les conclusions philosophiques de Julien étaient à la hauteur de sa pénétration critique.

Les dieux ne font aucun mal ni aux hommes, ni aux êtres sensibles, par un sentiment d'envie, de jalousie ou de haine ; et lorsqu'ils leur prêtent ces passions dans les poèmes, les Grecs ne sont pas mieux inspirés que les prophètes juifs dans ces déclamations incohérentes par où les jehouddolâtres font impression sur les malheureux qui les suivent. Sur le Dieu juif Julien continue Marcion et tous les Gnostiques : ce dieu foncièrement vindicatif et méchant est un dieu national, inférieur à presque tous les autres, et nullement le Dieu universel profondément bon, égal pour tous, n'ayant conféré de privilège à personne et n'ayant mis entre les peuples d'autre différence que les aptitudes intellectuelles et sociales, sous le rapport desquelles il a, au contraire, désavantagé les Juifs. C'est le point de vue égyptien, le point de vue grec, le point de vue romain. C'est le précipité que donne la chimie de l'histoire : à peuple inférieur, dieu inférieur. Tous les dieux sont à l'image de ceux qui les font. Julien n'est pas plus contre celui-ci que contre les autres, mais il le veut à la place où il doit être ; et si les circonstances l'eussent permis il eût relevé le Temple de Jérusalem avec la religion que Bar-Abbas voulait donner au monde.

 

XIV. — J'arrête ici la liste, d'ailleurs fort écourtée, des hommes ou pour mieux dire des peuples qui ont connu l'inexistence de Jésus et la fraude constitutionnelle de l'Église. N'allez pas croire que cette liste s'arrête subitement avec le quatrième siècle ! Mais je n'ai pas promis de vous mener plus loin. On me dira que mes témoins sont surtout choisis parmi les païens et les hérétiques. En compensation, le prochain volume par lequel je termine mon ouvrage ne contiendra que des témoignages orthodoxes et canoniques. Personne, même parmi les ennemis les plus acharnés du christianisme, n'a moins cru à l'existence de Jésus que ceux qui l'ont plaidée dans les Lettres de Paul et les autres pièces fausses dont se compose exclusivement le trésor des divines Écritures.

 

FIN DU DIXIÈME TOME

 

 

 



[1] A la vérité, nous n'apportons pas la preuve matérielle du fait. Si le préteur de Bithynie est distinct de Celse, c'est un témoin de plus en notre faveur.

[2] Contre Celse, I, § 68.

[3] Origène aussi dans ses Principes.

[4] Vérité démontrée par la seule histoire des Égyptiens.

[5] Contre Celse IV, § 36, dans la restitution Aubé, Histoire des persécutions de l'Église.

[6] Dater le faux avec exactitude est impossible, mais nous avons la preuve qu'il est postérieur à l'invention par où Denys le Petit fixe le commencement de l'ère chrétienne à 753, c'est-à-dire trois ans après la mort d'Hérode et sept ans avant le Recensement de 760, date de l'acte de naissance de Jésus dans Luc. En effet, le faussaire refuse de absolument de s'engager dans une controverse qui aurait pour résultat de ruiner complètement la chronologie ecclésiastique, il préfère ne donner aucune date à la naissance de Jésus, laissant l'empereur Constantin, auquel il s'adresse, sous l'impression que Jésus a bien existé et que la date de sa nativité, en quelque lieu que ce soit, est celle que l'Église a fixée comme il lui a plu. Les mots Recensement, Quirinius, Bethlehem et Nazireth ne sont pas prononcés, de manière que, n'ayant pas eu à délibérer là-dessus, Constantin n'ait pu arguer de faux les écrits de Lactance.

On a cru remarquer que sur Jésus Lactance devait tout à Cyprien qui devait tout à Tertullien, lequel ne savait rien qu'il ne voulût tenir de l'Évangile. C'est dans les Témoignages de Cyprien qu'il faut chercher la documentation de Lactance. (M. René Pichon, Lactance, Etude sur le mouvement philosophique et religieux sous Constantin, Paris, 1901, in-8°, ouvrage couronné par l'Académie française). Mais qu'est-ce que les Témoignages de Cyprien ? Rien de plus que ce que nous apprenons dans les Évangiles.

[7] Elle depuis longtemps accomplie au bénéfice de Bar-Abbas, lorsque le faussaire compose.

[8] Eh bien ! ce nom, quel est-il ?

[9] Préteur en Bithynie

[10] De falsa religione, l. I, ch. IX.

[11] Comme le prétend l'Église.

[12] Nous laissons Hiéroclès de côté. Celse et Julien suffisant à notre démonstration. Hiéroclès, protagoniste d'Apollonius de Tyane contre Bar-Abbas, fait voir combien les philosophes avaient été plus prudents et plus sages que les jehouddolâtres. Pesant dans la même balance leurs miracles attribués par les uns à Apollonius et par les autres à leur Juif : Quel bruit pour quelques petits prodiges ! s'écrie Hiéroclès, pour quelques aveugles guéris ! Apollonius était bien plus fort, et pourtant nous ne l'honorons que comme un ami des Dieux. Vous autres, pour quelques aveugles guéris, vous allez partout publiant que Jésus est Dieu. Que répond Eusèbe ? Que les miracles d'Apollonius, publiés fort longtemps après sa mort, n'ont point eu de témoins, tandis que ceux de Jésus ont été vus par tous les apôtres. Toutefois, il n'ose point dire qu'ils aient été publiés du vivant de Bar-Abbas ou au lendemain de sa crucifixion.

[13] Il montrait au contraire qu'ils étaient de famille royale, prétendants, non pas seulement au trône de Judée, mais au Royaume du monde, et que leur pêche a lieu uniquement dans l'eau trouble de la parabole.

[14] De Justitia, ch. II.

[15] Bon. Personne ne l'a appelé ainsi avant que l'Église ne décidât de voler leur nom aux chrestiens.

[16] De vera Sapientia, l. IV, ch. VII.

[17] De vera Sapientia, l. VII, ch. IX.

[18] De vera Sapientia, l. VIII, ch. VIII.

[19] De vera Sapientia, l. 1V, ch. X, in fine. Avant le septième jour des calendes d'avril, dit le texte, c'est-à-dire le 6 avril, très près du 7, la journée juive commençant à six heures du soir. D'autres manuscrits permettent de lire : avant le dixième jour d'avril.

[20] De vera Sapientia, l. IV, ch. XVIII.

[21] Saül et Philippe Bar-Jacim après la Journée des Porcs.

[22] Période de la prise de Kapharnahum, de Bethsaïda et de Khorazin.

[23] Certes, car il aurait été dans le même cas que Bar-Abbas condamné pour l'assassinat d'Ananias et de sa femme, par conséquent indigne d'être adoré, mais digne d'être condamné par l'Aréopage Juifs.

[24] Cet argument rentre dans le plan concerté par l'Église en ce qui touche l'interprétation de l'Âne d'or et de l'Apologie d'Apulée.

[25] Bar-Abbas en personne.

[26] Le préteur de Bithynie montrait, au contraire, qu'il n'y avait aucun miracle dans les Évangiles, mais de simples séméiologies faites sur les nombres de la kabbale juive.

[27] Sous le nom de Jésus, tandis que, sous le nom de Bar-Abbas, l'individu qui se disait christ est mis hors de cause et relâché par Pilatus.

[28] Cf. Les Évangiles de Satan, première partie.

[29] De Justitia, ch. III.

[30] Parmi les plus distingués citons M. Pélagaud dans son livre sur Celse et M. Aubé dans l'Histoire des persécutions de l'Église, (Paris, 1878, in-8°). Tous les deux ont tenté la restitution du texte de Celse. Celle de M. Aubé mérite la préférence et c'est presque toujours celle dont nous nous servons dans nos extraits.

[31] Contre Celse, II, § 14.

[32] D'ailleurs Jehoudda est parfois appelé Jésus dans le Talmud.

[33] Anticelse, III, § 7.

[34] C'est cet état de l'histoire christienne qu'on vise dans Justin (Première Apologie, XIV) : Autrefois, dit l'Église, nous aimions et nous recherchions plus que tout l'argent et les domaines... Les haines et les meurtres nous divisaient, la différence des mœurs et des institutions ne nous permettait pas de recevoir l'étranger à notre foyer.

[35] Ananias et Zaphira à abord, puis Jehoudda Is-Kérioth, puis toute la famille de Hanan et de Kaïaphas, puis les trois mille malheureux massacrés par Ménahem à Jérusalem.

[36] Anticelse, III, § 7.

[37] C'est ce que Jésus recommande aux évangélistes dans Luc.

[38] Paul, l'Apôtre des nations.

[39] L'emprunt est textuel, voyez la Première aux Corinthiens.

[40] Qui n'ont commerce qu'avec les mâles. On lit Arpocratinous, mais c'est une corruption évidente et probablement volontaire, la suite de la phrase ne permet pas d'en douter.

[41] La mère de Bar-Abbas.

[42] Pseudonyme évangélique de Salomé junior, femme de Cléopas et  sœur de Bar-Abbas.

[43] Thamar, autre sœur de Bar-Abbas et femme d'Éléazar Bar-Jaïr.

[44] Nicolas à Antioche par exemple.

[45] L'Âne, par exemple.

[46] Le Chien.

[47] Anomôteron.

[48] Pris aux Lettres de Paul et dont le vrai sens, s'il y en a un, se trouve donne ici.

[49] Lors du passage équinoxial du printemps, ou pâque.

[50] Lors de l'ingestion du corps du crucifié.

[51] Dans Lactance, De vera sapientia, XXX.

[52] On lit dans Victor de Tunis : Messala consule, Anastasio imperatore jubente, Evangelia tanquam ab idiotis evangelisticis composita, reprehenduntur et emendantur.

[53] Preuve qu'il n'y avait point de Discours d'un Juif dans Celse le platonicien.

[54] Cette stupidité n'appareil pour la première fois que dans écrits rassemblés sous le titre de Talmud de Babylone. On lit dans le traité du Shabbath (104b) : Le fils de la Sotada (Salomé) était fils de Pandera, ce qui est absolument vrai à la condition d'écrire : Panthora. Mais voici la calomnie, et dans le même traité : Quant au mari de la Sotada, son amant était Pandera : mais son mari était Papas Ben-Johanan (le père du fils de Johanan). Comme en termes galants ces choses-là sont dites ! Et avec quelle clarté surtout ! Mais considérez le fond, comme nous l'avons fait nous-même dans Le Charpentier, il est inévitable que le mari de Salomé ait été son amant, non seulement sous le nom de Panthora, mais sous celui de Jehoudda. Quant au papas ou mieux à l'abbas du Joannès qu'on nomme ici Johanan, il est incontestable qu'il fut surnommer aussi Joannès, les Évangiles le constatent en quatre endroits.

[55] Anticelse, II, § 10.

[56] Vous le voyez, tout le monde en Judée savait que l'Apocalypse était du Joannès qui se disait christ sous Tibère, et non d'un certain Jochanan exilé à Pathmos sous Domitien.

[57] Bar-Abbas toujours, il n'y a pas moyen d'en sortir !

[58] L'Église fait dire à son Juif que Bar-Abbas était charpentier, et on retrouve cette affirmation dans Justin qui est du second siècle et contemporain de Celse l'épicurien. Or dans le Contre Celse que l'Église donne comme étant d'Origène, lequel est du troisième siècle et meurt une soixantaine d'années après Celse l'épicurien, l'auteur déclare que de son temps aucun Évangile ne contenait ce détail. On en pourrait conclure que le passage de Marc où on lit cette séméiologie n'existait pas encore au troisième siècle, si d'autre part l'Anticelse ne cherchait pas à dissimuler par là que Celse eût compris et expliqué la séméiologie de l'Arche baptismale et de son constructeur.

[59] Comme était précisément Salomé.

[60] Le fait est que, si on eût consulté les habitants de Gamala, de Bethsaïda, de Kapharnahum et de Korazin, personne n'aurait connu Marie Magdaléenne, femme d'un charpentier, mais Salomé la Gamaléenne, femme de Jehoudda, qui, comme son mari, travaillait à la restauration de l'Arche d'alliance qui prenait eau de tous côtés.

[61] Quoique Ben-Sotada (fils du double adultère de Bethsabée et de David), n'en est pas moins, selon les vues de l'Église, il est unique ! Toutefois nous avons des raisons de croire que ce qu'on lui reproche au point de vue dynastique, ce n'est pas d'être Ben-Sotada par son père, mais par sa mère : elle ne descendait de David que par le harem : la Sotada, dit le Talmud de Babylone.

[62] Sa profession et sa nationalité sont un perfectionnement ajouté par l'Église. Le Talmud n'en souffle mot, et certainement Pandera est Juif dans l'esprit du rédacteur.

[63] Et Joshua ben-Pérachja, maître de Jehoudda Panthora, est-ce qu'il était égyptien ?

[64] Pas tout était, mais son bar.

[65] Vous le voyez, au temps de Celse, l'Église ne niait point que Joannès été crucifié ; elle contestait, et seulement pour les besoins de son commerce, qu'il fût identique à Jésus. A supposer qu'un Juif eût été assez ignorant pour croire à l'existence concomitante de Jésus et de Joannès, voilà l'identité de leur supplice constatée formellement : crucifixion. La décapitation n'était donc pas encore dans les Évangiles au temps de Celse. Si M. Aubé (Histoire des persécutions de l'Église, 1878, in-8°, p. 285) était allé jusqu'au bout de son impression, il aurait trouvé ce que nous avons trouvé nous-même : l'identité charnelle du baptiseur et de Jésus, car il s'arrête interloqué devant cette perspective : Il est étrange, dit-il, que le Juif Celse mette Jean le baptiste dans la suite de Jésus et le fasse mourir avec lui !

[66] Hélas !

[67] Anticelse, II, § 7, de la restitution de M. Aubé.

[68] Qui revoie un homme à la croix sans pouvoir relever la moindre charge contre lui.

[69] Anticelse, II, § 79.

[70] Anticelse, IV, § 22.

[71] Anticelse, II, § 60.

[72] Scilo, envoyé, entrait dans la composition du mot hébreu. D'où Scilitains.

[73] Dans le sens que nous avons donné nous-même à ce mot pour les sept démons de Maria Magdaléenne. Cf. Le Charpentier et Les Évangiles de Satan, troisième partie.

[74] Contre Celse, V, § 2 et § 5.

[75] Contre Celse, VI, § 75. Sa bassesse est passée en proverbe. On dit : un visage de Barabas, un Barabas. C'est celui qu'on prête à Jehoudda Is-Kérioth, qui n'avait pas de peine à être plus sympathique.

[76] Cf. Les Évangiles de Satan, première et deuxième partie.

[77] Dans son Apocalypse.

[78] Contre Celse, VI, § 8.

[79] Contre Celse, V, § 65.

[80] Contre Celse, VI, § 10.

[81] Sceaux. Les sept principaux sont rompus par le Lion et l'Agneau dans l'Apocalypse.

[82] Les Paroles du Rabbi étaient en araméen pour le langage commun, et en langue cabalistique pour le reste.

[83] Nous avons reproduit les principales, celles de la kabbale du baptême notamment, dans Les Évangiles de Satan, deuxième partie.

[84] Contre Celse, VI, § 41. Il cite ce propos le musicien Denys d'Égypte qu'il a connu personnellement. Denys lui a dit que cette magie n'a de pouvoir que sur les ignorants et les gens perdus de mœurs.

[85] C'est le Dragon.

[86] Contre Celse, VII, 40.

[87] Sur les répugnantes pratiques dont ce père était l'objet de la part de son fils dans certaines sectes, cf. Les Évangiles de Satan, première partie.

[88] On lit Taphabaoth dans l'Anticelse. C'est une faute évidente.

[89] Du grec Onos, âne, et El, Dieu, d'où vient Eloï, Elohim. Ménahem est dit Nath-Ono-El dans Cérinthe. L'Âne venait le quatrième dans la kabbale du Zodiaque millénaire et le septième dans kabbale sigillaire du sabbat.

[90] Mon Père est plus à que moi, dit Jésus dans Cérinthe.

[91] Anticelse, II, § 77.

[92] Anticelse, I, § 61.

[93] Du Temple, commandés par Saül.

[94] Anticelse, I, § 61.

[95] Anticelse, II, § 61. L'autre, c'est Shehimon, frère cadet de Bar-Abbas. Mais comme il ne lui est plus parent (pas même cousin !) sous le nom de Pierre, on l'a fait disparaître.

[96] Cf. Les Évangiles de Satan, troisième partie.

[97] Gamaliel, ou plutôt Hérode Antipas dans l'esprit de Celse.

[98] L'Enfer, l'Amenti de Valentin.

[99] Contre Celse, II, § 37. Allusion à l'épilogue de la Sagesse de Valentin. C'est ce qui a donné aux théologiens l'idée de soutenir que Bar-Abbas n'était pas resté en enfer.

[100] Naturellement il n'y avait pu Jésus.

[101] Curieuse trace de la version originale, celle de la famille.

[102] Celui d'Ananias et de Zaphira tout au moins.

[103] Contre Celse, II, § 16.

[104] Contre Celse, II, § 44.

[105] Contre Celse, II, § 47.

[106] Contre Celse, VII, § 53.

[107] Contre Celse, II, § 26.

[108] Contre Celse, II, § 27.

[109] Contre Celse, II, § 32.

[110] Contre Celse, III, § 16.

[111] Contre Celse, III, § 19.

[112] Anticelse, III, 27.

[113] Allusion aux miracles opérés sans contact, par le simple souffle de Jésus.

[114] Noces de Kana.

[115] La colombe, par exemple.

[116] Anticelse, II, § 7.

[117] Anticelse, II, § 1. De cette manière le Juif certifie l'apostolat de Pierre et de Paul à Rome. C'est là le but.

[118] II, § 12. L'Anticelse n'emploie pas le mot Paraclet qui est dans l'Évangile mais le mot Pneuma tes alétheias.

[119] Sinon en hébreu, où son nom fait Bar-Abbas.

[120] Contre Celse, VIII, § 14.

[121] Anticelse, IV, § 1 et 2.

[122] Anticelse, III, § 1. Il serait plus juste de dire : à propos de l'ombre de deux Ânes.

[123] Contre Celse, VIII, § 41.

[124] Les gloses. Nous en avons donné les principales.

[125] Tel Péréghérinos. Voilà ce que Valentin aurait voulu éviter.

[126] Prêtres-mendiants quêtant pour Cybèle, la mère des dieux. De méter et agheirein. D'où Péréghérinos.

[127] Galien, qui était de Pergame, une des sept églises nommées dans l'Apocalypse de Pathmos, et qui vint à Rome dans le dernier tiers du second siècle, avait été frappé déjà de cette opiniâtreté dans l'erreur. Il accuse les christiens, — les millénaristes genre Péréghérinos sans doute, — de s'entêter dans des doctrines dont ils ne peuvent apporter aucune démonstration. Ce passage semble authentique. Mais il y eu un autre qui ne l'est pas, où il se déclare franchement christien, encore faudrait-il savoir ce qu'il entend par là. (Traité sur les affections des reins, ch. V.)

[128] Contre Celse, dans la partie que M. Aubé intitulé Préface, § 7.

[129] Contre Celse, I, § 6.

[130] Anticelse, IV, § 11.

[131] Il y a Jésus dans l'Anticelse, mais ce qu'il y avait là, c'est le nom de circoncision de ce scélérat.

[132] La péroraison du Discours de Celse a été complètement modifié par l'auteur du Contre Celse. Il y est question de deux empereurs, alors que Celse n'en visait qu'un qui fut d'abord Constance, puis Julien. Mais lorsqu'il fut décidé que le Discours de vérité serait de Celse l'épicurien, il parut bon de le rattacher au temps où Marc-Aurèle et Lucius Verus étaient associés à l'Empire. Il est question aussi de rêveries de fraternité universelle, mais comme elles étaient loin de la pensée des christiens visés par Celse !

[133] Nullement. Toute cette fin, je le répète, est un arrangement qui a pour but de faire rentrer le Discours de vérité dans l'œuvre de Celse l'épicurien et dans le siècle de Marc-Aurèle.

[134] Statues de chair ou martyrs. Rédaction ecclésiastique.

[135] Socrate, III, 2. Sozomène, V, 7.

[136] Thèse de l'Église : Georges avait été chassé en 358 par les athanasiens unis aux païens, à cause des violences qu'il avait exercées contre les uns et contre les autres. (Objection : De son côté Athanase avait été chassé par Georges bien avant la même époque.) Après trois ans d'exil (où était-il donc ?) Georges rentre dans Alexandrie le 26 novembre 361. Le 30, il apprend la mort de Constance par Gérontius, préfet d'Egypte. (Remarque : De son côté, Athanase, sans attendre aucun édit de rappel, rentre dans la ville.) Une émeute éclate, on met Georges en prison et le 25 décembre on l'en tire pour le massacrer avec le comte Dracontius et le comte Diodore. On brûle les cadavres et on jette les cendres à la mer, de peur — ceci dans Ammien Marcellin, très certainement enzôné, — que des églises ne se construisissent sur leurs tombeaux et qu'on ne les honorait comme des martyrs. (Ils étaient donc si populaires ? Alors pourquoi avait-on chassé Georges en 156 et l'avait-on emprisonné en décembre 361 ?) Ils auraient pu être secourus par les christiens, ajoute encore Ammien, mais ils étaient si détestés ! (On voit où l'enzôneur d'Ammien veut en venir, il veut que les athanasiens n'aient été mêlés en rien au massacre et que Georges ait été victime des seuls païens.)

[137] Correspondance de Julien, lettre XXVI.

[138] Correspondance de Julien, lettre XXVI.

[139] Julien date son apostasie de 351, temps où son frère Gallus est fait César par Constance et où Julien retourne étudier à Constantinople. Le faussaire qui lui tient la main pour lui faire signer cette énormité connaît les besoins de l'Église : la vie publique et les écrits de Julien sont tout païens ; pour qu'il soit apostat, il faut qu'il ait été jehouddolâtre secrètement, obscurément. Et quoi de plus favorable à une initiation secrète que les quatre années de relégation passées sur une montagne de Cappadoce ? inversement, comme il faut que son frère Gallus ait été apostat du paganisme, on forge la lettre où il déclare à Julien qu'il sacrifie toutes ses croyances primitives à la jehouddolâtrie.

[140] Comme les Douze Apôtres, les quatre Évangélistes et Paul sont censés avoir abandonnés la Loi juive pour former une religion qui a Jésus et l'Eucharistie pour point de départ.

[141] La résurrection de Bar-Abbas, partant sa divinité.

[142] On y a fait passer quelques considérations prises dans le Discours sur le Roi Soleil.

[143] Vous avez assassiné Georges, dit le faussaire, parce qu'il a pillé le Serapeum avec deux complices, le préfet et le chef militaire de l'Égypte (Georges n'était donc pas en prison, puisqu'il a pu dirigé le sac du temple de Sérapis avec Dracontius et Diodore.) Cela s'est passé bien avant la mort de Constance, dit l'Église, c'est Artémius qui était préfet d'Égypte à ce moment-là et qui a aidé Georges à piller le Sérapéum. Mais le pseudo-Julien : Cela s'est passé sous mon règne, mon oncle Julien étant préfet d'Égypte et résidant à Alexandrie même. L'Église : Le comte Julien venait de remplacer Artémius, et vers le mois de janvier 362 il a fait afficher un édit de Julien accordant la grâce de tout le monde. Il est dit au contraire dans la Lettre aux Alexandrins que le comte Julien n'est plus en Égypte et dans l'édit d'expulsion que son successeur s'appelait Ecdicius. D'autre part, si c'est Artémius qui a pillé le Serapeum, comment se fait-il qu'il n'ait point été puni avec Georges, soit par les Alexandrins eux-mêmes, soit  par Julien ? L'Église : Artémius a été mis à mort également. Quand cela ? Ammien dit : Avant Georges. L'Église : Plusieurs mois après. Si c'est avant Georges, cela ne s'est pas passé sous Julien, mais sous Constance. Si c'est après ce n'est pas pour avoir pillé le Sérapéum que Georges a été massacré avec Dracontius et Diodore, c'est pour un autre motif, que nous ne savons plus, mais qu'Athanase n'ignorait pas.

[144] Les ténèbres extérieures sans doute.

[145] C'est au contraire Athanase qui toujours les avait excites contre Constance et le patriarche de son choix.

[146] M. Talbot (Œuvres de Julien) traduit par : sur la doctrine des Galiléens. M. Allard (Julien) donne : écrits par les Galiléens.

[147] Avertissement de son livre Contre les Galiléens.

[148] Les Césars, in fine. Ce passage semble avoir été mal interprété par ceux qui y voient un discours de Constance, prédécesseur de Julien. Sans doute on peut l'interpréter ainsi, il est obscur, plusieurs sujets commandant la même phrase. Mais on ne le peut qu'au détriment du fond. Voici comment je le comprends. Constantin ne trouvant point de modèle de sa conduite parmi les dieux, se réfugie auprès de la Débauche. Il y trouve son fils (celui de la Débauche) criant à tout venant : Corrupteurs, meurtriers, etc. à Sur quoi il prend place auprès d'elle et emmène ses fils (Constantin II, Constant et Constance) hors de l'assemblée d'où il a été évincé lui-même. Mais les démons qui vengent l'athéisme s'emparent d'eux (Julien regarde tous ces princes comme des athées) et les tourmentent pour leur faire expier le sang de leurs proches, jusqu'à ce que Jupiter leur donne un peu de relâche en faveur de Claude II et de Constance-Chlore que Julien regarde comme des personnages honorables. Cela ne veut pas dire du tout que Constantin et ses fils aient été baptisés au nom de Bar-Abbas, relie que leur place est avec les jehouddolâtres, dans une sphère où les puissances soumises aux dieux tourmentent les athées.

[149] Oratio IV, 16.

[150] Sur ce mot l'Église a coupé net la Lettre de Théodore, souverain pontife, dont le texte offre les altérations les plus profondes. Règle générale : plus il était probant, plus il est altéré.

[151] Julien, Lettre aux Bostréens.

[152] Lettre à un pontife païen. Il va sans dire que l'Église a supprimé tout le commencement, dans lequel Julien établissait un parallèle entre la tolérance qu'il recommandait pour des symboles jugés infâmes ; et les violences que les jehouddolâtres exerçaient contre tout ce qui touchait au culte des dieux nationaux.

[153] A Écébole.

[154] Ammien Marcelin, XXII, 9.

[155] Lettre à un pontife, § 2.

[156] La Lettre à un pontife ne s'adresse pas, comme on le dit, à un pontife en exercice dans une église païenne, elle s'adresse à un païen qui s'est fait évêque jehouddolâtre et qui sème le mensonge autour de lui. C'est un magnifique morceau et plein de sentiments chrétiens. Depuis que l'Athanase auquel il s'adresse s'est éloigné de la vérité, les démons ont pris la place des dieux dans son cœur.

[157] Par conséquent il n'y avait encore rien de cela dans la bouche de Jésus.

[158] À nous les points suspensifs et même interruptifs ! Le discours finit au moment où nous allions tout savoir. La coupure est évidente : Le reste du discours aura sans doute été supprimé par les copistes chrétiens, dit un des traducteurs de Julien, comme trop injurieux à la religion qu'ils professaient.

[159] Lettre à un pontife, § 6.

[160] Misopogon.

[161] Grégoire de Nazianze, dans les deux Lettres à Clédonius.

[162] Basile, Lettre 263.

[163] Cet imposteur entend précisément la nouvelle, celle qui selon Apollinaris datait d'une vingtaine d'années en 362.

[164] Samarie, la Sichem des Évangiles.

[165] Lettre 263.

[166] Panarion, l. LXXVII, 24.

[167] On cite une Lettre du pape Libère à Athanase contre les doctrines d'Apollinaris, mais les écrivains catholiques eux-mêmes (M. Voisin, l'Apollinarisme, Louvain et Paris, 1901, in-8°) s'accordent à la trouver fausse. Il en est de même de la Décrétale de Damase sur le même objet.

[168] Rapporté avec un semblant d'exactitude par Diodore. (Migne, Patrologie grecque, t. XXXIII, col. 1561.)

[169] Rapporté avec dénaturations par Théodore, In quarto adversus Apollinarem libro, dans Facundus d'Hermiane (l. IX, 4).

[170] Cf. dans l'Apollinarisme de M. G. Voisin, le chapitre : La fraude  des Apollinaristes, p. 152 et suiv.

[171] Augustin (De dono perseverantiæ) le reconnaît d'après Épiphane (Contra Julianum, ouvrage commencé. V. Patrologie Latine de Migne, t. XIV, col. 1365) qui rapporte que des Apollinaristes qu'il interrogea confessèrent cette opinion.

[172] Athanase, Lettre à Adelphius, Patrologie grecque, t. XXVI.

[173] Sozomène, Histoire, V. 18. A quoi quelqu'un aurait répondu après conversion d'Apollinaris en jehouddolâtre : Tu as lu, mais tu n'as pas compris ; car si tu avais compris, tu n'eusses pas condamné.

[174] Jérôme, Lettre 70.

[175] De l'enquête impériale.

[176] Jérôme, Lettre 48, ad Pammachium.

[177] Œuvres de Julien, éd. Talbot, Paris, 1863, in-4°, p. 449.

[178] Fragments d'une Lettre à un pontife ou plutôt d'un livre dont l'Église a prudemment supprimé le début où Julien traitait de la personne du mort.

[179] Lettre à Libanius, p. 384 de l'éd. Talbot.

[180] Le mois du Lion, celui qui succède aux Ânes dans la kabbale christienne. Qu'est-ce que le Lion ? dit Julien (Sur la mère des dieux, IV). Nous savons que c'est le principe igné, c'est-à-dire la cause qui préside à la chaleur et à la flamme. Cf. l'image de l'Æon-Lion, dans Les Évangiles de Satan, troisième partie.

[181] Le temple était plein, on peut en être sûr. La scène réelle est à remplacée dans le Misopogon par une histoire d'oie qui sent son moine à plein nez. L'animal dont il fut question ce jour-là, ce n'est pas l'oie, c'est l'âne.

[182] Monodia super Daphnæi templum.

[183] Séméiologies. Virtutes ejus fuerunt quas Apollo portentificas apellavit. (Lactance, De vera sapientia, l. IV, ch. IV.) Portentificus est un qualificatif traduit du grec et qui ne se trouve que dans Lactance.

[184] Quoi de plus clair ?

[185] Pour parer le coup, Cyrille prête à Julien l'opinion que cette habitude provient des apôtres après la mort de leur maître. Mais Julien disait tout le contraire, sachant qu'il n'y avait qu'un mal parmi ces malheureux, Jehoudda, le Joannès senior, auquel avait succédé Bar-Jehoudda, le Joannès baptiseur, dont ses frères disaient qu'il avait survécu aux exécutions de Pilatus. Loin de se rouler sur son sépulcre, ils en avaient soigneusement dissimulé l'emplacement à leurs contemporains.

[186] Quatorze livres qui comprenaient l'Histoire des Césars, depuis Claude II jusqu'à Arcadius, empereur d'Orient (395-403). Photius dit dans sa Bibliothèque qu'il y eut de cet ouvrage deux éditions différentes. Nous n'en possédons que des fragments conservés par Suidas, si toutefois le mot conservé peut convenir à une telle opération. A la vérité, Eunape avait laissé des moines un portrait que l'Église ne pouvait décemment transmettre à la postérité. L'Histoire générale d'Eunape, avec sa Vie de Julien, ses Vies des philosophes et des sophistes, a été détruite aux endroits psychologiques. Ce n'est pas de ces témoins-là qu'il faut à l'Église. Pourtant il nous est venu quelques lignes d'Eunape (Vies d'Edésius et d'Antonin, mais très remuées) sur ces gens appelés moines qui, tout en ayant la forme humaine, vivaient comme des animaux et se livraient sortes d'excès que je n'oserais rapporter. Mais j'ai déjà parlé de ces gens-là dans mon Histoire générale. Ils regardaient comme un acte homme piété de profaner les choses divines. A cette époque, du reste, tout homme affublé d'une robe noire et qui ne craignait pas d'affecter en public un maintien peu décent, avait permission d'exercer une autorité tyrannique. C'est à ce haut point de vertu que l'humanité en était arrivée. Ces moines furent donc établis à Canope et là ils substituèrent à des divinités accessibles à l'intelligence un culte d'esclaves, et encore d'esclaves méprisables, auquel ils soumirent les hommes. Recueillant, en effet, les ossements et les têtes des misérables que nombreux crimes avaient fait condamner par la justice de la cité, ils les présentaient comme des dieux, se roulaient convulsivement sur ces restes immondes, et s'imaginaient que le contact impur de ces sépulcres les rendait meilleurs. Ils les appelaient martyrs, diacres arbitres des prières auprès de la divinité, quand ils n'avaient été portant que des esclaves infidèles, sans cesse roués de coups de fouet, et portant sur leurs corps les marques infamantes que leur avait values leur perversité. Et la terre souffre de pareils Dieux !

[187] Photius l'avoue dans sa Bibliothèque, au mot : Eunape.

[188] Cf. Les Marchands de Christ.

[189] Oratio V, 39.

[190] Rufin, Histoire ecclésiastique, II, 28. Athanase était hors d'Alexandrie depuis le mois de décembre 361.

[191] Métropole de la Pannonie.

[192] Dans le Contre Julien on fait intervenir Photin à un tout autre propos. Dans ses écrits Photin montrait que Bar-Abbas n'était nullement en Dieu à l'origine des choses, puisqu'il était né sous Hérode en 738 de Rome. Le Contre Julien fait dire à Julien que le fils de Marie, ou tout autre, était en Dieu dès l'origine, ce qui est en même temps répondre à Photin. Œuvres de Julien, trad. Talbot, p. 345.

[193] Cette lettre est reçue par Henlein dans la Correspondance de Julien (édition Teubner). Il n'y a aucune raison pour l'y laisser.

[194] Photin avait dit tout le contraire, sachant très bien de qui Bar-Abbas était fils et que Jésus n'était né de personne.

[195] Il avait étudié à Athènes. C'est un sophiste de ce genre qui a fabriqué les Lettres de Paul.

[196] Il est bien vrai qu'en certaines villes les habitants passèrent les bornes de l'édit. Julien proteste contre ces excès qui n'étaient ni dans ses intentions ni dans ses instructions.

[197] Toutes les fois que Julien aborde ce sujet, les ciseaux de fonctionnent impitoyablement. Je soupçonne, dit la Bléterie à propos de ce passage du Misopogon, § 19, qu'il y avait là quelques blasphèmes que les copistes auront retranchés.

[198] Ce passage du Misopogon, où Julien fait allusion a l'Apocalypse anti-jehouddolâtre, s'éloigne considérablement de l'original. Aussi l'a-t-on interprété autrement que nous. De ce qu'il en reste : Jupiter, Apollon Daphnéen, et Calliope qui a mis à nu votre perfidie, on a conclu que Julien voulait dire : Ils m'ont appris que les chansons dirigées contre moi et présentées comme venant d'Édesse provenaient réellement d'Antioche. Mais ce n'est pas de cette petite ruse qu'il veut parler, c'est de la grande, de celle qui constitue l'Évangile. Apollon Daphnéen et les Muses ne peuvent plus rien apprendre à Julien au sujet des chansons et au moment du Misopogon ; leur temple comme on va le voir, est en cendre, depuis octobre !

[199] Misopogon, § 8, p. 299 de l'édition Talbot.

[200] Monodia super Daphnæi templum.

[201] Lettre à Libanius, p. 391 de l'éd. Talbot. Quoique remaniée par l'Église, il en résulte que le temple de Baillé fut mis dans le même état que celui de Daphné. On a laissé cette constatation, niais biffé tout ce que Julien mandait à Libanius sur l'identité de la cause et l'état des lieux. Et comme à Baillé il avait été l'hôte du philosophe -0Pater, gendre de Jamblique, on a introduit ceci : Il a reçu chez lui mainte et mainte fois mon cousin (Constance) et mon frère germain (Gallus) et pressé souvent par eux, comme cela devait être, de renoncer au culte des dieux, il a su se préserver, chose difficile, de cette maladie.

[202] Pour Julien comme pour Celse, Bar-Abbas, c'est le mort : Vous allez chez les Juifs adorer un mort ! dit-il aux jehouddolâtres.

[203] Par ses débris.

[204] Les paroles du discours qu'il adressa au Sénat d'Antioche pour se plaindre de la déplorable inclination des habitants pour Bar-Abbas. On les a modifiées sensiblement.

[205] Misopogon, § 24. p. 315 de l'éd. Talbot.

[206] Monodia super Daphnæi templum.

[207] Nullement, mais leurs tombeaux.

[208] Bar-Abbas et consorts.

[209] Sur toutes ces turpitudes, cf. Allard, Julien l'Apostat, t. III, pp. 71-82.

[210] Misopogon, § 12, trad. Talbot, p. 302.

[211] Pour le lier et le pendre au bois, comme on avait fait à Bar-Abbas.

[212] Initiale grecque de Christ.

[213] Initiale grecque de Constance.

[214] Deux barbes à faire des cordes, mais cette fois contre les jehouddolâtres.

[215] Julien ne nomme aucune de ces villes, mais il y en avait plusieurs, en Palestine même, notamment Gaza. On peut donc être sûr qu'avant les corrections de l'Église il n'était pas question d'Emèse comme s'étant, elle seule, distinguée des autres villes en mettant le feu aux tombeaux des Galiléens.

[216] Misopogon, § 22, édition Talbot, pp. 312, 313. — Misopogon, § 6, trad. Talbot.

[217] Misopogon, § 18, trad. Talbot.

[218] Les villes de Syrie qui sont sur le chemin de la Perse Litarbe, Bérée, Batné, Hiérapolis.

[219] Misopogon, § 26, trad. Talbot, p. 316.

[220] L'imposture ne perd jamais ses droits.

[221] Cf. Les Marchands de Christ.

[222] Contre Celse, VI, § 6.

[223] Contre Celse, VI, § 14.

[224] L'hémorroïsse, c'est la fille de Jaïr, alias la femme de Shehimon dit la Pierre, que Jésus ressuscite en la guérissant de sa perte de sang.

[225] Homélie XXVI, in Hebræos.

[226] Chapelles.

[227] Nom sous lequel Barabas est désigné dans le texte actuel du Contre Flaccus de Philon, à propos de la mascarade d'Alexandrie. Cf. Les Marchands de Christ.

[228] Remarquons que ce mot rappelle à la fois celui de Babylone et de Baal-Zib-baal, surnom que les Jérusalémites donnèrent à Jehoudda de Gamala et qui dérivait lui-même du dieu-poisson qu'on adorait à Gaza.

[229] In Sanctum Babylam, 13. La phrase vient de Julien lui-même : Vous avez tout rempli de cadavres.

[230] Ammien Marcellin, XXII, 12.

[231] Après l'invention de Babylas, on a modifié ainsi l'endroit du Misopogon où Julien établissait la relation de cause à effet entre le déterrement du mort Machéron et l'incendie du temple de Daphné : Après la translation du mort de Daphné, quelques-uns de vous, impies envers les dieux, ont livré le temple du dieu daphnéen à ceux qui s'étaient fâches à cause des reliques du mort.

[232] Lettre à Nectaire dans la Patrologie grecque de Migne, t. XXXVII. On dit la lettre écrite vers en 387.

[233] Epitaphios Ioulianou. Mais quelle confiance avoir dans un texte où Julien est qualifié de théomaque (ennemi de Dieu) par un de ses admirateurs !

[234] Sozomène, V, 18.

[235] Jérôme, Epistola 70. Cf. sur ce point le Julien de M. Allard.

[236] Cyrille mourut en 444.

[237] Mort plus de cent ans avant Celse.

[238] Mort en 407.

[239] In sanctum Babylam contra Julianum et Gentiles.

[240] Lettre à un pontife, § 4. Or il n'est plus jamais question de cela. Ailleurs, parlant de ceux qui n'ont du prêtre que le vêtement : C'est un point sur lequel je reviendrai plus tard avec attention. Ailleurs encore il annonce qu'il va traiter ou qu'il a traité des sujets dont n'y a plus trace.

[241] L'auteur de l'Apocalypse, ses frères Philippe et Toâmin, et Mathias Bar-Toâmin son neveu.

[242] L'Église, qui ne perd jamais la carte, répond à cette objection dans le Quatrième Évangile : Bar-Abbas, dit-elle, entendait cela du Temple... de son corps !!! (sic).

[243] L'antijudaïsme de Julien s'arrête à la limite philosophique. Les Juifs ont un dieu à eux, gardien de leur nationalité, qu'ils le reprennent ! Le rétablissement du Temple était un acte de justice et en mène temps de haute politique A la veille d'une campagne difficile Julien se conciliait les Juifs orthodoxes et enlevait aux Juifs christiens, qui débauchaient les Grecs, tout prétexte de conspirer partout contre Rome et de liquider l'Empire à leur profit. Trois fois renversé par des païens guerriers, le Temple était rétabli par un païen philosophe. Sans se faire trop d'illusions sur la reconnaissance, Julien pouvait en attendre un effet reflexe. Mais tout démontre qu'il n'écrivit pas à la nation juive les lettres qu'on produit maintenant. US empereur qui, à la veille de marcher contre les Perses, exonère les Juifs des charges principales auxquelles ils sont astreints, ne semble point jouir de tout son bon sens. De plus il ment effrontément en leur écrivant qu'après la guerre il va fixer son séjour à Jérusalem. Tout le monde sait, et eux-mêmes, qu'il se propose de revenir à Tarse auprès de Celse. On n'a pas trouvé d'autre moyen de le discréditer que de laisser croire qu'il avait conclu ce pacte avec eux par sympathie Pour leur déicide. C'est pourquoi, ennemi des Juifs de la façon dont il est permis de l'être, on le montre en relations de complicité avec ceux de Palestine. On produit de lui des lettres au patriarche Julius, nom bizarre qui semble latinisé, impérialisé à plaisir. Est-il besoin de dire qu'elles sont fausses, que jamais Julien n'eut l'intention de se fixer à Jérusalem et d'y finir ses jours dans l'adoration d'Iahvé ? C'est là une idée de jehouddolâtre et qui sent le cuistre d'Église.

[244] En effet, il les a mis lui-même en faillite le 15 nisan 789.

[245] Leur kabbale a été démentie par Dieu.

[246] Toute l'Apocalypse en sept mots.

[247] Cette comparaison devait être étendue. Elle a été supprimée, à cause des noms des prophètes et interprètes qui y étaient visés du côté juif.

[248] Ecoute maintenant le discours que Platon fait prononcer au Créateur, § 6, p. 324. Vois comme tout cela est juste, § 7. p. 325. Tu les entends crier, § 7, p. 328. Tu vois que d'après les propres paroles de Paul, § 7, p. 343. Tu vois qu'il dit que le fils de Marie, § 2, p. 345. Ecoute encore Moïse, § 6, p. 349.

[249] D'une monstruosité qui rejaillit sur celui qui les explique. On a l'air d'un fou quand on dit à quelqu'un que Jean-Baptiste, Bar-Abbas et Jésus ne font qu'un. Celui-là s'éloigne en haussant les épaules et se considère comme un sage.

[250] Skeuôria, qu'on a toujours traduit par dolis Evangeliorum, jusqu'au jour où Bullet, dans son Histoire de l'établissement du Christianisme, a proposé de lire... doctrinis ! ! !

[251] L'empereur Julien, dit Théophane (Chronologie), a écrit une réfutation des Évangiles que Cyrille, évêque d'Alexandrie, a réfutée à son tour selectis et luculentis commentariis. Julien, cet impie, dit Cédrénus (Compendium historicum) a écrit une Démolition (eversio) des Évangiles que le grand Cyrille, évêque d'Alexandrie, et d'autres chrétiens ont réparée (correxerunt).

[252] Au contraire, il l'expliquait parfaitement, il disait en qui ce Verbe s'était fait chair, il n'avait pour cela qu'a suivre Cérinthe. Cf. L'Évangile de Nessus.

[253] Il nommait Bar-Jehoudda dit Joannès (Ieou-Shanâ-os) et Bar-Abbas, lequel en effet n'était ni le Messie ni le Sauveur, mais un imposteur et un scélérat.

[254] Il y a en effet des christiens qui distinguent les uns entre Jésus et le christ, les autres entre Jésus et le Verbe, tel qu'il e été prêché par le christ. Mais ce ne sont des impies que pour Cyrille.

[255] Cyrille vient au contraire de constater que nulle part Julien nommait ni Jésus ni Le christ.

[256] Contre Julien, X, § 2, p. 330 de l'édition Talbot.

[257] Cf. L'Évangile de Nessus.

[258] Cyrille vient justement d'en citer deux, un centurion et un gouverneur.

[259] Les sept ministres de l'Évangile du Royaume sont appelés anges (d'agghélos, envoyé,) dans l'Apocalypse de Pathmos. Cf. Les Évangiles de Satan, première partie.

[260] On n'a appelé sa femme Magdaléenne que par une inversion dans laquelle les initiés retrouvaient Gamaléenne.

[261] Julien parlait de Saül, car pour ce qui est de Paul, c'est au contraire un des inventeurs de l'Eucharistie. Cf. Les Évangiles de Satan, troisième partie.

[262] Sur d'autres points peut-être, mais sur celui-là accord complet. C'est le but même de la généalogie par Jehoudda (Matthieu) et de généalogie par Salomé (Luc).

[263] Que Bar-Jehoudda descend bien de Juda, fils de Jacob. Julien eût été le seul à n'en pas convenir.

[264] Contre Julien, I, § 3.

[265] Les sept fils de Jehoudda, les fils de Cléopas, les fils de Jaïr.

[266] Les individus qui ont fabriqué les Évangiles, les Actes et les Lettres de Paul.

[267] En effet, le songe de Joseph accapare tous les astres.

[268] Rappelons que nulle part Julien n'appelait Bar-Abbas Jésus ou christ.

[269] Le fait pour le peuple juif d'are oint tout entier en la personne du Messiah.

[270] Sur ce pain, d'où sont tirés les douze pains de la multiplication, cf. L'Évangile de Nessus.

[271] Marân, Rabbi, Kurios, Dominus.

[272] Après les mille ans du règne de Bar-Abbas.

[273] Cinq mille au compte de Bar-Abbas. Le chiffre était dans Julien.

[274] Le centre du monde, fixé à Jérusalem même par l'Apocalypse, était seul sauvé dans le système de Bar-Abbas.

[275] Il s'agit de Joseph (Contre Julien, II, § 5, pp. 328, 329 de l'édition Talbot). On voit que Julien n'a pas connu deux hommes, Joannès et un autre nommé Jésus, mais un seul : Bar-Abbas.

[276] Les auteurs païens.

[277] § 3 du livre IV de Cyrille, p. 331 de l'édition Talbot. Allusion à la tour de Babel.

[278] Supposé fils de Dieu, bar Abbas.

[279] Contre Julien, IV, § 8, p. 333.

[280] Jonas, dans les Ecritures juives et dans le Coran.

[281] Voyez la similitude du trésor dans Les Évangiles de Satan, première partie.

[282] Cité plus ou moins exactement dans Photius. Questions ambigües.