LE MENSONGE CHRÉTIEN - (JÉSUS-CHRIST N'A PAS EXISTÉ)

 

TOME III. — LES MARCHANDS DE CHRIST

I. — LE GUOL-GOLTA.

 

 

I. — RENCONTRE DE SIMON LE CYRÉNÉEN.

 

Pilatus voulut que le châtiment fût une réplique à l'Apocalypse et que le jour où devait éclater la puissance d'Israël montrât tout uniment celle de Jupiter Capitolin. Ne reconnaissant ni la Préparation ni la Pâque, il dressa la Loi romaine en face de la Loi juive. Rome, on pays de tribut, punit quand il lui plaît, nonobstant Moïse.

Pilatus aurait pu faire trancher la tête au roi des Juifs, il avait le choix du supplice. Mais traiter on soldat un homme qui avait fui la bataille sans même on attendre l'issue ? La croix des esclaves, c'est ce que méritait ce prétendant à l'empire universel. La punition des incendiaires, c'est ce qui revenait de droit à purificateur de la Samarie, Toutefois le procurateur romain mit une intention à l'adresse de l'auteur de l'Apocalypse : était marqué pour la croix tout esclave nui avait demandé à l'astrologie de prédire à terme la Mort de l'empereur[1] et c'était le cas spécial de Bar-Jehoudda en dehors des autres raison qui le vouaient au servile supplicium[2].

La coutume était que le patient portât lui-même sa croix, les mains étendues et attachées aux deux extrémités relevées en forme de fourche, et traversât ainsi la ville pour être exécuté hors des murailles[3]. Pilatus donna une rude leçon d'égalité au roi des Juifs, il le força de charger sa croix comme les autres, et le Quatrième Évangile spécifie, qu'il la porta jusqu'au bout, On avait sans doute façonné ces croix avec des bois iris aux échafaudages du Temple dans les endroits inachevés et qui le demeurèrent.

Il était plus de midi lorsque la théorie des prisonniers quitta le prétoire. L'Assomption du Joannès, qui a passé dans le Quatrième Évangile et dans Mathieu, donnait cette heure. Devant le prétoire, les Juifs avaient lâché pied, refusant d'entrer, de pour da Be souiller. Le condamné remis aux Romains, ils s'étaient retirés, chacun vaquant aux préparatifs de la sainte Cène où tout doit, être pur, les yeux et le cœur, l'azyme et l'agneau. Quelques-uns allèrent peut-être jusqu'à la Porte qui menait hors la ville, mais pas plus loin, d'abord parce qu'il était absolument défendu de sortir de l'enceinte, ensuite parce que, si on avait passé outre, au prix d'un sacrilège, on eût trouvé hors des murs une autre impossibilité de manger la pâque. La crucifixion n'eut pas, ne pouvait avoir de témoins juifs ; la vue des cadavres était une souillure plus grande encore que celle des insignes du prétoire. N'eût-on rien vu de ses yeux, on eût été impur si l'on fût outré dans le Temple avec des vêtements qui avaient vu. Il est même certain que les sacrifices furent interrompus pour une cérémonie de purification, le pavé du mine : tanin) oyant été contaminé par les morts de Pilatus.

Bar-Jehoudda n'était pas seul lorsqu'on le conduisit au supplice. Il y avait d'autres condamnés, ne fût ce que Bar-Rabban qui, lui non plus, n'était pas seul dans la tour Antonin. Simon le Cyrénéen, qui était venu d'Afrique pour prendre part à la Grande Pâque, fut arrêté dans les champs, au moment où il essayait de rentrer en ville ou d'en sortir, et conduit au supplice sans jugement. C'est assez dire qu'il avait les armes à la main, mais qu'il n'avait pas sa croix. Prit-on celle de Bar-Jehoudda pour la lui donner ? Toujours est-il que ses parents profitèrent de ce que Simon de Cyrène n'avait pas la sienne pour dire qu'on avait rencontré en route Simon qui revenait des champs, qu'on l'avait réquisitionné pour porter la croix[4], qu'il la faveur de cette substitution opérée dans le plus grand trouble, le Nazir avilit été enlevé de nouveau par Jésus et que les Romains avaient crucifié Simon à sa place. Simon de Cyrène mérite le ciel pour avoir consenti à reconnaître cela par la bouche de ses fils Alexandre et Rufus, C'est le bon larron.

La version de la famille a été reprise par l'Assomption du Joannès, apothéose en plusieurs tableaux dont le premier, nous l'avons vu, montre Jésus s'interposant entre son précurseur et la cavalerie de Pilatus déployée autour du Sôrtaba[5]. Ici il lui envoie Simon de Cyrène. Les choses étaient encore ainsi au temps de Basilide qui en témoigne : on disait que le Joannès avait échappé à la crucifixion par le moyen de Simon et que, s'il était mort à un moment donné, c'était plus de cinquante ans après et quand il n'avait pas pu faire autrement.

 

II. — LE CHARNIER DES IMPIES.

 

Le lieu des exécutions publiques était hors des murs, à rouest.sud de Jérusalem et du palais de Pilatus. Des centaines, des milliers d'hommes y avaient été suppliciés et enterrés. Les évangélistes, en leur araméen, l'appellent Guol-golta, ce qui veut dire le croque-gueules, — Pilatus eût dit, en son latin, le gularunt gula[6]. Le Guol-golta n'est point une expression topographique reçue[7], c'est un mot trivial pour désigner le gouffre aux morts, le lien où les cribles, les ossements blanchissaient au soleil, abandonnés de tous et perpétuellement retournés par la pioche des fossoyeurs : lieu impur, le plus impur de toute la Judée[8], à cause de son infâme destination.

On ne pourrait hésiter devant cette interprétation que s'il se trouvait dans les anciennes Écritures ou simplement dans les traditions antérieures au Moyen Age une trace quelconque d'un Guol-golta ainsi nommé à raison de son élévation et de sa calvitie. Ce lieu était dans la vallée d'Hinnom. Toute cette vallée, était un objet d'horreur pour les Juifs, c'était l'image de la mort et de l'enfer, la Géhenne enfin. De tout temps on y avait supplicié, soit par le feu, soit autrement, la Géhenne du feu[9] y avait précédé la Géhenne de la croix ; le frisson commençait à la Porte qui y conduisait. Quand on avait dit la Porte, on n'achevait pas, on en avait assez dit.

 

Le Guol-golta, c'est la désignation araméenne du Topheth et il n'est pas permis de nier que les Juifs y eussent, dans les temps où Moloch était leur Père, sacrifié des enfants à cette comburante divinité, nonobstant les défenses de Moïse[10]. C'est ce souvenir, ce remords qui hantait les imaginations. Avant d'y exécuter et d'y enfouir les coupables, on y avait sacrifié les innocents. Et c'est précisément un innocent — innocent envers la Loi, ne l'oublions, jamais ! — que le Moloch hérodien, revenant à l'antique usage, immolait au lieu où s'expiaient tous les crimes ! Et Sant avait été le bras de ce Moloch ! Plus tard, comme si la Mort attendait dans cette antichambre de l'enfer, c'est là qu'on tramait d'instinct et les cadavres d'hommes et les cadavres de bêtes. C'est là qu'on allait jeter ceux des Galiléens massacrés dans le Temple.

La Topheth n'était pas au plus profond de la vallée, il était Sur le versant. Les enfants de Juda ont bâti les lieux hauts de Topheth qui est dans la vallée de Ben-Hinnom pour y consumer leurs fils et leurs filles, chose que je ne leur ai point ordonnée et qui ne m'est jamais venue à l'esprit. C'est pourquoi, dit le Seigneur, le temps viendra où l'on n'appellera plus ce lieu Topheth, ni le Gué-ben-Hinnom, mais le Val du charnier, et l'on ensevelira les-morts à Topheth, parce qu'il n'y luira plus de place où les mettre[11]. Jérémie, pour montrer l'état où se trouve réduit Jérusalem, reçoit du Seigneur, l'ordre de prendre un vase de terre fait par un potier, — à la Poterie où Jehoudda Is-Kérioth fut assassiné de descendre dans le Gué-Hinnom qui est devant la Porto d'argile, de rompre ce vase en présence des anciens prêtres et de dire : Ce lien ne sera plus appelé Topheth ou la vallée de ben-Hinnom, mais la vallée du Charnier. Je briserai ce peuple et cette ville comme ce vase de terre est brisé et ne peut plus être rétabli ; et les morts seront ensevelis à Topheth, parce qu'il n'y aura plus d'autre lieu pour les ensevelir (tous les cimetières honorables seront pleins !). C'est ainsi que je traiterai ce lieu et ses habitants et je les mettrai dans le même état que Topheth (j'en ferai un charnier d'impies). Les maisons de Jérusalem et les palais des rois dé Juda seront impurs comme Topheth[12]. Et Jérémie étant revenu, le Seigneur confirma les lugubres paroles de son prophète.

Ainsi, au temps de Jérémie déjà, le Topheth avait perdu son caractère spécial, son nom même, pour devenir le lieu des exécutions et le charnier des exécutés, le Guol-golta, le croque-crânes ; comme le dit l'araméen avec un pittoresque macabre, Et depuis six cents ans converti en Guol-golta, le Topheth remplissait son office, avalant crânes sur crânes ne se nourrissant que de condamnés à mort.

Sans nous laisser influencer per l'archéologie conventuelle, dont les fantaisies dépassent toute licence et parfois, tonte décence, nous pensons qu'étant voisin d'un charnier ; le lieu des exécutions doit. Vitre sensiblement rapproché du, carnalium marqué sur une carte du treizième siècle et qui est à la pointe ouest du Gué-Hinnom, lequel est au bas, de la face sud-ouest de la Ville Haute. L'Évangile de Nicodème désigne comme lieu du crucifiement le Jardin de Bethsemani, dont il fait une propriété privée située au penchant du Mont des Oliviers, c'est-à-dire à l'Orient de Jérusalem, juste à l'opposé de l'éminence sur laquelle l'Église a placé le Calvaire. Cet Evangile est apocryphe ; en quoi il ressemble aux canoniques, et on peut juger de la confiance que nous lui devons par, celle qu'il accorde à la mystification évangélique, car il place le crucifiement là où se passe l'allégorie de l'arrestation de Jésus ; mais il montre que plusieurs siècles se sont écoulés avant que l'Église ait pris le parti d'affecter le Calvaire à ses besoins de mensonge. Enfin il nous rapproche de la  vérité topographique en nous orientant vers la vallée du Cédron, pointe nord-est dit Gué-Hinnom et réputée impure par opposition au Hamm sacré qui portait le Temple. Avec une admirable ignorance de son sujet, le Pèlerin de Bordeaux[13] voit dans le Cédron cette vallée de Josaphat où doit avoir lieu le jugement dernier. Ceux qui ont bien voulu me suivre jusqu'ici savent qu'au contraire, c'est dans la plaine de Megiddo, entre la Samarie et le Thabor, que l'appel se fera, et si au lieu de mal interpréter Joël[14], le Pèlerin de Bordeaux eût respecté la géniale pensée du juif consubstantiel au Père, il n'aurait pas eu celle d'y contredire si déplorablement. Car à quoi sert que Joannès ait         incarné le Logos, si un simple pèlerin venu d'Aquitaine peut à son gré lui faire la leçon ? Osera-t-il invoquer Joël quand Joannès a parlé ? Entre ceux qui sont nés des femmes, dit Jésus, nul n'est plus grand prophète que Joannès[15]. Croyons donc Jésus et conspuons le Pèlerin de Bordeaux.

 

III. — LA MISE EN CROIX (mercredi, 3 heures).

 

Les préparatifs de ces multiples exécutions prirent du temps et il était trois heures lorsque les soldats procédèrent à la mise en croix[16].

Sur ce point nous n'avons qu'un témoignage, celui de Marc : Il était la troisième heure du jour lorsqu'ils le crucifièrent[17], et pourtant, lorsque nous ouvrons Cérinthe, nous trouvons que, lors de la comparution devant Pilatus, il était environ la sixième heure[18]. La contradiction n'est qu'apparente, elle tient simplement à ce que Cérinthe compte le jour à la juive, à partir de six heures du matin, tandis que dans Marc on le compte à la romaine, à partir de midi. Il était environ neuf heures du matin lorsque les Juifs remirent à Pilatus celui qui se disait le Roi, et trois heures de l'après-midi lorsque les Romains le mirent en croix. Dans l'intervalle il s'est écoulé six heures pendant lesquelles Pilatus, entré dans le Temple dont les portes se sont ouvertes, à midi pour le sacrifice de l'agneau, a massacré les Galiléens sur leurs victimes, rassemblé les prisonniers dans la cour du prétoire et les a conduits au Guol-golta, leur roi en tête. C'est là ce qu’on a voulu cacher par cette phrase où Marc dit, comptant le jour à la juive, comme Cérinthe : Depuis la sixième heure du jour (midi) jusqu'à la neuvième (trois heures) les ténèbres couvrirent toute la terre. Au milieu de ténèbres aussi opaques, comment Luc pu voir Pilatus envahissant le Temple, et mêlant le Sang des Galiléens à celui de sacrifices qui n'avaient pu commencer qu’à midi ? Depuis que le Juif crucifié par Pilatus est devenu consubstantiel au Père, ces trois heures d'histoire sont plongées dans une obscurité tout ecclésiastique. .

Les ténèbres qui règnent jusqu'à trois heures autour du Guol-golta sont le voile que les évangélistes baissent devant les fidèles pour leur cacher ce malheur.

Pilatus se rendit en personne au lieu de l'exécution, assura le châtiment et fit l'écriteau en trois langues qu'on plaça sur la croix de Bar-Jehoudda. Cet écriteau juge tout. C'est le jugement lui-même. On lit dans la version primitive : Le roi des Juifs[19], ou C'est ici le roi des Juifs[20]. A l'époque de cette rédaction il n'y avait pas encore d'éclipse de soleil pendant la pleine lune du 14 nisan, et les ténèbres n'enveloppaient point le Guol-golta au point d'empêcher Pilatus de voir clair à son affaire. Il n'avait pas mis de nom sur son écriteau, mais simplement le titre hyperbolique que s'était attribué le lestès. Quand Jésus fut entré dans la fable, on fit dire à Pilatus : C'est Jésus, le roi des Juifs[21], ou Jésus le Nazaréen, le roi des Juifs[22]. Dans cette inscription il n'y a de nouveau que le nom. On ne manqua pas de faire cette objection : Mais puisqu'il n'y avait point de Juifs autour des croix, continent ont-ils pu lire cet écriteau, surtout avec le nom de Jésus qui n'était pas dans le premier ? Le Quatrième Évangile répond : De nombreux Juifs lurent cet écriteau, parce que le lieu du crucifiement était près de la ville[23]. (Ils ont donc pu lire l'inscription sans sortir des murs.)

Selon le Quatrième Évangile, quatre soldats s'approchent qui, après avoir mis Bar-Jehoudda en croix, prennent ses vêtements et en font quatre parts, une pour chacun. Nous expliquerons cette allégorie solaire, quand nous en viendrons à la fabrication de la christophanie, mais vous en devinez déjà le caractère apocalyptique. Toutefois, il parait bien qu'on l'a dépouillé de ses oripeaux pour se les partager, et c'est une preuve de plus qu'il n'en avait été revêtu ni par les soldats d'Antipas ni par ceux de Pilatus.

Après avoir affiché la loi Julia sur la croix, constitué un poste autour des crucifiés et recommandé au centurion qu'on les laissât exposés pendant tout le jour de la Pâque jusqu'à ce que mort s'ensuivit, Pilatus s'en retourna. On ne le revit plus au Guol-golta[24]. C'est pourquoi ceux qui ont à lui parler le vendredi, à propos du sabbat sont obligés d'aller le trouver citez lui. Bar-Jehoudda et ses compagnons de supplice ont clone passé toute la nuit de la Pâque sur la croix et ne sont morts, achevés par le crucifragium[25], que le vendredi avant le sabbat. Le poste ne fut retiré qu'à l'enlèvement des corps. L'Église qui a laissé        malgré elle, — on peut en être sûr — dans le Quatrième Évangile la preuve que la mise en croix out lieu le mercredi, jour de la Préparation, et dans Mathieu la prouve qu'elle aurait tout au moins été faite la veille de la mort, l'Église a pu s'emparer assez à temps du texte de Marc pour concentrer en un quart de journée juive la crucifixion et la mort. Au lieu de se préparer à la Mique lorsqu'on crucifie le condamné, les Juifs se préparent au Sabbat. L'Église enlève ici quarante-sept heures de croix à Bar-Jehoudda. Cela est d'autant plus certain que s'il est mort à vendredi vers trois heures, ce qui semble établi, il aurait, en disparaissant du tombeau le dimanche, devancé de ces quarante-sept heures le délai que Mathieu lui a imparti pour ressusciter. En effet, Mathieu a bâti sa fable de résurrection après trois jours sur l'aventure de Jonas qui reste trois jours et trois nuits dans le ventre du poisson. Il fallait donc qu'entre la crucifixion de Bar-Jehoudda et son enlèvement du tombeau, on pût compter plus de trois fois vingt-quatre heures, selon la division juive :

1° La nuit et le jour de la pâque ou 15 nisan, finissant le jeudi soir à six heures ;

2° Le jour de la préparation au sabbat ou 16, finissant le vendredi soir à six heures ;

3° Le sabbat ou 17, finissant le samedi soir à six heures.

Juif pur, Mathieu sait l'influence que cette question d'heures peut avoir auprès de ses coreligionnaires : il a tourné en prophétie le conte de Jonas ; cette conversion est de lui, il ne s'est pas exposé à se faire prendre sur cette question-là. C'est lui qui va prévenir Kaïaphas, Pilatus et par conséquent tout le monde que pour ressembler à Jonas, Bar-Jehoudda doit disparaître après trois jours à compter de celui de la crucifixion. Il a besoin de trois jours pleins pour être conséquent avec lui-même, et s'il a pris Jonas pour garant, c'est que son horaire répond à celui de Jonas. Il faut donc que Bar-Jehoudda soit en croix depuis le mercredi dans l’après-midi.

Car le mythe de Jonas est formel. Jonas ne ressuscite que le quatrième jour, après avoir passé trois jours et trois nuits dans le ventre du poisson. Et même nous démontrerons qu'en dépit de sa bonne volonté, il lui aurait été impossible de ressusciter plus tôt. L'astronomie chaldéenne s'y oppose.

 

Dira-t-on qu'au sens de Mathieu et de Luc qui invoquent seuls ht similitude de Jonas, les trois jours doivent être comptés à partir non de la crucifixion mais de la mise au tombeau ?

En ce cas, Bar-Jehoudda, pour rester dans les conditions de la similitude, n'a pu ressusciter avant le mardi, comme il appert du décompte suivant :

1° La nuit et le jour du sabbat, finissant à six heures du soir ;

2° La nuit et le jour du dimanche, finissant à six heures du soir ;

3° La nuit et le jour du lundi, finissant à six heures du soir.

Or tout le monde convient que Bar-Jehoudda a disparu du tombeau dans la nuit du dimanche, et c'est un point sur lequel il y a parfait accord entre les Juifs et les jehouddolâtres.

Cela prouve irréfutablement que la Pâque tombait le mercredi soir et qu'avec un seul jour d'écart, en la reportant au jeudi, on pouvait encore sauver la mystification eucharistique.

C'est à propos de cette mystification que l'écrit conservé par Photius disait : Il faut en ce cas qu'il ait mangé la pâque un jour après le jour légal, c'est-à-dire le 16 au lieu du 15. C'est également par suite de ce changement qu'au lieu de disparaître du Guol-golta après trois jours et trois nuits comme dans la première version, il est censé maintenant en avoir disparu le troisième jour[26]. Ils l'ont crucifié, dit Cléopas le dimanche soir sur le chemin d'Antinoüs, c'est le troisième jour depuis que les événements se sont accomplis. Or ils vont parler du troisième jour à compter non de la mise en croix mais de la mort. Encore n'est-on ni dans les conditions de la similitude, ni dans colles que suppose cotte supputation. En effet, entré au sein de la terre le vendredi soir, comme on l'en sort immédiatement après le sabbat, il disparaît non le troisième jour mais le second.

En dehors de cette question que voilà tranchée par l'arithmétique, il ne faut pas s'étonner des différences de détail qu'offrent entre elles les versions évangéliques, puisque le supplice de Bar-Jehoudda n'out de témoin dans aucun des disciples. Les scribes sont donc libres de leurs imaginations. Déjà Marc ne sait plus que Pilatus a assisté au supplice et qu'il est resté un instant prés des croix. Cola se comprend, il ne commence la crucifixion que le vendredi. En revanche il rassemble de nombreux témoins, les chefs des prêtres et les scribes entra autres. Vous savez qu'ils n'étaient pas lit et pourquoi. C'est un centurion qui commande l'escorte, et mène les condamnés au Guol-golta.

Le roi-christ était en croix depuis plusieurs heures lorsque les Jérusalémites, avec une indifférence remarquable, allumèrent les lampes de la Pâque derrière les feuillages de leurs fenêtres, rompirent le pain azyme et, attaquèrent la pièce d'agneau dorée par la flamme légère d'un bois odoriférant. Et tous burent à la ronde, et tous mangèrent d'un appétit honorable et serein. Et nul ne soupçonna, même si la digestion se lit mal citez quelques-uns, qu'il viendrait, un jour où des hommes jouissant de toutes leurs facultés se détourneraient des Juifs pour cause de déicide avec préméditation. Le vrai supplice de Bar-Jehoudda fut de se voir sur une croix romaine en un jour qu'il avait voulu faire si grand pour Israël, d'entendre dans le vent du soir les bruits de la fête, de voir les petites lumières danser joyeusement aux fenêtres, de sentir, jusqu'au fond du gouffre où il était, l'odeur de l'agneau monter vers la puissante narine d'Iahvé, au-dessus de cette ville d'esclaves ! Et c'est parce qu'il fut lui-même l'Agneau-homme de cette journée, la pièce de résistance de' cette Pâque, que les thuriféraires de sa famille ont pu le transformer — après combien de tâtonnements ! — en Jésus crucifié. Un fils de David, un Nazir en croix pendant toute la Pâque, c'est le scandale religieux, que le Temple avait donné en livrant le prisonnier, et dont les mythologues se sont emparés pour identifier la victime d'abord avec l'Agneau de la Pâque, puis avec le Christ solaire qui lui-même entre astrologiquement en croix le 15 nisan.

Un autre supplice lui fut infligé, plus atroce encore pour un homme qui attrait ou de la conscience. Jour et nuit, sans se lasser, au milieu des cris et des hoquets, les malheureux que sa folie avait entraînés chargèrent de reproches et d'injures[27] ce roi-christ qu'on avait par devant quand il prétendait au trône et, qu'on n'avait pas même pu voir par derrière quand on combattait pour lui, Mais comme, déjà jugé par les Juifs de Jérusalem et par les Romains de Césarée, c'était trop qu'il le Mt, encore par ses ouailles, les évangélistes ont supposé qu'à la fin Simon le Cyrénéen les avait reprises de leur cruauté[28].

Ils ont caressé avec amour le récit de ce supplice dont ils ont fait la mort-type du Juif-dieu. Ils l'ont machinée, mise eh scène comme une mort de théâtre, ne négligeant rien de ce qui peut secouer les nerfs et exciter les larmes. C'est une mosaïque de démarquages bibliques, sans aucune sincérité. Elle provient des Psaumes de David, combinés avec Isaïe. Ils ont exercé leurs talents jusque dans les plus petits détails de la partie dramatique. Selon quelques-uns[29], le malheureux, torturé par une soif ardente, reçoit bouche béante tout ce qu'on lui présente, le fiel comme le vinaigre. Selon .Mathiez qui seul parle de vin mêlé de fiel, il refuse de boire ce mélange, (à cause du vin qui lui était interdit par son naziréat). Selon Marc, qui parle de vinaigre, puis de vin initié de myrrhe, il refuse également. Luc est muet. Le scribe du Quatrième Évangile a mis un vase de vinaigre et d'hysope.

Ne cherchez pas ses frères autour de la croix. Il n’y a pas un seul homme de la famille. Parmi les changements que l'Évangile a subis et dont l'ouvrage de Celse porte la trace, quoiqu'il les dénonce, il y en a un de fort important. Les disciples, représentés d'abord comme ayant fui avant son arrestation, sont donnés ensuite par le même ouvrage connue ayant assiste à son supplice et b. sa mort et l'ayant renié pour ne mourir ni avec lui, ni pour lui[30]. Cela tient à la différence des sources : dans lu premier cas, c'est à la véridique histoire de Bar-Jehoudda que Celse puise, documenté par les rabbins ; dans le second cas, c'est à l'allégorie de Jésus déjà en forme dans l'Évangile.

Il semble toutefois que, prévenues par Shehimon et Cléopas, la mère et l'une des sœurs du malheureux, la femme de Cléopas, soient arrivées dans la journée du vendredi, pour assister de loin à ses derniers moments.

 

L'Évangile étant le seul document qui nous reste sur la crucifixion de Bar-Jehoudda, force nous est de rendre pour un instant aux personnages le nom d'emprunt qu'ils ont dans cet écrit. Le lecteur, qui sait comment s'appelaient le jésus et sa mère, ne se laissera pas égarer par les doubles emplois ou les confusions plus ou moins volontaires des scribes ecclésiastiques.

Selon le Quatrième Évangile, près de la croix se tenaient la mère du jésus, — que le scribe ne nomme pas, tant elle est connue, c'est le seul qui la montre au lieu du supplice, — Maria Cléopas, sœur de[31]..., sa mère, et[32] Maria la Magdaléenne.

Selon Mathieu, deux femmes : Maria (Cléopas), mère de Jacques et de José, Maria la Magdaléenne et la mère des fils de Zibdeos, ces deux dernières ne faisant qu'une.

Selon Luc, deux femmes : Maria la Magdaléenne et Maria (Cléopas), mère de Jacques (on ne lui donne plus José), et Joanna, dans laquelle nous retrouvons Salomé, la femme du premier Joannès[33].

Remarquez que, dans le Quatrième Évangile, la mère du Joannès assiste au supplice et de si près que Jésus, refusant d'aller plus loin, lui rend son fils sur la croix même : Femme, lui dit-il ; voilà ton fils, et au crucifié : Voilà ta mère. Car il faut que la mystification ait un terme : si on crucifiait Jésus, comment ferait-il, tout à l'heure, pour assumer son Joannés ? Or, d'après les trois versions synoptisées, la mère du crucifié ne peut être présente qu'à la condition d'être identique à Maria la Magdaléenne.

Ainsi, à l'origine, doux femmes seulement, et non près de la croix, de manière à pouvoir échanger des paroles avec Io crucifié, mais regardant de loin, comme dit Marc. Dans celui-ci, plusieurs femmes, parmi lesquelles Maria la Magdaléenne, Maria (Cléopas), mère de Jacques le petit[34] et de Joseph le petit[35], et Salomé, qui dès les temps de la Galilée (les sept années de la prédication) avaient suivi et servi le Nazir ; et quelques autres femmes qui étaient montées à la Pâque. Le témoignage primitif ne s'augmente pas, puisque Salomé est la même femme que Joanna. Mais si nous ne savions que Maria la Magdaléenne est le pseudonyme évangélique de Salomé, et Zibdeos un de joui de son mari, nous pourrions croire que la veuve de Jehoudda était absente. Nous le pourrions d'autant mieux qu'on ne voit pas là une troisième Maria qui, n'étant ni la, Magdaléenne ni ln femme de Cléopas, ne pourrait être que la mère du supplicié.

 

Dans quelques versions Bar-Jehoudda mourant interpelle Dieu d'une façon assez pressante : Éloï, Éloï, lama sabacthani, mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? Le fait est que, contrairement à. toutes s'es prophéties, Bar-Jehoudda mourait devant que le Fils de l'homme fût venu sur les nuées, devant qu'aucun des Douze, des Trente-six et des Cent quarante-quatre mille eût seulement montré le bout de son nez. Ce cri est le cri du cœur, personne ne l'a entendu, mais il est admirablement en situation. Sans pitié, avec un mauvais goût plus cruel que les excès de lu soldatesque romaine, les scribes n'ont pas craint de risquer ici le plus bas de, tous les calembours dont le roman évangélique est farci. Au mot Éloï, Éloï, quelques-uns des assistants s'écrient : Voyez, il appelle Élie ! ; et là-dessus, ils lui donnent à boire une éponge de vinaigre fixée au bout d'un roseau, en disant : Laissez, voyons si Elie le viendra délivrer[36].

Rien de tout cela naturellement n'a été dit, et jamais des scribes juifs, araméens ou non, n'eussent pris Éloï pour Élie. Si on lui fait invoquer Élie, c'est pour le motif que voici : non seulement il n'attendait pas Élie, mais il avait émis la prétention d'épargner sa venue aux Juifs telle qu'elle leur était annoncée par les prophètes, c'est-à-dire précédant la Fin du monde et le Jugement dernier ou Jugement du Père. Dans son système il avait remplacé la Fin des choses par leur Renouvellement et le Jugement dernier par celui du Fils, suspensif de l'appel au Père pendant mille ans. Étant lui-même l'Élie du Renouvellement, il n'avait rien à faire avec l'autre, il ne pouvait donc pas songer à l'appeler. Mais l'absurdité de son Apocalypse ayant été démontrée tant par sa mort que par celle de toute sa génération, le vieil Elie avait repris toute son autorité auprès des Juifs, et, consulté sur le point de savoir si Élie doit venir avant la lin des temps, Jésus lui-même répond catégoriquement (dans Mathieu) : Oui, Élie doit venir. Après cette décision souveraine, on comprend que les scribes replacent le prophète du Millénium sous la dépendance du grand Elie des Écritures antérieures. Mais si le crucifié de 785 s'est plaint d'avoir été abandonné, ce n'est point par Élie, c'est par Éloï.

Et la réponse d'Éloï fut telle : Je t'abandonne parce que tu m'as abandonné moi-même en conspirant contre mon unité. Je t'abandonne parce qu'il y a cinq jours tu as abandonné toi-même, et d'une manière qu'il m'est impossible de considérer comme héroïque, les huit cents mauvais gars que tu avais entraînés en Samarie. Depuis sept ans tu cherches à me persuader que j'ai un fils, tu le qualifies de Fils de l'homme sous le prétexte que tu lui ressembles, et une partie de tes hommages vont à lui parce que tu espères gouverner avec lui pendant mille ans.

Et tu veux que je te l'envoie non pas quand il me plaira, mais au jour et à l'heure que tu as toi-même fixés, comme s'il était à tes ordres ? Tu réclames parce que tu meurs à cinquante ans et qu'il t'en manque neuf cent cinquante pour faire ton compte ? J'ai connu parmi les Juifs des gens infiniment plus honorables et plus utiles à qui je n'ai pas permis de dépasser la centaine. C'est même une grande faiblesse à moi de t'avoir laissé vivre jusqu'à présent, étant donné l'exécrable usage que tu as fait de ton temps.

Je trouve bon, juste et salutaire que tu aies goûté sur cette croix une partie des supplices que tu me demandais pour les autres. En cela j'approuve et Saül et Is-Kérioth et Antipas et Kaïaphas et Pilatus. Je n'ai pas de fils, mais si j'en avais un, tu dois bien penser que je ne m'en séparerais pas pendant mille ans pour l'envoyer habiter la Judée en ta compagnie. Si j'avais un fils, l'enverrais soit à Lyon, soit à Rome, soit à Athènes, où l'on fait de bien meilleures humanités.

 

IV. — LA DESCENTE DE CROIX (vendredi, 6 heures) ET LE CAVEAU PROVISOIRE.

 

Dans l'après-midi du vendredi, après deux jours et deux nuits passés sur la croix, une question se posa que Pilatus n'avait pu prévoir. Le sabbat approchait, commençant à six heures, et pour son jour de repos Iahvé allait voir la hideuse exhibition des malheureux pendant au bois. Les Juifs allèrent trouver Pilatus. Dût-on appliquer le crurifragium aux suppliciés, c'est-à-dire leur casser les jambes pour hâter leur mort, il fallait qu'on pût les enlever avant le coucher du soleil. Telle était la Lei que le Seigneur, n'eût point, on se levant, les regards souillés par le spectacle infâme de corps exposés sur un gibet[37].

 

Ce sabbat tirait une valeur religieuse exceptionnelle de ce qu'il était le premier du Cycle millénaire (Poissons) commencé le mercredi soir avec la Pâque : Ce jour de sabbat était très solennel, dit le Quatrième Evangile. Non moins solennel que la Pâque elle-même, et c'est pour cette raison que, le jour de la préparation à cette Pâque, les habitants de Jérusalem avaient demandé à Pilatus d'élargir Bar-Rabban. Il est douteux qu'à chaque Pâque les Juifs eussent l'habitude de relâcher un criminel, et c'est pourquoi on ne sait rien de cet usage. Mais il en était ainsi lorsque la Pâque était jubilaire et coïncidait avec le renouvellement d'un Cycle ; on ne s'étonne donc plus que les Jérusalémites aient réclamé pour celui des prisonniers qui leur paraissait le moins coupable le bénéfice de la Loi qui leur défendait d'inaugurer une nouvelle période millénaire par une exécution. C'est une vérité si manifeste, particulièrement dans le Quatrième Évangile où Bar-Jehoudda meurt le vendredi avant six heures, que les exégètes du Saint-Siège, à propos de la préparation au sabbat, sont obligés de dire : Ce sabbat était très solennel, à cause de la fête de la Pâque qui tomba cette année en ce même jour[38]. Ces messieurs ne se trompent qu'en ce dernier point, mais sur le fait que le patient était en croix avant la Cène pascale, là s'accordent avec cette vérité déjà constatée par ce même Évangile : Eux (les Juifs qui conduisant le prisonnier a Pilatus) n'entrèrent point dans le prétoire afin de ne point se souiller et de pouvoir manger la pâque[39]. La Congrégation de l'Index fera bien de supprimer ce verset et aussi le commentaire des exégètes sur la coïncidence du premier sabbat millénaire avec la Pâque, si elle ne veut pas fournir d'arguments invincibles à ceux qui tiennent que le roi-christ, était en croix avant la Cène, car ici, renchérissant sur eux, ils vont jusqu'à dire qu'il était mort ! Nous n'en demandons pas tant.

Comme il n'est pas vraisemblable que les Juifs aient rompu la pâque on sortant de la ville, c'est qu'ils seront allés trouver Pilatus chez lui. La loi romaine ayant reçu satisfaction, la loi juive pouvait avoir son tour. A leur requête, les pauvres patients furent impitoyablement achevés. Bar-Jehoudda fut-il compris dans cette mesure ? La fable veut qu'étant visiblement, manifestement mort, il n'ait pas reçu le coup de grâce.

Arrivés à lui, — il y avait certainement plus de trois croix, — les soldats romains, le voyant déjà mort[40], ne lui rompirent pas les jambes, ils se contentèrent de lui donner un coup de lance dans le côté pour voir s'il tressaillait encore.

Il n'était pas de pire affront que de refuser la sépulture à un homme, quelque punition que cet homme eût méritée. Pour le roi-christ, non seulement ses frères et ses disciples l'avaient abandonné vivant, mais ils l'exposaient mort à la privation de toute sépulture, si Joseph l'Haramathas ne s'était trouvé là. On lit aujourd'hui dans tous les Évangiles que ce Joseph était d'un endroit nommé Arimathie. On peut montrer Nazareth, on l'a construit au septième ou huitième siècle. Mais nul n'a jamais pu découvrir Arimathie. On en a été réduit à. supposer que ce lieu inconnu des anciens pourrait être la' Rama de Samuel que les musulmans appellent aujourd'hui Boit, Rima. Il n'y n pas l'ombre d'un argument en faveur de cette hypothèse. Nous avons par Mathieu la certitude qu'Arimathie n'est pas Rama. Les Évangélistes connaissent parfaitement Rama, une des villes les plus célèbres de l'Ancien Testament et que tous les autours juifs, prophètes ou non, écrivent comme Mathieu[41] citant Jérémie : Une voix a été entendue en Rama, etc. Les titres étymologiques de Rama sont tellement nuls qu'au treizième siècle on commence à dire qu'Arimathie est Ramlé, laquelle d'ailleurs ne fut pas fondée avant le huitième siècle, ce qui n'empêche nullement d'y montrer la maison de Joseph d'Arimathie.

L'Arimathie authentique est beaucoup plus près de Jérusalem et se confond avec le Guol-golta. A l'inverse du Pirée, Arimathie est presque un homme.

Le Guol-golta, ce désert de morts d'où les vivants s'écartaient avec effroi, était gardé par un certain Joseph, et ce Joseph n'était nullement d'un endroit, appelé Arimathie, que personne n'a jamais pu fixer sur aucune carte. Il était l'haramathaïs, mot formé de haram[42], enclos, de math, morts, et de la préposition is[43]. De cet enclos des morts il était plus maître que Tibère ne l'était du monde. Il y vivait : et il en vivait ; dans la perpétuelle manipulation de la dépouille humaine. Il était impur, comme son affreux domaine. Affranchi des sabbats, affranchi des pâques et de toutes les fêtes, il n'avait rien de juif et sans doute il ne l'était pas. On ne demandait qu'à l'ignorer. Avec le préjugé sur les cimetières et sur le contact même accidentel des morts, il devait être fort difficile de trouver un Juif pur sang pour exercer le métier des choses funéraires, surtout quand elles concernaient les criminels.

 

On peut suivre étape par étape dans lei Évangiles le chemin que le mensonge a gravi pour chasser l'histoire de ses positions. L'histoire justifiait les épithètes de  lestès, de scélérat, de brigand dont les Juifs, ceux de Jérusalem surtout, et les païens décoraient unanimement le roi crucifié : elles étaient toutes fondées sur  la succession des révoltes jehouddiques et sur la participation qu'il y avait prise, et on retrouvait dans la révolte de 788 ce nom d'Eléazar qui, même après l'extinction des feux de 823, tranchait sur toutes les gloires de l'Indépendance juive[44].

On a donc commencé par enlever ce nom de la sentence rendue contre Bar-Jehoudda. Ensuite on a fait mentir Kaïaphas on disant à sa place que le sentence concernait seulement Bar-Jehoudda et qu'elle avait été rendue non cinquante jours avant son arrestation, mais la veille : première étape. Seconde étape : après avoir coupé Bar-Jehoudda d'avec son beau-frère, on l'a coupé d'avec ceux qui avaient été crucifiés en sa compagnie ; ceux-ci sont, encore des brigands, mais ils ne sont plus des complices. Troisième étape : il a bien été mis au rang des impies, mais c'est par une erreur des juges ; au rang des malfaiteurs, mais par' un déni de justice ; il n'a pas été enterré dans le cimetière des criminels par l'Haramathas, il a été déposé de la croix par un certain Joseph d'Arimathie qu'on n'a plus revu, mais qui était disciple, oh ! bien secret, du crucifié lui-même !

 

Il a fallu trois siècles pour camoufler l'Haramathas. C'est d'abord, dans le Quatrième Évangile, un homme sans profession, et qui vit dans l'attente du Royaume de Dieu. Dans Luc, c'est un conseiller, homme excellent et juste, qui n'avait adhéré ni à leurs actes ni à leurs desseins ; dans Mathieu, un homme riche d'Arimathie et qui même avait été disciple de Jésus. Dans Marc — avancement à l'ancienneté — il est nommé membre du Grand Conseil, car il faut justifier ses rapports diplomatiques avec Pilatus c'est lui qui va demander à Pilatus la permission d'emporter le corps.

Il est fort, difficile, pour ne pas dire pins, qu'un membre du Grand Conseil, un juge de Bar-Jehoudda, viole si outrageusement la Pâque et le sabbat par sympathie pour un traître qu'il avait condamné à mort et, si on en croyait l'Evangile, recondamné quelques heures auparavant. Joseph l'Haramathas, au contraire, est un homme que ses fonctions serviles attachent à ce lugubre endroit. C'est par métier qu'en ces jours de fête il se trouve hors des murs, dans le cimetière des Criminels. Il en est le gardien et le maître-fossoyeur. S'il eut des relations avec Pilatus, c'est que par Pilatus il faut entendre le centurion de garde on simplement des légionnaires. Pilatus n'est pas revenu au Guol-golta ; Marc, le vendredi, n'a vu qu'un centurion. Joseph, dit un scribe, était disciple de Bar-Jehoudda, mais secrètement, dans la crainte des Juifs. C'est 'assez dire que ses sentiments n'ont éclaté ni autrement ni ailleurs, qu'il n'en a jamais renouvelé l'expression et que les christiens de son temps les ont toujours ignorés. Car, à la grande surprise de tout observateur sérieux, nous ne reverrons plus jamais dans l'histoire apostolique ce disciple qui, pauvre ou riches simple citoyen ou conseiller, remplace à lui seul toute la famille dans cette douloureuse circonstance.

C'est là une de ces choses qui ne s'oublient pas. Si, après une telle participation au drame de l'Enclos des morts, Joseph s'enveloppe d'un voile si épais, c'est qu'il n'est pas présentable ; c'est devant les goym un témoin de criminalité compromettant. On cache un homme que la reconnaissance des apôtres eût poussé au premier plan de leurs Actes, s'il eût été ce que l'on dit. Car Joseph d'Arimathie est bon, il est pieux, il est riche : quoique membre du Grand Conseil, il est brave, car il fait de la dépouille du condamné un cas qui pourrait le rendre suspect à Pilatus. C'est un de ces hommes dont une secte s'honore, et pourtant, au lieu de le produire comme un glorieux spécimen christianisme primitif, on en éloigne sa douce et courageuse image.

 

En revanche, derrière lui arrive un personnage connu de ces mêmes Actes et, des trois Synoptisés, mais très en vue dans le Quatrième Evangile : nous avons nommé Nicodème[45]. Nicodème se présente avec une mixtion de myrrhe et d'aloès d'environ cent livres (il fait bien les choses !) pour embaumer le corps[46], et on ne peut s'empêcher de voir que, sans ces deux individus étrangers l'un à l'autre, le Nazir ira rejoindre ses partisans massacrés le 14 et ses compagnons de croix dans le Gué-Hinnom, le Jardin d'Hinnom. Il est clair que cos deux inconnus, ces deux étrangers usurpent le rôle qui incomba naturellement à la famille et aux disciples, notamment la mère et à la sœur du crucifié qui s'ont présentes. J'en appelle à toutes les mères, à tous les parents, à tous les amis, à tous les hommes de cœur ! Ce Joseph qu'on n'a jamais vu et qu'on ne reverra plus, ce Nicodème qu'on ne voit dans aucun autre Évangile, promus tout à coup au rôle de proches et d'embaumeurs, à l'exclusion des parents, cela est d'autant plus inadmissible que, pour ceux-ci, tous les obstacles sont supprimés par la mort du Nazir ! Tu devras l'enterrer, car un pendu est une chose offensante pour Dieu[47].

L'Évangéliste nous a tout à l'heure indisposés contre les Juifs dont le formalisme obtus coûte la vie à des malheureux chez qui tout espoir n'est pas encore éteint. Mais que penser de cotte mère et de cette sœur dont le respect pour le sabbat commencé est tel qu'elles refusent de donner les derniers soins, l'une à son fils, l'autre à son frère après six heures du soir, et qu'aucune n'ose même prendre sur elle d'assister n l'ensevelissement, si bien que, sans les bienencontreux Joseph et Nicodème, le corps va être jeté à la fosse commune ?

De deux choses l'une donc : ou il y avait accord préalable entre l'Haramathas et les femmes, ou l'accord s'est fait au cimetière pour que le corps nazir du fils de David fût mis à part. Car, condamné pour crime, il va être jusqu'au bout traité en criminel, et mis au rang des malfaiteurs comme dit l'Évangile. Il dépend de l'Haramathas, et de lui seul, que cela ne soit pas.

L'Haramathas avait toute l'entreprise du Gué-Hinnom : il n'en remuait pas seulement hi terre, il en excavait le rocher. Jardinier des morts, il était leur architecte leur maçon et leur tailleur de pierre. C'est lui qui faisait leur maison. C'est lui qui de ses propres mains avait creusé le caveau où il déposa le Nazir[48] et qui était capable de recevoir le corps d'un homme placé horizontalement, plus ceux de quatre personnes, dont deux anges, dans la station verticale. Est-ce lit le travail d'un membre du Grand Conseil pendant la l'ôte de la pâque et au jour du sabbat ? Nous avons consulté sur ce point un carrier renommé pour son adresse et il nous a répondu que pour pratiquer sans l'emploi des explosifs une excavation cubant quinze mètres dans un banc de calcaire, il ne fallait pas moins d'un mois à raison de dix heures par jour, et le double dans un banc de granit, un seul ouvrier ne pouvant abattre plus de cinquante centimètres cubes par journée, à cause du travail en ciel. Je veux bien qu'étant français ce carrier ne puisse fournir la même somme d'ouvrage qu'un personnage de l'Évangile, mais plus l'Haramathas lui rendra de points et plus cela fera ressortir ses qualités privilégiées. Ce Joseph est d'une vigueur et d'une habileté que nous comparerions à celles d'Hercule et d'Apollon réunis, si ce n'étaient là des images païennes déplacées sous l'azur qui encercle le peuple élu. Comme ce serait, faire injure à Joseph de supposer au caveau creusé en un tel lieu une destination personnelle ou de famille, nous devons croire que ce Briarée — on me passera Briarée qui après tout n'est qu'un monstre — avait creusé le caveau pour la clientèle spéciale à laquelle il le destinait. Si l'on admet qu'il a fait entre six et huit heures du soir une excavation dans laquelle deux femmes et deux anges peuvent se tenir debout, on ne peut s'empêcher de regretter la disparition d'un conseiller à la fois assez riche pour entreprendre le percement de la Faucille et assez fort pour suppléer à lui seul toutes les panclastites.

 

Quant à Nicodème, c'est un envoyé de la famille, sans doute un parent, à qui le deuil donne le droit de rompre la Pâque et de violer là sabbat. Venant de la ville ou de quelque bourg environnant, c'est un homme averti qu'il faut apporter cent livres de myrrhe et d'aloès au Gué-Hinnom pour le vendredi à six heures. Il n'a aucune confiance dans les mesures d'embaumement que Maria Cléopas aurait prises en détournant les trois cents deniers de parfums contenus dans l'alabastre du sacre. De deux choses l'une : ou Maria a dissipé follement les trois cents deniers ou elle a appliqué les parfums à son usage. L'Haramathas et Nicodème s'emparent du corps, l'enveloppent de linges bandés avec les aromates selon la coutume juive — tous les usages sont observés — et le déposent dans un 'caveau neuf où personne n'avait encore été mis. Le caveau était dans un Jardin situé au lieu du supplice. Ce Jardin n'était donc pas une propriété privée, plus ou moins close, plus ou moins attenante au lieu des exécutions publiques. C'était un cimetière, et le Nazir y fut mis, en un caveau qui n'avait encore reçu personne, tandis que ses compagnons, moins bien partagés, n'étant ni nazirs ni fils de David, étaient jetés pêle-mêle dans des caveaux où il y avait déjà d'autres corps : on lui à par ce moyen évité la fosse commune. Peu importe la nuance : il est dans le Gué-Hinnom, le Jardin d'Hinnom, le Clamart de Jérusalem. L'enquête de l'empereur Julien en 362 de l'Erreur christienne sur la personne humaine de Jésus ne laisse aucun doute à. ce sujet : Bar-Jehoudda eut la sépulture infâme, le cimetière des suppliciés[49].

Les cimetières étaient rares d'ailleurs, Les riches se faisaient enterrer le plus souvent dans leurs propriétés. Enterrer n'est d'ailleurs pas le mot qui convient, car on choisissait de préférence une sorte de galerie taillée dans le roc et dans laquelle on creusait des cases. Cependant, après avoir assassiné Ananias et sa femme, Shehimon et compagnie leur creusent une fosse hâtive dans leur jardin.

 

Dans la mystification de la Cène, Jésus précise le caractère qui fut donné au supplice et à la sépulture de son Joannès. Je vous dis qu'elle doit être accomplie aussi cette parole de l'Écriture (Isaïe) : Et il a été mis au rang des impies[50]. Ce qui me concerne (lisez : ce qui le concerne dans la prophétie employée ici) touche à sa fin[51]. Mais il ne faut point avoir peur de ceux dont tout le pouvoir consiste à tuer le corps et qui ensuite ne peuvent rien de plus. Je vous marquerai qui Vous devez craindre : ayez peur de celui qui a le pouvoir, après avoir tué, d'expédier on la Géhenne (non plus le simple Gué-Hinnom mais l'Enfer. Que le spectre du Gué-Hinnom ne vous arrête point !) ; oui, vous dis-je, c'est de celui là qu'il faut avoir peur[52]. Les scribes juifs, qui ont réussi à envoyer Bar-Jehoudda au paradis, n'ont jamais pu le tirer du Gué-Hinnom. Jugez-en par les raisons que fournit l'Épître aux Hébreux (troisième siècle au moins) pour justifier sa crucifixion au lieu impur. Les corps des hôtes, dont le sang est porté dans le sanctuaire pour (effacer) le péché, sont brûlés hors du camp. C'est pour cela aussi que le jésus, afin de sanctifier le peuple par son propre sang, a souffert hors de la porte (du Gué-Hinnom). Sortons donc vers lui, hors du camp, emportant son opprobre[53]. Lorsque vous aurez compris cette logomachie, même avec les éclaircissements que j'introduis entre parenthèses vous voudrez bien me le faire savoir.

 

L'Haramathas pouvait réclamer là corps, tous les corps même ils lui appartenaient. Luc confirme le Quatrième Évangile en ce qui touche son rôle : c'est bien lui qui descend le corps et le met dans un roc où personne n'avait encore été mis, pour que, même mort, la nazir ne rompit point son vœu. L'Haramathas et Nicodème posèrent là le corps, à cause de la préparation des Juifs (au sabbat), parce que le tombeau était proche. En effet, la loi du sabbat leur interdisait toute espèce de travail. Pourtant voici Nicodème qui va chercher en ville cent livres de myrrhe et d'aloès et une quantité notable de bandelettes ; voici que les deux hommes font nonobstant la Loi la funèbre besogne que la pitié leur commandait ; voici qu'ils roulent la pierre devant le caveau. Ce n'est donc point à cause du sabbat et de la proximité du tombeau que l'Haramathas et Nicodème ont déposé le corps à cet endroit, c'est d'abord parce que c'est la fonction de l'Haramathas, ensuite parce qu'ils n'ont pu faire autrement ce soir-là, et enfin parce qu'à ce moment ils ont considéré le caveau comme définitif. En tout cas, à moins que l'un n'agisse par métier, et, l'autre pur devoir de parent, ils violent outrageusement le sabbat.

 

V. — L'ASSOMPTION (ENLÈVEMENT) NOCTURNE.

 

Avant d'opposer à la résurrection le veto de la nature et de l'histoire, le veto même de toute la famille qui n'avoua même pas la crucifixion, il nous faut examiner un cas qui aurait pu se produire, l'apparence de la mort puis le retour à la vie. En effet, le supplice de la croix n'était pas mortel en soi ; il ne le devenait que par le temps et les conséquences, insolation, congestion, soif, faim. Josèphe a personnellement connu non pas un mais plusieurs crucifiés qui vivaient encore au bout de quelques jours. Envoyé aux environs de Jérusalem après la chute de la ville en 823, il trouva des suppliciés parmi lesquels trois de ses munis ; il eut le temps de retourner auprès de Titus pour implorer leur grâce et de revenir pour les ôter de la croix. Deux d'entre eux moururent dans les mains des chirurgiens qui les pansaient, mais le troisième survécut longtemps et peut-être vivait-il encore lorsque Josèphe en parle.

Ce cas s'élimine de lui-même par l'Assomption de Bar-Jehoudda qui. dans les plus anciennes Écritures, a lieu le jour même de l'enlèvement : il n'y a donc eu survie ni pendant quarante jours, comme on le lit dans les Actes, ni pendant dix-huit mois, ni pendant douze ans, comme on le lit chez certains Gnostiques.

Ou a bâti des romans absurdes sur l'hypothèse du crucifié transporté chez les Esséniens ou Thérapeutes, soigné par les disciples et revenu à la vie. Cette hypothèse n'aurait rien eu d'impossible, malgré son invraisemblance, mais comme elle est contraire à toutes les données primitives, nous ne pouvons nous y arrêter. Jésus donne pour le vendredi soir au bon larron — c'est notre ami le vertueux Simon de Cyrène — un rendez-vous auquel il n'aurait pas permis que manquât le fils de David.

Le bon larron à qui Jésus dit : Vous serez aujourd'hui avec moi dans le Paradis[54], aurait eu une déception étrange si, arrivé à destination, il n'avait pas trouvé Bar-Jehoudda en bonne place. Le Verbe, à qui rien n'échappe, n'aurait pas compris les raisons pour lesquelles le crucifié principal n'aurait pas accompagné là-haut son bienheureux séide. Mon ami, eût il dit à ce dernier, on nie la chance, on a tort. Supposez qu'au lieu de voler avec plus ou moins d'effraction et en versant plus ou moins de sang, vous ayez scrupuleusement observé la loi commune, vous n'auriez point été crucifié. Si vous n'aviez point été crucifié, vous resteriez confondu dans cette tourbe des Pharisiens et, des Saducéens que je réserve pour l'enfer. Au lieu de cela, vous pillez, vous volez, on vous crucifie, un heureux hasard vous place à côté d'un fils de David, vous voilà au Paradis. Cela ne vaut-il pas mieux que d'avoir été honnête homme ? Vous êtes Juif sans doute ?Oui, Seigneur, pour vous servir. Et Bar-Jehoudda, qui avait tué ou fait tuer beaucoup plus de monde, serait resté en traitement sur la terre pendant l'apothéose du Cyrénéen ? Il faut n'avoir aucune idée de la justice de Dieu, pour s'arrêter à une telle inégalité du sort !

 

Bar-Jehoudda était bien mort lorsque sa mère l'a ressuscité par un enlèvement. Elle va nous le dire elle-même. On a le choix entre cinq constats. Les plus anciens sont ceux du Quatrième M'aligne et d'un cinquième écrit dont l'épilogue est, resté accolé à celui de Marc. Vient ensuite celui de Luc, puis celui de Marc. Le dernier est celui de Mathieu. Mais il ne nous reste plus qu'un seul aveu de l'enlèvement : il est dans le Quatrième Évangile, Nous n'avons plus qu'une seule indication sur la direction dams laquelle le corps a été enterré : c'est Luc qui la donne.

Sitôt le sabbat passé — avec quelle ponctualité, quel zèle tout ce monde observe le sabbat ! Sans cela d'ailleurs Jésus n'aurait assumé ni Bar-Jehoudda ni son père ! — Salomé revint au Gué-Hinnom avec sa fille et rechercha l'emplacement où avait été mis le corps. Les deux femmes qui la veille ont guetté l'Haramathas et Nicodème pour voir où ils déposaient le corps et comme ils l'étendaient, cette mère et cotte sueur n'ont point eu la mémoire tellement courte qu'elles n'aient pu le remarquer à certains signes. Et puis Nicodème semble bien devoir être identifié avec un Cléopas, peut-être le père de celui que nous connaissons. Shehimon et Cléopas étaient à quelque distance, attendant qu'on les prévint pour Opérer l'enlèvement. C'est la femme de Cléopas qui fit la commission[55], nous en avons la preuve, Comme nous avons la prouve que le nom de Cléopas était dans les premiers Évangiles : En dehors de Maria, la résurrection a eu deux témoins, s'écrie l'Anticelse[56] : Shehimon et Cléopas ! Nous en avons une autre prouve dans l'épilogue joint à l'évangile de Marc.

Dans Luc, le vendredi soir, les deux femmes s'approchent, suivent Joseph, voient l'endroit où il dépose le Nazir et même elles regardent comme le corps y serait étendu sans aider à l'ensevelissement. Malgré leur attention, elles ne voient pas Nicodème et Joseph embaumer le corps ! Elles s'en retournent préparer les aromates et la myrrhe. Luc laisse encore aux deux hommes l'honneur d'avoir enseveli le Nazir, mais il leur refuse celui de l'avoir embaumé et il met cotte Seconde opération le dimanche matin pour donner aux doux femmes une occasion de revenir au cimetière.

Dans Marc, le sabbat approchant, Joseph, devenu membre du Grand Conseil et qui attend, lui aussi, le Royaume de Dieu, — il ne s'en cache plus de peur des Juifs, comme dans le Quatrième Évangile — s'enhardit jusqu'à aller trouver Pilatus à son palais (relations diplomatiques) pour lui demander le corps. Quoi ! déjà ? Pilatus s'en étonne au plus haut point et il y a de quoi, puisque dans la version actuelle de Marc il ne s'écoule que trois heures entre la mise en croix et la mort[57] ! Aussi n'en veut-il rien croire avant d'avoir fait venir le centurion de garde au Guol-golta. Il va sans dire que le centurion confirme la déclaration de Joseph et que Pilatus autorise celui-ci à prendre le corps. En tout cas il ne se méfie pas d'un enlèvement, il ne fait rien pour l'empêcher, et certainement il ne laisse pas de poste au Guol-golta. Le scribe ne commet pas les imprudences du Quatrième Évangile : on n'a cassé les jambes à aucun des suppliciés, on n'a pas donné de coup de lance au Nazir dans le côté, il n'est plus question du Jardin où l'Haramathas enterre indifféremment tous les malfaiteurs, de caveaux pleins et de caveaux où personne n'a encore été mis, non, tout cela n'est bon qu'à éveiller les soupçons. Ce Joseph et ce Nicodème qui rendent les derniers devoirs au roi-christ alors que sa mère et au moins une de ses sœurs sont lit, ces cent livres de myrrhe et d'aloès achetées par Nicodème, ce labeur nocturne, non, personne ne voudra croire qu'il se soit trouvé deux Juifs, dont l'un Membre du Grand Conseil, pour travailler à une pareille besogne, le sabbat commencé. Les scribes suppriment totalement Nicodème avec ses cent livres de myrrhe et d'aloès ; Joseph descend le corps de la croix, l'enveloppe d'un linceul qu'il a acheté et l'emporte. Seul ? C'est impossible, mais librement et sans surveillance. S'il lui plaît, on violant le sabbat, d'emporter le corps pour l'enterrer loin de ce lieu infâme, il le peut. Il le dépose dans le caveau vide, roule une pierre devant et se retire. Il est de toute évidence, et cette succession de gestes le démontre, qu'à part certaines précautions, Joseph n rendu le même office à tous les suppliciés. En effet, la Magdaléenne et Maria Cléopas l'observent afin de savoir en quel endroit il met le Nazir, car ses aides déposent précipitamment d'autres corps dans les galeries. On peut donc être certain que l'embaumement a ôté fait par les deux femmes immédiatement après la déposition de croix : elles n'ont laissé d'autre soin à Nicodème que de leur apporter les aromates nécessaires. Dans Luc leur mixtion est prête dès le vendredi soir. Elles ne sursoient à l'employer qu'à cause du sabbat et pour ménager aux scribes le moyen de les ramener au Guol-golta le dimanche matin.

Cependant nous savons par Mathieu qu'elles ont fait l'embaumement dès le vendredi soir, car dans le constat de résurrection qu'a forgé cet évangéliste, elles viennent au tombeau le dimanche matin sans le moindre aromate. La loi leur permettant, leur ordonnant même de violer le sabbat, elles l'ont violé. Mais comme, sous son pseudonyme de Magdaléenne, Salomé n'est plus la mère du roi-christ ; comme Maria Cléopas n'est plus la fille de Salomé ; comme, sous son nom grec, Nicodème est indéchiffrable ; comme, sous sa robe de Grand Conseiller, l'Haramathas est méconnaissable, il ne faut pas que l'embaumement soit du vendredi soir ; sinon, quel prétexte auront les femmes pour revenir au cimetière le dimanche matin ? Elles auront l'air de n'y revenir que déclenchées par les scribes, uniquement pour dresser le procès-verbal de la résurrection. D'autre part, comme on se dispose à soutenir que le crucifié l'avait annoncée aux femmes, il ne faut pas que sa mère et sa sœur donnent le plus formel démenti à cette assertion en procédant à l'embaumement dès la déposition. En tut mot, les exigences de la fable ne permettent pas que Salomé et, sa fille aient fait l'embaumement, en temps voulu, et personne ne leur reprochera d'avoir manqué à leur devoir, puisque désormais elles ne tiennent au supplicié par aucun lien de chair.

 

La pensée qui les a guidées tout d'abord, ç'a été de donner à Bar-Jehoudda une sépulture topographiquement honorable, de ne pan le laisser dans un endroit qui jugeait son cas devant l'histoire. Ce qu'on avait voulu éviter nu Nazir, en s'entendant avec l'Haramathas pour que le corps fût mis à part et dans un caveau vierge, c'est la promiscuité. Ce n'est pas seulement le caveau qui était vierge, mais toute la galerie. C'était un caveau dans lequel aucun autre supplicié n'avait été déposé, ni personne avant lui[58]. Par là le Nazir observait son vœu même après la mort.

Le sabbat passé et même le siècle, la Magdaléenne vient au sépulcre où elle est certaine de ne plus trouver le corps de son fils. Elle est, seule. Qu'est devenue Maria Cléopas ? Il n'y a qu'un moment elle était avec sa mère. Le lien n'est nullement clos, nullement gardé, l'entrée est absolument libre. C'est le matin du dimanche, dans la pénombre de la nuit qui finit et de l'aube qui commence. Maria s'approche, tout on larmes, voit. la pierre enlevée, se baisse pour regarder : deux anges vêtus de blanc sont assis là où était le corps, l'un à la tête, l'autre aux pieds : Femme, lui disent-ils, pourquoi pleures-tu ?Parce qu'on a enlevé mon Seigneur[59], et que je ne sais où on l'a mis. Se retournant au même instant, elle aperçoit Jésus qui vient pour assumer le Nazir et qui lui dit : Pourquoi pleures-tu, qui cherches-tu ?

Cotte Assomption se présente dans des conditions beaucoup plus difficiles que la Résurrection d'Éléazar. Éléazar est mort en guerrier qui succombe à ses bles7- suros, il a été enterré noblement, on ne cache pas le lieu de sa sépulture,' il a un tombeau qu'on blanchit chaque année selon la mode juive. Jésus n'a besoin de personne pour en faire un immortel ; il n'a qu'à ouvrir la bouche : Où l'a-t-on déposé ? demande-t-il. Sitôt qu'il le sait, il appelle, et Éléazar ressuscite. Mais pour Bar-Jehoudda il n'en va pas de même. Le corps devrait être dans le Guol-golta, puisque c'est là que Joseph l'Haramathas l'a enterré le vendredi soir. Mais comme dans la nuit du samedi il a été transporté ailleurs, en un lieu secret, Jésus ne sait où le prendre pour l'assumer, puisque sa mère elle-même ne veut dire à personne où il est. Si Maria ne parle pas, Jésus s'en ira bredouille.

Il y a là un dialogue absolument incompréhensible, tant qu'on n'en a pas découvert les dessous mythiques. Maria voit bien son fils, mais elle ne le reconnaît pas puisqu'il est devenu Jésus dans la fable et que, sous cette forme, il est vivant. Elle le prend pour le jardinier du Gué-Hinnom, le gardien de la nécropole, l'Haramathas lui-même : Si tu l'as enlevé (de la croix), lui dit-elle, dis-moi où tu l'as déposé afin que je l'enlève moi aussi (du caveau).

Mais Jésus d'un mot lui impose silence : Maria, dit-il. — N'oublie pas que tu es Salomé, mère de l'enlevé, inutile de raconter l'histoire de l'Haramathas qui a mis à part le corps de ton fils, grâce à quoi vous avez pu l'emporter ailleurs ! La postérité n'a pas besoin de savoir ces choses-là. — Maître ! répond-elle.

Et ici elle veut (comme le 17 nisan 789) toucher son fils pour l'enlever ; mais il répond par l'organe de Jésus : Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père (je suis toujours sur la terre)[60], mais j'y vais monter, remorqué par Jésus ; va vers mes frères pour leur redire : Je monte vers mon Père et vers votre Père, mon Dieu et votre Dieu. Sur ces paroles Maria va dire aux disciples qu'elle l'a vu ressuscité. C'est donc elle qui, pour que Jésus pût un jour assumer son fils, a eu l'idée de l'enlever du Gué-Hinnom, et de dire ensuite qu'il n'était pas mort puisqu'il n'avait pas même été crucifié. Si elle n'est pas brachialement l'auteur de l'enlèvement, l'initiative est d'elle. C'est l'œuvre de son génie maternel. Voilà la vérité dépouillée de sa robe mystique. Pour assumer Bar-Jehoudda, ce n'est pas au Gué-Hinnom que Jésus doit aller, c'est dans le lieu secret où on l'a transporté. Il ira donc quand il jugera le moment Venu, mais pas tout de suite, puisque d'après la convention le mort est, toujours parmi les vivants. C'est ce qui a retardé l'Assomption de plus de cinquante ans.

L'Épilogue ajouté à Marc[61] n'est qu'une réduction de cette scène : Étant ressuscité, le matin, au premier jour de la semaine, il apparut d'abord (sous la forme du jardinier) à Maria la Magdaléenne, de laquelle Jésus avait extrait sept puissances (ses sept fils). Maria alla l'annoncer à ceux qui avaient été avec lui, lesquels se lamentaient et pleuraient. Mais ceux-ci ayant entendu qu'il était vivant ne le crurent point. Il fallut que Shehimon et Cléopas s'en mêlassent[62]. L'allégorie du Quatrième Evangile serait entièrement conforme à la réalité, si on y disait par qui l'enlèvement a été fait, mais on le donne à entendre assez clairement. Sitôt qu'elle a vu le tombeau vide, Maria court vers Shehimon et son compagnon anonyme, de manière à amener sur place les deux opérateurs que nous avons déjà entrevus nous les espèces des doux anges :

On l'a enlevé du sépulcre, dit-elle, et tous (elle dirait je, si elle n'associait les deux hommes au mensonge qui va suivre) ne savons où on l'a transporté. (N'est-ce pas ? C'est bien entendu ? Nous ne savons pas.) Cette consigna échangée, Shehimon et, l'autre courent au tombeau, comme s'ils ignoraient qu'ils y eussent fait le vide dès le samedi soir. Le camarade de Shehimon arrive le premier, et s'étant baissé aperçoit les linges à terre, mais il n'entre point, on l'accuserait d'avoir coopéré à l'enlèvement ! Shehimon arriva le second, mais entre le premier (il n'a donc pas pu aider l'autre !), voit d'une part les linges et, roulé dans un endroit à part, le suaire qui avait été sur la tête du mort. Alors il croit. L'autre disciple voit pareillement et croit. Aucun ne se rappelant qu'il a aidé l'autre, tous deux croient. Et que croient-ils ? Qu'ils n'ont pas enlevé de nuit le corps de Bar-Jehoudda, car ils ne connaissaient pas encore ce passage de l'Écriture, disant qu'il doit ressusciter des morts.

Après quoi, les disciples rentrent chez eux[63] (sic.) Très bien. Il n'y a plus qu'à déterminer le nom du camarade de Shehimon. Vous avez remarqué que la mère du ressuscité vient seule au tombeau et que Maria Cléopas est absente. Maria Cléopas qui, dans toutes les versions, assiste à la crucifixion et, à l'ensevelissement, n'est pas au tombeau lorsque les scribes dressent par l'organe de sa mère le procès-verbal de la résurrection ; elle est allée prévenir son mari qui est venu la nuit et a opéré l'enlèvement, avec Shehimon.

Comme dans le Quatrième Évangile, c'est à la Magdaléenne et le dimanche matin qua le ressuscité apparaît tout d'abord : on ne la croit pas. Il apparaît ensuite à deux disciples qui vont aux champs (Cléopas et Shehimon) et qui retournent en ville pour l'apprendre aux autres lesquels à leur tour ne les croient point : c'est de cet épilogue que Luc a tiré, avec des fioritures inouïes, l'épisode des pèlerins d'Alamans, mais il en a biffé la mère du crucifié dont l'intervention était fort compromettante. Les Douze témoins de la résurrection étaient déjà inventés lors de cette rédaction, abstraction faite de Judas assassiné la veille de la Pâque, et leur témoignage substitué à la version de la famille (la non crucifixion). En effet, c'est aux Onze que le ressuscité se manifeste avant d'être élevé au ciel où il s'assied à la droite de Dieu, conformément à la promesse davidique. Après cent, ans, Maria qui a cessé de s'appeler Salomé à, d'être la mère du supplicié, Pierre qui pour la même cause ne s'appelle plus Shehimon et n'est plus frère du christ, Cléopas qui, n'ayant plus de nom, ne peut être soupçonné d'être son beau-frère, ont le droit de ne plus savoir qu'ils sont les auteurs de l'assomption horizontale (du Guol-golta à Machéron) qui permet à Jésus de pratiquer sur l'enlevé l'Assomption verticale (de la terre au ciel).

Sur le principe, l'accord est complet entre les quatre Évangiles : il n'y a pas l'ombre de résurrection, personne ne prétend avoir vu Bar-Jehoudda ressuscitant. Pas le plus petit miracle, mais une grosso maladresse qu'on va réparer comme on pourra : Maria reconnaît qu'il y a eu enlèvement au Guol-golta, et que doux anges ont transféré son fils en un lieu que nous ne savons pas, dit-elle.

Reste une question, celle de savoir si Shehimon et Cléopas ont enlevé lu corps dans la nuit du sabbat, celle du vendredi au samedi, ou dans la suivante, Car le sabbat ne les liait pas, ils avaient le pouvoir de le violer, étant les plus proches parents du mort, après la mère. Mais ce qui prouve que le corps ne fut pas enlevé la nuit du vendredi, c'est la complète similitude du cas du Joannès avec celui de Jonas, similitude qui exige trois jours et trois nuits. C'est ensuite que, dans Marc, Maria ne procède à ses achats d'aromates que le samedi soir, comme s'il était encore temps, et que dans tous les Évangiles elle ne constate l'enlèvement que le dimanche à l'aube. Elle n'a donc violé le sabbat que pour l'embaumement, et elle a réservé l'enlèvement pour le samedi soir après six heures, parce qu'à cette besogne il fallait des hommes et qu'elle n'en avait pas sous la main.

Dans Marc, sitôt, le sabbat passé, les deux Maria vont acheter les aromates. Le marchand fait des affaires d'or. Juif de la bonne école, il se garde bien de dire que la veille à la même heure, et pour le même objet, il a déjà vendu cent livres de myrrhe et d'aloès à Nicodème et que l'embaumement est fait[64]. Il ne leur rappelle pas non plus que, la veille à cette même heure, il leur a vendu à elles-mêmes ce qui leur était nécessaire[65]. Il livre et il empoche pour la troisième fois, tandis que les deux femmes, rentrées chez elles, font, la mixture selon la formule et préparent les bandelettes. Le dimanche, à l'aube, elles viennent au cimetière pour embaumer le corps, en réalité mobilisées par les scribes pour être les complices de la fourberie de la résurrection.

La pierre placée devant le sépulcre est extrêmement grande, afin qu'elles aient plus de peine encore à la remuer, et on chemin, elles se demandent avec anxiété qui la leur roulera.

Heureusement qu'il y a une Providence. La pierre est roulée et le sépulcre ouvert. Il est, lui aussi, extrêmement grand. Les femmes y tienne et toutes les deux debout, et une fois outrées, elles aperçoivent une troisième personne, assise à droite, un jeune homme vêtu d'une robe blanche, dont la présence on un tel lieu leur cause beaucoup de frayeur. Elles ont bien tort, car qui reconnaîtra, dans cet ange céleste, Shehimon et Cléopas, les deux anges terrestres que le Quatrième Évangile et Luc laissent encore on fonction ? De plus, il est assez averti pour en valoir deux, car dans les explications qu'il fournit, il se garde bien de prononcer le mot enlèvement : Vous cherchez le Nazir lequel a été crucifié : il n'est point ici, il est ressuscité. Voici le lieu où on l'avait mis (elles le connaissent beaucoup mieux que lui). Mais allez dire à ses disciples et à Pierre : Il vous précède en Galilée ; là vous le verrez, comme il vous l'a promis. On se rappelle au contraire — revoyez le Quatrième Évangile, si formel ! — que Bar-Jehoudda n'avait rien promis de semblable. Il avait dit qu'il régnerait pendant mille ans avec le Christ, ce qui n'est pas tout à fait la même chose.

La nouvelle de la résurrection produit un effet tout contraire à celui qu'on en peut attendre, car les deux femmes, qui devraient être enchantées, s'enfuient tremblantes de frayeur. Et tellement vite qu'elles ne voient pas, d'un côté, le linceul, de l'autre les linges dont le Nazir s'est défait pour ressusciter. Bien mieux, Maria la Magdaléenne qui, dans le Quatrième Évangile, arrive seule au tombeau et qui va ensuite chercher Cléopas et Shehimon, se sauve à toutes jambes avec sa fille, Maria Cléopas, sans rien dire à personne. Dans le Quatrième Évangile, elle n'a pas rencontré Maria Cléopas qui, dans Marc, entre avec elle au caveau ! Dans Marc, elle ne voit ni Shehimon ni Cléopas, qui dans le Quatrième Évangile sortent du caveau au moment où elle en approche ! La version de Marc s'éloigne donc en presque tous les points du Quatrième Évangile.

Mais elle est identique sur le point essentiel. Le lieu est plus le Jardin d'Hinnom, mais c'est encore un cimetière. Il n'est pas gardé, l'entrée n'en est point recherchée, mais elle est libre. On a pu enlever le corps quand on l'a voulu, et si on ne l'a pas fait en plein jour, ce n'est point par peur du Temple ou de Pilatus, mais à cause du sabbat et par besoin de mystère. On attendra la nuit du samedi au dimanche. Mais le corps est embaumé depuis le vendredi soir, les femmes le savent bien, elles qui ce soir-là ont vu Nicodème arriver avec ses cent livres de myrrhe et d'aloès ! Elles le savent bien, elles qui ont vu les aides de Joseph l'Haramathas placer la pierre devant le caveau et s'en aller ! Elles le savent bien, elles qui ont, de par la Loi, non pas seulement le droit mais l'obligation de rendre les derniers devoirs à leur fils et frère, sans que nul puisse leur reprocher d'avoir violé le sabbat ou rompu la Pâque !

Ce sont bien elles qui ont dit les premières : Il faut l'enlever ; nous dirons qu'il n'a pas été crucifié. C'est ce premier mensonge qui a permis aux évangélistes de fabriquer le second : obligés, après un siècle, de reconnaître qu'il avait été crucifié, puisqu'il ne reparaissait pas, ils ont pu dire : Eh bien, oui, il l'a été, mais il avait annoncé à sa mère et à sa sœur qu'il ressusciterait après trois jours et trois nuits comme feu Jonus !

 

A Luc le soin de plaider cette thèse. Le dimanche matin, la Magdaléenne et Maria Cléopas reviennent au tombeau, avec leur inutile mixtion. La pierre n'est plus sur l'ouverture et, pénétrant dans le caveau, elles n'y voient plus le corps. Comme elles s'interrogent en grande perplexité, deux personnages aux vêtements éclatants leur apparaissent. A la bonne heure, les voilà ! Ce n'est plus, comme dans Marc, un seul ange, assis. Ils sont deux et debout, près de la place où était le corps ; Luc avoue que Shehimon et Cléopas sont de l'affaire. Effrayées, les deux femmes[66] baissent la tête vers le sol, mais, les deux collaborateurs leur font comme un reproche de chercher un vivant parmi les morts et leur annoncent qu'il est ressuscité, conformément à ce qu'il leur disait à elles-mêmes quand il était encore en Galilée. Fortes de cette leçon, elles vont raconter les choses aux hommes, et ceux-ci ne les croient point. Personne n'était donc dans la confidence, ce qui ressort déjà très amplement des versions précédentes. La résurrection est donc bien l'œuvre des femmes avant d'être celle de Shehimon et de Cléopas. Comme Marc et l'auteur de l'épilogue ajouté à Marc, Luc ne combat aucune accusation d'enlèvement qu'on aurait en leur temps lancée contre la mère et les frères du roi-christ. Ils n'eurent pas à se défendre d'avoir enlevé Bar-Jehoudda mort, mais de l'avoir abandonné vivant. Aucun d'ailleurs n'est venu dans le voisinage de Jérusalem, sinon Shehimon et Cléopas. Luc a pris dans le Quatrième Évangile la phrase d'où il résulte que Shehimon, prévenu par les femmes, est accouru pour constater que le caveau est vide et qu'il n'y reste plus que les linceuls. La seule différence sensible entre les deux versions est que dans le Quatrième Évangile on fait arriver un autre disciple, Cléopas, avant lui.

 

VI. — L'IMPOSTURE SPÉCIALE À MATHIEU.

 

Toutes ces versions sont antérieures à celle de Mathieu, car on n'y repend pas encore à l'accusation portée contre la famille d'avoir enlevé le corps. N'étant pas au courant du projet, qu'on prête à l'imposteur de ressusciter après trois jours, le Temple ne fait encore rien pour l'empêcher d'aboutir ; Pilatus non plus. Les évangélistes n'ont pas encore songé à expliquer par l'accomplissement d'une prophétie une disparition de cadavre que la mère du disparu explique tout uniment par un transfert. Le temps viendra où les scribes disposeront du mort au gré de leur caprice, lui faisant dire et faire tout ce qui leur parait utile, tantôt qu'il ressuscitera après trois jours et trois nuits, tantôt le troisième jour ; ici annonçant à Pierre qu'il ressuscitera, mais lui demandant de ne le dire à personne ; ailleurs l'annonçant lui-même à tous les pharisiens ; enfin montrant dans Luc qu'il l'avait annoncé aux femmes à l'exclusion des hommes : tous accumulant les détours et les supercheries pour chercher à établir que Bar-Jehoudda ; mué en Jésus, avait prédit ce miracle.

La version de Mathieu est la dernière, incontestablement. Vous avez remarqué les progrès de la fable depuis la maladroite version du Quatrième Évangile. Il y a dans cette version les mots les plus malheureux du monde : celui de Jardin, ce Jardin où l'on enterre les corps des malfaiteUrs. Tout homme un peu au courant de l'assiette de Jérusalem y reconnaîtra la pointe du Gué-Hinnom : le mot Jardin ne reparaîtra plus. Luc seul laissera filer un rayon de l'ancienne lumière sur la spécialité de ce lugubre endroit ; il parlera du caveau où on n'avait encore mis personne. Le mot enlèvement est un mot déplorable on ne le reverra plus. Dans Mathieu il n'y a plus que trois croix bien comptées de manière à effacer l'impression d'une révolte appartenant n l'histoire et châtiée par des exécutions nombreuses. Le nazir Bar-Jehoudda, devenu Jésus, est entre deux brigands, pas davantage. La foule l'a mis nu, quoique le Quatrième Évangile lui laisse sa chemise sans couture. Elle s'est partagé ses vêtements en les tirant au sort, quoique les soldats de Pilatus se les soient appropriés déjà. Parmi ceux qui assistent au supplice, outre le centurion et ses soldats, il y a Simon le Cyrénéen qu'on a requis de porter la croix. Les femmes de la Galilée regardent de loin : parmi elles, la Magdaléenne, Maria (Cléopas), mère de Jacques et de José, et la mère des fils de Zibdéos, qui n'est point nommée, mais qui ne fait qu'un avec la Magdaléenne.

Le soir du vendredi, Joseph, qui est tout à fait d'Arimathie, homme riche et décoratif, se présente devant Pilatus et obtient de lui que le corps lui soit remis. Il ne réclame que celui-là, les autres étant trop durement qualifiés par Mathieu pour rentrer dans une mesure où le roi-christ est compris. L'Haramathas monte en grade ici : il ne se contente pas d'attendre le Royaume, il a été disciple du crucifié. Dignité telle qu'on lui enlève celle de membre du Grand Conseil. Mathieu ne veut plus que Nicodème ait dépensé cent livres de myrrhe et d'aloès pour embaumer Bar-Jehoudda de concert avec Joseph, et que cette opération longue et dispendieuse ait eu lieu après le coucher du soleil, le sabbat commencé. Cola se comprend : il emploie Joseph à une tout autre besogne : il lui fait creuser de ses propres mains, dans le roc, le caveau destiné à recevoir le corps. Le scribe a voulu un caveau creusé non d'avance et par métier, mais improvisé hâtivement et par piété, afin de montrer qu'il n'y avait point là de cimetière spécial, car on commençait à ne plus convenir que Bar-Jehoudda eût été mis au rang des malfaiteurs. Marc et Luc étaient des étourdis !

Après cet exploit dont un Titan s'enorgueillirait presque, Joseph enveloppe le corps dans un linceul pur, le dépose dans le caveau, roule une grosse pierre devant et s'en va.

En face du sépulcre sont assises la Magdaléenne et sa fille. La mère des fils de Zibdéos, qui était là, distincte, il n'y a qu'une minute, est rentrée dans la Magdaléenne. Ses antres noms, Joanna, Salomé, sont sévèrement écartés. La mère du jésus n'est plus là, car au temps de Mathieu Jésus ne peut plus avoir la même mère que Bar-Jehoudda, il n'a déjà plus les mêmes frères. Toute la nuit du vendredi au samedi se passe, toute celle du samedi au dimanche également. Mais que s'est-il passé dans ces deux nuits ?

Mathieu, naturellement, ne le dit pas. Mais quand le dimanche, dans l'aube blanchissante, la Magdaléenne et l'autre Maria — les scribes la compromettent de moins en moins ; les voici qui lui enlèvent le nom de non mari et ses deux enfants, Jacques, pourtant si petit, et José ! — viennent en visite au tombeau du roi-christ, sans le moindre aromate, — ce serait avouer qu'elles l'ont cru mort ! — elles sont accueillies par un tremblement de terre : ressort essentiellement apocalyptique.

Les scribes ont compris que cette myrrhe, cet aloès, ces bandelettes, ce linceul de tête, ces linges en paquet, cette pierre roulée ne sont pas des arguments suffisants en faveur de la résurrection, et surtout que cela n'écarte pas l'hypothèse de l'enlèvement si maladroitement soulevée par d'autres scribes. Ils suppriment toute espèce d'embaumement, que ce soit par Nicodème ou par les femmes. Mathieu répond ainsi aux objections faites par les impies, et tirées de ce fait évident que, d'une part, le mort n'ayant aucunement prédit sa résurrection aux femmes, d'autre part, le cimetière n'ayant point été gardé, rien n'a été plus facile, sans même violer le sabbat, que d'enlever le corps, dans la nuit du samedi au dimanche, par exemple. Voici donc ce qu'imagine Mathieu : le samedi matin les chefs des prêtres et les pharisiens vont trouver Pilatus et lui disent : Quand ce séducteur était vivant, il prétendait qu'il ressusciterait après trois jours. Fais garder le tombeau, de peur que ses disciples ne le dérobent et ne disent au peuple : il est ressuscité des morts ! Ce serait un mal pire que le premier (la prédication millénariste et les baptêmes). » Pilatus leur accorde les gardes qu'ils demandent et ils vont avec aux sceller la pierre que l'Haramathas s'est contenté de rouler devant le tombeau.

Nous avons ici une nouvelle certitude que le corps ne fut pas enlevé avant la nuit du samedi au dimanche. C'est le samedi matin que les chefs des prêtres et les pharisiens vont avec les soldats romains vérifier et sceller le sépulcre. Si le corps avait disparu dans la nuit du vendredi au samedi, c'est le vendredi soir que Mathieu enverrait le Temple demander des gardes à Pilatus. L'évangéliste est tellement sûr que l'enlèvement n'a pas été opéré dans la nuit du sabbatique repos, qu'on venant, sceller le sépulcre les prêtres jugent superflu de regarder dedans. C'est l'aveu que le corps y était toujours.

 

Le dimanche matin, sur un tremblement de terre devant lequel il n'y a point de ciment romain qui tienne, un ange du Seigneur descend du ciel, s'avance vers le tombeau, roule la pierre descellée par la secousse hors de l'ouverture : le corps n'y est plus. L'aspect de l'ange étant comme un éclair et son vêtement blanc comme la neige, les gardes effrayés  devinrent comme morts, et en effet ils le sont depuis trois cents ans quand Mathieu les fait intervenir.

Remarquez que l'ange descend du ciel et qu'aucun ange terrestre comme Cléopas et Shehimon n'étant entré dans le sépulcre avant lui, il ne peut y avoir eu enlèvement. Aucune intervention de moyens humains dans cette disparition : le mort n'est ressuscité par sa propre puissance. Et plus tard il n'a pas été assumé par Jésus, il s'est enlevé de son propre mouvement. C'est l'Assomption convertie en Ascension.

Peu préoccupé de l'embarras des gardes, l'ange fait constater aux femmes que le tombeau est vide, que par conséquent le mort est ressuscité selon sa parole et que, selon sa parole aussi, on le retrouvera en Galilée. Il leur recommande d'en prévenir les disciples. Comme elles y vont, le mort lui-même apparaît qui leur parle, leur fait toucher ses mains et ses pieds, les rassure et disparaît enfin, donnant rendez-vous à tous en Galilée, où en effet, selon l'Apocalypse, Jésus attend indistinctement tous les Juifs pour les récompenser ou les punir. De leur côté, les gardes vont annoncer aux chefs des prêtres et aux anciens ce qui est advenu, lesquels, après en avoir délibéré, leur donnent une bonne somme d'argent, leur disant : Déclarez que les disciples sont venus de nuit l'enlever pendant que vous dormiez. Si le gouverneur a connaissance du fait, ne vous inquiétez pas, nous l'en persuaderons et vous mettrons hors de peine. Les gardes prennent l'argent et font comme on leur a dit, tellement que cette explication, l'enlèvement, s'est répandue parmi les Juifs jusqu'aujourd'hui. Et non seulement parmi les Juifs de Jérusalem, mais parmi tous les évangélistes antérieurs à celui-ci, comme nous venons de le voir. Cependant les onze apôtres qu'on a définitivement constitués — autour d'Is-Kérioth qui s'est pendu — retournent en Galilée, sur la montagne désignée par Jésus, le Basan. Là, ils le trouvent et l'adorent. Quelques-uns d'entre eux doutent (est-ce possible ?), mais il leur parle, les réconforte, et leur donne pouvoir sur les nations jusqu'à la consommation du Cycle (du Zib ou Poissons en cours depuis le 15 nisan 789.)

Grand changement, comme on voit. L'enlèvement, parfaitement avoué dans le Quatrième Évangile par la mère du crucifié, n'est plus ici qu'une misérable explication des Juifs incrédules et déicides. Notez que le mensonge de Mathieu n'est pas sans fondement en ce qui touche la constitution d'un poste romain à un moment donné ; il est certain que Pilatus fit garder les croix du mercredi trois heures au vendredi six heures. Mais après que, par considération pour le Temple, ils ont rendu les corps à l'Haramathas qui de son côté devait les rendre à la terre, il retira le poste dont la mission avait pris fin.

L'enlèvement dans la nuit du vendredi eu samedi eût été impossible sans la complicité des gardes avec l'ange. Or il est inadmissible que les soldats de Pilatus se soient entendus avec un ange juif afin de soustraire 'u leur propre surveillance un homme crucifié pour rébellion contre eux-mêmes, et qu'ensuite ils aient fait- à leur chef une déclaration grossièrement mensongère qui les exil/osait aux châtiments les plus rigoureux. D'autre part, on ne voit pas bien Kaïaphas donnant de l'argent aux gardes uniquement pour corroborer In thèse de Mathieu, à savoir qu'il n'y a pas ou enlèvement mais auto-résurrection.

On n'aurait pris de précaution contre l'enlèvement que dans un seuil cas, celui où le nazir aurait annoncé sa résurrection dans le terme de celle de Jonas, mais alors ce n'est pas la résurrection qui eût été impossible, c'est l'enlèvement lui-même. Car tout le monde, à commencer par Kaïaphas et Pilatus, en aurait connu d'avance et le jour et l'heure. Et dans ce cas, ou ils auraient constitué la garde nécessaire pour l'empêcher, ou ils se seraient eux-mêmes constitués gardiens de caveau pour être les premiers è jouir d'un spectacle dont il y avait des exemples, évidemment, mais rares. Du vendredi, trois heures de l'après-midi, au dimanche, trois heures, du matin, il n'y a évidemment pas trois jours. Pour respecter sa prophétie, il eût fallu que le Nazir ressuscitât le lundi après trois heures de l'après-midi, en plein jour, à l'heure où le soleil est singulièrement photogène. Dans les autres évangélistes il s'engage simplement à ressusciter le troisième jour, ce qui lui laisse quant à l'heure une latitude dont il abuse pour disparaître avant la neuvième heure de la seconde journée[67].        

Pour Mathieu, il y a deux tremblements de terre à trente-six heures d'intervalle, l'un le vendredi lorsque Bar-Jehoudda rend l'esprit, l'autre le dimanche lorsque l'ange vient constater que le corps a disparu du tombeau. Ce second tremblement a pour effet de ressusciter des saints endormis depuis longtemps, qui entrent dans la ville et parlent à de nombreuses personnes[68]. Il a cet autre effet que personne ne s'en aperçoit en dehors des saints arrachés au sommeil et projetés hors de leur tombeau avec une telle violence qu'ils font une entrée involontaire dans Jérusalem. Parmi ces saints n'étaient ni Jehoudda ni Zadoc qui, comme vous le savez déjà, avaient été enlevés au ciel ; vingt-huit ans auparavant. Ni Pilatus, ni Kaïaphas, ni Hanan, ni les milliers de Juifs réunis pour la Pâque ne ressentirent la moindre secousse, ce qui empêcha les contemporains d'attribuer la disparition du mort à un tremblement de terre. La version de Mathieu confirme celle de Marc sur un point capital : ni la famille ni les disciples de Bar-Jehoudda, n'ont été inquiétés pour enlèvement. C'est par un ange du ciel que les femmes apprennent la résurrection. Dans Marc elles ne soufflent mot à quiconque de cette révélation aux gens de Jérusalem. Dans Mathieu les disciples ne revoient le mort qu'on Galilée, sur une montagne fort éloignée de Sion. Par conséquent, personne, juif ou païen, n'a su à la Pâque de 789 ou de toute autre année qu'un homme fût ressuscité dans le Guol-golta du Gué-Hinnom. On n'a donc accusé personne d'avoir fait disparaître son corps en dépit des gardes ou en profitant de leur sommeil.

 

VII. — SECRET À QUATRE.

 

En somme, cinq versions aussi inconciliables que possible : dans chacune, la preuve que le corps fut, enlevé, et que personne dans Jérusalem ne cria à la résurrection, voilà le bilait de l'Écriture ! La Résurrection n'est même plus une constatation testimoniale : c'est une révélation advenue à la mère du supplicié et colportée on Transjordanie par ses frères.

L'enlèvement lui-même ne fit aucun bruit dans Jérusalem : le Temple et Pilatus n'avaient pris aucune précaution, pour s'y opposer, personne sur le moment n'en sut rien et par conséquent ne le trouva mauvais. En parlant, la famille eût craint de laisser échapper le seul Secret qu'il y eût dans cette affaire, celui de l'endroit où elle enfouit le corps. Et comme, dans Mathieu, on voit le Temple donner de l'argent aux gardes pour ne rien dire à Pilatus, celui-ci abandonna la Judée sans rien savoir. C'est donc à bon droit que les platoniciens voire Celse reprochent au crucifié de ne pas s'être montré à ses juges et à ses ennemis comme il se montre dans le Quatrième Évangile à la femme frénétique dont le zèle maternel a été la cause première de cette rocambolesque superstition.

Shehimon et Cléopas n'avaient aucun intérêt à parler, à provoquer une enquête qui eût tourné à leur confusion immédiate, Ils ou avaient un grand à se taire, ne fût-ce que pour ménager peut-être, sous le nom de Nicodème, Cléopas, oncle du crucifié[69]. Quant à l'Haramathas, s'il eût été membre du Grand Conseil, comme par sa démarche auprès de Pilotas il' se serait constitué responsable de tout ce qui pouvait s'ensuivre, c'est lui qui eût payé pour tout le monde.

Au lieu du funèbre jardinier du Gué-Hinnom, figurons-nous Joseph d'Arimathie sous ses apparences actuelles. Qu'eût pensé le boit Joseph lorsque, revenant contempler son chef-d'œuvre d'excavation, il eût trouvé la pierre roulée, les linceuls épars sans le corps ? Son premier mouvement eût été, je pense, de lever les bras au ciel, mais son second mouvement, je le vois d'ici. Joseph se précipite chez Pilatus avec Nicodème pour lui dénoncer cette horrible profanation, cette violation de sépulture suivie d'enlèvement ! L'étonnement, la douleur, l'indignation, font battre le cœur du brave homme, et le visage de Nicodème est inondé de larmes. Dos mots entrecoupés s'échappent de leur bouche : Seigneur, vous nous aviez permis d'ensevelir notre Maître et nous l'avons fait. Voici Nicodème qui m'a aidé à le descendre de la croix, nous lui avons, grâce à vous, rendu tous les soins qui sont dans les usages de notre nation, et plus peut-être à cause de la vénération particulière que nous avions pour lui.... Et ce matin, nous ne l'avons plus trouvé où nous l'avions mis, on l'avait enlevé, la nuit ; la pierre était roulée et les linceuls épars ! Comment cela peut-il se faire, seigneur, car vous aviez accordé au Temple des soldats pour veiller devant son tombeau, de peur qu'on ne vint le prendre ? Et on l'a pris ! Seigneur, justice ! qu'on recherche les coupables et qu'on les arrête ! Au contraire, mettons que Joseph ait attendu la résurrection. Se représente-t-on l'émoi de Pilatus à cette révélation, cet émoi se communiquant à tout le Temple et à toute la ville, toute la population, secouée d'un immense frisson, dégringolant les pentes, s'étouffant dans les rues étroites et tortueuses, comprimant d'une main fébrile les battements de son cœur, reprenant haleine, et tombant à genoux devant le tombeau vide dans le jardin où les premières roses s'ouvraient au soleil du printemps ? C'est là, dans ce Jardin de résurrection, que le christianisme serait né et que le judaïsme tout entier eût communié avec lui, spontanément et sans lutte, sur la pierre roulée du sépulcre ! Moïse s'inclinait, Pierre n'avait plus rien à prêcher, Bar-Jehoudda, on faisant sa prouve, supprimait d'avance tous les travaux de l'apostolat et tous les tourments des martyrs. Pierre et ses compagnons, au lieu de fuir loin de Jérusalem, se montraient dans leur gloire au Sanhédrin repentant, ouvraient les bras à Kaïaphas converti. On concluait, là une nouvelle Alliance avec Iahvé, l'Eucharistie remplaçait immédiatement la Pâque, et c'en était fait de ces Saducéens obtus qui balançaient encore sur les moyens de sauver le genre humain.

Rien n'est, plus facile. Pierre et ses compagnons sont aux portes de la ville. Il semble qu'ils n'y soient restés que pour faire éclater sur la montagne de Sion la vérité de la résurrection dans la personne du Nazir. Les voilà !... ils arrivent ! La vieille âme des prophètes en est toute remuée. Quant aux Juifs venus des quatre points de l'horizon pour la Pâque, voudront-ils seulement, retourner chez eux ? On en doute.

 

 

 



[1] Paulus au livre V, De Sententiis, dist. 22.

[2] Plaute, Miles gloriosus, acte II, scène IV. Tacite, Histoires, l. II et IV. Capitolinus, Vie de Macrin. Sénèque, Lettre 7.

[3] Plaute déjà cité et Plutarque, De sera numinis vindicta, ch. XI.

[4] Marc, XV, 21. Dans Mathieu on lit qu'ils l'y contraignirent, XXVII, 32. S'il est vrai, comme le dit la famille, qu'on ait mis la croix de l'un sur le dos de l'autre, il a fallu en fabriquer une pour celui des deux qui n'en avait pas.

[5] Cf. Le Roi des Juifs.

[6] Gula, en effet, vient de guol.

[7] Toutefois on trouve le mot dans le Zohar. Les scribes grecs ont traduit guol-golta par l'endroit appelé Cranion, ce qui a fait penser au Cranion d'Athènes, mais ce n'est pas d'un sommet dénudé en forme, de crâne qu'il s'agit. On ne peut nier que le Guol-golta fût ainsi appelé, non à cause de son aspect crânien, mais à cause des crânes dont il était rempli. Ce n'est pas lieu du crâne qu'il y avait dans l'exemplaire d'Épiphane et dans la Vulgate ancienne, c'est lieu des crânes, Calvariæ. Aussi les peintres les plus anciens ont-ils représenté des ossements au pied de la croix, et nullement parce qu'Aaron avait été enterré là, comme le dit Joannés Molanus, d'après Albert le Grand. Tous ceux qui n'ont pas entièrement perdu le sens, Jansénius, in concordid evangelica, ch. 143, Grotius, in nolis evangelicis, Vossius, in harmonid evangelica, l. II, § 16, en conviennent. Nous faisons grâce aux lecteurs de la série des faux par lesquels l'Église est parvenue à placer le lien des exécutions sur le Calvaire actuel.

[8] Déclaré tel à jamais par le roi Josias. Hors de la ville sainte, dit Isaïe (LXVI, 21), sont les cadavres des rebelles dont le ver ne meurt pas et dont le fou ne s'éteint pas.

[9] Mathieu, V, 22.

[10] Lévitique, XVIII, 20 et XX, 2. Ces défenses sont très certainement postérieures à Moise lui-même et aux quarante années que les Juifs vont passées dans le désert après leur sortie l'Égypte. Il n'est point douteux, que dans les temps antérieurs aux Écritures, ils n'aient brûlé leurs enfants en l'honneur le Moloch, très probablement leurs striés. Abraham est le premier qui semble avoir hésité devant cette atroce coutume : mais il avait préparé tout ce qu'il faut peur y satisfaire, lorsqu'une voix intérieure lui commanda d'y manquer. La loi de naziréat, dans laquelle ou prescrit le rachat du premier-né moyennant argent, est la trace d'une loi plus ancienne et plus barbare. Malgré les beaux préceptes et les mirifiques descriptions cultuelles que nous lisons dans les livres dits de Moise, c'est Moloch que les Juifs ont adoré dans le désert : Maison d'Israël, s'écria Iahvé dans Amos (V, 25, 26), m'avez-vous offert des hosties et des sacrifices dans le désert pendant quarante ans ? Vous y avez porté le tabernacle de votre Moloch, l'image de vos idoles et l'Etoile de votre dieu (c'est l'Etoile du matin annonciatrice du soleil, celle, que dans son Apocalypse, Bar-Jehoudda disait être), qui n'étaient que des ouvrages de vos mains ! Dans le discours de Jacob junior, lapidé par Saül sous le nom de Stephanos (Cf. Le Roi des Juifs), le scribe des Actes des Apôtres (VII, 42, 43) le leur reproche dans les mêmes termes qu'il emprunte textuellement au discours d'Iahvé dans Amos, et de plus il nous apprend que, dans cette idolo-astrolâtrie, l'Etoile du dieu s'appelait Romphan. Les sacrifices à Moloch ont recommencé au Gué-Hinnom de Jérusalem, comme un peut le voir par le Psaume CV, 37, par Ézéchiel, XVI, 20, 21 et XXIII, 39, par Jérémie, VII, 31, et par le deuxième livre des Rois, XXIII, 10. Pour couvrir les cris que la souffrance arrachait aux malheureux, qui des bras de Moloch tombaient dans la flamme du bûcher, on battait les loph ou tambours avec une frénésie sauvage : d'où l'endroit avait été nommé Topheth.

[11] Jérémie, VII, 31, 32.

[12] Jérémie, XIX, 1-11.

[13] Récit de voyage, présenté par l'Église comme étant du quatrième siècle.

[14] Joël, III, 7.

[15] Luc, VII, 28.

[16] Dans le Quatrième Evangile où il a bien voulu se prêter jusqu'au pied de la croix à la fantaisie de Cérinthe, Jésus refuse d'aller plus loin et de tromper plus longtemps ceux qui ne sont pas initiés au principe de la christophanie. Il s'approche de sa mère selon le monde et lui rend son véritable fils, le Joannès, dont il a pris le corps pour faire entendre la voix de la Parole divine. Nous reviendrons amplement sur ce mythe dans les volumes où nous étudions la fabrication de Jésus.

[17] Marc, XV, 25.

[18] Quatrième Evangile, XVIII.

[19] Marc, XV 26 : Et le titre de sa condamnation était ainsi écrit : le Roi des Juifs. La condamnation par le sanhédrin remontait à cinquante jours.

[20] Luc, XXIII, 33. Il y avait au-dessus de lui une inscription était écrit en caractères grecs, latins, et hébraïques : Celui-ci est le roi des Juifs.

[21] Mathieu, XXVII, 37.

[22] Quatrième Evangile, XIX, 19.

[23] Quatrième Evangile, XIX, 20.

[24] Le Quatrième Evangile laisse à penser qu'il y serait retourné le vendredi vers six heures du soir. On verra pourquoi.

[25] Bris des iambes.

[26] Luc, XXIV, 7, 21, 46.

[27] Mathieu, XVII, 11 et Marc, XV, 32,

[28] Luc, XXIII, 39.

[29] Le rabbin de Celse.

[30] Anticelse, livre II, n° 45.

[31] On a supprimé le nom du Joannès et la virgule, de manière à obtenir : Maria Cléopas, sœur de sa mère.

[32] Conjonction ajoutée après qu'il fut décidé qu'on ferait de la Magdaléenne une personne distincte de Maria.

Thamar n'avait pas suivi. La mort d'Eléazar l'avait refroidie. (Cf. Le Roi des juifs.)

[33] On se rappelle que Jehoudda est souvent appelé Joannès dans Mathieu et dans le Quatrième Évangile. (Cf. Le Charpentier.)

[34] Il est dit le petit par rapport à Jacob senior, son oncle.

[35] Il est dit le petit par rapport à Menahem, son oncle, surnommé Joseph dans les Évangiles et Joseph bar-Sabas dans les Actes des Apôtres.

[36] Marc, XV, 33 et suiv. A cette version opposons celles où il refuse de boire le mélange qu'on lui tend, le vinaigre lui étant défendu par son naziréat.

[37] Deutéronome, XXI, 23.

[38] Note du verset 31 du ch. XIX.

[39] XVIII, 23.

[40] Ceci quand on avoua qu'il avait été crucifié.

[41] II, 16.

[42] Le radical d'érénos, désert, est haram dont l'h se retrouve dans le grec sous la forme de l'esprit rude accolé à l'epsilon, et dont le sens étroit est celui de lieu privé, interdit au public, pour quelque cause que ce soit, bonne ou mauvaise. Aujourd'hui encore l'antique nécropole juive d'Alexandrie s'appelle Harahimiyé : elle est antérieure à l'ère en cours.

[43] Haramatha-is est formé syriaquement, comme Ptolémaïs, le lieu de Ptolémée, Antipatris, le lieu d'Antipater. Is est une manière de génitif. Is-Kérioth, c'est Kériothaïs.

Du mot sanscrit, math, et persan, mat, viennent mat (aux échecs), matador, matamore.

[44] A cause de cet autre Éléazar, frère, fils ou neveu de celui de 788, et qui tint contre Rome après la chute de Jérusalem.

[45] C'est un personnage spécial au Quatrième Évangile.

[46] Il y a aloès dans Papias qui ne connaît ni Luc ni le prétendu Johanan autour du Quatrième Evangile, mais seulement Mathias et Marces.

[47] Deutéronome, XXI, 23.

[48] Mathieu, XXIX, 60.

[49] Lettre de Julien à Photin, la soixante-dix-neuvième de l'édition Hertlein. Nous y reviendrons.

[50] Isaïe, LIII, 12.

[51] Luc, XXIII, 35 et suiv. On voit le chemin suivi par l'imposture juive. Au lendemain de la crucifixion : Il n'a pas été crucifié du tout. Un siècle après : Il avait prédit ce qui lui est arrivé, le Guol-golta par le prophète Isaïe, sa disparition après trois jours par l'apologue de Jonas.

[52] Luc, XII, 5.

[53] Épître aux Romains, XIII, 12.

[54] Luc, XXIII, 42, 43.

[55] Quatrième Évangile.

[56] Répondant à cette observation de Celse qu'au fond la résurrection n'a d'autre garant qu'une femme, la Fanatique, la Zélote.

[57] En retardant la mise en croix de quarante-cinq heures pour donner un air de vraisemblance à la mystification eucharistique qu'elle a placée le jeudi soir, l'Église s'est trouvée obligée d'interpréter à la romaine l'horaire que Marc avait établi à la juive. Elle dit qu'il était neuf heures du matin lors de la mise en croix. Cela donne neuf heures de croix à Bar-Jehoudda.

[58] Luc, XXIII, 13 ; Quatrième Évangile, XXX, 41 ; Mathieu, XXVII, 60.

[59] Ainsi le commande la fable où Jésus, père de tout ce monde, a remplacé le Rabbi, fils aîné de Jehoudda et de Salomé.

[60] En Samarie, à Machéron où nous allons le voir transporté.

[61] Marc, XVI, 9.

[62] A qui il va apparaître sous une autre forme (Marc, XVI, 12), c'est-à-dire au banquet d'Ammaüs.

[63] Quatrième Evangile, XX, 1 et suiv.

[64] Quatrième Évangile.

[65] Luc.

[66] Luc en double une, la Magdaléenne, par Joanna.

[67] Ne jamais oublier que la journée juive commence à six heures du soir.

[68] En exécution de l'Apocalypse (XX, 4 et 5, p. 73 du Roi des Juifs) et dans les mêmes conditions que son auteur et Jonas lui-même, le quatrième jour.

[69] Plus nous réfléchissons au rôle de Nicodème dans cette circonstance, et plus nous pensons qu'il est le frère de Salomé, l'oncle des neuf enfants de Jehoudda. C'est il lui certainement et non à Joseph l'Haramathas que s'applique la phrase où il est dit que celui-là n'avait participé ni à leurs actes, ni à leurs desseins.