LE MENSONGE CHRÉTIEN - (JÉSUS-CHRIST N'A PAS EXISTÉ)

 

TOME III. — LES MARCHANDS DE CHRIST

V. — LE FORCEPS DE L'ÉGLISE.

 

 

I. — JÉSUS À L'ÉTAT D'OMBRE.

 

Nous convenons qu'il y a dol, dites-vous, puisqu'il n'y a pas moyen de faire autrement, mais telle est la force des images dont est pétri notre antique cerveau, que nous ne vous croyons pas encore comme la vérité l'ordonne. Songez que notre grand'maman Légonde nous a nourris presque dans le même berceau que Jésus de Nazareth ! Aujourd'hui vous venez y coucher Jehoudda, fils de Jehoudda et de Salomé, mais malgré tout, c'est toujours Jésus que nous y voyons. Avant de passer à la démonstration qui doit emporter les dernières résistances du préjugé, nous voulons avoir l'esprit débarrassé des fraudes ecclésiastiques. Avant de croire absolument et définitivement à l'inexistence de Jésus, nous demandons que l'hypothèse de son existence soit à ce point détruite qu'elle ne puisse plus être soutenue ni relevée par un homme de bon jugement et de bonne foi.

Qu'à cela ne tienne ! Examinons la chose ensemble, et consentons à discuter, comme s'il était vrai, un principe dont la fausseté nous est déjà connue. Ainsi ferons-nous à l'Église une concession qui nous vaudra quelques indulgences.

 

Les voies de Dieu sont simples, mais celles du Satan sont tortueuses comme celles du serpent auquel il emprunte sa forme et ses mouvements. Il ménageait à l'Église une nouvelle espèce d'épreuves dont elle devait sortir victorieuse. Oui, telle était la malice des ennemis de Dieu, que, perçant le secret des prologues de Mathieu et de Luc, ils y avaient retrouvé la date exacte de la Nativité de l'homme que Pilatus avait crucifié ! Et voici le parti que ces suppôts de l'athéisme tiraient de cette indication pour calomnier plus à l'aise le Juif consubstantiel au Père : Bar-Jehoudda, disaient-ils, est né dans la première d'une double année ou année jubilaire et il a été crucifié à la fin de la première d'une double année ou année jubilaire. Il avait donc cinquante ans quand il est mort, puisque c'est cet intervalle qui sépare mathématiquement deux jubilés. Or, d'après Irénée et toute la tradition d'Asie, le Juif que vous proposez à l'adoration des païens avait également cinquante ans à sa mort. C'est donc bien l'homme dont parle Josèphe comme ayant été puni par Pilatus la fin de l'année 788, c'est bien le fils aîné de Jehoudda le Gaulonite tué au Recensement de 760.

Quant au Jésus des miracles et de la Cène, ils disaient, ils prouvaient même que c'était une Christophanie, une Logophanie, une apparition du Christ, une ombre du Verbe, un être sans consistance incorporé à Bar-Jehoudda par la fantaisie des scribes et que personne en Judée n'avait connu.

Et en effet, vous avez vu par l'Apocalypse, œuvre du christ en personne, vous avez vu par Mathias, par Luc et conséquemment, par Marc et par le Quatrième Évangile, vous avez vu par Valentin que, si Jésus était descendu sous diverses formes dans la christophanie évangélique, il n'y avait pas encore fait son entrée en chair, bien que nous soyons parvenus au commencement du troisième siècle. L'homme des Évangiles, c'est toujours le Joannès-jésus, c'est toujours l'auteur de l'Apocalypse, dont la renommée dans la secte est serrée de près par celle de trois de ses frères, Jacob senior dit Oblias ou la Force du peuple, Shehimon dit Képhas ou la Pierre, et Ménahem, roi-christ en 819, qui les éclipse tous. Vous avez vu que les baptistes, en désespoir de cause, n'avaient eu d'autre ressource que de fabriquer un Jésus, de le faire venir sur le papier pour assumer ses apôtres. Vous avez vu qu'il avait déjà fait un effort vers la terre en descendant sous la forme ailée de la colombe dans l'Apocalypse. Mais, comme le dit Valentin, il n'était point né du ventre d'une femme.

 

Tous les prophètes du Royaume des Juifs étaient morts et Jésus n'était pas né.

Sous Tibère, le roi-christ avait été crucifié par Pilate et Jésus n'était pas né.

Sous Claude, Maria était morte à Éphèse, et Jésus n'était pas né ;

Shehimon et Jacob avaient été crucifiés à Jérusalem, et Jésus n'était pas né.

Sous Néron, Ménahem avait été supplicié et Jésus n'était pas né.

Sous Vespasien, malgré Éléazar, neveu du christ, le Temple était tombé, les Juifs avaient été massacrés, dispersés, réduits en esclavage, et Jésus n'était pas né.

Sous Trajan, les Juifs de Chypre et ceux de Cyrène, pour avoir exterminé les païens à la christienne, avaient été décimés, et Jésus n'était pas né.

Sous Hadrien, Jérusalem révoltée avait été comme rayée de la carte, la Judée avait comme cessé d'être, et Jésus n'était pas né.

Sous Septime-Sévère, Jérusalem avait encore remué une fois et Jésus n'était pas né.

À l'aspect de ses futurs sujets, il avait énergiquement refusé de quitter le ciel. En quoi il s'était visiblement rangé du côté de Jehoudda Is-Kérioth et de Saül.

D'ailleurs avec des gens comme ceux dont le grand-prêtre Kaïaphas et le procurateur Pontius Pilatus sont le prototype, Jésus avait cru voir que son Royaume était de moins en moins de ce monde.

Refroidis par la brillante tenue des légions romaines, par l'appareil rébarbatif des balistes et des catapultes, les Douze Apôtres ou Éons qui devaient venir en fourriers, avaient modestement décliné la glorieuse mission à laquelle l'Apocalypse les conviait. Ils étaient restés dans leurs zones respectives, la Judée ne leur apparaissant pas comme un séjour de tout repos. Ainsi avaient fait l'Agneau et les Vingt-quatre Patriarches du jour sans nuit.

Quant aux Cent quarante-quatre mille Anges, ayant craint que Bérénice n'eût à elle seule raison de leurs cent quarante-quatre mille virginités, ils avaient imité la discrétion des Douze et des Vingt-quatre.

Bref, à une époque qui peut être celle de Constantin, trois cents ans après la date assignée par les scribes à l'action de l'Évangile :

Le Christ Jésus est toujours au ciel avec l'Agneau ; Les Douze Apôtres sont toujours au ciel avec leur milice.

Toutes les Écritures christiennes — j'entends les orthodoxes — sont millénaristes et, comme autrefois le Joannès-christ, tous les fidèles attendent un Jésus dont le Royaume est de ce monde.

En dépit de leurs différences la Nativité selon Mathieu et la Nativité selon Luc sont deux formes de la même Nativité, celle de Bar-Jehoudda, surnommé le Joannés quand il prophétise et le jésus, quand il remet les péchés.

Mais aucune d'elles n'avait été faite pour tromper et elles ne trompaient personne. Dans aucune on ne lisait que le crucifié de Pilatus s'appelât Jésus de son nom de circoncision.

Sur ces Nativités aucun désaccord pendant trois siècles parmi les christiens, aucune des interprétations imbéciles et malpropres qui ont fini par triompher du sens commun. Le premier document qui parle de ces Nativités, en dehors de Valentin, c'est la Lettre aux Romains, et que dit-elle ? Que le jésus est né de la race de David, selon la chair, qu'il était l'aîné de plusieurs frères, et que, s'il est devenu fils de Dieu, c'est par prédestination et adoption, comme la résurrection le prouve[1]. Pas un instant les évangélistes n'ont prétendu dire qu'il fût fils naturel de Dieu et fils adoptif de Joseph, comme l'Église le soutient avec une impudence dont Dieu lui demandera compte au jour du Jugement. C'est Joseph qui est son père selon la chair. Très nettement ; à deux reprises, le Quatrième Évangile affirme que, quant à la chair, le jésus est fils de Joseph[2]. Marc de même, là où il le dit fils du Charpentier, Charpentier lui-même, frère de plusieurs frères et de plusieurs sœurs[3]. Luc de même, à l'endroit où son père et sa mère sont en admiration des choses que l'on disait de lui. Luc encore, dans l'allégorie du Voyage à Jérusalem[4]. Tout le monde suit là-dessus la tradition des Ebionites ou Naziréens, disciples du Nazir en Bathanée : dans la fable faite pour le monde, le père du jésus est désigné par le nom de Joseph de Nazireth, et sa mère par le nom de Maria Magdaléenne.

 

II. — LA FAUSSE NATIVITÉ DE JÉSUS AU RECENSEMENT DE 760.

 

Quoique l'exploitation du baptême se hissât à la hauteur d'une industrie, et que çà et là des dupes héroïques donnassent leur vie pour ce mensonge, l'Église n'était pas satisfaite du prologue de Mathieu ; elle trouvait cette fiction mal éclairée par l'étoile des Mages, et la réputation du remetteur de péchés mal servie par le voyage en Égypte. Elle n'était pas contente non plus de la Nativité selon Luc, diffuse, il est vrai, et obscure à souhait, mais confirmative de celle de Mathieu quant à la date. Il fallait rompre avec tout cela, en fabriquant à Jésus un acte de naissance qui le fit entrer du même coup dans l'histoire juive et dans l'histoire romaine. Jésus n'est qu'un pseudonyme et ce n'est pas assez, il faut qu'il soit venu en chair. Assez d'évangélisme ! dit l'Église. Assez de figures et de mythes ! On traite les Evangiles de fables judaïques. Les fables dont je vis sont de l'histoire. Je vis de Jésus, donc il est.

Les vieilles Nativités pourront servir, du moins celle de Luc. On utilisera les allégories à double entente qui l'émaillent. On donnera un corps au Zachûri et un corps à Eloï-Schabed[5]. Le Joannès sera fils d'un Zacharie, qui aura été tué dans le Temple, on ne sait pour quelle cause, à une époque incertaine, et d'une Elisabeth sur laquelle on n'a point de renseignements mais dont l'existence est attestée par celle de son mari. On donnera un corps à Jésus, on le fera naître à part et à une tout autre date, de manière que les méchants ne soient plus tentés de les confondre. Bref, en ce siècle pervers on fera un peu de vraie religion.

Ce parti une fois pris, il fallait accoucher Salomé d'un dixième enfant, mais c'était le seul moyen qu'on eût d'en faire une vierge. Le Saint-Esprit qui avait déjà tant travaillé l'ombre d'Antipas opéra de même sur la pauvre Salomé qui, sous le nom de Maria, n'avait plus un sentiment bien net de la responsabilité conjugale. Au point où elle on était, il lui était complètement indifférent de faire un enfant de plus à Joseph.

Dans une déclaration placée en tête de l'Évangile de Luc, l'Église constate la pénible nécessité où elle est d'introduire un peu d'ordre et d'exactitude dans le cours des choses, afin que le très excellent Théophile, un compère ou une dupe, ait la certitude des enseignements qu'il a reçus. Hé quoi ! Théophile ! tu conserves encore des doutes ? Mais Théophile n'en conservera plus, il aura tous ses apaisements, comme on dit à l'Université catholique de Louvain, lorsqu'il saura que l'existence de Jésus a été constatée par des témoins irrécusables.

On aimerait à savoir quels sont les scribes à qui l'Église décerne le brevet de témoins. En tout cas, il y en avait déjà plus, au temps de cette déclaration, que Papias, évêque millénariste de Hiérapolis de Phrygie, n'en connaissait sous l'empereur Antonin ; car il faut vous dire qu'à la fin du règne de ce prince, le bienheureux Papias n'en pouvait encore citer que deux dont Luc n'était pas, Mathias et Marcos. Or Papias a expliqué les Paroles du Rabbi. Il faut vous dire également que Valentin, qui a censuré les Livres du jésus sous Septime Sévère, n'a jamais ouï parler de Luc. Personne n'a vu Luc, ce qui d'ailleurs augmente son autorité, puisqu'en sa qualité d'évangéliste, il tient quelque chose des anges — que dis-je ? des enanges ! — et se hisse bien au-dessus de l'homme.

 

Devant cette pénurie d'historiens véridiques, quelqu'un de respectable adorna l'Évangile de Luc du petit avertissement que voici :

Plusieurs ayant entrepris d'écrire l'histoire des choses qui ont été accomplies parmi nous — seconde couche d'écrits, monstre évangélique et Actes des Apôtres —, suivant le rapport que nous en ont fait ceux qui, dès le commencement, les ont vues de leurs propres yeux, et qui ont été les ministres de la Parole, — première couche d'écrits millénaristes, comme l'Apocalypse et les Paroles du Rabbi, transmises par Philippe, Jehoudda Toâmin et Mathias ;

J'ai cru, très excellent Théophile, qu'après m'être exactement informé de toutes ces choses, depuis le premier commencement, je devais aussi vous en représenter par écrit toute la suite afin que vous reconnaissiez la vérité de ce qui vous a été annoncé.

Nous voilà prévenus : le très excellent Théophile va être abominablement mystifié. Il a affaire à un bonhomme qui, pour commencer, fait table rase de toutes les Écritures du Rabbi, et pour finir, de tout ce qui ne lui convient pas dans les Évangiles on circulation.

Sur les trois scribes primitifs, deux, Philippe et Toâmin, sont fils de Salomé ; Mathias, le troisième, est son petit-fils. Parmi les scribes inconnus qui ont fabriqué la christophanie de Jésus, on en met un, surnommé Marcos, fils de Shehimon ; il n'est pas bon qu'on retrouve dans ce Marcos un autre petit-fils de Salomé. Car de ces petits-fils on peut remonter à la grand'mère, laquelle ayant eu du même époux sept fils et deux filles ne peut être présentée comme Vierge sans quelques précautions oratoires. Voici donc ce qu'apprendra le très excellent Théophile, afin de reconnaître la vérité de ce qui lui a été annoncé, à savoir que Jésus n'est point une ombre de Messie, mais qu'il est né dans une chair propre et tout à fait indépendante de celle de Bar-Jehoudda.

Et Jésus ne s'est pas borné à naître ; il a été inscrit, immatriculé sur un registre malheureusement disparu mais authentique, et il l'a été sous le nom de Jésus.

Nous ne retranchons rien de ce morceau capital :

1. En ce temps-là, il arriva qu'il parut un édit de César-Auguste pour qu'on fit le dénombrement des habitants de toute la terre.

2. Ce premier dénombrement fut fait par Quirinius, gouverneur de Syrie.

3. Et tous allaient se faire inscrire, chacun dans sa ville.

4. Joseph aussi monta de Nazareth, ville de Galilée, en Judée, dans la ville de David qui est appelée Bethléem, parce qu'il était de la maison et de la famille de David,

5. Pour se faire inscrire avec Marie, son épouse, qui était enceinte.

6. Or il arriva que, lorsqu'ils étaient là, les jours où elle devait enfanter furent accomplis.

7. Et elle enfanta son fils premier-né ; et l'ayant enveloppé de langes, elle le coucha dans la crèche, parce qu'il n'y avait point de place pour eux dans l'hôtellerie.

8. Or en la même contrée se trouvaient des bergers qui passaient la nuit dans les champs, veillant tour à tour à la garde de leurs troupeaux.

9. Et voilà qu'un ange du Seigneur se présenta devant  eux, et une lumière divine les environna, et ils furent Saisis d'une grande crainte.

10. Mais l'ange leur dit : Ne craignez point, car voici que je vous apporte la bonne nouvelle d'une grande joie pour tout le peuple :

11. C'est qu'il vous est né aujourd'hui, dans la ville de David, un Sauveur, qui est le Christ Seigneur.

12. Et ceci sera pour vous le Signe : Vous trouverez un enfant enveloppé de langes et couché dans une crèche.

13. Au même instant se joignit à l'ange une multitude de la milice céleste, louant Dieu et disant :

14. Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et sur la terre paix aux hommes de bonne volonté.

15. Et il arriva que lorsque les anges, remontant au ciel, les eurent quittés, les bergers se disaient les uns aux autres : Passons jusqu'à Bethléem, et voyons ce prodige qui est arrivé, et que le Seigneur nous a fait connaître.

16. Ils vinrent donc en grande hâte, et ils trouvèrent Marie et Joseph, et l'enfant couché dans une crèche.

17. Or, en le voyant, ils reconnurent la parole qui leur avait été dite sur cet enfant.

18. Et tous ceux qui en entendirent parler, admirèrent ce qui leur avait été raconté par les bergers.

10. Or Marie conservait toutes ces choses, les repassant dans son cœur.

20. Et les bergers s'en retournèrent, glorifiant et louant Dieu de toutes les choses qu'ils avaient entendues et vues, comme il leur avait été annoncé.

21. Cependant, les huit jours pour circoncire l'enfant étant accomplis, il fut nommé JÉSUS, nom que l'ange lui avait donné avant qu'il fût conçu dans le sein.

22. Et après que les jours de la purification de Marie furent accomplis selon la loi du Moïse, ils le portèrent à Jérusalem, pour le présenter au Seigneur,

23. Comme il est écrit dans la loi du Seigneur : Tout mâle ouvrant un sein sera appelé Consacré au Seigneur (Nazir).

24. Et pour offrir l'hostie, selon ce qui est dit dans la loi du Seigneur, une couple de tourterelles, ou deux petits de colombes.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .[6]

Après qu'ils eurent tout accompli selon la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, à Nazareth, leur ville.

L'auteur de cette Nativité n'a pu tant faire qu'il ne se soit inspiré des précédentes. L'horoscope de Jésus est le même que celui de Bar-Jehoudda dans Mathieu et dans Luc. Jésus y naît sous les mêmes signes. La Vierge y demeure avec tous les attributs que nous lui connaissons par l'Apocalypse, et c'est sous le Capricorne que Maria accouche de son dixième enfant comme elle a accouché du premier. Elle est accompagnée du Bouvier, l'Homme de la Vierge, comme on l'appelle en astrologie. Joseph remplit très dignement ce rôle qu'il sait si bien et depuis si longtemps. Les bergers de Betléhem, qui sont surtout de Chaldée, accourent au signe en même temps que les anges remorqués à leur tour par les Mages de Mathieu assistés du Semeion et de l'Anna de Luc. Voyez le Signe ! disent les anges. Nous le connaissons bien, pourraient répondre les bergers, il y a assez longtemps que nous gardons les troupeaux du Capricorne ! C'est sur de la paille arrachée à son brillant Épi que la Vierge dépose le céleste nourrisson ; mais comme elle a dû sortir de sa propre maison avec le Bouvier pour mettre le Christ au monde, il n'y a plus de place pour eux dans celle où ils sont descendus : c'est d'ailleurs pour son Fils un simple lieu de passage, — Luc dit le mot : une hôtellerie. Ce n'est pas Jésus qui n'a pas de place dans cette hôtellerie, Jésus a douze maisons[7] plutôt qu'une, ce sont eux, les pauvres ! Lisez vos textes, messieurs les théologiens, lisez vos textes.

C'est tout naturellement que l'âne et le bœuf sont venus dans la suite des temps se grouper autour de la crèche et réchauffer le petit Jésus de leur haleine. Ce bœuf était en puissance dans le Bouvier, et l'âne — nous le verrons un jour — avait des titres non moins célestes à la vénération des Juifs.

Dès le cinquième siècle l'Église a commencé son travail contre tous ceux qui, ayant percé à fond les fourberies évangéliques, niaient que Jésus fût venu en chair, qu'il fût utérinement né. Que ceux-là songent, dit l'Anticelse, qu'on montre à Betléhem la grotte où il est né (plus d'hôtellerie) et, dans cette grotte la crèche où il fut enveloppé de langes (les langes eux-mêmes peut-être ?). Tous les récits de la naissance qui sont dans l'Évangile sont, d'accord là-dessus[8]. On a vu en quoi consiste cet accord.

Quant à la grotte de Betléhem, elle existait bien. C'est celle où, à la fin du quatrième siècle, les femmes du pays continuaient à adorer Tammouz, lequel était le nom syriaque d'Adonis.

 

III. — POURQUOI ON A INVENTÉ NAZARETH.

 

Telle est la Nativité que les aigrefins de Rome ont substituée aux anciennes, et dont tous les éléments sont faux mais d'une fausseté qui devrait faire repousser des cheveux sur la tête la plus chauve de tout notre Institut national.

Que de progrès depuis les écrits du commencement.

La milice, céleste décrite dans l'Apocalypse et qui devait descendre avec l'Agneau sur la montagne de Sion, le 15 nisan 789, les anges qui devaient monter et descendre sur le Fils de l'homme, ainsi que Jésus le rappelle à Ménahem dans le Quatrième Evangile[9], tous sont présents par anticipation à cette Nativité, et peut-être Quirinius les a-t-il portés, eux aussi, sur les registres du Recensement. Mais voici qui est plus positif : l'enfant est tellement né qu'il a été circoncis le huitième jour, et cette fois Jésus n'est point un surnom que l'ange Gabriel, mis en scène par Mathieu et Luc, a donné au Joannès avant qu'il ne fût conçu dans le sein de sa mère, c'est le nom qui lui a été donné par Joseph huit jours après sa naissance, c'est son nom de circoncision, son nom légal, celui sous lequel les Juifs de son temps l'ont connu ! Il n'est pas l'aîné des sept démons mâles que le Christ Verbe avait tirés de Maria Magdaléenne, comme on le lit dans Marc, il devient le premier et le dernier-né ; donc l'unique, car il est constant que Salomé n'a pas eu d'autres enfants après le Recensement. Il n'est pas Naziréen dès le sein de sa mère, comme l'enfant de 739. Il est de Nazareth, ville de Galilée ; Nazireth est devenue une ville comme Jésus est devenu un homme. Ce n'est donc plus la Ville fictive dont l'état religieux dit Joannès avait fourni l'étymologie. C'est une ville réelle qu'on ne retrouverait peut-être pas si on la cherchait sur la carte au quatrième siècle, parce qu'elle a pu comme tant d'autres changer de nom ou être détruite, mais les contemporains de Jésus l'appelaient ainsi. La preuve, c'est la même que celle de l'existence de Jésus ; c'est ce petit livre des Évangiles que les gens colportant sous le manteau et qui, étant juif, est de Dieu.

 

Vous n'imaginez pas, en effet, combien était gênant pour les jehouddolâtres ce nom de Naziréen que les premiers scribes avaient tiré de l'état du Nazir pour le donner aux disciples de son père. Pour qui connaissait la Loi de naziréat et ses conséquences, ce nom était l'étiquette jubilaire et comme le signalement messianique de l'enfant enregistré dans les trois Nativités anciennes. Il lui appartenait en propre, il ne convenait qu'à lui, il ne pouvait être transporté à l'enfant enregistré dans la fausse Nativité qu'au mépris de la Loi et du régime de vie qu'elle impose au nazir, notamment en ce qui touche l'abstinence de toute boisson fermentée et l'éloignement des morts. En faisant de Nazareth une ville réelle, on obtenait que, tout en étant naziréé le quarantième jour après sa naissance, — délai légal nécessité par la purification de Marie — Jésus fût dit Nazaréen à cause de la ville qu'il habitait étant encore dans le sein de sa mère. Car il ne suffisait pas de lui donner un corps on le faisant naître à une date différente de celle qu'avaient indiquée les trois Nativités primitives, on le faisant venir au baptême de Joannès, entrer dans l'eau, sortir de l'eau avec ou sans illumination du Jourdain, il fallait encore expliquer ses beuveries avec les publicains de Kapharnahum et ses visites résurrectionnelles aux morts. Il n'aurait pu rien faire de tout cela s'il fût resté nazir dès le sein de sa mère, comme dans les Nativités authentiques : son régime l'en eût empêché. Au contraire, n'étant nazaréen qu'à raison de Nazareth, tout lui devenait aisé sans qu'il manquât à la Loi.

Un écrit ecclésiastique plus important à ce point de vue que tous ceux du canon, Tryphon[10], s'est armé de ce calembour pour relier la fausse Nativité aux anciennes en racontant qu'immédiatement après la visite des Mages Jésus avait vécu de la même nourriture que tout le monde, jusqu'à l'âge de trente ans qui était celui de son baptême et de sa mort. Du même coup, et en jouant de la même manière sur le mot Charpentier, on fit que Joseph et lui devinssent des ouvriers manuels, on dépit de leur royale origine, — car on ne renonçait point aux Généalogies. Joseph devint un charron charronnant, travaillant de ses mains avec les outils d'usage. Jésus avait l'air d'être le fils de ce charron, pour satisfaire aux Écritures d'après lesquelles il devait passer inaperçu, et charron lui-même pendant sa terrestre carrière, il fabriquait les ouvrages de son métier, comme charrues et jougs, symboles de la justice et en même temps de la vie active !

 

Ainsi, après avoir maquillé le loup juif, les bergers de l'Église par toute cette suite d'abominables friponneries l'introduisaient subrepticement dans le monde sous la peau d'un agneau pascal, demandaient aux hommes de l'adorer, de le servir en elle, de lui donner leur sang, leur âme, leur or, et — on allait en venir là — de lui immoler d'autres hommes !

Quel monstrueux travail de judéolâtrie ! Un prince juif, Jehoudda, xénophobe jusqu'aux dents, odieux à ses compatriotes eux-mêmes, transformé en honnête ouvrier, peinant à l'ouvrage ! Une princesse juive, fanatique jusqu'à la démence et mère de neuf enfants qui ont hérité de son zèle, muée en bonne Vierge et en protectrice des Gaules ! Un prétendant juif à la couronne universelle par la rapine et par le crime, traître à son pays et à ses partisans, puni par la Loi juive et par la loi romaine, comme il l'eût été par les nôtres, déguisé ensuite en artisan, puis promu Créateur du monde et consubstantiel à Dieu ! Tous ses frères, costumés en pêcheurs de Capharnaüm, et d'un bond déclarés demi-dieux nonobstant la trace sanglante de leurs assassinats ! Un Shehimon adoré sous le nom de Pierre ! Un prince hérodien, qui eut au moins le mérite d'être leur ennemi, Saül, camouflé en tisserand par les Écritures et vénéré de la moitié du monde sous le nom de Paul comme apôtre de la résurrection de Jésus !

Mais ne nous emportons pas et ayons la force de rire, puisque c'est le propre de l'homme.

 

IV. — NÉ À L'ÂGE DE VINGT ET UN ANS !

 

Si l'enfant né dans l'Apocalypse, dans Mathieu et dans Luc au jubilé de 739 était le même que celui-ci, il résulterait invinciblement de cette identité que Jésus a vu le jour à l'âge de vingt et un ans ! Et c'est là sans nul doute le plus grand de ses miracles. En effet, il naît ici au temps du tribut imposé par Auguste à la Judée et Samarie. Or le Recensement eut lieu à la fin de la dixième et dernière année d'Archélaüs, après la déposition de ce prince et son départ pour l'exil en Gaule, c'est-à-dire dix ans pleins après la mort d'Hérode. Auguste avait d'abord envoyé Quirinius pour recenser la Syrie, et Coponius avec de la cavalerie pour gouverner la Judée ; mais la réunion des États d'Archélaüs à la Syrie ayant été décidée dans l'intervalle, ce fut Quirinius et non Coponius qui fit les opérations du recensement. Pour donner à Quirinius une preuve d'obéissance, le Temple essaya de persuader aux Juifs qu'il fallait se soumettre au tribut. D'où la révolte religieuse et politique de Jehoudda en 761 : événement beaucoup plus considérable à tous les points de vue que la guerre de Varus en 750 et sur lequel, ô miracle ! il n'y a presque plus rien dans Josèphe. Ce Recensement ne peut avoir été tenté avant que la déposition d'Archélaüs et le rattachement de la Judée à la Syrie ne fussent des faits accomplis. C'est un nouveau régime administratif qui commence, résultant de ces deux mesures ; il crée entre l'Empire et les deux districts recensés le lien fiscal que Jehoudda s'efforça de rompre. Pour parler le langage de l'Apocalypse, il impose à Jérusalem l'image de la Bête et la monnaie de Rome dans toutes les transactions commerciales.

Dans l'Évangile de l'Enfance, qui dérive de celui-ci, Jésus naît au Recensement, lequel a lieu en 369 de l'ère d'Alexandre. Il est clair que les scribes ne font point partir cette ère de la mort d'Alexandre, sans quoi Jésus verrait le jour sous Claude, mais de sa naissance, ce qui placé la Recensement environ l'an 11 après la mort d'Hérode.

Aucun doute sur la date, Josèphe est formel. Ce recensement, dit-il[11], eut lieu trente-sept ans après la bataille d'Actium.

La bataille d'Actium étant de 723, le recensement se trouve ainsi fixé à 760, dix ans après la mort d'Hérode. Nous avons une autre preuve que Josèphe comptait bien dix ans entre la mort d'Hérode et le Recensement : il dit que Philippe, tétrarque de Bathanée, est mort l'an vingtième de Tibère (787 de Rome), après avoir joui trente-sept ans de son gouvernement. Entre ces deux textes et celui où Josèphe dit que le recensement eut lieu après la dixième et dernière année d'Archélaüs, lequel a joui de sa tétrarchie dans les mêmes conditions que Philippe, c'est-à-dire à partir de 750, il y a concordance parfaite, et n'ayant pu les falsifier à temps l'Église est obligée de les respecter ; elle convient que le Recensement est de 760. Jésus est donc bien né à l'âge de vingt et un ans, puisque dans l'Apocalypse, dans Mathieu et dans Luc, il est déjà né une première fois sous Hérode, au mois de décembre 739. Cela ne peut étonner que les physiologistes. Mais pour nous qui subordonnons la création à Dieu, c'est-à-dire le créé au Créateur, nous ne trouvons pas excessif que Jésus soit né une première fois en 739 sous Hérode, une seconde fois en 760 sous Quirinius ; il suffit que Dieu l'ait voulu ainsi. Ayant permis que la mère de neuf enfants fût vierge, il a pu permettre qu'elle accouchât deux fois du même enfant, car dans l'esprit de l'auteur de cette Nativité il s'agit bien du même enfant, mais renouvelé par l'Esprit. Il y a novation selon la formule donnée par Jésus à Nicodème : Si quelqu'un ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu. Nicodème lui dit : Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? Peut-il rentrer dans le sein de  sa mère et naître de nouveau ?[12] Oui, Nicodème, et toi, très excellent Théophile, il le peut, si l'Église le décide.

 

Aussi les habitants de Betléhem n'éprouvèrent-ils pas la moindre surprise lorsqu'ils virent Salomé, sous le pseudonyme abdominal de Marie, refaire en 750, teste Ecclesiâ, l'enfant qu'elle avait fait en 739, testibus Mathæo et Lucâ. Sans doute, ce n'est plus comme sous Hérode, teste Mathæo, le train mirobolant des Mages s'avançant dans l'air saturé de tous les parfums d'Arabie, avec leur précieux chargement d'or ; ce n'est plus, comme sous Hérode encore, teste Lucâ, l'enthousiasme incoercible du Semeion et d'Anna, au milieu du sanctuaire, en face des douze pains de proposition et du chandelier à sept branches ; c'est le modeste piétinement dans la nuit étoilée de quelques bergers sentant la laine humide.

Mais les figurants sont de bien peu d'importance dans un phénomène de ce genre. Tout l'effet est dans ce Joseph qui voit renaître son premier-né vingt et un ans après sa première naissance, et dans cette Marie que tout Betléhem a vue en 739 enceinte de cinq mois avant que Joseph ne la prit pour femme. Exégètes, que votre méditation s'arrête sur ce Joseph qui, vingt et un ans après l'accouchement de sa femme, la mène recenser enceinte du même enfant, et sur le fonctionnaire romain chargé d'enregistrer à la requête du mari cet enfant de vingt et un ans né d'une femme vierge et d'un père inconnu ! Oui, pensez à cela, je vous prie, incomparables savants de Gœttingue et d'Iéna, impeccables professeurs d'interprétation d'Oxford et de Cambrigde. Et vous aussi, docteurs miraculeux qui réchauffez de vos communications décisives le sein des Académies, vous qui, du haut des chaires, répandez sur la France attentive l'enseignement de l'histoire religieuse selon la méthode scientifique ! Penchez-vous sur ce problème d'état-civil. Et si cela vous ennuie de vous en expliquer publiquement, à cause des ménagements qu'exige votre amour-propre, faites-moi savoir sans bruit, sans éclat, par le sous-secrétaire d'État aux Postes et Télégraphes, comment vous conciliez toutes ces choses. Allons, Alma Mater, n'hésitez pas ! Puisqu'il s'agit de Nativité, je suis résolu à me contenter d'une de ces explications comme les nourrices en donnent à un enfant. Vous n'objectez vos occupations ? Ah ! je comprends. Si vous étudiez vos sujets avec autant de conscience que celui-là, vous devez avoir peu de temps à vous.

 

V. — APOSTASIE GÉNÉRALE.

 

Toute la religion catholique est née de cette fraude indécente et folle, mais qui marque la rupture complète deo jehouddolâtres de Home avec ceux de Judée.

C'est uniquement à cause de leur attachement à la Loi littérale que les christiens de Judée, Naziréens, Ebionites et Jesséens, avaient déifié Jehoudda, Salomé et leur descendance.

Ici Jehoudda renie l'homme juste qu'il mit dans les premières Nativités sous ses deux noms de Zachûri et de Joseph.

Salomé renie la femme juste qu'elle est sous ses deux noms d'Eloï-Schabed et de Maria Magdaléenne, et ce reniement entraîne sa renonciation à ce magnifique surnom de Magdaléenne par où on l'égalait à la sœur de Moïse et d'Aaron.

Le nouveau-né renie l'homme juste qu'il était sous ses deux noms de Joannès et du Nazir-jésus.

Il renie en même temps toute sa famille, son 'père, sa mère, ses frères et sœurs, ses beaux-frères et belles-sœurs, ses neveux et petits-neveux, ses nièces et petites-nièces.

Le premier acte de Joseph, c'est de manquer outrageusement à la Loi et d'y faire manquer l'enfant que sa femme porte dans son sein, en se faisant inscrire, lui ! sur les registres du cens romain.

Mais à cette apostasie générale contre laquelle Jehoudda et Salomé se dressent, le poing tendu, hors de leur tombeau, l'Église gagne ceci qui engage tout son avenir :

Maria, par ce seul fait qu'elle n'est plus Magdaléenne et que l'enfant de 760 est son premier-né, cesse d'en avoir eu huit autres : on pourra la déclarer vierge pour avoir été purifiée par la naissance de celui-ci ; qui est le premier et le dernier, l'Alpha et l'Oméga de l'Apocalypse ; car il est clair que Jehoudda étant mort au Recensement, sa veuve n'en a pas eu d'autres après 760, puisqu'il est de notoriété publique que la grande Veuve de Kapharnahum ne s'est point remariée :

Du même coup on lui enlève non seulement son premier-né de 739, qui maintenant la déshonore, mais ses six autres fils : Shehimon dit la Pierre, Jacob senior dit Oblias ou Force du peuple, Jacob junior dit Andreas, Jehoudda junior dit Toâmin, Philippe et Ménahem, et ses filles, Salomé, en Evangile Maria, femme de Cléopas, et Thamar en Évangile Marthe, femme d'Eléazar.

L'Église fait une opération magnifique ! Car où est l'audacieux qui osera contester que Maria ait conçu sans macule ? Qui niera que l'enfant né d'elle dans ces conditions soit de Dieu ? C'est l'Église qui l'a fait !

 

Désormais le très excellent Théophile est armé contre un retour de la vérité. La face de l'Évangile change radicalement, Des hauteurs de l'ancienne Christophanie Jésus descend pour entrer dans les réalités de la chair. Les évangélistes sont des témoins ; Mathieu a vu, Marc et Luc ont entendu. Le Joannès n'est plus le Précurseur du Christ-Verbe, il est le Précurseur de Jésus de Nazareth. Ses frères ne sont plus les ministres du Verbe céleste, comme le dit d'eux pour la dernière fois le scribe qui a travaillé pour le très excellent Théophile, ils sont les apôtres de Jésus-homme. C'est Jésus qui les a élus, instruits, entraînés, c'est lui qui a été condamné, qui s'est sacrifié pour eux et pour le monde. La mère de sept fils et de deux sœurs est vierge, l'homme condamné pour ses impostures et ses crimes était le Fils de Dieu, les Juifs sont des déicides. Que l'humanité pieuse tombe à genoux devant l'enfant de l'EgliSe ! En attendant qu'on vous immole par milliers à Bar-Jehoudda purifié par elle, fermez la bouche, hérétiques et philosophes ! Vous n'entendez rien à ce qui est de Dieu !

Jésus, dites-vous, est le même que Bar-Jehoudda ? Nullement, car Jésus est né vingt-deux ans après lui. Son père était Jehoudda le Gaulonite, mort au Recensement de 761 ? Nullement, car son père est Joseph, un partisan convaincu de l'impôt impérial à ce point que, propriétaire en Judée, il va au-devant des Romains jusqu'à Betléhem pour se faire inscrire sur les registres de Quirinius. Vous voyez que si le mot Recensement est parfois prononcé à propos de Jésus, c'est dans le sens de l'obédience, car pour appartenir à la race d'Aaron et de David, Joseph et Marie n'en étaient pas moins des sujets d'un loyalisme inattaquable.

On a mêlé Jésus à une affaire de tribut refusé qui ressemble un peu à celles de Jehoudda et de Bar-Jehoudda, et même il y en a quelque trace dans Luc, mais c'est une pure calomnie des Juifs, comme le montre sa réponse : Rendez à César ce qui est à César relatée dans nos Évangiles avec la fidélité qu'on doit à la parole divine. Tout autre fut Jésus. Le lieu de sa naissance, sa personne, ses biens, le nom de sa mère et, ô merveille de précision administrative ! le nom du fiancé de sa mère, sont consignés tout au long dans les registres officiels qui ont été faits selon l'usage en triple expédition. Jésus est allé au-devant du tribut avec une spontanéité qui manque à bien des ouailles, car il en a reconnu la nécessité dès le ventre. Jamais on n'a vu en Judée de contribuable aussi congénital. Avec des dispositions pareilles, comment voulez-vous que ce soit là le prétendant qui a ordonné de refuser le tribut sous Pilatus ? Jésus n'a jamais prétendu qu'à convaincre les Juifs de déicide et les païens d'athéisme.

Quel malheur que les Registres de Quirinius n'existent plus ! C'est là que vous trouveriez la déclaration de naissance de Jésus. Mais que voulez-vous ? Ce sont ces affreux sicaires, les fils de Jehoudda précisément, qui ont tout brûlé. Ah ! vous avez bien raison de les vouer à l'exécration de la postérité, notamment ce Bar-Jehoudda ! Nous ne les exécrons pas moins que vous ! Des monstres qui ont détruit l'acte de naissance du Juif consubstantiel au Père !

En tout cas, vous avez assez de bon sens pour voir que Jésus ne peut avoir été initié à la magie et à l'exorcisme en Égypte, comme on le reproche à l'imposteur condamné par le sanhédrin ; il n'était pas encore né lorsque le héros de Mathieu revint d'Égypte au commencement du règne d'Archélaüs. Ce sont là de sottes calomnies par où les Juifs essaient de ravaler la vertu de l'homme divin qu'ils ont fait périr ; et la fuite en Égypte, accueillie par le candide Mathieu, semble une poétique allégorie plutôt qu'une page d'histoire.

En même temps on répondait à ceux qui démontraient par la vieille histoire de la colombe l'inexistence 'charnelle de Jésus. Vous dites que Jésus n'a paru sur terre qu'au moment où il est descendu sur le Joannès sous les espèces de la colombe, et vous ajoutez que dans le récit primitif il est remonté au ciel immédiatement après ? Comment pouvez-vous soutenir des choses pareilles, alors que voici un récit dans lequel il est né à une date qu'on vous donne, enregistré par les Romains, circoncis par ses parents le huitième jour, et présenté au Temple le quarantième ? Il faut vraiment que vous soyez possédé du démon ou que vous ayez quelque honteux intérêt dans la vérité !

 

On pourrait croire que, devant cette argumentation inspirée, par l'Esprit le plus saint, les suppôts de l'athéisme renoncèrent à leurs calomnies. Ce serait mal connaître l'opiniâtreté de cette sorte de gens. Ils objectèrent que, tant sous son nom de circoncision que sous ses pseudonymes de Zachûri ou de Zibdeos, Joseph avait été tué dans le Temple en 761 pour s'être révolté contre le Recensement et qu'il n'était pas précisément parti de Gamala pour faire inscrire son fils, alors âgé de vingt et un ans, sur les registres de Quirinius. L'Église répondit à cette objection comme elle avait répondu aux précédentes, par un nouveau mensonge et non moins qualifié. Dans l'épisode du Voyage de Jérusalem, nous voyons Joseph, mort depuis douze ans, accompagner sa femme... et Jésus à la Pâque de 772 !

Le plus grand acte de la vie religieuse des Juifs après la circoncision, c'était le Voyage de Jérusalem quand on avait atteint l'âge de douze ans. Après avoir circoncis Jésus, et en attendant qu'ils le fissent baptiser par le Joannès, — car ils étaient allés jusque-là depuis longtemps — les scribes nous le représentent accomplissant ce voyage rituel par où chaque Juif prenait conscience de sa race et de sa nationalité. Cela donnait un air de confirmation à la Nativité. Vous voyez, disait l'Église, qu'il a bien existé en chair, et qu'aucune des épreuves de la vie juive ne lui a été épargnée. Vous voyez aussi que Joseph ne saurait être le pseudonyme de Jehoudda le Gaulonite, puisque celui-ci a été tué en 761 et que Joseph assiste à un événement qui ne peut être antérieur à 772.

Enfin vous voyez que le mouvement juif de 772 à Rome ne saurait être en aucune façon l'écho des doctrines de celui qui fut, le père du christ, puisqu'ici il incline la loi juive devant la loi romaine dès 761, et qu'en cette même année 772, marquée par la transportation des premiers christiens en Sardaigne[13], nous le trouvons à Jérusalem où il est sans doute allé faire acte de foi et hommage à Valerius Gratus, prédécesseur de Pontius Pilatus à la procurature de Judée. Car depuis qu'il avait eu le bonheur de connaître Quirinius et Coponius au Recensement, il ne pouvait plus quitter les fonctionnaires romains. Une force invincible le ramenait vers eux à chaque Pâque, il guettait toutes les occasions de les voir de près et au besoin il les faisait naître !

 

Mais qu'importe à l'Église que tout ce monde apostasie ? La voilà libérée enfin du Jésus primitif, de celui qui, né en 739, s'agitait, écumait, vociférant dans les synagogues : Point de Maître en dehors du Dieu des Juifs ! Point de rois en dehors d'Israël ! La terre passera plutôt que la Loi ! Je suis la guerre et la division dans le monde jusqu'à ce qu'enfin je règne ! Celui-là au moins était franc. Après lui avoir volé son baptême, l'Église lui fait renier son corps, ses prophéties, sa famille, sa race, sa patrie que d'ailleurs il avait trahie de son vivant ; puis, poussant devant elle cette image encore plus hideuse que l'ancienne, elle dit ingénument : L'enfant de 739, je l'ai décapité, il était trop vilain ! Sur son corps j'ai vissé la tête de l'enfant de 760. Voyez comme ils sont beaux les monstres que je fais ! Ecce deus, voilà mon dieu !

 

VI. — DU MÉPRIS QUE l'ÉGLISE PROFESSE POUR L'ÉCRITURE SAINTE.

 

La Nativité de 760 a certainement été faite par des gens contre qui on avait prouvé que Jésus n'avait pas été crucifié en 782 sous le consulat des deux Geminus, mais qu'il était identique à Bar-Jehoudda crucifié la veille de la Pâque de 789. Il y a donc eu un moment pendant lequel l'Eglise s'est vue forcée de sacrifier cette imposture chronologique, quitte à y revenir quand le Saint-Esprit le commanderait. En effet, si pour les gens qui ont fabriqué la Nativité de 760 la crucifixion avait continué à être de 782, Jésus mourait dans des conditions qui mettaient en question son existence même.

Né en décembre 760, Jésus n'a que vingt et un ans et trois mois lorsqu'il meurt sous les Geminus, puisque dans le système de l'Église primitive nous sommes à la Pâque de 782, trois mois après l'entrée en fonctions des deux consuls. Or, Luc n'a jamais prétendu dire qu'il fût mort en 782, puisqu'il le fait débuter à trente ans, ni qu'il eût débuté à trente ans, puisque s'il eût débuté à cet âge, 790, il serait mort en 801 au plus tôt, d'après le compte du Quatrième Évangile, qui lui donne onze ans de vie publique. Il aurait été crucifié sous Claude, onze ans après la mort de Tibère et le départ de Pilatus.

Nous sommes donc en pleine impossibilité. Jésus existe si peu, il est si peu né en 760, si peu mort à la Pâque de 782, que nous avons vu le Joannès inaugurer sa mission à la Pâque de 784 par le sac des boutiques du Temple, prêcher la Grande Année pendant tout 788 et mourir, non point décollé par Hérode Antipas, mais crucifié par Pontius Pilatus la veille de la Pâque du 789 !

Oui, toute la manifestation prophétique de Bar-Jehoudda, celui dont les scribes juifs ont fait progressivement Joannès, puis Jésus, et l'Église Jésus-Christ, fils de Dieu et créateur du monde, toute la carrière de ce charlatan confit en brigandages, toute cette mission céleste dont la pauvre cervelle humaine est encore malade, tout cela se passe sept ans après la prétendue Passion du prétendu Jésus de Nazareth !

Tous les faux de l'Église résultant d'un calcul fait sous le coup de la nécessité, voici à quoi elle a cru répondre lorsqu'elle a mis en circulation la date de 760 :

Jésus ne saurait avoir eu cinquante ans à sa mort, cette mort fût-elle de 739, comme celle de Bar-Jehoudda, puisqu'il est né en 760. A peine avait-il trente ans lors de sa crucifixion, et celui que nous appelons Joannès l'annonçait au peuple depuis la quinzième année de Tibère, soit 781. C'est Joannès qui avait cinquante ans à sa mort, et non Jésus. Jésus encore une fois n'en avait guère que trente, ayant été crucifié à la Pâque qui a suivi ses débuts. Vous voyez donc bien qu'il n'y a pas d'identité entre Joannès et Jésus, puisque l'un est né sous Hérode avant 750, et l'autre sous Quirinius en 760, comme le prouve la coïncidence frappante qui lui tient lieu d'état civil. Foin des vieux évangélistes qui ont fait naître le Joannès-jésus sous Hérode et qui nous l'ont montra fuyant en Egypte pour échapper à la mort ! Jésus est un personnage interplanétaire qui n'a jamais eu rien à craindre des Hérodiens et dont le père ne s'est jamais révolté contre les publicains d'Auguste.

 

Par la fabrication de cette Nativité, où elle enferme un faux acte d'état civil, l'Église nous montre le cas qu'il faut faire des Écritures dites sacrées. En décidant qu'on devait immoler les trois Nativités de 730 (Apocalypse, Mathieu et Luc) elle nous dicte notre conduite envers elle.

Trois témoignages dits sacrés se dressent par avance contre la date de 760 qu'elle a imaginée pour la Naissance de Jésus. En voici un quatrième, moins révélé sans doute que les trois premiers, mais respectable encore par son ancienneté : c'est celui de l'Église d'Éthiopie.

En adoptant 746 comme point de départ de l'ère de l'Incarnation, elle suit les indications des trois Nativités primitives ; si elle les a mal interprétées, du moins n'a-t-elle pas fait œuvre de faux. L'Église éthiopienne est la plus ancienne de toutes, et la plus stricte observatrice des premières indications évangéliques. C'est même la seule Église qu'on puisse écouter jusqu'à un certain point, car à supposer une valeur aux Actes des apôtres, elle passe pour avoir reçu de l'eunuque de la reine d'Ethiopie, baptisé par Philippe, la date officielle de la Nativité[14].

Mais le mépris dans lequel l'Eglise tient les Évangiles qui la gênent s'étend par cette raison même à la date éthiopienne. Philippe, qui dans les Actes baptise l'eunuque de la reine Candace sur la route de Gaza, était quelques jours auparavant avec Mathieu, ou ces Actes ne sont qu'un tissu d'impostures. Il savait donc par Mathieu que le Rabbi était né sous Hérode à une date antérieure à 750, et non pendant le recensement de 760. Certes, la date éthiopienne est arbitraire ; elle ne provient ni de Philippe ni de l'eunuque de la reine Candace, mais de Mathieu d'après lequel l'Église d'Éthiopie a fait son compte approximativement, sans se douter que la date exacte était dans l'indication jubilaire de l'année de deux ans[15]. Si elle provenait de Philippe, c'est celle de 739 qui eût été transmise, date de la naissance du Joannès, inventeur du baptême qu'administra Philippe et héros des écrits qu'a laissés Mathias.

Les Ethiopiens ont bien vu que Bar-Jehoudda était né dans une année sabbatique en deçà de la mort d'Hérode, et c'est pourquoi ils ont adopté 746, mais ils n'ont pas vu que cette année sabbatique était en même temps jubilaire. Ils ont lu dans Mathieu et dans Luc que le jésus est né aux jours d'Hérode, mais Hérode ayant régné trente-sept ans, l'Église d'Ethiopie a dû se livrer à un calcul de probabilités pour arrêter la date de 746. Son point de départ, ç'a été le départ même des Mages pour Jérusalem, voyage qui exigeait quatre mois, et ce chiffre de deux ans qui semble au premier abord être une indication d'âge. Faisant masse de tous les épisodes antérieurs à la fuite en Égypte — naissance de l'enfant, marche des Mages dans le désert, audience d'Hérode, consultation des prêtres dans le Temple, visite à Betléhem, massacre des Innocents — elle a donné trois ans au jésus lorsqu'il part de Betléhem. Au bout d'une période qu'elle fait d'un an, — il faut bien donner à Joseph le temps d'aller, d'apprendre la nouvelle de la mort d'Hérode, et de revenir, — l'enfant a quatre ans bien sonnés lorsqu'on rentre en Judée.

Telle est la supputation des Éthiopiens : erreur pardonnable, non tromperie.

Dans la Nativité selon Rome, point d'erreur, honteuse fourberie. Toutefois l'Église s'est trouvée liée par le fait sabbatique de la naissance de Bar-Jehoudda : 760 est sabbatique.

 

VII. — FAUX PAR SUBSTITUTION DE DATE ET DE CIRCONSTANCE LA PRÉTENDUE ÈRE CHRÉTIENNE.

 

Celui qui avait forgé la Nativité de Jésus au Recensement était allé au plus pressé, il n'avait eu qu'un but et il l'avait atteint : soustraire le père et le fils au soupçon qui posait sur eux d'être ceux qui en 760 et en 788 avaient précité le refus du tribut. Mais cet expédient créait à l'Église un nouvel embarras. Si, comme elle le disait, Jésus était mort à la Pâque de 782, il n'avait donc que vingt et un ans lors de ce fâcheux événement ? Joannès lui ayant certainement survécu, il était absurde de supposer qu'il se fût rallié à Jésus avant de mourir, et même en ce cas où et comment était-il mort ?

Ou avait répondu à cette dernière question par la décapitation de Joannès ; restait la première. Si Jésus était mort à vingt et un ans, après une seule saison de miracles, quoi d'étonnant à ce que les Juifs se fussent montrés insensibles aux marques d'une divinité si éphémère ?

Le Saint-Esprit veillait qui a réponse à tout.

On avait forgé la Nativité de 760 pour le cas où on en serait réduit à avouer 788 comme date de la décapitation de Joannès ; mais maintenant qu'on avait triomphé de l'histoire et que la vérité avait perdu tout espoir, on pouvait revenir au dispositif de la primitive Église qui faisait mourir Jésus en 782, cette date semblant prévaloir. Dans ce vieux dispositif Joannès survivait à Jésus ; mais comme on avait rectifié cette situation en le décapitant avant la Passion, il convenait d'avancer la Nativité de 760 d'un nombre d'années suffisant pour que Jésus pût avoir à sa mort les trente ans qu'on lui avait donnés dans Luc. Sinon, continuant à mourir en 782, il précédait Joannès dans la tombe ; l'Annoncé s'en allait à l'âge de vingt et un ans, sept ans avant son Annonciateur !

Ainsi la cause de tout ce remue-ménage, c'est cet âge de trente ans que Luc donnait à Bar-Jehoudda lors de ses débuts, car si cette indication était dans le proto-Luc, — rien d'impossible à cela — ce n'est pas à Jésus, simple mythe, mais au Joannès qu'elle s'appliquait. Il était interdit aux jeunes Juifs de lire la Genèse avant trente ans et, toute l'idée christienne dérivant de la Genèse, Joannès n'avait pu prêcher de son crû avant l'âge requis : dans la secte de Jehoudda on poussait l'observation des Écritures jusqu'à l'ébionisme[16]. Luc a raison : Joannès avait environ trente ans lorsqu'il exploita les tremblements de terre de 772. Ainsi l'avaient entendu les initiés de la première heure. Le chiffre était là, on l'avait laissé, l'église le fit servir.

Étant donné que dans le plan des Synoptisés, Jésus meurt à la première Pâque, au lieu de la onzième, comme dans le Quatrième Evangile, il lui fallait le temps de se faire baptiser par Joannès, de recruter les douze apôtres et de monter à Jérusalem pour y être crucifié, car depuis qu'il avait un corps et qu'il célébrait la Pâque, c'est lui qui était crucifié et non son prophète. Un an de vie publique assaisonnée de prodiges sans précédent et inhérents à sa personne, c'était plus qu'il n'en fallait pour pouvoir reprocher aux Juifs leur aveuglement et leur prédestination déicides.

La victime de cet arrangement fut Joannès. Maintenant qu'il mourait avant Jésus, il lui était interdit de ressusciter, sans quoi c'est lui qui serait ressuscité le premier, et alors on retombait dans ce qu'on avait précisément voulu éviter par sa décapitation : la Résurrection et l'Assomption du Joannés, première forme des Évangiles.

L'obligation de tuer Joannès d'une façon qui ne lui permit pas de ressusciter, — c'est pourquoi on lui coupa le col, — entraînait celle de le tuer à une date qui permit à Jésus de lui survivre. Mais au point où il en était, tout lui était devenu indifférent en dehors de la gloire de l'Église. Les Juifs l'avaient crucifié par Pilatus, l'Église l'avait décapité par Antipas, au moins lui semblait-il qu'ils fussent quittes. D'autres Juifs étant venus qui avaient distribué ses ossements à des animaux probablement impurs, il ne lui restait qu'une consolation, — mais combien agréable pour un Zélateur de la Loi ! — celle de voir à quel point les goym étaient exploités par son intermédiaire.

 

Le Saint-Esprit n'avait donc pas mal opéré. Toutefois la Nativité de 760 péchait encore en un point qui était de sa compétence : il y était question d'un recensement, celui de Quirinius. Or ce mot seul, c'était le mot révolte incrusté dans le berceau de Jésus et éveillant encore une idée pour laquelle le père et le fils avaient péri. Luc lui-même faisait figurer le refus du tribut dans les motifs de condamnation précisés contre le roi-christ. Et au sixième siècle, malgré tout le sang que l'Église avait versé pour détruire l'hérésie, il y avait encore des hommes qui, sans haine, par respect de la tradition, qualifiaient d'imposteur et de scélérat le Juif consubstantiel au Père. Puisque par inadvertance on avait laissé le mot Recensement dans Josèphe et dans la Nativité de 760, quoi d'offensant pour Dieu à ce qu'il y eût eu avant le Recensement une opération qui aurait servi à préparer cette mesure, — un dénombrement, par exemple, qui n'aurait pas eu en soi le caractère fiscal, et pendant lequel Jésus serait né ?

Le Recensement avait eu lieu dans une année sabbatique, mais 753 était sabbatique également. S'il y avait eu un dénombrement en 753 ? Puisque 760 était compromettant pour Jésus et qu'à aucun prix on ne voulait de la date à laquelle était né Bar-Jehoudda, le Saint-Esprit, revenant sur les premières dispositions de l'Église, ne pouvait-il décréter que Jésus fût né en 753 au milieu d'une opération qui ne serait plus un recensement ? La question n'a été posée que par des gens décidés à la résoudre en imposant au vil troupeau des hommes la fourberie du dénombrement substitué au recensement et de 753 substitué à 760.

Par la même raison qui avait conduit Marin à accoucher doux fois du même enfant tout on demeurant vierge, on déclara qu'il y avait eu deux opérations administratives on Judée sous Quirinius, la première en 753, et la seconde à une date qui pouvait âtre 760, s'il plaisait aux historiens, mais qui n'avait aucune importance, puisqu'elle était gênante pour l'Église.

Au lieu du recensement spécial à la Syrie et à la Judée, il est question maintenant d'un dénombrement qui aurait été fait dans tout l'Empire.

Un dénombrement universel eût mis tout l'Empire en émoi, et l'édit d'Auguste eût été le plus grand acte de son administration : aucun historien n'en souffle mot. Le mémoire que fit Auguste et dont parle Tacite est un bilan dressé par l'Empereur pour lui-même et non un édit à publier dans toutes les provinces. Au contraire l'édit qu'afficha Quirinius ne concernait que la Syrie, avec la Judée et Samarie qui n'avaient pas encore été soumises au tribut, et Auguste se souciait fort peu de savoir combien il y avait d'habitants dans ces contrées.

Il ne s'agissait pas, comme le dit l'Église, de dénombrer la population de l'Empire ; il ne s'agissait même pas de dénombrer celle de la Judée. On n'en voulait point aux personnes, mais à leurs revenus. Ce qu'a poursuivi Quirinius, c'était le recensement de tous les biens des particuliers, l'établissement du cens dans le gouvernement dont on venait de priver Archélaüs. Il est vrai qu'avant de faire le recensement de la Judée, Auguste avait ordonné un relevé cadastral de l'Empire ; mais, ce fut en l'an de Rome 735, soit vingt-cinq ans avant Quirinius.

 

L'Église n'a eu on vue aucune de ces opérations. Elle a fabriqué son faux de sa pleine science et autorité, sans le moindre scrupule d'histoire ou de chronologie. Car il ne faut pus croire qu'elle ait agi à l'étourdie, comme si elle ne connaissait pas les trois textes du canon qui fixent la véritable date de la naissance de Bar-Jehoudda à 739, et les trois textes de Josèphe qui fixent la date du Recensement à 760. C'est parce qu'elle les connaît les uns et les autres qu'elle n'en veut pas. Mais on postdatant la naissance de Bar-Jehoudda de quatorze ans et on avançant de sept ans le Recensement, elle obtient une chronologie artificielle à l'usage du personnage créé, lequel ne peut plus être Bar-Jehoudda puisqu'il naît quatorze ans après celui-ci, mais peut encore être le Jésus de 760, puisque celui-ci naît au milieu d'une opération qui pour avoir eu lieu sous Quirinius n'en est pas moins distincte du Recensement de 760. C'est une opération dont les historiens n'ont pas parlé, mais c'est le propre du Saint-Esprit d'en faire de cette sorte, et il en résulte que si le Recensement est une chose et de 760, le dénombrement en est une autre et qui s'est passée non après la dixième année d'Archélaüs, comme le dit Josèphe, mais en la quatrième, comme le décide l'Église, organe habituel du Saint-Esprit.

L'Église fait endosser ce faux par celui qui l'a signé, un moine scythe, nommé Denys qualifié de Petit, quoique ce soit un grand homme. Ce Denys passe aujourd'hui pour l'inventeur de l'ère chrétienne, mais c'est un titre usurpé. L'invention est d'une coopérative. Elle est trop belle pour n'être pas d'un collège sacré.

Nous avons l'aveu sinon du faussaire, du moins de ceux qui jouissent actuellement de son faux.

L'Eglise moderne ne nie plus que sa devancière n'ait trompé le monde. Elle se borne à expliquer par une erreur de calcul[17] ce qui s'explique beaucoup plus naturellement par l'usage habituel du faux. Denys ne s'est trompé que par ordre.

 

Pour rentrer dans le système de Denys, les théologiens ont proposé une traduction du texte évangélique par laquelle ils croient tout arranger. Ils ont demandé qu'on lût : Ce dénombrement se fit premier que (avant que) Quirinius fût gouverneur du Syrie. Mais cela n'arrange rien, au contraire. Car en admettant qu'il y ait eu dénombrement en 753, c'est bien sous Quirinius, par conséquent en 760, que le Recensement se fait et que Marie accouche de Jésus dans Betléhem, où elle Vient pour se faire recenser.

 

VIII. — FAUX CONSÉCUTIFS À LA PSEUDO-NATIVITÉ DE JÉSUS.

 

L'interprétation toute gratuite de ces théologiens n'est qu'un écho lointain du système qui a conduit l'Église à imposer 753 comme date de la psendo-Nativité du pseudo-Jésus.

La substitution du dénombrement au recensement dans Luc est donc un travail du sixième siècle. On a tout au moins la preuve qu'elle n'existait pas au temps du Tertullien, qui meurt vers 240 de l'Erreur christienne. C'est d'un recensement qu'il était question dans les Évangiles du troisième siècle, et peut être n'y spécifiait-on pas encore celui de Quirinius, car pour confondre Marcion qui niait comme tout le monde l'existence de Jésus et dénonçait l'origine réelle du juif déifié par les imposteurs, Tertullien affirme qu'on trouve dans les Actes publics la trace d'un recensement opéré sous Auguste en Judée par Sextius Saturninus. Or ce Saturninus fut gouverneur en Syrie de 744 à 748 environ, et l'emploi de son nom par Tertullien montre bien que celui de Quirinius n'était encore mêlé à aucune Nativité de Jésus. Il montre également que personne n'avait encore songé à faire naître Jésus soit en 760, soit en 753, et que les jehouddolâtres de Carthage, dont Tertullien est le porte-voix, avaient adopté la date sabbatique 746. Ce qu'on voit clairement dans cette superposition d'incohérences, c'est que la question du tribut enveloppe toute la famille christienne comme d'une gaine et que tous les fils de Jehoudda, depuis le roi-christ de 788 jusqu'à celui de 819, ont suivi l'exemple donné par leur père au Recensement de 760. La preuve en est dans tous les faux qu'il a fallu entasser pour étouffer l'histoire.

Sachez d'ailleurs que Tertullien, si toutefois il est l'auteur des livres mis sous son nom, a été falsifié en cent endroits, car après lui avoir fait dire qu'il y eut entre 744 et 748, — date de l'Incarnation selon l'Église éthiopienne — un recensement dans lequel le Rabbi aurait pu être compris, on le voit épouser ailleurs[18] le dernier système chronologique de l'Église romaine — 753 pris comme date de la Nativité — trois siècles avant que Rome n'ait pris parti là-dessus, et en un temps où les christiens millénaristes, dont il était, refusaient toute créance à la venue en chair de Jésus.

 

Une autre falsification non moins patente est celle du philosophe Justin, à qui son origine samaritaine a valu toutes sortes de manœuvres interpolatrices. Dans une Apologie que l'Eglise donne comme étant de lui et adressée à l'empereur Antonin, on peut lire aujourd'hui cette impudente énormité : Jésus-Christ est né à Betléhem. Vous pouvez vous en assurer en consultant le Recensement de Quirinius, votre premier gouverneur en Judée. Il semble bien que Justin ait écrit à Antonin en faveur des chrestiens gnostiques, mais ce fut certainement pour protester qu'ils n'avaient rien de commun avec Jehoudda et ses fils, tenus en tous lieux honnêtes, particulièrement en Samarie, pour des imposteurs et des scélérats. Justin, à lui supposer l'invraisemblable audace de s'être solidarisé avec eux dans une Apologie, n'a pas pu faire usage d'une Nativité que l'Eglise n'avait pas encore fabriquée et qui est celle d'un personnage imaginaire. S'il avait évoqué comme un grand événement la naissance de Bar-Jehoudda, il l'eût infailliblement datée du règne d'Hérode et de l'animée jubilaire 739, comme l'indiquent clairement les Évangiles millénaristes, les seuls qui pussent exister en son temps, les seuls que quatre-vingts ans après lui Tertullien ait opposés à Marcion[19]. Cette falsification de Justin n'en comporte pas moins une intéressante leçon : elle prouve que ni Josèphe ni Tacite ne contenaient encore les quinze ou vingt lignes au total dans lesquelles l'Eglise affirma, par l'organe de ces deux graves historiens, l'existence réelle de Jésus. Si Josèphe et Tacite eussent parlé de Jésus au premier siècle, l'Eglise n'aurait pas été forcée de lui fabriquer une Nativité qui date au plus tôt du quatrième, puisque personne parmi les gnostiques du second et parmi les millénaristes du troisième jusqu'à Tertullien n'en a eu la moindre connaissance.

Il s'est donc écoulé une première période pendant laquelle le jésus naissait au jubilé de 739-740, selon le calcul des Mages dans Mathieu et celui du Semeion et d'Anne dans Luc ; une seconde période pendant laquelle la clef de ce calcul s'étant perdue, on l'a fait naître approximativement en 746, quatre ans avant la mort d'Hérode. Cette date de 746 a été la date extrême, jusqu'au jour où l'Eglise s'est avisée de donner à Jésus un corps autre que celui de Bar-Jehoudda qu'il empruntait dans la christophanie. La Nativité de Jésus en 760 est une fourberie tellement insoutenable que ses artisans eux-mêmes n'ont jamais pu l'imposer. Il leur a fallu changer de mensonge plus souvent qu'ils ne changeaient de chemise.

 

Innombrables sont les faux qui sont venus se grouper autour du ces deux fausses dates 753 (Naissance) et 782 (Passion). Notons celui qu'on a glissé dans Clément d'Alexandrie, mort au commencement du troisième siècle : Il s'est écoulé trente ans jusqu'à la Passion, et de la Passion jusqu'à la chute de Jérusalem quarante-deux ans et trois mois[20]. Il n'est pas difficile de voir que c'est Denys le Petit qui tient la plume ici, car on fait naître Jésus en 753, date substituée à celle de 760 indiquée dans Luc, et on le fait mourir en 782, date substituée dans les Actes à celle de 788 indiquée par l'histoire.

 

De la même provenance est cette autre phrase introduite dans le même Clément[21] :

Notre Seigneur est né la vingt-huitième année du règne d'Auguste (753), lorsqu'on a fait le premier recensement ou description de l'Empire. La preuve (attention ! ceci est sublime), c'est qu'il est écrit dans l'Evangile de Luc : Dieu a adressé la parole au Joannès en la quinzième année de Tibère (781), qu'il avait environ trente ans lors de son baptême et qu'il ne devait prêcher en tout qu'un an, comme il résulte encore de Luc. Quinze ans sous Auguste et quinze ans sous Tibère font donc les trente ans qu'il avait à sa mort. Voilà ce qu'est censé débiter Clément d'Alexandrie. On n'a pu obtenir ce texte qu'en suivant strictement l'imposture de l'Eglise de Rome : naissance pendant un premier recensement dont personne n'a jamais entendu parler et qui serait antérieur de sept ans à celui de Quirinius, et Passion en 782, sous le consulat des deux Geminus, cinq ans avant le mariage d'Antipas avec cette Hérodiade qui dans l'Evangile actuel est censée avoir vu la Mode Joannès dans un plat.

Nous avons également la certitude qu'il n'y avait d'Origène aucun Commentaire sur Mathieu[22] dans lequel on pût lire : Il est dit dans les Chroniques d'un certain Phlégon que la destruction de Jérusalem et du Temple advint environ quarante ans après la quinzième année de Tibère. Car cette proposition a la même source que celle du pseudo-Clément d'Alexandrie, et la mention après la quinzième année de Tibère (782) est extraite textuellement de Luc[23], lequel Phlégon n'a pas plus connu qu'il n'a connu Jésus.

 

Voilà bientôt quatorze cents ans que la science danse sa ronde affolée autour de l'invention de Denys.

Pris du vertige ecclésiastique, le mal de Denys, les plus savants commentateurs de l'Écriture, les plus illustres chronologistes ont examiné la question et employé pour la résoudre tout ce que l'histoire et l'astronomie leur fournissaient de lumières. Quelques-uns, tels que Vaillant et Fontana, ont crû trouver une décision plus exacte dans les médailles antiques ; tous, excepté le père Hardouin, conviennent que la naissance du christ ne coïncide point avec l'ère vulgaire. Mais de combien l'a-t-elle précédée ? L'opinion la plus probable est qu'il est né six ans avant l'ère vulgaire, mais il est impossible de le prouver par un calcul qui ne soulève pas de grosses objections. Calvidius et Mœstlin comptent cent trente-deux systèmes et Fabricius à peu près deux cents ![24] Si les plus savants commentateurs et les chronologistes les plus illustres avaient pris la peine de compter sur leurs doigts, au lieu de trouver deux cents systèmes appuyés sur l'histoire, sur l'astronomie et sur la numismatique, ils n'en auraient trouvé qu'un appuyé sur l'arithmétique à l'usage des enfants qui n'ont pas encore de fond de culottes. Il est vrai qu'on faisant appel à des moyens aussi élémentaires ils n'auraient pas étalé leur érudition, ce qui les aurait privés des honneurs académiques ou des places qu'assure la munificence de la nation.

 

IX. — LE FAUX PASSAGE DE JOSÈPHE SUR JÉSUS.

 

De tous les faux dont Josèphe est farci le plus célèbre est le passage destiné à faire croire qu'à côté du traître puni par le Sanhédrin et mis en fuite par Pilatus au Sôrtaba l'historien juif reconnaissait l'existence de Jésus-Christ. Ce passage est placé dans la période de la procurature de Pilatus qui précède le cas de Bar-Jehoudda dont on a enlevé le nom. On peut affirmer avec certitude qu'aucune des falsifications dont Josèphe a été l'objet n'est antérieure au sixième siècle, époque à laquelle Denys le Petit ayant inventé l'ère chrétienne, l'Église de Rome mit les Écritures anciennes, tant profanes que sacrées, en harmonie avec ses honteux mensonges.

L'Anticelse est tout ce que l'Église du quatrième et même du cinquième siècle peut opposer aux écrits de Celse et de Julien dénonçant la fourberie purement humaine de l'Évangile. Eh bien ! l'Anticelse est forcé de convenir qu'il n'y avait pas un mot sur Jésus dans Josèphe et par conséquent dans aucun historien soit juif, soit grec, soit latin. De plus il lui faut confesser — de fort mauvaise grâce évidemment — que, parmi les prophètes qui avaient prédit la chute de Jérusalem, il n'y eut que le Rabbi et ses frères, à qui aucun Jésus de Nazareth ou de Betléhem ne faisait concurrence. Si le passage sur Jésus eût été dans Josèphe lors de la composition de l'Anticelse, l'auteur s'en serait servi contre Celse pour démontrer l'existence de Jésus que tout le monde niait, hormis ceux qui vivaient de lui. Nous ne lirions pas dans Irénée qui est du troisième siècle : Tous les christiens gnostiques sans exception nient la venue en chair de Jésus, si le fameux passage eût été dans Josèphe. Les Bénédictins dans leur édition d'Origène à qui l'Église attribue l'Anticelse — faussement, est-il besoin de le dire ? — reconnaissent qu'avant Eusèbe (et l'Histoire ecclésiastique d'Eusèbe est du quatrième siècle) il n'y avait dans Josèphe aucune mention sur Jésus.

Photius, patriarche de Constantinople et auteur du schisme d'Orient, est formel : Pas un Juif, dit-il, n'a parlé de Jésus, et dans son analyse de Juste de Tibériade, historien juif contemporain de Ménahem, il ajoute : Juste, atteint de la maladie commune aux Juifs, n'a pas fait la moindre mention de Jésus ni de ce qu'il a souffert ni de ce qu'il a fait. Dans son analyse des Antiquités judaïques, il ne souffle mot des trois passages jehouddolâtriques entés par l'Église romaine sur le texte de Josèphe, à savoir la Mission de Jean-Baptiste, le Constat d'existence de Jésus et le Martyre de Jacques, son frère ; et c'est la preuve qu'aucun de ces passages n'existait au neuvième siècle dans les exemplaires qu'il possédait. S'ils y eussent existé, Photius n'aurait pas manqué de s'en servir pour confondre ceux qui niaient que Jésus-Christ fût venu en chair. Comme Photius, Vossius au dix-septième siècle possédait un manuscrit dans lequel il n'a pu trouver un seul mot sur Jésus.

 

Pas un mot non plus dans Philon, mais au contraire parfaite connaissance de l'aventure de Bar-Jehoudda, ne fût-ce que par la parodie dont les alexandrins avaient donné la représentation publique au Gymnase. L'Église moderne insinue que le silence des Juifs fut concerté. Quoi donc ! un concert entre Philon qui n'a connu Josèphe ni comme homme ni comme écrivain, et Juste de Tibériade qui ne connut Josèphe que comme ennemi mortel ? Un pacte entre trois hommes dont le premier mourut quand le second naquit, et dont le troisième eût transpercé le second si la fortune des armes le lui eût livré ? Et ce complot de silence se serait prolongé pendant plusieurs siècles sans qu'un seul Juif, sauf celui de Celse qui d'ailleurs n'a connu que Bar-Jehoudda, eût osé le rompre ? Les Évangiles, à partie le Quatrième, seraient des récits contemporains de Jésus de Nazareth, à une génération près ; un Testament nouveau, sorti de son sein, se serait propagé dans le monde ; un enfant serait né à Dieu sur le sol de la Galilée, et les Juifs auraient attendu quatre cents ans — jusqu'au Talmud — pour répliquer à l'accusation de déicide portée contre eux devant l'humanité tout entière ? Le silence des Juifs n'a rien de concerté, au contraire : il n'est ni dédain ni haine, encore moins dissimulation, il est ignorance. Quand ils sont assignés au procès qu'on leur fait, ils répondent négligemment, sans rien voir de la force de l'adversaire, un frère de la veille dont la mauvaise humeur passera.

Si ni Josèphe ni Juste ne parlaient de Jésus, ils parlaient tous deux de l'homme qui avait mis toute la Judée en émoi par ses impostures, ils donnaient son nom, et ce nom, c'était Bar-Jehoudda. On n'a pas crucifié à Jérusalem un prince du sang de David, et cela le jour de la préparation à la pâque, sans que Josèphe n'ait été forcé de relater ce fait unique dans les annales juives. Et si un tel épisode eût été suivi je ne dis pas de la résurrection et de l'ascension publique du supplicié, mais simplement de son enlèvement du Guol-golta dans les conditions de l'Évangile, ce n'est pas seulement Josèphe, c'est la Judée tout entière qui se fût émue de cette disparition fantastique.

 

Avant d'opérer par interpolations et par falsifications dans Josèphe il a d'abord fallu que l'Église y opérât par ratures et par suppressions. Avant d'introduire ce passage stupéfiant où l'on voit un ancien sacrificateur juif, entré au service de Vespasien, déclarer froidement que l'homme condamné par le sanhédrin pour trahison et crucifié par Pilatus pour révolte à main armée s'appelait Jésus et était le Christ, il avait fallu biffer partout où on le rencontrait le véritable nom de l'imposteur du Sôrtaba. Si l'Église a pu insérer son faux dans la plupart des manuscrits grecs et latins qu'elle a soumis à sa propre censure, elle n'a pu tant faire qu'il ne s'en trouvât point de grecs où ce passage n'existe pas du tout, ni d'hébreux, traduits du grec, dont le texte avait été visiblement effacé à l'endroit où il était question du crucifié de Pilatus. L'Église aux cent bras a pu facilement atteindre les manuscrits de Josèphe en quelque langue qu'ils fussent, et la plupart du temps c'est elle qui les a copiés, mais elle n'a pu glisser le passage dans les manuscrits détenus par les Juifs qu'à la suite de violences exercées contre leurs détenteurs. Le vénérable Robert Canut, prieur d'un monastère d'Oxford au douzième siècle, avait deux exemplaires dans lesquels on avait pu insérer le truculent passage, mais, le croirait-on ? il en avait d'autres où le texte à cet endroit avait été effacé et non remplacé. Le comte de Windisgraetz en avait un semblable à Rome, et, en cette ville, la Congrégation de l'Oratoire ayant voulu vérifier l'endroit où Josèphe parle de Jésus-Christ, afin de combler le vide affreux qu'on y remarquait, elle trouva qu'on l'avait raturé jusqu'à complet effacement, ce qui est attesté par Baronius, cardinal.

 

Il y a encore des personnes qui se fondent sur lu passage de Josèphe pour croire à l'existence de Jésus, mais qu'il y en ait dans l'Université, voilà qui me confond. Vous devriez citer le passage, me dit-on, ne fût-ce que pour les préserver de ce ridicule. Le fait est qu'il n'y a rien de plus probant que le passage lui-même, surtout si l'on songe que Mathias, père de Josèphe et sacrificateur en vue, a très probablement siégé au Sanhédrin lors de la condamnation de Bar-Jehoudda. En ce temps-là (formule évangélique) était Jésus (voilà le but de toute l'interpolation), homme sage, si toutefois on doit le considérer simplement comme un homme (non, non, dieu depuis les faux canons de Nicée !), tant ses œuvres étaient admirables. Il enseignait ceux qui prenaient plaisir à. être instruits de la vérité (les évangélistes notamment !) et il fut suivi non seulement de plusieurs Juifs, mais de plusieurs Gentils. (Voyages de Saülas et Lettres de Paulos, Actes des Apôtres, conversion de Pilatus et de sa femme, de Tibère lui-même, fausses Lettres de Clément le Romain, de Denys l'Aréopagite, d'Ignace, falsification des Apologies de Justin et d'Athénagore, etc.) C'était le Christ (et en effet des Conciles l'ont décidé). Les principaux de notre nation l'ayant accusé[25] devant Pilatus, (les Juifs coupables de déicide, comme dans les Évangiles ecclésiastiques) il le fit crucifier (par obéissance). Ceux qui l'avaient aimé pendant sa vie ne l'abandonnèrent pas après sa mort (réplique à Celse, à Hiéroclès, à Julien, au rabbin de Celse, à tous les écrits où l'on disait que Sa Majesté et ses sujets se sont mutuellement abandonnés trois jours avant la pâque) : il leur apparut vivant et ressuscité le troisième jour, (au compte de l'Eglise revenant sur les supputations primitives), comme les saints prophètes l'avaient prédit, (après que les évangélistes jehouddiques eurent corrompu le sens et le texte des prophéties), ainsi que plusieurs autres de ses miracles. C'est de lui que les chrestiens que nous voyons encore aujourd'hui (en quel siècle ?) ont tiré leur nom — imposture étymologique et historique dont aucun ancien n'aurait été victime et dont ne se serait pas fait complice un écrivain qui viendrait d'employer le mot Christos.

Au surplus, attaqué depuis la Renaissance par tous les savants que n'aveugle point l'esprit de secte, le passage sur Jésus n'est plus défendu par personne d'autorisé. M. Théodore Reinach, qui en admet non le texte actuel, mais le principe d'authenticité, va contre tous ceux-là, on ne sait dans quelle intention, à moins que ce ne soit par amour-propre national et pour disculper un historien juif d'avoir ignoré le fondateur d'une religion qui compte aujourd'hui plus de trois cent millions d'hommes.

Une autre falsification de Josèphe et non moins criante, c'est le passage relatif au supplice de Jacob senior, frère de Bar-Jehoudda, sous Claude et que le faussaire met sous Néron. Nous le réservons pour la suite de ces études et nous en ferons comprendre les motifs ecclésiastiques.

 

En dehors de Josèphe parmi les Juifs, on n'a guère interpolé que Tacite parmi les latins pour lui faire dire que Jésus-Christ avait réellement souffert, sous Pontius Pilatus[26], et Suétone pour lui faire dire, conformément aux Actes des Apôtres, que Claude avait expulsé les Juifs de Rome : contre quoi s'insurgent la suite des Actes eux-mêmes et Dion Cassius.

Pilatus est le seul païen d'importance directement mêlé à la mystification évangélique. On ne l'a guère fait parler qu'au cinquième siècle dans un rapport imprégné de la jehouddolâtrie la plus fervente. On n'a rien dicté aux gens du Temple, à Hanan, à Kaïaphas par exemple, et on a eu le plus grand tort, car les Juifs n'auraient pas réclamé avant la Révolution.

Dans les auteurs grecs on n'a rien glissé du tout, ce qui est inexplicable. Toutefois il s'est trouvé des gens pour interpréter, à l'avantage du Juif consubstantiel au Père un passage de Plutarque sur Adonis dans le traité des Oracles qui ont cessé.

 

X. — LA PEUR DU VRAI.

 

Juste de Tibériade supprimé, Josèphe est le seul témoin dont l'Église ait eu pour les deux passages sur le Joannès baptiseur et Jésus n'étant, au fond, que l'aveu secret et de l'identité de ces deux personnages avec Bar-Jehoudda et des motifs pour lesquels ce scélérat fut puni. Par mégarde les faussaires y ont respecté la date réelle de l'événement qui a été la vraie cause de son supplice ; le texte qui le concernait et qui a été effacé par l'Église avait bien sa place après le récit de la trahison qu'il avait ourdie contre Antipas, en l'avant-dernière année de la procurature de Pilatus. C'est donc Josèphe qui, conféré avec Juste de Tibériade, détenait la vérité historique et chronologique grâce à laquelle l'Empereur Julien put dénoncer en 1116 l'imposture de l'Évangile.

Josèphe a été l'effroi de l'Église jusqu'au jour où la preuve fut faite que le texte original avait disparu et n'était plus représenté que par des copies où tous les passages compromettants avaient été supprimés ou remplacés, Jusqu'à la Renaissance, ce fils de déicide a été proscrit, poursuivi, traqué par les successeurs de Pierre. Si parmi les manuscrits apportés du Levant il allait s'en trouver un qui fût antérieur aux fraudes jésu-christiennes ? A l'aube de la Renaissance, Érasme, avec son flair quasi voltairien, s'aperçut qu'à partir de Rufin d'Aquilée on avait joué de Josèphe avec une cynique imbécillité[27]. Ne pouvant plus mettre Josèphe à la torture, Rome le mit à l'index ; De Pins, évêque de Rieux, homme sage et lettré, avait dans sa bibliothèque un exemplaire de la Guerre des Juifs qui remontait à la plus haute antiquité : on le sut, et pour ce grief unique il fut traduit devant le Parlement de Toulouse : peu s'en fallut qu'on ne le condamnât, tant on craignait que par une ligne ou pour un mot l'histoire ne fît en un instant crouler quinze siècles de mensonge !

 

 

 



[1] Lettre aux Romains, XIV, 21.

[2] Notamment, I, 45.

[3] Marc, VI, 3.

[4] Luc, II, 33.

[5] Zachûri ou le Verseau, le Zibdeos ou Faiseur de Poissons = Joseph de Nazireth qui est Jehoudda du Gamala. Eloï-Schabed ou Serment de Dieu = Maria la Magdaléenne qui est Salomé, femme du Jehoudda. (Cf. le Charpentier.)

[6] Dans le Charpentier nous avons étudié, après les avoir remis à leur pince naturelle, les versets 25-28 qui appartiennent à la Nativité de Bar-Jehoudda.

[7] On disait des douze signes du Zodiaque les douze maisons (mansions, de manere, rester) du Soleil. Sur les Nativités solaires, cf. le Charpentier.

[8] Anticelse, I, 51.

[9] En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de bleu montant et descendant sur le Fils de l'homme. Quatrième Évangile, I, 51. Sous le nom de Nathanaël, Cérinthe désigne très clairement Ménahem, le roi-christ de 819. (Quatrième Évangile, I, 13 et XXI, 2.)

[10] Déjà cité.

[11] Antiquités judaïques, l. XVIII, ch. III, 761. On lit dénombrement dans quelques exemplaires revus et corrigés par l'Église.

[12] Quatrième Evangile, III, 3, 4.

[13] Cf. Le Charpentier.

[14] Nous étudierons bientôt l'imposture des Actes, un des joyaux de la collection qui en compte tant de si beaux.

[15] Cf. Le Charpentier.

[16] Sans enrichissement de la lettre.

[17] Glaire et Vigoureux, Nouveau Testament, seule traduction approuvée par le Saint-Siège. (Évangile selon Mathieu, ch. I, note du verset 25.)

[18] Adversus Judæos (Cap. de Passione Christi et taslatione Jerusalemi). Ce n'est certainement pas Tertullien qui parle dans cet écrit.

[19] La mention du Recensement et de Quirinius comme premier gouverneur de l'Empire en Judée a été insérée dans Justin par un scribe qui avait sous les yeux la fausse Nativité de Jésus et qui n'en a pas cherché davantage : C'est Coponius et non Quirinius qui a été le premier gouverneur de Judée.

[20] Livre Ier des Stromata.

[21] Je prends la citation dans la traduction latine de Caillau (Paris, 1843, in-8°).

[22] Tractatus in Mathæum, 29. Attribué faussement à Origène, comme l'Anticelse, les Philosophumena et autres qui ne furent oncques de lui.

[23] Luc, IV, 5.

[24] Alphonse Peyrat, Vie critique de Jésus.

[25] Comme s'il n'avait pas été condamné quarante jours avant de comparaître devant Antipas et devant Pilatus.

[26] Nous examinerons ce passage lorsque se présenteront les circonstances qui lui ont donné lieu, c'est-à-dire lorsque nous parlerons de l'imposture relative au séjour et au pontificat de Shehimon dit la Pierre dans la capitale du monde civilisé.

[27] Sur les précautions que les savants étaient obligés de prendre pour la communication des manuscrits de Josèphe cf. Arthur Heulhard, Une lettre fameuse de Rabelais (à Erasme), Paris, 1902, in-4°.