LE MENSONGE CHRÉTIEN - (JÉSUS-CHRIST N'A PAS EXISTÉ)

 

TOME V — LE GOGOTHA

V. — PAUL MARTYR ET PIERRE PAPE.

 

 

I. — Imposture n° 137. - DE MALTE À ROME AVEC SÉJOUR À POUZZOLES.

 

Un seul homme a jusqu'ici l'apparence d'un prisonnier, c'est le centurion qui conduit Paul à Rome, car il lui a laissé prendre des libertés qu'à grand'peine se fût-il accordées à lui-même, comme de relâcher à Sidon, au milieu de ses partisans (quels ?) ; de tenir la route la plus extraordinaire qu'on ait jamais vue dans cette traversée ; de conseiller les manœuvres les plus contraires à la navigation ; de séjourner trois mois à Malte dans des conditions qui sont d'un étranger curieux des beauté de l'île ; le tout sans aucun souci de la consigne, ni même du but du voyage qui était de mener Paul à Néron.

Si Tacite et Suétone n'avaient pas pris le soin de nous représenter Néron sous les couleurs d'un tyran, on pourrait conclure des Actes que jamais homme plus doux ne régna sur les autres hommes. Jamais touriste embarqué ne fut traité plus confortablement en mer que Paul par l'agence Julius and C°. Julius se conduit même avec une partialité marquée en faveur de Paul. Quand le bateau souffre une avarie, et le voyage, un retard, Julius ne songe qu'à tirer Paul des mauvais pas, il tient à ce que Paul arrive intact.

Après un séjour de trois mois à Malte, — il était en route depuis un siècle, — Paul et les jehouddolâtres montent sur un vaisseau d'Alexandrie, le troisième depuis le départ de Césarée, et qui a hiverné dans l'île. Il a pour enseigne Castor et Pollux dont les images vénérées des navigateurs étaient en peinture ou en relief à la proue. Ces deux divinités sont fidèles à leur renommée, et la navigation est agréable, ce qui nous porte à croire que la dévotion des païens n'était pas déplacée. Autant elle avait été mauvaise sous l'invocation de Bar-Jehoudda et sous le signe de la croix, autant elle devient bonne, quand on se règle sur l'étoile du soir et sur l'étoile du matin.

11. Au bout de trois mois, nous nous embarquâmes sur un vaisseau d'Alexandrie, qui avait hiverné dans l'île, et qui avait pour enseigne les Castors.

12. Et étant arrivés à Syracuse, nous y demeurâmes trois Jours.

13. De là, faisant le tour de la côte, nous vînmes à Rhegium ; et un jour après, un vent ayant soufflé du midi, nous vînmes à Pouzzoles,

14. Où nous trouvâmes de nos frères, qui nous prièrent de demeurer avec eux sept jours ; et après nous partîmes pour Rome.

15. Ce qu'ayant appris, nos frères de Rome vinrent au-devant de nous jusqu'au forum d'Appius et aux trois Tavernes. Lorsque Paul les eut vus, rendant grâces à Dieu, il fut rempli de confiance.

II n'est point impossible que Saül soit venu à Pouzzoles avant de se retirer en Espagne et même qu'il se soit embarqué là, au milieu de ses cousins et de ses cousines. La colonie juive était importante. Le commerce de l'argent florissait en ce grand port de Campanie, le Naples d'alors[1]. L'argent qu'Alexandre Lysimachos, le riche alabarque d'Alexandrie, prêta au prince Agrippa, lorsque celui-ci alla prendre possession des états de Philippe le tétrarque, fut compté partie à Pouzzoles, où Lysimachos avait sans doute un correspondant, partie en Egypte, sous l'œil de Philon[2].

On allait à Rome par la voie Appienne, encombrée d'hommes, de bêtes, de mules et de chars. A Capoue ce long convoi montant et descendant s'augmentait de celui de Brindes[3], et c'était alors une inexprimable cohue. Passé le pont de Campanie, on prenait son chemin par Sinuesse, Fundi, Anxur, Feronia, et bientôt les grenouilles coassaient l'approche des Marais Pontins, sur lesquels on s'embarquât avec les bagages. On passait sur de grands bateaux où les commissaires empilaient jusqu'a trois cents personnes, et on débarquait au Forum d'Appius. C'est là que se réglait le passage au milieu des loueurs de mules, des bateliers quémandeurs et des cabaretiers fripons. On y concliait, plutôt pour obéir à l'usage que pour dormir. Aux grenouilles se joignaient les moustiques, et, brochant sur le tout, le chant nocturne des ivrognes qui célébraient à gorge déployée les grâces exubérantes de leurs belles. Du Forum d'Appius à Aricie et d'Aricie à Rome il n'y avait qu'une journée : les délicats comme Horace en mettaient deux pour donner moins de prise à la courbature, car la voie était fort pénible.

Les frères — le scribe entend par là les jehouddolâtres — viennent à la rencontre de Paul, les uns jusqu'au forum d'Appius, à quarante-trois milles de Rome, les autres jusqu'aux Trois-Tavernes, ainsi appelées des hôtelleries installées à la sortie des Marais Pontins. Ils n'avaient point à aller au-devant de lui, ils étaient sur son chemin, le long de cette voie Appienne où ils avaient leur catacombe.

A leur vue il rend grâce à Dieu et prend courage : un courage dont il n'a guère besoin, car jamais prisonnier ne fut conduit à Néron dans des conditions de liberté pareilles. Le ceinturion Julius, qui est la meilleure pâte de ceinturion qu'oncques ne vîmes, renoncerait au service militaire plutôt que de conduire Paul au préfet du prétoire.

Quant aux jehouddolâtres, savez-vous pourquoi ils vont au devant de Paul avec cette célérité ? C'est pour le supplier de ne pas dire quel fut Saül en Judée, en Grèce et en Asie. Eux aussi sont des agents du Saint-Esprit.

Les historiens de toute école s'accordent à dire que Paul est arrivé à Rome vers le milieu de mars 814, dans la septième année du règne de Néron, Cœsenius Pœtus et Petronius Turpilianus étant consuls.

Nous avons montré que Saül n'était guère arrivé à Rome qu'au commencement de 820, et qu'existât-il, Paul n'aurait pu y arriver en mars, puisqu'il a célébré la Pâque le 14 avril à bord du Gogotha. Mais il est intéressant de dire que la situation légale des Juifs de Rome ne s'était pas modifiée sous Néron. Ils y vivaient nombreux et tranquilles, leurs rangs ne s'étant éclaircis que par l'expulsion des christiens sous Claude.

Déjà nombreux au temps de Cicéron, Auguste leur avait permis d'occuper une partie de la ville, au delà du Tibre, près de ses jardins. Ils jouissaient d'une liberté complète dont Philon nous trace le tableau. La plupart des prisonniers de guerre, amenés en Italie, étaient devenus citoyens romains par suite d'affranchissement ; les maîtres leur avaient rendu la liberté sans les forcer de renoncer à aucun des usages de leur pays. L'Empereur savait qu'ils avaient des proseuques où ils se réunissaient, surtout les saints jours du sabbat, et faisaient publiquement profession de la religion de leurs pères ; il savait qu'ils recueillaient des prémices et envoyaient des sommes d'argent à Jérusalem par des députés qui les offraient pour des sacrifices. Cependant il ne les inquiéta pas, il ne les dépouilla pas des droits du citoyen ; il voulut que leurs institutions fussent maintenues aussi bien à Rome qu'en Judée, il ne fit aucune innovation contre les proseuques, il n'empêcha pas les assemblées où s'enseignait la Loi, il ne s'opposa pas à ce qu'on recueillit les prémices. Il les ménagea dans Rome comme il les ménageait à Jérusalem. A Rome, chaque fois que le peuple reçut des distributions mensuelles d'argent et de blé, il voulut qu'on n'oubliât pas les Juifs ; si cette largesse tombait un jour de sabbat, jour où ils ne peuvent ni donner, ni recevoir, ni faire quoi que ce soit qui concerne la vie, rien surtout en vue du gain, les distributeurs avaient l'ordre de remettre, pour les Juifs, le don public au lendemain.

C'était, comparée à celle d'Alexandrie, — un État dans l'État, deux cantons sur cinq, — une assez pauvre communauté que celle de Rome. Mais elles ne différaient que par là. Le mépris énorme que traduit Philon pour les alexandrins avec leur religion animale et potagère, les Juifs de Rome l'avaient au dedans d'eux-mêmes pour les romains avec leurs dieux de marbre et d'or. Ils se taisaient, courbaient le dos dans une misère humble et tassée, mais leurs haillons couvraient les mêmes haines.

Tibère n'avait pris contre les christiens que des précautions de police, aucune mesure de persécution contre les autres. En supposant que Claude eût chassé tous les Juifs de la ville, ils y étaient tous revenus, et d'ailleurs ils n'avaient pas marché plus loin qu'Ostie où ils étaient encore mieux à leur affaire. Par là ils allaient et venaient de Rome à Césarée, apportant les marchandises, remportant l'argent et les nouvelles.

Ostie, c'était le port ouvert à tous les cultes comme à toutes les marchandises de l'Orient. On y débarquait, on y emmagasinait le blé d'Egypte et celui d'Afrique sans lesquels les Empereurs n'auraient pu ni commander à l'armée ni gouverner le peuple. On y adorait les dieux de tous les pays sans lesquels Rome serait morte de faim ; Osiris, Isis, Cybèle, plus tard Mithra. Le Sénat montrait pour eux une tolérance à laquelle se mêlait la reconnaissance du ventre satisfait. Lorsque la question du pain, pressante sous tous les régimes, eut déterminé Claude à agrandir le vieux port, à le protéger par des digues, à l'annoncer par un phare, Ostie devint une prodigieuse Canebière où tous les types d'hommes se heurtaient, où toutes les langues se croisaient. Les Juifs y avaient des comptoirs et une communauté dont, à vrai dire, on ne connaît pas l'importance ; mais on a retrouvé, dans la plaine nue où la ville s'est ensablée, des inscriptions grecques avec le chandelier à sept branches et la mention d'un chef de communauté qui se donne le nom de père des Hébreux[4] : Kenchrées était peu de chose en comparaison d'Ostie ; Pouzzoles, qui desservait la Campanie, fut touchée.

Imposture n° 138. — PAUL CHEZ LE SOLDAT.

16. Quand nous fûmes arrivés à Rome, on permit à Paul de demeurer seul avec le soldat qui le gardait.

Ce bon traitement pouvait avoir deux causes, dit notre jésuite ordinaire[5] : l'une est la lettre de Festus qui dans le compte qu'il rendait de ce prisonnier, déclarait sans doute qu'il ne l'avait trouvé coupable d'aucun crime ; l'autre doit être le rapport du centurion Julius, devenu son admirateur et apparemment son néophyte, qui en aura parlé selon la haute idée qu'il en avait conçue. Ainsi s'accomplissait le dessein de Dieu qui voulait que Paul captif et enchaîné eût cependant assez de liberté pour pouvoir travailler, comme il fit, à la propagation de la foi.

Le soldat se trouve associé de très près à l'apostolat, car c'était, dit le Saint-Siège, un soldat prétorien auquel saint Paul, d'après la coutume romaine, était attaché par une chaîne au bras. Cette chaîne occuperait le numéro cinq dans l'ordre de celles que Paul a portées. On ne s'est jamais demandé pourquoi on ne revoyait jamais Julius, pourquoi il ne rendait compte à personne de sa mission et de ses retards, pourquoi Paul envoyé à Rome par le procurateur de Judée pour soutenir son appel devant Néron, descend chez un simple soldat qui oublie complètement de le conduire au tribunal de l'Empereur. Lui-même oublie complètement que, pour pouvoir comparaître devant Néron, il a fait appel d'un jugement qui n'a jamais été rendu, et son premier acte, c'est de mander les principaux d'entre les Juifs. Ils accourent avec un empressement d'autant plus extraordinaire que la curiosité n'y est pour rien, car aucun d'eux n'a entendu parler de Paul et de ses affaires. Il faut en conclure qu'ils n'avaient pas encore reçu la Lettre aux Romains.

17. Après le troisième jour[6] il fit appeler les premiers d'entre les Juifs. Et lorsqu'ils se furent assemblés, il leur dit : Hommes, mes frères, n'ayant rien fait contre le Temple[7] ni contre les coutumes de nos pères[8], j'ai été chargé de liens à Jérusalem[9], et livré aux mains des Romains,

18.  Lesquels, après m'avoir interrogé, ont voulu me renvoyer, parce qu'il n'y avait aucune cause de mort en moi[10].

19. Mais les Juifs s'y opposant[11], j'ai été forcé d'en appeler à César[12], non que j'aie quelque sujet d'accuser ma nation[13].

20. Voilà donc pourquoi j'ai demandé à vous voir et à vous parler. Car c'est à cause de l'Espérance d'Israël[14] que j'ai été lié de cette chaîne[15].

21. Ils lui répondirent : Nous n'avons point reçu de lettre de Judée à ton sujet, et aucun frère n'est venu, qui nous ait parlé, ou nous ait dit aucun mal de toi.

22. Mais nous serions bien aises d'apprendre de toi-même ce que tu penses ; car ce que nous savons de cette secte, c'est que partout on la combat.

Nous serions heureux, nous aussi, d'avoir la réponse de Paul, mais le Saint-Esprit ne lui en suggère aucune ; et sur la secte de l'Espérance d'Israël nous devons nous contenter des renseignements fournis par les Juifs de Rome : elle a récolté ce qu'elle a semé, la haine universelle.

Imposture n° 139. — PAUL A L'HÔTELLERIE.

Si Paul répondait à l'invitation, ce serait la première fois, et le Saint-Esprit en prendrait ombrage. Il réfléchit. D'autre part le logis du soldat lui paraissant un cadre trop étroit pour réunir les soixante mille Juifs e Rome, il se transporte dans une hôtellerie qui dispose de pièces de réception plus vastes. Le Saint-Siège pense que par hôtellerie il faut simplement entendre le logement où il recevait : peut-être, disent les exégètes, celui d'Aquila et de Priscilla. Nous avons trop souvent taxé le Saint-Siège d'incompétence en matière d'installation pour nous ranger à cette exégèse. D'autre part, nous n'admettons guère qu'Aquila et sa femme, expulsés de Rome sous Claude, y soient revenus sous Néron, à moins que ce ne soit pour y mettre le feu. C'eût été livrer le troupeau d'Éphèse a toutes les horreurs de l'anarchie et à toutes les turpitudes du nicolaïsme, car sans eux où eut été le berger ? Nous préférons croire qu'on a fait de vigoureuses coupures dans la partie des Actes où Paul établissait son innocence devant Néron et le laissait dans cet état de demi-conversion que nous avons déjà remarqué chez Agrippa. La présence de Paul dans une hôtellerie s'explique par un changement de tableau qui se faisait à vue et auquel nous n'assistons plus.

C'est là que les Juifs viennent trouver Paul pour avoir enfin le mot de la bouteille à l'encre.

23. Lorsqu'ils lui eurent marqué un jour, ils vinrent en grand nombre le trouver dans l'hôtellerie ; et il leur expliquait, et confirmait par des témoignages le Royaume de Dieu, s'efforçant, du matin au soir, de les persuader de ce que regarde Jésus, par la loi de Moïse et par les Prophètes.

24. Et les uns croyaient ce qu'il disait, et les autres ne le croyaient pas.

25. Et comme ils ne s'accordaient pas entre eux, ils se retiraient, Paul disant ce seul mot : C'est avec raison que l'Esprit-Saint a parlé à nos pères par la bouche du prophète Isaïe[16],

26. Disant : Va vers ce peuple, et dis-lui : Vous entendrez de vos oreilles, et vous ne comprendrez point ; regardant, vous regarderez, et vous ne verrez point.

27. Car le cœur de ce peuple s'est appesanti, leurs oreilles sont devenues gourdes, et ils ont fermé leurs yeux, de peur qu'ils ne voient de leurs yeux, qu'ils n'entendent de leurs bouches, qu'ils ne comprennent de leur cœur, qu'ils ne se convertissent et que je ne les guérisse.

28. Qu'il soit donc connu de vous que ce salut de Dieu a été envoyé aux Gentils, et qu'eux écouteront.

29. Lorsqu'il leur eut dit ces choses, les Juifs le quittèrent, ayant de grands débats entre eux.

Depuis Néron jusqu'à Hadrien et au-delà, les Juifs de Rome sont restés dans l'absolue ignorance de ce qui concerne Paul. De ceux de Jérusalem ils n'ont reçu ni lettres ni messagers relativement à ses affaires qui sont demeurées le secret de l'Esprit-Saint leur auteur.

Paul aurait pu craindre que, pendant les deux siècles qui se sont écoulés depuis la mort de Saül, quelqu'un ne l'eut devancé à Rome pour le desservir dans l'esprit des jehouddolâtres ; il a la joie de constater qu'il n'en est rien, que nul, pas même de ceux d'Asie qui l'avaient arrêté dans le Temple, n'a parlé ni écrit, que Pierre, pape à Rome depuis une vingtaine d'années n'a rien dit, et que Jacques n'a envoyé personne. Du côté des Romains, rien : Félix, Festus, Lysias et le centurion n'ont pas parlé. Aucune allusion au mouvement qui a été cause de l'expulsion des christiens sous Claude, aux messianiques attroupements qu'il a dispersés, à ce Aquila, à cette Priscilla qui auraient fui ses foudres jusqu'a Corinthe.

Le Saint-Esprit a soufflé sur cette ville où personne non plus n'a entendu parler d'un nommé Saül qui, après l'avènement d'un nommé Ménahem, dernier frère du nomme Jehoudda, roi-prophète, s'est retiré en Italie et de là en Espagne où il est mort.

Ainsi tombe la toile sans que Paul ait été jugé par personne, selon la parole de l'Évangile : Ne jugez point et vous ne serez point jugé, et sans que personne ni parmi les Juifs ni parmi les Grecs ni parmi les Romains ait encore rien compris à son affaire, ce qui est le but poursuivi par l'Esprit conformément aux prédictions d'Isaïe renouvelées par les paraboles. Le but du Saint-Esprit est atteint : la mystification est irrémédiable. On a des yeux et on ne voit point, on a des oreilles et on n'entend point. Telle est l'aboutissement du Verbe, en qui la lumière était depuis le commencement. Le petit nombre de ceux qui croyaient pouvaient être ébranlés par l'incrédulité du plus grand nombre, dit notre jésuite ordinaire. Mais on les fortifiait contre cette tentation en leur apprenant que l'incrédulité du plus grand nombre avait été prédite. Il n'est pas douteux que ce ne soit la raison pour laquelle cette prophétie d'Isaïe, qui annonçait si clairement l'incrédulité du plus grand nombre des Juifs, est rapportée six fois dans le Nouveau Testament. Elle y est en effet rapportée six fois, mais ce n'est point pour annoncer l'incrédulité des Juifs, c'est pour célébrer la crédulité des païens, pris aux pièges que leur tend le Verbe juif. Ils sont dans un tel état que désormais ils ne pourront plus même se servir des organes de la vue et de l'ouïe : l'état rêvé par l'Église !

Imposture n° 140. — PAUL DANS SES MEUBLES.

Débarrassé de tout le monde par cette impudente fumisterie, Paul va pouvoir jouir des agréments de Rome.

30. Or il demeura deux ans entiers dans un logis qu'il avait loué ; et il recevait tous ceux qui venaient à lui,

31. Prêchant le Royaume de Dieu, et enseignant ce qui regarde Jésus-Christ, en toute assurance et sans empêchement.

Voilà enfin une ville libre, et c'est Rome ! Un maître tolérant, et c'est Néron !

Tant qu'il est avec les Juifs et encore plus avec les christiens, injures, rixes, assassinats, parjures, concussions, incendies, émeutes, Paul voit tous ces maux ! Aussitôt au milieu des Romains, paix et liberté même pour le mensonge. Permis à Paul de tromper le peuple et les grands, de troubler la ville par des prophéties absurdes et par des manœuvres criminelles, de conspirer contre les dieux, de miner sourdement tout ce qui fut la civilisation et d'ouvrir les portes aux Barbares. Seul chez son soldat, seul dans son hôtellerie, seul dans sa petite chambre, Paul est plus maître du monde que Néron au milieu de ses gardes. Et c'est l'autorité romaine qui défend en lui la liberté des opinions religieuses, si toutefois c'est une opinion religieuse de soutenir que le monde périra dans le feu à moins qu'il ne mette toute sa foi dans le cadavre d'un juif condamné par ses compatriotes en Cour d'assises, crucifié par les romains, et enterré (civilement !) par sa famille.

 

II. — LA PRIORITÉ APOSTOLIQUE DE PAUL À ROME.

 

Les pauliniens ont abusé de leur création et de leur créature.

Supposons l'existence de Paul et l'authenticité de ses Lettres. Hors de Judée, c'est lui qui est tout. La résurrection ne tient que par lui. Si on le continue, c'est lui qui finira par donner son nom au culte en formation : Pierre n'aura vécu que pour s'abîmer dans Paul. L'apôtre par excellence, c'est Paul. Cela ressort de son processus géographique : il est le premier partout.

A considérer les Actes et les Lettres, parmi les apôtres aucun n'appartient à l'histoire en dehors de Paul. Il n'y a d'action extérieure que par Paul. Point d'autres faits et gestes que ceux de Paul. Paul devance tous les apôtres en Asie et en Grèce. S'il a été prévenu par quelqu'un à Rome, ce n'est par aucun des sept fils de Jehoudda, c'est par ses propres émissaires, par sa propre avant-garde. Shehimon n'est jamais allé plus loin qu'Éphèse et sans la Lettre aux Galates nous ne saurions pas qu'il est allé à Antioche. On ne sait ni ce qu'ont fait ni comment ont fini le Joannès-Marcos, son fils, et Barnabas le Chypriote, son neveu. Paul devient le seul apôtre qui ait laissé un enseignement écrit. On tire de sa poche quelque papyrus jauni dont on dit : Voyez ce que jadis écrivait Paul. Cette émulation du faux s'étendit à l'histoire, quand il devint nécessaire de prouver certaines choses par des écritures. On ne forgea pas toujours le document entier, quoique l'effort assurément fût plus méritoire aux yeux de Dieu, mais on coupa ceci, on allongea cela, on rentra ce qui saillait, on accentua ce qui trop fuyait. D'un trait de la plume prise à l'aile de l'Esprit-Saint on glissa le benoît petit mot qui tout à coup donne à la phrase un sens inespéré. Vous voyez, disait-on, le mot y est.

On renforça surtout l'évangélisation de Rome par Paul, la perte de l'écrin ecclésiastique, celle dont on était à bon droit le plus fier, et on lui fit dater certaines lettres de Rome pour bien montrer que son ardeur apostolique ne s'était point ralentie dans les délices de la Ville Sainte du paganisme.

Paul parle, prêche ouvertement parmi le peuple, près des ponts, sous les portes, nullement recherché, protégé plutôt, citoyen romain dans la plénitude du mot, et libre pour la première fois de sa carrière apostolique.

La majesté de la paix romaine était le fruit de la tolérance romaine. Grâce à elle, le monde antique ignora l'épouvantable fléau des guerres religieuses, il ne sut jamais ce qu'était une hérésie : il fallut forger le mot. Rome ne combattit jamais les dieux étrangers : elle ne voulait pas qu'à leur tour ils luttassent contre elle. Pour elle il n'y eut pas de dieux étrangers, il n'y eut que des dieux annexes ou sur lesquels elle exerça son protectorat. Elle ne détruisit ni les cultes ni les temples, comme si, dans son respect des dieux, elle pensait qu'il n'y en aurait jamais trop. Son histoire tout entière est là qui dépose de cette large compréhension du devoir politique. Entre ses dieux et ceux des autres peuples, point d'autre différence que la puissance : c'est à la victoire, c'est au résultat, qu'on connaît les meilleurs, c'est-à-dire, les plus forts. Mais ceux-ci n'abusent point de leur supériorité, et moyennant que le vaincu paie le tribut, ils laissent honorablement vivre ses dieux. C'est par la tactique religieuse que Rome obtint l'empire des peuples.

Non contente de respecter les dieux chez eux, elle les reçut chez elle. Cette ville de tous les plaisirs fut le Conservatoire de tous les cultes. Elle se formalisait de ce que les Juifs la jugeassent indigne d'un sanctuaire juif : elle les eût moins suspectés s'ils lui eussent fait la grâce d'un second Temple.

 

III. — LES LETTRES ROMAINES DE PAUL.

 

Le premier dispositif paulinien faisait la part trop belle à la vérité : de Rome, Paul se retirait en Espagne où il mourait dans des conditions inexploitables. On supprima donc le voyage en Espagne et on fabriqua une notable quantité de lettres dans lesquelles Paul se dépeignait comme retenu à Rome dans les fers néroniens. Ce furent d'abord des généralités timides

Dans la Lettre aux Éphésiens Paul est prisonnier de Jésus-Christ ou prisonnier dans le Seigneur, façon de parler qui n'implique pas fatalement les chaînes humaines, si ce n'est la ceinture de Jacques. La mystification apostolique de ce Mastuvu perce surtout dans quatre documents fameux, la Lettre aux Philippiens, la Lettre aux Colossiens, la Lettre à Philémon et la Seconde à Timothée, où l'on insistera fort sur ses prisons et ses chaînes avant-coureuses du martyre final.

La Lettre aux Philippiens pose le principe : Par tout le prétoire et ailleurs, dans toute la Cour de l'Empereur et parmi tous les habitants de Rome, les chaînes de Paul sont devenues célèbres. Comment ne le seraient-elles pas devenues, il y a cinq ans que Paul est couvert d'anneaux auxquels les scribes superposent des courroies à chaque incident nouveau. Évidemment l'auteur de la Lettre a travaillé pour la gloire de Paul, mais son intention se retourne contre l'honneur de Pierre. En effet Pierre n'apparaît point parmi ceux qui consolent Paul dans son affliction, et l'on conçoit cette abstention puisque Pierre est mort depuis 802. Mais les doléances de Paul sont conçues dans des termes tels qu'elles font planer les plus abominables soupçons sur le premier pape. On apprend par Paul que des gens profitent de sa captivité pour ajouter à ses chagrins et prêcher le christ dans un esprit de basse jalousie ; ces gens sont manifestement les ouailles de Pierre, qui est pape à Rome depuis 795[17]. Il en est d'autres qui prêchent le christ par charité, sachant que Paul a été établi pour la défense de l'Évangile. Mais si Pierre est de ceux-là, que penser de Paul qui, réconforte dans sa prison par le prince des apôtres lui-même, ne trouve pas un mot pour dire aux Philippiens : Ma consolation dans ma peine, c'est le grand témoin de la résurrection, c'est Pierre dont la belle âme est pleine de la pitié, de la charité universelles ? Il est donc bien clair qu'au moment de la fabrication de la Lettre aux Philippiens l'Église ne songeait pas encore à soutenir que Pierre fut venu à Rome pour y être pape. Sinon elle aurait mis les sentiments de Pierre en harmonie avec ceux de Paul qu'il aurait pontificalement consolé dans sa prison. Cependant elle fait ses travaux d'approche en annexant à la jehouddolâtrie un certain Clémens qu'elle présente comme avant prêché la résurrection avec Paul en Macédoine et qui dans son esprit est le père de Flavius Clémens, cousin de Domitien et puni de mort par cet empereur pour avoir prêté une oreille trop complaisante aux prédictions anti-romaines de l'Apocalypse.

Dans la Lettre aux Colossiens, Paul fait appel à la charité de ces citoyens par l'intermédiaire d'Epaphras, bien qu'il ne soit jamais allé chez eux. Aristarque est prisonnier avec Paul en qualité de témoin deutéronomique, on n'avait pas jugé à propos de l'employer dans la Lettre aux Philippiens. Timothée dont le personnage sénile de plus en plus est près de Paul, et libre visiblement il est engagé pour lui servir d'émissaire en Asie. Marc est là également, libre comme Timothée. Paul recommande aux Colossiens de le recevoir avec chaleur, car Marc est cousin de Barnabé (mieux que cela, fils de Pierre !), et il importe de voir que si Paul n'a pas eu la visite de Pierre, au moins était-il assez bien avec l'Évangéliste pour l'envoyer en courses. Bien des compliments à Archippus, chez qui se réunit l'église de Colosses. Un second Évangéliste canonique est à Rome auprès de Paul, c'est Luc[18]. Outre Luc, il y a Démas et aussi Tychicus, lequel est assez maître de ses mouvements pour aller bientôt vers les Colossiens, auxquels il ramène leur concitoyen Onésime.

Outre les trois lettres que nous avons citées, on lui en prêtera une À Philémon le Colossien, qu'on fera également signer par Timothée. Paul est toujours prisonnier et Timothée est près de lui. La lettre est adressée au frère Philémon, à la sœur Apphia, et à Archippus notre compagnon d'armes chez qui se réunit l'église de Colosses. Onésime, esclave de Philémon, a naguère quitté son maître et lui a fait tort, mais devenu jehouddolâtre dans la prison, il a servi Paul avec tant de zèle que celui-ci songeait à le garder avec lui. Il le renvoie à Philémon, priant celui-ci de lui pardonner, offrant même de payer ce que l'esclave pourrait devoir au maître. Il est sûr d'avance de l'indulgence de Philémon. Prépare-moi l'hospitalité, car j'espère vous être rendu, grâce à vos prières. Epaphras, prisonnier avec moi, te salue. De même Marc, Aristarque, Démas et Luc, mes collaborateurs.

Epaphras qui est libre dans la Lettre aux Colossiens est prisonnier dans la Lettre à Philémon. Aristarque, prisonnier dans la Lettre aux Philippiens, est libre à son tour. Marc n'est pas encore parti pour Colosses. Tout en espérant être bientôt rendu aux Colossiens, Paul avoue dans un document antérieur qu'il n'est jamais allé chez eux, et, dans la Lettre aux Romains, qu'il ne se propose aucunement d'y aller, devant passer en Espagne après Rome.

 

Lorsqu'on décida que Paul, visiblement libre dans sa petite chambre, retournerait en prison pour être enfin immolé, on lui fit écrire de Rome une Seconde à Timothée, beaucoup plus accentuée que la Première laquelle est fort vague[19]. Il fut entendu qu'ayant eu déjà une première défense devant Néron, Paul en aurait eu une seconde, séparée de la première par un intervalle dont on laissait la durée à l'appréciation des connaisseurs.

Personne ne m'a assisté dans ma première défense..., mais le Seigneur m'a fortifié afin que par moi la prédication fût accomplie et que tous les gentils l'entendissent. Paul est sublime, mais ses compagnons ont été dégoûtants selon leur habitude.

Timothée provoque de véritables nausées, car dans la Lettre aux Philippiens il est auprès de Paul. Or non seulement il n'a pas assisté Paul dans sa première défense, mais il s'en est allé à Éphèse pour n'avoir pas à l'assister dans la seconde, qui ne sera pas heureuse puisqu'elle se terminera par son holocauste. Tout le monde l'a abandonné. Cette solidarité apostolique, ce dévouement de la primitive Église me plongent dans le ravissement. On se croirait à Jérusalem lorsque Paul apporte la collecte à Jacques.

Tous ces messieurs, Marc, Luc, Timothée, Tychicus, Onésime et Démas, sont au premier rang de ceux qui ont abandonné Paul en sa première défense. Mais il n'importe que leur réputation de fraternité en soit quelle peu ternie ; ils sont là non pour partager les fers de Paul, ni pour compatir à ses souffrances, mais pour attester aux gogoym de Macédoine et d'Asie que Paul a été réellement prisonnier pour cause de jehouddolâtrie aiguë. Dès le moment qu'il s'agit d'appeler de l'argent, on est prisonnier. Dès le moment qu'il s'agit d'en aller chercher, on est libre. Est-ce que Jacques et Philippe viennent personnellement en aide à Paul quand il est prisonnier à Césarée ? Non. Alors pourquoi Démas, Onésime, Tychicus, Timothée, Luc et Marc lui viendraient-ils personnellement en aide quand il est prisonnier à Rome ? Aux gogoym d'intervenir.

Cependant Paul n'en veut nullement à Timothée d'avoir regagné son évêché d'Éphèse où l'on est si bien. Jésus pardonne à Judas ! Comment Paul pourrait-il se montrer plus difficile ? Aujourd'hui on cherche à concilier ces contradictions qui seraient affligeantes pour l'honneur de cette troupe fictive si elles n'étaient uniquement dues au manque d'entente préalable entre les faussaires. On en est réduit à supposer que Paul a fait deux voyages à Rome, l'un avant 817, l'autre en 819. Selon Proud'hon, qui sur ce point a vu clair, Timothée n'est jamais allé à Rome, et ce serait parfait si Proud'hon avait vu que, Paul n'existant point, Timothée n'existe pas davantage. Malheureusement il croit à l'existence de ces faux apôtres et il pense que la Seconde à Timothée est de 819.

En effet, une première fois, est-il dit dans la lettre, Paul a échappé à la gueule du lion ; mais le voilà de nouveau prisonnier. Dans ses chaînes son imagination se console par de touchants tableaux de l'intérieur de Timothée ; il voit encore, il voit comme au premier jour ces deux touchantes figures, Loïs et Eunice, la grand'mère et la mère de Timothée, toutes deux jehouddolâtres de leur vivant. Mais il ne voit pas, et c'est regrettable, l'instrument dont il s'est servi pour le circoncire sous le prétexte que son père n'était pas juif[20]. Ce père ne peut avoir été qu'un être immonde qui tirait tous ses moyens d'existence de son union avec une juive de la Loi. Aussi Paul ne lui envoie-t-il aucun souvenir. On ne communique pas avec l'enfer.

Parmi ceux d'Asie qui l'ont abandonné il y a Phygelle et Hermogène. Honneur, au contraire, à Onésiphore, qui a rendu tant de services à Éphèse ! Etant à Rome, Onésiphore l'a recherché et soulagé dans sa prison : Onésiphore a bien su le trouver, lui ! Hyménée (déjà nommé dans la Première à Timothée) et Philète se sont dévoyés de la vérité, proclamant que la résurrection (de Bar-Jehoudda) est déjà advenue (à d'autres).

Hyménée et Philète étant dans la vérité la plus absolue et la plus évidente, on les déclare plongés dans les ténèbres les plus profondes et on ne doute pas que Timothée ne s'écarte de cette funeste erreur. En effet, que sont Hyménée et Philète ? Des hommes qui, par les Ecritures (Apocalypse et Évangiles), démontrent que la résurrection de Bar-Jehoudda n'est que la sixième, celles de son père et de son oncle dans l'Apocalypse, et celles de son frère, le fils de la veuve (Jacob junior), de la fille de Jaïr, sa belle-sœur, et d'Éléazar, son beau-frère, étant antérieures à la sienne, les unes de vingt-huit ans, les autres de plusieurs mois ou de plusieurs semaines. Ce sont donc des hérétiques. On ne peut les persécuter, parce que l'Église n'en a pas encore les moyens. Au moins peut-on les confondre en comparant leur ignorance et leur mauvaise fois la conviction désintéressée de Timothée que Paul a vu jadis à l'œuvre dans Iconium, dans Antioche et dans Lystre[21]. (Comment ! là seulement ? Et la grande collecte de Macédoine et de Grèce ?) Quant à Paul, il sent que la dernière persécution est venue pour lui : il va servir d'holocauste[22]. Il prie Timothée de venir le voir, abandonné qu'il est par Démas, retourné à Thessalonique, Crescens en Galatie et Titus en Dalmatie. Il ne lui reste que Luc, car il a envoyé Tychicus à Éphèse (le faussaire ne se rappelle plus que Timothée y est aussi). Prends Marc (ah ! enfin ! Marc est parti pour Colosses !) et l'amène avec toi, il me sera très utile pour le ministère[23]. Quand tu viendras, apporte le manteau que j'ai laissé à Troade[24] chez Carpus, ainsi que les livres et surtout les parchemins. — N'oublie pas les parchemins, les vieux parchemins sur lesquels on a écrit les faux que l'Église de Rome a signés Paul et fait passer pour contemporains de Pierre —. Alexandre, l'ouvrier en cuivre, m'a fait éprouver des maux nombreux... De celui-là donne-toi garde, car il s'est fort opposé à mes paroles. — Oui, cher Timothée, il faut pas le confondre avec Tibère Alexandre, toujours d'accord avec Saül, surtout à Éphèse, contre Shehimon devenu évêque de Rome sous le nom de Pierre et Jacob devenu évêque de Jérusalem sous le nom de Jacques. — Salue Prisca et Aquila (dont le faussaire a trouvé le nom dans les Actes), et la maison d'Onésiphore. Eraste est demeuré à Corinthe[25], et j'ai laissé Trophime malade à Milet[26]. Hâte-toi de venir avant l'hiver. Eubulus te salue, ainsi que Pudens, Linus et Claudia et tous les frères.

L'Église a donc inventé pour Paul avant d'inventer pour Pierre. Après quoi elle s'est servie de Paul dans l'intérêt de Pierre, car un jour la grosse question sera à établir, par n'importe quel moyen, que Pierre s'est trouvé à Rome en même temps que Paul et avant Paul.

On tirera un parti merveilleux du nom de Marc et du nom de Luc dans les lettres À Philémon et Aux Colossiens, de celui de Clémens dans la lettre Aux Philippiens, et de celui de Linus dans la Seconde à Timothée. Tous les noms portent, car Marc sera l'évangélise qui aura été l'interprète de Pierre à Rome, Luc sera l'évangéliste qui aura été à Rome en même temps que Paul. Mais le point le plus remarquable de cette énumération, c'est l'absence totale du nom de Clément. Clément a dit trop de mal de Saül pour que les pauliniens l'acceptent comme successeur de Pierre. Ils lui substituent Linus qui remplira tout aussi bien cet office. Car si les Lettres de Paul sont de diverses plumes et de diverses époques[27], elles ont ceci de commun que toutes combattent vigoureusement le millénarisme et ses abominables apôtres. Dans quelques-unes, on va jusqu'à déplorer l'aveuglement de ceux qui vont se tournant vers les fables dont les jehouddolâtres repaissent leurs dupes.

 

IV. — L'APOTHÉOSE DE PIERRE.

 

On n'a pu magnifier Pierre que par les moyens dont on s'est servi pour convertir Saül, la supposition de lettres, en un mot le mensonge. On ne s'est point inquiété des difficultés qu'on léguait à l'histoire, on a cru qu'elle ne reviendrait jamais, qu'elle ne parlerait plus, qu'elle n'oserait !

D'ou vient la transformation de Shehimon en Pierre, j'allais dire la pétrification de Shehimon, son apothéose dans le marbre et dans l'or, l'exaltation paradoxale de ce juif qui, par la volonté de l'Église, est aujourd'hui chargé de fermer la porte du paradis aux israélites, pour ne l'ouvrir qu'aux catholiques ? Du besoin qu'eut l'Église d'avoir pour chef, à Rome, per fas et Képhas[28], celui que les Actes présentaient comme ayant été chef des apôtres à Jérusalem et qui, d'après les Évangiles, avait fait la résurrection. Les Juifs avaient l'Ancien Testament qui les rendait très forts, mieux que cela, maîtres de la situation. Mais les christiens jehouddolâtres ? Il leur fallait un Testament qui fut nouveau non par rapport à l'Ancien, mais par rapport à l'Apocalypse du crucifié de Pilatus. Ce Testament fut l'Évangile, l'exécuteur testamentaire fut Pierre.

 

Par un hasard qu'il était nécessaire d'exploiter, les Actes des Apôtres perdaient de vue Pierre a partir du concile de Jérusalem, tandis que Paul y jouait un rôle extraordinaire que les fausses Lettres avaient fini par rendre prépondérant. De plus, et pour l'un et pour autre, la narration s'arrêtait en deçà de leur martyre. Cela n'allait pas. Et puis le Quatrième Évangile, mettant le sceau de la théologie sur les trois autres et devenant par là le plus précieux, tenait un compte insuffisant de Pierre. Évidemment Pierre avait renié son frère dans la cour de Kaïaphas, il était horriblement gênant, mais sans lui il n'y avait rien de possible. Ce surnom de Pierre qu'il ne méritait que pour sa dureté, il le gagne ici sans conteste : il est la pierre angulaire de tout l'édifice : c'est sur lui et sur lui seul que s'appuie toute l'Église. Ôtez-le, tout croule, il ne reste plus qu'une allégorie que peuvent revendiquer les Égyptiens de Sérapis et les Perses de Zoroastre. Quatre siècles après la mort de Bar-Jehoudda, cette baudruche énigmatique que gonfle l'Église et que la raison dégonfle intrigue encore saint Augustin et l'inquiète. Il s'agite, il sonde sa foi, si peu profonde, et comme pour s'étourdir, il crie bien haut : Non, non, la magie de Pierre, les artifices de Pierre ne sont pour rien dans la religion ; la résurrection rentre dans les choses révélées, elle n'est pas de Pierre, elle est de Dieu !

 

V. — CLÉMENT, SUCCESSEUR DE PIERRE.

 

Il fallut trouver mieux que les additions et les corrections dans les Évangiles. L'épilogue du Quatrième ne satisfaisait pas l'esprit, il alimentait la critique au lieu de la prévenir, et même il en résultait formellement que Shehimon, surnommé la Pierre par les scribes, avait été crucifié au même lieu que son frère aîné.

Quelqu'un se chargea de mentir d'une façon qui assommerait net les pauliniens, hérétiques au demeurant, et les contradicteurs. On ne les brûlait pas encore, et on ne pouvait se débarrasser de ces gens-là que par de tranchantes impostures. On ressuscita Clémens, père de Flavius Clémens, lequel déclara solennellement qu'il avait succédé à Pierre sur le siège pontifical de Rome. Ce Clémens est connu dans l'histoire de l'Église sous le nom de Clément le Romain et il a tout fait pour mériter ce titre. On avait mis son nom dans la Lettre aux Philippiens : ce Clément avait, disait-on dans la lettre, prêché la résurrection de Bar-Jehoudda en Macédoine avec Paul, au début de l'apostolat, et il était inscrit au Livre de vie.

Le faussaire est, à ce qu'il semble, un juif hellène converti à la jehouddolâtrie et grand clerc en fables. Chargé de mentir sous le nom de Clément, il s'acquitta de sa besogne, non pas timidement, comme un écolier à qui on est obligé de pousser le coude, mais avec du goût naturel et un certain sentiment du confortable. Il forgea toute une série de lettres, de souvenirs et de règlements apostoliques dont il attribua l'inspiration à Pierre et la rédaction à lui-même. Personne n'étant plus là pour réclamer, il donna libre carrière aux facultés d'invention qu'il tenait de Dieu, et découpa dans le papyrus l'image acceptable d'un Clément, successeur immédiat de Pierre.

Quoi qu'il n'y ait que le premier pape qui coûte, le second le fit à peu de frais. Il vint attester qu'il avait suivi Pierre depuis l'âge tendre, qu'il l'avait accompagné en tous lieux, à telles enseignes qu'étant à Rome Pierre l'avait établi pape à sa place avant d'aller au martyre.

 

Clément, voilà la grande autorité de l'Église pour le premier siècle. On invoque son témoignage avec tant de persistance qu'on a pu lui attribuer tout un volume de faux, Homélies, Recognitions et le reste. Historiquement il n'a d'existence que par son fils, Flavius Clémens. Il n'en a pas moins servi à plusieurs fins qui étaient de prouver, tantôt par une prétendue correspondance avec les Corinthiens, qu'il y avait eu persécution et recrudescence de persécution sous Domitien ; tantôt, par une suite de romans ineptes, que Pierre avait subi le martyre à Rome sous Néron. Or il n'y eut point de persécution sous Domitien, et, en admettant que la Première de Clément aux Corinthiens soit de la fin du premier siècle comme on l'a soutenu, on n'est pas même certain que cette lettre soit datée de Rome, et pour le faire croire on a dû ajouter : Rome au manuscrit. Le texte grec ne contient pas le nom de Petros : on y lit ... os pour tout enseignement[29], c'est peu substantiel. Mais ne chicanons pas, acceptons Petros en entier. Il n'en ressort nullement qu'il ait été martyrisé ailleurs qu'à Jérusalem. De Paul dont il connaît les nombreuses épreuves décrites dans les Actes, et d'autres subies jusqu'aux confins de l'Occident, Clément dit qu'il souffrit le martyre sous les princes, sans désigner leur pays ni leur race. Par ce qu'il dit de Paul on voit qu'il ne savait rien de Pierre à Rome. Sur Paul il arrive au chiffre de sept emprisonnements qu'il suppute d'après les Lettres et les Actes des Apôtres. Il ne cite que deux autres victimes de la persécution, deux femmes, grecques au moins de nom, Danaïs et Dircè, en supposant toutefois qu'il s'agisse de deux femmes, car les critiques sont perplexes. Il n'y a rien, absolument rien dans ce document qui permette d'en faire remonter la composition au premier ni même au second siècle ; il appartient au bloc dans lequel a été taillé le piédestal de Paul et il n'est ni de la main qui a fabriqué les Constitutions, ni de celle qui a fabriqué les Recognitions, ni de celle qui a fabrique les Homélies, compositions dont quelques-unes sont antipauliniennes sans réserve.

Le gagiste finit par se perdre dans ses propres impostures, car il se représente, ici, comme ayant assisté à la Cène[30], et là, comme n'étant allé en Judée qu'à la suite de Barnabé pour faire la connaissance de Pierre après la Passion. Nous ne tenterons même pas de relever les incohérences des divers scribes qui ont clémentisé.

On n'a pas fait assez d'honneur à l'imposture de Clément, elle est cardinale — que dis-je ? papale ! Clément, c'est toute l'Église, toute la religion. Clément a 'ait que Pierre fut le prince des douze en remplacement de son frère aîné, le Joannès, divinisé sous le nom de Jésus dans la mystification évangélique. Le prince des douze, c'était le Joannès baptiseur. Cérinthe[31] était tellement formel sur ce point qu'il l'est demeure malgré tous les tripatouillages de l'Église. Savez-vous pourquoi Clément dit avoir assisté à la Cène pascale du 15 nisan ? Parce que dans la Cène selon Cérinthe, Cène qui a lieu la veille, le Joannès est clairement désigné par Jésus comme étant celui des apôtres qui a été livré au Temple par Is-Kérioth. Clément vint dire : Ce ne peut être lui, puisque c'était moi ! Le prince des douze à ce repas, c'était Pierre !

Clément va droit à ses faux d'une allure intrépide et frétillante. Il est né à Rome, et dans sa jeunesse il a exploré vainement la philosophie. Il a même poussé une forte pointe vers la mythologie, car il nous parle du Pyriphlégethon, du Tartare, de Sisyphe, d'Ixion, de Titye et de Tantale. Le doute étant entré dans son esprit, il a résolu de partir pour l'Egypte où il consulterait les savants et les prêtres sur le mot de la vie, lorsque sous le règne de Tibère un juif vint à Rome prêcher la bonne nouvelle du Messie rédempteur. Ce juif, c'était Barnabé, il parlait au nom du fils de Dieu[32]. Clément l'entend, l'emmène loger chez lui pour l'arracher aux fureurs populaires. La Pâque approchant, Barnabé quitte Rome pour retourner à Jérusalem. Clément le rejoint à Césarée où il est présenté à Pierre venu là pour combattre Simon de Kitto, alias Simon le Magicien. L'entrevue fut cordiale, on peut le croire. Sans tarder Pierre offre à Clément de le prendre avec lui et de l'instruire dans les choses divines, se promettant bien de l'accompagner jusqu'à Rome à son tour. Toutefois, il ne lui fait point la grâce de manger avec lui, car Clément n'avait point encore reçu le baptême[33]. Simon le Magicien ayant demandé une remise à huitaine, Pierre, que son heureuse nature exempte de toute préparation, en profite pour expliquer à Clément la genèse des choses depuis le chaos jusqu'aux apôtres. Il passe totalement la scène du jardin des Oliviers où tous et lui-même abandonnent leur Seigneur, mais il reconnaît la suprématie de Jacques, à qui son frère avait, dit-il, confié l'Église de Jérusalem avant d'aller aux cieux.

Pierre narre tout cela dans un langage qui doit être celui du Saint-Esprit, car il ne sait pas un mot de grec et Clémens pas un mot d'hébreu. Les apôtres, dans les luttes qu'ils soutiennent contre le Temple ennemi marquent une science profonde des fausses Ecritures. Mathieu, contre Kaïaphas ; André, frère de Pierre, contre les Saducéens ; Jacques et Joannès, fils de Zébédée[34], contre les Samaritains, bien qu'ils aient ordre de ne point conférer avec ceux-ci ni d'aller dans leurs villes ; Philippe, contre les Scribes ; Barthélemy, contre les Pharisiens ; Jacques d'Alphée, Lebbée[35], Barnabé et Matthieu, le remplacent de Judas, contre les réfractaires qu'il y avait dans le peuple ; Simon le Kannaïte contre ceux qui tenaient Joannès le prophète[36] pour plus grand que Jésus ; Thomas de nouveau contre Kaïaphas, Pierre enfin, la liste des douze est déjà complète[37]. Le plus fort de tous, c'est Pierre.

Kaïaphas lui fait honte de son impudence, le traite d'imbécile, de pêcheur, de rustre qui veut jouer au docteur et crève d'ignorance : Pierre répond, et très bien, que l'inspiration divine lui tient lieu de science et l'assure la victoire. Puis il distribue les rôles aux autres dans la prédication apostolique, car c'en sera fait bientôt du Temple et des sacrifices. A ces sinistres prédictions, la colère s'empare de Kaïaphas, l'intervention de Gamaliel échoue[38]. A la voix d'un ennemi qui n'est point nommé, mais en qui on reconnaît immédiatement Saül, le sang des christiens est répandu. On se jette sur Jacques, évêque des évêques[39], qui est venu au secours des apôtres dans les discussions ; on le laisse pour mort près du Temple, mais ses disciples le relèvent et tous se retirent dans sa maison. La nuit, ils s'enfuient à Jéricho au nombre de cinq mille[40]. Là Gamaliel les fait avertir que l'ennemi anonyme (Saül) a obtenu de Kaïaphas le mandat de poursuivre tous les christiens et de les mettre à mort jusqu'au dernier, fut-ce avec l'appui des infidèles[41].

Cet homme (comment ne pas reconnaître Saül ?) va passer par Jéricho, se rendant à Damas avec des lettres de Kaïaphas, il se hâte pour atteindre Pierre qu'il croit réfugié dans cette ville. Et, en effet, environ trente jours après, il passe par Jéricho pendant que Pierre et les autres étaient allés au sépulcre de deux frères, lequel devenait blanc chaque année[42] : miracle qui excite contre eux la fureur de la foule, car elle voyait que Dieu se souvenait d'eux[43].

Quelque temps après, Jacques, évêque de Jérusalem, envoie Pierre de Jéricho[44] à Césarée, car il avait reçu de Zachée des lettres l'avertissant qu'un certain Simon mage de Samarie, détournait beaucoup de christiens auprès desquels il se faisait passer pour le Messie. Montrant par miracles qu'il était investi de la puissance du Dieu souverain[45], celui qui est au-dessus du Créateur du monde[46], Simon attirait à lui beaucoup de gens. Sur l'ordre de Jacques, Pierre va seul au combat contre ce christ antidavidiste et descend chez Zachée, auquel il dénonce la conduite de Saül, le méchant homme par qui la persécution de Jérusalem avait été déchaînée. C'est à ce moment que Clément arrive à Césarée.

Le jour de la dispute venu, Pierre, au chant du coq — il le connaissait, le chant du coq ! — réveille Clément, qui était couché dans la maison de Zachée, où il y avait en tout treize disciples, y compris Clément, parmi lesquels Sophonias, Josephus, Micheas, Eliesdros et Phinéas, Lazarus et Eliseus, Niceta et Aquila, d'abord disciples de Simon le Magicien mais ramenés par Zachée à la vraie foi, enfin Nicodème[47]. Pierre leur explique qu'arrivé à la moitié de la nuit il ne lui est plus possible de fermer l'œil (il a bien changé depuis le jardin des Oliviers !)[48], Niceta et Aquila, qui depuis l'enfance ont été enlacés dans les liens magiques de Simon[49], offrent à Pierre de l'instruire de certaines particularités capables de l'aider dans la discussion et ils entament une véritable biographie du Magicien[50].

Nous ne suivrons pas Clément et Pierre dans leurs voyages autour du monde connu des anciens. Il nous suffit de les avoir présentés l'un à l'autre. Ils deviennent inséparables, et après toutes les conversions par eux accomplies sur terre et sur mer, on s'étonne qu'ils aient laissé des païens derrière eux. Nous avons hâte de les retrouver à Rome, qui est le but auquel ils tendent, et peine à comprendre que Simon le Magicien soit venu les affronter dans Rome même : il ne pouvait être que battu par de tels hommes.

Toutes fausses qu'elles sont, et d'une hilarante fausseté, les Constitutions apostoliques de Clément n'en sont pas moins de quelqu'un, et ce quelqu'un n'en est pas moins attaché à la jehouddolâtrie jusqu'à mentir pour elle. Eh bien ! cet homme qui prétend avoir assisté à la Cène, qui se fait passer pour avoir été frappé de verges par Kaïaphas, Alexander et Hanan[51], qui se dit témoin des apôtres, qui a lu les Actes, et qui par conséquent ne peut être antérieur au troisième siècle, cet imposteur ne connaît que deux martyrs authentiques, Jacques, frère du Rabbi[52], et Stéphanos, avec lequel il dit avoir été diacre. Nous avons la liste des sept diacres : Stéphanos y est bien, mais Clément n'y est pas. La liste des six collègues du Pseudo-Stéphanos n'est donc pas encore arrêtée dans le s Actes. De plus on n'admet ni que Saül se soit converti ni qu'il ait été martyr à Rome sous le nom de Paul.

Ce Clément, qui n'exista jamais que comme faussaire, est donc le grand artisan de la papauté de Pierre. C'est lui qui biffa de l'histoire Shehimon le Kannaïte, si peu apostolique, si peu évangélique, si peu pastoral, si juif de la pire école.

La suppression de Shehimon était d'autant plus agréable à Clément que, pour soutenir sa thèse, il affirmait avoir été sacré évêque de Rome par Pierre lui-même. Pierre est, à cette occasion, d'une débonnaireté charmante. Après avoir fait un pompeux éloge de Clément, il le force, tout rougissant, de monter sur le siège pontifical à sa place, et au milieu de l'assemblée il lui communique ses dispositions testamentaires : Je t'en prie, dit-il, lorsque j'aurai quitte la vie de la façon qui m'est prescrite[53], envoie à Jacques, frère du Rabbi, un abrégé dans lequel, remontant aux idées de ton enfance, tu diras comment tu m'as accompagné dans les premiers temps jusqu'à ce jour, quels discours j'ai tenus, quels actes j'ai accomplis dans les villes, et de quelle fin ma vie a été couronnée. Clément n'a garde de manquer à sa mission, d'autant que Pierre la lui a facilitée déjà en envoyant lui-même à Jacques le récit des prédications qu'il a faites dans ses Voyages. Ainsi, avant d'être désigné par Pierre pour lui succéder, Clément avait été son secrétaire... Mais alors... Marc que la Première lettre de Pierre[54] représente auprès de lui, à Rome, dans cet emploi si honorable ?

Grâce à Clément, Pierre qui n'avait rien dit pendant sa vie, et pour cause, devint, une fois mort, d'une loquacité remarquable. Un plus long mutisme eut tourné à l'hérésie. On prêtait des Épîtres ou des fragments à Jude, à Barnabé, à Matthieu, à Barthélemy, à Jacques, on en prêtait à des évêques comme Anaclet, à Saül enfin, pourquoi, seul, Pierre n'aurait-il rien écrit ? Cela n'était point orthodoxe. Outre la Lettre de Pierre à Jacques, il en parut deux autres, toutes de Rome, comme il convenait, afin que ce frère du Rabbi consentit, au moins par le silence, à reconnaître que de Jérusalem la suprématie ecclésiastique était passée à Rome. Le faux Clément se porta garant de leur authenticité : il était résolu à tout pour faire croire que Pierre avait été pape avant lui. Il n'hésita pas à écrire, de son côté, une lettre à Jacques pour lui exprimer dans un trémolo la joie austère que lui avait causée Pierre en l'installant de sa propre main sur le siège pontifical.

Dans la suscription de cette Épître, Clément qualifie Jacques d'évêque de Jérusalem, évêque des évêques, autrement dit pape des circoncis. Jacques, quoique mort, et surtout à cause de cela, est appelé à témoigner en faveur de Shehimon, qui est délaissé, n'ayant rien écrit, alors que les Évangiles le représentent comme la pierre angulaire de tout l'édifice christien. Ces lettres ont donc été faites pour restituer à Pierre la primauté apostolique dont les Lettres de Paul l'avaient dépouillé, contrairement à la règle hiérarchique transmise aux Juifs. Alors que Paul laissait derrière lui la trace lumineuse de ses prédications auxquelles on avait élevé ce monument, les Lettres, Pierre subitement, comme par une trappe, avait disparu de la scène asiatique, et rien de lui ne restait que sa crucifixion avec Jacob dans Josèphe : Paul s'étant spécialisé dans la prédication aux païens de Rome, personne n'était plus là pour renouer avec Jérusalem la chaîne depuis longtemps rompue par les armées de Titus et d'Hadrien. En ressuscitant Jacques, Clément ressuscita Pierre. Pierre fut le fils légitime, l'héritier selon la Loi, dans la famille ecclésiastique où malgré tout Paul n'était qu'un intrus. Du même coup, Clément prenait un air de petit-fils qui lui seyait à merveille.

Sans doute, c'était d'utiles et beaux ouvrages que les Homélies, les Constitutions, Recognitions et Lettres de Clément. Le Saint-Esprit y battait de l'aile dans chaque phrase, mais ils étaient touffus et leur grosseur les retenait aux rayons des bibliothèques doctorales. Pour arriver au martyre de Pierre, il fallait traverser de longs épisodes qui pouvaient laisser le populaire indifférent. De plus, propres à édifier les fidèles sur les commencements héroïques de la papauté, ils tournaient, par contre, au scandale de l'apostolat lui-même, en mettant à nu les persécutions de Saül contre Pierre, car, en fin de compte — trait plein de noirceur — c'est Saül lui-même, sous les traits de Simon le Magicien, que Pierre venait confondre à Rome !

 

VI. — LA LÉGENDE DE CONCILIATION.

 

Les pauliniens firent entendre de violentes protestations, menaçant de tout dire : chantage déjà employé dans la Lettre aux Galates. Ils démontraient facilement que Pierre n'était pas venu à Rome avant Paul ; qu'il n'y était point avec Paul ; qu'il n'y était point venu après ; que seul le séjour de Paul était certain, et qu'enfin le seul moyen de prouver que Pierre avait été évêque de Rome, c'était de l'y montrer en même temps que Paul, d'en faire l'ami de Paul, en un mot de prouver par Paul que Pierre avait si bien fait le voyage de Rome qu'il y était mort martyr avec Paul. Paul partout et toujours ! Sans lui, point de Pierre pape.

Les Lettres de Paul constituant le seul appel à la course que l'Église pût faire valoir auprès des gogoym, on reconnut qu'il n'était pas adroit d'en vouloir à Saül d'avoir été persécuteur, puisqu'on n'en voulait pas à Bar-Jehoudda et à ses frères d'avoir été des criminels. Bar-Jehoudda avait inventé le baptême ; mais Paul se trouvait avoir inventé les collectes. Voie et traction : Bar-Jehoudda. Exploitation : Paul.

Clément était allé un peu loin en montrant que Saül ne s'était jamais converti, pas même sur le chemin d'Espagne. On sacrifia la partie de ses Mémoires dans laquelle Pierre confondait Paul sous les traits de Simon le Magicien et on produisit une légende de conciliation, où l'on reconnaissait que si Pierre avait triomphé du Magicien, c'était en collaboration avec Paul. A la bonne heure !

 

Dépouiller Paul pour habiller Pierre fut l'effort ecclésiastique du quatrième siècle. Quand on trouvait dans Paul un nom de disciple qui n'avait pas fait parler de lui, on le rattachait à l'apostolat de Pierre.

Pierre après n'avoir vécu que contre Rome, croissait en gloire et en autorité, à mesure que Paul, malgré ses lettres, s'enfonçait dans l'ombre apostolique et prenait l'air d'un aventurier levantin peu digne de la grande famille juive et de la petite famille davidique. D'ailleurs, l'Église de Rome avait à se défendre contre celles qui, par leur prétention de descendre des apôtres, notamment en Syrie et en Asie, revendiquaient le privilège de régenter les autres églises. Cette prétention perça d'assez bonne heure en Afrique à cause de l'influence jehouddique dans la province de Cyrène. Des légendes, plus tard recueillies par des grecs anonymes, la soutenaient, disant que Pierre avait par deux fois visité l'Afrique et fait élire son disciple Crescent (nommé dans les Lettres de Paul) évêque de Carthage[55]. A défaut de Pierre d'autres disaient Simon le Kannaïte, — c'est le même ; d'autres Jude le Kannaïte, — c'est Jehoudda Toâmin, son frère ; d'autres Marc, — c'est Jehoudda dit le Joannès Marcos, son fils.

Prince des apôtres depuis la destitution du Joannès, comment n'aurait-il pas fait tout ce qu'avait fait Paul ? Après l'Afrique, on l'envoya en Espagne sans réfléchir que plus on lui prêtait de voyages, plus on l'éloignait de Rome. Il fallut adopter un parti énergique à son endroit, Pierre qui roule n'amassant pas mousse. A toutes ces légendes vagabondes qui éparpillaient l'attention on substitua bravement la sédentaire tradition de Pierre évêque de Rome pendant vingt-cinq années consécutives. De cette manière on ne se disputerait plus pour savoir qui de Pierre ou de Paul avait le plus voyage. Paul conserverait la gloire de commis-voyageur en vies éternelles ; Pierre, clefs en mains, aurait gardé la maison.

Saül, d'après la Lettre aux Romains, devant être en Espagne à la date qu'on adopte pour la crucifixion de Pierre il fallut l'en ramener. On insinua que Paul pourrait bien être venu deux fois à Rome[56], y avoir été emprisonné deux fois, la première sans Pierre, la seconde avec Pierre : c'est cette seconde fois qu'ils auraient été martyrisés ensemble. D'autre part, comme il résultait et des Lettres de Paul et des Actes des Apôtres que Pierre n'était pas à Rome lorsque Paul y était venu sous Néron, on décida que Pierre soit de force soit de bonne volonté aurait été absent à ce moment-là, mais qu'il serait revenu à temps pour montrer à Paul le chemin du martyre.

Au lendemain de l'incendie que l'interpolateur de Tacite attribue aux christiens, Pierre et Paul reviennent tous les deux, celui-ci du bout du monde, celui-là de l'autre monde, exprès pour offrir leur tête aux bourreaux.

Cette invention est le second état de l'imposture qui fait Pierre premier pape de Rome.

 

On ignore totalement quel fut le premier dispositif adopté pour le martyre de Paul. Dans la Lettre aux Philippiens on annonce qu'il sera brûlé. Mais à la réflexion, cette fin ayant paru peu digne d'un homme qui, avant d'être tisserand, avait été prince hérodien et pupille de Rome, Néron le condamne à mort et lui fait trancher fort proprement la tête, non sans l'avoir gardé en prison le temps nécessaire pour donner à Pierre le temps d'arriver.

En effet, sous le pape Gélase dont Dieu ait l'âme, les hérétiques, enhardis par ces tergiversations (que voulez-vous ? il y a des gens qui ne respectent rien !), répandaient le bruit que Pierre et Paul étaient morts martyrs en des temps différents. A ce compte étaient hérétiques saint Justin et saint Irénée qui, sur le témoignage d'un manuscrit grec anonyme, relatant les démêlés de Pierre et de Paul, ont dit que Paul avait été martyrisé cinq ans après Pierre. Hérétiques ceux qui les font mourir le même jour, mais à une année d'intervalle ! Orthodoxe le seul Eusèbe qui, d'après le témoignage de Dionysios, évêque de Corinthe, et de Caius, écrivain ecclésiastique, les font mourir le même jour et la même année. (Que ces textes devaient être concluants ! Mais ils ont disparu.)

On avait d'abord adopté l'année 817, très bonne année qui toutefois avait le tort de se rapprocher un peu trop de l'incendie de Rome. Mais il était certain que le prince Saül, quel que fut son zèle jehouddolâtrique sous le nom de Paul, n'avait pu arriver à Rome avant la fin de 819. En conséquence il fut décidé que Pierre et Paul ne seraient martyrs que cette année-là.

Après avoir retardé de vingt-et-un ans la nativité de Bar-Jehoudda, et avancé sa crucifixion de sept ans, on pouvait bien ajouter deux ans à la date du martyre de nos SS. AA. Pierre et Paul. On les ressuscita donc, et avec eux tous les personnages martyrisés deux ans auparavant.

L'Église veut bien que Néron, en sa qualité de monstre, ait persécuté les christiens en 817, elle ne veut pas qu'il ait supplicié ceux dont elle a besoin en 819. Par un hasard, où chacun reconnaîtra le Saint-Esprit, tous les christiens brûlés en 817 survivent à leurs cendres dans les récits ecclésiastiques : trait renouvelé du phénix, ce qui lui donne un air de grandeur fabuleuse, mais contraire à tous les principes de la biologie. Les supplices de 817 ont épargné toute la société christienne que reconnaît l'Église au temps de Paul. Crescens n'est pas mort, Luc n'est pas mort, Démas n'est pas mort, Marc n'est pas mort, Clément n'est pas mort, Linus n'est pas mort. Néron n'a brûlé que des anonymes, il n'a fait aucune victime parmi les christiens classés. Il n'est pas jusqu'au sénateur Pudens, l'amphitryon de Pierre depuis vingt ans, qui ne respire l'air du Capitole avec sérénité.

 

VII. — LE SOUTERRAIN DU SOLDAT MARTIAL.

 

Après avoir donné un nom au soldat chargé de garder Paul, — il ne pouvait guère s'appeler autrement que Martial, — la tradition catholique donne un emplacement certain à sa maison : elle était située Via lata, et bâtie au-dessus d'un souterrain beaucoup plus grand que la prison Mamertine, de sorte que ce soldat disposait à lui seul de moyens d'incarcération très supérieurs à ceux de l'État. La maison de Martial est devenue l'église de Sainte-Marie in Via lata. On descend dans le souterrain par deux escaliers pratiques sous le porche, on y voit diverses inscriptions qui rappellent, avec des détails fournis par la spéculation, les dernières années de l'Apôtre. On montre aux fidèles la colonne à laquelle Martial avait attaché son prisonnier. C'est là qu'il aurait vécu, dit le bon Mgr Gaume, attaché par une chaîne au bras d'un soldat pendant deux années entières. C'est beaucoup pour le soldat : nous aimons à croire qu'il n'en fut pas ainsi, car le pauvre Martial n'avait rien fait qui méritât deux années de chaîne.

Mgr Gaume a lui-même reconnu le besoin de se relâcher de cette sévérité : il dit, sans citer ses auteurs[57], que Paul parut devant Néron, qui lui laissa son gardien, sa chaîne et sa prison ; mais comme on lui permit de prêcher, nous pensons que Martial eut dès ce jour quelques moments de libres. Il parait en effet que sa prison ne désemplissait pas et que le Collège des pontifes, le Sénat, le Prétoire, le Palais même — nous citons toujours Mgr Gaume — retentissaient des vérités qu'il annonçait sans aucune prohibition.

Dans cette prison il avait pour auditeurs ou compagnons Onesiphore d'Éphèse, Epaphras de Colosses, Timothée, Hermas[58], auquel, dit M. le chanoine de Bléser[59], un ange apparaissait sous la forme d'un pasteur[60], et révélait les profonds mystères de la Morale chrétienne, Aristarque, Marc, Démas, et une foule d'autres, des courtisans même de Néron, ses parents, Flavius Clémens, entre autres et Domitilla sa femme. Je ne doute pas que Néron et sa Cour n'aient été partisans du juif consubstantiel au Père, surtout s'ils ont été catéchisés par le très excellent Théophile, mais je proteste au nom de Flavius Clémens et de Domitilla ; Flavius Clémens est le fils du Clémens dont l'Église a fait le successeur de Pierre.

Sous le règne de Domitien, son cousin, Flavius Clémens était encore élève de Quintilien, ce qui suppose un âge peu avancé, il ne pouvait donc pas être marié depuis bien longtemps lorsqu'il fut mis à mort par ledit Domitien. C'était un homme jeune, à qui on ne peut guère donner plus de trente ans à sa mort. A peine en avait-il cinq lorsque Saül vint à Rome, il n'est donc pas permis de croire qu'il eut déjà serré les nœuds de l'hyménée lorsque tout Rome descendant dans le souterrain pour ouïr la parole enchanteresse de l'Apôtre des nations. Bientôt Pierre, entraîné par l'exemple, s'établit dans ce souterrain qui devint l'endroit de Rome où il y avait le plus de lumière. Une lumière telle que Luc y vint également, non pour évangéliser, — ce qui eut été banal, — mais pour peindre. N'étant point à la chaîne, il occupait ses loisirs à peindre une Sainte Vierge qu'on a trouvée dans son oratoire, et qui est une des sept figures de Madone attribuées à son pinceau. On a eu bien tort de ne pas laisser ce chef-d'œuvre à sa première place et de le transporter dans l'Église supérieure où il est à présent. On a eu tort aussi d'y mettre l'inscription relative à Paul : Mansit biennio toto in suo conductu et suscipiebat omnes prœdicans regnum Dei, car elle vient jeter bas d'un seul coup toute la maison de Martial. Il n'existe aucun moyen de traduire conductum autrement que par maison louée ou appartement loué. Cicéron, Sénèque, Pétrone et Ulpien sont formels sur ce point : la langue juridique s'est enrichie du mot reconduction, qui signifie continuation de loyer. Si Paul a loué une maison pour y recevoir, c'est qu'il était libre, et si cette maison fut celle de Martial, c'est que le propriétaire et le locataire s'étaient enchaînés l'un à l'autre que par un bail.

 

La tradition serait tout à fait vicieuse si elle ne comportait la conversion du soldat geôlier. Paul fit Martial jehouddolâtre, bien d'autres. Et comme il fallait de l'eau pour baptiser, il fit jaillir une source où l'on vient boire en souvenir de ce miracle.

Cette imposture n'est pas seulement combattue sur le lieu même par la phrase empruntée aux Actes des Apôtres : a il resta deux ans entiers dans une petite chambre qu'il avait louée[61], elle l'est au dehors, dans la ville même, par la dédicace de l'église Saint-Paul alla regola. Cette église s'appelait antérieurement Scuola di San Paolo, l'École de Saint-Paul, et c'est là que l'Apôtre réunissait les jehouddolâtres pour les instruire. Elle est située près de Sainte-Marie in Monticelli, entre le Forum et le Viminal.

 

VIII. — LA LITTÉRATURE MARTYROLOGIQUE.

 

Croiriez-vous que, malgré tout cela, les hérétiques continuèrent à répandre autour d'eux les notions les plus erronées, en s'appuyant sur ce qui restait de vérité dans l'histoire des démêlés de Saül, prince du sang d'Hérode, avec Shehimon dit la Pierre, prince du sang de David ? Pour obvier à ces machinations diaboliques, on fit sortir des vastes flancs de Rome toute une théorie de petits livres latins à l'usage de messieurs les clercs : Passion de Pierre et de Paul, Actes de Pierre et de Paul, Histoire de Pierre et de Paul, Prédications de Pierre et de Paul, Épitomé des gestes de Pierre et de Paul, dans lesquels le premier rôle est toujours réservé à Pierre, comme ayant de droit divin la suprématie spirituelle. On peut dire que ces petits romans sont, avec les Évangiles, un des premiers essais de la littérature de colportage.

Négligeant les Actes des Apôtres, tous s'accordent à dire qu'après l'Ascension de Bar-Jehoudda, Pierre a occupé pendant six ans le siège épiscopal d'Antioche, et qu'il y avait en Judée, — à Jérusalem, dit le scribe Marcellus, — un certain Simon, magicien de son état, dont Pierre réprima les maléfices et qu'il poursuivit jusque dans Rome.

Qu'on juge par là du pouvoir de Simon : l'auteur de la Lettre aux Galates n'avait mené Pierre que jusqu'à Antioche !

Après avoir proposé à Pierre de lui acheter l'Esprit-Saint, Simon s'était enflé jusqu'à la divinité, mais n'ayant pu résister à Pierre, il avait jeté tous ses livres de magie à la mer et s'était enfui à Rome, où il avait pris sa revanche en captant la confiance de Néron. Mais Pierre qui était évêque de Rome depuis vingt-cinq ans deux mois et bientôt quatre jours, et qui avait pour coadjuteurs Linus, Cletus et Clément[62], n'était point homme à tolérer Simon dans la ville.

Averti par une vision des intrigues ourdies contre lui par Néron et Simon, il s'était, en prévision du martyre, hâté de constituer l'Église romaine avec dix Anciens et huit diacres. Bar-Jehoudda prévenait en même temps Pierre du secours que lui apportait dans la prédication le bien-aimé Paul qui arrivait le lendemain, car, au rebours de ce qu'on pourrait croire, Pierre et Paul étaient d'inséparables amis, acharnés à la perte de Simon.

 

Si vous voulez, prenons la suite de l'imposture dans la version de Marcellus.

Le défaut de ce Marcellus est, je le sais, de n'apparaître qu'après les grands fabulistes, de s'appuyer sur Clément en ce qui touche les débats avec Simon le magicien, sur tous les auteurs ecclésiastiques en ce qui touche la durée du pontificat de Pierre, et sur les historiens romains en ce qui touche la mort de Néron. C'est donc un témoin qui n'a vu que par les yeux de Clément, lequel n'a rien vu du tout, mais comme il signe sa relation[63] : Moi, Marcellus, disciple de mon maître l'apôtre Pierre, j'ai écrit ce que j'ai vu (il oublie d'ajouter dans Clément, dans Eusèbe et les autres), c'est un de ces témoins que l'Église qualifie d'oculaires.

Marcellus toutefois estima que ces témoignages ne compensaient pas le silence de l'histoire, quoiqu'ils fussent dans le fond contresignés par Néron et toute sa cour.

Disciple de Pierre, il avait assisté à son supplice ainsi qu'à celui de Paul. Il fondit en une seule les livraisons à deux sesterces de Clément et consorts, et nous eûmes une Passion de Pierre et de Paul que nous citâmes. Mais, fortement embarrassé par la question de savoir qui de Clément, de Linus ou de Clet fut le second pape, il l'a tranchée en les donnant tous trois en même temps comme coadjuteurs de Pierre. Voilà trois témoins, le Deutéronome n'en exige que deux.

 

IX — L’AUTO-AÉROPLANE DE SIMON LE MAGICIEN.

 

Et voici ce qu'a vu Marcellus dans la mémorable journée où Simon le Magicien fit devant Néron le premier essai connu d'auto-aéroplane.

Pierre et Paul sont auprès de Néron lorsque Simon se prépare à voler vers les cieux ; ils sont condamnés par la même sentence à des peines différentes, et c'est la raison pour laquelle ils vont être envoyés séparément à la mort. Fils de Dieu comme feu Bar-Jehoudda, Simon demande à Néron d'édifier une haute tour de bois où les anges du ciel viendront le chercher pour l'emporter vers son Père : ils sont trop purs, dit-il, pour descendre dans une foule où il y a deux jehouddolâtres ! Néron, déférant à ce désir, a fait construire au Champ de Mars une tour très élevée, et convié le peuple et tous les dignitaires à ce spectacle ; il a ordonné que Pierre et Paul y assistent également. — La vérité apparaîtra, dit Néron. — Nous ne la craignons pas, dit Pierre, et, se tournant vers Simon, il ajoute : Fais ce que tu as dit. Ta défaite et notre triomphe sont proches, le christ nous appelle. — Où voulez-vous aller sans ma permission ? dit l'Empereur. — Où notre Seigneur nous appelle. — Et votre Seigneur, c'est... ?Jésus-Christ. Simon, indigné, dit alors à Néron : Afin que tu saches que ce sont des imposteurs, je te préviens qu'aussitôt dans le ciel je t'enverrai prendre par mes anges. — Fais, dit Néron, flatté par cette perspective. Et Simon, étant monté sur la tour, couronné de lauriers, étend les mains et prend son vol.

Pierre dit à Paul : Regarde ! et Paul, levant ses yeux pleins de larmes, vit Simon qui volait. Achève ce que tu as commencé, dit Paul, car notre Seigneur nous appelle ! Alors Pierre, tournant les yeux vers Simon, dit : Anges de Satan, qui le soutenez dans les airs, je vous adjure par le Dieu tout-puissant et par Jésus-Christ de le laisser choir à l'instant ! » Et à l'instant Simon tomba dans la Via Sacra où il s'écrasa en quatre parties, brisant quatre pierres qu'on voit encore aujourd'hui en témoignage de la victoire jehouddolâtrique.

Néron fit immédiatement enchaîner les deux hommes qu'il rendait responsables de cette mort. Quant au corps de Simon il le fit garder avec soin, de peur qu'il ne ressuscitât le troisième jour. — Il est bien mort, dit Pierre, il ne ressuscitera pas !Qui t'a permis un tel crime ? demande Néron. — Son obstination, dit Pierre. — Fais conduire ces deux hommes à la Naumachie, dit Néron à son préfet Agrippa, qu'ils soient brûlés vifs ainsi que tous ceux de leur espèce !Pourquoi la même peine ? objecte Agrippa. Il faut trancher la tête à Paul, pour crime contre la religion, et mettre Pierre en croix pour homicide. — Bien jugé, dit Néron, et on les conduit au martyre.

 

Condamnés à des peines différentes, envoyés séparément à la mort, Paul est décapité sur la Via Ostiensis, Pierre est exécuté la tête en bas sur une croix renversée.

Aussitôt apparurent près de la croix de saints hommes que personne n'avait vus auparavant et que personne ne revit plus jamais. (Cela, je le crois.) Ils se dirent envoyés de Jérusalem exprès. Se joignant à Marcellus, ils enlevèrent secrètement le corps et le déposèrent sous un térébinthe près de la Naumachie, au lieu dit le Vatican. Alors ceux qui étaient venus de Jérusalem, s'adressant à la foule, dirent : Réjouissez-vous d'avoir mérité pour patrons les grands amis de Notre-Seigneur, et sachez qu'après leur mort l'infâme Néron ne pourra conserver l'empire ! Et en effet quelque temps après, par la révolte de son armée et de son peuple, le tyran, réduit à fuir et à se cacher, périt dans les chaînes, au dire des uns, de la dent des loups, au dire des autres. Quant aux apôtres, comme des grecs emportaient leurs corps en Orient, il survint un tremblement de terre formidable. Le peuple romain accourut qui les arrêta dans les catacombes, au troisième mille de la voie Appienne, où on conserva les corps pendant un an et sept mois jusqu'à ce qu'on leur eut aménagé un lieu convenable. Au milieu des hymnes, celui de Pierre fut porté au Vatican et déposé dans la Naumachie, celui de Paul au sixième mille de la Via Ostiensis. Telles sont les choses que Marcellus notamment a vues, et dont on ne saurait douter sans encourir l'excommunication majeure.

 

X — EMPLACEMENT DE CLÉMENT PAR LINUS COMME SUCCESSEUR DE PIERRE.

 

Plus tard, et c'est ce qui permet de mesurer le fond de l'ingratitude humaine, il vint des gens qui ne furent satisfaits ni de Marcellus parce qu'il n'avait pas succédé à Pierre, ni de Clément à cause de ses sorties contre Saül le persécuteur. Clément avait menti de son mieux, mais ce mieux était ennemi du bien, puisqu'il découvrait Paul.

On opposa donc maître Linus — Pathelinus— à Clément comme successeur de Pierre ; et Clément, relégué au quatrième rang sur la liste des papes, se confondit avec Flavius Clémens[64], ce Juif d'intention qui avait été puni de mort pour avoir feuilleté l'Apocalypse dans la maison de l'empereur Domitien.

Donnons quelques renseignements biographiques sur Linus, dont nous n'avions entendu résonner le nom éminemment onctueux que dans la Lettre à Timothée. D'origine toscane, personnage pieux et aimé de Dieu, Linus est le second évêque de Rome[65], à moins qu'il ne soit le troisième, de même que Clément est le quatrième, à moins qu'il ne soit le second. Il a succédé à Pierre, à moins qu'il n'ait été consacré par Paul ou qu'il n'ait pris la place des deux après leur martyre. Il a régné de 808 à 820, à moins qu'il n'ait commencé à régner qu'en 819, ou qu'antérieurement il n'ait été vicaire de Pierre de Paul. D'autres vous diront qu'après avoir pontifie onze années trois mois et douze jours, — il florissait sous Galba, — et fut martyrisé par le préfet Saturninus[66] pour avoir délivré sa fille de l'indécent assaut des démons ; ce Saturninus n'entendait rien à la reconnaissance ! C'est à Linus qu'il appartenait de déposer sur les évènements qui avaient marqué son époque. On lui fit écrire deux petits livres en grec, la Passion de Saint Pierre et de saint Paul martyrisés le même jour, et non à des jours différents, comme pouvaient seuls le soutenir des gens qui n'étaient pas là.

 

Longtemps, oh ! longtemps, la terre se morfondit dans l'attente de renseignements certains sur Linus. Mais, dans la seconde partie du seizième siècle, alors que ces maudits huguenots entreprenaient contre la vraie foi, notre bon ami et féal serviteur Guillaume Malerbault, théologien de Sorbonne, eut l'idée excellente de nous donner une traduction latine de ce grec que tant de fidèles ne comprenaient pas. A la vérité, l'original avait disparu dans un incendie de la bibliothèque du monastère où il était conservé ; mais on ne pouvait douter qu'il eut existé, Le Fèvre d'Etaples l'avait vu, il en avait parlé dans ses Commentaires sur les Épîtres de saint Paul, et puis, il y a un dieu pour de tels monuments. Malerbault l'avait dans sa bibliothèque particulière. Il s'empressa donc de le livrer au public, car on aurait pu spéculer sur la destruction de ce précieux témoignage pour nier que Pierre eût jamais été à Rome, et il ne manquait pas d'êtres mal pensants pour le soutenir.

Manie de la contradiction, puisque Linus, qui assistant au martyre, était là pour en attester la réalité ! Mieux vaut un seul témoin oculaire que dix auriculaires, comme il appert des Institutes Titulo de gradibrus cognitionum, paragraphe dernier, et de Barthole, à la loi Quod mea, paragraphe Si Vendilorem, ff. de acquirenda et amittenda possessione[67]. Et puis à quoi tendent les mauvais esprits qui révoquent en doute le séjour de Pierre à Rome ? Est-ce qu'il n'est pas attesté par les docteurs sacrés, comme saint Clément et saint Arnbroise, lequel, pour sa part, nous a conté la rencontre de Pierre et du christ, celui-ci allant à Rome pour y être crucifié de nouveau ?

 

XI. — QUO VADIS ?

 

Linus reconnaît que Néron fit emprisonner Pierre, uniquement par arrêt du destin. L'heure du martyre approchait pour l'apôtre : il n'y a pas d'autre raison. Cependant Pierre avait déjà détourné de leurs époux quantité de matrones de la plus haute naissance, pour les marier à Bar-Jehoudda. Il poursuivit en prison cette chaste propagande et prêcha si bien Agrippina, Eucheria, Euphemia et Dione (d'autres disent Cleonis), toutes quatre concubines du préfet Agrippa, qu'elles finirent par refuser toute espèce de rapport avec ce fonctionnaire. Les courtisanes elles-mêmes redevenaient vierges : on comprend le chagrin et l'étonnement d'Agrippa ! Caresses, petits cadeaux, rien ne put briser leur obstination. Le libidineux Agrippa fit une enquête, découvrit d'où venait ce qu'il estimait être le mal, menaça les quatre courtisanes et l'apôtre des supplices les plus horribles, il n'en obtint pas davantage. Sur ces entrefaites Xandipe, femme d'Albinus[68], intime ami de Néron, vint trouver Pierre avec d'autres dames non moins nobles, et rentrée au logis, elle refusa tout contact avec son mari. Albinus, au comble de la fureur, alla trouver Agrippa, son compère, et ils convinrent de se venger de Pierre ensemble, ayant reçu chacun la même injure. Ayant appris cette conspiration, Xandipe avertit Pierre qu'il eut à s'enfuir promptement, et dans le même but elle faisait prévenir les frères par Marcellus, fils du préfet Marcus, autrefois disciple de Simon le Magicien, maintenant rallié à Pierre.

 

Entre temps les nombreux sénateurs, qui avaient été abandonnés de leurs femmes, s'assemblaient pour mettre un terme aux menées de Pierre et félicitaient Agrippa de sa détermination. Pressé par Marcellus et par les frères de chercher son salut dans la fuite, Pierre répondit qu'il se devait au martyre comme son Maître. Ils insistèrent, invoquant l'intérêt de la prédication et le leur. Les jeunes gens qu'il préparait à la vie éternelle se tordaient les bras, se jetaient la face contre terre, criant : Après nous avoir baptisés, voici que tu nous abandonnes aux morsures des loups ravisseurs ! Les matrones poussaient des gémissements et se couvraient les cheveux de cendre. Les gardiens de la prison, Processus et Martinianus, joignaient leurs supplications à celles des magistrats et des officiers : Renonce à ton dessein, l'Empereur ne pense plus à toi ! Sinon Paulinus, qui nous a chargés de ta garde, aurait reçu ta sentence de mort ! C'est ce vilain Agrippa qui t'en veut ! Depuis que tu nous as baptisés au nom de la Trinité dans la fontaine de cette prison, et que par miracle le signe de la croix s'est gravé sur le rocher, tu es allé où tu as voulu[69], personne ne t'a rien dit. Les veuves, les orphelins, les vieillards se frappaient la poitrine, s'arrachaient les cheveux : Toi qui nous as guéris du démon et des maladies, qui nous as ressuscités d'entre les morts, vas-tu nous laisser dans cette vallée de misères ? Vaincu par tant de larmes, Pierre se décide à partir seul ; et la nuit d'après, les ayant bénis, tandis qu'il partait sous un déguisement, les chaînes se détachèrent de sa jambe. Arrivé à la porte de la ville, il rencontra le christ qui le rappela au respect de la prophétie[70] ; il rentra, glorifiant Dieu[71], et dit aux frères les raisons pour lesquelles il fallait que Bar-Jehoudda fût de nouveau crucifié en lui, car il n'avait consenti à se soustraire pour quelque temps au martyre qu'à la demande des christiens qui l'avaient supplié de vivre encore pour eux ; et comme il fuyait par charité, il suivait le Sauveur même en fuyant ![72] Effectivement il le rencontra tout à coup, et il faut croire que le crucifié avait le front incliné vers la terre, car c'est son frère qui parla le premier : Domine, quo vadis ? dit-il, Rabbi, où vas-tu ? — Et le Rabbi lui répondit : Je vais à Rome pour y être crucifié de nouveau[73], ce qui est une façon de lui enjoindre d'exécuter à Rome pour les besoins de l'Église l'exercice crucial dont il s'est une première fois acquitté à Jérusalem. Pierre comprit et rentra dans Rome pour sortir de ce monde.

On l'entraîna donc sur le Janicule dont le nom lui rappelait agréablement celui du Joannès, auteur de l'Apocalypse[74].

On montre dans le cloître de l'église Saint-Pierre in Montorio la fosse ou fut plantée la croix. Cette fosse est dans la chapelle souterraine au-dessus de laquelle s'élève le temple construit par le Bramante pour perpétuer cette imposture[75].

 

XII. — LA CROIX À L'ENVERS.

 

A partir du Quo Vadis ? rien ne put fléchir Pierre. Hiéros se présenta suivi de quatre appariteurs et de quelques décemvirs : ils l'emmenèrent, chargé de chaînes, au préfet Agrippa. Au petit discours d'Agrippa, la figure de Pierre resplendit comme le soleil, et il éclata en injures contre le préfet : dux libidinum ! amator pollutionis ! j'en passe, lui déclarant, en outre, qu'il entendait être crucifié au plus tôt. Agrippa consentit.

Ce fut alors dans la ville un mouvement extraordinaire de gens de tout âge et de toute condition, riches, pauvres, veuves, pupilles, infirmes et bien portants, une confusion inexprimable, le tumulte, l'émeute ! Pourquoi tuer Pierre ? C'est une honte ! il est innocent. On avait bonne envie d'écharper le préfet. Mais Pierre étant monté sur un tertre, harangua cette foule grondante, et d'un geste l'apaisa. On laissa aller le préfet pour ne pas gâter le plaisir que Pierre éprouvait à rejoindre son frère. Pierre fut conduit, suivi des appariteurs et de la cohue, à la Naumachie, près du Cirque de Néron, sur la Montagne du Vatican. Au pied de la croix qu'on avait plantée en ce lieu, Pierre parle de nouveau et plus longuement que jamais, recommandant au peuple d'épargner Agrippa, le ministre d'un diable qui abuse de la permission de Dieu pour me tuer dans ma chair, et citant d'abondance le Quatrième Évangile, il se tourne vers la croix, lui adresse un discours apologétique en plusieurs points, gourmande les valets du bourreau et les appariteurs qui ne se dépêchent pas assez : Je vous en supplie, leur dit-il, veuillez me crucifier les pieds en haut, la tête en bas. Je ne suis pas digne, moi, simple serviteur, d'être crucifié dans la position[76] de celui qui a sauvé le monde. Son vœu exaucé, il se remet à parler copieusement.

A ce moment, à travers les larmes qui mouillent leurs yeux, les assistants voient distinctement des anges qui se tiennent, avec des couronnes de lis et de roses, autour de la croix, et au-dessus Pierre lui-même, recevant de Bar-Jehoudda un livre dans lequel il lit ce qu'il vient de leur dire[77]. A cette vue la joie se répand sur tous les visages, les bourreaux en sont confondus. Pierre dans ses derniers instants explique à son frère[78] pourquoi il n'a pas cru pouvoir être crucifié la tête en haut, et au peuple comment le péché original est racheté par la croix, ce qui nous vaut la plus verbeuse de ses déclarations, et de telle dimension qu'un orateur à la tribune aurait eu de la peine à la soutenir. Il expire enfin[79]. Marcellus alors le descend lui-même de la croix, lave le corps du meilleur lait et du meilleur vin ; puis, avec quinze cents mines de résine d'aloès, de myrrhe, de nard et de stacné, plus quinze cents autres mines de substances variées, il l'embaume le plus soigneusement du monde, remplit le sarcophage, entièrement neuf, de miel attique, et y place le corps bien enveloppé d'aromates. La nuit, comme il veillait près du tombeau, — car tel était son chagrin qu'il avait résolu de ne plus jamais se séparer de son Maître, — voici que Pierre lui-même lui apparut. A son aspect, il s'élança vers lui. Mais le bienheureux lui dit : Marcellus, n'as-tu pas entendu la parole du Rabbi : Laisse les morts ensevelir leurs morts ?Je l'ai entendue, Maître, répondit Marcellus[80]. Alors Pierre lui recommanda de se réjouir, car loin d'être mort, il était au contraire vivant et bien vivant. La nouvelle de cette résurrection, répandue en tous lieux par Marcellus, remplit les frères d'allégresse.

 

De son côté, Néron, apprenant qu'on avait crucifié Pierre au lieu de le garder en prison, s'emporta contre Agrippa qu'il accusa de lui avoir volé sa vengeance, car il se disposait à punir Pierre des supplices les plus divers pour avoir enlevé Simon à la reconnaissance de la République.

Grâce a l'intervention de ses amis, Agrippa ne perdit que la préfecture et se retira dans sa maison, accablé par le mépris universel. Mais il ne tarda pas à succomber, frappé du châtiment le plus terrible par la Justice divine ; Néron tourna sa colère contre ceux qui avaient suivi de plus près l'enseignement de Pierre, mais l'apôtre leur révéla ce dessein et leur indiqua le moyen d'échapper à cette bête fauve. Néron eut une vision dans laquelle Pierre, après l'avoir flagellé cruellement, lui donna l'ordre de calmer ses nerfs. Quant aux frères, ils s’étaient réconfortés par de fréquentes apparitions de l'apôtre.

Telle est la relation que Linus manda aux Églises d'Orient qui, sans lui, croupissaient dans une honteuse ignorance et continuaient à croire que Shehimon avait été crucifié en Judée, dans la même position géographique que son frère aîné. Il fit de même pour Paul, et voici ce qu'il leur apprit, lui Linus, en sa qualité de successeur de Pierre.

 

XIII. — PAUL ET LA RÉSURRECTION DE PATROCLE.

 

Luc étant arrivé de Galatie, et Titus, de Dalmatie, attendaient Paul à Rome. Les ayant rejoints (avec quelle joie l'apôtre les retrouva !), Paul loua hors de la ville un grenier public (dans un grenier qu'on est bien à cent ans !), où il commença de prêcher la parole de vie avec ses disciples et les autres frères. Il est clair que sa petite chambre était de dimensions insuffisantes. Une foule immense accourut, même de la maison de César, — Linus connaît la Lettre aux Philippiens, — et chaque jour[81] s'augmentait la sainte communion des fidèles. Le précepteur de Néron (c'était Sénèque), se prit pour Paul d'une amitié si vive qu'il ne pouvait se passer de lui, à ce point qu'il lui écrivait à chaque instant. Il lisait ses Lettres à l'empereur et favorisait ouvertement sa prédication. Paul, se sentant soutenu, disputait contre les philosophes ethniques et n'en faisait qu'une bouchée. Le Sénat lui-même en était assoté.

Certain jour, Patrocle, échanson et mignon de l'empereur — que Malerbault appelle toujours le roi, on voit bien qu'Henri III n'est pas loin —, quitta son poste pour aller au grenier où Paul enseignait le chemin de la vie éternelle. Il y était conduit et par son instinct et par les propos que lui tenaient ses camarades. C'était le soir, et Paul, pour mieux se faire entendre des foules, était monté au plus haut de l'édifice. Patrocle ne pouvant approcher, s'assit sur le rebord de la fenêtre la plus haute afin de mieux entendre. Paul ayant été un peu long ce soir-là, le diable, jaloux de son succès, endormit Patrocle qui perdit l'équilibre, tomba de la fenêtre et rendit l'âme[82]. On porta immédiatement la nouvelle à Néron qui revenait du bain : sa tristesse fut grande et grand son désarroi. Déjà il avait choisi un autre éphèbe qui lui présentât le vin, lorsque Paul, percevant par l'esprit ce qui était advenu à Patrocle, dit : Frères, le Malin est entré ici pour vous tenter, mais Bar-Jehoudda, selon sa coutume, va tourner tout à la louange de Dieu. Sortez, au dehors vous trouverez inanimé le mignon de l'empereur. Le prenant, apportez-le moi. Et sortant, ils le trouvèrent, étonnés que Paul eût appris une chose inconnue à tous. Mais lui : Il est temps que la semence de la vie éternelle, tombant en terre, fructifie au centuple. Mettons notre confiance en Dieu, prions-le de rendre la vie au cadavre de ce jeune homme pour qu'il vive mieux désormais. Tous se mirent à genoux. Lève-toi, Patrocle ! dit Paul, et raconte ce que Dieu a fait de toi. A sa voix, le jeune homme, comme s'il s'éveillait, commença de glorifier Dieu qui donne un tel pouvoir aux hommes, et il revint, plein de joie, au palais avec ses amis.

Cependant Néron continuait à pleurer Patrocle. Console-toi, lui dirent tout à coup ses courtisans, Patrocle n'est pas mort, il est aux portes du palais. Néron n'en voulait croire ses oreilles et, dans sa stupeur, il refusait de laisser entrer celui qu'on avait dit mort, mais l'ayant vu devant lui, sain et sauf, il lui fallut se rendre. Tu vis, Patrocle ? lui dit-il. — Je vis, César, dit Patrocle. — Qui t'a ressuscité ? reprit Néron. Alors Patrocle, l'âme enflammée de l'ardeur de la foi, répondit : Le Seigneur Jésus-Christ (entendez Bar-Jehoudda), Roi de tous les siècles. Néron troublé par le nom du Roi de vérité : — Il doit donc régner dans tous les siècles et renverser tous les trônes du monde ?Oui, César, répondit Patrocle, oui, il détruira tous les trônes qui sont sous le ciel ; et tout ce qui est sous le ciel lui obéira, car il est le seul Roi des rois et le seul Maître de ceux qui commandent. Néron lui donna un soufflet, disant : Alors tu combats pour ce Roi ?Oui, dit Patrocle exultant, car il m'a rappelé d'entre les morts !

Alors Barnabas, Justus, Paulus, Arius de Cappadoce et Festus de Galatie, ministres de Néron, qui étaient constamment en sa compagnie, lui dirent : Pourquoi frappes-tu ce jeune homme ? Il a répondu selon la vérité. Nous aussi, nous sommes des soldats de Jésus-Christ, notre Roi invaincu, et notre Maître ! A cette déclaration unanime, Néron les fit jeter en prison afin de les torturer autant qu'il les avait aimés jusqu'alors. Sur son ordre, tous les serviteurs du christ furent recherchés. Il édicta qu'ils fussent soumis sans interrogatoire à toutes les tortures imaginables. Quelques-uns furent amenés en sa présence, notamment Paul, lequel comparut chargé des chaînes qui composaient toute sa garde-robe.

 

XIV. — LA DÉCAPITATION DE PAUL.

 

Après leur séjour dans le souterrain de la Via lata où pour sa part, Paul était reste deux années, Pierre et Paul avaient été amenés à la prison Mamertine, dans le Tullianum où ils restèrent huit à neuf mois. Le Tullianum était comme la cave de la prison Mamertine : c'était un raccourci de l'horrible et du ténébreux, dans Un espace qui a moins de dix mètres de long, moins de trois mètres de large et n'a pas plus de deux mètres de haut. La tradition a choisi le Tullianum parce qu'il est plus Anne Radcliffe que la prison Mamertine, et qu'il y a une fontaine. Sans fontaine point de baptême, sans baptême point d'apôtre, sans apôtre point de conversion. La fontaine du Tullianum est celte que Pierre fit jaillir pour baptiser quarante-sept des prisonniers qui étaient avec lui, plus les deux geôliers, Processus et Martinien, en tout quarante-neuf[83]. Sans colonne d'attache point de prison : on montre encore la colonne à laquelle était attaché Pierre. On a eu au moins l'intelligence de la placer près de la fontaine, en sorte qu'il put, malgré ses chaînes, puiser l'eau nécessaire à la régénération des goym détenus avec lui. Outre l'histoire, le lieu même et son exiguïté, tout s'oppose à ce que quarante-sept personnes aient habité pendant neuf mois le Tullianum avec Pierre et Paul, et nous n'aurons pas besoin d'invoquer les considérations de la nature et de l'hygiène : nous nous en tiendrons au cube et au carré.

Devant Néron Paul répondit avec une hardiesse que le seul Linus eut été capable de tempérer : il conclut en conseillant à Néron de se faire, lui aussi, serviteur du juif consubstantiel au Père, afin de mériter le salut éternel, lorsque ce Roi des rois viendrait juger les vivants et les morts et dissoudre le monde par le feu. Le feu ! Note malheureuse ! C'est lui qui donne l'idée à Néron de faire périr tous les christiens par le moyen dont ils menaçaient eux-mêmes le monde ! Quant à Paul, reconnu coupable de lèse-majesté par un sénatus-consulte, il fut condamné à avoir la tête tranchée hors de la ville, et livre aux préfets Longinus et Megistus, ainsi qu'au centurion Acestus. Ce serait le mal connaître que de croire qu'il n'en profita pas pour les catéchiser tous.

Entre temps, Néron, avec une incroyable célérité, faisait rechercher et mettre à mort tous les christiens. On en tua un tel nombre que le peuple se révolta, envahit le palais, et força Néron de rapporter son édit. Par un édit tout contraire, Néron défendit de molester aucun christien avant que l'affaire ne lui fût officiellement soumise et régulièrement dénoncée. C'est alors qu'on lui ramena Paul. En le voyant, il fut pris d'une rage indescriptible, criant : Enlevez ce malfaiteur, décollez cet imposteur, supprimez ce fauteur de désordres ! Qu'à l'instant il disparaisse de la surface de la terre ![84] Mais Paul : César, je ne souffrirai pas longtemps, car j'irai rejoindre celui qui viendra juger le monde dans l'incendie final. Néron, s'adressant à Longinus, à Megistus et à Acestus : — Que sa tête tombe, afin qu'il sente où est le vrai maître ! Paul reprit : pour t'apprendre qu'après ma mort j'entrerai dans la vie éternelle, je t'apparaîtrai, victorieux devant un vaincu. Sur quoi Longinus, Megistus et Acestus l'entraînèrent au lieu du supplice ; mais pendant la route ils se faisaient initier au mystère qui rendait les jehouddolâtres indifférents aux tortures et à la mort. Je passe sur les discours de Paul : il annonça la fin du monde, le jugement dernier, le salut pour les croyants et l'enfer pour les incrédules. Les foules s'écriaient : Miséricorde ! nous avons erré, nous avons péché. Longinus, Megistus, Acestus, prenant Paul à part, le priaient de les faire inscrire dans la milice céleste, afin qu'ils pussent échapper au feu éternel, moyennant quoi ils le relâcheraient, le suivraient partout où il lui plairait, et mourraient avec lui. Paul refusa : Qu'allons-nous faire, dirent-ils, et comment vivrons-nous si nous te punissons ?

On avait enfermé Paul avec Pierre dans la prison Mamertine, on les en tira pour les mener au supplice. Us firent route ensemble. Au delà de la porte d'Ostie, à l'endroit où est la Chapelle du Sauveur, Paul rencontra Pautilla, une noble dame romaine qu'il avait convertie. Elle était venue le voir passer. Un voile cachait ses pleurs. Il le lui demanda pour s'en couvrir les yeux au moment de la décollation, lui promettant qu'on le lui rendrait après. Bientôt il lui fallut quitter Pierre : il allait vers les Eaux Salviennes, et Pierre vers le Janicule. A l'endroit où est la Chapelle de la Séparation. Ils se donnèrent le baiser d'adieu, Paul disant : La paix soit avec toi, fondement de l'Église[85] et Pasteur de tous les agneaux de Jésus-Christ ![86] et Pierre : Va en paix, prédicateur des bons et guide des justes dans la voix du salut ! L'imposture de la séparation n'étant faite que pour établir la réunion des deux hommes dans le même sentiment et subordonner Paul à Pierre, on n'a pas réfléchi à ce qu'il y avait d'anormal dans le trajet suivi par leur escorte. On n'y a pensé que plus tard et alors on a trouvé cette explication : Pierre et Paul auront prié les soldats de les laisser le plus longtemps possible, les fidèles auront appuyé de quelque argent cette demande bien facile à comprendre. Ce qui est moins facile à comprendre, c'est qu'on choisisse deux endroits aussi éloignés que le Janicule et les Eaux Salviennes pour exécuter deux hommes conduits en même temps au même supplice. Dans l'hypothèse ecclésiastique, le centurion qui commande l'escorte est oblige de la couper en deux, d'en laisser une partie avec Paul, de rentrer en ville avec Pierre, de traverser le Tibre sur le pont Sublicius et de monter ensuite au Janicule.

 

Ce serait une grave erreur de croire que Pierre ayant parlé plusieurs heures la tête en bas, Paul fut mort sans prononcer un discours. On tranche la tête à un apôtre, on ne lui coupe pas la parole. Les Romains étaient sous le charme d'une première harangue, lorsqu'arrivèrent deux soldats, Parthemius et Pheretas, pour savoir si on avait exécuté les ordres de Néron. Croyez au Dieu vivant, leur dit Paul, qui me ressuscitera des morts ainsi que tous les croyants ! Mais les soldats répliquèrent : Quand tu auras été mis a mort et que tu seras ressuscité, alors nous croirons. On l'entraîna donc au lieu du supplice au milieu d'une foule immense. Plautilla continuait à prier, partagée entre le mépris des hommes et la louange du juif consubstantiel au Père. Parthemius et Pheretas se moquaient de sa simplicité. Frères, dit Paul à Megistus et à Acestus, toujours fort inquiets pour leur salut, quand j'aurai la tête tranchée et que vous vous serez éloignés, des fidèles viendront m'emporter et m'ensevelir. Mais notez l'endroit de mon sépulcre, revenez demain matin, vous trouverez deux hommes, Titus et Luc, priant sur ma tombe, dites-leur ce que vous êtes venus faire et ils vous donneront des preuves de mon salut en Dieu. Ensuite il pria longtemps en hébreu, les mains tendues vers le ciel, avec des larmes, et s'étant bandé les yeux avec le mouchoir de Plautilla, il tendit le col au glaive. Après que le bourreau lui eut enlevé la tête, on l'entendit prononcer distinctement le nom de Jésus-Christ en langue hébraïque[87]. Aussitôt un flot de lait jaillit de son corps sur les vêtements d'un soldat, et à son tour le sang se mit à couler. Une odeur si suave se répandit dans l'air, une lumière si éclatante envahit le ciel que les hommes n'en croyaient point leurs sens.

Ce ne fut pas tout, le bourreau l'avait frappe d'un tel coup que la tête détachée fit trois bonds sur le sol et en fit jaillir trois fontaines. On a bâti à cet endroit l'Église San Paolo alte tre Fontane, où l'on montre les trois fontaines et la colonne qui a servi au supplice.

 

On chercha le mouchoir dont il s'était couvert les yeux pour mourir, il avait disparu ! Repassant donc par la porte pour rentrer en ville, l'escorte rencontra Plautilla qui louait Dieu. Incorrigibles, les soldats se moquèrent d'elle, lui demandant pourquoi elle ne se couvrait pas la tête du mouchoir qu'elle avait prêté à Paul. Mais elle répondit, dans un saint transport : Ô aveugles ! ce mouchoir que vous demandez, je l'ai et vous ne le voyez point ! Une innombrable théorie d'anges me l'a rapporté du haut des cieux. Et le tirant de son sein, elle le leur montra, rouge du sang de l'apôtre. Saisis de frayeur, ils coururent annoncer ce prodige à Néron, qui en causa longuement avec les philosophes, les ministres et le Sénat. Et comme la neuvième heure venait et que Néron veillait, portes closes, voici que lui apparut Paul. Linus, successeur de Pierre, ayant renoncé à peindre l'étonnement de Néron, je ne l'entreprendrai pas.

A deux milles environ des Eaux Salviennes, il y avait une noble dame romaine, disciple de Paul. Elle était de famille sénatoriale, comme Pudens, et s'appelait Lucine. Elle mettait un soin pieux à recueillir les restes des martyrs, et c'est ainsi qu'elle fut amenée à transporter ceux de Paul dans sa villa. Un des successeurs de Pierre, le saint Anaclet, érigea d'abord une confession au lieu où reposait Paul, et sur cet oratoire s'éleva ensuite la basilique Saint-Paul hors les murs.

Ce qui avait le plus accablé Néron, c'avait été de s'entendre prédire la mort terrible dont il était menacé. Sur le conseil de ses amis, il relâcha Patrocle et Barnabas qui gémissaient dans les fers.

Le lendemain, Longinus, Megistus et Acestus vinrent au tombeau, comme leur avait dit Paul, et quelle ne fut pas leur surprise lorsqu'entre les deux hommes qui priaient sur la tombe ils aperçurent Paul lui-même, debout et vivant ! Comme ils s'enfuyaient précipitamment, Titus et Luc coururent après eux, les rassurèrent, leur imposèrent les mains, les baptisèrent et par là leur ouvrirent le chemin des cieux.

Comment douter d'évènements qui ont eu pour témoins tous les habitants de Rome, évalués à trois millions, plus un pape ? Il faudrait avoir l'athéisme chevillé dans le cœur.

 

XV. — BRODERIES SÉPULCRALES.

 

A l'aide des faux érigés en système, on était arrivé non à prouver, car la foi n'a pas besoin de preuves, mais à soutenir que Pierre était mort, crucifié par Néron, dans Rome même. Au surplus on avait ses restes et son tombeau. Mais ceux de Paul ? Qu'a cela ne tienne ! on eut les restes de Paul, et on ne fut pas plus gêné pour leur trouver un tombeau.

Il va sans dire que si Shehimon était mort à Rome, crucifié ou non, son corps aurait été porté à l'un des cimetières juifs. On connaît deux catacombes juives ; la plus ancienne, bien antérieure à la jehouddolâtrie, est celle du Transtevere ; l'autre est celle de la voie Appienne. En vain l'histoire du premier âge ecclésiastique essaie de secouer le joug de David et de Juda : les catacombes christiennes sont juives. Les christiens confient leurs corps au roc ou à la terre de Rome comme les juifs au roc et à la terre de Jérusalem. Si Shehimon était mort dans la ville de Néron, son corps, recueilli par les Juifs, aurait été place dans une galerie de la catacombe du Transtevere ou de la Via Appia, avec ceux de la communauté. On aurait fait pour lui comme il fit pour son frère : on l'aurait couché dans un caveau, les pieds tournés vers l'Orient, et on aurait fermé l'orifice de la tombe avec de la pierre, ou, comme on faisait à Rome, avec des briques. En admettant que les Juifs christiens de Rome eussent une communauté distincte de celle des achristiens, ils avaient le même champ de repos, et tous les fds d'Abraham se retrouvaient dans la grande fraternité de la mort. Si le corps de Shehimon était à Rome, ce n'est pas dans les cryptes vaticanes qu'il faudrait chercher, au milieu des premiers papes, c'est dans la catacombe du Transtevere, au milieu de ces Juifs à qui il eut sacrifié sans scrupules toute la population romaine.

Il y a quelque cinquante ans, dans une vigne de la voie Appienne, vers le troisième mille, M. de Rossi découvrit la catacombe israélite qui devait servir de modèle aux christiens pour les leurs. Les monuments de cet hypogée, la représentation du chandelier à sept branches, des palmes et de la corne, les inscriptions en langue hébraïque et même en hébreu carré, ne laissent aucun doute sur l'origine et l'age de ces sépultures. La dort la colonie juive qui vint essayer sur les citoyens de la Rome républicaine son pouvoir de divination et de parasitisme.

 

L'intérêt de l'Église romaine ne lui permettant pas de balancer, elle soutiendra éternellement que les restes de son patron furent transposes par les païens dans les grottes vaticanes, a un endroit ou Anaclet, u n de ses premiers successeurs, lui élevé sous Domitien un modeste oratoire, autrement dit Confession. Sur l'emplacement de cette Confession, Constantin aurait édifié une basilique —jehouddolâtre, s'entend — qui a été remplacée par l'église Saint-Pierre actuelle.

Mais la déplorable fascination que l'hérésie exerce autour d'elle nous empêche d'accueillir ces fantaisies. En effet, si nous supposons, d'une part, que Pierre repose sous l'oratoire d'Anaclet, il est constant, de l'autre, que cet oratoire était situe sur la spina du Cirque de Néron, et la spina était marquée par l'obélisque qui se trouve aujourd'hui transportée sur la place saint-Pierre, à peu de distance de son emplacement primitif.

Cet obélisque est celui que Caligula fit venir d'Alexandrie pour le placer sur la spina du Cirque construit dans les jardins du Vatican et qu'on appela plus tard le Cirque de Néron. De tous les obélisques de Rome, c'était le seul qui fut resté debout à l'endroit où il avait été élevé, là où est la sacristie, jusqu'au jour ou Sixte-Quint le transporta devant l'église. Aucun doute que ce ne soit bien l'obélisque de Caligula : la dédicace à Auguste et à Tibère est sur le piédestal. Aucun doute qu'il n'ait été dans le Cirque de Néron, il n'y a qu'à lire Pline.

Cela étant donné, et la sacristie étant dans l'axe du Cirque, la Confession d'Anaclet se trouve donc ou sur cet axe, si le Cirque était dans la largeur de Saint-Pierre, ou sous les gradins, s'il était dans la longueur. D'une manière ou d'une autre, elle était dans la propriété privée de Domitien. Cet empereur, qu'on nous représente comme un foudre de proscription, avait donc recueilli chez lui les restes d'un homme dont il faisait périr tous les disciples, et le monument d'un culte dont il détruisait tous les partisans ! Et cette tolérance s'est perpétuée sous tous les princes proscripteurs ! Et tous ont respecté la petite Confession d'Anaclet ! Et pour la jeter bas, il n'a fallu rien moins que Constantin associé à un pape ! De la Confession d'Anaclet, rien que l'hypothèse ; de celle que lui aurait substituée Constantin, rien, sinon qu'au dire des Vaticanards elle était comme celle d'aujourd'hui, à deux étages et que ce prince aurait fait envelopper d'airain la tombe de Saint-Pierre, à ce que rapporte le bibliothécaire Anastasius ! Quant à la tombe elle-même, elle serait sous l'autel place au fond de la Confession actuelle, qui date de Paul V !

On le voit, toute l'imposture tombale tient à Anaclet et à sa petite Confession. Il faudrait au moins savoir s'il y avait un évêque jehouddolâtre à Rome sous Domitien et si cet évêque était Anaclet. L'Église nous dit que c'était Anaclet, quand elle parle du tombeau de Pierre, mais elle nous dit que c'était Clément, quand elle parle de la Première lettre de Clément aux Corinthiens qu'elle veut authentique envers et contre tous. Ensuite il faudrait savoir d'où vient à cet Anaclet le pouvoir exorbitant qu'il a d'enterrer Pierre chez l'Empereur. Jamais, tant qu'il me restera quelque ombre de bon sens, je ne verrai un Anaclet quelconque s'entendant avec les Césars pour la translation des restes de Shehimon, crucifié au Guol-Golta, dans les dessous du cirque du Vatican qui, encore une fois, était propriété privée de Domitien et demeura celle de ses successeurs pendant plus de deux siècles. C'est absolument comme si l'on disait que la famille des quatre sergents de la Rochelle s'est entendue avec Napoléon III pour les faire enterrer dans les fondements de l'Élysée ou des Tuileries. On a pu voir un Louis-Philippe d'accord avec le gouvernement anglais pour transporter les restes de Napoléon Ier aux Invalides, mais il s'agit de Napoléon Ier. Ce qu'on n'a pas vu, c'est Louis XVI d'accord avec les descendants de Damiens pour enterrer celui-ci sous le théâtre des petits appartements de Versailles. Si par hasard il était question de Shehimon dit Képhas chez Domitien, ce ne pouvait être qu'en souvenir de l'Apocalypse de son frère et du danger de destruction totale qu'avait couru la ville sous Néron.

Un pareil accord entre Anaclet et Domitien peut paraître naturel à M. le Chanoine de Bléser qui suppose chez Anaclet un pouvoir d'intrigue déjà papal, et chez Domitien une somme d'imbécillité pour le moins souveraine.

 

Des écrivains, qui ne passent point pour avoir juré la perte de l'Église, M. Francis Wey, par exemple, ont dû en rabattre quelque peu, et rester dans les terrains vagues de l'hypothèse. Selon eux, les empereurs ayant laissé ces espaces a l'abandon (quand cela ?), les jehouddolâtres s'en emparèrent (comme cela !), et sous le sol témoin de tant d'horreurs, ils déposèrent tout ce qui restait des apôtres et des martyrs. Ils y apportèrent la tête de Paul (seulement ?), puis le corps de Pierre que ses disciples avaient caché (ou cela ?) pendant quelque temps, avant de l'inhumer au Vatican avec les autres victimes de Néron. Les témoignages établissent l'authenticité de cette sépulture : vingt-quatre ans après les exécutions de 817, Anaclet en marquait l'endroit d'un oratoire dont il subsiste une portion, car ce petit monument fut conservé par le pape Sylvestre lorsqu'il fit excaver la Catacombe vaticane pour y jeter les fondements de la basilique constantinienne. Onze siècles après, on bouleversa plus largement ce terrain pour y édifier la basilique actuelle, en respectant toutefois les vestiges de l'oratoire d'Anaclet autour duquel subsiste encore, dans les grottes, le pavé de la première basilique. Enfin, il y a trois siècles, la sépulture fut ouverte et la présence des ossements (lisez : d'ossements) constatée.

Rien n'est plus virtuellement affirmé que ces origines, ajoute M. Wey, mais comme les Pères de l'Église et les historiens ne sont pas des auteurs classiques, nos professeurs ne sont pas obligés de les faire connaître. Quelle erreur ! ils ne demandent que cela, j'en suis sûr. Je serais professeur, je me hâterais de faire connaître les Pères de l'Église et les historiens qui fondent sur des documents certains la preuve qu'une partie du Cirque de Néron a été abandonnée par Domitien à Anaclet pour y élever un oratoire à Shehimon, frère de Bar-Jehoudda ; la preuve qu'avant Anaclet des jehouddolâtres avaient obtenu, soit de Vespasien, soit de Titus, soit de Domitien lui-même, la faveur de creuser pour le crucifié de Tibère Alexandre une catacombe dans un cirque qui appartenait en propre aux Empereurs et qui fonctionnait encore sous Héliogabale ; enfin et surtout, car c'est la vraiment ce qui intéresserait un professeur, la preuve, même médiocre, que Shehimon est venu à Rome avant sa crucifixion à Jérusalem.

 

C'est au IVe siècle seulement qu'on a commencé à dire que le Vatican contenait la sépulture de ce Juif. Auparavant on faisait simplement passer ce lieu pour être celui de son martyre.

Avant le Liber Pontificalis qui est du VIe siècle, aucun texte ne permet de supposer que les pseudo-successeurs de ce pseudo-pape aient été enterrés au Vatican. On y dit, d'après les romans précités, que Linus et Cletus auraient été vicaires de Pierre à Rome (au grand dam de Clément). On y dit également que Linus aurait été enseveli près du corps de Pierre au Vatican. Mais le Vatican, défoncé sous Constantin, n'a donné aucune sépulture ; retourné sous d'autres princes, il en a donné aucune antérieure à Constantin. On a bien découvert en 1615 de l'erreur christienne, devant la Confession, un monument que le savant et pieux M. de Rossi croit être celui de Linus, d'après ce que le chanoine Torribio et l'oratorien Severano ont écrit en ce temps-là. Mais où Torribio[88] a lu Linus, Severano[89] a cru pouvoir aller jusqu'à S. (Sanctus) Linus après quoi la pierre a sagement disparu. Au reste, 63 monnaies découvertes dans les tombeaux et les costumes des corps défendaient de remonter au IIe siècle, encore moins au Ier.

Enfin, si c'est le tombeau de Linus, qu'on nous dise au moins où gît Clément le romain, sacré par Pierre en 817 après avoir assisté en son jeune temps à la Cène célébrée par Jésus dans l'Évangile tandis que le crucifix de Pilatus agonise depuis la veille au Guol-Golta !

Si Pierre avec tous ses successeurs, sauf Clément, est enterré dans les Grottes Vaticanes, aucun Empereur n'a fait plus de mal que Constantin aux souvenirs de la primitive Église ! Les Grottes Vaticanes étaient la première de toutes les catacombes christiennes et par la date et par l'importance : toute l'histoire de l'Église romaine y dormait dans la dépouille sacrée du prince des Apôtres, Romulus authentique de l'obscure lignée des papes. On tenait là, dans une suite de petites niches dont chacune avait la valeur d'une preuve, toute la genèse du pouvoir pontifical et toute la généalogie de ceux qui l'avaient exercé, de celui qui l'avait fondé au nom de Bar-Jehoudda. Et c'est une équipe de maçons, une coterie de terrassiers qui, sur l'ordre du plus grand des Empereurs convertis[90], aurait à jamais dispersé ces reliques vénérées auxquelles les jehouddolâtres allaient la veille encore offrir des prières et demander des miracles ! Jamais je ne croirai cela, jamais je ne croirai que Constantin ait mis là-dedans la pioche et la truelle ; non, jamais ! Surtout si on me produisait l'édit signé de sa main ! Jamais je ne croirai qu'il a bâti sur les ossements de celui qui, de Shehimon, est devenu Képhas et de Képhas Pierre, premier chef, après son frère, de la religion devant laquelle les gogoym fléchissent maintenant le genou. Jamais je ne croirai que les nécessités de la construction aient été telles que, pour élever la basilique, il ait fallu détruire les restes qu'on voulait précisément authentiquer ! Je ne sais si l'on pourrait trouver dans l'histoire des sacrilèges un homme plus stupide et plus odieux que l'évêque Sylvestre.

Que l'illustre M. de Rossi et l'éminent père Marchi se consolent de n'avoir pu fouiller le Vatican sous la basilique de Saint Pierre, ils n'y auraient rien trouvé du prince des apôtres ! C'est trop déjà que M. de Rossi ait pu retrouver les évêques du IIIe siècle dans le cimetière de Calliste, sur les indications des itinéraires découverts à Salzbourg. Dès la fin de l'Empire et probablement plus tôt, il existait comme aujourd'hui de petits livres pour guider les pèlerins aux tombes des pseudo-martyrs. C'est grâce à ces guides que M. de Rossi a découvert celles-là : il a refait dans le cimetière de Calliste le voyage qu'y faisaient les pèlerins du temps de Théodose. Quant aux Grottes Vaticanes, elles ne sont pas plus dans les guides que dans la poétique visite de Prudence aux catacombes. Personne sous Constantin n'y allait porter son obole sur la tombe de Pierre et de Clément, lequel pourtant avait assisté à la Cène.

 

XVI. — JONGLERIES AVEC LES CORPS DE PIERRE ET PAUL.

 

Pierre a fait mort plus de voyages que vivant. Paul a failli en faire autant, et nous n'en avons pas fini avec ces tromperies dont on les entoure.

A deux milles environ de la porte Saint-Sébastien, qui fut la porta Capena, sur la voie Appienne, est l'église Saint-Sébastien hors des murs. C'est une des sept basiliques de Rome : on croit qu'elle fut bâtie sous Constantin et qu'avant d'être dédiée à Saint-Sébastien elle le fut à Saint-Sylvestre. Elle est bâtie sur le cimetière de Calliste, c'est-à-dire sur la catacombe de Rome la plus ancienne après la vaticane. Les souvenirs de l'ère apostolique sont étroitement liés à ce sanctuaire, où les fidèles vénèrent la pierre de la Voie Appienne qui conserva l'empreinte des pieds du jésus lorsqu'il apparut à Pierre. Au centre de la catacombe dite de Saint-Sébastien est un autel antique, superposé à un puits dont on peut voir l'orifice en regardant par une ouverture pratiquée à la base même de l'autel. Le puits a recelé pendant quelque temps les corps de Pierre et de Paul, aussi inséparables dans la mort qu'ils avaient été séparés dans la vie.

Il y a deux légendes sur ce pieux recel. D'après l'une Héliogabale ayant voulu agrandir son Cirque du Vatican pour que les éléphants pussent y courir plus à l'aise, les christiens craignirent qu'il ne profanât le lieu où Pierre reposait, et comme ils redoutaient quelque caprice du même genre pour le cimetière de Lucine, où reposait Paul, ils prirent secrètement le parti de réunir les deux corps dans la catacombe de Saint-Sébastien, quoiqu'elle ne fut pas plus à l'abri d'Héliogabale que celle de Lucine. Cette translation aurait donc eu lieu de 218 a 222 de l'E. C. On s'étonne qu'au lieu de réunir le fondateur de l'Église et l'apôtre des Gentils aux papes et aux martyrs dans la catacombe de Calliste, on les ait réservés pour celle de Saint-Sébastien qui, au surplus, n'existait peut-être pas, Comme Pierre et Paul ne sont plus la f il faut admettre que sous un prince meilleur qu'Héliogabale, les christiens rassures les out remportes au Vatican. Cette légende est sans fondement, mais elle n'est pas sans intérêt, car c'est un souvenir des transformations qui se sont faites dans les catacombes au commencement du troisième siècle ; par sa persistance elle aurait pu, jusqu'à un certain point, mettre les savants sur la voie des sépultures épiscopales qu'ils cherchaient avec tant de curiosité.

Autre légende, adoptée par saint Grégoire le Grand comme mieux fondée. Ce n'est pas dans le troisième siècle, c'est dans le premier, et peu de temps après la mort des deux apôtres, que ces choses se seraient passées. Des christiens orientaux, pourquoi ne pas dire des Juifs de Tarse et des juifs de Jérusalem ? auraient enlevé furtivement les deux corps, revendiquant ceux-ci comme leur bien propre, pour les rendre à leur patrie respective. Craignant d'être découverts, ils les avaient cachés dans le souterrain de la Voie Appienne. Au moment où ils se disposaient à les retirer pour continuer leur route, un orage survint qui leur parut une menace du ciel et les paralysa : en même temps arrivèrent des christiens romains qui avaient été avertis a temps et qui leur reprirent les corps. Le pape saint Corneille fit reporter celui de Pierre au Vatican et celui de Paul sur le chemin d'Ostie[91].

Nous ne ferons pas ressortir l'incohérence de ces macabres disputes. Si encore elles finissaient avec Héliogabale, mais elles recommencent de plus belle sous Dioclétien.

 

Nous avons vu Pierre et Paul enlevés de leur tombeau, déposés dans le puits de la catacombe de Saint-Sébastien sous Héliogabale, disputés par les judéo-christiens et par les romano-christiens, enfin réintégrés dans leurs tombeaux primitifs. Ils vont en sortir une seconde fois pour revenir dans la même catacombe où ils étaient encore sous Dioclétien, pendant la persécution de 286. Zoé priait sur la tombe de Pierre lorsqu'elle fut brûlée ; Tranquillin priait sur celle de Paul lorsqu'il fut lapidé. En 288, Sébastien, assommé dans l'hippodrome attenant au palais, puis jeté dans la Cloaca Maxima, fut enlevé secrètement par Lucine et enterré dans le cimetière de Calliste, où il reposait aux pieds de Pierre et de Paul. Il a donné son nom à la catacombe, expropriant de cet honneur les deux plus illustres des apôtres. C'est la preuve que ceux-ci n'y étaient pas restés et qu'ils étaient retournés à leurs tombeaux primitifs.

Mais ce qu'il faut voir dans ces fantasmagoriques voyages, dans ce double aller et retour entre le Vatican, les Eaux Salviennes et le cimetière de Calliste, c'est l'image exacte de l'incertitude des évêques du quatrième siècle sur l'emplacement qu'il convent d'attribuer à la sépulture de Pierre et Paul. Cet emplacement va des hauteurs du Vatican aux profondeurs de la Voie Appienne selon l'humeur des pèlerins, avec une pointe vers les Eaux Salviennes en ce qui concerne Paul. Il parait plus expédient à quelques-uns de les réunir pour donner du poids à leurs cendres, mais ce qui est caractéristique, c'est la tendance qu'ils ont tous à les rapprocher de la Voie Appienne et de la porta Capena où vivaient les Juifs du premier siècle, non loin du cimetière où reposaient ceux de leur race.

 

XVII. — LE DERNIER CRI.

 

Lorsque l'Église fut assez forte pour se passer de faux témoins, elle décida que Pierre serait venu à Rome en 795, après s'être échappé de prison à Jérusalem pour aller ailleurs, comme il est dit dans les Actes. Cet ailleurs, ce fut Rome. Ce dispositif avait quelque chose d'attentatoire aux Recognitions de Clément, mais on trouverait bien pour ce précieux serviteur un dédommagement dans une combinaison ecclésiastique.

 

Le premier de tous les faux par lesquels on préparait le séjour de Shehimon à Rome, c'était l'introduction du nom de Marc dans la Lettre aux Philippiens.

Toute l'Église, d'après quelques lignes de Papias évêque millénariste d'Hiérapolis sous Antonin et mort vers 161 de l'Erreur christienne, tient que Marc a suivi Pierre, — ce qui est vrai, le fils a suivi le père, — et recueilli ses souvenirs sur le Rabbi : d'ou l'Évangile dit de Marc. Jehoudda, fils de Shehimon et filleul de Bar-Jehoudda, a en effet recueilli les Paroles du Rabbi, son oncle, mais il n'a pas laissé l'Évangile. On l'avait mis auprès de Paul et à côté de Luc dans la Lettre aux Philippiens, on l'a mis auprès de Pierre à Rome dans la Première lettre de Pierre[92]. Cela va de soi, il serait anormal que Marc ait vu Paul à Rome et qu'il n'y ait pas vu son propre père. On sait à quoi s'en tenir ; la seule chose qu'on ne sache pas bien, c'est où et quand Marc est mort.

L'Église, dans un intérêt facile à comprendre, salue en lui le premier évangéliste avec Mathieu, et l'interprète de Pierre. Dix lignes sur Marc, deux sur Matthieu, voilà tout ce que Papias donne sur les deux Évangélistes qui passent pour être les plus anciens. Le témoignage de Papias n'en a que plus d'importance, puisque cent vingt ans après la mort de Bar-Jehoudda il n'y en avait pas d'autre, à ce que dit Eusèbe, contemporain de Constantin. Papias meurt en 161 de TErreur christienne, ignorant que Pierre fut allé à Rome, et naturellement il n'a connu ni Actes des Apôtres ni Lettres de Paul. Selon Eusèbe qui se substitue à Papias, Marc n'a pas connu Jésus[93], mais il a suivi Pierre sur le tard : il a écrit fidèlement, mais sans ordre, ce que Pierre lui a dit, celui-ci n'ayant d'ailleurs aucune prétention à la méthode. Aussi, aux premières fables des scribes qui lui étaient suspectes Papias préférait-il la conversation de ceux qui avaient pu connaître les ap6tres eux-mêmes. C'est dire qu'il ne croyait pas que les Évangiles existants fussent inspires par le Saint-Esprit. Il se plaint même que les écrits de Marc ne contiennent qu'un petit nombre de choses. D'ou vient donc qu'aujourd'hui Marc soit presque aussi complet que les autres ? C'est qu'on l'a complété depuis Papias. Comme Marc est censé reproduire Pierre, on n'a pas voulu que la tradition du prince des apôtres manquât sur les points essentiels, celui de la résurrection notamment qui a été ajouté. En effet, on s'est beaucoup occupé de Marc, à partir du jour ou Papias l'eut représenté comme ayant suivi Pierre. De ce jour-la il fut décrété que l'Évangile mis sous son nom n'avait pu être écrit qu'à Rome. Vous avez déjà vu de quels faux on a chargé Clément d'Alexandrie[94]. Selon Clément d'Alexandrie, cite par Eusèbe, c'est à Rome que Marc rédige son Évangile, sur les instances des auditeurs de Pierre qui désiraient conserver un témoignage écrit de sa prédication. Instruit du fait par une révélation du Saint-Esprit, Pierre approuve la rédaction de Marc, d'après le même Clément[95], cité par le même Eusèbe, il apprend le fait sans l'intervention du Saint-Esprit et accueille le travail avec une certaine froideur, sans enthousiasme ni blâme. Selon Irénée, contemporain de Clément, et cite comme celui-ci par Eusèbe, Marc a écrit son Évangile après la mort de Saint-Pierre et de Saint-Paul[96] : Pierre n'a donc pas connu ce travail. Comme il était facile de le prévoir, on a abandonné la version d'Irénée et même la seconde version de Clément, pour revenir à la première qui naturellement ne peut-être que la bonne. Car selon Eusèbe et Jérôme, Pierre est arrivé à Rome sous Claude pour y combattre Simon le Magicien, et les écrivains ecclésiastiques donnent la date de 795, qui permet a Marc de suivre l'enseignement de Pierre, de rédiger son Évangile et d'aller ensuite à Alexandrie où il meurt en 815 après avoir fondé une église.

Mais cette allégation est contredite par Eusèbe lui-même. Il rapporte que le Verbe avait recommandé aux apôtres de ne pas s'éloigner de Jérusalem avant douze ans, et il nous montre Pierre n'arrivant à Rome que sous Néron, après de longs voyages dans le Pont, la Bithynie, la Cappadoce et l'Asie. Enfin la Lettre aux Romains et le récit de l'arrivée de Paul à Rome seraient absolument inexplicables, si Pierre avait au préalable endoctrine Rome par le moyen de l'Évangile de Marc.

Pierre n'a donc ni inspire ni connu cet écrit. Il ne l'a pas connu par la bonne raison que Marc ne l'a pas connu lui-même. Bien plus, si Marc l'a composé après la mort de Pierre et de Paul dans le Martyrologe romain, il se trouve également l'avoir composé après sa propre mort. En effet, d'après Eusèbe, Marc est mort, sur le siège épiscopal d'Alexandrie, la huitième année du règne de Néron, soit 815, tandis que Pierre et Paul ne sont martyrises ensemble par l'Église qu'en 817 au plus tôt.

Conclusion : si Marc a suivi Shehimon, c'est peut-être au Guol-Golta, mais ce n'est certainement pas à Rome.

Le Quatrième Évangile, très clairement, les autres, à mots couverts, disaient avec Josèphe que Shehimon était mort en croix comme le christ et Jacob, et au même Guol-Golta qu'eux. Mais Pierre dans la mystification évangélique et dans les Actes n'avait plus rien de commun avec ce Shehimon. On avait fait un dieu de son frère, et de Shehimon lui-même, le prince des apôtres ; mais malgré les Clément et les Linus, on n'avait pas un seul premier évêque de Rome au nom du juif consubstantiel au Père. Or il faut un commencement à tout ; pas de chaîne sans un premier anneau, pas de dynastie sans un fondateur, Romulus ou Pharamond.

On avait fait des Ecritures dans lesquelles Jésus, reprenant les choses au point ou Bar-Jehoudda les avait laissées en Samarie, baillait vicariat à Pierre ; la logique voulait qu'on réclamât ce vicaire pour Empereur de l'église romaine. On eut ainsi un chef qui, si on n avait divinise son frère aîné, eut pu s'appeler Jésus-Christ II. D'un seul coup les églises d'Orient devenaient vassales. Le suzerain était à Rome.

 

Le parti une fois pris, le plan ourdi, on soutint l'un et l'autre avec un ensemble qui fait honneur aux grandes décisions de l'Église. On les soutint même contre les testes évangéliques : ils cessent d'être sacrés quand ils gênent. On décida d'abord que Pierre était venu s'établir à Rome en 795, sans égard pour les Actes des Apôtres qui le montrent à Jérusalem déjouant les desseins homicides d'Agrippa Ier et la surveillance des sentinelles de la prison romaine, pour ces mêmes Actes qui le montrent présidant le Concile auquel assistent Paul et Jacques, et pour la Lettre aux Galates dont l'auteur déclare l'avoir vu a Jérusalem en 802 avec Saül, Barnabas, Gallion, proconsul d'Achaïe, Jacob, et qui plus est le christ lui-même sous sou premier nom de Joannès. L'année 795 parut un choix d'autant meilleure que, vers ce temps, sous la paterne autorité de Claude, les communautés juives grouillaient dans Rome.

Les gens d'église supportent mal le silence des auteurs juifs sur Jésus, à plus forte raison sur Pierre. On insinuera dans Origène qu'au troisième livre du Peri Agathou Philon se dépense en allégories et aussi sur Jésus, mais sans écrire ce nom. Ce qui est une preuve de l'ignorance où il était de Jésus et de la prétendue église fondée à Alexandrie par Marc, ce brillant disciple de Pierre.

Evidemment, il est très ennuyeux qu'un homme aussi instruit que Philon et aussi remarquable par les qualités morales, — c'est le premier philosophe qui se soit manifesté dans la race, — ne puisse être range par mi les juifs acquis a la jehouddolâtrie. Il est également fâcheux que cet homme, mêlé à tous les mouvements de la vie religieuse et politique des Juifs, soit mort sans avoir soupçonné l'existence du Fils de Dieu annonce par ces Ecritures qu'il connaissait si bien.

Mais ce qui était encore plus fâcheux, c'est qu'il avait assiste a la parodie du sacre de Bar-Jehoudda jouée eu place publique par les Alexandrins[97], et qu'il était oncle de Tibère Alexandre, procurateur de Judée, le Pilatus de Shehimon et de Jacob.

L'imposteur Epiphane insinuera que, sans les nommer, Philon avait désigné les christiens primitifs sous le nom de Thérapeutes. L'Église avait le plus grand intérêt à ce que l'on confondit les christiens avec ces Thérapeutes dont la vie, semblable à celle des Esséniens, avait laissé dans l'histoire comme un parfum de sainteté[98]. Philon ayant écrit sur les Thérapeutes, et s'inclinant, lui juif de la Loi, devant leurs bonnes mœurs et leur charité profonde, on déclara que Thérapeutes et christiens ne faisaient qu'un pour lui, et qu'au surplus il était christien lui-même, puisque c'était faire acte de christien que de louer les Thérapeutes. Epiphane, l'un des premiers, s'avisa de cette identité : Philon, dit-il, a écrit sur les christiens primitifs. Quels ? dirent les suivants. Ceux de Paul ! Ah ! non, car Paul n'existe pas. Mais ceux de Pierre, car Pierre était le chef, et ceux de Marc, car Marc était le disciple, de plus l'Évangéliste et par surcroît l'évêque d'Alexandrie. Les Thérapeutes de Philon ne peuvent être que des christiens, lesquels ne peuvent être que les disciples de Pierre, si toutefois ils ne le sont pas de Marc.

Et sur quoi se fondait le bienheureux Epiphane ? Sur rien, comme toujours, ou plutôt sur ce qu'il considérait comme important à l'Église. Qui que tu sois, disait-il, tu trouveras ce sujet (la profession monastique) traité à fond dans les Commentaires de Philon et dans le livre qu'il a écrit sur les Jesséens[99]. Là, célébrant leur discipline et leurs louanges, décrivant leurs monastères qui sont établis tout a l'entour du lac Maréotis, il n'a parlé de personne autre que des christiens. Donc tout ce qu'il dit dans cet ouvrage n'a aucun autre objet que la croyance et le genre de vie des christiens.

Eusèbe ne trouvera pas Epiphane suffisamment affirmatif, et il dira des livres saints que consultaient les Thérapeutes de Philon : Les livres dont parle Philon étaient l'Évangile et les Écrits des Apôtres. Mais Philon est mort précisément vers 795 et les Paroles du Rabbi n'étaient pas même terminées ! Qu'importe, puisqu'on donne à Philon bonne figure de christien sur ses derniers jours ?

Car Eusèbe dit sans barguigner — en effet, pourquoi barguigner ? — que Philon, âgé de près de cent ans, fit un dernier voyage à Rome sous Claude pour voir Pierre. Il ajoute que ce Juif intrépide lut devant le Sénat, avec le plus grand succès, sa Légation à Caius. On peut être sur qu'il n'en est rien, et le Sénat, même au prix d'injures contre Caligula, n'eut pas entendu volontiers l'apologie de ces mêmes Juifs qui venaient de se livrer à des représailles terribles contre les Alexandrins fidèles à l'Empire. Mais le but secret de Philon, e'était de faire la connaissance de Pierre avant de mourir. On lui avait parlé de Pierre, et après l'avoir entendu il se fit jehouddolâtre. Toutefois il se serait retiré après certaines déceptions. La vérité est toute contraire, et Augustin avoue formellement que jamais Philon ne fut christien. Jusqu'au dernier jour il est demeuré Juif orthodoxe, persuadé (il ne cesse de le répéter) que la Loi juive a été révélée de Dieu : comme les Juifs, il en garde imprimée dans son âme l'image qu'il contemple sans cesse et dont il s'applique à pénétrer le sens profond. C'est ainsi qu'il parle dans la Légation à Caius qui semble bien son dernier ouvrage, car c'est probablement la mort qui l'empêcha d'écrire la Palinodie annoncée et qui devait conduire le lecteur jusqu'a la victoire des Juifs sur les Alexandrins.

Mais, foin de ces objections ! La preuve que Pierre était bien à Rome sous Claude, c'est que Philon a traverse la Méditerranée pour venir le voir. On rapporte, dit Eusèbe, que Philon, sous Claude, jouit de la conversation de saint Pierre, prêchant à cette époque. Et Jérôme : On rapporte que Philon, étant allé à Rome sous Claude parler à l'apôtre Pierre, fut son ami, et que, pour cette raison, il fit l'éloge de ceux qui suivaient à Alexandrie les leçons de Marc, auditeur de Pierre. Et Suidas : On rapporte que Philon alla à Rome vers Claude, qu'il eut des relations avec l'apôtre Pierre, qu'ils étaient amis, etc. Et Photius : On rapporte qu'il avait adopte les mystères du christianisme (il avait simplement décrit les mœurs des Thérapeutes), qu'il les avait plus tard quittes pour quelque chagrin et quelque contrariété, mais qu'auparavant il était allé à Rome sous Claude, qu'il y avait rencontre Pierre, le plus élevé des apôtres, et était devenu son ami. Photius est un homme du neuvième siècle, ne l'oublions pas, celui qui rompit avec l'Église de Rome. C'est de lui qu'est cette vérité que ni Philon, ni Josèphe, ni Juste n'ont parle de Jésus, e t cette autre vérité que tout le langage allégorique de l'Ecriture (celui de l'Apocalypse au moins) est descendu dans l'Église.

Quatre siècles après la crucifixion de Shehimon par Tibère Alexandre, la fable de Philon auditeur de Pierre à Rome sous Claude, cette superbe invention n'avait fait aucun progrès. Augustin lui-même se cabrait.

Malgré ces béquilles et ces échasses, ces arcs-boutants et ces contreforts, Pierre tient si mal sur ses pieds, qu'on a pu faire de lui, dans ces derniers temps, une manière de philosophe alexandrin, d'abord ermite sur les bords du lac Maréotis, puis apôtre non du Jésus juif, mais du Sauveur égyptien Sérapis. Un homme, ancien professeur en Egypte[100], s'est rencontré qui prétend cela, et s'il ne le prouve aucunement, c'est déjà trop qu'il puisse le soutenir sous les couleurs de l'histoire. Pour ce professeur, Jésus est, judaïsé par les scribes, le mythe de Sérapis, le dieu-fils ressuscitant a son tour ses fidèles : Jésus est une contrefaçon tout simplement. Et cela n'est déjà pas si mal vu ! Mais Pierre, que devient-il dans cette théorie qui supprime totalement de I'histoire le Juif consubstantiel au Père ? Un thérapeute égyptien, ami de Philon, et qui n'a jamais entendu parler de Jésus. Les christiens eux-mêmes, dans le sens qu'ils ont aujourd'hui, n'existent pas avant le concile de Nicée. L'Évangile primitif était celui de Sérapis ; les Évangiles modernes n'en sont qu'une adaptation juive. Pierre et Paul sont des adorateurs de Sérapis, le Christos égyptien, prototype du Christos galiléen. Le Juif consubstantiel au Père n'existe que par décret de l'Église.

 

Laissons la thèse, où la vieille gaieté française ne trouve que trop d'aliments[101], Nous avons bien établi que Bar-Jehoudda fut le prototype de Jésus, Shehimon celui de Pierre, et Saül celui de Paul. Quant à Philon, il ne fut jamais christien, — il connaissait trop bien le christ pour cela ! — et il ne vit point Pierre à Rome sous Claude, par la bonne raison qu'ils n'y étaient ni l'un ni l'autre.

 

XVIII. — LES DEMEURES DE PIERRE À ROME.

 

Raison de plus pour que l'Église nous prenne par la main et nous serve de guide a travers les différents palais que Pierre a occupés dans l'Urbs.

Vous dites que Pierre n'est jamais venu à Rome sous Claude ? Nous allons vous montrer sa demeure ; de cette façon vous ne hasarderez plus de ces propos blasphématoires. Arrivé à Rome, l'an 795, oui, monsieur, nous savons cela, nous autres, parce que notre métier est de tout savoir, il habita d'abord le quartier des Juifs, nous le concédons ; mais un tel quartier n'était point fait pour lui. Le quartier des Juifs, fi donc ! Pierre ne pouvait se plaire dans un milieu de vulgaires circoncis. Son éloquence, sa foi, sa connaissance des langues, ses engageantes manières ne lui ouvraient-elles pas les portes sénatoriales ? Pour lui point de ces Cave canem bons pour les Gaulois, les Germains ou les Celtes.

Aussi avec quelle rapidité il convertit le sénateur Pudens, sa mère Priscilla, ses deux fils Novatus et Timothée, ses deux filles Praxède et Pudentienne avec leurs serviteurs ! Il fit sa maison de celle de Pudens et pendant sept ans — pas un jour de moins — il y demeura, célébrant les Saints Mystères, présidant les synnaxes, donnant l'onction sacrée à saint Lin et à saint Clet, ses successeurs (ah ! pauvre Clément, te voilà exclu !), envoyant des missionnaires en Occident, bref remplissant toutes les fonctions d'un principat apostolique. Paul vint à son tour, dans cette maison, mais bien plus tard. La maison de Pudens (ou pour mieux dire de Pierre, car le Romain avait été supplanté par le Juif), était située sur le Viminal, dans le Vicus Patricius. Elle fut des le second siècle convertie par le pape Saint Pie Ier en une église célèbre dans l'histoire sous le titre du Pasteur, et dédiée à sainte Pudentienne[102]. C'est donc sur les hauteurs du Viminal que Pierre commença son règne spirituel sur la ville Eternelle. Les pauvres Juifs de la porte Capena pouvaient considérer avec quelque jalousie, et peut-être quelque mépris, cet ancien pêcheur galiléen qui, au lieu de prendre des goujons dans le Tibre pour la communauté, s'installait en maître dans le logis d'un sénateur. Mais laissons a leur envie ces vilains Juifs qui n'entendent rien au confortable et ne se plaisent que dans les ruines. Ce sont d'indécrottables gens.

Voilà Pierre installe chez Pudens, un de ces sénateurs qui sous Claude ont opine de la tête à l'expulsion des Juifs christiens. Et sur quoi se fonde-t-on pour affirmer que Pierre a loge dans le palais de Pudens ? Sur ceci que Justin, martyr[103], a, d'après ce qu'on suppose, demeuré là pendant son séjour à Rome, au cours du second siècle. Alors, vous comprenez, dès le moment que Justin a peut-être demeure là, c'est que Pierre y a certainement habité. Supposition d'autant plus gratuite que, dans les Actes de son pseudo-martyre, Justin lui-même dit : J'habite au-dessus de la demeure d'un certain Martinus, auprès des Thermes de Timotinus, depuis que je suis à Rome...

Suivons Pierre à travers les compites et quadrivies de l'Urbs. Le voici de nouveau chez une ouaille aristocratique, Prisca ou Priscilla qui, pour s'appeler comme la mère de Pudens et la femme d'Aquila, ne serait, en dernière analyse, ni l'une ni l'autre, mais une troisième Priscilla, vierge.

La maison de Prisca était sur l'Aventin, non loin du temple de Diane. C'est aujourd'hui l'église consacrée par Eutychianus à sainte Prisca en 280 de l'E. C. On y montre le vase dans lequel Pierre administra le baptême à Aquila, Priscilla et autres. C'est un grand chapiteau bien travaillé au milieu duquel il y a un large bassin. On y remarque trois trous avec l'inscription en caractères... du XIIIe siècle : BAPTISMUM SCI PETRI.

Cette Priscilla est une jeune fille qui appartenait à une famille proconsulaire dans laquelle Pierre recevait fréquemment l'hospitalité, grâce à deux néophytes, Aquila et Priscilla, qui étaient attachés à la maison. Elle avait treize ans lorsqu'elle fut baptisée par Pierre dans cette maison qui était sa maison paternelle. Dénoncée à Claude, elle fut conduite au temple d'Apollon pour y sacrifier aux idoles, et refusa. Condamnée, flagellée, jetée en prison, ramenée devant le tribunal, condamnée de nouveau, ébouillantée, réemprisonnée, exposée aux bêtes, soumise aux tortures du chevalet, du feu et de la faim, enfin entraînée sur la route d'Ostie, elle finit la tête tranchée. Elle est considérée comme la première femme qui ait subi le martyre en Occident. Il n'y a ici d'autre martyre que l'histoire, cette bonne histoire qui souffre depuis dix-neuf siècles sans remplir les martyrologes du récit de ses tortures. Pendant que les bourreaux détaillent cette pauvre Prisca, qui pour les uns est une jeune fille, pour les autres la mère de Pudens, et pour d'autres encore sa femme, Pierre s'attable chez le sénateur influent[104]. Entre la coupe de Falerne et la tétine de truie, il lui demande de l'avancement pour Pontius Pilatus.

Praxède eut également son église, moins bien partagée toutefois que celle de Pudentienne où l'on montre la table de bois sur laquelle Pierre offrit bien souvent le sacrifice de la messe.

Le pontificat de Pierre n'était pas une sinécure. Baptiser Pudens et ses amis du Sénat[105], présider les Synnaxes, prêcher en tous lieux, Pierre était accablé de besogne. Néanmoins, sous l'inspiration du Saint-Esprit, il trouva encore le temps de dicter un Évangile à Marc, à son bon fils Marc, comme dit la Première Epître de Pierre, quoique la tradition ne lui prête que deux enfants, deux filles[106]. Ainsi Pierre aurait pu demander à Claude l'octroi du jus trium liberorum, et Pudens lui aurait certainement obtenu cette faveur, car Claude devait être jehouddolâtre, lui aussi. Et qui sait si, dans le fond, Messaline n'avait pas été convertie par Protonice[107] ?

Quant à Pierre, si, sous Claude, il est resté sept ans à Rome dans la maison de Pudens, si c'est lui qui, outre ce sénateur et toute sa famille, a baptisé le juif Aquila et sa femme Priscilla, comment se fait-il que Paul qui dans les Actes[108] connaît tous les détails de ce séjour par Aquila et Priscilla eux-mêmes, ose écrire aux Juifs romains qu'il va leur porter l'Évangile[109] ? Voilà un apôtre qui vit à Corinthe pendant plusieurs mois dans ce pauvre ménage de Juifs convertis par Pierre à la jehouddolâtrie ; il n'entend parler que des succès de Pierre dans la société la plus aristocratique de Rome ; il retrouve Aquila et Priscilla en Asie, vit chez eux, mange avec eux, constitue l'Église d'Ephèse avec eux, continue a n'entendre parler que de Pudens, de Novatus, de Timothée, de Praxede, de Pudentienne, de ce palais du Viminal où Pierre a évangélisé, baptisé, catéchisé pendant sept longues années, et quand à son tour, il se décide à partir pour Rome, il se pose en conquistador évangélique ? Où trouver un second exemple d'une pareille impudence ? Et désormais comment croire un seul mot de ce qu'a dit l'Église par la bouche de cet Apôtre ?

Si Paul avait existé, on pourrait croire que les Actes sont conçus dans un esprit de partialité systématique en sa faveur, on pourrait dire — et en ce cas quel crédit faire à un tel ouvrage ! — que tout argument favorisant la grandeur de Pierre a été éliminé pour organiser la préséance de Paul, et qu'on a plié l'histoire apostolique aux caprices d'un seul. Mais c'est le contraire que s'est proposé le gagiste. Son but a été de démontrer leur harmonie, en effaçant toute trace de sicariat dans Shehimon et d'hérodisme dans Saül. Si donc Shehimon était venu à Rome avant Saül, les Actes, au lieu d'enfermer Paul dans sa petite chambre pendant deux ans, n'auraient pas manqué de montrer Pierre venant jusqu'aux Trois Tavernes à la rencontre de Paul, le prenant dans ses bras, l'accolant, et le conduisant chez Pudens d'où ils ne seraient sortis que pour assister aux expériences d'auto-aéroplane tentées par Simon le Magicien.

Il est donc impossible que Shehimon soit venu à Rome avant Saül. Le principal de Pierre dans la Ville Éternelle, ce qu'on appelle les années de Pierre, est une invention dont l'Église a tissé tous les fils, et ces fils, vous les tenez dans vos mains.

Aujourd'hui, devant l'impartiale histoire, il ne reste plus que deux thèses en présence : l'une qui a pour elle Josèphe, et tous les témoignages sacrés, a savoir que Shehimon a été crucifié en Judée, dans les mêmes conditions que son frère aîné et son frère Jacob ; l'autre qui s'appuie uniquement sur la supposition et le mensonge, et qui n'a pour elle aucun commencement de preuve, à savoir que Pierre a été évêque, autrement dit pape, à Rome, pendant vingt-cinq ans.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le Mensonge, le Mensonge triomphant et doré comme le ventre de Turcaret, c'est ce brillant catafalque de Saint-Pierre de Rome dans lequel il n'y a rien. La vérité, la Vérité vaincue et bafouée, c'est ce trou profond du Guol-Golta où blanchissent les os de Shehimon. C'est là qu'en creusant nous avons trouvé non le vicaire de Jésus-Christ, mais son sicaire.

 

FIN DU CINQUIÈME TOME

 

 

 



[1] Donnons la note de l'édition du Saint-Siège sur Pouzzoles. Le Port d'Ostie ne pouvant recevoir que des barques, celui de Pouzzoles était le dernier où l'on abordât avant l'embouchure du Tibre. C'est vers ce port, parfaitement sûr, que cinglaient les nombreux vaisseaux qui venaient d'Alexandrie : et c'est là que débarquaient les Juifs et les Syriens qui se rendaient à Rome. Saint Paul y arriva deux jours après son départ de Reggio. Les frères qui l'accueillirent avec une charité si empressée, et qui le retinrent toute la semaine avec Saint Luc et Aristarque, étaient certainement des chrétiens, aussi bien que ceux qui vinrent à sa rencontre jusqu'au marché d'Appius, à neuf lieues de Rome, et aux Trois Loges, a quatre lieues : Pouzzoles est à peu de distance de Pompeï. On a trouvé récemment dans les ruines de cette dernière ville, ensevelie dix-huit ans plus tard, en 79, sous les laves du Vésuve, une synagogue, et dans une inscription gravée au trait sur le stuc d'une muraille, une trace certaine de l'existence du christianisme à cette époque : Audi Christianos, sævos olores.

J'ignore si l'authenticité de cette inscription a été constatée, surtout avec une pareille orthographe. (Il faut lire odi, j'exècre les christiens. Sævos olores vise à la fois leur odeur et leur cruauté.) En tout cas elle répond bien aux sentiments universellement professés envers le christ et les frères.

[2] Alexandre Lysimachos est le père de Tibère Alexandre qui fit crucifier Shehimon et Jacob.

[3] Moins considérable toutefois que celui de Pouzzoles. Celui qui venait de Brindes ne rencontrait de voie commode qu'à Bénévent, après un long détour par Rubi, Bari et Egnatie. C'est Trajan qui prolongea la Voie Appienne de Bénévent à Brindes.

[4] Boissier, Promenades archéologiques, Paris, 1880, in-12°. Toutefois, n'ayant déclaré la guerre au genre humain dans aucune Apocalypse, ce père des Hébreux n'a pas été promu consubstantiel à leur Père.

[5] Le Père de Ligny, Histoire des Actes des Apôtres.

[6] Il tient à être en état de ressusciter, le cas échéant.

[7] Au contraire, Saül l'a protégé contre le christ et ses frères.

[8] Eh bien, et la Lettre aux Galates où les Juifs de la Loi sont sous sa bénédiction ?

[9] Non, de deux chaînes, portées à quatre quand il comparait devant Agrippa.

[10] Ni même d'emprisonnement, Lysias est formel.

[11] Nullement.

[12] Pas du tout, ils veulent qu'on l'amène à Jérusalem pour le juger, et c'est lui qui refuse, il lui faut Néron.

[13] Comment ! Et la lettre où il dit que la colère s'est enfin appesantie sur les Juifs et que c'est un châtiment mérité ?

[14] L'Espérance d'Israël, c'est le Fils de l'homme qui doit armer le fils de David pour la délivrance des Juifs et pour la destruction de l'Occident, selon la formule de l'Apocalypse.

[15] Ce n'est pas la chaîne du soldat. C'est sa chaîne à lui, celle qu'il apporte de Césarée.

[16] Plus d'Apocalypse, la seule chose qui fût en discussion au temps de Saül.

[17] D'après la chronologie arrêtée en dernier lieu par l'Église.

[18] Aux Colossiens, IV, 14.

[19] Le fabricant de la Première à Timothée a su se tenir dans des généralités qui la protègent contre la critique historique, mais celui de la Seconde a voulu le relever de détails et de noms utiles à l'imposture spéciale de l'Église romaine.

[20] Cf. le Saint-Esprit.

[21] C'est à Lystre que Paul fait la connaissance de Timothée dans les Actes, XVI, 1. Cf. le Saint-Esprit.

[22] On n'est pas encore décidé à lui couper le cou. On préfère le brûler, les cendres tiennent moins de place.

[23] Tout cela est d'autant plus inepte que toute l'Église fait mourir Marc en 815 évêque d'Alexandrie.

[24] Pris aux Actes, XX, 4 et 5, où l'on voit Paul, accompagné de Timothée et de quelques autres, s'arrêter pour la dernière fois à Troas.

[25] Timothée doit le savoir puisqu'il est avec Paul au moment où celui-ci écrit en 817 cet immortel chef-d'œuvre qui s'appelle la Lettre aux Philippiens.

[26] Comment Timothée ! c'est ainsi que tu es renseigné ? Trophime est malade à Milet depuis plusieurs années, Paul n'en a pas de nouvelles, et tu n'es pas allé en prendre lorsque tu es revenu de Rome à Éphèse ? Le faussaire oublie complètement que Trophime, éclatant de santé dans les Actes, accompagne Paul à Jérusalem hors de son dernier voyage, et que d'après ces mêmes Actes (XX, 23) Paul ne devra jamais être retourné à Milet.

[27] La Lettre à Titus (Annœus Gallion, frère de Sénèque) n'a aucune couleur historique. Peut-être est-elle plus ancienne qu'on ne croit. On ne sait à quel moment des Actes la rattacher. En tout cas, dans l'esprit du faussaire, elle ne peut être contemporaine de la Seconde à Timothée, car ici Titus est en Crète et là en Dalmatie.

Paul a laissé Titus en Crète afin d'y établir des prêtres avec des évêques recommandables par leurs mœurs, au rebours de quelques-uns adonnés aux fables judaïques et qui trafiquent de leur saint ministère. Paul a d'ailleurs fort mauvaise opinion des Crétois, menteurs, mauvaises bêtes et ventres paresseux. Pour tout le reste c'est une imitation des Lettres à Timothée. Paul va envoyer à Titus soit Artemas ou Artemidore soit Tychicus. Il l'attend à Nicopolis où il a résolu de passer l'hiver, et lui recommande d'avoir bien soin de Zenas le légiste et d'Apollos.

[28] Képhas, en araméen la Pierre.

[29] Kalonymos sans doute, nom que le Talmud donne à Flavius Clémens, qui ne fut oncques christien ni jehouddolâtre, mais se laissa influencer par l'Apocalypse du Jourdain dont la seconde éruption du Vésuve semblait être une éclatante confirmation.

[30] Dans un morceau que nous gardons pour notre édition du Quatrième Évangile et qui détruit radicalement l'attribution ecclésiastique de cet écrit à un certain Joannès, apôtre et évangéliste. Nous montrerons avec une parfaite évidence que ce Joannès est le baptiseur lui-même et qu'il est en état d'arrestation, dans cet Évangile même, au moment où Jésus célèbre la pâque dans les trois Synoptisés.

[31] L'auteur premier du Quatrième Évangile.

[32] S'il y avait un seul mot de vrai dans tout cela, il en résulterait que Barnabas le Chypriote, cousin du christ, serait le premier apôtre du Royaume des Juifs parmi les nations. Nous pensons qu'en effet Barnabas a pu se trouver mêlé à la croisade de 772 sous Tibère. (Cf. le Charpentier). C'est pourquoi les fabricants des Actes des Apôtres et ceux des Lettres de Paul l'ont placé auprès de Saül et de Gallion comme le plus ancien survivant de cette période glorieuse, et le garant le plus autorisé, tout au moins par l'âge, de la divine mission de Bar-Jehoudda.

[33] Détermination peu flatteuse pour Clément, car dans les Actes nous avons vu Pierre et ses six frères, parmi lesquels le revenant du christ lui-même, manger avec le centurion Cornélius et son entourage de païens, coucher chez lui, passer plusieurs jours sous son toit, lui octroyer l'Esprit-Saint sans l'avoir préalablement baptisé. (Cf. le Saint-Esprit.)

[34] Le Zibdéos, un des surnoms de Jehoudda, le père des sept fils.

[35] En remplacement de Theudas, Thaddée, qu'on n'avoue plus. Cf. le Saint-Esprit.

[36] Le baptiseur et l'auteur de l'Apocalypse, le christ lui-même, celui dont Jésus est le revenant dans la mystification évangélique. Quant à Simon le Kannaïte (le Zélote), c'est Shehimon dit la Pierre, frère puîné du Joannès.

[37] Elle diffère de celle des Actes par la présence de Lebbée.

[38] Gamaliel, président du sanhédrin, qui a successivement condamné Jacob junior, Bar-Jehoudda, Shehimon et Jacob senior. Cf. le Saint-Esprit.

[39] Substitué à Jacob junior, lapidé par Saül dans les Actes. On voit par là que l'épisode de Jacob junior, lapidé sous le nom de Stéphanos, n'était pas encore dans ce recueil d'impostures.

[40] Chiffre calculé d'après les Actes.

[41] Seconde mission de Saül à Damas. Cf. le Saint-Esprit.

[42] Jacob junior le lapidé de 787, et Bar-Jehoudda le crucifié de 788, enterrés l'un près d'Engan-Aïn, l'autre à Machéron. (Cf. les Marchands de Christ). Chaque année on blanchissait les sépulcres à la chaux ; de là l'expression de sépulcres blanchis dont se sert l'Évangile pour désigner les pharisiens rebelles à la jehouddolâtrie.

[43] Il y a miracle parce que c'est Dieu lui-même qui fait l'office de la famille. Si les disciples avaient pu indiquer à la chaux l'endroit où Shehimon et sa mère, accompagnés de Cléopas et de sa femme, avaient caché le corps du roi-christ quatre jours après la pâque de 789, l'histoire de Simon de Cyrène, crucifié à sa place, aurait été matériellement impossible.

[44] Avec quelle insistance le faussaire introduit le séjour que Shehimon aurait fait à Jéricho pendant que Saül poussait jusqu'à Damas ! Il veut faire croire que l'entrée allégorique de Jésus à Jéricho, trois jours avant la pâque (Luc, XIX, 1), c'est-à-dire pendant que Bar-Jehoudda s'enfuit du Sôrtaba et se fait arrêter à Lydda, est un cas historique et constaté par témoins. Pierre n'est à Jéricho que pour appuyer le témoignage du publicain Zachée (Luc, XIX, 2-8), lequel est censé avoir existé réellement et assisté quelques jours auparavant à l'entrée dont on fait état dans la mystification évangélique. Le nom seul de Zachée (de Zachû, le Verseau, nom réservé par les scribes au père du christ) et sa fonction (un publicain !) sont des attrape-goym d'une malice inouïe.

[45] Le Père dans l'Apocalypse. (Cf. le Roi des Juifs.)

[46] Le Verbe ou Fils. Sur ce point Simon était d'accord avec l'auteur l'Apocalypse. (cf. le Roi des Juifs.)

[47] Aucune trace des sept diacres que les Douze instituent dans les Actes (cf. le Saint-Esprit) pour exercer le ministère et servir aux agapes.

[48] Là il est impossible à Jésus de le réveiller.

[49] Aquila n'est pas encore présenté dans les Actes comme ayant été expulsé de Rome en qualité de jehouddolâtre par Claude (Cf. le Saint-Esprit). Il n'est pas encore en état de donner des leçons de jehouddolâtrie à Paul et à Apollos.

[50] C'est là, je pense, que les Philosophoumena l'ont prise ; j'admets qu'elle contient des parcelles de vérité.

Comment a-t-on pu nier l'existence de Simon ? En dehors des Actes des Apôtres, (d'abord c'est une mauvaise chose de douter de ce qui est dans les Actes, car où s'arrêtera le doute ?) elle est attestée par Josèphe. On n'a aucune preuve historique du séjour de Simon à Rome, en dehors de ce que dit Justin (Apologies) ou l'on ne parle peut-être que d'après Clément. Ignorant des choses de Rome, le faussaire qui a interpolé Justin dit y avoir vu une statue de Simon. Cela le juge. Elle était dédiée au dieu sabin Semo Sancus, on a retrouvé l'inscription sous Grégoire XIII : Semoni deo Sanco. (V. Stapfer, dans l'Encyclopédie des sciences religieuses de Lichtenberger.)

[51] Emprunté aux Actes (Cf. le Roi des Juifs) où Bar-Jehoudda est fouetté avec ses frères sous le nom de Joannès, Kaïaphas étant grand-prêtre. Le but du faussaire, en s'associant à cette fustigation, est de faire croire quelle est postérieure à la crucifixion du nommé Jésus, lequel par conséquent n'a jamais pu en être.

[52] On a corrigé cette appellation dans les Actes et on l'a remplacée par frère du Joannès, ce qui au temps de cette correction avait cessé d'être un équivalent.

[53] Par le Quatrième Évangile surtout.

[54] I Pierre, V, 13.

[55] V. Anonymes grecs. De SS. Petro et Paulo, 3, 11. Cf. Acta sanctorum, jun., t. V, p. 116, et la Chronique anonyme attribuée à Flavius Dexter an 50 dans la Patrologie latine de Migne.

De telles légendes ne meurent jamais. Sous Grégoire le Grand les évêques de Numidie diront que leurs usages remontent au temps des ordinations faites en Afrique par Pierre prince des Apôtres. Augustin n'admettra pas d'autre origine : Les Apôtres l'ont engendrée, dira-t-il, à l'Église de Carthage. Les fidèles prendront un stylet et écriront dans le granit : Siège de saint Pierre et saint Paul et ils ne croiront pas mentir.

[56] Dans le canon dit de Muratori. L'Église appelle ainsi le recueil des plus anciennes pièces qu'elle a fabriquées. Sa prétention est qu'il date de la fin du second siècle.

[57] Nous allons bientôt les connaître.

[58] Quatre noms pris aux Lettres de Paul.

[59] Guide du voyageur catholique à Rome.

[60] Allusion à l'écrit connu sous le nom de Pasteur, d'origine hermétique et attribué à un certain Hermas.

[61] Actes, XXVIII, 30.

[62] Ces imposteurs oublient totalement que l'Église dans les Actes des Apôtres a avancé de sept ans la crucifixion de Bar-Jehoudda et qu'elle l'a placée en 782. Si nous admettons, au contraire, qu'ils respectent cette donnée, il s'ensuit qu'ils assoient Pierre sur le siège d'Antioche jusqu'en 738 et sur celui de Rome jusqu'en 813 seulement. Or vous avez vu que d'après la chronologie ecclésiastique, Paul n'arrive à Rome qu'en 814. D'autre part, vous avez vu que Pierre écrit encore à Jacques en 817.

[63] Voyez le petit opuscule gothique, sans date, qui semble de la fin du XVe siècle : Passio Petri et Pauli Apostolorum disputatio eorumdem contra Symonem, etc., et qui se termine par cette déclaration : Ego, Marcellus, discipulus domini mei Petri Apostoli, quæ vidi scripsi.

[64] Toute la différence est qu'après avoir spéculé sur le nom du Père, on spéculait sur celui du fils.

[65] Les premiers jehouddolâtres de Rome sont dits indifféremment évêques ou papes. Leur liste est fausse pendant trois siècles et davantage.

[66] Notons l'insistance avec laquelle les gagistes tournent autour de ce nom, déjà mêlé par Josèphe à la répression du mouvement christien de 772 (Cf. le Charpentier) et par Tertullien (De Carne Christi) à la nativité de Bar-Jehoudda.

[67] D. Lini Romanorum pontificum secundi De sui predecessoris divi Petri Apostolorum Principis, et coriphei. (sic enim loquitur divus Dyonisius Areopagita) passione libellus. Hem ejusdem Lini De passione divi Pauli libellus alter (Paris, 1566, in-8°).

[68] On a pris le nom du procurateur de Judée sous lequel on a placé la lapidation de Jacques.

[69] Expression prise au Quatrième Évangile (XXI, 18) : Lorsque tu étais plus jeune, tu te ceignais toi-même et tu allais où tu voulais.

[70] La prophétie de Jésus à Pierre dans le Quatrième Évangile (XXI, 18) : Lorsque tu seras vieux, tu étendras les mains, et un autre te ceindra, et te mènera où tu ne voudras pas (c'est-à-dire au Guol-Golta).

[71] Quatrième Évangile, XXI, 19 : Or il (Jésus) dit ces mots pour marquer de quelle mort il (Pierre) devait glorifier Dieu.

[72] Ceci d'après M. le Chanoine de Bléser que nous ne voulons pas priver de cette élégante pensée.

[73] Une petite église, située sur la voie Appienne, rappelle cette invention, au deuxième mille après qu'on a passé l'Almon.

[74] On sait que Janès ou Janus est le nom latinisé de Joannès.

[75] Primitivement l'église Saint-Pierre-in-Montorio s'appelait Sancta Maria in Castro Aureo, ainsi nommée, dit-on, de la couleur jaune du sable de la colline : l'église Santa-Maria a été élevée (sous Constantin, dit-on) en un temps où le nom de Pierre n'était pas encore lié à cet emplacement.

[76] La position ici, c'est le point opposé à l'Occident, c'est l'Orient, c'est Jérusalem où Shehimon fut crucifié après Bar-Jehoudda. Cf. le présent volume, au Lancement du Gogotha.

[77] L'Évangile de Cérinthe ou Quatrième Évangile après son attribution par l'Église à un certain Joannès apôtre qu'elle fait distinct du baptiseur.

[78] Le plus mal possible, bien entendu.

[79] La prosopopée de Pierre sur le mystère de la croix, la croix arbre de vie, est purement ecclésiastique, c'est-à-dire en contradiction formelle avec l'interprétation de ce signe dans l'Apocalypse. Les nombreux emprunts qu'il fait aux Évangiles et au Symbole de Nicée s'expliquent par la date de la composition qui est postérieure au quatrième siècle.

[80] En effet, elle est dans les Synoptisés. Cf. le Roi des Juifs. Mais Marcellus, en qualifiant Pierre de Maître, désobéit furieusement à cette autre parole de Jésus : N'appelez personne sur la terre votre Maître, car vous n'avez qu'un Maître qui est aux cieux.

[81] Chaque jour, dit honnêtement Malerbault, ne se trouve pas dans l'édition de Venise.

[82] Imitation de l'affaire d'Eutychus à Troas, dans les Actes.

[83] Sept fois sept.

Observons ce chiffre, il est jubilaire selon la formule de l'Apocalypse.

[84] Imité des Actes.

[85] Pris à Matthieu.

[86] Pris au Quatrième Évangile, XXI : Pais mes agneaux.

[87] Ce nom de Jésus-Christ en langue hébraïque, c'est Jehoudda bar-Jehoudda, Saül le connaissait bien !

[88] Le Sacre grotte vaticane, 1618.

[89] Memorie Sacre delle chiese di Roma, 1630.

[90] Par le même procédé que ce prince hérodien Saül. Constantin n'a jamais songé un seul instant à consubstantialiser Bar-Jehoudda avec le Père.

[91] L'inscription que le pape Damase aurait fait placer au IVe siècle sur une pierre de la catacombe continue ce récit. On sait combien le Pape Damase était mal renseigné. Les marbres et les peintures qu'on a retrouvés dans le puits en 1849 sont sans intérêt pour l'histoire, les uns et les autres sont contemporains de Damase.

[92] Nous réservons les deux Lettres de Pierre pour le volume consacré aux Lettres de Paul.

[93] Et qui a connu Jésus ?

[94] Cf. les Marchands de Christ, à propos des dates de la naissance et de la crucifixion de Bar-Jehoudda.

[95] Institutions Christiennes.

[96] Metà tèn toutôn exodôn, que la Patrologie et Henry de Valois traduisent avec raison par post eorum interitum, après leur mort.

D'autres ont préféré traduire exode par discessum Romæ, c'est-à-dire par après leur départ de Rome. C'est, dit M. Pierre Victor (Les Évangiles et l'Histoire) pour éviter une contradiction à Eusèbe. C'est surtout pour essayer d'établir le séjour de Pierre à Rome, à quoi on tient plus qu'à tout le reste. Mais ces traducteurs n'évitent un écueil que pour échouer sur un autre : Si Pierre et Paul ont quitté Rome, il va falloir les y ramener pour le martyre.

[97] Cf. Les Marchands de Christ.

[98] Ce sont des moines sérapisants.

[99] Jesséens ou Ischaïtes. De Jessé, Ischaï, père de David. Philon n'a écrit aucun livre sur les Jesséens. Les Jesséens sont ceux qui, avec les Naziréens et les Ébionites, — ces trois sectes sont des branches du christianisme jehouddique — attendaient le Règne de mille ans et le retour de Bar-Jehoudda combinés.

[100] M. Ganeval, Jésus devant l'histoire n'a pas existé.

[101] Elle est beaucoup moins ridicule toutefois que celle des exégètes en renom, et elle est clairvoyante sur un point : l'inexistence de Jésus en chair. En dépit de toutes les erreurs dont il est farci, le travail de M. Ganeval se dirige vers la vérité : toutes les prétendues Vies de Jésus s'en éloignent, quelle que soit la vaine érudition dont elles sont ornées.

[102] On voit dans le pavement de l'église des fragments de mosaïque, derniers vestiges du palais sénatorial de Pudens.

[103] Faux martyr, bien entendu.

[104] On aurait bien du se mettre d'accord sur la généalogie de Prisca pour nous montrer comment quelques-uns ont pu la rattacher à celle de Pudens. Un faux de plus n'était point une affaire.

[105] La légende de Pierre chez Pudens provient des Actes de saint Justin. Avec quelle rigueur de déduction, on l'a vu.

Quant à la célèbre mosaïque représentant le christ sur son trône, Paul couronné par sainte Pudentienne et Pierre par sainte Praxède, avec d'autres figures, on la dit du VIIIe siècle : quelques-uns la font remonter au IVe.

[106] Les Actes ne lui en reconnaissent qu'une (Cf. Le Saint-Esprit). On aura converti Marc (Jehoudda dit le Joannès Marcos) en fille tout en lui laissant son sexe comme Évangéliste. C'est le droit de l'Église. Elle est héritière de la promesse, et vous avez vu que le retour à l'androgynisme adamique était dans le programme de Bar-Jehoudda.

[107] Sur cette imposture, voir le Saint-Esprit.

[108] Cf. le Saint-Esprit.

[109] Lettre aux Romains.