LE MENSONGE CHRÉTIEN - (JÉSUS-CHRIST N'A PAS EXISTÉ)

 

TOME VI — L'ÉVANGILE DE NESSUS

I. — L'ÉVANGILE DE CÉRINTHE.

 

 

CHAPITRE PREMIER. — (PROLOGUE) LE VERBE.

 

Les théologiens et les exégètes se pâment devant la définition du Verbe ou Logos. Ils y voient du sublime et comme l'écho d'une inspiration céleste. Voici cette définition :

1. Au commencement était le Verbe[1], et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu.

2. C'est lui qui au commencement était en Dieu[2].

3. Toutes choses ont été faites par lui ; et sans lui n'a été fait rien de ce qui a été fait[3].

4. En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes[4] ;

5. El la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont pas contenue[5].

Cette définition n'appartient pas à Cérinthe, mais il se peut fort bien qu'elle provienne des écrits de Bar-Jehoudda à qui elle n'appartient pas davantage. Elle est prise mot pour mot de notre vieil ami Hermès Trismégiste, interprète de la kabbale égyptienne. Je ne dis pas kabbale secrète et réservée aux seuls prêtres, je dis kabbale publique, affichée, résumée sur la pierre en hiéroglyphes à l'usage des passants. Nous avons montré que comme révélateur Bar-Jehoudda n'était qu'un compilateur et un plagiaire. Ce n'est pas pour acquérir qu'il est allé en Égypte, c'est pour emprunter sans rendre.

Cérinthe a les Paroles du Rabbi sous les yeux[6], et les Paroles du Rabbi contenaient l'Apocalypse, mais s'il accepte la définition du Verbe juif, il n'en accepte pas le règne millénaire sans le Père. Dans l'Apocalypse le Fils est sous le Père, hors du Père, puisque pour l'avancement des affaires de Bar-Jehoudda il devait régner mille ans avec ce fils de David. Cérinthe ne lui reconnaît pas une initiative capable d'un tel acte d'indépendance. Ici Jésus, personnification du Verbe, est dans le Père depuis le commencement des choses et il y restera jusqu'à la fin. Il est de l'avis d'Is-Kérioth : Ne croyez-vous pas, dit-il, que je suis dans le Père et que le Père est en moi ?[7] Dieu et sa Parole n'en sont pas moins deux personnes distinctes, mais rebelles à la séparation que Bar-Jehoudda voulait leur infliger sous le prétexte que, dans son orgueilleuse folie, il espérait jouir du privilège— l'éternité simplement — attaché au Fils. Cette folie est classée, c'est la manie des grandeurs, la pire de toutes quand elle s'allie à la bêtise et à la méchanceté.

La difficulté pour l'évangéliste n'était pas, dit le Saint-Siège, de faire reconnaître aux Juifs qu'il y a en Dieu un Verbe personnel et tout-puissant, mais de les convaincre que Jésus (on veut parler de Bar-Jehoudda) était ce Verbe. En effet, cela passait les moyens de Cérinthe et même ses intentions. Descendant de David par l'adultère de Bethsabée, cet horrible Juif ne pouvait être le Verbe, et c'est précisément ce que Cérinthe avait entrepris de démontrer : véritable inspiration de Satan, il faut le reconnaître.

Où nous nous rangeons très humblement à l'avis du Saint-Siège, c'est quand il observe que Cérinthe n'avait d'emprunt à faire ni à Platon ni à Philon sur la nature du Logos. Si Platon parle de Logos dans sa théorie de la création ou plutôt de la disposition originelle des choses, il donne à ce terme un sens fort différent de celui de l'évangéliste. Le Logos du philosophe grec n'est pas une personne, mais une abstraction, la raison de Dieu, réceptacle de toutes ses idées. Il n'a pas conscience de son existence. Il en est de même de celui de Philon, autant qu'on peut saisir la pensée de cet auteur dans les nuages de ses allégories. Philon ne le nomme pas Dieu, le vrai Dieu ; il ne l'identifie pas avec le Messie. Du reste, s'il avait une vraie connaissance du Verbe personnel, on devrait penser qu'il l'a puisée aussi dans la Révélation, c'est-à-dire dans les écrits des prophètes et dans les traditions de leurs écoles. Mais quoique juif, Philon ne l'était pas assez pour concevoir ineffable mystère caché dans la prédestination de Bar-Jehoudda. Le spectacle du fou Bar-Abbas, sacré roi par la population badine d'Alexandrie en souvenir de ce prétendant ridicule[8], n'a pas eu assez d'empire sur l'âme néo-platonicienne de Philon pour lui faire entrevoir la décision des Conciles à l'endroit de son coreligionnaire. Aussi remarque-t-on dans sa définition du Logos un flottement qui n'apparaît plus dans le symbole de Nicée.

 

LE JOANNÈS.

 

Après le Verbe (le Verbe juif s'entend), voici son Joannès, son Révélateur, son Hermès, en circoncision Jehoudda fils de Jehoudda.

6. Il y eut un homme envoyé de Dieu, dont le nom était Joannès.

Nous n'aimons pas incriminer le Logos, mais, il faut bien le dire, ceci est un faux d'état-civil. L'envoyé de Dieu s'appelait simplement Jehoudda, comme son père. Cela commence mal, et même on peut se demander si c'est Cérinthe qui parle, car plus loin[9] il appelle Joannès par son nom de circoncision, Jehoudda, se bornant à le distinguer de Jehoudda Is-Kérioth, son homonyme.

7. Celui-ci vint comme témoin pour rendre témoignage à la Lumière, afin que tous crussent par lui.

8. Il n'était pas la Lumière, mais il devait rendre témoignage à la Lumière,

9. Celui-là[10] était la vraie Lumière, qui illumine tout nomme venant en ce monde.

10. Il était dans Je monde, et le monde a été fait par lui, et le monde ne l'a pas connu ;

11. Il est venu chez lui et tes siens ne l'ont pas reçu[11].

12. Mais à tous ceux qui l'ont reçu, il a donné le pouvoir d'être faits enfants de Dieu ; à ceux qui croient en son nom[12] ;

13. Qui ne sont point nés du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu.

14. Et le Verbe a été fait chair, et il a habité parmi nous ; et nous avons vu sa gloire, comme la gloire qu'un fils unique[13] reçoit de son père, plein de grâce et de vérité.

Nous avons le regret de le dire, le Verbe se damne. Les Marchands de christ sont intervenus dans ce prologue lorsqu'ils ont enlevé cet écrit à Cérinthe pour le donner au pseudo-Jochanan apôtre. La thèse de Cérinthe est connue ; Jésus n'a point eu chair et personne ne l'a v u. Il va nous le dire plus loin : Personne sur la terre ne peut voir le Fils ni ceux qui sont avec lui. Enfin il ne manquera aucune occasion de remettre à sa place, parfois avec dureté, le corps humain qu'il prête à Jésus pour les besoins de sa fable.

 

TÉMOIGNAGE ORIGINAL DE JOANNÈS.

 

15. Joannès rend témoignage de lui, et il crie disant : Voici celui dont j'ai dit : Celui qui doit venir après moi, a été fait avant moi, parce qu'il était avant moi.

16. Et nous avons tous reçu de sa plénitude, et grâce pour grâce :

17. Car la Loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ[14].

18. Personne n'a jamais vu Dieu : le Fils unique (le Verbe), qui est dans le sein du Père, est celui qui l'a fait connaître.

Joannès est l'auteur de l'Apocalypse, et c'est le Verbe en forme de fils d'homme[15] qui la lui a révélée. Mais c'est une franche hérésie de dire que personne n'a jamais vu Dieu ; Joannès l'a parfaitement vu et décrit, comme il a vu et décrit Celui qui devait venir après lui, étant le Thav[16], et qui a été fait avant lui, étant l'Aleph[17]. Joannès garde ici sa qualité d'Antéchrist, il n'en a point d'autre.

 

TRIPLE FAUX TÉMOIGNAGE DE JOANNÈS.

 

19. Or voici le témoignage de Joannès, lorsque les Juifs lui envoyèrent de Jérusalem des prêtres et des lévites pour lui demander : Qui es-tu ?

20. Car il confessa, et il ne le nia point ; il confessa : Ce n'est pas moi qui suis le christ.

21. El ils lui demandèrent : Quoi donc ? Es-tu Élie ? Et il dit : Non. — Es-tu le prophète ? Et il répondit : Non.

22. Ils lui dirent donc : Qui es-tu, afin que nous donnions une réponse à ceux qui nous ont envoyés ? Que dis-tu de toi-même ?

23. Je suis, répondit-il, la voix de celui qui crie dans le désert : Redressez la voie du Seigneur, comme l'a dit le prophète Isaïe.

Cette ambassade des Juifs à Joannès n'est pas moins fausse que celle de Joannès à Jésus dans Mathieu et dans Luc. Elle a pour but de régler définitivement la situation de Joannès dans l'Église. Cette situation a complètement changé avec le temps.

Les marchands de christ ayant décidé que Jésus avait eu chair, Joannès n'est plus rien de ce qu'il a été autrefois, de ce qu'il est encore dans les Synoptisés ; il n'est plus le christ pour personne, il n'est plus Élie, il n'est plus le prophète du Renouvellement, l'auteur de l'Apocalypse, il n'est plus que la voix d'Isaïe, lequel, on le sait, a fini scié en deux par le roi Manassé, il ne remet plus les péchés, il n'attend plus le baptême de feu qui doit le rendre immortel. Il n'est plus que le précurseur de Jésus-homme, son cousin dans le plan de l'imposture ecclésiastique. Il n'est venu au monde que pour annoncer ce Jésus qui est censé vivant parmi les Juifs.

Or dans Mathieu Jésus avait dit, questionné par les disciples sur la venue d'Élie : Élie est déjà venu, et si vous voulez le savoir, c'est Joannès qui est Élie[18]. plusieurs autres endroits des Évangiles on convient que Joannès est l'équivalent d'Élie, qu'il peut Passer pour avoir été Élie, bien que le Renouvellement des choses au bénéfice des Juifs ne se soit pas accompli et qu'au contraire on ait vu la fin de Jérusalem et de la Judée. Le scribe donne donc un furieux démenti a Jésus et à tous les personnages que les trois Synoptisés mettent en scène. Vous croyez que cela embarrasse l'Église ? Oyez Saint Grégoire le Grand à ce propos. Joannès était Élie par l'esprit qui l'animait, mais il n'était pas Elie en personne. Ce que le Seigneur dit de l'esprit d'Elie (Joannès est Elie), Joannès le nie de sa personne (Je ne suis point Elie). Il s'agit en même temps d'atténuer l'effet du passage où Luc confesse que tous les Juifs se demandaient si Joannès ne serait pas le christ, et que beaucoup, même de ces saducéens qui peuplaient le Sanhédrin, venaient de Jérusalem au Jourdain pour recevoir son baptême.

Ceux-là certes savaient qui étaient Joannès, son père, sa mère, ses frères et ses sœurs, ses beaux-frères et ses belles-sœurs. Ici ils ignorent tellement l'origine davidique du Joannès[19] qu'ils envoient en Bathanée — il est à ce moment en Bathanée — pour savoir qui il  est. Et afin d'être renseignés comme il plaît à l'Église, ils s'adressent à qui ? au Joannès lui-même, Hanan qui était encore grand-prêtre en 777[20] n'avait pas besoin de renseignements, il n'avait même pas à consulter les registres du sanhédrin au mot Jehoudda de Gamala, il n'avait qu'à faire appel à sa mémoire. C'est précisément ce que veut éviter l'Église.

Ce faux témoignage fait à tout le monde, à Joannès lui-même, une situation insoutenable, car si Joannès n'est pas le christ fils de David, s'il n'est pas le prophète de l'Apocalypse, s'il n'est même pas un équivalent d'Élie, de quel droit baptise-t-il ? Comment un individu sans famille et sans mandat a-t-il pu remettre les péchés ? Car il remettait les péchés ! Vous ne voulez pas me croire parce que je ne suis pas Juif, mais Mathieu, Marc et Luc le sont, et là-dessus ils sont formels.

 

Vous avez vu ces Juifs qui viennent de Jérusalem pour demander au Joannès des renseignements sur Bar-Jehoudda ? Patientez, ils vont vous dire eux-mêmes qu'ils connaissent parfaitement son père et sa mère, ses frères et ses sœurs, qu'ils n'ignorent ni d'où il vient, ni qui il est, ni ce qu'il est. Vous avez entendu, Joannès ? Il s'engage à n'être désormais ni le prophète de l'Apocalypse ni le christ, et même à ne plus baptiser. Puisque celui qu'il annonce est venu. De son côté, Jésus veut bien se prêter à toutes les combinaisons capables de tromper les goym, mais il veut pouvoir le faire en toute tranquillité. Si, pendant qu'il emprunte le corps de Joannès, celui-ci se montre en même temps sur un autre point et baptise, c'est qu'il est à la fois et le christ et le prophète qu'il a nié être au début de cet Évangile. Joannès promet bien, mais il ne tient pas sa parole, nous allons le retrouver baptisant jusque dans la tribu de Juda ! Il a complètement oublié qu'il avait donné sa démission !

24. Or ceux qui avaient été envoyés étaient du nombre pharisiens.

25. Ils l'interrogèrent encore, et lui dirent : Pourquoi donc baptise-tu, si tu n'est ni christ, ni Élie, ni le Prophète.

26. Joannès leur répondit, disant : Moi je baptise dans l'eau, mais il y a au milieu de vous quelqu'un que vous ne connaissez point.

27. C'est lui qui doit venir après moi, qui a été fait avant moi[21] ; je ne suis même pas digne de délier la courroie de sa chaussure.

Vous le voyez, Joannès a réponse à tout. Si les Juifs n'ont point connu Jésus, il l'a parfaitement connu, lui, et c'est pour le leur annoncer qu'il a baptisé en Bathanée. Ainsi s'explique qu'il ait pu sinon remettre les péchés, du moins organiser une rémission provisoire, sans être ni Elie, ni le prophète du Royaume des Juifs, ni le roi-christ de 788.

Ce n'est plus lui qui est le jésus, comme dans ses Nativités selon Mathieu et selon Luc. Comment s'appelle son père ? Point de réponse. Sa mère ? Point de réponse. Où et quand est-il né ? Point de réponse. Son baptême, le fameux sacrement par lequel il remettait les pèches, perd toute sa signification ; ce n'est plus un acte de rémission, c'est une mesure de purification préparatoire à la venue d'un autre homme qui est le Verbe fait chair, et qui a existé sous le nom de Jésus parallèlement à Joannès. Les gens qui ont réglé ce dispositif connaissent à fond les trois Synoptisés.

28. Ceci se passa en Bathanée, au-delà du Jourdain où Joannès baptisait.

On écrit Béthanie partout, et on lit dans la plupart des éditions, soit catholiques, soit protestantes, qu'il ne faut pas confondre cet endroit avec Béthanie-lez-Jérusalem. Il n'y a pas de confusion possible, en effet. Il n'existe point, il n'a jamais existé de Béthanie au-delà du Jourdain, mais un pays, la Bathanée, dont la ville principale a tiré son nom de la montagne de Basan, célèbre dans les Écritures juives. On a glissé dans Origène, après l'agrégation de l'écrit de Cérinthe du canon évangélique, que l'endroit désigné par cet écrit devait être lu Bethabara (lieu du bac), et même on a ce nom dans quelques exemplaires accommodés par l'église à l'interprétation qu'on a mise sous le nom d'Origène dans un but facile à comprendre. Mais outre la précision topographique de Cérinthe : Bathanéa, au delà du Jourdain, qui indique assez un lieu non riverain, Bar-Jehoudda abdique dans la province même où il s'est fait sacrer roi-christ ; telle est l'intention, d'ailleurs dolosive, de l'évangéliste.

 

DESCENTE DE JÉSUS SUR LE PAPIER.

 

Joannès veut bien faire tous les faux témoignages qu'on voudra. En l'état où il est dans le roc de Machéron, lui est bien difficile de résistera ceux qui jonglent avec son corps, mais puisque, de son vivant même, on va prêter ce corps à un autre, au moins faut-il qu'il ait connu, ne fût-ce qu'un jour, le divin Sosie qu'on lui prête.

Pendant l'ambassade des Juifs au Jourdain, Cérinthe déclanche le ressort qui va permettre à Jésus de se prêter dans le monde. Dans Cérinthe point de Nativité, ni pour le Joannès ni pour Jésus. Par conséquent point de généalogies. C'est par l'allégorie que Jésus entre dans l'Écriture et par l'allégorie qu'il en sortira. Il n'est né ni du sang de David ni d'aucun autre sang. Il n'est né que sous les espèces du Joannès, par une simple opération de l'esprit, servie par un liquide noir qui s'appelle de l'encre. Le Verbe est le Dieu Créateur en forme d'homme, le Fils de l'homme. Ce Verbe, Cérinthe l'incarne dans Joannès qui était la Parole de Dieu faite homme. Il va vivre, habiter parmi les Juifs sous les traits de Joannès ; ce Joannès sera crucifié par Pilatus, ignominieusement enseveli au Guol-Golta, et Jésus remontera aux cieux, tandis que le corps qu'il a pris sera enlevé par la famille et porté en Samarie où il était encore au temps de l'empereur Julien. Tel est le plan de Cérinthe.

Dans Valentin[22], avec qui Cérinthe a tant de points communs, c'est Jésus lui-même qui, interrogé par les disciples de Jehoudda, leur conte comment, dans les temps déjà anciens, il a envoyé en avant Joannès pour préparer ses voies. Mais s'il y a quelque part des gens en passe de devenir dupes des fables judaïques, qu'ils se détrompent !

Continuant à parler de lui à la première personne, après avoir dit comment il a engendré les sept disciples dans le ventre de leur mère, — les sept démons de Maria, — Jésus dit comment il a traversé les cieux, et pourquoi il est descendu sous la forme d'une colombe sur Joannès. Bref il donne la clef de toute l'allégorie à laquelle il est mêlé.

Avant de venir en personne il a fait provision de sang vital — ferment du corps humain qu'il a pris — chez Barbilo la Sangsue, personnage qu'à ce nom seul on reconnaît pour être directeur du Conservatoire hémorragique installé au ciel par la Providence des logophanies. Là il peut puiser à volonté de la vie et des formes. Les vêtements qu'il emporte le protègent contre les manœuvres hostiles. Un ange lui passe le bêtement grâce auquel il pourra, sans rien perdre de ses pouvoirs divins, échapper aux Juifs négateurs de la résurrection et à la mort même. Ce vêtement lumineux dont il tempère l'éclat pour les besoins de la cause, nous le connaissons par l'Apocalypse. Il en est souvent gestion dans les Sagesses valentiniennes et dans les Évangiles, notamment celui de Marc[23]. Ainsi paré, le voilà en route à travers l'espace. Pas de bagages, pas même un réticule ; les publicains de Rome n'auront rien de lui et partout il circulera, exhortant son peuple à faire comme lui, à voyager sans billet. Une toute petite précaution cependant, dont son vêtement ne le dispense pas : quelques bâtons de sucre d'orge pour les prophètes du Jourdain qui jadis ont annoncé sa venue.

Il quitte son domicile sans aucun de ces tonnerres et de ces trompettes qui retentissent si désagréablement aux oreilles humaines dans l'Apocalypse. Quand on va visiter chez les gens, on ne leur tombe pas sur la tête. Il ne vient pas pour s'installer définitivement, mais seulement pour opérer quelques résurrections comme celle d'Eléazar, et quelques assomptions comme celles de Shehimon et de Bar-Jehoudda.

 

TRANSFORMATION DU JOANNÈS EN TÉMOIN DE JÉSUS-HOMME.

 

La franchise de Cérinthe avait quelque chose d'inconciliable avec l'établissement d'une religion. D'ailleurs, il n'était pas absolument vrai que Joannès n'eût pas vu Jésus. II l'avait même vu sous deux, formes ; colombe, puis homme, dans l'Apocalypse. En jouant sur les mots, on pouvait trouver le moyen de tromper sans mentir. Il est bien vrai que Joannès a vu Jésus, et que ce Jésus avait la forme d'un homme, mais ce n'est pas sur la terre qu'il l'a vu, c'est dans le ciel. Relisez l'Apocalypse, si le cœur vous en dit. S'emparant de la vision apocalyptique, Cérinthe fait venir Jésus au Jourdain ; il n'oublie qu'une chose, mais par exemple il l'oublie bien, c'est de dire que Jésus descend du ciel. Toutefois il n'a pas eu l'impudence de pousser l'aventure plus loin. Il n'a pas admis que Jésus se fit baptiser par Joannès, cela lui a paru trop scandaleux, il y a apparition, pas autre chose.

On peut dire que maintenant rien ne reste plus de l'ancien dispositif de Cérinthe. Tout change en effet par la précaution que prend Joannès d'annoncer un autre personnage qui déjà est au milieu des Juifs, à leur insu, et qui arrivera le lendemain, à pied. Il ne faut plus qu'on entende parler de l'Apocalypse, de ces douze Æons, de ces vingt-quatre Vieillards, de ces cent quarante-quatre mille Anges, de ce Millenium, de ce Jardin aux douze récoltes, de ce Fils de l'homme qui devait détruire le monde païen par tiers, entre l'Agneau d'avril et les Ânes de juillet, et baptiser de feu le christ qui baptisait d'eau. Puisque l'Apocalypse n'est plus de lui, Joannès renonce complètement à ces avantages.

 

PRÉSENTATION À JÉSUS DE SES FRÈRES SELON LE MONDE.

 

Jésus est donc en Bathanée depuis la veille ; mais comme il n'est né nulle part, personne ne le connaît. Où ira-t-il ? Dans la maison de son Joannès, chez la veuve de Jehoudda, qui est sa mère selon le monde. Et à qui se présentera-t-il tout d'abord ? A l'auteur de l'Apocalypse, il n'en peut être autrement, ce fut son corps sous Tibère. Seulement, il est convenu qu'on ne parlera ni du Joannès qui a fait l'Apocalypse (Joannès n'est plus le prophète), ni du Joannès qui fut christ et jésus (Joannès n'est plus qu'un précurseur baptisant). Le christ dorénavant, ce sera Jésus, mais Joannès ne perd rien au change, puisque Jésus c'est lui-même. Sur les bords du Jourdain il faut se montrer coulant.

29. Le jour suivant, Joannès vît Jésus venant à lui, et il dit : Voici l'Agneau de Dieu, voici celui qui ôte le péché du monde[24].

30. C'est celui de qui j'ai dit : Après moi vient un homme qui a été fait avant moi, parce qu'il était avant moi[25] ;

31. Et moi je ne le connaissais pas[26] ; mais c'est pour qu'il fût manifesté en Israël, que je suis venu baptiser dans l'eau.

32. Joannès rendit encore témoignage, disant : J'ai vu l'Esprit descendant sur lui en forme de colombe, et il s'est reposé sur lui.

33. Et moi je ne te connaissais pas, mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau m'a dit : Celui sur qui tu verras l'Esprit descendre et se reposer, c'est celui-là qui baptisera dans l'Esprit-Saint.

34. Et je l'ai vu, et j'ai rendu témoignage que c'est lui qui est le Fils de Dieu.

Jamais mensonges plus cyniques n'ont souillé la conscience humaine, mais il est convenu que nous ne nous indignons plus, nous constatons. Nous constatons que, pour arriver à ses fins, le scribe reporte sur Jésus-homme tout ce que Bar-Jehoudda s'attribuait à lui-même pour donner l'estampille céleste à ses Révélations, notamment la colombe de l'Arche solaire. Cependant, pour faire son faux témoignage, Joannès est obligé de supprimer le baptême de feu, c'est-à-dire la purification par le feu céleste que le Fils de l'homme devait apporter le 15 nisan 789 en apparaissant sur les nuées et en descendant sur la montagne de Sion avec sa milice.

Vous avez vu tout à l'heure que les Juifs du Temple ne connaissaient pas Joannès, qu'ils ignoraient son nom de circoncision et sa naissance ? Joannès va plus loin, il ne se connaissait pas lui-même, il ne se rappelle rien de ce qu'il a été pendant sa vie, il a perdu son corps depuis si longtemps qu'il ne le reconnaît plus quand on le lui représente !

 

Ce jour-là, le second depuis la descente de Jésus. Joannès est avec deux de ses disciples pour recevoir le Seigneur. On a enlevé la phrase qui les concerne, mais comme le baptiseur n'eut d'autres disciples primitifs que ceux de son père dont il était lui-même le premier élève par ordre de primogéniture, nous n'avons plus qu'à chercher le nom de ces deux-là. L'un est Jacob senior, l'autre Jehoudda Toâmin. Ce n'est pas seulement par calcul que l'Église ne les nomme plus. Ils n'ont pas encore de nom au livre de vie[27] lorsque Jésus les voit.

35. Le jour suivant (troisième), Joannès se trouvait de nouveau avec deux de ses disciples,

36. Et regardant Jésus qui se promenait, il dit : Voilà l'Agneau de Dieu.

37. Les deux disciples l'entendirent parler ainsi, el ils suivirent Jésus.

Quels sont ces deux autres disciples ? Cérinthe ne le dit pas ; ce n'est pas à lui, c'est à Jésus de les nommer. C'est Jésus qui crée, donc c'est lui qui nomme. Ce qui n'existe pas n'a pas de nom. Le premier des nazirs nommés après Joannès, c'est et ce doit être Jacob junior dit Andréas[28], bien que Shehimon vint avant lui dans l'ordre de géniture. Mais il est le premier martyr de la famille après son père, il a été lapidé par Saül en 787. Cérinthe se montre beaucoup plus juste que les Synoptisés, parce qu'il est plus historique, Andréas connaît Jésus au ciel, il a revêtu le vêtement blanc du martyr, il vit dans la lumière céleste depuis 787 ; il est tout naturel que Jésus, pour entrer dans sa maison selon le monde, dans la famille où il était attendu, soit guidé par celui des sept frères qu'il a connu le premier. La veuve de l'homme de lumière tombé au Recensement[29] n'eût pas permis qu'il en fût autrement, sinon il n'y aurait plus de Loi. Le quatrième disciple qui voie Jésus, c'est Shehimon, frère cadet de Bar-Jehoudda et le troisième martyr parmi les sept fils de Salomé, en Évangile Maria Magdaléenne.

38. Or Jésus, s'étant retourné et les voyant qui le suivaient, leur dit : Que cherchez-vous ? Ils lui répondirent : Rabbi (ce qui veut dire, par interprétation, Maître), où demeurez-vous ?

39. Il leur dit : Venez et voyez. Ils vinrent, et virent où il demeurait, et ils restèrent avec lui ce jour-là ; or, il était environ la dixième heure (quatre heures du matin).

Cérinthe joue ici sur la double nature que Jésus tire de la logophanie ; Jésus est en même temps le Verbe-lumière, et en cette qualité il se confond avec le Soleil, et le fils aîné de Jehoudda, et à ce titre il habite la même maison que ses six frères selon le monde. Les deux disciples sont donc bien sûrs de le voir à son lever, ils n'ont qu'à faire la prière du matin à la même heure qu'autrefois avec leur aîné le Nazir, c'est-à-dire entre la troisième et la quatrième veille de la nuit.

Je suis tout à fait affligé lorsque j'entends dire par le Saint-Siège qu'il était environ quatre heures de l'après-midi. Jamais le Juif consubstantiel au Père n'eût attendu si tard pour prier le Fils de l'homme de ne pas manquer de détruire à jour fixe tout ce qui faisait obstacle au Royaume des Juifs, surtout en cette saison où, sur le coup de quatre heures du matin, le pain du Verbe (l'orbe du soleil) commence à sortir du fournil.

 

Je déplore également que toute l'Église voie dans l'un de ces deux disciples un certain Jochanan évangéliste ; je comprends bien qu'elle y est en quelque sorte forcée depuis qu'elle a enlevé le Quatrième Évangile à Cérinthe pour le donner à ce Jochanan. Si je proteste, c'est uniquement parce que Jochanan n'existe pas, et aussi parce que le prince des apôtres après Joannès le baptiseur n'a pas son compte dans cet arrangement. Car nous en avons la preuve, et Cérinthe la donne plus bas, l'un de ces disciples est Jacob junior, l'autre Shehimon. C'est par humilité, dit le Saint-Siège, que saint Jean ne se nomme jamais par son nom ni dans son Évangile ni dans ses Épîtres et que, quand il a besoin de parler de lui, il se désigne par une périphrase. Ce n'est pas tout à fait pour cela, c'est parce qu'il n'existe pas.

40. Or André, frère de Simon (Pierre), était un des deux qui avaient entendu de Joannès ce témoignage, et qui avaient suivi Jésus.

41. Or il rencontra d'abord son frère Simon, et lui dit : Nous avons trouvé le Messie (ce qu'on interprète par le Christ).

42. Et il l'amena à Jésus. Et Jésus, l'ayant regardé, dit : Tu es Simon, fils de Jonas[30] ; tu seras appela Képhas (ce qu'on interprète par Pierre).

Voilà qui est entendu, Jésus fait la grâce à Jacob junior et à Shehimon d'accepter leur frère aîné pour Messie, cela vaut bien qu'ils renoncent à leur nom de circoncision et à celui de leur père. De Joannés Bar-Jehoudda est devenu Jésus ; c'est bien le moins qu'André et Pierre, tout en restant ses frères pour les Juifs, cessent de l'être pour les goym qu'il s'agit de tromper copieusement. Ils ne peuvent qu'applaudir à ce programme, clair de lune de celui qu'ils caressaient en leur vivant. Nous ne trouvons pas cela mauvais, mais enfin nous apprenons par là qu'en leur vivant, et pour les historiens comme Josèphe, Juste de Tibériade et tous ceux qui ont parlé d'eux, Jehoudda ne s'appelait pas Jonas, Jacob junior ne s'appelait pas André, Shehimon ne s'appelait pas Pierre. C'est ce qui explique que Shehimon s'appelle Shehimon quand il est crucifié à Jérusalem, et Pierre quand il est crucifié à Rome.

Jésus rend hommage par un seul mot, mais pictural, a son père selon le monde, il l'appelle Jonas. Jehoudda n'est pas seulement le père des sept disciples, il est leur initiateur, il est leur Joannès. Le christ baptiseur n'est, au fond, que Joannès II.

Aussi avec quelle facilité André et Pierre déclarent avoir trouvé le Messie ! Ils n'ont pas eu à chercher bien longtemps. Le nom de Joannès Ier, fils de David, et mari de Salomé, fille de David, a suffi pour leur rappeler que le christ selon Joannès V était Joannès II revenant dans sa maison sous la figure et sous le nom de Jésus.

 

Immédiatement après Jacob junior et Shehimon, Jésus voit Philippe. Cela ne veut dire d'aucune façon que Philippe ait été physiquement martyr, mais Philippe est le grand témoin dogmatique[31]. C'est lui qui a recueilli l'enseignement de son père, de sa mère et de ses frères. Il a introduit les Paroles du Rabbi dans le monde, il est mort millénariste, dans la foi de toute sa famille, il faut donc le convertir à la thèse rétroactive qui fait de son aîné le Messie définitif. Car c'est l'esprit du prologue dont l'Église coiffe l'Évangile de Cérinthe. D'Æon qu'il était dans Cérinthe, Bar-Jehoudda est promu Verbe. Il avance de douze points, il n'était qu'un des douze Æons, le voilà au-dessus de lui-même.

43. Le lendemain, Jésus voulut aller en Galilée ; il trouva Philippe et lui dit : Suis-moi.

44. Or Philippe était de Bethsaïda, de la même ville qu'André et Pierre.

Comme vous le voyez, commencées en Bathanée le premier jour, les présentations se poursuivent à Bethsaïda, c'est-à-dire au lieu de pêche qui était en Gaulanitide. Cela ne signifie nullement que la maison où est Jésus soit proprement à Bethsaïda. Le lieu de pêche, c'est Gamala, alias Nazireth, la ville de ceux que leur père a naziréés, et où il a charpenté la barque baptismale. Le lieu de pêche, c'est tout lieu où il y a un Juif, Transjordanie, Galilée, Samarie, Judée, Idumée, Décapole, Damas, Tyr, Sidon. Comme les nazirs eux-mêmes, le Pays natal a changé de nom sous l'inspiration du Verbe. En tout cas, Cérinthe, lui, ne confond point Bar-Jehoudda avec le Verbe. Le Père du Verbe, c'est Dieu ; le père de Joannès II, c'est Joannès Ier, Jehoudda de Gamala ; le père de Jésus selon le monde, c'est Joseph de Nazireth, Jehoudda de Gamala[32]. Évidemment Cérinthe préfère que les goym ne comprennent pas, mais enfin il avoue.

 

NÉGOCIATIONS AVEC MÉNAHEM.

 

Les affaires de Jésus avec toute cette famille s'arrangent vite. Il en est une néanmoins qui exige un doigté spécial, c'est celle qui regarde Ménahem. Plus heureux que son aîné, quoique moins nazir, Ménahem est entré sous les Ânes, c'est-à-dire victorieux, dans Jérusalem, il a été couronné dans le Temple, il a été roi-christ pendant une cinquantaine de jours, il est, en somme, le seul des fils de Jehoudda qui soit arrivé à ses fins. Cela s'est passé en 819, près de trente ans après la crucifixion de celui dont on est en train de faire le Messie au mépris de ses propres Écritures, et cela démontre qu'après Shehimon et Jacob senior, crucifiés en 802, Ménahem est mort sans avoir pensé un seul instant que son aîné fût le Verbe de Dieu, le Roi des rois, consubstantiel au Père, et qu'en cette qualité il fût la Lumière qui éclaire tout homme venant au monde.

Jésus a bien arrangé son affaire avec Bar-Jehoudda en Bathanée, mais il n'entrera pas en Galilée, qui est son chemin pour monter à Jérusalem, avant d'avoir convaincu Ménahem qu'il faut se taire. C'est Philippe qui se chargera de la commission. C'est lui qui a recueilli, conservé l'enseignement de Jehoudda, et transmis l'Apocalypse, c'est lui qui fera entendre raison à Ménahem. Celui-ci d'ailleurs ne demande qu'à être convaincu, à la condition toutefois qu'on ne l'appelle pas par son nom de circoncision. Rien de plus facile. Puisque le Joannès s'appelle Jésus ; que pour éviter l'identification des sept démons de Maria, Jacob senior et Jehoudda Toâmin sont des disciples anonymes qui ne sont pas même de la famille ; puisque Jacob junior ne s' appelle pas Stéphanos[33] comme dans les Actes, mais André comme dans les Synoptisés ; puisqu'il n'est frère de Joannès, mais seulement de Shehimon ; puisque Shehimon s'appelle Képhas ou la Pierre et qu'il n'a d'autres frères qu'André ; puisque Philippe n’est qu'un voisin de campagne amené là par les hasards de la promenade, Ménahem sera méconnaissable sous le nom de Nathana-El[34], quoiqu'il y ait équivalence entre les deux noms. Car si Ménahem veut dire Consolateur, Nathana-El signifie Donné par El ou Eloï, et vous savez assez que Maria Magdaléenne dans Luc est qualifiée d'Eloï-Schabed, c'est-à-dire Serment de Dieu[35].

45. Philippe trouva Nathanaël, el lui dit : Nous avons trouvé celui de qui Moïse a écrit dans la Loi et les Prophètes, Jésus, fils de Joseph de Nazireth.

Joseph de Nazireth, le père des sept nazirs, voilà le grand mot lâché !

Remarquez bien toutefois la phrase de Philippe ; elle a passé inaperçue des exégètes, mais c'est un trait delà lumière du Verbe. Bar-Jehoudda est celui dont Moïse a écrit dans la Loi et les Prophètes. Est-ce à dire que Moïse ait écrit l'œuvre des Prophètes ? Non certes, et Jehoudda de Gamala connaissait trop bien sa chronologie pour avancer une telle proposition, il savait même que le Mage n'avait laissé d'autre Loi que le système millénariste de Joseph, fils de Jacob ; le Soleil, la Lune et les douze signes qui n'existent, ne marchent, ne luisent que pour le service particulier d'Israël. C'est de cette Loi que parle Philippe, de cette Loi gravée hiéroglyphiquement sur la double table de pierre — d'où le nom de Pierre que Jésus autorise Shehimon à porter dans la fable — et où se trouve résumée par signes et peut-être par lettres (de l'Aleph au Thav) toute la thèse de la prédestination juive exploitée ensuite par les Prophètes. Il est donc juste de dire, et c'était l'opinion de tous les Juifs instruits du secret sacerdotal, que le Mage a écrit sa Loi non pas seulement sur la table de pierre qu'il a laissée, mais dans les Prophètes eux-mêmes, quoique ceux-ci aient vécu deux mille ans après lui.

Les Prophètes jusqu'à Joannès ! il n'y a pas d'autre Loi, dit Jésus dans Mathieu[36]. Quels sont ces prophètes ? Ceux qui forment le recueil actuel ? Les douze ? Nullement, ceux-là sont les petits prophètes, les minores, quel que soit leur génie. Les Grands Prophètes, dont les douze petits ne sont qu'une dilution, c'est Jacob en son Testament astrologique de la Genèse, c'est Joseph, héritier de la formule, c'est le Mage aux Poissons, autrement dit Moché-ar-Zib[37], le premier chanteur populaire du système. La pierre de Moïse, c'est le songe de Joseph, gravé. Vous savez pourquoi Jehoudda s'appelle Joseph et pourquoi Shehimon s'appelle la pierre. Comprenez-vous maintenant pourquoi, en dépit des crimes et des faiblesses de toute cette famille, tant de juifs se sont faits christiens et jehouddolâtres après la chute de Jérusalem et la dispersion d'Israël ? L'Apocalypse fut l'espoir de la revanche dont le christ fut le porte-drapeau. Drapeau non déployé, drapeau roulé dans la gaine des Évangiles, mais drapeau quand même !

Pour Cérinthe Jehoudda s'appelle Joseph comme pour les Synoptisés ; toutefois il n'est dit ni le Charpentier baptismal, ni le Zachûri ou Verseau, ni le Zibdéos ou Faiseur de Poissons. Alors que dans les Synoptisés Jésus monte très souvent dans la barque de Zibdéos, son père selon le monde, pas une seule fois Cérinthe ne cite le Charpentier sous son nom d'armateur. En compensation le père du prophète de l'Apocalypse apparaît aux Noces de Kana où il est dit l'Architrichin. L'image de son père sous de faux noms, il n'en faut pas davantage à Ménahem pour se décider ! Mais comme il figure lui-même sous un faux nom dans la mystification cérinthienne, il jouera le rôle d'un israélite redoutable par sa franchise, il fera le juif qui ne veut pas se rendre à l'évidence et qui objecte à Philippe la mauvaise renommée dont jouit leur père sous son nom historique de Jehoudda de Gamala.

46. Et Nathanaël lui demanda : Peut-il venir de Nazireth quelque chose de bon ? Philippe lui répondit : Viens et vois.

47. Jésus vit venir à lui Nathanaël, et il dit de lui : Voici vraiment un Israélite en qui il n'y a point d'artifice.

Rendons à Jésus ce qui est à Jésus. C'est lui, ce n'est pas un vague Ignace de Loyola qui a inventé le jésuitisme. Pour eu venir à ses fins il fait semblant d'approuver Ménahem. Ménahem a dit vrai ; la page sur laquelle est couchée l'histoire de Jehoudda et de ses fils est un long éclabousse ment du sang de leurs meurtres, un noir saupoudrement des cendres de leurs incendies. Ce sont eux qui ont perdu la patrie par -leurs ambitions mondiales, tourné toutes les nations contre les Juifs par leurs prophéties plus exécrables encore qu'absurdes. Les Ânes ont coûté cher aux Juifs ! Mais tout cela est bien vieux[38], et il ne tient qu'à Ménahem qu'on l'oublie tout à fait. La fin que se propose Cérinthe est une noble fin et conforme à l'Apocalypse des Joannès ; il s'agit d'affoler et de dépouiller ces goym pendant mille ans et plus. Ménahem ne peut-il sacrifier — encore n'est-ce qu'un faux semblant — l'honneur des siens à ce programme ? Et puis n'est-ce pas un plaisir satanique de penser que tous ces goym dont il avait juré la perte vont placer son frère sur les autels, dans les temples jadis consacrés à leurs dieux, et qu'ils immoleront tout, même la nature, à la judéolâtrie ? Jésus espère bien que Ménahem, donnera les deux mains !

48. Nathanaël lui demanda ; D'où me connaissez-vous ? Jésus répondit et lui dit : Avant que Philippe t'appelât, je t'ai vu, lorsque tu étais sous le Figuier.

Ainsi, pour l'avoir vu sous un figuier, Jésus le connaissait avant que Philippe l'appelât. Il aurait pu en dire autant de toute la famille, car, Joannès vient de nous le dire, il était avant lui, c'est-à-dire avant Adam, il était en Dieu, au commencement des choses, il a vu Nathanaël dans l'Éden sous l'Arbre de la science du bien et du mal.

Nathanaël a été trouvé sous le figuier aux bons fruits, le figuier de la même famille que la Vigne aux douze récoltes. Jésus avait déjà montré tout un panier de bonnes figues à Jérémie, à côté du panier où sont les mauvaises figues hérodiennes. Ceux qui représentent les bonnes figues, je les édifierai et ne les détruirai point, je les planterai et je ne les arracherai point. Je leur donnerai un cœur afin qu'ils me connaissent et qu'ils sachent que je suis le Seigneur ; ils seront mon peuple et je serai leur dieu, parce qu'ils reviendront à moi de tout leur cœur. Et comme vous voyez ces mauvaises figues dont on ne peut manger, parce qu'elles ne valent rien, ainsi j'abandonnerai Sédécias, roi de Juda (Hérode), ses princes (Archélaüs, Antipas, Saül, Costobar, Agrippa), et ceux qui sont restés de Jérusalem, qui demeurent dans cette ville ou qui habitent dans la terre d'Egypte (Rome et les villes de servitude). Je ferai qu'ils soient tourmentés, qu'ils soient affligés en tous les royaumes de la terre, et qu'ils deviennent l'opprobre, le jouet, la fable et la malédiction des hommes dans tous les lieux où je les aurai chassés. J'enverrai contre eux l'épée, la famine et la peste[39] jusqu'à ce qu'ils soient exterminés de la terre que je leur avais donnée à eux et à leurs pères[40].

19. Nathanaël lui répondit et dit : Rabbi, vous êtes le fils de Dieu, vous êtes le roi d'Israël.

50. Jésus répliqua et lui dit : Parce que je t'ai dit : Je t'ai vu sous le Figuier, tu crois ; tu verras de plus grandes choses.

51. Et il ajouta : En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu montant et descendant sur le Fils de l'homme.

Une fois convaincu que, grâce à la supercherie proposée par Philippe, le Messie d'Israël reste dans la maison dont il est issu lui-même, Ménahem cède volontiers, et pour sa peine on lui promet qu'un de ces jours il verra le Fils de l'homme au milieu des anges — une voie montante et descendante, — car il en viendra d'en haut et d'en bas, il sera lui-même de ceux qui viennent d'en bas comme il convient à celui qui est venu compléter le sabbat de démons qu'El ou Eloï donna jadis à Salomé. Voilà donc les sept fils de Jehoudda dans la combinaison. Les sept démons que Jésus a tirés des entrailles de Maria Magdaléenne sont au complet ; Bar-Jehoudda (Joannès), les deux disciples anonymes qui sont avec lui le second jour (Jacob senior et Jehoudda Toâmin), puis Jacob junior (André), Shehimon (la Pierre), Philippe et Ménahem.

 

Jésus peut maintenant monter à Jérusalem, mais auparavant il a un grand signe à fournir que la réunion des sept nazirs lui rend facile et agréable. Le huitième jour il est à Kana. Car Joseph et ses fils ne sont pas seulement de Nazireth et de Bethsaïda, ils sont aussi de Kana. L'esprit de justice qui nous a poussé à revendiquer pour Joannès le nom et la qualité de Jésus nous amène également à revendiquer pour lui ce nom de rabbi qui était le sien de par la Loi, que Pilippe lui donne dans les Paroles du Rabbi, que Cérinthe lui donne plus loin encore, que Luc lui maintien et qu'on ne prodigue à Jésus que comme revenant de maître Joannès. Nous sommes affligés de voir que l'Église le lui enlève complètement, nonobstant Luc et celui qu'elle appelle Saint-Jean, pour le transporter à Jésus qui n'existe pas. C'est, dit-elle, le titre que l'on donnait aux docteurs de la loi en Palestine, et nous voyons par S. Jean, qui répète ce titre huit fois dans son Évangile, que c'était celui que les apôtres donnaient à Jésus, S. Matthieu et S. Marc ont rarement conservé le mot sémitique Rabbi ; et S. Luc a toujours traduit la signification de ce mot : Maître.

Quoi donc ! est-ce que le Joannès n'était pas docteur de la loi et Maître parmi les hommes, comme tout Nazir davidique ? Il est vrai que Joannès n'est plus rien, ni christ, ni Elie, ni le prophète de l'Apocalypse, ni le remetteur de péchés, ni le Nazir, il ne peut donc prétendre à aucun titre. En moins de quatre jours il n'a plus de père, il n'a plus de mère, il n'a plus de frères, il n'a plus de sœurs, c'est lui qui a l'air d'être descendu du ciel. Car enfin comment s'appellent le père et la mère de Joannès ? Dans Luc, ils s'appellent, la mère, Eloi-Schabed[41], et le père, Zachûri[42] ; mais pour Cérinthe qui a composé cet Évangile, comment s'appelaient-ils ? Et pour les gens du Temple qui sont venus trois jours auparavant demander à Joannès qui il était et pourquoi il baptisait ? Voilà ce que nous désirons savoir si par hasard Jésus n'est pas le revenant du Joannès.

 

LES DOUZE ÆONS, DIACRES OU APÔTRES.

 

L'Évangile de Cérinthe ne contient pas la constitution de douze apôtres par Jésus. Mais y est-elle sous-entendue ? La fable emportait l'obligation de le flanquer des Douze Æons sans lesquels il ne pouvait ni tenir debout ni réaliser le plus petit miracle. Aux sept fils de Maria qui avaient occupé le devant de la scène jusqu'à la chute de Jérusalem on adjoignit cinq autres Juifs tirés de l'histoire kannaïte[43] et qui avaient mérité par leurs exploits ou par leurs Écritures l'honneur d'être portés sur la liste apostolique. N'était l'incertitude des scribes sur la composition de ce gouvernement provisoire, il n'y aurait rien eu de surprenant à ce que les douze tribus eussent élu chacune un chef pour la révolte. Cependant il n'apparaît pas que Cérinthe ait incarné les Douze Æons dans les douze individus qui sont aujourd'hui nommés par les Évangiles Synoptisés. Il connaît les douze Æons, sans quoi il ne serait pas millénariste, mais en dehors de Jehoudda Is-Kérioth, chef de l'école antidavidiste, il ne connaît que sept apôtres dont le prince est Joannès par droit de primogéniture, les sept fils de Jehoudda et de Salomé, tous de la tribu de Juda et de celle de Lévi. Valentin qui est anti-millénariste connaît parfaitement les Douze Æons, tout en n'admettant que sept disciples à la base de l'histoire. Le Joannès, voilà le prince des apôtres pour tous les Cérinthiens, pour tous les Valentiniens, pour tous les Naziréens, pour tous les Ébionites, pour les Jesséens, pour tous les Juifs initiés à la fable évangélique.

Le lieu où je serai, dit Jésus dans la Sagesse de Valentin, mes Douze Diacres[44] y seront aussi ; mais Joannès et Maria sont les premiers parmi les disciples. Évidemment il ne parle pas ici des douze individus que les Synoptisés lui donnent pour compagnons, — sans quoi Judas serait au ciel avec Jésus ! — mais des Douze ministres millénaires que d'après l'Apocalypse il devait amener avec lui.

Les douze apôtres-hommes n'entrèrent qu'assez tard dans le cadre évangélique des Synoptisés, et encore n'est-ce qu'à cause du plan qui consiste à faire tenir en une seule année les événements que Cérinthe avait disposés sur les douze dernières années de Bar-Jehoudda, chaque année comptant pour un Æon, Cérinthe pouvait faire accepter une descente, celle de Jésus, jamais il n'eût fait accepter en plus celle de ses Douze Æons. Pour la même raison, il supprime de la fable les vingt-quatre Anciens des jours, les trente-six Décans et les cent quarante-quatre mille Anges. Ils sont remplacés par ce que l'Évangile appelle les foules qui se pressent derrière Jésus, suivi lui-même par les sept fils de Jehoudda.

Qu'a fait Cérinthe ? Une chose très logique. Dès le moment qu'il donnait au Joannès le rôle du Verbe qui n'était pas venu, il fallait lui composer un cercle terrestre qui répondit mathématiquement aux Douze Æons qu'où avait attendus. Au douzième et dernier, qui répondait au règne de Bar-Jehoudda dans le thème du monde, il opposa Jehoudda Is-Kérioth, qui dans le fait avait joué le rôle du Temps tombeur du christ, et du Serpent vainqueur du Verbe.

Il est certain qu'en arrêtant le christ, il n'avait fait que défendre les trois principes de liberté, d'égalité et de fraternité outrageusement violés par le prétendu roi des Juifs. Cependant en se plaçant au point de vue de l'Apocalypse et en allégorisant ce point de vue, on ne pouvait nier que Bar-Jehoudda n'eût été trahi par le Temps, puisqu'il avait été arrêté la veille de la grande échéance. En donnant à Is-Kérioth le rôle du Temps lui-même, du Temps qui avait trompé la prophétie, on en faisait le traître dont, en ce siècle déjà, aucun drame ne pouvait se passer. Cérinthe tenait donc Is-Kérioth en réserve pour le produire, au douzième et dernier mois de la douzième et dernière année, contre l'Æon-christ de Dieu. Is-Kérioth devenait ainsi le mauvais Æon, l'Æon-christ de Satan, qui avait trahi l'attente du bon Æon, l'Æon-christ de Iahvé.

L'année de Joannès crucifié, c'avait été la Grande Année manquée, l'année où Jésus n'était pas venu. Au lieu du trésor, le charbon ; au lieu de la Pâque de gloire et de délivrance, la Pâque de supplice et de larmes ; au lieu du Millenium des Poissons qui devait commencer sous l'Agneau de 789, les jours d'affliction et de honte. Pourquoi le christ n'a-t-il pas régné, car enfin il devait régner, vos calculs sont là ? Les christiens répondaient : Nos calculs étaient justes. Le christ n'a pas régné parce qu'il a été trahi par le Douzième Æon. Le Douzième Æon, c'est le Douzième Mille d'années, le Mille de la grâce que nous avions promise aux élus pour leur Pâque. Il a fait défaut. Cela ne serait pas arrivé si Jehoudda Is-Kérioth n'avait pas arrêté l'Æon-christ. Nous allons lui donner le rôle du Douzième Cycle millénaire dans notre thème. Nous l'avons déjà puni en lui ouvrant le ventre, mais cela ne suffit pas. Nous voulons que sous le nom de Judas, et dans le rôle que nous écrions pour lui après sa mort, il soit le Traître éternel.

Et pour se disculper des charlatanismes qui avaient été si néfastes à la Judée, greffant Satan sur Is-Kérioth comme ils avaient enté Jésus sur Joannès, ils firent Judas de la même encre. Us chargèrent ce bouc émissaire de tous leurs mensonges, de toutes leurs impostures, de tous leurs attentats, de toutes leurs faiblesses et de toutes leurs fautes, puis ils le chassèrent loin d'eux comme les criminels chassent le remords. Car Is-Kérioth, c'était la raison, la justice et la vérité ! Is-Kérioth, c'était le Verbe qui avait refusé de descendre à l'appel de ces forcenés et qui avait fait manquer toute l'affaire ! le Verbe qui avait refusé de détruire le vieux monde pour installer les Juifs sur ses ruines ! le Verbe qui, devant le blasphème et la fourberie du baptême, avait refusé de contresigner l'Apocalypse !

 

Au commencement du troisième siècle, tout le monde savait que les douze apôtres actuels étaient une figure des Douze puissances de mille ans que Jésus renfermait en lui d'après le thème du monde, et dont chacune garantissait une part du Royaume aux douze tribus d'Israël. Tous savaient que cette incarnation n'était duodécimale que pour répondre à la décomposition en douze temps du mouvement directeur dont Jésus contenait en lui la cause et la somme. Etant donné le principe de l'Apocalypse, la volonté de mettre la Terre nouvelle en société sous le gouvernement des Juifs et de diviser le Royaume en douze parts, tous savaient pourquoi les Synoptisés en avaient été réduits à distribuer ces parts en déshérence à douze disciples groupés par l'arbitraire des scribes. Tous savaient que ce thème de consolation n'allait pas sans une ironique mélancolie, et qu'il n'y avait pas eu plus de sept grands disciples dans les premiers écrits de la secte.

Ni Cérinthe, dont l'Évangile est aujourd'hui dans le canon, ni Papias, évêque millénariste, donc orthodoxe, à Hiérapolis, ni aucun des six autres évêques désignés dans l'Apocalypse de Pathmos, ni les Valentiniens en leurs Sagesses — nous en avons deux — n'ont connu plus de sept disciples. Et pourtant, les millénaristes pour admirer, les Valentiniens pour blâmer, tous ont eu entre les mains les Paroles du Rabbi.

 

Les Juifs et après eux les Gnostiques, ainsi que tous les christiens et tous les chrestiens, ne consentirent jamais à avoir dans Jésus et ses Douze autre chose qu'une fiction dont l'interprétation leur appartenait de droit et n'était contredite par aucun événement ou témoignage de l'histoire. N'ayant jamais rencontré un seul disciple qui pût témoigner de l'existence de Jésus et des douze, ils déchiffraient l'allégorie selon la règle mathématique dans laquelle on l'avait conçue. Ils ne furent pas dupes de la fable comme plus tard les Romains, les Africains, les Germains et les Celtes. Ils étaient trop près de la Judée, ils voyaient trop de Juifs et trop de christiens, baptistes ou non, pour croire un seul instant à la réalité de Jésus. En Syrie parmi les disciples de Simon le Magicien, de Ménandre et de Saturnin, en Égypte, parmi les Samaritains et les Galiléens immigrés, dans toute cette tourbe de marchands, d'astrologues, de prophètes, personne qui pût arrêter les Gnostiques au bord de leurs interprétations et leur dire : Attention ! ne substituez pas des chiffres à des faits ! Dans cette ville d'Alexandrie il y a des gens dont les pères ont connu les douze apôtres. Allez chez Basilide qui demeure près du phare, il vous dira qu'il tient de Mathias bar-Toâmin la clef du roman évangélique ![45]

En relevant les chiffres alors énoncés dans Cérinthe, les Valentiniens et les Gnostiques montraient qu'il n'y avait là qu'une logophanie arithmétique d'autant plus facile à éclaircir qu'elle ne dépassait pas douze unités. Ce que Cérinthe appelle Apôtres, les Juifs Valentiniens l'appelaient Æons ou Cycles de mille ans, Groupes de mille ans, Sphères de mille ans, et ils en reconnaissaient Douze. Le Renouvellement des temps n'étant point venu dans le délai imparti par le Joannès, il fallut ajouter des Æons-rallonges à son thème. Certains Gnostiques sont allés jusqu'à trente pour donner à la terre le temps de souiller. L'Église, chez le millénariste Salomon, flegmatiquement interpolé et promu Irénée, fait observer qu'au chiffre indiqué par les Évangélistes du canon il manque dix-huit Æons pour arriver à celui de trente que ces Gnostiques comptaient dans leur thème de consommation du monde, et elle en conclut qu'ils n'ont rien entendu à l'existence des douze apôtres-hommes. La confusion que l'Église fait ici entre les deux systèmes est volontaire et de très mauvaise foi. Du reste, comme ces systèmes sont tous deux absurdes, le faux Irénée n'a pas de peine à triompher de l'un et de l'autre. Seulement il oublie de dire que le premier est l'œuvre du Juif au nom de qui il y a des évêques à Lyon[46].

Le cadre mathématique où les Evangélistes ont fait entrer Jésus est celui dans lequel fut constituée l'église de Manès, fondateur de la secte des Manichéens, qui ne pouvait être dupe de la fable juive, puisque dans cette Mystification Jésus reprenait le rôle de Mithra parmi les Perses. A l'assemblée générale des Manichéens, le président, Manès et celui qui lui succéda, tenait le rôle que remplit Jésus. Au-dessous de lui étaient douze adjoints dénommés Chefs ou Maîtres, comme sont les Douze, transportés de l'Apocalypse dans les Évangiles. Au-dessous des douze étaient soixante-douze évêques sont les soixante-douze disciples de Jésus sont l'équivalent dans Luc[47]. Quatre-vingt-quatre personnes Composaient le chapitre manichéen[48]. Si vous écoutez les exégètes jehouddolâtres ils vous diront que Manès est un vil plagiaire de leur Seigneur ![49]

 

LA RÉVÉLATION AUX JUIFS ET LA FÊTE DES TABERNACLES.

 

Les habitudes de précision que nous avons contractées dans notre commerce avec les scribes ecclésiastiques nous induisent à dater l'an, le mois et même le jour où Jésus a fait son entrée dans l'Évangile cérinthien.

Dans le système millénaire l'année a deux commencements, le commencement sacré qui est la pâque ou équinoxe du printemps et qui marie la Judée avec le ciel, et le commencement civil qui est la fête des Tabernacles ou équinoxe d'automne et qui marie les Juifs avec la terre. C'est l'origine des deux tables écrites par Dieu lui-même sur les deux côtés, l'un face au ciel et qui comprend les six bons Cycles (de l'Agneau à la Balance), l'autre face à la terre et qui comprend les six Cycles à racheter de Satan (de la Balance aux Poissons), en tout les douze Millenia dans lesquels Dieu avait renfermé l'œuvre qu'il avait scellée des sept sceaux dont la Vierge de 739 avait inauguré la rupture en donnant naissance à Bar-Jehoudda. On se rappelle que l'Agneau jubilaire de 789 devait consommer l'œuvre en trois temps comptés jusqu'aux Ânes (Agneau, Taureau, Gémeaux). Mais ne revenons pas plus longuement sur ce thème de kabbale astrologique, nous l'avons exposé tant de fois[50] !

N'étant venu ni avec l'Agneau (équinoxe du printemps) ni avec les Ânes (solstice d'été), comme il l'avait dit Bar-Jehoudda, Jésus n'entre à Kana que sous la Balance, entendez le commencement de l'année civile célébré dans la religion juive par la fête des Tabernacles.

Cérinthe est le seul Évangéliste qui mette en scène la fête des Tabernacles, et il le fait à diverses reprises avec une insistance remarquable. C'est sous l'Agneau que Jésus descend du ciel dans cet Évangile, et pénètre dans l'intimité de sa famille d'emprunt, sa famille selon le monde, mais il n'y donne aucun signe. Cérinthe a essayé par là de tourner la difficulté que présentait l'Apocalypse d'après laquelle Jésus devait triompher sous le signe des Ânes, avec les Douze Apôtres, les trente-six Décans et les cent quarante-quatre mille Anges, amenant avec eux la Jérusalem céleste. Manifester pendant le semestre génésique eût été pour Jésus l'obligation de réaliser tout cela sur le papier. Cérinthe n'a pu, aucun évangéliste n'a pu. Tous ont introduit Jésus par l'escalier dérobé qu'éclaire obliquement l'étoile de la Vierge. Mais ce dispositif est particulièrement explicite dans Cérinthe qui, au lieu d'incorporer Jésus au Joannès dans le sein virginal de Maria, ne l'a fait entrer à Kana que sous la Balance.

C'est là une chose indiscutable et de la plus haute importance pour l'intelligence du prologue, surtout de l'allégorie de Nathanaël où Ménahem, septième fils de Jehoudda, occupe sous le figuier la place qu'y avait Adam le septième jour, au milieu de l'Eden dont il s'est fait chasser. C'est donc sous la Vierge, signe de la grossesse de Maria, que Jésus se met en marche pour Kana. Et comme nous ne tarderons pas à apprendre que le christ avait trente-huit ans lors de sa première manifestation kannaïte à Jérusalem, ce chiffre trente-huit nous livre tout le plan original de Cérinthe. Bar-Jehoudda ayant été crucifié à cinquante ans, nous sommes aux Tabernacles de 777. Il nous reste onze ans et demi pour atteindre la pâque de 780, la veille de laquelle Bar-Jehoudda fut crucifié. Dans son plan Cérinthe englobe les douze signes du Zodiaque millénaire à raison d'un signe par an. Or, comme l'Église lu reconnaît, il avait distribué à Bar-Jehoudda le rôle du douzième, l'Æon-christ, celui qui, pour n'être point venu, n'en est pas moins promis aux Juifs par serment de Dieu. C'est une preuve nouvelle que, loin de prendre Bar-Jehoudda pour le Verbe, il ne le considérait que comme un des douze, le dernier des douze, il est vrai, celui en qui devait se réaliser la promesse. A la différence du Verbe qui est le premier et le dernier dans toutes choses, Bar-Jehoudda disait être le dernier des douze Æons, l'Æon médiateur entre les Juifs et l'éternité. En un mot il était l'Æon-Zib, l'Æon-Poisson, celui qui, par définition, est sous l'influence de l'eau du Zachû (le Verseau) et séméiologiquement indiqué pour faire d'autres poissons par le baptême. Jamais le nom de Pêcheur d'hommes n'a trouvé de justification plus pertinente.

 

 

 



[1] Je suis le commencement, le milieu et la fin, dit le Verbe dans l'Apocalypse. Mon Dieu, oui ! C'est ainsi quand on est tout. Je suis le commencement, le milieu et la fin, dit-il dans les Védas (Baghavat-Gita, VII, IX, X) en même temps que chez les Égyptiens, avant eux, si l'on veut. — en tout cas des milliers d'années avant Cérinthe.

[2] Ils ne sont pas séparés, car l'union, c'est leur vie, dit Hermès Trismégiste.

[3] C'est lui qui a fait tout ce qui est, et rien n'a été fait sans lui jamais. (Inscriptions du temple de Philœ et de celui de Médinet-Abou.)

[4] En la vie et la lumière consiste le père de toutes choses. (Hermès, le Pasteur.) Cette lumière, c'est moi, l'Intelligence, ton Dieu, antérieur à la nature humide qui sort des ténèbres, et le Verbe lumineux de l'Intelligence, c'est le Fils de Dieu. (Hermès, le Pasteur.)

[5] Et non comprise, comme on lit dans l'édition du Saint-Siège. Ce combat entre la lumière et les ténèbres ou combat des deux principes est vieux comme le monde. Avec beaucoup moins de sécheresse que Cérinthe, esprit juif, Hermès laisse entendre qu'un peu de lumière, l'intelligence, bégaye en quelque sorte dans le chaos et qu'elle peut grandir. Des ténèbres descendirent qui se changèrent en une nature numide et trouble, et il en sortit un cri inarticulé qui semblait la voix de la lumière ; une parole sainte descendit de la lumière sur la nature. (Hermès, le Pasteur.)

Autres définitions hermétiques du Verbe, synthétisées sans art par Cérinthe.

Ce qui n'est pas, il l'a eu lui-même. (Hermès, I, la Clé.)

De toutes choses il est le Seigneur et le père, et la source, et la vie, et la puissance, et la lumière. (Hermès, IV, Fragments.)

Je suis tout ce qui est, qui a été et sera. (Inscription du temple de Saïs citée par Plutarque et Proclus.) Je suis celui qui est, dit-il à Moïse, qui d'ailleurs n'en était pas autrement convaincu puisqu'il adorait Moloch.

Il est ce qui est el ce qui n'est pas. (Hermès, I, Le dieu invisible est très apparent.)

Si cela ne vous suffit pas, je vous renvoie à l'Hermès Trismégiste (Paris, 1867, in-12°) de M. Louis Ménard auquel on doit ces rapprochements entre le Quatrième Évangile et l'hermétisme égyptien. On ne peut reprocher à M. Ménard d'avoir cru à l'existence de saint Jean évangéliste, c'est une des fâcheuses traditions de l'Université.

Toutes les idées qui s'élèvent au-dessus du molochisme et de l'idolâtrie astrologique dans les Écritures christiennes procèdent de l'Égypte, quand elles ne dérivent pas de la Chaldée. L'androgynisme du premier type humain est hermétique. Hermétiques les sept démons qui gouvernent les sphères célestes et auxquels Marc compare les sept fils de Maria Magdaléenne.

Hermétiques les douze puissances dites Apôtres. Hermétiques les trente-six Décans, disciples du Verbe, et que Luc dédouble en soixante-douze disciples de Jésus. Hermétique entièrement la doctrine de l'être double, de l'homo duplex, sur laquelle les scribes juifs ont spéculé dans leur fable et dont ils ont avili la noblesse en l'incarnant dans l'horrible Bar-Jehoudda, sous le prétexte que son père l'avait portée en Judée... Ce sorcier, dit Psellos en parlant d'Hermès, paraît avoir fort bien connu notre sainte Ecriture !... C'est le diable. Il pille nos traditions, dit Basile !

[6] C'est le titre sous lequel circulait l'enseignement de Jehoudda et de ses fils.

[7] Plus loin, dans cet Évangile même.

[8] Cf. Les Marchands de Christ.

[9] Chapitre XIV, 22.

[10] Le synoptiseur qui intervient ici veut parler de Jésus qu'il présentera bientôt comme un personnage réel indépendant du Joannès.

[11] C'est en somme la répétition des versets 3-5. Nous voyons repasser ici, mais appliqués sur Joannès, les versets que Cérinthe consacrait au Verbe.

[12] Ceci s'est appliqué d'abord à Joannès. Nous n'avons plus à prouver l'identité de Joannès et de Jésus. Mais n'eussions-nous d'autre texte que celui-ci, elle en ressort assez. C'est le baptême qui faisait les futurs Enfants de Dieu. Qui les baptisait ? Joannès. C'est donc bien à lui que le synoptiseur transporte par un démarquage la définition du Verbe créateur et omnipotent. Ce n'est plus Cérinthe qui parle, c'est l'Église spéculant sur le texte de Cérinthe. Le travail du faussaire est très apparent.

[13] Unique, le premier des sept ?

[14] Travail ecclésiastique.

[15] Cf. Le Roi des Juifs.

[16] L'Oméga.

[17] L'Alpha.

[18] XI, 13, 14.

[19] Avouée sans aucun détour par son père dans Luc, I, 70.

[20] L'ambassade se trouve datée de 777, nous le montrerons.

[21] Répétition du verset 13.

[22] Première Sagesse dans la Pista Sophia de Valentin, éd. Amélineau, Paris, 1895, in-8°.

[23] Cf. le Roi des Juifs.

[24] Le péché du monde, c'est la génération qui conduit à la mort.

[25] Répétition du verset déjà employé deux fois.

[26] C'est exact. Jésus est une invention postérieure au Joannès, mais tirée de lui, quoi qu'en sa qualité de Verbe en forme de fils d'homme — voyez l'Apocalypse — il eût devancé Joannès dans le monde.

[27] Le livre où sont inscrits les martyrs et les Zélateurs de la Loi. Cf. Le Roi des Juifs.

[28] Voir au verset 41.

[29] Jehoudda, père du christ, est toujours dit mon homme de lumière par sa veuve dans les Sagesses valentiniennes.

[30] Ou Joannès un des nombreux surnoms de Jehoudda, son père.

[31] Martyre et témoin sont le même mot en grec.

[32] Même processus dans la Nativité de Bar-Jehoudda dans Luc. Cf. Le Charpentier, t. I du Mensonge chrétien.

Dans cette allégorie, il est dit fils du Zachûri (Verseau) en tant que Joannès, et fils de Joseph de Nazireth, en tant que jésus (sauveur).

Pour comprendre l'énigme, il suffit de savoir que le père et le fils sont présentés chacun sous deux noms qui répondent à deux aspects de leur individu.

[33] Couronne, sous-entendu : du martyre.

[34] Vous lirez dans presque toutes les éditions que Nathana-El n'est autre que Barthélemy, apôtre, dont il est question dans Mathieu (V, 3), où il est associé à Philippe. Comme ce Barthélemy n'est autre que Mathias-bar-Toâmin, c'est-à-dire fils de Jehoudda Toâmin, et qu'il n'appartient pas à la génération du roi-christ son oncle, il ne joue aucun rôle dans les Synoptisés non plus que dans Cérinthe. L'Église n'a rien trouvé de mieux, pour masquer la véritable identité de Nathanaël que de confondre celui-ci avec ce Barthélemy qu'elle fait fils d'un certain Tolmaï, sur lequel on manque de lumières, quoiqu'il soit certainement une création du Saint-Esprit.

[35] Luc, I. Cf. Le Charpentier.

[36] Mathieu, XI, 13.

[37] Un des noms que les Égyptiens donnaient à Moïse. Cf. le Gogotha.

[38] Sur les Ânes de Ménahem, cf. le Gogotha.

[39] Apocalypse. Cf. Le Roi des Juifs.

[40] Jérémie, XXIV, 6-10.

[41] Serment de Dieu, le serment gravé sur la pierre du Mage aux Poissons.

[42] Le Verseau, faiseur des Poissons sur le Zodiaque.

[43] L'histoire du fanatisme.

[44] Les Douze Æons dont les douze patriarches juifs furent les représentants sur la terre.

[45] Il existe, en effet, une tradition introduite dans Irénée, et d'après laquelle Mathias aurait révélé à Basilide le véritable sens de Jésus. Il se peut qu'en effet Basilide tienne cela de Mathias, mais pas oralement ni directement, sinon il faudrait admettre que Mathias est postérieur de près d'un siècle à son père Jehoudda Toâmin.

[46] Mais il le sait, et d'autant qu'il connaît assez Luc pour le falsifier. Il réduit à soixante-dix le nombre des disciples envoyés pour répandre la parole, en dehors des Douze Apôtres, ce qui lui fournit cet argument : Que les Gnostiques ne parlent plus de trente Æons, mais de 82 ! Or il y a soixante-douze dans Luc, ce qui porte le chiffre à 84. Chiffre confirmé par les Actes (cf. le Gogotha), et il ne peut y avoir moins, comme nous l'avons démontré surabondamment. Cette réfection d'Irénée, juif et millénariste irréductible, est du cinquième ou du sixième siècle au moins, et Irénée est du deuxième.

[47] Luc, X, 1.

[48] Sur le Gogotha Paul et ses deux cent soixante-quinze compagnons sont primés par un chapitre invisible composé de quatre-vingt-quatre Juifs qui sont les douze et les soixante-douze apôtres ou disciples de Jésus. (Cf. le Gogotha, t. V du Mensonge chrétien.)

[49] Mosheim, Commentarii de rebus Christianorum ante Constantinum Magnum.

[50] Notamment dans le Charpentier, au chapitre le Songe de Joseph et aux trois Nativités de Bar-Jehoudda.