LE MENSONGE CHRÉTIEN - (JÉSUS-CHRIST N'A PAS EXISTÉ)

 

TOME X — BAR-ABBAS

II. — ÉMISSION DE JÉSUS.

 

 

I. — Le grand travail de l'Église, ç'a été soit de supprimer les témoignages contraires, soit de les falsifier, d'en altérer le sens ou la date, soit d'en supposer de favorables, de manière que nul ne pût jamais s'y reconnaître. Elle apporte je ne sais quel dévergondage dans cette besogne, jusqu'à se mettre en contradiction absolue avec les rares Ecritures qu'elle faisait entrer petit à petit dans le canon, quand elle les en avait jugés dignes. Alors que ces Ecritures sont pleines d'anathèmes contre certaines sectes nées de Bar-Abbas, — les Nicolaïtes, par exemple, — ou contre les Gnostiques, et que les Actes ne mentionnent pas moins de deux synodes tenus à Jérusalem contre les Naziréens qui ne voulaient accepter de prosélytes que contre circoncision, elle ose dire dans Eusèbe que rien n'a troublé sa divine harmonie pendant tout le premier siècle jusqu'aux premières années de Trajan ! Et quand on lui demande où elle a vu cela, elle répond que c'est dans Hégésippe[1].

Oui, d'après Eusèbe, on aurait lu dans Hégésippe ceci ou quelque chose d'approchant : Après l'an 107[2] Téhuthe fut le premier qui commença à corrompre par ses erreurs la vérité de l'Église[3]. Tant que les apôtres et ceux qui avaient vu Jésus-Christ dans la Chair demeurèrent sur la terre... l'Église se conserva encore durant tout ce temps la Vierge pure, personne n'osant combattre ouvertement sa doctrine. Mais après la mort des apôtres et de ceux qui avaient vu Jésus-Christ, les hérétiques commencèrent à lever la tête. Il va sans dire qu'Hégésippe n'avait rien dit d'aussi ridicule, à moins qu'il n'ait considéré comme des hérétiques tous ceux qui suivirent à la lettre l'enseignement de Bar-Abbas et la version de sa famille sur sa non-crucifixion.

Ce Tébuthe a laissé derrière lui une si mauvaise renommée qu'il me semble difficile qu'il n'ait pas souscrit à une vérité gênante. C'est, dit Eusèbe, le premier qui ait soutenu le Règne temporel de mille ans[4]. Non, certes, ce n'est pas le premier, — Bar-Abbas lui-même ne venait que deux ou trois mille ans après Jonas, — mais ce pourrait bien être l'un des derniers qui l'aient soutenu dans le sens juif. Son témoignage était donc contraire d'avance à la fourberie qu'on allait exploiter dans les Évangiles synoptisés. Son livre de chevet, c'était les Paroles du Rabbi.

C'était également celui de Cérinthe. Il enseignait en Asie[5], et ce qu'il enseignait, vous le savez[6]. Il ne voulait pas reconnaître que Bar-Abbas fût, comme dans Mattieu, dans Marc et dans Luc, un rebelle et un assassin, c'était simplement un voleur[7], fils de Joseph et de Marie, laquelle était fort loin d'être vierge après son premier enfant[8], encore moins après son neuvième. Jésus, émanation de l'Innommé, a bien pu descendre sur Bar-Abbas lors de ses baptêmes, sous la forme d'une colombe ; il a pu, sous les traits de ce pécheur, annoncer le Père inconnu et simuler des miracles, mais à la fin, ou plutôt avant la fin, il s'est envolé, plantant là le baptiseur et l'abandonnant à son malheureux sort ; on a crucifié Bar-Abbas comme tant d'autres hommes, mais non Jésus qui de sa nature n'est crucifiable que sur la sphère.

Somme toute, Cérinthe n'acceptait de sa propre fable que ce qu'elle avait d'exploitable au point de vue baptismal, et il savait y dédoubler le deux en un, un en deux dans le même personnage, sans jamais faire de confusion.

Je ne me charge pas d'expliquer comment, abandonné de Jésus qui s'était envolé, Bar-Abbas, d'après Irénée, aurait pu ressusciter ensuite. Mais dans Irénée l'Église prétend que Cérinthe soutenait cela. C'est juste le contraire. Pour le reste, Juif très christien et très panthoriste[9], comme tous les frères restés au pays, Ébionites, Naziréens et Elkésaïtes, il disait qu'un jour la Loi juive serait appliquée sur toute la terre dans le Royaume de Bar-Abbas revenant à l'improviste. On a donc eu tort de lui attribuer l'Apocalypse de Pathmos, car dans l'Envoi on avoue que Bar-Abbas a été mort[10]. Pour Cérinthe, Bar-Abbas a été crucifié avant d'avoir pu célébrer la pâque ; et il n'est pas ressuscité, par la raison qu'il n'est pas mort et qu'il n'avait jamais rien annoncé de pareil. Quoi qu'un lise aujourd'hui dans Irénée, Cérinthe nie la résurrection ; Épiphane, Philastrius et Augustin le reconnaissent, et ils sont postérieurs à Irénée qu'ils auraient pu lire, s'il eût composé le livre qu'on a mis sous son nom.

L'Évangile cérinthien était tel qu'au troisième siècle es Aloges, Théodote et les Théodotiens, continuaient à le dire Évangile de Cérinthe ; tissu de mensonges, ajoutaient-ils. On n'eut la paix avec les Aloges et les Théodotiens que par l'invention de Jochanan, succédant à Clément[11] dans le rôle de l'apôtre qui repose sur le sein de Jésus pendant le repas de rémission, car de quel poids, dit le théologien Bergier, peut être leur opinion contre le témoignage de ceux qui avaient vécu avec cet apôtre, contre la tradition des Églises qu'il avait fondées, contre l'exemplaire autographe conservé à Éphèse jusqu'au sixième siècle ?[12]

Comme tous les cataphrygiens, Cérinthe était quartodéciman[13], et il l'est resté dans son Évangile devenu le quatrième du recueil canonique. Ne sachant comment se libérer de ce Juif gênant et sincère, on le reporta du second siècle au premier, et on déclara qu'ayant vécu au temps des Apôtres, il avait été l'instigateur de tous les tumultes suscités contre eux dans les Actes[14].

Le mythe de Bar-Abbas ressuscité est sorti da cadavre de Bar-Kocheba. Personne ne songeait à contester que Bar-Kocheba fût mort, tandis qu'on l'avait nié de Bar-Abbas. Il était donc ressuscitable, mais comme on pouvait être embarrassé de ce survivant trop âgé, on l'enleva au ciel en disant qu'il en reviendrait pour venger les Juifs martyrs de son Apocalypse et leur livrer le monde.

Nous vous l'avons déjà dit[15], c'est à Hiérapolis de Phrygie qu'a germé cette imitation de la fable de Jonas, dont les évangélistes ont trouvé le fond et les termes chaldéens dans la version d'Alciba : Esope était phrygien. Les sept Églises, les sept confréries baptismales de l'Apocalypse de Pathmos, sont comme les sept ministères du Royaume des Juifs en Asie. Toutes étaient catajehouddiques[16], filles de Bar-Abbas et de ses Paroles. On les dit parfois cataphrygiennes[17], et ce nom leur convient aussi, Papias d'Hiérapolis étant leur second père. C'est pour cette raison qu'Hiérapolis n'est point parmi les sept Églises nommées dans l'Envoi de Pathmos ; que dans les Actes, Paul, qui tient encore trop de Saül, lié par l'Esprit-Saint, reçoit l'ordre de régler son itinéraire de façon à ne pas insister sur la Phrygie, et que la Phrygie n'est pas citée parmi les provinces auxquelles est adressée la Première lettre de Pierre. Pour la même raison a été retranché de l'Âne d'or et de l'Apologie d'Apulée, accusé d'avoir emprunté sa poissonnade aux charpentiers de Phrygie[18], tout ce qui pouvait mettre le public sur la piste de Papias d'Hiérapolis.

Les sept églises d'Asie se composaient uniquement de Quartodécimans, lesquels tenaient leurs Actes de la passion pour seuls vrais et seuls authentiques[19]. Or leur nain montre que, pour eux comme pour les Naziréens, les Ébionites et les Ischaïtes, toutes sectes-orthodoxes au point de vue jehouddique, Bar-Abbas avait bien été crucifié le if nisan, veille de la pâque, et non le lendemain comme dans les Évangiles synoptisés.

Afin d'expliquer que les Paroles du Rabbi se trouvassent entre les mains de Papias, dans une province e éloignée du point de départ de l'apostolat[20], l'Église dans Eusèbe dit que Papias avait fait des voyages pour recueillir ses Explications des Paroles du Rabbi, parce qu'il ne croyait pas pouvoir retirer autant de profit de la lecture des livres que des traditions recueillies de la bouche même des derniers survivants. Chose merveilleuse ! De ces voyages (autour de sa chambre) il rapporte une doctrine en conformité complète avec celle de Bar-Abbas et en antagonisme absolu avec celle de Jésus : les derniers survivants attendent le Royaume des Juifs ! Peu s'en faut qu'Eusèbe ne traite Papias d'imbécile[21]. En revanche, il vante le solide jugement d'Hégésippe qui, lui aussi, a fait des recherches sur les apôtres et rédigé leurs Mémoires[22], avec cette différence qu'il ne les a pas trouvés millénaristes. Hégésippe est un imposteur, le dogme authentique est avec Papias.

Il n'est nullement prouvé que l'original des Explications de Papias fût grec. J'incline à croire qu'il était araméen, comme le texte même des Paroles du Rabbi. Les mots araméens restés dans les Évangiles sont assez nombreux : les noms de lieux comme Nazireth, Ghé-Nazireth, Beth-léhem, Beth-saïda, Scilo, Hanôth, Guol-golta, Gabbatha, Hakeldama ; les pseudonymes séméiologiques comme Zakheiri, Zibdéos, Eloï-Schabed, Beel-Zib-Beel, Ieou-Zeb, Ieou-sef ou Ieou-seph, Ieou-Shanâ-os, Myriam, Képhas, Toâmin, Oblias (devenu Andréas), Nathana-El ; les noms de dignité souveraine comme Marân (Marân atha, le Seigneur vient) et Messiah ; le qualificatif de bar-ner-regesch (fils du tonnerre) appliqué aux sept fils de Jehoudda ; les pseudonymes de prédestination comme bar-Abbas ; les noms de métier comme Haramatas ; les phrases comme : Talitha, koumi ![23] et Abba, Abba, brama sabachtani ! Certains mots, comme celui d'iemona, colombe, ont même perdu tout leur sens cabalistique[24] en passant dans le grec. La prononciation et l'écriture de tous ces noms étaient fort arbitraires. En tout cas elles différaient tellement de celles des habitants de Jérusalem que ceux-ci ne peuvent s'empêcher de dire à Shehimon dans la cour du Hanôth : Tu étais avec ces gens-là (les partisans de Bar-Abbas arrêtés et emprisonnés avec lui), ton langage te décèle ! Et en effet le Talmud dit que le langage des Galiléens, tant cisjordaniques que transjordaniques, était corrompu, brouillant les lettres les unes avec les autres[25].

Depuis la disparition des écrits de Papias on en est réduit à chercher sa doctrine chez un autre Juif établi à Lyon, Schalom (Irénée), dont la personne est réelle, mais l'ouvrage entièrement supposé[26]. Nonobstant le travail des faussaires, il résulte d'Irénée que, pour Papias comme pour le Marân[27], le Règne de mille ans ne sera qu'un long sabbat, un long jour de repos et de liesse. La table sera servie par Bar-Abbas lui-même dans ce nouvel Eden, et quelle table ! Tout y sera au centuple, car il l'avait dit : Quiconque aura quitté ses champs, ou ses maisons, ou ses parents, ou ses frères, ou ses fils à cause de moi, recevra le centuple dans ce monde, et à l'avenir la vie éternelle. C'est ce règne qu'Isaac avait en vue lorsqu'en bénissant son second fils, il lui souhaitait abondance de froment et de vin[28], c'est, celui qu'annonçait Bar-Abbas[29], ainsi que ne le rappellent les presbytres[30], qui l'ont vu, car le Marân, lorsqu'il enseignait, avait dit de ces temps :

Des jours viendront où naitront des vignes ayant dix mille branches[31], chaque branche ayant dix mille rameaux, chaque rameau dix mille grappes, chaque grappe dix mille grains, où de chaque grain on pourra tirer vingt-cinq métrètes[32] de vin. Et lorsqu'un des saints aura pris une grappe, une autre criera : Je suis une meilleure grappe, prends-moi et par moi bénis le Seigneur !

Tout cela, avoue l'Église dans Irénée, est également attesté par Papias[33] au Livre IV (de ses Explications), car il en a écrit cinq[34]. Et il ajoute (ceci provient des Paroles du Mâran lui-même) : Ces choses sont croyables pour les croyants[35].

Ce passage est à retenir tout entier, parce qu'il provient des Explications des Paroles du Rabbi et qu'il fait bien valoir les idées que Bar-Abbas nourrissait de l'Eden juif, où la vigne produit de si beaux intérêts composés ! Bar-Abbas, tous ses frères, tous leurs contemporains, même Is-Kérioth, tous les anciens d'Asie en passant par Papias jusqu'à Irénée qu'on dit évêque de Lyon, tous, en un mot, attendaient cela du Royaume. Et pour qu'on ne s'y méprenne pas, Irénée, continuant, déclare d'après Papias : Que si quelqu'un essaie de considérer ces paroles comme des allégories, il ne trouvera rien de logique... Tout cela, sans controverse possible, s'applique à la résurrection des justes[36]... alors qu'ils régneront sur terre, où ils vivront unis aux Anges, dans la Jérusalem qui descendra d'en haut toute prête, parée comme une fiancée qui se rend auprès de son époux[37]. Et rien ne peut être allégorisé, tout est solide, et vrai et substantiel ! Dans cette Jérusalem millénaire les justes feront leur stage d'immortalité. Ressuscités, ils s'exerceront à l'incorruptibilité qui dégénérera chez eux en habitude, ils prendront de la force au temps du Royaume (c'est-à-dire pendant les mille ans), pour pouvoir porter ensuite la gloire de l'Abbas, car ce ne sont pas les justes qui iront à lui, c'est lui qui viendra à eux, il leur épargnera le voyage[38] ! La matière de ce monde ne périra pas, elle fera comme le millénarisé lui-même, elle se renouvellera en changeant simplement de figure, et durera éternellement, ce qui est facile à comprendre, puisque Dieu y sera. Et il y aura là différentes demeures, selon ce qu'a dit le Marân qu'il y aurait plusieurs maisons chez son Abbas[39].

C'est donc sur une profession de foi nettement millénariste que Papias terminait, et dans cette foi qu'il est mort, comme Bar-Abbas et tous les évangélistes jusqu'à Irénée.

Entre les avantages qu'Irénée tirait de son origine juive et cataphrygienne, il en est un par où il dominait la puissance romaine elle-même : il avait vécu pendant de longues années avec des morts ressuscités par les disciples de Bar-Abbas. Ces ressuscités ne l'avaient pas accompagné à Lyon, quoiqu'a la vérité les communications fussent de plus en plus faciles ; ils n'avaient pas voulu affronter le changement de climat toujours redoutable à des gens qui sont morts une première fois. Cependant il n'était pas possible d'énumérer toutes les grâces que l'Église avait reçues de Dieu et par lesquelles elle opérait chaque jour le bien des nations, au nom de Jésus-Christ, sans tromper personne, sans s'enrichir : comme elle a reçu de Dieu gratis, c'est aussi gratis qu'elle sert[40]. Ce ne sont pas les Gnostiques qui en auraient fait autant ! Un tas de non-valeurs Incapables de ressusciter les morts, comme faisait Jésus, comme ont fait les Apôtres, comme on le voyait faire souvent dans la confrérie jehouddolâtre ! Toute l'Église de Lyon demandait cette faveur dans les jeûnes et dans les supplications, et l'esprit revenait au mort[41] ! Il ne tenait qu'aux Celtes de bénéficier de cet état de choses, au lieu de se confier à ces Gnostiques dont l'impudence allait jusqu'à nier l'existence en chair de Jésus ! Les Lyonnais qui mouraient quand même avaient la Consolation de penser qu'au cinquième siècle ils deviendraient ceux qui ont connu Irénée, lequel avait vécu ses jeunes années dans un milieu composé presque uniquement de gens ressuscités par les vrais disciples de Jésus. Car les résurrections évangéliques sont fixées dans la mémoire des hommes par des témoignages indiscutables. Ces résurrections, il ne faut pas croire qu'elles soient de simples apparences et que ?nus opère à cent ans d'intervalle ; elles ont eu parfaitement lieu comme il est dit, et dans les corps mêmes cil la mort était entrée ! S'il en était autrement, il n'y aurait pas eu résurrection. Or de même que les guéris ont été guéris dans les membres dont ils souffraient auparavant, ainsi les morts ont été ressuscités dans leurs propres corps, pour montrer que Jésus donne la guérison et la vie à sa créature et pour accréditer les récits de 8a résurrection[42]. — Entre nous, mon cher Irénée, tu pouvais laisser cette dernière interprétation aux incrédules !

 

II. — La fraude passa d'abord en Macédoine, et le premier travail fait pour consolider la divinisation de Bar-Abbas fut une Dispute entre Jason et Papiscos, l'un Juif christien, l'autre pharisien, fabriquée par Ariston de Pella que l'Église dans Clément d'Alexandrie identifie avec Luc l'évangéliste[43]. Telle était la niaiserie de ce dialogue, l'incohérence de l'argument, la mauvaise foi du procédé que le platonicien Celse, en avant trouvé par hasard un exemplaire, hésite s'il doit rire ou s'indigner[44]. On y lisait qu'il y avait sept cieux[45], — quatre de plus que dans l'Apocalypse. — Le christien prouvait que les prophéties dont la mystification évangélique faisait état convenaient merveilleusement à Bar-Abbas et finalement il menaçait les incrédules de la malédiction du Dieu qui avait été pendu au bois. Le pharisien, après une feinte résistance, s'avouait battu, Ariston lui ayant enlevé ses armes.

Tenez pour certain qu'on retrouve la majeure partie de ces turpitudes dans les Évangiles actuels. Car Faustus, l'évêque manichéen[46] de Carthage, honnête homme et sage, disait au sujet des Évangiles qu'ils avaient été composés longtemps après les apôtres par quelques hommes obscurs qui, dans la crainte qu'eu' refusât d'ajouter foi à des histoires dont ils ne pouvaient être instruits, ont publié sous le nom des apôtres leurs propres écrits, si pleins de bévues, d'opinions et de relations discordantes, qu'on n'v peut trouver ni liaison ni accord avec elles-mêmes[47]. Et Faustus poursuit, accablant les jehouddolâtres : Vos prédécesseurs ont inséré dans les Ecritures une foule de choses qui, présentées sous le nom du Rabbi, ne s'accordent nullement avec sa doctrine. Rien de surprenant à cela, puisque nous avons dit maintes fois que ces choses n'ont été écrites ni par lui-même ni par ses apôtres, mais que pour la plupart elles sont fondées sur des contes, sur des bruits vagues et ramassés par je ne sais quels demi-juifs, peu d'accord entre eux, qui néanmoins les ont publiées sous le nom des apôtres et leur ont ainsi imposé leurs erreurs propres et leurs mensonges.

Admirablement renseignés sur le millénarisme à raison de leur origine babylonienne, les Manichéens avaient quantité de livres qu'ils donnaient comme étant des apôtres[48] ; et en effet c'étaient les Paroles du Rabbi transcrites par ses frères et ses neveux. Le Pepe Léon les déclare supposés et ajoute que les Manichéens y avaient fait passer leurs propres doctrines.

Il est vrai qu'ils auraient pu en revendiquer la paternité astrologique. Aussi tenaient-ils pour faux tout ce qui Compose aujourd'hui le Nouveau Testament. Tons Professaient l'inexistence en chair de Jésus, et quand on en venait aux preuves, ils montraient les écrits apostoliques, c'est-à-dire les Paroles du Rabbi elles-mêmes. Non seulement les Évangiles n'étaient sous aucun de leurs noms actuels à la fin du second siècle, mais encore le scribe qu'on appelle aujourd'hui Luc considérait ces écritures comme si peu respectables qu'il les corrigeait et les remettait en ordre, rognant, arrangeant, supprimant à sa guise tout ce qui compromettait l'avenir de son imposture, et ajoutant tout ce qui lui paraissait de nature à mystifier les goym, notamment l'acte de naissance de Jésus au Recensement.

 

III. — En Phrygie même, au berceau de Jésus, ne prêtre, Montanus, se leva contre l'Évangile du Royaume des Juifs auquel il opposait ses propres Révélations. Les phrygiens de Montanus se tenaient pour très supérieurs aux apôtres sous le rapport de l'Esprit-Saint, et ceux qui suivaient les prophétesses montanistes. Priscilla et Maximilla, ne se gênaient pas pour dire qu'il y avait en elles quelque chose de plus que dans les sept fils de cette vieille juive de Salomé ![49]

Les disciples de Montanus, dont fut Tertullien[50], refusaient énergiquement tout crédit à la mystification ecclésiastique, particulièrement aux Actes des Apôtres qui leur paraissaient le comble de l'imposture. Et telle était l'opinion de Tertullien, avant qu'on ne le déshonorât par des suppositions d'ouvrages dont la plupart dépassent la mesure de mensonge permise à l'effronterie humaine.

Les Montanistes et après eux les Novatiens virent où tendait le baptême pour la plupart des évêques : tait proprement le filet à poissons dans lequel l'Église des charpentiers juifs prenait les hommes, qu'elle faisait frire ou qu'elle rejetait à l'eau selon son humeur et ses intérêts. Les criminels y couraient tout droit, s'y jetaient d'eux-mêmes. Baptisés, la grâce ayant opéré pour toujours, ils croyaient pouvoir recommencer à mal faire, comme, de leur côté, les baptiseurs croyaient pouvoir les absoudre sous la caution baptisatum solvi. Ayant nié que les baptisés eussent cette ressource et les baptiseurs ce pouvoir, les Montanistes et les Novatiens furent déclarés les plus dangereux des hérétiques : haro sur ces puritains qui conspiraient contre la caisse !

 

IV. — Les descendants des membres du sanhédrin qui ont condamné Bar-Abbas étaient tous en Galilée lorsque la fable de Jésus tomba entre leurs mains. Comment auraient-ils pu en être dupes ?

C'est un lieu commun de représenter les Juifs du Temple se cachant la figure après leur forfait, les membres du sanhédrin disparaissant de la surface de la Palestine, ou bien ourdissant toutes sortes de machinations criminelles contre les christiens. Il n'en est rien. Après la chute de Jérusalem, le sanhédrin, descendu d'abord à Jabné, près de Joppé, finit par s'installer sur les bords mémés du lac de Génésareth. Le Temple rasé, tout ce qui restait des familles d'Hillel et de Gamaliel se transporta dans Tibériade et ouvrit des écoles dans les villages et dans les bourgs que Jésus étourdit de ses miracles. Gamaliel présidait le sanhédrin en sa qualité de fils de David, et ce tribunal ne Pensa pas que, pour rendre des jugements contre los Bar-Abbas de son temps, il pût trouver dans toute la. Judée un lieu plus propre à la majesté et à la paix de ses délibérations que le voisinage de Bethsaïda, de Kapharnahum, de Khorazin et de Kana. L'endroit du monde où il y avait le moins de jehouddolâtres, c'était celui qui avait vu naître le vertueux Bar-Abbas. Son revenant vous l'a dit avec mélancolie : Nul n'est prophète en son pays. Dans la tourmente qui les avaient chassés de la Ville Sainte, les Pharisiens et les Saducéens goûtaient le repos parmi les héritiers du Royaume, non loin du port où Pierre amarre et du péage où Matthieu perçoit, dans les maisons mêmes où Jésus fait monter les paralytiques sur les toits avec leurs lits sur les épaules !

Et d'abord voici des voisins de campagne de Bar-Abbas qui n'ont jamais eu connaissance de l'existence de Jésus. Nicomaque, contemporain d'Hadrien, était de Gérasa, de cette même terre des Géraséniens où Bar-Abbas conduisit une croisade contre les porcs gaulois ; il avait composé toutes sortes de livres, et à n'en pas douter il connaissait historiquement Jehoudda le Gamaléen et ses fils ; mais son ignorance de Jésus n'a d'égale que sa force en mathématiques, et cette ignorance ne l'a point empêché de résoudre par des nombres, à la façon de Pythagore, le problème de la Monade, de la Dyade, et, je le crains bien, de la Triade. Il a parle de l'un en deux, deux en un, comme s'il avait connu les Paroles où s'affirme ainsi le culte de l'Abbas créateur. Un autre Gadarénien, Œnomaüs, philosophe cynique, contemporain d'Hadrien et d'Antonin, écrit la Poursuite des imposteurs et attaque avec vigueur l'astrologie judiciaire dont l'Apocalypse est le plus beau monument. La sainte image de Jésus ne l'arrête pas.

Tant auprès des Juifs du Talmud que des Juifs christiens l'Évangile est une fable sans crédit. Le livre autour duquel ils se livrent bataille en Judée, c'est celui qui avait armé le bras de Shehimon Bar-Kocheba, ce sont les Paroles de Bar-Abbas, de Philippe, de Jehoudda Toâmin et de Mathias Bar-Toâmin : les Livres des égarés, comme les appelait Élisée ben Abbouya qui, après la déconfiture de Shehimon Bar-Kocheba, fut le docteur commis par Rome à la surveillance des Naziréens du Royaume. Ces Livres des égarés, Misée les avait constamment sur lui, toujours prêt à percer leurs faux mystères et tout ce qui concerne le char d'Ezéchiel[51]. Or le char d'Ezéchiel, c'est la croix sur roues dont le moyeu est Jérusalem ;'et la dernière expression cabalistique de ce symbole, c'est l'Apocalypse[52].

Elisée avait-il été un instant avec les égarés, les disciples de celui dont Marie, dans l'Évangile, dit qu'il avait perdu l'esprit ? On aurait pu le croire à la façon dont il déchiffrait leurs livres dans l'original araméen.

Le transformé, ainsi l'appelait-on, presque le transfuge ! Un ancien frère ? A force d'écouter aux Portes, peut-être avait-il emporté la clef !

Les Livres des égarés étaient assez rares, ayant toujours eu le caractère de la kabbale. Les docteurs du baptême les gardaient jalousement, et c'était le secret de leur puissance. Toutefois, Elisée les avait en grand nombre, dit le Talmud. Dans les prescriptions qu'ils contenaient Elisée discernait ; il indiquait celles que l'autorité romaine pouvait tolérer ou devait défendre. Les Talmuds le chargent comme ils ont chargé la famille de Hanan et de Kaïaphas[53]. Car, en dépit de leurs crimes, Bar-Abbas et les panthoristes étaient des justes, il n'y avait pas à le nier. Et comme dans leurs entreprises les Romains obligeaient des Juifs à travailler le jour du sabbat, ceux-ci cherchaient à porter les fardeaux à deux, parce que le péché contre la Loi devenait moindre pour chacun. Elisée conseillait alors aux romains de faire toujours faire l'ouvrage par un seul individu. Cela sans doute pour éviter l'échange des vœux de naziréat.

Les Juifs lettrés qui, après la déconfiture de Shehimon Bar-Kocheba, se sont fait connaitre par quelque version de l'Ancien Testament, pouvaient tenir quelque compte de Bar-Abbas dans leurs commentaires, ils n'en pouvaient tenir aucun de Jésus. De ceux-là sont Symmaque et Théodotion. Comme on eût pu s'étonner que des hommes aussi considérables dans leur nation eussent ignoré Jésus, il a paru plus simple à l'Église de les disqualifier par le reproche d'apostasie ou d'hérésie. Mais elle a mis peu de logique dans l'administration de ce procédé : Théodotion, dit-elle, a été disciple de Tatien et il a professé le marcionisme. Or Marcion professait l'inexistence en chair de Jésus, en quoi il a suivi Tatien. Après avoir été disciple de deux hommes qui niaient Jésus en chair, Théodotion se fit Juif, dit l'Église. Entendez qu'il n'avait jamais cessé de l'être, mais que sur Jésus il pensait comme Tatien et Marcion. Des trois versions de l'Ancien Testament que donna le second siècle l'Église a préféré celle de Théodotion à cause de la manière dont le livre de Daniel y était présenté. Cette préférence pourrait tenir aux modifications que l'Église d'Ephèse apporta au texte de Théodotion qui resta sous sa coupe.

Quant à Symmaque, c'était, dit l'Église, un ébionite. Entendez que, pareil à tous les disciples de Bar-Abbas, il professait l'inexistence de Jésus en chair. En effet, comme Ménandre le baptiseur, comme Justin, Si l'Église ne nous trompe pas, Symmaque était de Samarie, né trop près de Sichem, du Sôrtaba et de Machéron pour croire que Jésus avait existé. De plus il était trop versé dans les anciennes Écritures[54], trop au courant des procédés allégoriques employés dans les nouvelles, pour être dupe de leurs façons[55]. Afin de diminuer son autorité et en même temps celle des Ebionites, l'Église a insinué que Symmaque était. Comme eux sectateur d'un nommé Ébion, grand hérétique en son vivant, quoi que personne ne l'eût vu, car ébion est un nom commun que l'Église dans Tertullien fait passer pour un nom propre. Et comme, vu les nécessités de leur imposture, les Évangiles ont eu besoin de sophistiquer toutes les prophéties qu'ils empruntent à l'Ancien Testament, elle accuse les Juifs (Théodotion et Symmaque) d'avoir corrompu les textes-de cette Écriture qu'ils ont trouvé trop favorables aux christiens[56]. Car Jérôme, — dans ces occasions il mérite le nom de Saint, — après avoir passé sa vie dans la fraude historique et, le mensonge christien, autorise tous ces procédés quand ils ont pour objet l'intérêt de l'Église. Il approuve l'erreur quand elle est inspirée par la haine pour les Juifs et par la piété pour la foi.

Dans le Talmud de Jérusalem[57], très davidiste au fond et discret par force, on ne trouve rien contre Jehoudda et ses fils sous leur nom de circoncision qui est en quelque sorte sacré. Les talmudistes ont pour cacher ce nom les mêmes raisons que les évangélistes : ils veulent les honorer sans se compromettre. C'est un parti-pris chez les rédacteurs de s'enfermer dans la glose et de laisser de côté toutes les actions des prétendants. Ils ne s'avancent pas sur le terrain anti-jehouddiste où pourtant ils auraient été très solides, ayant les Romains avec eux. Toute leur espérance est qu'il viendra un Messie plus capable que Bar-Abbas et plus heureux que Bar-Kocheba.

On ne tonnait pas un seul juif de synagogue qui se soit élevé dans un écrit public contre l'apothéose de Bar-Abbas[58] : le Rabbin cité par Celse le platonicien dans la seconde moitié du quatrième siècle est un témoin supposé. On ne s'en doute pas au premier abord. Il parle pour le sanhédrin, sous le masque de Saül ou bien de Kaïaphas, et traite Bar-Abbas selon ses mérites. Il fait honte à ceux de sa nation qui après avoir été dupés par lui en son vivant exploitent à leur tour les goym en le présentant comme un dieu sous les apparences de Jésus. Celse montrait que Jésus n'a point eu chair et qu'il est identique au Joannès baptiseur, autrement dit Bar-Abbas. L'Église dans son Contre Celse ne peut objecter à cet honnête homme que les faux dont elle a farci Josèphe. Répondant du haut de ces fourberies à Celse, elle le prend pour un Juif qui depuis longtemps n'est plus là pour se défendre, et dit : Je veux faire connaître à votre Juif un écrivain juif, contemporain du Joannès baptiseur et de Jésus, lequel écrivain a fait mention de Joannès et du baptême. Josèphe, au livre XVIII de ses Antiquités, atteste que Joannès fut baptiseur et qu'il donnait le baptême à ses disciples en rémission de leurs péchés. A la vérité, Josèphe n'a point connu que Jésus fût le Christ, — le passage relatif à Jésus n'était pas encore dans Josèphe[59] —, il n'attribue pas positivement la ruine de Jérusalem et du Temple au supplice que les Juifs lui ont infligé, mais il ne s'éloigne pas beaucoup de la vérité lorsqu'il attribue cette catastrophe à la vengeance que Dieu a tirée d'eux pour avoir tué injustement Jacques [60], frère de Jésus, surnommé le Christ. Jacques est celui que Paul, vraiment disciple de Jésus, dit avoir vu comme étant frère du Seigneur : son frère, non tant à cause de leur consanguinité et de leur éducation commune, qu'à cause des mœurs et de la doctrine. Si donc Josèphe reconnait que Jérusalem fut détruite à cause de Jacques, pourquoi n'aurait-il pas voulu reconnaître, avec plus de raison encore, que ce fût à cause de Jésus qui est le Christ et dont tant d'églises attestent la divinité ?[61]

L'Église revient une seconde fois dans l'Anticelse sur l'interpolation où elle fait dire à Josèphe que la chute de Jérusalem a eu lieu à cause de Jacques, le Juste, frère de Jésus qui était dit le Christ, et en réalité, comme la vérité le proclame, à cause de Jésus fils de Dieu[62]. Et en effet aujourd'hui encore on lit dans Josèphe que la ruine de Jérusalem est attribuable à la secte de Jehoudda ; que l'entreprise de Ménahem eut pour mobile, comme celle de son père, la question du tribut, et que, dans l'intervalle des deux révoltes, Shehimon et Jacob senior furent crucifiés par Tibère Alexandre. Il y avait là une trame documentaire qui a été rompue plus tard, mais il est visible qu'elle commençait non à Jésus-Bar-Abbas, comme le veut ici l'Église, mais à Jacob junior, lapidé quelques semaines avant la crucifixion de son frère ainé, et par conséquent le premier martyr parmi les sept fils de Jehoudda. Josèphe racontait le supplice de ce Jacob comme ayant inauguré sous Tibère la série des condamnations que Ménahem a vengées sur les membres du sanhédrin.

Maltraités dans les Évangiles, représentés sous les couleurs les plus odieuses, les Juifs de la synagogue ont eu le tort de répondre à Jésus en attaquant cet être imaginaire dans la vertu de sa mère selon le monde. Rien de plus difficile à terrasser qu'une ombre. Ils ont saisi le corps humain qu'elle a revêtu et, révoltés contre la mystification qui leur fait grief, ils l'ont calomnié dans sa naissance. En inventant l'adultère de Marie avec un nommé Panthère, ils ont rendu l'enfant plus innocent encore et la mère plus virginale. Loin de gêner l'Église dans sa marche, ils lui ont amené les âmes sensibles et libérales. Si, au Lieu de répondre à l'injustice par l'injure, les Juifs eussent répondu par la vérité simple, à savoir que nul d'entre eux n'avait en aucun temps oui parler de Jésus, ils ne lui auraient pas prêté le corps qui lui manquait, ils se seraient disculpés d'avoir tué un dieu, et ils nous auraient prouvé que nous adorions Bar-Abbas.

 

V. — On comprendrait que l'existence de Jésus eût été niée par les hommes les plus éloignés du lieu où l'Église le fait naitre, et affirmée par ceux qui en étaient le plus rapprochés. C'est le contraire qui se Produit. Tous les négateurs sont ou Juifs de Palestine, comme les Caïnites, les Naziréens, les Elkésaïtes, les Sampséens, les Ébionites et les Jesséens, ou Juifs d'Asie, comme Papias, Cérinthe et Irénée, ou Juifs d'Égypte comme Valentin, ou Égyptiens comme les Gnostiques, en Syriens comme Saturnil, Cerdon et Tatien, ou Phrygiens comme Montanus, ou Pontiques comme Marcion, pour nous en tenir aux principaux de ceux qui ont paru avant le troisième siècle. Mais les plus étonnés, les plus indignés aussi, c'eût été les apôtres, et étant donné l'humeur que nous leur connaissons, je ne sais s'ils auraient pu retenir leur signe contre ces capitulards d'évangélistes qui, pour tout Messie, se contentaient d'un cadavre enroulé dans du papyrus, contre ces mercantis qui osaient suicider à cinquante ans le Juif chargé par l'Abbas de ressusciter les morts et de Juger les vivants !

Parmi les justes restés au pays, qui connaissait mieux l'inexistence de Jésus que les disciples de Jehoudda Is-Kérioth, autrement dits Caïnites ?

Il ne faut pas confondre les Caïnites païens avec ceux-là, qui suivaient l'enseignement de Jehoudda, fils de Simon de Kérioth. Is-Kérioth dans son Apocalypse faisait sa généalogie par Caïn. Sa secte, très importante, peut-être plus importante que celle de Bar-Abbas[63], honorait son fondateur, comme celle de Jehoudda le Gamaléen honorait le sien. Pour elle Is-Kérioth avait été grand, merveilleux et profitable à tous. Le genre humain lui doit d'exceptionnelles actions de grâces pour avoir débarrassé la Judée de Bar-Abbas. Car s'il a livré ce scélérat, c'était pour l'empêcher de détruire la vérité, comme il en avait l'intention. Il y en a d'autres, au contraire (et l'imposteur nommé Tertullien est de ceux-là), qui disent que les puissances du monde (ce sont les démons) ne voulaient pas que Jésus-Christ souffrit, de peur que le genre humain[64] ne fût sauvé par sa mort. Judas, voulant le salut des hommes (de ceux dont il était, la tribu de Dan), livra Jésus-Christ à la mort, pour empêcher que ce salut ne fût différé[65]. D'une façon comme de l'autre, les Caïnites jugeaient qu'Is-Kérioth n'avait fait que défendre ses droits et ceux du genre humain en contribuant à le capture du prétendant, et c'est l'avis de Jésus qui nie pas voulu s'en aller avant de faire amende honorable au père d'Is-Kérioth, ni donner son repas de rémission sans y convier le fils[66].

Les plus acharnés contre le mythe de Jésus, ce sont les disciples directs de Bar-Abbas restés en Judée, la Plupart au delà du lac de Tibériade, dans les ruines de Gamala, de Bethsaïda et de Kapharnahum et aux sources du Jourdain. Heureusement que cette masse de témoins se déplaçait peu à cause de sa xénophobie. L'Église dans Tertullien a donc imaginé de la convertir en lin seul individu nommé Ebion et professant on ne sait où, au milieu de l'inattention générale, cette thèse bizarre et insoutenable que Jésus n'avait pas existé. Car les Ebionites ne séparaient pas Jésus de Bar-Abbas, magicien et charlatan, et ils honoraient en lui Joannès h baptiseur, le Joannazir, comme dit le Talmud de Babylone.

C'est ce même homme que les christiens de Mésopotamie désignent déjà sous le nom de Panthora[67] dans le Talmud de Jérusalem.

Si ceux qui kabbalisaient au nom du jésus Panthora[68] l'invoquaient comme un dieu, c'est parce qu'ils en vivaient, ayant hérité de ses remèdes et aussi (le Sa théorie, tort juste, qu'il était permis de soigner un malade le jour du sabbat. Or le Talmud est plein d'exemples de cette formule. Rabbi Eliézer ben Dama ayant été mordu par un serpent, Jacob, habitant du village de Simeï[69], se proposa pour le guérir au nom de Jésus Pandera[70] ; mais Rabbi Ismaël s'y opposa an nom de la religion (parce que c'était un sabbat). Je puis prouver par des textes bibliques, dit Jacob, qu'il est permis de porter ainsi remède. Mais avant que le guérisseur eût fini d'établir sa thèse, le malade était mort : Heureux es-tu, ben Dama, s'écria Ismaël, d'avoir quitté ce monde en paix, sans transgresser la haie des sages, dont il est dit : Celui qui passe la haie sera mordu par le Serpent ! Mais, fait observer un talmudiste, Yossé ben Aboun, au nom de Rabbi Hisda : N'a-t-il pas, au contraire, péri de la morsure du serpent pour avoir exactement suivi l'avis des sages ? Car Ismaël avait voulu dire que, s'étant conformé à la parole qu'il cite, ben Dama ne serait pas mordu par le serpent du lendemain, le Satan. En un mot, ben Dama est mort en état de grâce pour n'avoir pas manqué à la Loi, tandis que, guéri, il aurait yen à l'état de péché[71].

Avec les Ebionites conviennent les Sévériens, ainsi nommés de leur invincible attachement à la Loi et tin, Prophètes. Ils recevaient également les Évangiles, mais en les interprétant à leur manière qui était certainement la bonne, car ils tenaient Saül pour le plus affreux de tous les ennemis de Bar-Abbas[72], qu'ils recoanai5- Baient sinon pour dieu, du moins pour maître et pour gagne-pain.

Telle est aussi la doctrine des Séthiens, adorateurs du Tharthak jehouddique. Ils tenaient que Bar-Abbas[73] était Seth[74] et qu'on ne devait point le tenir pour un autre[75].

D'après Irénée, les Ophites et les Séthiens, seuls entre tous les gnostiques, auraient admis l'incarnation de Jésus. Oui, mais en Bar-Abbas.

Tous ces hommes, les seuls christiens orthodoxes qu'il y ait jamais eu, professaient pour le Jésus proposé aux goym le mépris de Bar-Abbas pour les goym eux-mêmes. Ils sont traités d'hérétiques par l'Église. Il y a des hérétiques, dit-elle dans Tertullien[76], qui prétendent avoir l'avantage sur les églises apostoliques, telle de Smyrne, par exemple, dont Polycarpe a été établi évêque par Jochanan d'Ephèse, et celle de Rome à laquelle Clément a été proposé par saint Pierre. Eh bien ! qu'à leur tour ils montrent une suite d'évêques comme l'Église romaine peut en montrer dans ces trois-là, et alors on pourra consentir aux blasphèmes qu'ils osent proférer !

Les Naasséniens[77] ou Ophites[78], qui purent examiner les Évangiles, furent unanimes à voir, à dire et à écrire que Jésus n'a point eu chair[79], et que l'individu dont on lui a donné le corps dans cette mystification n'est nullement ressuscité, par cette raison de Principe que Dieu n'a jamais promis rien de pareil et par des motifs particuliers sur lesquels l'Église n'a pas jugé utile d'insister. Ces motifs, vous les Connaissez, Cérinthe vous les a dits[80] : Bar-Abbas avait annoncé qu'il ne mourrait pas ! Il y en a d'autres qui expliquent la discrétion de l'Église : l'Apocalypse est une œuvre entièrement naassénienne ; dans l'origine araméen, le Serpent, image du temps et de la génération, destinés l'un et l'autre à périr, s'appelait Naasson.

Pour les Naasséniens il n'y a personne au-dessus de l'Abbas, créateur de toutes choses. Ils l'appellent le Premier Homme — c'est l'Ancien des jours, décrit dans l'Apocalypse —. Le Verbe de l'Abbas, ils l'appellent son Fils, le Fils de l'Homme, comme dans l'Apocalypse' Au-dessous d'eux est l'Esprit-Saint qu'ils appellent la Première Femme, l'Esprit étant du féminin dans les langues sémitiques. La mère de Bar-Jehoudda joue ce rôle dans l'Apocalypse, et avec plus de subtilité encore dans la Nativité selon Luc. De l'union du Premier Homme et de son Fils avec la Femme-Esprit doit naître un Troisième Homme-Lumière, incorruptible Par prédestination et qui est le Messiah. Bar-Jehoudda disait être ce Troisième Homme que le baptême de feu devait transformer sur terre en Bar de l'Abbas : Un en deux, deux en un. C'est ce qui a permis aux évangélistes de lui incorporer Jésus et d'identifier le Baptiseur d'eau avec le Baptiseur de feu.

On s'explique, et très bien, pourquoi Jésus déclare n'avoir rien de commun avec celle que l'Évangéliste a été obligé de lui donner pour mère et qui, comme elle le dit dans Valentin, est son épouse devant le Très-Haut[81]. Fils de bi-sexuel, il est né sans père et sans mère ; Joseph et Marie ne sont là que pour démontrer optiquement ces choses mystérieuses. Vous vous rappelez la tête qu'il fait lorsqu'on lui présente sa mère selon le Monde dans la mystification évangélique : Qui est ma mère, dit-il avec humeur, et qui sont mes frères et mes sœurs ?

Opérant comme l'Abbas, c'est-à-dire avec l'Esprit Pour femme, le Fils avait eu un enfant, qui à son tour en avait eu un autre de la même façon, et ainsi de suite, jusqu'à ce que le Sabbat (Hebdomade en grec) fût complet[82] ; le Fils se trouvait donc être le père des sept jours de la semaine, et c'est ce que Jésus dit dans l'Évangile[83] : Le Fils de l'homme est le maître du sabbat. Vous avez vu ces sept Esprits de Dieu dans l'Apocalypse, et il eût fait beau voir que quelqu'un s'avisât de contester à Salomé le titre de mater sabbatica auquel Jehoudda l'avait vouée en lui faisant les sept fils qui sont les sept bar-ner-regesch[84] de la l'élévation divine. L'Église, ce n'est pas du tout la réunion des fidèles : c'est l'assemblée de l'Abbas, de son Fils, de la Première femme ou Esprit-Saint et de l'Enfant-Messiah. C'est la Sainte Famille dans la kabbale. Après la transformation de Bar-Jehoudda en Bar-Abbas, sous le quatrième signe, eût commencé la Sainte Famille telle qu'il l'entendait, c'est-à-dire le Royaume des Juifs. Considérez l'Apocalypse : là aussi sont quatre personnes : l'Ancien des jours ou Abbas[85], le Fils-Verbe[86], l'Esprit qui accouche sous la figure d'une femme[87], et l'Enfant-christ qui naît sous les traits de Bar-Jehoudda. Jehoudda et Salomé admettaient un degré entre leur premier-né et l'Abbas ; mais ce degré, il devait le franchir sous les Ânes de 789. Le tout était de savoir attendre. Voilà pourquoi Jésus proscrit la génération dans l'Église terrestre, et pourquoi il n'y a devant lui que des frères et des sœurs.

A en croire certains gagistes de l'Église[88], il v aurait eu des Ophites qui n'admettaient point le salut des corps. Peu importe, car pour ce qui est de Jésus, ces Ophites en jugeaient comme les Naasséniens, un peu la façon de Cérinthe : il était entré en Bar-Abbas au moment des baptêmes et il en était sorti au moment du supplice. Ainsi expliquaient-ils que Bar-Abbas n'eût rien fait de grand avant les baptêmes ni après la crucifixion, car les dix-huit mois qu'il avait vécus après sa résurrection[89], il les avait passés sans actes, à l'état d'ombre. Ces Ophites ne voyaient dans la résurrection de Bar-Abbas qu'une conséquence nécessaire de son système : le moyen mythologique qu'il avait employé pour révéler à quelques-uns les secrets infernaux. Cette résurrection lui était personnelle, il ne la communiquait point, c'était une expérience de physique amusante. Pour ces Ophites la Loi juive n'avait rien de divin, c'était l'œuvre des scribes simplement. Quant aux prophètes, ils étaient les précurseurs de humés : ils avaient révélé aux Juifs l'existence de l'Homme-dieu que Bar-Abbas aurait réalisé, s'il l'eût incarné comme il le prétendait.

 

VI. — Les Syriens semblent avoir été les premiers à se prononcer contre la mystification jésuitique, et Parmi ceux-là Saturnil, ému du pseudonyme impudent Sous lequel des Juifs d'Antioche commençaient à prêcher Bar-Abbas. Et que disait Saturnil ? Écoutons l'Église dans Tertullien[90] : Il disait que Jésus[91] n'a pas eu un véritable corps, mais seulement un fantôme, et qu'il n'avait souffert qu'en apparence. Voilà en effet où en était la supercherie évangélique au commencement du second siècle : Jésus n'avait pas encore d'acte de naissance, et la version de la famille, à Bavoir que Bar-Abbas n'avait point été crucifié, mais Simon de Cyrène, était encore dans toute sa force Parmi les christiens de Syrie. Cela ne signifie pas qu'il Y eût déjà une fable circulant sous le titre d'Évangile. Saturnil écrivit contre les Paroles du Marân[92]. S'il n'avait point écrit et qu'il n'eût pas laissé d'ouvrages, l'Église n'aurait pas eu à compter avec lui. Nous savons Par les Évangiles eux-mêmes que les prophéties de Bar-Abbas s'étaient rapidement propagées en Syrie, et par la Lettre aux Galates que Shehimon dit la Pierre les y avait lui-même prêchées dans Antioche avec Jacob, auquel les Actes adjoignent Ménahem, Siméon dit Niger, Lucius de Cyrène et consorts[93].

Saturnil aurait été disciple de Simon le Magicien et de Ménandre. C'est Irénée qui le dit, il le dit même de Basilide, mais je n'en crois rien ni de l'un ni de l'autre, car de son propre aveu il brouille tout, confondant dans la même réprobation tous les adversaires de Bar-Abbas, quelles que soient leur origine et leurs doctrines. Saturnil est ennemi des Juifs, à raison des christiens. La vérité leur est inconnue comme aie autres hommes, leur Père n'est qu'un des Anges créateurs du monde, et encore des moins bons. Le Sauveur qui viendra ne saurait être celui qu'annoncent les Prophètes. Il est inengendré, incorporel, sans figure, et s'ils ont cru le voir (dans l'Apocalypse notamment) sous l'apparence d'un homme de leur nation, c'est une erreur de leurs ambitions insensées !

Tout cela choque grandement Irénée, et il en arrive à dire que les prophéties de Saturnilos, — car il se permet aussi d'en avoir, — lui sont dictées les unes par ces Anges qu'il place si bas dans l'échelle des puissances, les autres par Satan lui-même, leur adversaire, ajoute Irénée, et surtout l'ennemi du dieu des Juifs ! On s'étonne vraiment que les Saturniliens se soient fait dicter leurs prophéties par le Démon' ce n'est pas l'usage ! N'est-ce pas plutôt pour avoir nié l'existence de Jésus et la divinité des Juifs[94], que Saturnil est un prophète de Satan ? Ne peut-on même aller plus loin, et dire que l'étrange propos du Quatrième Évangile, où Jésus dit aux Juifs qu'ils ont pour père Satan, père du mensonge[95] est une sentence empruntée à la doctrine saturnilienne et justifiée par le nom de Bar-Koziba[96] dont on a flétri la mémoire des christs de la maison de David[97] ?

Ce qui porte à croire que Saturnil ne prenait pas ses inspirations chez Satan, c'est qu'à l'inverse de Bar-Abbas, de Simon le Magicien et de Ménandre, il ne prétendait pas être un Sauveur et ne se faisait pas donner le nom de Jésus comme ces trois imposteurs[98].

Contre Saturnil et les Saturniliens on a inventé Ignace qui serait mort sous Trajan[99] après avoir gouverné l'Église d'Antioche pendant quarante ans ![100] Ces mystères (de la Cène) n'ont pas eu une simple apparence, dit l'Église dans Ignace[101], comme quelques infidèles osent l'avancer en niant que Jésus ait véritablement souffert. Les conséquences de cette infidélité sont graves, car il est des églises qui se fondent là-dessus pour commémorer Bar-Abbas la veille de la Pâque[102]. Elles refusent d'accepter la mystification eucharistique qui, dit Ignace, contient la chair même de Jésus. En combattant celle-ci, ils se privent de la vie, car elle est le contrepoison de la mort.

Après les Saturniliens vinrent les Cerdoniens.

Cerdon était également de Syrie[103]. Contre les Paroles du Marân il enseignait que le dieu des Juifs n'était pas le Dieu bon ou Chrèstos, et que si Bar-Abbas était fils du premier, il ne l'était certainement pas du second !

Iahvé, on l'avait vu à l'œuvre, et il s'était montré fort juste en abandonnant Bar-Abbas et Bar-Kocheba, mais celui qui était au-dessus, le Bon, on attendait toujours son règne. Et c'est ce que Cerdon disait, à Rome même, dans un ouvrage qui naturellement n'a pas été retrouvé par l'Église.

 

VII — On devine l'accueil que les Gnostiques d'Égypte firent aux Évangiles lorsque cette pesante allégorie tomba entre leurs mains.

En dépit de leurs imaginations fantastiques, ils ont très bien saisi les rapports de Jésus avec les dieux solaires. Tous ces rapports dérivent du mystérieux lad ou Ieou des Chaldéens, radical d'Iahvé : Iaô, le premier des dieux, qui s'appelle Hadès l'hiver, Zeus le printemps, Soleil l'été, Iaô l'automne, et se nourrit éternellement de saisons, comme l'homme se nourrit de pain. Dressant les Écritures païennes contre les Écritures juives, les experts en dieux, les Gnostiques, ceux qui s'y connaissent, ceux qui cherchent les origines et comparent, tous établissent que les mystères christiens sont en Puissance dans les Orphée, dans les Hésiode, et les Homère. Diffamation ! s'écrie l'Église. Ils ne peuvent le prouver qu'à l'aide d'un nouvel art grammatique dont ils sont les inventeurs, et où ils mêlent l'Écriture juive, ancienne et nouvelle, le magisme et l'astrologie ![104]

Ces experts en dieux ne sont pas dupes de Jésus, ils le déchiffrent[105]. Et surtout ils n'innovent point, ils lui appliquent la loi métronomique dans laquelle il a été conçu. En un mot ils savent lire. On les accable de traits à cause de la subtilité de leurs systèmes, mais Ils ont parfaitement vu où les Juifs voulaient en venir arec leur prétention de monopoliser Dieu. Ils tenaient Iahvé pour un simple imposteur, de fort basse inspiration, volontiers méchant, menteur surtout, car il cherchait à se faire passer pour le vrai Père et le vrai Dieu, soutenant qu'il n'y avait personne au-dessus de lui[106]. Il est excessivement fâcheux que cette opinion des Gnostiques ne soit pas restée : elle nous aurait évité la tyrannie théologique du peuple de Dieu et les ravages de la jehouddolâtrie.

Aux prétentions de panjudaïsme qui renaissaient dans les Évangiles les Gnostiques ont souvent oppose la Révélation que Simon de Chypre avait écrite contre celle de Bar-Abbas : elle était beaucoup plus réservée, puisqu'elle faisait une place à l'élément grec. Aussi dans Irénée l'Église accuse-t-elle ceux qui ont refusé de croire à Bar-Abbas d'être les disciples et les successeurs de Simon. Cependant, dit-elle, afin d'égarer les hommes, ils ne confessent pas ce nom-là ; au contraire, pour les attirer, ils invoquent celui du Christ Sauveur[107]. Loups déguisés en brebis ! Apôtres du Serpent ! Tous ceux qui falsifient la vérité et blessent l'honneur de l'Église sont, en dépit des apparences, disciples et successeurs de Simon. C'est vrai, tous les christiens qui n'ont point eu d'intérêt dans la tromperie ecclésiastique, tous ceux qui ne sont point allés à Bar-Abbas, ont été Simoniens en cela !

Avant d'en venir au Bar proposé par les évangélistes, on posa la question préalable, on discuta l'Abbas. Si vraiment il y a là-haut un Fils qui doit venir un jour pour juger le monde, non is Pater est quem Judæi demonstrant, son Père n'est pas celui des Juifs.

Les Grecs d'Égypte avaient été les premiers qui se fussent insurgés contre la hideuse image de la divinité qu'avaient conçue les Juifs. Les Septante leur avaient livré Iahvé, qui cessa d'être un mystère dès qu'il parut dépouillé du vêtement hébreu, et baragouinant le grec.

On n'aimait pas les Juifs, comment eût-on aimé le Dieu qui les avait faits à son image ? Beau Dieu vraiment que celui-là ! En vain sous Tibère, Philon, juif hellénisé par l'étude, avait parcouru les rues d'Alexandrie appuyé sur le bras de Platon. La mascarade du prétoire reprise au Gymnase de la ville, les horreurs déchaînées dans le monde par les Paroles du Marân, l'émeute juive et les représailles, cinq cent mille cadavres, tant juifs qu'égyptiens ou grecs, tout cela n'était pas pour réconcilier les Alexandrins avec Iahvé, car c'est Iahvé qu'on accusait des crimes de son bar. Cela, très justement. Les prêtres sont responsables des religions qu'ils font. Philon est plus peiné que surpris des rumeurs qui de tous les nomes d'Égypte s'élèvent contre son Dieu. Ces bruits sourds deviennent des voix perçantes, et d'Alexandrie jusqu'à Rome on entend Apion qui crie à Iahvé : Raca !

Le temps vint, où ce cri retentit de toutes parts : Il n'est pas possible que le Dieu de ce peuple-là soit le vrai Dieu ! La preuve ? Bar-Abbas et les christiens. Ce sentiment fut universel. Il se manifesta dans Antioche, dans Éphèse, dans Carthage, dans tontes les villes et dans toutes les provinces où il y avait des Juifs. Et même certains de ceux-ci, conduits par Valentin, se voyant trahis, abandonnés de leur Jupiter, songèrent dans les ténèbres de leur pauvre tête qu'après tout il pouvait bien y avoir un autre Dieu, meilleur Ou plus puissant, peut-être cet Invisible que Socrate avait découvert et mis au-dessus de tous les autres dieux. Les jehouddolâtres, eux, rivés à l'Abbas par les Paroles du Rabbi, ne pouvaient plus voir qu'au-dessous de lui, et si bas qu'ils finirent par le perdre de vue complètement.

En un certain sens Irénée n'a pas tort de confondre dans le nom de Gnostiques tous ceux qui ont rabaissé ou combattu le Dieu de Bar-Abbas. L'Abbas, c'est Iahvé, les Gnostiques ne pouvaient s'y méprendre. Dans l'Apocalypse surtout la chose est trop claire. Tous ceux qui se mirent contre le Royaume sont des antijuifs. Leur flair les a bien servis. Ils ont bien saisi qu'après comme avant l'Évangile il n'y aurait rien de changé, que Moïse revenait sous le pseudonyme de Jésus, et que le Père des Juifs continuait sous les couleurs de son bar l'œuvre d'ignorance, d'envie, d'égoïsme et de cruauté par lesquels il s'était illustré sous le nom de Moloch. C'est leur gloire d'avoir vu cela dans le Père et de l'avoir prévu dans le Fils ; leurs systèmes sont absurdes, mais leurs veux sont excellents !

Les variétés de gnostiques sont innombrables, comme celles des plantes. Tous par des voies différentes, sur des échelles plus ou moins hautes, grimpent laborieusement jusqu'au Dieu bon, le Chrèstos. Le désir d'entrer en relations avec lui leur inspire des procédés d'échafaudage inconnus des constructeurs. Celui-ci s'arrête au ciel visible, celui-là monte au-dessus, place de nouvelles échelles, les gravit et se perd dans des sphères superposées presque sans fin. Ils peuplent le Ciel d'anges, d'æons, d'esprits qui les emportent sur leurs ailes jusqu'à ce qu'ils soient assez près du Bon Dieu pour en avoir une idée. Ils organisent d'en bas la république céleste : ils donnent à Dieu une constitution et des ministres.

Comment auraient-ils pu être victimes de la mystification évangélique ?

Les protestations contre l'apothéose de Bar-Abbas, l'indignation même, furent universelles, parmi ceux d'Alexandrie surtout, dont il était d'autant plus difficile de faire des dupes qu'ils avaient les premiers repoussé le Marân et ses Révélations. Tous s'unirent sans se connaitre, les uns pour combattre cette dégradante imposture, les autres pour s'en moquer. Enfin il se forma un parti de gens honnêtes, libres et sages, qui par la voix de ses meilleurs écrivains barra pudiquement pendant deux siècles à Bar-Abbas la route des pays civilisés : ce parti qui devait succomber sous le mensonge ecclésiastique, c'est le parti des adorateurs du Bon Dieu Idéal, sans chair, sans os et surtout sans fils juif : ce sont les chrestiens.

Et cette protestation est si continue et si générale qu'on en arrive à cette certitude que les textes aujourd'hui présentés par l'Église comme ayant été écrits al1 bénéfice de Bar-Abbas pendant le deuxième, le troisième siècle et la majeure partie du quatrième sont autant de faux fabriqués après coup. Tous les écrits apologétiques dont l'authenticité est douteuse sont de la même espèce que ceux dont l'imposture est démontrée.

Tous les chrestiens sont nés païens. Eux seuls ont défendu l'honneur de Dieu, ce Dieu tout bon, ce Dieu Pour tous, auquel on se consacre par sa qualité maîtresse : la vérité, la vertu de la justice. Aucun mal n'est en lui, ne vient de lui, car il est parfait. S'il pouvait avoir de la haine contre quelqu'un, ce serait contre Iahvé, formule où le mal l'emporte sur le bien, dieu que les Juifs représentent à tort comme étant l'unique, et qui ne saurait être le vrai, puisqu'il n'est pas tout entier paix et bonté et qu'il met sa ruse au service d'un peuple dont le moins qu'on pu dire est qu'il n'avait jamais été utile aux autres hommes. Le Chrèstos est anti-iahviste : ses adorateurs, tout en étant pleins de l'amour d'autrui, ont une prévention contre les Juifs, dont ils sont victimes partout où il y en a. Or il y en a partout.

Les chrestiens, — Hermès Trismégiste en est un, — conçoivent le Chrèstos uniquement par l'esprit. Répandus partout, eux aussi, en Asie, en Egypte, dans les îles, moins nombreux déjà en Grèce où les Dieux sont administrés, ils protestent au dedans d'eux-mêmes contre tous les cultes extérieurs, tous les temples, toutes les images de pierre, de bois, d'argent et d'or qui suffisent au matérialisme de la plupart des hommes. Et sur ce point, mais sur celui-là seulement, ils se rapprochent des Juifs. Ces hommes, les plus profondément pieux qu'il y ait, semblent être sans Dieu, car el sacrifie-t-on au Chrèstos ? Où sont les temples, les autels et les prêtres du Bon ? En vérité ces chrestiens sont des impies, puisqu'on ne voit point leur religion des athées, puisqu'on ne voit point leur Dieu. Les christiens attendent quelque chose de leur Dieu ; qu'est-ce que les chrestiens attendent du leur ? Cependant Ils le voient très haut, très loin, et pour se rapprocher de lui, c'est dans la conscience et par la conscience qu'ils l'honorent. Leur premier acte de respect, c'est de ne Pas lui mentir.

Appliqué aux vivants, le mot chrèstos désigne le juste, le bon, et aux morts, le bienheureux, le sanctifié, le justifié. Les chrèstoi d'Egypte ou chrèstianoi sont les justifiés, ceux qui ont été reconnus bons et justes devant le Dieu juste et bon. Jésus lui-même a été forcé de faire quelque chose pour le Chrèstos. Au disciple qui l'appelle indûment bon maître il réplique : Pourquoi m'appelles-tu bon, il n'y a de bon que Dieu[108]. Si nous ne connaissons plus aujourd'hui qu'une dénomination de chrétiens, l'antiquité a distingué nettement entre le Chrèstos païen et le Christos des Juifs. Et Cette distinction n'a pas été temporaire, épisodique : elle a duré pendant des siècles. Le Chrèstos avait ses fidèles bien avant que les aigrefins de Rame par l'organe de Paul nous aient insinué Bar-Abbas sous le Pseudonyme de Jésus-Christ. Bar-Abbas a dépossédé Chrèstos par des moyens qui tombent sous le coup de la loi pénale. Mais les chrestiens ne sont pas morts tout entiers, comme Bar-Abbas, et déjà ils ressuscitent sous l'effort des archéologues. Leurs os répondent pour eux, leur poussière murmure le nom de Chrèstos. Quand on Se penche sur la pierre des tombeaux, on l'épèle, on le lit. En Phrygie, sur treize cents inscriptions relatives à des chrestiens, on n'en a pas rencontré une seule relative à des christiens avant le troisième siècle !

 

VIII. — Parmi les Égyptiens Basilide semble bien être le premier qui ait eu à examiner en même temps les Paroles de Bar-Abbas et la fable faite sur cet imposteur. Aux vingt-deux chapitres dont se composait l'Apocalypse juive, — autant que de lettres dans l'alphabet hébreu depuis l'Aleph jusqu'au Thav[109], —Basilide riposta par un Évangile antijuif comprenant vingt-quatre livres[110], autant que de lettres dans l'alphabet égyptien —. En un mot, il répliquait point par point aux écrits de Bar-Abbas qu'il connaissait par deux versions : celle d'un certain Glaucias, interprète de Shehimon dit la Pierre, et celle de Mathias Bar-Toâmin[111]. Basilide possédait donc ce que Papias appelle les Paroles du Rabbi, et Valentin les Livres du jésus[112]. Tacite et Suétone ne disent-ils pas que l'Évangile du Royaume des Juifs s'était répandu dans tout l'Orient ? Outre ces deux versions, il y en avait une autre de Theudas qui, battu au Jourdain sous Claude par le procurateur Fadus, eut la tête tranchée et exposée à Jérusalem[113]. C'est, parait-il, d'après cette version que Valentin a composé sa Sagesse.

Quant à la version de Glaucias, c'est celle dont s'est servi Phlégon, de Tralles en Lydie, lequel, affranchi par Hadrien, a donné sous Antonin un recueil fameux Sur les Prodiges, trente-cinq chapitres qui débutent par la résurrection pendant trois jours d'une jeune fine enterrée depuis six mois ! Phlégon n'avait pas encore entendu parler de Jésus comme faiseur de miracles. En revanche, il connaissait parfaitement les Paroles du Rabbi dont il parlait dans ses Chroniques, d'après la version de Pierre, dit l'Église. Phlégon, qui ne parlait pas de Jésus, parlait de l'éclipse qui avait eu lieu dans le dernier septenaire de Bar-Abbas, et Thalus, antérieur d'un demi-siècle à Phlégon, en parlait également[114], quoiqu'il ne parlât point de Jésus. C'est assez dire qu'en leur temps ce phénomène n'était point invoqué comme ayant coïncidé avec la mort de Bar-Abbas.

On tient que Basilide est mort dans Alexandrie sous Antonin, environ le temps où Apulée vit les charpentiers de Phrygie et les poissonniers de Thessalie. Or, que dit Basilide ? Il appelle Bar-Abbas Caulacauch d'après Isaïe[115], il montre que le Jésus de la fable n'a Point eu chair, n'a point vécu, si vous aimez mieux, et que dans la version des Naziréens le crucifié de Pilatus, C'est— Simon de Cyrène déjà substitué à Bar-Abbas Par les évangélistes ! Mais cette imposture, qui avait eu Sa raison d'être sur le moment, se retournait contre ses auteurs, car, disait Basilide, si c'est Simon de Cyrène qui a été crucifié, c'est lui qui est ressuscité, c'est donc il lui qu'il faut croire et non au roi des voleurs, puisque vous dites que celui-ci a échappé[116] !

Bar-Abbas ne devait pas mourir, et c'est pourquoi on le  ressuscite. L'Évangile n'est qu'une mystification à l'usage des goym. Jésus n'est que l'ombre de celui qui se disait christ, une de ces apparences comme les dieux païens en prennent pour voyager parmi les hommes. Lors des exécutions de Pilatus, il (Bar-Abbas) a pris la figure de Simon le Cyrénéen[117] et il (Jésus) a donné la sienne à Bar-Abbas[118], qui est mis hors de cause par Pilatus ; mais, dans le fond, le christ et Simon de Cyrène ont été crucifiés l'un et l'autre. Pendant ce temps, Jésus les regardait, invisible, et se moquant d'eux. Après la passion, il est remonté au ciel, vers son Père, sana avoir été connu des anges, et à plus forte raison des hommes.

La première dupe de bonne foi fut le premier individu assez ignorant pour se laisser prendre à ce jeu de passe-passe, et cela ne s'est produit que très tard : il fallut effacer de la fable tout ce qui distinguait le deux en un : la personne divine de Jésus et sa personne humaine, les deux natures, comme on a dit plus tard. Mais on n'en était pas encore là au second siècle. Non-seulement Basilide connaissait toute l'histoire de Bar-Abbas, ne fût-ce que par la mascarade du Gymnase d'Alexandrie, mais il repoussait toutes les prétentions de son exécrable kabbale. Et comment auraient pu ne réaliser les calculs et l'horoscope d'un juif qui ne sava4 même pas combien de jours il y avait dans l'année ?

N'entrons point dans le système de Basilide : son ciel est une scène à trois cent soixante-cinq plans, trop compliquée pour nous[119], une vraie féerie peuplée d'Anges, de Puissances, de Facultés, au-dessus desquels trône, intelligible, mais inengendré, le Père ou la Cause première de tout. Le monde n'est pas de lui : c'est trop peu de choie. La terre et les nations sont l'œuvre des Anges qui habitent le ciel le plus rapproché de nous, celui que nous voyons, le trois cent soixante-cinquième, dans les dessous de ce théâtre puissamment machiné. Pour Basilide, le Dieu que les Juifs adorent, l'Abbas de Bar-Jehoudda par conséquent, est chef de ces Anges créateurs, pas plus[120]. L'intelligence des Juifs n'a pas pu s'élever au-dessus du visible, elle n'a pas pu traverser le ciel pour aller chercher le Père invisible. Ils ne connaissent pas le vrai Dieu, il est trop haut pour eux : celui qu'ils prennent pour Dieu, c'est tout simplement un chef machiniste nommé Iahvé. Encore se le figurent-ils uniquement occupé d'eux et fait à leur image, c'est-à-dire vain, orgueilleux, tracassier, à ce point que les autres chefs machinistes se sont dressés contre lui, le voyant travailler à soumettre les autres peuples au sien. A l'imitation de ces Anges clairvoyants, les autres peuples se sont rués sur ce Peuple insensé. Les Juifs maudits des créateurs et des créatures, telle est la sentence de Basilide. L'Évangile est l'appel des Juifs devant leur Dieu. Avocat : maître jésus, dissimulant Bar-Abbas dans le pan de sa robe magique. Basilide n'est dupe ni du roué défenseur, ni de son triste client.

Car pour lui, le premier-né du Père ineffable, c'était l'Intelligence, — le Verbe n'était que le cadet, — et cette Intelligence, c'était le Salut lui-même. Dans l'Évangile basilidien le Père, comprenant que les Anges créateurs avaient fait d'assez mauvaise besogne, envoyait l'Intelligence au monde pour délivrer les hommes qui croiraient en elle du pouvoir de ces Anges, dont est Iahvé, ne l'oublions pas ! Car, pour Basilide, la Loi et les Prophètes, l'Apocalypse surtout, sont des œuvres sataniques.

L'Intelligence donc s'est fait voir aux nations par la faillite de Bar-Abbas et par la chute des Juifs. Jésus n'est qu'une allégorie concernant le Messie sous les traits de Bar-Abbas, et ce n'est point ce triste héros de gibet qu'il faut confesser, c'est le Verbe impassible et nullement juif, l'Intelligence du Père universel. Ainsi le système de Basilide était beaucoup moins confus que l'Église le l'a fait[121], et il est clair en ce qu'il range l'Abbas de Bar-Jehoudda parmi les mauvais Anges. Si donc quelqu'un confesse le jésus qui a été crucifié, il est encore esclave de l'Ange maudit qu'adorent les Juifs. Qui le nie est délivré et connaît les desseins (anti-millénaristes) du Père inengendré. Le gnosticisme, c'est l'anti-iahvisme, an ne peut sortir de là. La jehouddolâtrie, c'est le judaïsme à un sou.

Pour tous les Basilidiens Bar-Abbas est un faux prophète en même temps qu'un méchant homme, et Jésus n'a point existé, encore moins Nazireth en Galilée. Personne n'a vu Jésus ; aucun juif, apôtre ou non' du premier siècle, n'a entendu parler de Jésus. Qu'est-ce qu'on répond à Basilide ? Rien. Quel témoignage écrit lui oppose-t-on ? Aucun, pas même celui de Pierre, pape à Rome, ni celui de Clément, son successeur, ni Celui de Saül converti, ni celui de Jochanan, évangéliste retiré à Ephèse. Rien de tout cela n'est encore inventé. Aussi, quelle charge dans Irénée contre les Basilidiens. Ce sont des magiciens qui se servent d'images, — il entend leurs graphiques, — recourent aux incantations, aux invocations. Qui pis est, ils tiennent pour l'indifférence de toutes les actions et de la débauche ! En quoi ils rejoignent les Simoniens, et généralement tous ceux qui, étant contre le deux en un, un en deux, montraient une perversité que Bar-Abbas punirait lorsqu'il reviendrait dans sa gloire. Car, sous le rapport d'Iahvé, il y a toujours harmonie parfaite entre les Juifs et les jehouddolâtres. Le Bar ne peut être Dieu, si l'Abbas ne l'est pas.

Après les Basilidiens vinrent les Carpocratiens[122], gens perdus de vices, comme vous pensez bien. Savez-vous ce que soutenait Carpocrate ? Que Jésus avait pris Le forme de certain juif initié aux choses du ciel, pour en révéler les mystères, mais qu'il ne manquait pas en Asie et ailleurs d'individus capables d'en faire autant que ce juif en son vivant. Des Bar-Abbas comme celui-là, fils du Joseph de la fable pour tout potage, il y en avait à la douzaine parmi les Carpocratiens eux-mêmes, les uns qui le valaient bien, d'autres qui le surpassaient, et l'on conviendra que ce n'était pas difficile !

Sur les Carpocratiens l'Église dans Irénée est à la fois téméraire et réservée dans ses appréciations. Quelque chose a gène les rédacteurs, car le passage est Plein de contradictions. Il serait bon de savoir qui était ce Carpocrate et d'où il était, d'Asie, selon les uns, d'Alexandrie, selon les autres, en tout cas bien renseigné, boa gnostique, bon connaisseur : ni juif, puisque, tenant pour le Père inengendré, il croyait que le monde avait été fait par des Anges inférieurs, tel Iahvé ; ni millénariste, puisqu'il ne croyait pas à la résurrection des corps. Lorsque les Carpocratiens eurent à examiner les Évangiles, ils y trouvèrent cette affirmation de Jésus que le Joannès, dont certains échauffés faisaient le christ définitif, était tout au moins le plus grand des prophètes qui fussent nés du ventre des femmes[123]. Mais à peine voulurent-ils admettre que le fils de Joseph pût être rangé parmi les prophètes[124], car il n'avait pas parlé an grand public juif, mais secrètement et en particulier à un certain nombre de personnes capables de se diriger dans sa ténébreuse kabbale[125]. Avec de pareilles idées leur morale ne pouvait être qu'excellente ; aujourd'hui elle est immonde dans Irénée. Magie, incantations, philtres, ils ont tout cela et vivent dans la débauche, sous prétexte que le corps n'est rien et que la grâce de l'âme est tout ; viles canailles qui pour être saintes n'auraient qu'à reconnaître la maison Abbas et fils ! Bref l'enseignement des Carpocratiens quant à la personne humaine de Jésus était tel que l'Église dans Tertullien a été obligée de le falsifier ; elle dit que, selon Carpocrate, Jésus-Christ était seulement homme, mais considérable par sa justice et par l'innocence de sa vie ![126]

Les Ptoléméens déplaisent beaucoup à l'Église, car Ptolémée avait admirablement saisi le mythe de Jésus, au point de vue chronométrique surtout. Dans la fable faite sur Bar-Abbas, Jésus n'est même pas l'image du Verbe juif tout entier, il n'en est que la douzième partie, l'Æon-Sauveur alias Æon-Zib. Cette parabole mathématique ne peut tromper personne.

Elle est bonne pour les hommes animaux qui, n'entendant rien à la Gnose, ont besoin d'une leçon qui affecte la forme animale.

Bar-Abbas avec son baptême n'a pas apporté le Salut de la chair, car la matière est par elle-même incapable de salut. L'Æon-jésus, descendu sur lui pendant l'année proto-jubilaire, est remonté au ciel dans son vêtement d'emprunt avant la comparution devant Pilatus, et il n'est resté qu'un homme qui est mort comme tous les autres hommes, à sa condamnation près. Le salut ne peut consister dans une aussi pénible mystification, il est dans la Gnose elle-même, c'est-à-dire dans les relations de l'esprit avec le Père ineffable. Ainsi, dans la version qu'avait consultée Ptolémée, jésus n'allait même pas jusqu'au pied de la croix, Comme dans Cérinthe ; il laissait Bar-Abbas dans la prison du Hanôth la veille de la pâque au matin, il n'établissait donc pas la moindre Eucharistie. L'affreux Ptolémée apportait un argument de plus aux Quartodécimans[127]. C'est pourquoi Irénée dit qu'on doit le combattre comme un être malfaisant.

Un autre infâme, Secundus[128], écartait le Dieu des Juifs de toutes les combinaisons célestes. Il avait parfaitement entendu, lui aussi, que la mère de Jésus, c'était l'Esprit, et la mère de Bar-Abbas, Salomé. Jésus n'était que l'ombre de l'individu qui s'était dit christ. Rejetant ensuite cette mère et ce corps[129], il était remonté au Plérôme d'où il se gardait bien de sortir.

Tel fut l'enseignement des Gnostiques égyptiens jusqu'au jour où l'Église leur en demanda compte le couteau à la main. Elle convient dans Irénée que' nonobstant les différences de leurs théories, ils sont unanimes à professer l'inexistence charnelle de Jésus. Ils n'ont point de mérite à cela ; pour dire autrement il aurait fallu qu'ils fussent ou fous de naissance ou malhonnêtes de parti pris. Quoique Juifs d'origine et fort reconnaissants à Bar-Abbas d'avoir inventé le moyen d'exploiter les goyim par le baptême sauveur et l'onction résurrectionnelle, les Valentiniens se sont toujours joints aux antijuifs pour reconnaître l'inexistence de Jésus. Nous avons dit de Valentin ce qu'on doit en dire[130]. L'Église estime dans Tertullien que Valentin, par son interprétation des Évangiles, a fait encore plus de mal que Marcion à la divinisation de Bar-Abbas.

C'est le plus magnifique éloge qui ait jamais été fait de lui.

 

IX. — Le sens littéral que nous avons donné du mot Gnostiques nous permet de ranger parmi ceux-là toutes sortes d'écrivains à qui nous ne demandons que d'avoir su. Personne n'a mieux su que Celse. Romain d'origine, Celse parait bien avoir fleuri en Asie sous Antonin et sous Marc-Aurèle. Lucien l'avoue pour son directeur philosophique. Celse était épicurien. Rendons à ce mot la signification qu'il a dans la bouche de Lucien, et qu'il a perdu dans le cours des temps. Il ne s'agit pas ici de l'Épicure auquel on prête une vie toute de mollesse et de plaisir, mais du profond auteur des Pensées sur la nature. Ses disciples savent tous quels avantages ce livre procure à ceux qui le lisent, en établissant dans leur cœur la paix et la tranquillité, en les délivrant des frayeurs qu'inspirent les prodiges et les fantômes, en bannissant de leur esprit les espérances chimériques et les désirs insensés ; il éclaire, il purifie l'âme, non avec un flambeau et de la squille, ni par de vaines et ridicules cérémonies, mais par la saine raison, par la vérité et par la franchise[131]. Enfin ils se recommandent par une qualité qui manque à presque toutes les philosophies : un désintéressement qui tient, à leur respect absolu, presque exclusif, de la nature[132]. Et quant à Celse, sa sagesse, son amour de la vérité, la douceur de son caractère, la modération et l'égalité de sa conduite, sa politesse envers tous, lui valurent l'admiration et l'amitié de tous ceux qui partageaient sa société. En renseignant Celse sur Alexandre, le christ du Pont, Lucien a voulu venger Épicure, cet homme vraiment sacré, ce génie divin qui seul a connu les charmes de la vérité et les a transmis à ses disciples dont il est le libérateur.

Les hommes à qui on n'en contait point, comme Celse et Lucien, étaient rares, et le monde était plein du charlatanisme le plus éhonté. Celse avait écrit des livres contre les christiens. Ou, pour être plus exact, il leur avait consacré une partie de son traité Contre les Magiciens. L'ouvrage avait déjà disparu à la fin du quatrième siècle, le Contra Celsum ne le connaît plus -que de nom et se demande s'il est du même Celse que, le Discours véritable contre les jehouddolâtres[133]. Mais l'Église, qui a fabriqué l'Anticelse, ne se pose la -question que pour créer une confusion entre les deux Celse, car l'ouvrage de Celse l'épicurien n'avait point pour titre Livre de Vérité, comme celui de Celse le platonicien. Ce n'était point un ouvrage spécialement écrit pour démasquer le héros des Évangiles, mais une manière de traité dans lequel étaient dénoncés techniquement, scientifiquement, d'après l'état des connaissances physiques, les tours inventés par les magiciens pour faire des dupes. On peut être sûr que ceux de Bar-Abbas, notamment la colombe lumineuse, étaient en bonne place dans cette galerie. Il n'est pas nécessaire de les rappeler ici, lui dit Lucien[134]. Ce serait m'exposer à passer pour un homme sans goût et sans politesse, si je faisais parade de cette connaissance vis-à-vis de toi qui as suffisamment traité de ces matières, et plus amplement que je ne le fais ici, dans ton livre Contre les Magiciens, ouvrage aussi beau qu'utile, fait pour inspirer la sagesse et la prudence à tous ceux qui le liront. C'était un livre fameux, classé, classique, et il n'y était point question de Jésus comme ayant existé à côté de Joannès baptiseur, mais simplement d'un nommé Jehoudda, fils de Jehoudda, qui avait été tardivement châtié pour ses crimes, et de toute la série d'imposteurs qui s'étaient succédé dans la même famille jusqu'à Bar-Kocheba. Marc-Aurèle lui devait sans doute un peu du mépris qu'il professait Pour les charlatans de tout ordre.

Né sous Hadrien, mort sous Commode, à plus de quatre-vingts ans, Lucien a connu tout ce qui s'est fait d'important dans le second siècle, celui de la fabrication de Jésus.

Lucien est de Samosate. De la Syrie natale jusqu'à la Gaule, en passant par les îles, Athènes, Rome et l'Égypte, il a pu voir des Juifs jehouddolâtres, il en a vu.

Lucien aime la vérité, elle est pour lui l'objet même de l'histoire et le seul but de l'historien. Fonctionnaire sous Marc-Aurèle, il juge en romain ; mais c'est aussi un philosophe, comme son maître, et il pense en grec. Il marche dans la lumière de la raison ; et tout ce que l'esprit y ajoute de force, il le tourne contre l'imposture et les imposteurs. La superstition lui est odieuse : il °a jusqu'à la colère contre les faux prophètes et les Miracles supposés. Nul n'a démasqué d'une main plus Prompte les marchands d'oracles et ceux qui se disaient dieux, fils de dieux. Il y en avait beaucoup de sou temps. Il y met au besoin la dent pour retrouver l'homme en eux, mord Alexandre à la main et le fait geindre. Sans lui, qui connaîtrait Péréghérinos mort de vouloir prouver qu'il était immortel ? Qui connaîtrait Alexandre, le roi-christ du Pont ? Ami de Celse, il ne peut l'être des jehouddolâtres, et si l'Église n'avait pas fait dans son texte ce qu'elle a fait dans celui de Flavius Josèphe, c'est avec les terribles épithètes de Tacite et de Suétone qu'il parlerait encore d'eux et de Bar Abbas.

Aujourd'hui, chose rare chez un Syrien, Lucien n'est plus antijuif, il ne nomme plus les Juifs, il ne distingue plus la Palestine de la Syrie ; les christiens dont il parle ne sont plus d'aucune race, on peut même se demander s'ils ont jamais été juifs, s'il y en a encore parmi les Juifs. On dirait de païens nomades qui out renié les dieux nationaux pour courir après un individu qui n'était de nulle part.

Mais Lucien a connu autrement que par ouï-dire les écrits de Bar-Abbas, il les a eus en mains propres. Il les connut aussi bien que Phlégon, mieux qu'Apulée, qui ne semble les avoir vus que dans la version thessalienne. Lucien qui est du pays de Saturnil, de Cerdon, de Tatien, ne tonnait pas seulement les Paroles du Rabbi, il connaît la mystification évangélique, surmoulage juif de la fable de Jonas. Lui aussi est œ pécheur d'hommes, mais c'est la raison universelle qui l'inspire, et non la révélation juive. Dans Le Pêcheur ou les ressuscités il prend au Pêcheur du Pirée (Neptune sous les traits d'un pêcheur), la ligne et l'hameçon dédiés à Minerve ; et du haut sommet de l'Acropole d'Athènes, — le mont Sion de la sagesse, — il jette l'hameçon amorcé d'or et de figues au milieu des philosophes qu'il a ressuscités et groupés autour de la ligne. Comme les christiens que tentent la Jérusalem d'or et le Figuier aux douze récoltes, c'est à cause de l'or et des figues que toute la poissonnerie philosophique se jette sur l'hameçon, à la réserve des disciples d'Épicure qui ont compris l'apologue[135].

Que voyons-nous dans Le Menteur d'inclination ? Une conversation entre quelques philosophes grecs dont Lucien sous le nom de Tychiade raille la crédulité. Ces philosophes, si peu dignes de ce beau nom, frôlent à chaque instant les sujets évangéliques : l'un d'eux soutient avoir vu un hyperboréen[136] qui marchait sur l'eau, comme Jésus sur le lac de Tibériade ; l'autre un Syrien de Palestine[137] qui chassait ostensiblement le diable des corps hantés ; un troisième peut résister à mille démons sans en être effrayé, grâce à un Arabe[138] qui lui a donné un anneau fabriqué avec du fer pris à des croix ; un quatrième enfin, le médecin Antigone, dit connaitre, pour l'avoir soigné tant avant qu'après sa mort, un homme ressuscité vingt jours après son enterrement, miracle autrement fort que celui d'Éléazar et de Bar-Jehoudda lui-même.

On croit généralement qu'ici Lucien se moque de la résurrection de l'arménien lier dont parle Platon au dixième livre de sa République. Mais son allusion est beaucoup plus moderne, surtout si l'on considère qu'elle succède à ces histoires d'exorcismes et de croix : Et comment le corps de cet homme n'a-t-il pas pourri pendant l'espace de vingt jours ? Ou comment cet homme n'est-il pas mort de faim, à moins que ce ne soit un autre Épiménide que tu aies traité ? Epiménide, eu effet, s'était endormi pendant cinquante ans : repos qu'apprécieront les personnes sujettes à l'insomnie.

Et comment ne pas reconnaître immédiatement dans l'exorciste que voici un de ces quatre-vingt-quatre disciples à qui Jésus donne le pouvoir de chasser les démons ? Qui sait même si à l'origine Lucien n'avait pas en vue le célèbre Péréghérinos, car cet exorciste est de ceux qui délivrent les démoniaques de leurs terreurs et conjurent publiquement les fantômes. Tout le monde sait que ce Syrien de Palestine[139], si habile pour ces sortes de guérisons, lorsqu'il rencontre de ces gens qui tombent en épilepsie à certaines époques de la Lune[140], qui écument et roulent des yeux égarés, les relève et, moyennant un salaire considérable, les renvoie en santé, délivrés de leurs maux. En effet, lorsqu'il est auprès du malade couché par terre, il lui demande comment le démon est entré dans son corps-Le malade garde le silence ; mais le diable répond, suit en grec, soit en langue barbare[141], et dit qui il est, d'où il vient, comment il est entré dans cet homme. Alors, employant les imprécations et, si le diable n'obéit pas, les menaces, il le chasse du corps qu'il occupait. J'en ai vu moi-même sortir un tout noir, et dont la peau était enfumée !Il n'est pas étonnant, repris-je, que tu aies vu cela, Ion, toi qui découvres les idées que Platon, ton maître, nous montre comme quelque chose d'obscur dont la faiblesse de nos yeux nous dérobe la vue.

Cette scène d'exorcisme est purement évangélique, surtout dans la partie qui concerne le salaire[142]. C'est bien ainsi qu'on procédait à l'égard des goym. Quand le sujet était vraiment malade, on lui disait : C'est votre dieu qui vous tourmente, donc votre dieu n'est qu'un démon. Le malade ne pouvait guère le nier sans mauvaise grâce, Surtout au milieu d'un accès dont il ne demandait qu'à sortir, fût-ce au prix de sa religion. Quand il se sentait mieux, que ce fût par le fait de l'exorciste ou non, il refusait énergiquement de revenir sous puissance du dieu qui l'avait fait si cruellement souffrir. Eh bien ! lui disait-on, voulez-vous rester avec Isis, Mithra, Tanit, Apollon, Mercure ? Ayant identifié la divinité avec la maladie, c'est comme si on avait dit : Voulez-vous redevenir malade ? naturellement il refusait. Vous voyez, s'écrie Tertullien, vos Dieux sont soumis aux christiens ! Nous les obligeons malgré eux de sortir des corps ![143] Et Cyprien : Nous les forçons d'avouer qu'ils doivent être jugés ! (sous-entendu par Bar-Abbas !).

 

X. — La figure la plus mystérieuse, la plus grande aussi, du christianisme au second siècle, c'est incontestablement l'individu qu'on cannait aujourd'hui sous le nom de Pérégrinos et dont Lucien raconte la publique évaporation. Il ne s'appelait pas Pérégrinos dont on aurait fait Pérégrinus, et Lucien lui-même ne l'appelait Mat ainsi.

Pérégrinos n'existe en grec ni comme nom commun ni comme nom propre, et en latin Pérégrinus veut dire simplement étranger. A ce compte que de Pérégrinus dans ce monde ! Pérégrinos est une corruption de l'appellatif que le métier de cet homme lui a valu : Péri-égheirenos[144], celui qui ressuscite à la ronde, le Ressusciteur. On aurait également le droit, étant donné sa vie, de l'appeler Péri-agheirenos[145], qui exprime à merveille les tournées de quêtes auxquelles il s'est livré. Le premier apôtre des nations, Ce n'est pas Paul qui n'a jamais existé, Saül ne s'étant jamais converti à Bar-Abbas, c'est Péréghérinos. Mais quand l'Église eut fabriqué Paul sur le modèle de Péréghérinos à qui elle a emprunté son système de collectes, il fallut bien déguiser sous quelque allitération la première et In seconde étymologie de set appellatif. C'est ce qu'œ fait les copistes, lorsqu'ils ont enveloppé. Lucien dans le vaste réseau du mensonge christien. Une lettre changée dans le nom de Saül avait donné Paul. Une mesure de ce genre a rendu Péréghérinos méconnaissable sous le nom de Pérégrinus.

Par contre, on a traduit en grec le nom de Saturninus à qui Lucien adresse le récit de l'évaporation de Péréghérinos, on l'appelle Kronios. Or, Lucien, nous le savons par lui-même, avait horreur de ce genre de substitution dans les noms de famille, et, à propos de Saturninus précisément, il raille un historien grec qui s'était permis de traduire son nom par Croniôn et celui de Fronton par Phrotis. Mais le nom de Saturninus était si gênant qu'il n'y avait pas moyen de le laisser. Il était de la famille des proconsuls de Syrie qui avaient eu à s'occuper des affaires christiennes[146] ; son père avait été consul et légat en Numidie sous Antonin ; lui-même, consul en 161, avait fait campagne contre les Parthes[147] cinq ans avant la mort de Péréghérinos !

Deux écrivains de son temps, voire trois, si l'on compte Aulu-Gelle[148] ont connu Péréghérinos personnellement, qui sont Lucien et Tatien. Il en est également question dans les Lettres de Paul et dans Tertullien. C'est de beaucoup le témoin le plus important qu'on puisse citer contre l'existence de Jésus. Aussi l'Église le rejette-t-elle avec prudence pour lui substituer des Justin et des Polycarpe qui, grâce à elle, ont de bien meilleures façons.

Péréghérinos était de Parion, ville de Mysie, sur I Hellespont. Lucien dit de lui que c'était un vieillard lorsqu'il entra dans le brasier d'Harpine, aux jeux Olympiques de 169. Mettons qu'il eût alors soixante-Cinq ans, il serait né dans les premières années du règne de Trajan, vers 104.

A l'âge de moins de vingt ans, il avait déjà été fouetté en Arménie pour adultère avec la femme de son hôte, et obligé de donner trois mille drachmes aux Parents d'un mineur qu'il avait corrompu.

Un troisième accident le força de quitter Parion. Dans une effusion plus homicide que filiale il avait serré trop fort le cou de son père ! Lucien dit tout net qu'il l'avait étranglé, ne voulant pas le laisser vivre au delà de soixante ans. Comme Jésus le dit de son côté avec une philosophie méritoire, il faut qu'il y ait des scandales ![149] Mais qu'est-ce qu'un parricide dans un monde moral tellement renouvelé par le christianisme que les parents pieux eux-mêmes célèbrent le nouveau dieu par le meurtre de leurs enfants ? Péréghérinos sait que la rémission de son crime l'attend depuis un siècle ale sources du Jourdain. Il part, il arrive en Bathanée, Il y trouve des baptiseurs d'on ne sait quelle secte, ceux-là mêmes qui diront de Jésus quand on le leur présentera dans les Évangiles : ... Ombre du christ... Christophanie. Qui le poinct ? qui le meut ? La rémission. Car quelle eau sur la terre peut laver du parricide ? Seule l'eau de Césarée Panéas, l'eau de Kapharnahum et de la beth saïda dans laquelle, un siècle auparavant, l'homme à la colombe lavait tout, blanchissait tout, remettait tout, l'eau par laquelle ses disciples ou ses concurrents immunisent contre le feu qui ne s'éteint point et le ver qui ne meurt point.

D'ailleurs Péréghérinos avait son plan. Il ne désirait se faire initier aux trucs de Bar-Abbas que pour pouvoir se dire Bar-Jovis, fils de Jupiter. Au nombre de ces trucs est le camouflage, l'art de se transforme' extérieurement, de se déguiser en changeant de vêtements avec rapidité, de pétrir de la terre à potier, d'y modeler des corps et des masques, de se les adapter art tout égyptien que Bar-Abbas s'était approprié de son mieux. Vous l'avez vu fabriquer de petits oiseaux[150], une colombe[151], des poissons sans doute. Les vases du Garizim étaient de lui, n'en doutez pas[152], et ils portaient les inscriptions nécessaires pour être contemporains de David. Avec de la ventrilogie l'opérateur était un nouveau Protée. C'est le nom sous lequel Péréghérinos est connu des païens, mais pour les christiens il reste le Ressusciteur. Cependant c'est le nom de Protée qui nous livre tout l'homme et tout le secret de ses triomphes. Depuis la suppression de ce qui expliquait ce nom dans Lucien, — à peine y peut-on lire que Péréghérinos savait prendre mille formes différentes et jouer une infinité de personnages, — nous n'avons que cinq ou six lignes de Tatien[153] pour nous guider. Encore Péréghérinos n'y est-il pas nommé à cet endroit, mais à un autre. Tatien méprise Péréghérinos, mais il se peut se défendre d'avoir été étonné par les facultés de métamorphose de cet exhibitionniste génial qui, changeant de corps à volonté, paraissait tour à tour en Apollon ou en Vénus, se pavanant, se disloquant, tantôt jetant d'étincelants regards, tantôt ployant les mains avec souplesse, pareil à un possédé, à travers son masque de plâtre : mensonge dans tout son art et dans toute sa personne, applaudi par tous, mais honni par Tatien comme il l'est par Lucien.

Péréghérinos tirait-il parti de ses avantages physiques et du hasard de sa naissance dans une ville qui portait le nom du beau Pâris ? Ce qui m'incline à le croire, n'est une citation d'Homère dans l'Apologie d'Athénagore à propos des statues que les Pariens élevèrent à Péréghérinos après sa mort : Ô malheureux Pâris, malgré ta beauté, la licence te rend insensé ! Lucien, de son côté, connaissait Péréghérinos depuis longtemps. Il l'avait rencontré, allant soit en Grèce soit en Italie, et il avait navigué avec lui depuis la Troade. La date de cette rencontre n'est rien moins qu'établie[154], mais il n'importe ici, car de toutes façons Péréghérinos était déjà célèbre par son protéisme. Tout nous incline à croire qu'elle remonte au temps où Péréghérinos alla lui-même en Grèce, étant déjà Protée. La faculté qu'il avait de prendre toutes sortes de formes pouvait intéresser Lucien dont l'oncle maternel était statuaire. La sculpture avait été son premier métier, et peu s'en fallut qu'il ne le gardât. Péréghérinos était un modèle dont l'incroyable plasticité tournait au phénomène. Ce chef-d'œuvre de la nature, dit ironiquement Lucien, ce modèle digne du ciseau de Polyclète, ce beau modèle qui d'abord n'avait été qu'une masse de boue informe.

A propos de Péréghérinos Lucien ne parlait qu'incidemment de Bar-Abbas. Saturninus, à qui il s'adresse, était renseigné, connaissant lui-même Péréghérinos par Lucien et depuis longtemps. Néanmoins, l'écrit de Lucien étant destiné à être lu, probablement dans l'entourage de Marc-Aurèle, par des gens qui ne connaissaient ni Bar-Abbas ni Péréghérinos, l'auteur se trouvait amené à leur fournir tout au moins l'étymologie historique des mots christ et christiens. Avant d'en Venir à Bar-Abbas il commençait par l'histoire abrégée du père et des prétentions qu'il émettait à raison de son ascendance. Il donnait donc le nom de circoncision de ce fameux Panthora. Il racontait le séjour de son fils en Égypte, son Apocalypse et surtout ses baptêmes de rémission, car c'est incontestablement ce qu'il faisait de plus impie. L'Église a coupé tout ce passage. On peut voir les coups de ciseaux qu'elle y a pratiqués, la marque existe encore. Elle a ensuite refait en l'abrégeant tout ce qui concerne la carrière de Bar-Abbas en Judée, et elle a pris soin d'éviter dans le texte substitué tout Ce qui pouvait concorder avec les renseignements fournis par Josèphe. Il n'y est plus nommé sous aucun nom, Pas même celui de christ, de sorte que si Saturninus n'est pas devin, ii lui est impossible de savoir pourquoi les sectateurs de cet homme sont appelés christiens. Nous avons déjà cité le passage, mais il nous faut le Citer une fois de plus, à cause de l'inextricable confusion qu'ont cherchée et obtenue les faussaires entre le christ que fut Bar-Abbas et celui que fut Péréghérinos. D'abord, à quelle époque Péréghérinos se fit-il christien, puis christ ? Est-ce sous Hadrien ou sous Antonin ? Avant ou après Bar-Kocheba ? On ne sait plus. Où ? En Palestine, dit le texte actuel, comme si Lucien ne savait pas dans quelle partie de la Galilée était né Bar-Abbas. Ce fut vers ce temps[155], dit le texte actuel, qu'il apprit les secrets admirables de la religion des christiens, en s'associant en Palestine avec quelques-uns de leurs prêtres et de leurs docteurs. Si cela s'est passé chez les disciples du Gamaléen, il fut incontestablement circoncis avant d'être baptisé. Mais il semble qua s'il s'était affilié à cette secte, soit avant soit après la règne de Bar-Kocheba, il n'aurait pas rencontré l'indulgence de l'autorité romaine lorsqu'il en eut besoin. Nous inclinons donc à croire qu'il s'aboucha de préférence avec une des sectes qui faisaient concurrence à Bar-Abbas tout en conférant les mêmes avantages celle de Ménandre, par exemple, où l'on était dispensé de la circoncision ; peut-être même celle d'Ananias, qui parait s'être fixée dans les environs de Damas.

Qui prouve d'ailleurs que là où nous lisons aujourd'hui Palestine il n'y avait pas Égypte ? Car c'est d'Égypte que Bar-Abbas avait tiré tous ses sortilèges, et il ne passait pour véritablement fort qu'auprès des Juifs qui n'étaient jamais sortis de chez eux. Mais, que ce soit aux bords du Jourdain on sur les rives du Nil, Péréghérinos devait écraser de sa supériorité les docteurs et les prêtres christiens auxquels il avait eu affaire. Tout en baptisant dans l'eau pour la rémission des péchés, il avait trouvé moyen de se baptiser lui-même dans le feu et dans l'Esprit-Saint, en s'enveloppant dans de la toile d'amiante ! Bar-Abbas était enfoncé qui vainement avait attendu cet heureux jour ! Du Juif ou du Mysien qui était le fils de Dieu ? Le Mysien évidemment. Ce miracle, preuve de son christat, a disparu en même temps que la date et le lieu, et nous sommes en présence d'une substitution telle que le texte actuel confond Bar-Abbas et Péréghérinos dans la même apothéose !

Qu'il nous soit permis d'élever la voix contre cette injustice ! Bar-Abbas avait été crucifié avant d'éprouver les effets du Tharthak ; Bar-Kocheba, avec ses étoupes enflammées, n'était qu'un christ de chair ; Péréghérinos prouvait, quand on voulait, qu'il venait directement du ciel, qu'il était le vrai Bar de Jupiter et que le feu était son élément naturel ! Au sortir d'une de ces expériences, il pouvait dire, la bouche en cœur : Voilà comment vous serez quand le moment viendra !

Que vous dirai-je de plus ? Il leur fit bientôt voir qu'ils n'étaient que des enfants en comparaison de lui. Il était tout à la fois prophète, pontife et chef de leurs assemblées, jouait à lui seul tous les rôles, expliquait leurs livres, en composait lui-même. Les christiens le regardèrent comme un dieu, en firent leur législateur et lui donnèrent le titre de préfet[156]... En conséquence ils adorent ce grand homme qui a été crucifié en Palestine[157], pour avoir introduit ce nouveau culte dans le monde[158].

Sauf la phrase finale, le passage convient indifféremment à Bar-Abbas et à Péréghérinos. Ce n'est pas encore l'innocent Jésus, c'est toujours Bar-Abbas qui est sur la croix, c'est l'imposteur qui joue à lui seul tous les rôles, à la fois roi, grand-prêtre, christ, baptiseur, chef de bande, prophète, sauveur, c'est le kabbaliste qui expliquait toutes les Écritures à sa façon et qui en composait lui-même, c'est l'auteur des Paroles du Rabbi, c'est le scélérat que les marchands de rémission prêchent comme un dieu.

Mais ayant toujours nié que Bar-Abbas eût composé des livres, ayant même dit dans l'Évangile : Comment celui-ci sait-il les Écritures qui ne les a jamais apprises ?[159] l'Église aurait biffé l'indication contraire, lorsqu'elle l'a rencontrée dans Lucien, si d'autre part elle n'avait pas eu des raisons de l'appliquer à Péréghérinos. La confection par celui-ci d'Écritures qui concernent le dogme est donc parfaitement établie. Ces Écritures ne peuvent être que ce qu'on intitule aujourd'hui Évangiles, canoniques ou non, et parmi lesquels est celui de Kérinthos (Cérinthe). Mais qui est ce Kérinthos, auteur premier du Quatrième Évangile, par moments si peu juif que Jésus appelle indistinctement tous les Juifs fils de Satan, père du Mensonge ? Kérinthos est-il un nom propre ou un pseudonyme ? Orthographiait-on Kérinthos ? Sur ce nom même nous ne savons que ce qu'il a plu à l'Église de nous dire. Encore a-t-elle trouvé que Kérinthos était compromettant par lui-même, elle l'appelle parfois Mérinthos. Kérinthos est une ville de l'île d'Eubée, mais quelle apparence y a-t-il que l'auteur du Quatrième Évangile ait pris le nom d'une ville d'Eubée dont il ne connaissait peut-être pas l'existence ? C'est aussi le nom d'une composition dont se nourrissent les abeilles, mais l'auteur de cet Évangile a-t-il songé à cette comparaison ? Ce Kérinthos dont on ne cannait pas l'origine et que l'Église renie comme un infâme[160], ne se disait-il pas Kautharos, la Barque (du salut), et n'est-ce point le nom d'auteur que se donnait Péréghérinos ? Je n'insiste pas, ce n'est qu'une hypothèse inutile à la démonstration, mais un mot de Lucien me permettra peut-être de la justifier.

Pour prophétiser, baptiser, exorciser, guérir la fièvre quarte, Péréghérinos était beaucoup plus fort que Bar-Abbas, étant plus intelligent. Et puisque le respect de la Loi juive ne le retenait point, ni aucun vœu de naziréat, il se mit en devoir d'exploiter les païens, auxquels il se présenta comme étant tantôt celui de leurs dieux qu'ils désiraient voir, tantôt le christ incirconcis destiné à remplacer dans le Royaume le christ juif qui devait une fois encore périr si misérablement !

C'est à cette dernière forme de l'imposture qu'il n'arrêta, et il fit bien, étant donné le but qu'il poursuivait. Car, je le demande aux statisticiens, quel métier a jamais valu celui de christ, à part les inconvénients de la fin ? Quel commerce peut entrer en ligne avec celui de la grâce ? Une affaire si merveilleuse que l'Église n'a pas voulu la laisser aux mains de ses lanceurs, ces Juifs qui, dit-elle[161], s'enrôlent chaque jour sous la bannière de Bar-Abbas pour recevoir des dons ! ces Christemporoi, ajoute-t-elle avec horreur, ces Marchands de christ, que nous retrouvons sous le même nom et sous les mêmes couleurs dans la Didaché[162], recevant ton-jours, ne donnant jamais, tels en un mot qu'ils sortent de l'enseignement de Jésus[163], c'est-à-dire vivant de collectes organisées.

Cet enseignement, qui ne pouvait pas être celui de Bar-Abbas à qui tout était dû et qui s'adjugeait tout par la violence, il a bien fallu que quelqu'un, intervenant à un moment donné, l'introduisit dans la fable ! Car c'est une transformation complète, un acte de protéisme éclatant, un changement radical dans la vieille méthode apostolique. Qui a rédigé les Instructions aux douze et aux soixante-douze dans l'Évangile ? Qui a composé ce manuel de mendicité fondée sur le chantage professionnel ?

Sur les actes de Péréghérinos, sur son christat, nous ne savons rien que l'Église n'ait revu et corrigé de manière à faire bénéficier la secte jehouddique d'une heureuse confusion avec celle de Péréghérinos. Mais il est facile de voir qu'il fut dénoncé, dans un moment où il n'était pas bon de l'être, pour avoir eu des accointances avec ceux qui s'attiraient partout l'animadversion, publique : Tu le connais, dit Lucien à Saturninus, tu sais-que sa vie fut un tissu d'aventures plus tragiques que celles qu'ont célébrées Eschyle et Sophocle. Ce sont ces aventures-là dont il ne reste plus ombre dans Lucien.

Quant au moment où il n'était pas très bon de prêcher le Millénium et d'introduire les gens dans le Royaume futur, il parait bien qu'il succède au jubilé de 889 sous Hadrien[164]. Péréghérinos avait alors trente et quelques-années, il opérait en Syrie, on ne sait dans quelle ville, car tout le texte que voici est substitué :

Protée ayant été arrêté comme christien[165] fut jeté en prison. Cet événement lui procura pour le reste de sa vie une grande autorité et lui valut la réputation d'avoir fait des miracles[166]. Rien n'était plus capable de flatter sa vanité. Du moment qu'il fut dans les fers,  les christiens, qui regardaient son malheur comme le-leur propre, mirent tout en œuvre pour l'enlever ; et, comme cela leur était impossible, ils lui rendirent du moins toutes sortes de services avec un zèle et un empressement infatigables.

Dès le matin on voyait rangée autour de la prison une foule de vieilles femmes, de veuves et d'enfants orphelins[167]. Les principaux chefs de la secte passaient la nuit avec lui, après avoir corrompu les geôliers ; ils faisaient apporter les mets de toute espèce[168], et prononçaient des discours sacrés. Enfin, le vertueux Péréghérinos (il portait encore ce nom)[169] était appelé par eux le nouveau Socrate[170].

Bien plus, quelques-villes d'Asie lui envoyèrent des députés au nom de tous les christiens[171], pour le consoler, lui apporter des secours et défendre sa cause. Il n'est pas possible d'exprimer avec quelle promptitude ils volent au secours de ceux de leur secte qui éprouvent un pareil malheur ; rien ne leur coûte alors[172]. Aussi Péréghérinos, sous le prétexte de ses fers, reçut des richesses considérables et se fit un gros revenu[173]. Ces malheureux croient qu'ils sont immortels et qu'ils vivront éternellement. En conséquence, ils méprisent les supplices et se livrent volontairement à la mort[174]. Leur premier législateur leur a persuadé qu'ils étaient tous frères. Dès qu'une fois ils ont changé de culte, ils renoncent aux dieux des nations et adorent le sophiste crucifié dont ils suivent les lois. Comme ils reçoivent, ses préceptes avec une confiance aveugle, ils méprisent tous les biens[175] et les croient communs[176]. Si donc il s'élevait parmi eux un imposteur adroit, il pourrait s'enrichir très promptement, en se moquant de ces hommes simples et crédules[177].

Cependant Péréghérinos fut bientôt[178] délivré de ses fers par le gouverneur de Syrie, dévoué aux lettres et à la philosophie ; il savait que notre cynique[179] était assez fou pour se livrer à la mort dans le dessein de s'illustrer[180] ; ne le jugeant digne d'aucune punition, et le mit en liberté[181].

Point de doute que Péréghérinos ne connût le fond et le tréfond de la mystification évangélique. La preuve en est dans la façon dont il a pratiqué la tonte des moutons[182]. Et naturellement il n'avait jamais cru aux résurrections, à celle de Bar-Abbas surtout. Ce qu'il annonçait, ce n'est pas le retour de cet imbécile sur les nuées. Cela, c'était bon pour les Juifs jehouddolâtres Ce qu'il annonçait, c'est le Royaume des Grecs. Le - Royaume aurait lieu, mais sans les Juifs, contre les Juifs. La Ville d'or viendrait, mais pour les Grecs. C'est pour les Grecs que fleurirait le Jardin aux douze récoltes. C'est ce que Jésus dit aujourd'hui dans les Synoptisés : d'autres que les Juifs auront les fruits !

Au demeurant, le fond est le même. La prédication du Renouvellement du monde par un arrêt dans le temps ne pouvait que développer la paresse et la promiscuité : deux choses dont la vertu n'a jamais dérivé. Au Jourdain, les assemblées de fainéants sordides et de filles démoniaques avaient abouti à la plus répugnante crapule. Les apôtres qui font pleurer l'auteur des Lettres de Paul et dont l'auteur de la Lettre de Barnabé dit qu'ils ont surpassé tout péché, voilà les vrais, les seuls apôtres pendant plus de cent ans, vie qui est la primitive Église. Les christiens qui suivaient Péréghérinos sur les grands chemins d'Asie obtiennent par le chantage ce que les autres extorquaient par la Bique et la torche. Dès qu'il y eut des églises stables, où l'on exerçait les métiers de la ville avec cette âpreté au gain qui est la marque de l'origine commune, on redouta ces nomades, on eut de la peine à les chasser, ils venaient en frères, voulaient être traités en frères, s'asseoir aux tables, coucher dans les maisons, bayer au soleil, oints sans doute et christiens comme les autres, mais oints de paresse. La Didaché dénonce cette plaie : Si un artisan vient visiter la communauté et désire s'établir parmi vous, que celui-là travaille et qu'il mange ! Mais si le visiteur n'a point de métier, avisez selon votre prudence à ce que, sous prétexte qu'il est christien, il ne vive point parmi vous à ne rien faire. S'il ne veut point travailler, c'est un christemporos, un marchand de christ. Gardez-vous de telles gens ![183] Marchands de christ ! quel mot ! Bar-Abbas, voilà tout ce qu'ils ont à vendre ! Le cadavre d'un criminel, telle est leur marchandise, qu'ils travaillent, Comme ceux qui protestent ici, ou qu'ils ne travaillent Pas, comme ceux contre qui on proteste !

Libre, Péréghérinos revint à Parion. C'était une petite ville qui, avec cinq de ses voisines, ne valait pas cinq saille talents ; le souvenir du père assassiné y était encore vivace. On allait le venger, lorsqu'on vit paraître un homme à longs cheveux et à longue barbe, affublé d'un mauvais manteau, une besace sur l'épaule, un bâton à la main[184]. C'était le fils repentant, dans son costume de Péréghérinos. Le père ne pouvait plus tuer le veau gras, mais le fils se fit pardonner en déclarant aux habitants qu'il leur abandonnait le bien qu'il avait hérité. La colère publique tombe, on s'émeut, on l'acclame. Qui eût entrepris de parler de parricide aurait été lapidé sur-le-champ. Tranquille de ce côté, Protée reprend sa vie errante à travers l'Asie et la Grèce, suivi d'une troupe de christiens qui lui servent de satellites et l'entretiennent dans une abondance qui semble bien l'avoir perdu, car, un beau jour, ils le surprennent mangeant des viandes défendues (du porc, ou des viandes consacrées aux dieux)[185], son prestige s'évanouit et ils l'abandonnent. Adieu la recette !

Les christiens de Péréghérinos sont bien les forme listes étroits d'avant les Actes des apôtres, les Lettres de Paul et les ordonnances de Jésus sur la liberté des viandes. Pierre ne s'est pas encore assis i1 la table de Cornelius, Paul n'a pas encore tracé les limites du permis et du défendu, il ne s'est pas encore disputé avec Pierre, dans Antioche, à propos d'agapes partagées avec les païens, et rien que pour avoir sur' pris Péréghérinos mangeant des viandes impures selon la loi juive ou la kabbale particulière de la secte, les christiens le renient, eux qui lui pardonnaient ses crimes Mais il est permis de se demander si c'est la véritable cause de la rupture, car en Syrie, naguère, dans la ville où Péréghérinos fut emprisonné, nous avons vu les principaux chefs christiens s'assembler pour manger avec lui des mets de toute espèce, dans des agapes fraternelles. Est-ce Péréghérinos qui a rompu avec les christiens, ou les christiens qui ont rompu avec Péréghérinos ? Ou bien encore, une circonstance plus impérieuse que la question de régime l'a-t-elle obligé de renoncer au métier de christ ? Est-il possible d'admettre qu'il ait, pour une faiblesse si facilement réparable, abandonné le commerce de la grâce ? Ne vaut-il pas mieux croire qu'un préteur, conscient de son devon', mit fin aux scandales qui accompagnent fatalement ! genre d'exploitation ? Dans l'Âne d'or, Apulée n'a-t-il pas vu l'édile d'Hypate en Thessalie bousculer l'étalage allégorique des baptiseurs, jeter leurs poissons hors de la poissonnerie et les fouler aux pieds[186] ?

 

Xl. — Dégoûté des christiens dont il n'avait plus besoin, puisqu'ils ne rapportaient plus, Péréghérinos redemanda par requête à Antonin les biens qu'il avait abandonnés aux Pariens, car, se jugeant suffisamment absous par sa propre rémission, il ne voyait plus la nécessité d'acheter l'amour de ses concitoyens. Très spirituellement l'Empereur déclara la donation irrévocable.

Alors Péréghérinos alla en Égypte pour apprendre la philosophie du renoncement aux biens de ce monde, telle que l'avaient prêchée les Diogène, les Cratès et les Antisthène ; il se fit cynique à l'école d'Agathobule dans Alexandrie. Cet Agathobule, philosophe grec, avait été l'un des maîtres de Démonax, le plus parfait des hommes qu'ait connus Lucien[187]. Rival de Démétrius, d'Epictète, de Timocrate d'Héraclée, c'était une des grandes célébrités du siècle, son nom retentissait dans toute la Grèce. Mais vraiment on a peine à croire qu'il s'agisse de lui, quand on voit son élève la tête à moitié rasée, le visage barbouillé de boue (ou enduit de plâtre ?), commettre à la vue du peuple les actions les plus infâmes, cherchant à prouver qu'elles étaient du nombre de celles qu'on appelle indifférentes, se frapper et se taire frapper sur le derrière avec un bâton, exécuter des tours de force et commettre mille indécences ! Cela, c'est Péréghérinos avant Agathobule. Il y a là une transposition intéressée de l'un des passages où Lucien décrivait Protée avant qu'il ne fit métier d'être vertueux.

D'ailleurs quel dieu Protée dit-il être à partir de son séjour à Alexandrie ? Un dieu dont il n'avait jamais joué le rôle jusqu'alors, Hercule, patron de la secte cynique ; Hercule, le Fils de l'homme de l'Olympe païen, Hercule, dont les douze travaux sont une spéculation allégorique sur les douze signes du Zodiaque, Hercule sorti radieux des légendes locales, incorporé au soleil et accomplissant avec lui son évolution. Quand on tentait l'identification des dieux nationaux, c'est le Soleil, Verbe de l'Invisible, qu'on retrouvait partout dans la variété des animaux astrologiques qui lui étaient consacrés. Male Protée avait beau faire : pour les disciples d'Agathobule il était toujours le baptiseur et le christ asinaire. Agathobule ne choisissait pas ses auditeurs, il voue le dira lui-même, celui-là était le plus corrompu de tous.

Ce qu'a voulu l'Église en calomniant l'enseignement d'Agathobule, c'est atteindre Protée sous le nom qu'il prit pour renier les christiens en général et les jehouddolâtres en particulier. Ce nom, c'est Crescens. Il en prenait un différent selon le travail qu'il accomplissait et cette habitude, il la porta dans l'exercice de la philosophie cynique : le cynique à plusieurs noms, dit Lucien. Le masque de la vertu est le dernier qu'il posa sur sa face vieillissante ; et la liberté du gueuloir (comme eût dit Flaubert) qu'on tolérait de cette secte fut ce qui le détermina d'y entrer. Car d'Alexandrie il vint à Rome où il se mit à injurier tout le monde, Antonin lui-même. Insulter était un acte professionnel. Antonin n'y prenait garde, mais le gouverneur bannit le cynique, non sans quelque rumeur parmi la secte. On comparait Protée à Dion, à Musonius, à Épictète qui avaient eu les honneurs de l'exil pour avoir aimé la vérité.

C'est vers 155 qu'il habita Rome, étourdissant la ville de ses déclamations, n'avant plus de christien que l'envie et la rapacité. Autrement, et s'il y avait eu là, Comme la papauté le soutient, une Église où l'élément juif aurait été en minorité, il ne tenait qu'à Péréghérinos de s'en proclamer l'évêque en s'appuyant sur les épreuves qu'il avait subies dans les prisons de Syrie. Ayant habité la Palestine au milieu des presbytres et des docteurs de la foi, avec la réputation qu'il avait de faire des miracles il eût pu, s'il ne s'était pas suicidé à Olympie devant tant de témoins, occuper le Premier rang parmi les faux martyrs, et nous aurions aujourd'hui les Actes de Saint Pérégrinus, comme nous avons ceux de Saint Justin. Mais il parait bien que Pour se faire pardonner son passé de Palestine et de Syrie il a vécu à Rome sous le nom de Crescens et que, dans un livre terrible par sa franchise, il a séparé la secte dont il avait été le christ de celle qui adorait le juif crucifié pour ses crimes.

Et comment, aboyant contre tout le monde, eût-il niellage le seul Bar-Abbas ? C'est là sans doute et en te nouvel état que le vit Tatien, avec son épaule découverte, sa longue chevelure, sa barbe fluviale, ses ongles de fauve, sa besace, son manteau et son bâton. C'est contre lui, comme s'il pouvait l'entendre, qu'il invective : Homme qui rivalises avec le chien, tu ignores Dieu[188] et tu descends à l'imitation d'animaux liens raison ! Mais toi qui cries si fort en public et en imposes aux autres, tu sais défendre tes propres intérêts, et si on n'est pas d'accord avec toi, tu réponds par des insultes : la philosophie est pour toi un art d'acquérir !

C'est un fait reconnu par toute l'Église qu'un certain Crescens, philosophe cynique, emboucha la male trompette que Fronton, philosophe stoïcien, précepteur de Marc-Aurèle, et en sonna contre les jehouddolâtres. Et il semble bien par les martyrologes substitués à l'instruction criminelle que, convaincus de crimes, trois de ces jehouddolâtres, Ptolémée, Lucius et au troisième qu'on ne nomme pas, furent crucifiés par Urbicus, préfet de Rome sous Antonin. Pour donner le change sur ces exécutions analogues à celles de Carthage, l'Église a forgé la Seconde Apologie de Justin, dont l'auteur tient les propos les plus dangereux et les plus incohérents sur les Antonins, de manière à Se faire condamner à son tour pour avoir défendu des christiens avérés. Car, s'adressant à Marc-Aurèle lui-même, il dit de l'un des exécutés : Mourir, c'était pour lui être délivré de ses maîtres injustes pour aller auprès du Père et du roi des cieux. Le roi des cieux, c'est Bar-Abbas. Ce défi serait fort malhabile, si celui qui le porte n'était pas destiné, dans l'esprit du faussaire, à être envoyé au martyre pour avoir professé publiquement la même foi.

Justin, apôtre du Verbe platonicien, avait laissé la renommée d'un homme irréprochable. Il s'agit donc de préparer le public aux Actes du Martyre de Saint-Justin. Car, à partir d'une certaine époque, on convint que Justin, ayant été témoin dans une Première Apologie, devait avoir été martyr, à cause de la Seconde, conformément au jeu de mots qui a transformé tant d'inconnus en héros et tant de criminels en innocentes victimes : Moi aussi, dit-il, je m'attends à me voir poursuivi et attaché au bois du supplice par quelqu'un de ceux que j'ai nommés ou par Crescens, ce philopsophe (ami du bruit), et ce philocompe (ami de la parade). On peut en conclure que les Actes de son martyre sont tout prêts sur la table d'un moine du sixième siècle. Mais en attendant que l'Église les sorte, Justin demande à Marc-Aurèle de le convoquer pour lui démontrer que les écrits de Crescens sont un tissu de calomnies et un verbiage sans fondement : Le nom de philosophe ne convient pas à un homme qui nous accuse en public, alors qu'il ne nous tonnait pas, qui traite les christiens d'athées et d'impies pour plaire à une multitude égarée. S'il nous poursuit pour avoir lu les enseignements du christ[189], c'est un infâme, il est moins excusable que les ignorants ; eux, du moins, se gardent souvent de juger et de calomnier ce qu'ils ne connaissent pas. S'il les a lus, il n'en a pas compris la grandeur ; s'il l'a comprise, c'est pour n'être pas soupçonné d'être christien qu'il se conduit ainsi, et alors il est d'autant plus misérable et infâme ; il est esclave d'une opinion aveugle et insensée, il obéit à la crainte. Je lui ai proposé des questions sur ce sujet, je l'ai interrogé : or, j'ai pu me convaincre, je veux que vous le sachiez, qu'il n'en sait pas le premier mot. Pour prouver ce que j'avance, si vous n'avez pas eu connaissance de nos discussions[190], je suis prêt à l'interroger de nouveau devant vous : ce serait digne de votre puissance souveraine. Si vous avez eu connaissance de mes questions et des réponses, vous avez pu voir qu'il ne sait rien de notre doctrine. S'il la tonnait, et que, comme je l'ai dit plus haut, la crainte de ceux qui l'écoutent l'empêche de parler, il montre par là qu'il n'est pas ami de la sagesse, mais ami de l'opinion[191] : il méprise la belle maxime de Socrate : La vérité doit passer avant l'homme. Mais il est impossible qu'un cynique, qui place la fin dernière dans l'indifférence, connaisse un autre bien que l'indifférence[192].

Péréghérinos s'étant suicidé, on fait poser cette question par Crescens : Pourquoi ne vous suicidez-vous pas tous, puisque l'immortalité vous attend ?Pour deux raisons, répond Justin. La première, c'est qu'en nous suicidant, nous diminuerions le nombre déjà trop petit des disciples de la loi divine. L'autre, c'est que, nous disparus, Dieu n'a plus de raisons de conserver le monde ![193]

Oubliant en quel temps il est censé écrire, à qui il est censé parler, et spéculant sur le martyre de saint Justin, hier encore philosophe platonicien, le faussaire continue :

Personne ne crut Socrate jusqu'à mourir pour ce qu'il enseignait. Mais le christ, que Socrate connut en partiecar il était le Verbe et il est Celui qui est en tout, qui prédit l'avenir par les prophètes et qui prit personnellement notre nature pour nous enseigner ces choses, le christ fut cru non seulement des philosophes et des lettrés[194], mais même des artisans et des ignorants en général, qui méprisèrent pour lui et l'Opinion et la crainte et la mort ; car il est la vertu du Père !

Le pseudo-Justin ne se borne point à des généralités de cette sorte, il trace un tableau flatteur de l'héroïsme jehouddolâtre au milieu des persécutions qui peuvent atteindre les corps, mais non ces âmes innocentes et Près : Quand j'étais disciple de Platon, entendant les accusations portées contre les christiens et les voyant intrépides en face de la mort et de ce que les hommes redoutent, je me disais qu'il était impossible qu'ils vécussent dans le mal et dans l'amour des plaisirs... A l'instigation des démons... les impies ont condamné à mort plusieurs des nôtres sur des calomnies répandues contre nous ; ils ont mis à la question nos serviteurs, des enfants, de faibles femmes, et, par des tortures effroyables ils les ont, forcés à nous imputer ces crimes fameux, qu'ils commettent eux-mêmes ouvertement !... Rougissez, rougissez de charger des innocents de vos propres crimes, d'imputer vos fautes et celles de vos dieux à des hommes qui n'y ont pas la moindre part ! Repentez-vous et changez de conduite ! Et poursuivant avec impétuosité sa marche au martyrologe, il s'écrie : Je suis christien, je m'en fais gloire, et, je l'avoue, tout mon désir est de le paraitre !

Ce M'as-tu vu ? est impayable, mais qui l'a vu ?

Ce n'est certainement pas Marc-Aurèle, car il n'eût pas manqué de répondre :

Nous profiterons de cette séance pour vider la question que vous avez soulevée à propos de Semo Sancus, en qui vous voulez absolument voir Simo Magus, samaritain par enzônement. Nous devons vous dire que votre ignorance des dieux de Rome ne nous incite pas à accepter vos vues sur celui que vous nous proposez ; il nous est déjà suspect à cause de sa race et de son éloignement. Nous appelons Dii Semones les héros qui nous ont paru dignes d'habiter le ciel après leur mort. De ce nombre est Hercule qui passe pour avoir introduit la justice en Italie et à qui nos pères ont élevé des autels sur lesquels on avait coutume de prêter serment. Bien que vos oreilles soient fermées à tout ce qui touche les dieux païens, vous avez dû entendre jurer par Hercule. La lettre de l'empereur Hadrien, que vous voulez bien nous communiquer, contient même cette formule de serment-Vous en avez été scandalisé sans doute, mais vous n'ignorez pas à quel point ce prince était enfoncé dans le paganisme. Il faut lui pardonner, il n'a fait que suivre l'habitude, car Hercule est devenu chez nous le Dieu de la bonne foi ; et — excusez-moi de braver l'honnêteté en parlant latin, — le Deus fidius que nous invoquons si souvent n'est autre que le surnom d'Hercule. Nous sous-entendons me juvet, et par tout cela nous voulons dire : Que le Dieu de la bonne foi nous soit en aide ! Quoique cet Hercule ne vous plaise point, nous pensons que la foi romaine vaut celle qui préside à la rédaction des Évangiles, des Actes des Apôtres et des Lettres de Paul. Les Sabins, dans leur langue, disent : Semo Sancus au lieu de Deus fidius, mais c'est Hercule qu'ils invoquent ainsi, et c'est à lui, bien à lui qu'ils ont jadis élevé dans l'île tibérine l'autel dont vous poursuivez la démolition pour y substituer celui d'un Juif condamné pour trahison, assassinat et vol. Je ne vous citerai pas tous les auteurs latins qui constatent l'identité de Semo Sancus avec Hercule : Ovide, Properce, et plus récemment Silius Italicus, quand Rabbi Akiba et les deux fils de Jehoudda Toâmin honoraient Rome de leur présence.

Le sanctuaire que vous faites semblant de prendre pour le monument de Simon le Magicien est l'un des plus anciens et des plus vénérés de notre ville. Aussi ai-je le pénible devoir de vous dire que votre requête à fin de suppression, sous le prétexte qu'il est celui de votre Simon, excite dans tout le Sénat une hilarité qui s'est étendue à toutes les poules de Rome. La confusion que vous faites entre Hercule et Simon enlève au débat que vous sollicitez entre Crescens et vous une partie de la gravité convenable. Si vos yeux éclairent aussi mal Votre intelligence quand ils sont à Rome, comment Pouvez-vous espérer que nous les croirons quand ils Prétendent avoir vu Jésus-Christ ?

Crescens, avec sa gouaille cynique, aura facilement raison de vous devant les juges que vous réclamez. Aloi-même je ne puis me défendre d'une certaine méfiance à l'endroit de vos affirmations, car j'ai la foi la plus entière dans Fronton, mon précepteur, dont les renseignements concordent avec ceux de Crescens et Pas du tout avec les vôtres. Je vous engage donc à vous munir de toutes les pièces nécessaires à votre cause. De mon côté, je ne négligerai rien pour vous mettre en état de la soutenir avec éclat ; je regrette même qu'an lieu de la débattre dans une salle publique, vous ayez choisi mon palais, car j'aurai toujours l'air d'un homme qui dissimule à la postérité les Registres du cens de Quirinius[195] et les Actes de Pilatus. Vous voudrez bien m'apporter quelques renseignements sur votre adversaire Crescens ; il ne jouit d'aucune notoriété dans cette ville où l'on ne cannait guère que Péréghérinos, célèbre ici par son protéisme. Il vous sera facile de le retrouver, car il a été longtemps patriarche des christiens de Syrie, d'Asie et d'ailleurs, et il vous donnera le concours de ses lumières. Nous en avons besoin, car je vous dirai qu'ayant été jadis proconsul d'Asie, j'ai rencontré force platoniciens dont aucun n'avait ouï parler de ce Jésus si cher à Quirinius et à Pilatus. La Sibylle nous avertit que vous vous préparez, dans un avenir assez lointain, à falsifier Tacite à l'occasion de ce mémo Jésus. Ii semblerait juste à Semo Sancus que vous vous contentassiez de falsifier vos historiens sans toucher aux nôtres. D'autant plus que, si ce que vous ferez dire à Tacite est vrai, les disciples de Bar-Abbas ont brûlé huit quartiers de cette ville sous le règne de Néron. Cela ne vous mettra pas en très bonne posture pour plaider l'innocence de la secte devant un auditoire où les petits-fils des sinistrés seront fatalement en majorité. Demandez à l'évêque en exercice de vous assister dans cette épreuve, il est seul qualifié pour répondre au nom de Bar-Abbas dong il est le vicaire, ayant succédé à Pierre qui lui-même a été pape ici pendant vingt-cinq ans et trois mois. Vous n'avez pas l'air de vous douter de cela, et il faut que ce soit un païen qui vous l'apprenne. D'ici là priez sur le tombeau de Pierre qui est au Vatican, comme vous le savez de votre science certaine, mais ne vous trompez pas cette fois et n'allez pas prier dans le sanctuaire de Semo Sancus. Vous n'y trouveriez que des païens invoquant le Dieu de la bonne foi et faisant devant lui un serment inconnu Chez vous, celui de ne pas mentir !

 

XII. — Mais voici Protée de retour à Athènes où il aboie plus fort que jamais, parlant crûment de guerre Contre Rome comme d'une chose utile à la civilisation. Démonax le chypriote s'était fixé dans Athènes, de tous recherché pour son esprit, de tous honoré pour ses mœurs, de tous aimé pour son humanité. C'était pour la sagesse une manière de Socrate, dominant la philosophie elle-même, ne sacrifiant point aux dieux, inquiété même pour cette attitude réputée athéisme, néanmoins toujours content, toujours égal, toujours riant des faiblesses humaines. Péréghérinos, hargneux, envieux comme un christien, lui reprochait de ne point aboyer, peut-être même de ne point mordre : Démonax, lui disait-il, tu ne fais pas le chien. — Ni toi l'homme, Péréghérinos. Riposte à triple entente, visant à la fois les mauvaises mœurs de l'homme, ses théophanies féminines et son ancien état de christ.

Depuis longtemps, assidu aux jeux olympiques, excité sais doute par les railleries que lui valaient son ancien métier de Ressusciteur et sa prédication de l'Age d'or, Péréghérinos rêvait de vaincre la mort, de se baptiser définitivement dans le feu et dans l'Esprit-Saint, de s'en aller volontairement dans une évaporation divine (ainsi nommait-il la chose) devant toute la Grèce assemblée. Il ne pouvait admettre que le corps d'un Ressusciteur appartint à la terre !

Depuis l'Olympiade de 165 il annonçait le dessein de se brûler publiquement à celle de 169[196] pour être enfin reçu dans le sein de son Père ! Il voulait qu'on cessât de l'appeler Protée pour l'appeler Phénix, du nom de l'aigle qui renaît de ses cendres et se renouvelle lui-même. Car il avait fait une Apocalypse de circonstance où il prédisait, d'après des oracles vieux comme le monde, — lui aussi, devant qu'Abraham fût, était ![197] — qu'après sa mort il serait le Génie tutélaire des hommes dans les ténèbres. Il demandait des autels et une statue d'or, et déjà ses détestables disciples se proposaient de lui élever, sur l'emplacement de son bûcher, un temple dans lequel il rendrait des oracles, par la raison que le fils de Jupiter dont il portait le nom (il s'agit de Protée) avait le don de prédire l'avenir. Des compères excitaient les Grecs au culte de cette divinité nouvelle dont ils avaient si grand besoin. Déjà l'un d'eux, Théagène de Patras, qui devait être le vicaire de Protée et le pape de son Église, faisait circuler un oracle dans lequel la Sibylle disait : Lorsque Protée, allumant un grand feu devant le temple de Jupiter, s'élancera de la flamme et montera dans le vaste Olympe, j'ordonne que tous ceux qui se nourrissent des fruits de la terre l'honorent comme un très grand héros qui se promène pendant la nuit et s'assied sur le trône de Vulcain et d'Hercule. Et en effet si la vieille manie des grandeurs qu'il avait contractée poussait Protée à cette évaporation, ceux qui l'entouraient espéraient bien en vivre, notamment Théagène dont la besace était pleine d'un or acquis par ses fréquentes usures.

Quelques jours avant son évaporation, derrière le temple de Jupiter Olympien, Protée fit un discours testamentaire devant une foule considérable (il y eut des gens écrasés) ; il disait qu'il voulait couronner une vie toute d'or par une fin également d'or, finir comme Hercule après avoir vécu comme lui, ce qui suppose les douze travaux. Il parlait ainsi, sans réfléchir que les scélérats qu'on mène à la croix et ceux qui sont entre les mains du bourreau ont souvent une escorte encore plus nombreuse. Pareil à Jésus qui veut que pour venir à lui tous les Juifs portent leur croix et suivent Bar-Abbas dans la mort[198], Protée voulait que les hommes, apprenant par son exemple à mépriser le trépas, lui servissent tous de Philoctètes, c'est-à-dire qu'il leur léguait sa recette pour faire de nouveaux évaporés. II espérait que cette perspective empêcherait les assistants de se prêter à son dessein. Mais tandis que quelques-uns criaient : Conserve-toi pour les Grecs ! d'autres, plus nombreux, répondaient : Va jusqu'au bout !

Il fallut marcher. Protée construisit lui-même son bûcher à Harpine, ville située à vingt stades d'Olympie, et annonça qu'il se brûlerait la nuit suivante. Ce jour-là donc, après minuit, la lune levée, précédé de Théa gène de Patras, jouant le rôle de l'hiérophante, Protée dépouilla ses vêtements, mit bas sa massue[199], demanda de l'encens qu'il jeta dans le feu, se tourna vers le midi, en s'écriant : Ô mes génies paternels et maternels, recevez-moi avec bonté ! s'élança dans le brasier et disparut. Lucien assistait à cette évaporation, jugeant d'ailleurs que Protée avait commis assez de crimes et fait assez d'extravagances pour mériter de finir par le feu. Mais tout autre était le sens que les protéens donnaient à ce sacrifice. Le maître, que dis-je ? le Seigneur était tellement habile à passer dans le feu sans se briller que pour mourir il avait été obligé de le faire exprès ! On a enlevé de La mort de Péréghérinos tout ce qui pouvait nous renseigner sur cette faculté dont l'amiante est probablement le secret, mais on en retrouve la trace dans Les esclaves fugitifs où Lucien fait dire par Apollon parlant à Jupiter : Est-il bien vrai, mon père, qu'un homme s'est précipité dans un bûcher ardent, en face de ton temple d'Olympie ? C'était, dit-on, un vieillard assez adroit dans l'art de faire de pareils tours de force[200].

Au petit jour, Lucien s'en retournant à Olympie rencontra des gens qui venaient au bûcher, car le bruit s'était d'abord répandu que Protée ne s'évaporerait pas avant d'avoir salué le soleil levant, comme font les Brachmanes. Au milieu des fous qui, sans avoir rien vu, criaient à l'apothéose, il se moqua de ceux qui l'étaient le plus, leur racontant que la terre avait tremblé et fait entendre des mugissements lors de l'entrée de Péréghérinos dans le bûcher, et qu'un vautour sortant de la flamme s'était envolé vers les cieux en s'écriant d'une voix plus qu'humaine : J'abandonne la terre et je vais dans l'Olympe ! Sur la route il y avait déjà des groupes de pèlerins d'Emmaüs, parmi lesquels on soutenait qu'un instant après s'être brêlé, Protée était apparu revêtu d'une robe blanche et couronné d'olivier, qu'on l'avait vu se promener gaiement suas le Portique des sept échos. Quelques-uns disaient avoir vu, de leurs yeux vu, le vautour auquel Lucien venait de donner à la fois la naissance et la volée.

 

XIII. — Les dernières volontés de Protée étaient qu'on l'adorât comme un dieu ; et dans le testament qu'il avait fait remettre aux villes les plus considérables de la Grèce il donnait ses instructions, ses exhortations et ses lois. Il avait chargé quelques-uns de ses amis d'eu être les apôtres. Et qui prouve qu'ils n'étaient pas sept, comme les échos du Portique et les sept tonnerres de l'Apocalypse (et aussi les sept fils de Jehoudda le Gamaléen), ou douze, comme les Douze de la mystification actuelle ? Il les désignait sous le nom d'ambassadeurs de la mort et courriers des sombres rivages. Car, sans être jamais descendu aux enfers, comme fit Bar-Abbas quand il fallut occuper la journée qui s'est écoulée entre sa mort et sa disparition du Guol-golta, on ne peut douter que Péréghérinos n'en connût tout le détail par la kabbale christienne dont s'est également inspiré Valentin.

Le lendemain de l'évaporation de leur maître, les apôtres de Protée étaient déjà sur les routes de Thessalie et de Macédoine depuis longtemps ouvertes à l'imposture jehouddolâtrique. Ils portaient aux villes son testament, tout plein d'excellentes choses prises aux Agathobule et aux Démonax. Déjà ses reliques se yen-chient au prix qu'ils en demandaient[201]. Honteuse du travail que font ces cyniques, lions d'aspect, mais dont le braire hardi ne décèle que trop l'origine asinaire, fuyant Olympie et Harpine, la Philosophie se retire auprès de Jupiter, elle n'a pas voulu assister à l'évaporation de l'âne à la peau de lion ! Elle quitte le monde que prépare la religion de l'Ane d'or, la Révélation d'un Protée succédant à celle d'un Bar-Abbas : On verra bientôt, dit-elle, quels maux produira ce dangereux exemple ! Tous les artisans vont abandonner leurs ateliers, et laisser les métiers sans exercice, lorsqu'ils réfléchiront que, soumis à un travail rude et pénible' courbés du matin au soir sur leur ouvrage, ils ne gagnent qu'un modique salaire, à peine capable de fournir à leur subsistance, tandis qu'ils voient des paresseux et des imposteurs nager dans l'affluence de tous les biens, demander avec une insolence tyrannique et recevoir aussitôt, s'irriter lorsqu'on leur refuse quelque chose, et ne donner de louanges que quand on les a payées. Ils croiront qu'en les imitant le siècle de Saturne[202] va renaître pour eux et que le miel va couler des cieux dans leur bouche ![203]

L'âge d'or porté sur l'âne d'or[204], voilà ce que ce genre d'apôtres annonce aux villes. Cependant, disent-ils, de l'or ou de l'argent, je suis loin de vouloir en posséder ! Une obole me suffit pour acheter quelques lopins ! Et un instant après ils vous demandent non des oboles, ni des drachmes, mais des trésors entiers. Il n'est point de marchand à qui la charge de ses navires produise autant d'argent que ces hommes en retirent de leur philosophie ! Ensuite, lorsqu'ils ont accumulé une fortune assez considérable et qu'ils ont assuré l'avenir, ils jettent loin d'eux ce misérable manteau, ils achètent des vêtements précieux, des esclaves à chevelure flottante, des campagnes, des bourgades entières !

Sur ce thème Lucien brode une parabole obscure, dont un de nos hellénistes les plus sagaces[205] a dit très justement : Le seul tort de Lucien a été d'écrire pour un public bien renseigné et de ne pas songer assez à celui qui le lirait plus tard. Ce tort a été terriblement aggravé par une catégorie d'hommes dont l'intérêt était qu'on cessât de comprendre. Car Lucien observe que la vieille Attique ne vaut rien pour les apôtres de Péréghérinos, elle est trop pauvre. C'est où l'on tire l'or et l'argent des entrailles de la terre, c'est vers la Thrace, ce Transwaal antique, qu'ils ont porté leurs pas, s'y dirigeant par les vallées de la Thessalie et la Macédoine. Déjà dans Philippopolis, la ville aux trois collines[206], ce ne sont que Ctésons, Ctésippes, Ctésiclées, Euctémons, Polyctètes[207], jadis esclaves et dignes de le redevenir, aujourd'hui possesseurs par la tonte des moutons que les mines ont enrichis.

Indignée de la fortune de ces imposteurs, la Philosophie redescend sur la terre avec Mercure et Hercule pour livrer aux dieux le Paphlagonien, le barbare de Sinope, auteur de tout le mal. Elle a de la peine à le découvrir, mais Orphée sait où se cache celui qui, plagiant ses mystères, y a ajouté l'idée toute christienne de la monopolisation de l'or. Il indique la maison où il demeure, mais il ne veut point le voir, tant il en a honte. On le retrouve chez l'hôte dont il a enlevé la femme quand il habitait l'Arménie sous le nom de la Barque[208]. Il annonçait déjà une telle vocation de tondeur qu'il s'employait à tondre le duvet du drap dans la boutique-Dès lors il n'a cessé de se passer au foulon[209]. D'abord il s'est fait prophète. Corbeau dont les croassements fatiguent l'oreille, il a osé disputer contre les dieux. Ensuite il s'est fait christ à tête d'âne, enfin cynique : chien par devant, lion par derrière, âne au dedans, c'est toute une ménagerie. Ô ma pauvre femme ! s'écrie l'hôte trompé, que tu as dû souffrir de tous ces chiens ! On dit qu'elle est grosse de leur fait !

S'il en est ainsi et que l'enfant ressemble à son père, il aura trois têtes d'âne, car il est évident que Diogène[210] et Hercule ne sont pour rien dans sa confection. On comprend la douleur de l'hôte, il n'avait jamais souhaité un pareil châtiment pour sa femme !

C'est le maître de philosophie de Protée qui fait cesser l'imbroglio, c'est Agathobule venu d'Égypte Pour démasquer ce disciple indigne : il se saisit de lui, met la main dans sa besace, il en tire une ceinture d'or. Il en arrête un autre : le Blanchisseur[211], un autre encore : le Millesouffle[212]. C'est le même homme-protée nous les trois faces de son ancien métier de Péréghérinos : Barque, Blanchisseur et Millesouffle. Car les trois ne font qu'un, et lorsque Mercure juge ce cas de protéisme, il n'ordonne qu'au seul Péréghérinos de rendre sa besace et son bâton, après quoi il offre à l'hôte trompé de reprendre sa femme, mais celui-ci refuse énergiquement : Je ne veux point reprendre une femme prête d'accoucher de quelque vieux livre !Comment ? dit Mercure qui fait l'étonné. De quel livre ?Oui, mon cher, répond l'hôte. N'en avons-nous pas un intitulé A trois têtes[213] ?Rien d'étonnant à cela, dit Mercure, puisqu'il y a aussi des A trois phallus[214] parmi les auteurs comiques !

Le livre dont il est question ici, c'est l'Apocalypse où le mari de la femme qui accouche donne un livre à son enfant devenu homme, et cet homme est représenté dans les caricatures, tel qu'il est adoré dans les assemblées, avec une tête d'âne[215]. L'hôte trompé en Arménie par un christ doit donc s'attendre à ce que l'enfant de sa femme ait trois têtes, toutes trois d'âne, puisqu'au fond le père n'est ni Hercule ni philosophe cynique, mais un véritable âne. Il aura fatalement trois têtes et trois phallus asinaires.

Le jugement de Mercure résout la difficulté. Pour empêcher que la femme ne produise un tel monstre, elle retournera avec son mari. Protée sera puni sous ses trois faces : Hercule aidant, La Barque qui s'est fait cynique sera pendu par la barbe sous le nom de Crémante[216] pour le récompenser de sa scélératesse ; le Blanchisseur continuera à laver le linge sale des gens malpropres, et quant à Millesouffle, — ainsi l'appelait-on quand il était à Alexandrie dans l'école d'Agathobule, — il raccommodera les vieux habits, ce qui au premier abord semble un métier nouveau pour lui, mais il est bien dit au contraire que c'est une continuation[217]. En outre, le châtiment de Millesouffle sera d'être fouetté avec des feuilles de mauves, comme on faisait aux adultères, d'être épilé pour ressembler à une femme, et d'être exposé sur le Mont Remus, les deux pieds dans la neige[218]. Mais auparavant, lui dit Agathobule, dépouille-toi de cette peau de lion, pour que tout le monde connaisse que tu n'es qu'un Âne !

 

XIV. — L'évaporation du Ressusciteur et sa réunion au Père ont eu une influence décisive sur la rédaction des Evangiles seconde manière. Bar-Abbas ne pouvait être au-dessous de ce païen, qui pendant quatre ans avait annoncé sa mort volontaire, suivie de ce qu'on estimait être une ascension spirituelle. C'est alors que Jésus se mit à prédire qu'il serait crucifié, mais qu'il ressusciterait infailliblement après trois jours. Encore ne soutient-il cela que pendant six mois, ce qui laisse un avantage énorme à Péréghérinos. Qui sait même si le tremblement de terre qui accompagne aujourd'hui sa mort dans Matthieu ne provient pas de celui qu'a inventé Lucien pour souligner l'entrée de Péréghérinos dans le bûcher ? Car, il ne faut pas s'y tromper, la mort du Ressusciteur fut l'événement du siècle dans le monde des christiens non circoncis. Et Puis, si ridicule qu'il eût été, il l'avait été beaucoup moins que Bar-Abbas, il avait montré du courage, il n'avait pas fui de peur d'être arrêté, ses compagnons ne l'avaient point abandonné, ils avaient assisté à sa mort pour constater son ascension et en témoigner. Des personnes étrangères à sa famille et, semble-t-il, à toute idée de spéculation, l'avaient vu en robe blanche sous le Portique aux sept échos, tandis que personne n'avait revu Bar-Abbas depuis son enlèvement du Guol-golta. Enfin sa morale avait pu, sans aucun effort, s'élever à des hauteurs que Bar-Abbas n'avait pas soupçonnées. Il n'avait eu, sans rien changer aux mauvaises habitudes de toute sa vie, qu'à copier servilement les bons préceptes de la secte cynique et à les insérer dans les Evangiles. Jésus, quand il n'est pas juif, ressemble beaucoup plus à Protée qu'à Bar-Abbas.

L'Église n'a pu renier complètement un homme qui avait illustré l'Évangile et fourni le modèle des collectes de Paul[219]. Après tout ce qu'on sait de Protée, ce n'est pas sans une véhémente surprise qu'on rencontre dans Aulu-Gelle un éloge pompeux de Pérégrinus. Qu'Aulu-Gelle ait vu le Ressusciteur, il y parait bien, mais on ne peut douter qu'il ne partageât l'avis de Lucien, de Démonax et de Tatien, et ne s'exprimât sur son compte avec encore plus de sévérité, car étant à Rome, il recherchait surtout la société de Fronton, et à Athènes celle d'Hérode Atticus qui avait été consul avec Fronton. De plus, après être passé par le barreau : il fut adjoint au préteur de Rome, et les consuls lui confièrent à juger des affaires extraordinaires. Son plus grand ami était notre Favorinus d'Arles, un familier d'Hadrien et d'Antonin.

Or, que lit-on aujourd'hui dans Aulu-Gelle ? Ceci[220] : J'ai connu à Athènes le philosophe Pérégrinus que l'on surnomma ensuite Protée : c'était un homme aux mœurs graves, à l'âme constante ; il habitait une chaumière hors de la ville, j'allais souvent le visiter, car ses entretiens étaient pleins d'honneur et d'utilité. Mais ce que j'ai recueilli de plus remarquable de sa bouche, c'est ceci : — suit une courte dissertation sur ce juge intérieur que tout homme porte en lui quand il écoute, et qui s'appelle la conscience — Si les hommes savaient que rien ne peut rester longtemps caché, dit Pérégrinus, ils seraient détournés du péché par la honte. Là-dessus il cite ce vers de Sophocle : Ainsi ne cache rien ; car le temps, qui voit tout et entend tout, révèle tout. Pourquoi le faux Pérégrinus ne cite-t-il pas au faux Aulu-Gelle les passages de l'Évangile où il est dit : Il n'y a rien de caché qui ne soit révélé ? Ce serait beaucoup plus simple. Mais alors il faudrait avouer qu'on a interpolé Aulu-Gelle après avoir supprimé tout le livre dans lequel il parlait de Péréghérinos le Ressusciteur[221].

Lucien avait prévu qu'au dieu Protée il serait élevé des statues ; il en eut en effet, sinon à Philippopolis, du moins à Parion et à Troas ; elles rendaient des oracles et faisaient des prodiges, tout comme si elles eussent été des images de Bar-Abbas. Dans l'Apologie qu'elle a mise sous le nom d'Athénagore et adressée à Marc-Aurèle et Commode, l'Église se montre fort jalouse de cette apothéose. Est-ce parce que Protée n'était pas Juif ? Elle l'appelle Néryllinos ; ce diminutif du nom de Nérée, dieu marin comme Protée, convient assez à notre Mysien. D'ailleurs, en dehors de cette mention, personne n'a jamais entendu parler de ce Néryllinos auquel on éleva un monument dans Troas sous Marc-Aurèle. Le prétendu Athénagore regrette donc qu'on entende un si grand bruit dans Troas où les fils d'Alexandre le forgeron[222] travaillent aux statues de Néryllinos. Quand elles sont dressées sur les places publiques, elles font des miracles, l'une d'elles répond à ceux qui la consultent, elle guérit les malades, les habitants lui offrent des sacrifices, la couronnent d'or, la couvrent de présents. Pourtant ils ont connu Néryllinos à l'état d'homme ! Athénagore gémit de ces choses.

Pourquoi les fils d'Alexandre le forgeron n'emploient-ils pas leurs talents à faire les images de Bar-Abbas mué en Jésus et celle de Saül qui, mué en Paul, a ressuscité quelqu'un dans Troas même ?[223]

De tous ces faits, qui associent dans la même mesure le burlesque et l'attristant, une moralité se dégage, la seule ! Voilà un homme qui, condamné pour adultère et pour détournement de mineur dans son extrême jeunesse, obligé de s'exiler pour avoir étranglé son père, peut prophétiser contre Rome, se faire christ, baptiser, chasser les démons, former ou conduire une bande de christiens, lever tribut sur les villes avec ces étranges Publicains, rançonner la Syrie, l'Asie et la Grèce, Passer indemne à travers toutes dénonciations et toutes charges, reprendre librement son industrie, donner à tous pendant quarante ans le spectacle de scandales énormes, insulter tout le monde, les empereurs eux-mêmes, avec d'anciens consuls du premier mérite Comme Hérode Atticus, sans qu'à aucun moment sa vie ait été menacée à raison de son christat, de son christianisme et de ses révélations, quelles qu'elles fussent !

Cette constatation a donné naissance au martyre de Polycarpe que l'Église a placé quelques années avant l'évaporation du Ressusciteur, de manière à montrer fille le récit de Lucien était une malsaine parodie Inspirée par l'esprit païen. Le faussaire avance d'abord que le père des christiens, le docteur de l'Asie, n'est nullement Péréghérinos, mais Polycarpe de Smyrne, adorateur de Bar-Abbas. Polycarpe prédit qu'avant trois jours il sera brûlé tout vif ; le lieutenant de police, nommé Hérode, le fait arrêter, on le met sur une bête de charge, qui ne peut être qu'un âne, on le mène au proconsul Quadratus, devant lequel il confesse hautement la divinité de Bar-Abbas, la foule crie : Qu'on ôte les impies, qu'on perde les impies ! on le condamne au feu. Avant de monter sur le bûcher, il prononce un discours, il se dépouille de ses vêtements, la flamme s'élève, mais, ô miracle ! elle s'arrondit en la forme u une voile de navire enflée par le vent[224], et le protège contre une incinération déplaisante. Son corps prend la couleur de l'or et exhale toutes sortes de parfums, dont l'agrément contraste avec la mauvaise odeur qui s'est échappée du brasier d'Harpine[225]. A ce signe et à d'autres, parmi lesquels est l'envol d'une colombe, la foule reconnaît d'elle-même qu'il y a une très grande différence entre la mort d'un christien et celle des autres hommes, elle se précipite pour avoir le corps du martyr, mais le démon s'oppose à ce que les fidèles puissent emporter ce trésor, il suggère au proconsul l'idée de le leur refuser, parce que, s'ils parviennent à l'avoir, ils abandonneront le culte du crucifié pour celui de l'incinéré[226] ! Douze autres martyrs sont brûlés avec lui. Mais il ne partage sa gloire avec personne et, pour toute l'Asie, il reste ce qu'il n'a pas cessé d'être pendant sa longue vie : le Maître et le Docteur. Le frère qui porte cette relation à l'Église de Philadelphie, de la part de celle de Smyrne, ne s'appelle pas Lucien, mais Martien[227].

 

XV. — Pour abolir le terrible témoignage de Péréghérinos-Crescens contre Bar-Abbas pendant son séjour à. Rome, l'enzônement de Justin était tout à fait insuffisant. Testis unus, testis nullus. L'Église a trouvé le second témoin exigé par le Deutéronome, elle a enzôné Tatien qui, dans son Discours aux Grecs, avait parlé de Péréghérinos considéré sous deux de ses faces l'homme-protée et le philosophe cynique.

Assyrien de naissance, grec de langue, chrestien d'idées, acceptant presque avec orgueil le nom de barbare que lui donnent les Grecs et les Romains — et peut-être les Juifs, pour qui tout goy est une bête —, Tatien S'est porté avec une grande vigueur contre Bar-Abbas et le baptême de rémission. Il est faux, comme le dit l'Église dans Tertullien[228], qu'il suive entièrement Valentin, il est même douteux qu'il le connaisse. Mais en un point il est valentinien parfait : il professe que Jésus n'existe point. Comment aurait-il pu être dupe de la mystification évangélique, lui qui était du pays de Jouas, et qui avait pu voir en rêve la Baleine ramener le Prophète sur les bords du Tigre ? Proie des Romains et proie des Parthes, cette région était de cœur avec le Verbe, pourvu qu'il ne fût pas juif. Juif, il l'eût épouvantée. Autant valait conserver les dieux du pays et Ceux de l'Empereur. Venu à Rome sous Antonin, Tatien suivit la même voie que ce Justin, grec de Samarie, sur lequel on ne sait plus rien depuis son enzônement, sinon que, tenant pour Dieu, il était contre Bar-Abbas.

Tel Tatien. Son livre contre les révélations et la personne de Bar-Abbas avait pour titre Les problèmes[229]. Eusèbe, évêque de Césarée, l'a eu et, naturellement, il l'a supprimé. Selon ce qu'il eu dit maintenant, Tatien promettait de dévoiler, d'éclaircir iles obscurités et les mystères des Livres Saints. Que faut-il entendre par ces Livres Saints dont il montrait les obscurités et éclaircissait les mystères ? N'aboutissaient-ils point aux Paroles du Rabbi ? A partir des Problèmes, Tatien est classé parmi les hérétiques. S'il n'y traitait que de l'Ancien Testament, comment a-t-on pu le déclarer hérétique relativement aux jehouddolâtres ? N'y traitait-il pas un peu et beaucoup du Messie promis par les Écritures, et ne protestait-il point contre la prétention peu respectable que Bar-Abbas avait émise dans les siennes, au détriment du Logos universel, universel comme Dieu lui-même ? Car Tatien, revendiqué d'abord par l'Église à cause de sa conception du Logos, est déclaré par elle hérétique à cause de ses Problèmes. Qu'y avait-il donc dans ces Problèmes désastreux ? Une démonstration de l'imposture de Bar-Abbas, démonstration par où Tatien préparait Marcion et les Marcionites ? Sans nul doute, car, dès ce jour, Tatien est dit apostat par l'Église opérant dans Irénée. Il serait tombé dans le piège des Gnostiques, en imaginant toute une mythologie d'Æons dans le genre de celle de Valentin. C'est tout bonnement celle des douze Æons, qu'il avait trouvée dans les Paroles du Rabbi, et il ne la produisait que pour la combattre, car niant le salut par les Juifs et la résurrection des corps, il soutenait qu'Adam ne pouvait être sauvé, en d'autres termes, qu'il était en naissant condamné à mort, tel Bar-Abbas, avec cette différence que celui-ci n'avait été condamné qu'à cinquante ans.

En effet, Tatien voulait qu'on fit table rase de tous les dieux et de tous les cultes pour en revenir au principe unique de toutes choses, le Logos. Il bataillait Contre toutes les divinisations d'hommes, contre toutes les métamorphoses, contre toutes les ascensions : il raillait la crédulité de ceux qui, poussés par des imaginations impies, plaçaient dans le ciel, au milieu des astres, les héros et les souverains qui avaient vécu. Et dans les Problèmes, il disait des évangélistes ce que dans le Discours aux Grecs il disait des gens qui avaient envoyé, après sa mort, Antinoüs dans la Lune : Qui donc l'y a fait monter ? A moins que pour lui, anurie pour les souverains, il ne se soit trouvé quelqu'un qui, se parjurant à prix d'argent et se riant des dieux, ait prétendu l'avoir vu monter au ciel, ait été cru sur parole, et, avant ainsi divinisé son semblable, ait reçu honneurs et récompenses ? Et Tatien se fâche : Pourquoi me dérobez-vous mon Dieu ? Pourquoi déshonorez-vous sa création ? Nous sommes sous Marc-Aurèle et, comme le dit Jésus dans Cérinthe, personne n'est encore au ciel, assis à la droite de Dieu. Si Paul eût existé, Tatien l'eût considéré comme le plus misérable des imposteurs.

S'il est contre les ascensions, il est aussi contre les résurrections. Il n'eût admis ni celle de la fille de Jaïr, ru celle de Jacob junior, ni celle d'Éléazar, encore moins celle de Bar-Abbas. Il ne croit ni aux évocations fi aux apparitions, ni aux conjurations magiques pro-luisant des effets sensibles. La mort, c'est l'inaction, ta privation de mouvement et même de sensation : mauvaises conditions pour revenir au mont des Oh-vlan ; pendant quarante jours, manger du poisson et du miel et se promener sur les bords du lac de Génésareth ! Non, pour Tatien, point de revenants. Il insiste, et sa pensée se portant vers l'abominable idée d'où est sorti le mythe de Jésus : Comment celui qui est mort de la mort la plus lamentable pourrait-il servir à la vengeance de quelqu'un ? S'il en était ainsi, n'aurait-il pas commencé par s'en servir contre son propre ennemi ? S'il peut venir en aide à autrui, à plus forte raison pourra-t-il se venger lui-même ?[230] Voilà qui est catégorique.

Mais Tatien, par sa théorie du Logos, rentrait dans le plan des enzôneurs, puisque selon Cérinthe Bar-Abbas est la lumière de ce Verbe qu'on lui a ensuite incorporé sous le nom de Jésus. L'Église dans Eusèbe a donc trouvé bon que Tatien parût avoir admis cette incarnation, à la suite de Justin préalablement interpolé de tout un Évangile. C'était un témoin tiré du camp assyrien : témoin utile contre les Saturniliens et les Cerdoniens et plus encore contre les christiens qui avaient quêté au bénéfice de Péréghérinos sous Antonin. Car, s'appropriant ce merveilleux système des collectes, l'Église avait inventé Paul qu'elle présentait comme ayant quêté pour les apôtres sous Claude et sous Néron.

Il fallait donc que Tatien eût connu le ministère de Paul sans avoir jamais entendu parler du christat de Péréghérinos. Un seul homme avait pu lui révéler Jésus et l'Apôtre des nations ; cet homme, c'est Justin à qui l'Église prête les deux Apologies qu'elle a datées d'Antonin le Pieux. Depuis qu'elle a enzôné Justin de cette façon, elle le dit maître de Tatien[231]. Mais Justin qui aurait été maître de Tatien ne souffle mot de ce brillant élève, lequel, avant son enzônement, ne soufflait mot de Justin.

Aujourd'hui, dans le Discours aux Grecs, il cite Justin et le dit admirable. Après avoir jehouddolâtrisé à Rome ensemble, ils sont dénoncés par Crescens et ont quelque peine à échapper des griffes de ce cynique[232]. Mais Tatien n'ajoute pas que Justin ait été son maître ni qu'il ait été martyr, et la seule chose qu'on voie bien dans tout cela, c'est qu'il y eut à Rome, en même temps que Justin et Tatien, un certain Crescens enragé contre ceux qui proposaient Bar-Abbas pour dieu. Ce Crescens, dont on ne connaît l'existence que par Justin et Tatien préalablement enzônés, ne peut être qu'un des pseudonymes de Péréghérinos pendant la période cynique de sa carrière protéiforme. Car l'Église dans Justin parle de Crescens et feint de ne pas connaître le séjour de Péréghérinos à Rome, tandis que Tatien y a vu Péréghérinos et ne cite Crescens que par ordre de l'Église. Nous sommes en 160 au moins lorsque Tatien publie son Discours aux Grecs, et il ne connaît qu'un individu qui, à un moment donné, ait été confondu avec les disciples de Bar-Abbas : c'est Péréghérinos. De plus s'il a lutté avec Justin contre Crescens, il n'en est pas plus mort que sou admirable maître. Enfin, dix ou douze ans après, il s'élève contre Bar-Abbas et les Juifs dans ses Problèmes.

Puisqu'il n'y avait pas moyen d'exhiber ces fâcheux Problèmes sans se condamner à mort, il ne restait dans la vie de Tatien qu'un moment où il pût être paulinisé, c'est celui qui répond à la publication du Discours aux Grecs. On avait fait trop de faux sous le nom de Justin pour ne pas en mettre quelques petits — à peine gros comme ça — dans ce morceau. Les sophistications et interpolations ecclésiastiques apportent un grand trouble dans l'examen des idées de Tatien. Ces substitutions marquent de vaines tentatives pour subordonner le Logos universel à son incarnation en Bar-Abbas selon les auteurs des Lettres de Paul ; il en est d'inintelligibles et que les commentateurs les plus subtils ont dû abandonner, faute d'en avoir soupçonné la provenance. Celle-ci par exemple qui est un renvoi à Paul : L'esprit de Dieu n'est point en tous... Les âmes qui ont obéi à la sagesse ont attiré en elles l'Esprit... tandis que celles qui ne l'ont pas écoutée et qui ont répudié le ministre du dieu  qui a souffert se sont montrées les ennemies de Dieu plutôt que ses adoratrices. Ce ministre, c'est Paul, et le dieu qui souffert, c'est Bar-Abbas. Les Lettres de Paul sont souvent mises à textuelle contribution par l'arrangeur ecclésiastique de Tatien.

Si, depuis les leçons jehouddolâtriques de Justin, Tatien a écrit contre Bar-Abbas, il a fallu qu'il apostasiât dans l'intervalle. Dans Irénée l'Église fait Tatien postérieur à Marcion. Les sectateurs de Saturnil et de Marcion qu'on appelle les Continents contestent le salut du premier homme (Adam). C'est la trouvaille que vient de faire chez eux un certain Tatien : le premier[233], il a mis en circulation ce blasphème. Tatien avait été auditeur de Justin et, aussi longtemps qu'il vécut avec lui, il ne raconta rien de pareil ; c'est après son martyre qu'il est sorti de l'Église : poussé par l'orgueil d'être maître à son tour, il a cru ne pas penser comme les autres et il s'est organisé un système à lui propre. C'est une mythologie d'Æons invisibles, semblables à ceux de Valentin ; il proscrit le mariage, corruption et souillure, comme disent à peu près Marcion et Saturnil ; il nie le salut d'Adam : voilà ce qu'il a trouvé... tout seul ! Vous le voyez, quand un gnostique a refusé de reconnaître l'existence de Jésus, on le traite d'apostat : apostat de l'Église. On l'a dit de Marcion, on le dit de Tatien. Mais Marcion, Tatien et leurs disciples rte sont pas des hommes qui ont renié l'Église après y être entrés, ce sont des gens qui ont refusé d'y entrer parce que son origine les aurait forcés d'en sortir.

 

 

 



[1] Histoire ecclésiastique, III, ch. XXXII.

[2] De l'E. C. Nous avons prévenu le lecteur que, lorsque nous serions vaincus par l'usage, nous nous servirions de la chronologie imposée à l'histoire par l'Église. Nous avons prouvé qu'elle était mensongère, cela suffit à notre décharge.

[3] Par la vérité de l'Église, il faut entendre que Jésus a existé et qu'il a été crucifié après la pâque, c'est-à-dire après l'Eucharistie.

[4] Eusèbe, III, ch. XXVIII.

[5] Cf. L'Évangile de Nessus.

[6] Cf. L'Évangile de Nessus.

[7] Cf. L'Évangile de Nessus.

[8] Et n'avait point à l'être, sinon avant son mariage. D'après la transcription grecque d'Akiba, l'enfant qui, sous le nom d'Immanouel, n'avait pour principale nourriture que du beurre et du miel jusqu'à ce qu'il fût capable de rejeter le mal et de choisir le bien (Isaïe, VII, 15) devait naître d'une jeune fille ou mieux d'une jeune femme (c'est ainsi que traduit M. Zadoc Kahn), et non d'une vierge par destination, comme l'Église l'entend du mot parthénos qu'elle a introduit dans la Version des Septante.

[9] Disciple de Jehoudda le Gamaléen, surnommé Panthora (toute-la-loi).

[10] Cf. Les Évangiles de Satan, première partie.

[11] Cf. L'Évangile de Nessus.

[12] C'est Pierre, évêque d'Alexandrie vers le milieu du VIe siècle, qui a transmis ce dernier détail, inconnu avant lui, et cela nous donne grande confiance dans la Chronique d'Alexandrie où se trouve ce témoignage !

[13] C'est-à-dire commémorant Bar-Abbas le 14 nisan, veille de la Pâque.

[14] Épiphane, in Panario, et Philastrius.

[15] Cf. Les Évangiles de Satan, première partie.

[16] C'est-à-dire conforme à la doctrine de Jehoudda Panthora.

[17] Épiphane dit que la confrérie de Thyatire, — la première celle d'Hiérapolis, — était cataphrygienne.

[18] Cf. Les Évangiles de Satan, première partie.

[19] Épiphane, Contra hæreses, section IV.

[20] Cf. Les Évangiles de Satan, première partie.

[21] Cf. Les Évangiles de Satan, première partie.

[22] Il semble par là que cet Hégésippe, non moins juif que Papias, mais plus menteur, ait mis en forme les Évangiles aujourd'hui connus sous le nom de Matthieu, de Marc et de Luc, et facilité les Actes des Apôtres.

[23] Jeune fille, lève-toi !

[24] I-e-o-a, le mot du Plérôme.

[25] Notamment le b avec le f.

[26] Le fameux Contra hæreses. Grégoire le Grand, pape (de 599 à 604 de l'E C.) se plaint à un évêque de Lyon que, malgré toutes les peines qu'il a prises mêmes de faire chercher les écrits d'Irénée et les mémoires de sa vie, il n'a jamais pu les trouver ! Cela n'a rien d'étonnant. Toutefois, Grégoire n'est point aimable pour celui qui, des siècles avant le Liber pontificalis, a prédit la liste officielle des premiers papes. Et ce dut être une grande mortification pour l'évêque de Lyon, contemporain de Grégoire, de le voir aussi mal renseigné, malgré toutes ses recherches sur la vie et les écrits d'Irénée.

[27] Mâran, seigneur. On peut même se demander si ce que nous disons des Paroles du Rabbi n'était pas appelé Paroles du Mâran.

[28] De là toutes les séméiologies sur la multiplication du pain et du vin dans les Évangiles.

[29] Il y a aujourd'hui : Jochanan, disciple de Jésus.

[30] Les Zékénim ou anciens : Philippe, Toâmin, Mathias, Theudas, etc.

[31] Voyez les paraboles qui exploitent ces chiffres dans Les Évangiles de Satan, première partie.

[32] Mesure grecque employée par Cérinthe dans les Noces de Kana et certainement inconnue de Bar-Abbas.

[33] L'auditeur de Jochanan et le compagnon de Polycarpe, un homme des anciens temps. Des anciens temps ? Comment le pseudo-Irénée compte-t-il donc ? C'est le plus moderne de tous ses témoins !

[34] Même coupe que le Contra hæreres. On voit que le véritable Irénée n'a jamais rien écrit ; il possédait simplement les cinq livres de Papias qu'il avait peut-être traduits en grec.

[35] Sur quoi le pseudo-Irénée écrit : Comme Juda le traître n'y croyait pas et interrogeait : Comment donc le Seigneur produira-t-il de telles choses ? le Maître répondit : Ceux qui viendront alors le verront.

[36] En remplacement de qui aura lieu après le retour de Bar-Abbas et la ruine de toutes les nations qui lui résistent on a mis : après la venue de l'Antéchrist et la ruine de toutes les nations qui lui obéissent.

[37] Ainsi l'a dit dans l'Apocalypse (le faussaire veut parler de celle de Pathmos), Jochanan, disciple du Seigneur, alors qu'il y avait Joannès et qu'il s'agissait de l'Apocalypse de Gamala.

[38] Ceci d'après l'Évangile de Cérinthe. On a même utilisé un passage de la Première lettre de Pierre !

[39] Cf. L'Évangile de Nessus et Les Évangiles de Satan, troisième partie.

[40] Contra hæreses, II, 32.

[41] Livre II, 31.

[42] Contra hæreses, V.

[43] Hypotyposeon, VI.

[44] Anticelse, IV, 55.

[45] Cf. Maximus, dans les Commentaires sur Denys, De mystica theologia.

[46] Disciple de Manès mort au milieu du troisième siècle.

[47] Augustin, Contra Faustum, XXXII et XXXIII.

[48] Ceci d'après Léon, troisième sermon.

[49] Philosophoumena, VIII, 19, dans la Patrologie grecque aux œuvres d'Origène.

[50] Il parait qu'après Montanus les Phrygiens anti-jehouddolâtres se seraient divisés en deux branches : les sectateurs de Procius et ceux d'Eschines, mais il n'importe. Ni les uns ni les autres ne se courbaient devant Bar-Abbas et la révélation juive.

[51] Nous avons déjà cité l'exemple d'Elisée ben Abbouya en nous étonnant que des israélites aussi instruits, aussi distingués que M. Derenbourg (Notes sur la guerre de Ben Kozéba et ses suites, Paris, 1876, in-8°) et Weiss (Zur Gesch. d. jüd. Tradition, II, p. 139-144) puissent hésiter devant la signification de ce symbole et croire que les livres dont se chargeait Elisée étaient ceux des Gnostiques, tous ou presque tous antijuifs déterminés.

[52] Cf. Le Roi des Juifs.

[53] Méfions-nous d'ailleurs, car le patriotisme des talmudistes égare parfois leur morale. On trouve mauvais qu'Ismaël ben José et Eliézer ben Siméon aient accepté la charge de rechercher les voleurs et de livrer les brigands juifs. Au reproche qu'on lui adresse, Ismaël répond : Que puis-je faire ? C'est l'ordre du gouvernement.

[54] Sa version des Ecritures juives, la seconde depuis la prise de Jérusalem par Titus (celle d'Akita est la première), avait paru vers 169 de l'E C.

[55] On prétend même qu'il aurait écrit centre la généalogie de Bar-Abbas telle qu'elle est dans Matthieu. Mais, s'il en est ainsi, pourquoi n'a-t-il pas écrit contre celle que donne Luc.

[56] Ceci dans le Tryphon qu'elle a mis sous le nom de Justin.

[57] Dont la rédaction flotte entre le troisième et le cinquième siècle.

[58] Nous en parlons plus longuement qu'ici au chapitre intitulé Le Cadavre.

[59] En effet, dans ce passage l'Église fait dire en propres termes à Josèphe : Celui-là était le Christ. Cf. Les Marchands de Christ.

[60] Jacques junior lapidé par Saül. Josèphe parlait en même temps de l'assassinat d'Ananias et de Zaphira, mais on avait déjà commencé la sophistication de Josèphe par l'enlèvement de ce passage.

[61] Contra Celsum, I, 47.

[62] Jésus Bar-Abbas, c'est ainsi qu'il est nommé dans certaine versions évangéliques.

[63] Cf. Le Roi des Juifs.

[64] Dont il avait horreur. Odium generis humani, dit Tacite.

[65] Tertullien, Des prescriptions contre les hérétiques, ch. XXVI.

[66] Cf. Les Évangiles de Satan, deuxième partie, et L'Évangile de Nessus.

[67] Ils lui donnent le même surnom qu'à son père : Toute-la-Loi.

[68] Le Sauveur au nom de la Loi, le Juste, dans le sens surjuif.

[69] Il s'agit de Siméil en Mésopotamie, non loin de Ninive, pays tout plein de la kabbale de Jonas et de ses souvenirs. Au moins à ma connaissance, il n'existe en Palestine aucun village dont le nom puisse être rapproché de celui-là, et le nom seul de Jésus Panthora qu'on donne à Bar-Jehoudda trahit une rédaction bien postérieure au quatrième siècle, époque à laquelle les talmudistes de Tibériade émigrèrent en Mésopotamie.

[70] On trouve différentes formes : Pandira, par exemple.

[71] Traité Schabbath, ch. XIV, p. 156 de L'édition Schwab.

[72] Selon Eusèbe, alléguant Irénée. Histoire ecclésiastique, IV, XXIX.

[73] Il y a Jésus-Christ dans le texte.

[74] Il est en effet fils de Seth (cf. sa généalogie dans Le Charpentier), et il devait réaliser la kabbale séthienne on asinaire. Pour les Assyriens il y a identité entre Assur et Seth. D'ailleurs le Tharthak est venu d'Assyrie en Judée.

[75] Tertullien, Des prescriptions contre les hérétiques, ch. XXVI.

[76] Des prescriptions contre les hérétiques, ch. XV.

[77] De Naasson serpent. Naasson nehoustan, serpent d'airain. Cf. Le Gogotha.

[78] Il y en a de deux sortes, on les confond souvent, peut-être exprès, dans les écrits ecclésiastiques.

[79] Des prescriptions contre les hérétiques, XXV.

[80] Cf. L'Évangile de Nessus.

[81] Cf. Les Évangiles de Satan, troisième partie.

[82] Ces sept fils avaient chacun un nom dans la Kabbale, le premier s'appelait Iabaldaoth. Je crois qu'il répond à Saturne dans le système planétaire.

[83] Cf. Les Évangiles de Satan, deuxième partie.

[84] Fils du tonnerre, donc éclairs.

[85] Cf. Le Roi des Juifs.

[86] Cf. Le Roi des Juifs.

[87] Cf. Le Charpentier.

[88] Citons Irénée.

[89] C'est le chiffre qu'indique également Ptolémée.

[90] Des prescriptions contre les hérétiques, XXIV, paragraphe final.

[91] On a ajouté Christ, car au temps de cette écriture la combinaison Jésus-Christ était déjà en forme dans les Lettres de Paul.

[92] Marân, seigneur, en syriaque. Cf. Les Marchands de Christ.

[93] Cf. Le Saint-Esprit.

[94] Cf. L'Évangile de Nessus.

[95] Cf. L'Évangile de Nessus.

[96] Fils du mensonge, (littéralement : du Poisson menteur).

[97] Selon Irénée les Saturniliens auraient enseigné que le mariage est la génération sont l'œuvre de Satan. C'est proprement la doctrine de Bar-Abbas. Irénée ajoute que beaucoup s'abstiennent de manger des animaux, par quoi ils séduisent beaucoup de gens. Entendez qu'ils tenaient contre la pâque, à raison de ce que les christiens s'en promettaient.

[98] Simon de Chypre est dit Bar-Jésus dans les Actes. Quant à Ménandre, voyez le premier chapitre du présent volume.

[99] En 108 de l'E. C. disent ceux qui ont fabriqué cet Ignace.

[100] Soit depuis 68 de l'E. C., de manière qu'il ait pu prêcher Jésus avant la chute de Jérusalem qui est de 70 au compte des jehouddolâtres. Les éditions qu'Ussérius Vossius ont données des sept Épîtres de Saint-Ignace n'ont servi qu'à démontrer la fausseté de ces documents dont personne, sinon le faux Irénée, n'a eu connaissance dans les premiers siècles de l'E. C. (Voyez Saumaise, Blondel, Aubertin, Daillé et Fréret.)

[101] Lettre à l'église de Smyrne.

[102] Il résulte fort clairement de Cérinthe et de Valentin que le sang extrait du flanc de Bar-Abbas par la lance du soldat romain fut d'abord la matière dont était faite la rémission des péchés des douze tribus. Ce premier dispositif, en forme exacte dans Valentin, péchait par une chose dont les premiers évangélistes, Cérinthe, par exemple, n'avaient pas senti l'importance. Que les jehouddolâtres commémorassent Bar-Abbas dans la nuit du 14 nisan ou dans celle du 15, son sang ne pouvait être dans le calice, puisqu'il n'était sorti de ses veines que deux jours après. Pour cette cause même au temps d'Ambroise qui est de la fin du quatrième siècle, beaucoup d'évêques se refusaient admettre que le sang du dieu de leur fabrication fût réellement dans le calice. On explique très bien cela dans Ambroise. (De initiandis vel de mysteriis.) C'est pour éviter le retour de ces discussions qu'on retrancha le coup de lance dans les trois Évangiles synoptisés. Matthieu, Marc et Luc n'ont jamais entendu dire qu'il y eût eu effusion de sang par le côté.

[103] L'Église dans Irénée fait Cerdon sectateur de Simon le Magicien ; par conséquent anti-millénariste pour le moins. Mais Cerdon était mieux que cela, — ou pis, comte on voudra, — était antijuif. On lit dans Irénée : Un certain Cerdon, des sectateurs de Simon le Magicien... vint à Rome sous Hygin (136-140 de l'E. C.) qui fut le huitième évêque nommé depuis les Apôtres. Cette rédaction est une conséquence de la chronologie papale qui ne fut établie qui l'invention du vicariat de Pierre. Elle suffit pour infirmer tout ce qui est dit de Cerdon, de Marcion, et de tous les honnêtes gens que l'Église qualifie d'hérétiques ou d'hérésiarques.

[104] Cf. l'auteur inconnu des Philosophoumena, V, ch. CXL-CXLII.

[105] Toutes ces opinions théo-astrologiques viennent des Perses. Si vous voulez  avoir le mot des mystères christiens, dit Celse le platonicien (il veut parler de la formation du mythe de Jésus), remontez aux Perses. Pour les Manichéens, (Léon, Serm. IV, in Epiphan.) le Christos était placé dans la substance lumineuse du Soleil et dans celle de la Lune, reflet de la lumière solaire. (Voyez Eunape, si cela nous fait plaisir.)

[106] Ceci dans Irénée. Que le lecteur le sache une fois de plus, il n'y a rien de moi dans ce que je dis.

[107] Ceci plus particulièrement dirigé contre les Valentiniens qui adoraient Jésus, tout en refusant d'adorer l'imposteur qui s'était dit christ.

[108] A la suite de cette déclaration, les adorateurs de Bar-Abbas, ceux qui ont fabriqué l'Apologie de Justin et le Dialogue arec Tryphon, ont volontiers employé le mot chrèstos en recommandant son étymologie aux jehouddolâtres : Soyez chréstoi de même que votre Père  est chrèstos, c'est-à-dire bon et miséricordieux, dit l'Apologie. Nous voyons que le Dieu tout puissant est chrèstos, dit Tryphon.

[109] Cf. Le Charpentier.

[110] On lit vingt-deux dans quelques auteurs, mais c'est vingt-quatre en réplique à vingt-deux.

[111] Clément d'Alexandrie, Stromates, VII, ch. XVII.

[112] Cf. Les Évangiles de Satan, troisième partie.

[113] Cf. Le Saint-Esprit.

[114] Au troisième livre de ses Histoires syriaques.

[115] Isaïe, XXVIII, 16.

[116] Tertullien, Des prescriptions contre les hérétiques, ch. XXV.

[117] C'est cela même, il échappe, tandis qu'on entraîne Simon tout nu. Ce tour de passe-passe n'est que dans l'Évangile de Marc, ex-version des Naziréens ou Ebionites.

[118] Parfaitement. C'est le second temps de la manœuvre. Cf. Les Évangiles de Satan, troisième partie.

[119] Comptant 365 jours à l'année, Basilide ne pouvait être d'accord avec Bar-Abbas, lequel ne pouvait être d'accord avec Dieu. Cf. Les Évangiles de Satan, troisième partie.

[120] C'est une opinion fondée sur la Genèse elle-même où Iahvé dit d'Adam : il pourrait devenir comme l'un de nous.

[121] Où on le retrouve avec le moins d'adultérations, c'est dans les Philosophoumena qui ont échappé pendant des siècles et presque jusqu'à nos jours aux incursions de l'Église moderne.

[122] Irénée, Epiphane, Théodoret.

[123] Cf. Les Évangiles de Satan, deuxième partie.

[124] Millième preuve de l'identité du Joannès avec le fils de Joseph.

[125] Allusion aux paroles : Cherchez et vous trouverez, frappez et l'on vous ouvrira. Les Carpocratiens avaient très bien vu.

[126] Tertullien, Des prescriptions contre les hérétiques, ch. XXVI.

[127] Qui commémoraient Bar-Abbas le 14 nisan, veille de la pâque. Fronton dans son Discours contre les jehouddolâtres dit, de son côté, qu'ils jeûnent pendant plusieurs jours et attendent l'apparition de l'étoile du matin pour rompre le jeûne.

[128] Ce n'était pas son nom. Quelques-uns voient en lui fait Épiphane, soit Héracléon.

[129] Secundus renvoie à la scène où Jésus dans Cérinthe rend Bar-Abbas à sa mère devant la croix. Cf. L'Évangile de Nessus.

[130] Cf. Les Évangiles de Satan, troisième partie.

[131] Lucien, Alexandre ou le faux prophète.

[132] Cette supériorité apparaît très nettement dans le dialogue de Lucien : Le Pécheur ou les ressuscités.

[133] Anticelse, IV, 36.

[134] Alexandre ou le faux prophète.

[135] Il a été beaucoup plus clair, on peut en être sûr.

[136] Le plus loin possible du lieu de naissance de Bar-Abbas !

[137] Le mot Juif lui écorche les lèvres !

[138] Plus de Juifs sur la surface de la terre !

[139] Il n'y a plus de Gaulanitide ni de Galilée, c'est une affaire entendue !

[140] Cf. Les Évangiles de Satan, première partie.

[141] Jamais en hébreu ni en araméen !

[142] Une vraie scène d'Évangile. Cf. Les Évangiles de Satan, première et troisième parties.

[143] Apologie, ch. XXIII. De Spectaculis, XXIX. Ad Scapulam, XXIV.

[144] Péri, autour, et égheirein (ec tôn nécrôn), réveiller d'entre les morts. On égheiren ec necrôn (qu'il avait réveillé d'entre les morts), à propos d'Éléazar Bar-Jaïr, dans Cérinthe, XII, 1 et 17. Païs egheirou ! (fille, réveille-toi !) à propos de la fille de Jaïr, Luc, VIII, 54.

[145] Péri, autour, agheirein, quêter. C'est l'expression qu'on appliquait aux prêtres de Cybèle, lorsqu'ils quêtaient pour la déesse.

[146] Cf. Le Charpentier.

[147] En même temps que le gaulois Sévérien (Lucien, Manière d'écrire l'histoire), et on n'a pas assez remarqué que Lucien est particulièrement renseigné sur les mouvements des guerres parthiques de 163 et 164. Il dit notre Empereur et nos généraux, épousant la cause romaine avec une chaleur qu'il ne montre pas toujours dans ses précédents écrits, notamment dans Nigrinus.

[148] Mais nous montrerons qu'il a été interpolé.

[149] Cf. Les Évangiles de Satan, troisième partie.

[150] Cf. Les Évangiles de Satan, deuxième partie.

[151] Cf. Les Évangiles de Satan, deuxième partie.

[152] Cf. Le Roi des Juifs.

[153] Discours aux Grecs, § XXII. Le Discours de Tatien ne mentionne Pas le suicide de Péréghérinos qui est de 165 au plus tôt et de 169 au plus tard. Il ne mentionne qu'un seul Empereur : il est donc antérieur au règne en commun de Marc-Aurèle et de Verus (161-169). Nous sommes sous Antonin. Tatien parle de Péréghérinos, comme d'un vivant, et il en parle dans une ville où ce personnage est connu des Grecs et des Barbares. On ne sait plus dans quelle ville Péréghérinos a étonné Tatien par ses théophanies. Cette ville peut être Antioche, Damas, Athènes, Alexandrie, toute autre ville d'Asie, de Grèce et d'Égypte où Péréghérinos est célèbre. Je ne vois que Péréghérinos en état de notoriété convenable à cet auditoire bigarré.

[154] Malgré les efforts de M. Croiset (Essai sur Lucien). Il est bien démontré que le voyage dans lequel Lucien passa par Abotonichos pour voir l'imposteur Alexandre est antérieur à la mort de Péréghérinos qui est de 169. Le savant critique date de 164 le passage de Lucien à Abonotichos et il identifie ce voyage avec la rencontre de Lucien et de Péréghérinos à Troas. Lucien dit bien, parlant de Péréghérinos Saturninus : Tu te souviens que je te racontai ces détails, il y a longtemps déjà, lorsque je vins de Syrie ; je te dis alors que depuis Troade j'avais navigué avec lui... Le tout est de savoir si ce voyage est celui qu'il fit, revenant de Syrie, d'où il ramenait son père de Samosate (certains hellénistes le donnent à entendre en traduisant : À mon retour de Syrie) ou si c'est le premier qu'il fit, venant de Syrie pour aller à Rome et de là en Gaule, où il triompha dans la rhétorique.

[155] Ceci en remplacement d'une indication historique qui avait une importance capitale.

[156] Ici seconde lacune et qui saute aux yeux, car c'est Bar-Abbas qui va devenir le sujet de la phrase.

[157] En Palestine seulement ? Pourquoi pas à Jérusalem, dans le lieu destiné aux exécutions publiques ?

[158] Pour rébellion, vol et assassinat, disent les trois Synoptisés. Cf. Les Évangiles de Satan, troisième partie.

[159] Cf. L'Évangile de Nessus.

[160] Cf. L'Évangile de Nessus.

[161] Dialogue arec Tryphon.

[162] La Didaché, ce petit code d'initiation baptiste, n'est pas une œuvre jehouddolâtrique, elle est baptiste, et baptiste d'Egypte ou de Syrie. C'est peut-être un vieil écrit, mais il a été dénaturé dans le forme qui nous est parvenue, et on n'en peut fixer la date, malgré tous les efforts qu'on a déployés. Elle comporte la personne mythique de Jésus, non comme dieu, mais comme enfant ou serviteur de Dieu. à la façon des spéculations Valentiniennes. La Didaché est d'un ton doux et tranquille qui contraste avec les fureurs du Jésus des Synoptisés. Elle rappelle la douceur égyptienne, une eau vive éloignée de la Mer Morte : ce n'est pas dans le Jourdain qu'on baptise, c'est plutôt dans le Nil. Elle a été juive, puisque ceux a qui elle s'adresse relevaient du Temple avant qu'il ne fût détruit ; et christienne, en ce sens que Jésus y est nommé douze fois et que l'enseignement comporte le rappel des promesses, ce qui ne peut s'entendre que du Royaume.

[163] Cf. Les Évangiles de Satan, troisième partie.

[164] Cf. Les Évangiles de Satan, première partie.

[165] Jehouddolâtre s'entend. C'est une accusation dans le genre de celle qui fut portée contre Apulée, avec cette différence que Péréghérinos s'était compromis avec les Juifs jehouddolâtres. On a enlevé le nom de la ville où il fut emprisonné.

[166] On trouve ici le moyen de faire déposer Lucien de l'authenticité des miracles de Jésus.

[167] Etonnés de n'avoir point été sacrifiés à Bar-Abbas par leurs parents, ces enfants viennent témoigner de leur amour pour un homme qui a débuté dans la carrière christienne en assassinant son père !

[168] Comme si la vision de Pierre, sa visite à Cornelius, et les Lettres de Paul sur cette question, étaient acquises à l'histoire.

[169] Nous savons le contraire.

[170] Le nouveau Bar-Abbas plutôt.

[171] On poursuit le plan de confusion qu'on a adopté.

[172] Entre christiens juifs peut-être, mais entre ceux-ci et les goym, christiens ou non ?

[173] Cette fois nous y sommes !

[174] Ceci pour faire croire que Bar-Abbas s'est livré volontairement ans condamnation préalable.

[175] Et la Jérusalem d'or ? Et les portes en pierres précieuses ?

[176] Dans le Royaume seulement.

[177] Comme si ce n'avait pas été tout Bar-Abbas. Et ne croirait-on pas vraiment entendre Léon X rendant ce solennel hommage au parti que ses prédécesseurs ont tiré de la mystification évangélique : Questa favola di Christo é molto utile alla Chiesa. Utile seulement ? Léon est discret, il, aurait pu dire indispensable.

[178] On dit au contraire qu'étant patriarche des christiens, Péréghérinos avait souffert dans la Syrie une longue prison. C'est ainsi qu'en parle à Olympie Théagène, philosophe cynique.

[179] Remarquez que Protée est qualifié de philosophe cynique en une circonstance où il exerce manifestement l'état christien. Qu'est-ce que la philosophie et les lettres viennent faire ici ?

[180] Ce gouverneur est un devin d'une rare perspicacité, car l'événement n'eut lieu qu'une trentaine d'années après, et en Elide, près d'Olympie.

[181] Je ne vois en cet homme aucune cause de punition, dit Pilatus en voyant Bar-Abbas sous les traits de Jésus. Cf. Les Évangiles de Satan, troisième partie. Protée n'a pas l'air moins innocent. Mais, sous le nom de Péréghérinos, n'avait-il pas un vilain dossier ?

[182] Ainsi nommait-on les dupes dans la secte dont Péréghérinos avait été le plus bel ornement. (Voir les Esclaves fugitifs de Lucien.)

[183] Le texte a été remué, ce qui l'a rendu assez difficile à traduire. Ma version n'est pas littérale et pourtant j'en crois le sens aussi exact que possible.

[184] C'est le costume recommandé dans les Instructions aux Douze et aux soixante-douze. Cf. Les Évangiles de Satan, troisième partie.

[185] On était très sévère sur ce point dans la secte de Ménandre.

[186] Cf. Les Évangiles de Satan, première partie.

[187] Si toutefois la Vie de Démonax est de lui.

[188] Allusion à son christianisme.

[189] C'est pour les connaître à fond par les Paroles du Rabbi que Crescens les avait dénoncés.

[190] Il n'y avait pas de discussion possible. Le livre de Crescens était sans réplique, puisé aux mêmes sources que celui de Fronton.

[191] Distinction toute socratique, elle est dans Platon.

[192] II Apologie, III.

[193] Vous êtes le sel de la terre, dit Jésus aux disciples de Bar-Abbas. Cf. Les Évangiles de Satan, troisième partie.

[194] On ne peut en citer qu'un, Péréghérinos-Crescens, qui abandonna les christiens malgré les profits de son patriarcat. Crescens est un de ses nombreux pseudonymes.

[195] Lequel, étant gouverneur de Syrie, aurait immatriculé Jésus vingt et un ans après la naissance de Bar-Abbas !

[196] Il s'est écoulé trois olympiades entre le temps où Péréghérinos habita Rome et celui où il se brûla.

Première olympiade (157) : il déblatère contre celui qui avait amené de l'eau dans Olympie, tout en s'abreuvant de cette eau.

Deuxième olympiade (161) : il fait l'éloge de ce bienfaiteur public (Hérode Atticus, à ce qu'on croit).

Troisième olympiade (165) : il annonce à tous les Grecs qu'il se brûlera aux jeux suivants.

Quatrième et dernière olympiade (169) : il tient sa promesse.

On peut admettre qu'il a été chassé de Rome entre l'olympiade de 153 et celle de 151, ce qui correspond bien à la date du Discours de Tatien, retour de Rome, aux Grecs.

[197] Cf. L'Évangile de Nessus.

[198] Cf. L'Évangile de Nessus et Les Évangiles de Satan, troisième partie.

[199] La massue d'Hercule. Il devait avoir également une peau de lion. Dans les Esclaves fugitifs, dialogue qui fait suite à la Mort de Péréghérinos. Mercure dit devant Hercule à ce patriarche christien s'est fait cynique après un passé déplorable : Dépouille-toi de ta peau de lion, afin que tout le monde voie que tu n'es qu'un âne.

[200] On a également touché à ce dialogue, et supprimé toute la partie où Jupiter contait à Apollon ce qu'il y avait dans les discours de Péréghérinos pour justifier son action devant l'assemblée.

[201] Dernièrement un fou acheta un talent le bâton que portait Protée le Cynique et qu'il avait quitté lorsqu'il s'élança dans le feu. Il le garde comme un trésor et le fait voir aux curieux... Le possesseur de ce meuble précieux te surpasse encore en sottise. Vois à quel triste état tu es réduit, tu aurais véritablement besoin de quelques coups de bâton sur la tête ! Lucien, Contre un ignorant qui achetait beaucoup de livres.

[202] Autrement dit l'Âge d'or, la Ville d'or, le Jardin aux douze récoltes et le reste, si après tout cela il peut y avoir un reste...

[203] Sur ce miel du Verbe juif, cf. Les Évangiles de Satan, première et deuxième partie.

[204] Onos, Kronos, vous connaissez le jeu de mots. Cf. Le Gogotha.

[205] M. Croiset, Essai sur Lucien, 1882, in-8°, p. 14.

[206] Cette configuration laisse dans les yeux un souvenir ineffaçable, ne restât-on qu'une heure à Philippopolis. Le chiffre trois, autour duquel tourne toute la kabbale millénariste, et le voisinage immédiat de l'Hèbre, si bien fait pour le baptême, sont une des causes qui avaient déterminé le choix de celle ville par les tondeurs.

[207] Noms formés du mot possession.

[208] Kantharos. Très significatif, le mot est à deux fins, il désigne à la fois l'Arche d'alliance et la coupe formée par le ciel au-dessus de la terre. Cf. L'Évangile de Nessus.

[209] Allusion à la terre à foulon, l'argile que l'on emploie pour dégraisser les draps, et à la terre à potier dont Péréghérinos a si bien su se servir, peut-être aussi à l'amiante nécessaire pour passer dans le feu. L'Arménien était sans doute foulon et marchand de drap, car il y a des faits derrière toutes ces allégories.

[210] Père des Cyniques.

[211] Leurof eio (de lithémi). Qui a rendu blanc. Le texte est très corrompu. On lit Lécuthiôn, qui n'a pas de sens bien déterminé.

[212] On lit Muropanous, qui voudrait dire souffle-parfum (aussi traduit-on volontiers par parfumeur), mais il faut lire Muriopnous ou Muriopnéos, souffleur de mille : idée millénariste intraduisible en français.

[213] Jeu de mots qui comprend à la fois les trois figures que Protée a ici, et les trois signes qui précèdent les Ânes sur le Zodiaque. C'est en outre le titre d'une comédie de Théopompe.

[214] Allusion aux avantages phalliques de l'Âne d'or. Le pauvre Arménien sait par sa femme ce qu'il en faut penser. C'est en autre le titre d'une comédie d'Aristophane citée par Athénée.

[215] Cela prouve, entre parenthèses, que l'adultère de Marie avec le soldat Panther n'était pas encore inventé, et que pour Lucien, comme pour tous, Bar-Abbas était bien fils de Jehoudda.

[216] De cremannumi, suspendre. M. Jacobitz (édition Teubner) lit Cléanthès qui ne rend pas l'idée et supprime le jeu de mots.

[217] Cf. dans Les Évangiles de Satan, première partie, la parabole des pièces mises au vieil habit.

[218] Il sera traité comme dans la partie de l'Enfer que Jésus appelle les ténèbres extérieures et d'où on ne peut être tiré lors de la fin des temps. Cf. Les Évangiles de Satan, troisième partie.

[219] Dans Lucien même (Esclaves fugitifs) elle fait dire par Jupiter que c'était un assez brave homme, alors que le Père des dieux le cherche pour le punir.

[220] Nuits attiques, XII, XI.

[221] Seul, entre les vingt livres des Nuits attiques, le huitième a disparu, et il n'en reste qu'un sommaire dans lequel on lit : En quels termes et avec quelle sévérité le philosophe Pérégrinus réprimanda, en notre présence, un jeune Romain d'une famille équestre qui l'écoutait d'un air ennuyé et bâillait à chaque instant.

[222] Nom pris à la Deuxième lettre de Paul à Timothée, IV, 14, qui n'existait pas plus que les autres, à la fin du second siècle.

[223] Cf. Le Gogotha.

[224] C'est Polycarpe qui devient Kantharos (la Barque) à la place du Ressusciteur.

[225] Je ne me rappelle pas, dit Jupiter (Esclaves fugitifs), avoir jamais éprouvé une nausée plus violente. Si je ne me fusse enfui promptement en Arabie, je périssais. Et quoique entouré des parfums et des aromates de toute espèce, à peine mes narines pouvaient-elles oublier la vapeur infecte qu'elles avaient respirée.

[226] Ce qui est arrivé pour Péréghérinos.

[227] Ruinart, Actes des martyrs, Martyre de saint Polycarpe d'après Eusèbe et Ussérius.

[228] Des prescriptions, ch. XXIX.

[229] Cet ouvrage n'était certainement pas composé lors du Discours aux Grecs ; Tatien n'avait encore fait que deux ouvrages, l'un Sur les  Animaux et l'autre sur les savants grecs qui ont écrit des choses du Dieu des Juifs. Pour montrer les obscurités et les mystères des Livres Saints, il a fallu pénétrer dans ces arcanes par une étude qui n'était pas commencée lors du Discours. Les Problèmes sont un fruit d'âge mûr, éclos sous le soleil d'Asie, d'Assyrie peut-être, où Tatien, revenu d'Italie et de Grèce, tenait école de monothéisme ascétique. Selon Jérôme, ils datent vraisemblablement de l'année 172, la douzième du règne de Marc-Aurèle (d'Antonin, selon Épiphane, qui s'est trompé d'Antonin. Il s'en est trompé déjà en plaçant la mort de Justin sous Hadrien.)

[230] Discourt aux Grecs, § 17.

[231] Irénée, Contra hæreses.

[232] Discours aux Grecs, ch. XX, dans un passage très altéré.

[233] Il parait, d'après l'Église, qu'un certain Rhodon, aurait écrit contre Tatien et aussi contre Apellès qui niaient l'un et l'autre l'existence de Jésus, ne connaissant que trop celle de Bar-Abbas. Il se peut bien que ce phrygien, qui d'ailleurs s'appelle comme la fille de Shehimon dit la Pierre, ait fait un livre pour donner le change sur les Explications de Papias dans lesquelles le Joannès et Bar-Abbas ne sont qu'un seul et même personnage. On dit parfois que Rhodon fut disciple de Tatien, mais c'est une erreur évidente. Car il est connu d'Eusèbe par deux écrits dans lesquels il combat les Problèmes de Tatien et les ouvrages où Apellès dénonce la mystification évangélique.