LE MENSONGE CHRÉTIEN - (JÉSUS-CHRIST N'A PAS EXISTÉ)

 

TOME II. — LE ROI DES JUIFS

VI. — PONTIUS PILATUS.

 

 

I. — ARRESTATION DU ROI-CHRIST À LYDDA (13 NISAN).

 

Cependant un gros de christiens avait pu gagner Jérusalem, avant que la cavalerie de Pilatus ne barrât la route. Ils y firent les purifications qui précèdent la pâque et attendirent les événements, croyant voir apparaître le roi-christ vainqueur, le cherchant des yeux dans l'enceinte du Temple, et se disant entre eux : Que vous semble ? Est-ce qu'il ne viendra pas ? Or les chefs des prêtres et les pharisiens avaient donné ordre que, si quelqu'un savait sa retraite, il la déclarât Pour qu'on pût le saisir[1].

Le 11 nisan, trois jours avant la pâque[2], les prêtres s'assemblèrent dans la cour de Kaïaphas, délibérant de le saisir par ruse[3] — ils savaient donc où il était — et de le mettre à mort. Mais, disaient-ils, non pas pendant la fête, dans la crainte de tumulte parmi le peuple.

Il fallait absolument que Bar-Jehoudda fût arrêté avant la pâque. Si on l'arrêtait pendant la pâque, quoique régulièrement condamné, on ne pouvait pas le crucifier, à cause du peuple, dit Mathieu, à cause de la Loi même, dit la raison. Tout le monde savait, — et les Actes des Apôtres le disent bien haut, — que les Juifs ne devaient pas exécuter quelqu'un pendant la pâque.

En attendant l'arrivée de Pilatus, Kaïaphas, avec la police du Temple, garantissait l'ordre, et Antipas venait d'entrer dans la ville avec ses gardes, regrettant de n'avoir pu rencontrer le roi des Juifs pour le tuer. On donna des hommes à Is-Kérioth qui partit pour arrêter le fugitif là où il le trouverait, car on avait appris qu'il se cachait entre la Samarie et la mer, cherchant sans doute à gagner Joppé pour s'y embarquer. Is-Kérioth avait si peu trahi, il avait reçu si peu de sicles à Bathanea, que, dans la fable évangélique elle-même, il est censé avoir fait toute la campagne de Samarie avec le roi des Juifs ! Mais il commanda la troupe envoyée à la recherche de ce fuyard émérite contre lequel gens de Pérée et Samaritains, Galiléens et Juifs, Pharisiens et Saducéens, s'étaient insurgés avec une égale véhémence.

Où Bar-Jehoudda fut-il pris ? A Lydda même, dit le Talmud, et cette indication semble d'autant moins suspecte qu'elle est immédiatement suivie d'un autre fait dont nous vérifierons tout à l'heure l'exactitude : il fut suspendu au bois dans l'après-midi qui précède la pâque. Ce qui confirme le Talmud, c'est la tradition arabe, héritée de la tradition juive ; Jésus au jour du Jugement doit tuer l'Antéchrist devant la porte de Lydda.

Huit ans après, Shehimon retournant à Lydda pour y visiter les saints — lisez : les habitants restés fidèles au jehouddisme — Shehimon trouve un homme du nom d'Œneas — un équivalent d'Oannès, c'est-à-dire un prophète christien — lequel depuis huit ans gisait, paralytique, sur un grabat (il attendait un signal). Shehimon lui dit : Oannès, le Christ Jésus te guérit ; lève-toi et fais toi-même ton lit. Aussitôt l'homme se leva, et tous les habitants de Lydda et de Saron le virent et furent convertis au Seigneur[4]. Entendez qu'à la voix de Shehimon le parti zélote, un instant paralysé, se reforma sous Claude et, ô miracle ! dans le pays même où le Joannès-jésus avait passe sa dernière journée de liberté.

 

Une des premières choses qu'on fit pour masquer sa fuite et déguiser le lieu de son arrestation à douze lieues du Mont des Oliviers, dans la direction opposée, ce fut de dire qu'il était monté à Jérusalem sans encombre, la bouche pleine de paraboles, entouré des disciples, et que ce Voyage, prélude de son sacrifice volontaire, avait duré trois jours : Eloigne-toi de ce pays, lui disent quelques pharisiens employés à cette fraude par Luc, et quitte ce pays, car Hérode veut te tuer. Il répond nettement : Allez dire à ce renard que je chasse les démons et opère des guérisons aujourd'hui et demain et le troisième jour je serai à mon terme (Jérusalem) ; mais je vais marcher aujourd'hui et demain et le jour suivant, car il est impossible qu'un prophète meure hors de Jérusalem. Rien ne lui était plus facile, au contraire : il n'avait qu'à se faire tuer au Sôrtaba, mais cette idée ne lui vint point. Au contraire l'idée vint aux évangélistes de le montrer guérissant de faux aveugles dont les yeux deviennent tellement perçants qu'ils l'ont vu faire une entrée solennelle dans Jéricho, le lendemain de son arrestation, aux cris assourdissants de : Bar-David ! Bar-David !

 

II. — ASSASSINAT DE JEHOUDDA IS-KERIOTH.

 

Bar-Jehoudda était seul lors de son arrestation, mais il y eut une tentative pour le délivrer, lorsque la troupe qui l'amenait approcha de Jérusalem. Is-Kérioth n'entra point dans Jérusalem avec sa capture. Assailli par une bande de christiens ou attiré dans un guet-apens, il tomba, le ventre ouvert, sous les murs de la ville[5]. C'est ce qu'il y a de plus clair dans son cas. Selon toute apparence le coup fut fait par Shehimon qui avait contracté l'habitude de ce genre d'opérations dans les rapports assez tendus qu'il avait eus avec Ananias et Zaphira.

Il se peut aussi qu'il n'ait été assassiné qu'au retour après la crucifixion de Bar-Jehoudda qui eut lieu le lendemain de l'arrestation. Le secret est entre Dieu et la Poterie de Jérusalem où Jehoudda Is-Kérioth fut trouvé par un clair matin, les entrailles hors du ventre. Les Evangiles primitifs se taisaient sur ce meurtre comme ils se taisent sur celui d'Ananias, de Zaphira et de bien d'autres. C'était un cadavre de plus dans une affaire où on ne les avait pas comptés. Seuls les registres du Temple, brûlés avec ceux du Sanhédrin dans la chute de Jérusalem, en 823, pouvaient lui accorder quelque mention spéciale à cause delà cérémonie expiatoire qui s'ensuivit.

Nous avons montré, chiffres en main, car ce sont eux ici qui décident, qu'Is-Kérioth n'avait jamais exercé le "moindre ministère dans la bande apostolique, qu'il n'assistait pas au chrisme et qu'il n'avait jamais reçu du Temple le moindre denier. Is-Kérioth a arrêté un individu condamné par la justice de son pays et dont peut-être il avait souffert dans sa famille ou dans ses biens. En fait de traître, je n'en vois qu'un : Bar-Jehoudda ouvrant aux Arabes le chemin de la Pérée et abandonnant sa troupe à la haste des cavaliers romains.

Le rabbin de Celse range certainement Is-Kérioth parmi les braves Juifs qui ont accompli un devoir civique en débarrassant la Judée de ce boutefeu.

On ne pouvait pas avouer aux dupes en cours et futures que le Juif transfiguré dans l'Évangile et représenté comme ayant volontairement souffert avait fui honteusement sur le champ de bataille, et qu'arrêté par la police dont il relevait plutôt que de l'armée, il avait fini en vulgaire malfaiteur.

On ne pouvait pas avouer qu'avant d'abandonner les siens, il avait été abandonné par eux dans une panique accélérée. Il était beaucoup plus facile de tout rejeter sur l'unique Is-Kérioth, lequel n'était entré dans l'aventure que pour la dénouer conformément à la sentence du sanhédrin.

Ce qu'on ne pouvait pas avouer surtout, c'est le motif absolument désintéressé pour lequel Is-Kérioth s'était porté contre cette bande de tyrans imposteurs et criminels. Tout le travail des scribes à la solde de baptême fut de justifier les fuyards par des prophéties, puis de changer l'ordre et le sens des faits quand ils contrariaient ces prophéties, travail singulier dont l'histoire du monde n'offre aucun autre exemple, et qui, fait sans méthode et sans plan, au fur et à mesure que les questions se posaient, ne résiste sur aucun point a la poussée du bon sens et de la justice. Il était de notoriété publique, au temps de Celse, que les scribes avaient remanié trois ou quatre fois et plus le texte des Evangiles, afin de répondre tant bien que mal aux objections que soulevaient leurs fourberies.

Les premières fables apostoliques, comme l'Assomption du jésus, émanent toutes de scribes à la dévotion des Beni-Jehoudda. En ce qui touche Is-Kérioth, elles respirent la forte odeur de la calomnie et de la lâcheté. N'ayant aucune raison de se suicider, Is-Kérioth ne s'est ni pendu, comme dit Mathieu dernière manière, ni jeté dans un précipice, comme disent les Actes des Apôtres. S'il se fût suicidé de quelque façon que ce soit, il aurait rendu un tel hommage à la mémoire de Bar-Jehoudda et un tel service à la réputation des apôtres qu'il y aurait accord complet entre toutes les versions. Or, elles sont radicalement inconciliables, elles n'ont même pas le caractère d'un mensonge synoptisé. Dans chacune le scribe ment pour son compte. Mais étant donné que les évangélistes accusent unanimement Is-Kérioth d'avoir causé la mort de Bar-Jehoudda en le livrant au Temple, c'est qu'il a été Puni par les goël-ha-dam de son prisonnier.

En fussions-nous réduits à marier la version des Actes avec celle de Mathieu, c'est un fait reconnu par elles qu'Is-Kérioth est mort dans les cinquante jours de l'arrestation. Mathieu dit le soir même, et par hasard il dit la vérité. Is-Kérioth ne s'est donc pas éteint, vieux, gros et gras, dans son lit, comme dit Tryphon[6] en un dialogue qui date du troisième siècle au moins. Ce Judas qui s'avance — Judas qui s'avance — paisible et fleuri dans les rues de Jérusalem m'a tout l'air d'être Paré comme un animal dans le genre du Bœuf gras que son triomphe n'empêche pas d'être égorge. Au milieu des meurtres que les christiens accumulent autour d'eux, Judas seul, béat et le ventre en proue, se Prélasserait, répandant autour de lui comme un parfum de bourgeois qui a placé les trente deniers à gros intérêts et qui va toucher ses rentes ? Alors qu'Ananias et Zaphira sont tombés, la gorge ouverte par la sique des apôtres pour une erreur d'addition, Judas la Honte, Judas, qui a livré le jésus, Judas, cicérone de la trahison à tant par jour, Judas, l'homme-Satan, ferait retentir le Gazophylakion de son pas pesant et tranquille ?

Tandis que les Beni-Jehoudda pendent au bois crucifiés, le nez sur l'éponge de vinaigre que leur tendent les légionnaires de Claude et de Néron, Judas ne cède qu'à la douce poussée des ans et se trouve un jour hors de la vie sans qu'on s'en aperçoive. Vous êtes sûr, Tryphon, qu'Is-Kérioth a vécu ainsi, jusqu'à un âge fort avancé, lisant le soir à la lampe la Résurrection du jésus et évoquant le bon temps où, aux portes de Lydda, il empoignait d'une main ferme le roi-christ encore tout étourdi par le galop furieux des cohortes romaines ? Vous ne préférez pas croire, étant donné que vous ne connaissez encore ni la pendaison de Judas, laquelle n'est point encore dans le féal Mathieu, ni son auto-éventrement, lequel n'est pas encore dans les Actes, vous ne préférez pas, dis-je, croire que, n'ayant pas plus déraisons pour s'éventrer que pour se pendre, Is-Kérioth n'est pas mort de son plein gré ? Voyons, tenez-vous beaucoup à votre version ? Puisque tout le monde accorde que le cadavre d'Is-Kérioth a été trouvé à la Poterie, sous les murs de Jérusalem, n'est-ce point pour effacer le souvenir d'un assassinat en règle, le plus explicable sinon le plus légitime de toute cette histoire, que par un contraste à la Désaugiers vous nous représentez la victime faisant son marché elle-même, vingt ans après, et prenant le menton aux commères ?

Allons au fait. Is-Kérioth est mort de la même main, percé de la même sique qu'Ananias et Zaphira. Sa pendaison dans l'Évangile, son auto-éventrement dans les Actes, sa fin patriarcale dans Tryphon, sont autant de déguisements inventés par l'Eglise. Je ne doute pas que dans les écrits de Philippe, de Toâmin et de Mathias, les Sicaires apostoliques genre Shehimon ne se vantassent d'avoir fouillé curieusement les entrailles de ce damné. Le nom d'Is-Kérioth était certainement dans Valentin, il en a disparu avec ceux des autres victimes de la bande christienne. Il a disparu en même temps que toute la scène, dantesque avant la lettre, où les apôtres, dans une crise de remords tardifs, demandaient à Jésus l'absolution de leurs forfaits et de leurs turpitudes[7].

Is-Kérioth n'acheta donc point le champ du potier dans la banlieue de Jérusalem. Il y a toutefois une poterie dans son cas, celle où il fut trouvé, un matin, le ventre ouvert par le milieu. Tous les habitants de Jérusalem connurent, en effet, ce crime auquel ils attribuèrent sa véritable cause, et dont ils devinèrent les coupables sans pouvoir en désigner aucun. C'est fort à Propos que ce champ fut surnommé le champ du sang, il s'agit de celui qui fut versé par les vengeurs du sang de Bar-Jehoudda. Il y eut ensuite une cérémonie expiatoire, comme l'avait ordonné non pas un grand-prêtre éphémère, mais Dieu lui-même. Dès que l'on eut trouvé le cadavre, les lévites de service et les Anciens s'assemblèrent, se transportèrent dans le champ, se lavèrent les mains dans le sang d'une génisse qu'on y avait sacrifiée et, les élevant vers les cieux, dirent : Nos mains n'ont point versé le sang, nos yeux n'ont point vu celui qui l'a versé. Rachète de ce sang ton peuple, ô Iahvé, et ne rends point responsables les innocents[8]. Is-Kérioth ne posséda jamais de champ sous Jérusalem ; c'est le Temple qui, sous Claude, quelques années après le meurtre d'Is-Kérioth par les apôtres, acheta de ses deniers la Poterie où le malheureux avait trouvé la mort et la convertit en cimetière pour les étrangers.

Is-Kérioth avait si peu trahi, il avait été si peu acheté par le Temple, il avait si peu volé à Bathanea ou ailleurs, que dans les allégories du Lavement des pieds et de la Cène Jésus l'invite au repas, lui lave les pieds comme aux autres, l'admet au bénéfice de la Pâque comme les autres, lui confie comme aux autres les mêmes fonctions d'ultime judicature sur les douze tribus d'Israël. Il exhorte les descendants du grand Gaulonite à se rapprocher de ceux d'Is-Kérioth dont la secte n'est pas moins puissante que la leur, à oublier les rivalités qui ont décimé ces deux familles christiennes.

 

Si Valentin qui était Juif, et Jésus qui l'est encore plus, passaient condamnation, les Experts en Dieu[9] qui appartenaient au paganisme n'avaient pas les mêmes raisons de fermer les yeux sur cet horrible passé. Leurs écrits ont disparu parce qu'à la suite de ceux de Valentin, tous sans exception, — sans exception, vous entendez ! — ils affirmaient l'inexistence du Jésus christophanique. Mais, tout en interprétant la fable millénariste dans le même sens que Valentin, tout en respectant les mesures de temps dans lesquelles les thèmes mathématiques enfermaient rigoureusement la christophanie de Jésus, tout en reconnaissant, avec les évangélistes, que la Passion de Jésus était la faute du Douzième mois de 788, représenté sur la terre par Is-Kérioth, ces effrontés païens disaient haut et clair qu'il n'y avait eu dans tout cela qu'une seule victime innocente, et que cette victime, c'était Jehoudda Is-Kérioth[10].

Ils disaient que ni le Jésus ni les Douze Apôtres de l'Apocalypse n'avaient existé en chair et que, la christophanie terminée, tous étaient remontés au ciel sauf le Douzième qui, représenté par Is-Kérioth, était mort victime des disciples terrestres. Comment pouvaient-ils aboutir à cette stupéfiante conclusion, s'ils n'avaient Point par devers eux les preuves du meurtre ?

Dans les écrits que ces gens avaient sous les yeux, Is-Kérioth ne se pendait pas, ne se précipitait pas, ne croulait pas sous ses tissus adipeux. S'il fût mort de l'une de ces trois façons, les connaisseurs n'auraient pas pu dire que sa mort, c'était la passion du Douzième Cycle[11].

Nous sommes donc certains qu'il y a mensonge là où Irénée dit que : Judas a souffert de désespoir pour n'avoir pu trouver ce qu'il cherchait : la grandeur du Père. Est-ce donc un crime de chercher la grandeur du Père ? Vous entendrez Jésus. Il est avec Is-Kérioth contre Bar-Jehoudda qui voulait, lui, retarder de mille ans la grandeur du Père, contre Philippe et contre Toâmin, les deux scribes qui ont transmis dans les Paroles du Rabbi cette absurde et blasphématoire doctrine dont l'auteur s'attribuait par avance tout le bénéfice temporel. Par orgueil de race, par ambition de famille, par ignorance de la grandeur du Père, Jehoudda et ses fils n'ont pas compris que Jésus était en Dieu, avec Dieu, et qu'il ne s'en séparerait pas pendant mille ans pour faire plaisir au Juif que les théologiens ont déclaré consubstantiel au Père.

Si c'est un crime de livrer un ami, c'est un désir fort honnête de demander à voir la grandeur du Père, et une pieuse pensée de ne pas la séparer de celle du Fils. Dieu est un. Si je dois voir la gloire du Fils sans voir en même temps la grandeur du Père, je ne marche pas, avait dit Is-Kérioth. Et comme, pour attendre la grandeur du Père, Bar-Jehoudda s'était fait oindre vice-Christ par quelques aliénés de sa famille, comme au fond il n'y avait que ce dernier article de réalisable dans son plan, Is-Kérioth a marché contre ce dangereux fumiste.

D'où sa passion. Passion stérile, dit Irénée, et qui n'a pas profité à l'humanité, tandis que la Passion de Jésus a détruit la mort et dissipé l'ignorance ! Mais si misérable qu'ait été pour nous le fruit de la Passion de Judas, comment se fait-il que les Experts en Dieu aient pu voir dans ce pseudo-traitré une représentation mathématique du Douzième Cycle ou Cycle du Zib et qu'ils aient cru cela sur la foi des Évangiles ?

Irénée ne songe pas une minute à combattre par des faits ou par la tradition l'interprétation gnostique des douze apôtres de l'allégorie assimilés aux Douze Cycles, et d'Is-Kérioth exécuté pour avoir fait rater le Douzième. Il se borne à demander à ces théoriciens qui soumettent l'Évangile à l'arithmétique : Comment pouvez-vous dire que Judas est une représentation symbolique du Douzième Cycle ? D'abord il ne disait plus partie des douze apôtres[12] lorsqu'il a été mis à mort, il avait été remplacé par Mathieu, selon qu'il est écrit dans les Actes : et qu'un autre reçoive sa charge de surveillant. De plus sa passion a été suivie de dissolution corporelle, il n'a donc pu rentrer dans les sphères célestes, comme Jésus par exemple, qui, s'il a souffert corporellement, ne s'est point dissous[13]. Il n'y a donc aucun moyen d'identifier les Douze apôtres avec les Douze Cycles et d'admettre que le Douzième, Judas, ait souffert. Le scribe continue : Les Douze Apôtres en tant que Cycles avaient pu remonter au Plérôme[14], ils n'avaient point souffert. Mais Judas ? Ayant souffert une mort non suivie de résurrection, comment avait-il pu retourner au Plérôme ? Cette façon d'argumenter montre bien que les douze apôtres, et les soixante-douze disciples, n'étaient entrés dans l'Evangile que pour compléter la christophanie de Jésus, sur l'inexistence duquel toutes les écoles gnostiques sont d'accord sans aucune exception ni réserve. En dehors de cinq des fds de Jehoudda, d'Éléazar et de Theudas[15], il n'y a qu'Is-Kérioth dont on connaisse la fin : il est mort assassiné par les vengeurs du roi-christ conformément aux instructions de Jésus : Tuez ceux qui n'ont pas voulu que je régnasse sur eux !

 

III. — LA NUIT DES AZYMES OU PRÉPARATION À LA PÂQUE (14 NISAN).

 

Nous n'avons aucune idée de ce qu'était la Pâque à Jérusalem. Rien n'en approche, ni Rome et Séville avec leurs semaines saintes, ni Lourdes, Compostelle et le Montserrat avec leurs pèlerinages, ni Ploërmel avec ses pardons, ni Beaucaire avec ses foires, ni même la Mecque. Jérusalem pendant la Pâque, c'était tout cela réuni, et multiplié par la confusion la plus extraordinaire qu'on pût voir. On parle de trois millions, rien que pour les hommes. Du Temple autour duquel tournait la fête, la fourmilière débordait, gonflait les rues, barrait les portes, descendait et remontait les pentes, noircissant les routes blanches des environs. Jérusalem commençait presque à Jéricho. Il n'y avait plus de faubourgs : Béthanie était dans la ville. On campait partout, couché sous la tente. Au Ramadan le Caire est ainsi assiégé : on dirait d'une invasion de sauterelles.

Au premier jour ou Azymes, tout ce monde se pressait en ville et n'en sortait plus que le huitième, au risque d'étouffer. Car la pâque s'enveloppait de rites dont la stricte observance était absolue : elle durait sept jours, la journée juive commençant à six heures de l'après-midi : on préludait à la fête dans la journée du 14 nisan, jour de la préparation à la Pâque[16]. C'est ce jour-là qu'on immolait l'agneau sans tache sur l'autel des sacrifices, et c'est au repas du soir qu'on le mangeait. Aucune infraction à cette règle n'était possible. Le 15 nisan ou lendemain de la préparation était le plus grand jour de la fête, avec le septième. S'absenter c'était rompre la pâque, et de même qu'il était défendu de manger d'autre pain que du pain sans levain pendant les sept jours, de même il n'était pas permis de sortir de la ville.

Bar-Jehoudda fut amené prisonnier à Jérusalem dans la nuit du 14 nisan, une vingtaine d'heures avant le repas de la pâque.

 

Le Quatrième Évangile veut nous faire croire que Bar-Jehoudda serait venu six jours avant la pâque, soit le 8 nisan, chez Éléazar, à Béthanie-lez-Jérusalem, où aurait eu lieu le chrisme en présence d'Is-Kérioth. Or le Sacre remontait à cinquante jours, et Is-Kérioth n'y assistait pas. Eléazar était mort depuis plusieurs jours, et sa résurrection au second siècle n'a eu aucun effet rétroactif sur les événements du mois d'adar 788. Quant à Bar-Jehoudda, pris d'un goût véhément pour les paysages maritimes, il se hâtait vers les rives de Phénicie dont les habitants, célèbres dans l'art de la navigation, pouvaient lui prêter une voile favorable. De plus, à l'heure où ce même Evangile nous montre le chier sire faisant le 11, à Jérusalem, une première Entrée qui a l'inconvénient d'être antérieure de trois jours à celle de Jéricho, bourg très éloigné de la ville de David, Luc nous le montre le 11 en Samarie où il annonce aux pharisiens qu'il ne sera pas à Jérusalem avant trois jours. Ce n'est donc pas de cette manière que le roi-christ a employé les six jours qui ont précédé sa crucifixion. En revanche nous pouvons croire Mathieu lorsqu'il nous montre le Sanhédrin s'assemblant trois jours avant la pâque, non pour condamner — c'est fait depuis longtemps — mais pour saisir Bar-Jehoudda. Ces trois jours sont le délai qui s'est écoulé entre cette délibération et la pâque. Dans ces trois jours le fuyard a marché, comme il est dit dans Luc, mais dans le sens le plus opposé possible à Jéricho, à Béthanie et au Mont des Oliviers. Depuis quarante jours, sa tête est mise à prix, et s'il avait fait le 13 dans Jérusalem la seconde Entrée dont les Synoptisés nous ont laissé l'hyperbolique description où il apparaît à califourchon sur deux ânes, il ne serait pas revenu coucher le soir à Béthanie, il eût été cueilli en plein triomphe, conduit dans le Hanoth et immédiatement exécuté.

Ce condamné à mort n'a pas couché six jours consécutifs à Béthanie chez un homme enterré à cinquante lieues de là. Ce n'est pas à Béthanie qu'il était lorsque, cerné par la cavalerie romaine, il échappe une première fois au châtiment. Ce n'est pas à Béthanie qu'il était lorsque, trois jours avant la pâque, les chefs des prêtres et les anciens du peuple délibèrent de le faire arrêter. Ce n'est pas à cette pâque-là que les pharisiens lui ont demandé s'il fallait payer le tribut à Tibère ou non. Ce n'est point non plus à cette pâque-là qu'il chargea si furieusement les marchands d'animaux et les trapézites. Et c'est le Quatrième Évangile qui a raison contre Mathieu lorsqu'il place cet épisode au début de la prédication.

L'Entrée de Jésus sur les Ânes est une pure allégorie solaire que nous expliquerons le moment venu. De même la Cène, Banquet à l'imitation de ceux de Socrate et de Platon, et dont le Repas de Rémission ou Lavement des pieds est la première esquisse : banquets d'ombres, dialogues de morts, comme il y en a dans Lucien. Si le roi-christ eût passé plusieurs jours sur le mont des Oliviers, récitant l'Apocalypse tantôt à ses disciples tantôt aux pharisiens et aux saducéens, enseignant dans le Temple, empêchant d'y porter les vases, dispersant les marchands à coups de fouet, bref tyrannisant tout Jérusalem à la barbe du Sanhédrin, c'est qu'il eût été plus fort à lui seul que les cinq mille lévites assemblés dans le Temple pour y sacrifier l'agneau. Pour que la plus petite partie de ces extravagances fût vraisemblable, il faudrait qu'on lui eût littéralement abandonné le Temple. Il faudrait aussi que Luc nous trompât abominablement quand il nous le montre assumé en Samarie dans la journée du 11. La conduite de Jésus dans le Temple est celle du Seigneur du lieu et non celle d'un condamné à mort qu'on recherche depuis quarante jours pour exécuter la sentence.

Si par impossible il eût réussi à s'introduire dans le Temple, il n'en serait pas sorti autrement que son père en 761. Le Temple avait quatre portiques, tous quatre gardés selon les prescriptions de la Loi. L'entrée du premier était permise à tout le monde, même aux étrangers, à l'exception des femmes travaillées de leur incommodité mensuelle. Le second était ouvert aux Juifs seulement et à leurs femmes quand elles étaient purifiées. Le troisième aux Juifs, à la condition qu'ils fussent purifiés. Les sacrificateurs entraient dans le quatrième, revêtus de leurs habits sacerdotaux, et le Grand Sacrificateur seul pouvait pénétrer dans le Sanctuaire avec cet habit mirifique dont Philon nous a tracé l'image. Il régnait une telle discipline dans le Temple, un protocole si exact, que les sacrificateurs n'y pouvaient pénétrer qu'à certaines heures, le matin pour sacrifier les victimes, et à midi pour la fermeture des portes. Il y avait quatre races de sacrificateurs, dont chacune était de plus de cinq mille hommes opérant à tour de rôle dans un ordre admirablement réglé : véritable armée lévitique habituée à la vue et à l'odeur du sang. Les portes du Temple étaient lamées d'or et si pesantes qu'il ne fallait pas moins de deux cents hommes pour les fermer chaque midi. Les laisser ouvertes était un crime impossible : il eût fallu que deux cents hommes manquassent, la même heure, à la même consigne. Si l'entrée du Temple était permise à tous ceux de la religion de quelque province qu'ils fussent, le sanctuaire leur était interdit depuis des siècles : mort inévitable, dit Philon, à quiconque eût osé s'y introduire, au Souverain Pontife lui-même, s'il y fût entré plus d'un jour par an et plus d'une fois en ce jour, car le mystère de la religion reposait tout entier dans l'idée qu'on s'en faisait.

Rien n'était plus facile que de transformer le Temple en une forteresse presque imprenable et le Sanhédrin était sur ses gardes depuis longtemps ; mais il savait, depuis trois jours au moins, qu'il n'avait plus rien à craindre d'un aventurier abandonné de tous et réduit à se cacher[17].

Bar-Jehoudda n'entra dans la ville que prisonnier, de nuit, les mains liées derrière le dos. Les évangélistes eux-mêmes, tout en déplaçant le lieu de son arrestation à cause de l'économie de leur fable, s'accordent là-dessus avec le rabbin de Celse. Il fut déposé dans la cour du grand-prêtre.

Il y a dans le Quatrième Évangile un détail d'où l'on pourrait conclure qu'il y eut deux étapes dans cette translation. Avant de mener le christ à Kaïaphas, le grand-prêtre de cette année-là, on l'aurait mené chez le beau-père de celui-ci, Hanan, le grand-prêtre d'une année non moins fatale aux Jehouddistes celle du Recensement. Mais comme Kaïaphas était dans la cour d'Hanan et qu'il n'y avait aucune raison pour mener ensuite Bar-Jehoudda dans celle de Kaïaphas, il est naturel de penser que le beau-père et le gendre occupaient la même maison.

Il y a quelque air de vérité dans ce décor où l'on voit des torches allumées, des brasiers pétillants, des mains engourdies qui s'étendent au-dessus de la flamme. C'était la nuit dite des Azymes ou préparation à la pâque, la nuit du mardi au mercredi, et non celle du jeudi au vendredi, comme l'Église le soutient contre toute évidence et pour étayer une imposture que nous avons clairement montrée. La ruse dont parle Mathieu n'est pas de s'être emparé du christ sans défense, mais d'avoir, en l'enfermant chez le grand-prêtre, caché son arrestation à ceux de ses partisans qui l'attendirent le lendemain dans le Temple ; de sorte que, dans cette ville pleine à craquer et dont il est défendu de sortir, dans ces ruelles tortueuses où il y a des dormeurs sous toutes les portes, on put éviter de donner l'éveil. Cette année-là, le jour de Pâque tombait un jeudi, le repas de l'agneau correspondant à notre mercredi soir. Cela d'ailleurs saute aux yeux, et il y avait dans la bibliothèque de Photius[18] un petit livre fort ancien où la vérité était dite. De deux choses l'une, ou le christ a mangé la Pâque un jour après le jour légal, ou il n'a rien observé de ce qui est prescrit, ni pour le jour, ni pour l'agneau, ni pour les azymes. Il s'agit donc manifestement d'une Cène mystique avec du pain et du vin (et des convives) non moins mystiques[19].

La Cène juive avait lieu irrévocablement le soir du 14 nisan[20], premier jour des Azymes ou pains sans levain. Il ne se fût pas trouvé sur la terre un seul Juif pour la célébrer un autre jour et à un autre moment. La Pâque, en effet, n'était pas seulement la plus grande fête de l'année, c'était aussi le jour de l'an.

Dans le thème de Mathieu, qui est au fond celui des Synoptisés, la Pâque de Jésus a lieu le soir du troisième jour des Azymes, contrairement à la loi séculaire de la nation. Soyez certains qu'il ne s'est pas trouvé pendant trois cents ans un seul christien juif pour croire qu'il s'agit ici d'une Pâque réelle ! Tous ont compris l'allégorie comme elle a été proposée.

Je cherche une comparaison qui vous montre à quel point cette Pâque est impossible en fait, et je n'en trouve point. Quelles que soient nos opinions politiques et religieuses, nous sommes tous d'accord pour reconnaître que le premier jour de l'année n'a pas lieu le 3, et que la revue du 14 juillet s'appelle ainsi parce qu'elle n'a pas lieu le 17. Une Cène qui se passe le soir du troisième jour des Azymes, c'est le premier janvier commençant inopinément le 3, et le 14 juillet commençant le 17 sans prévenir.

Cette Pâque est irréalisable pour d'autres motifs.

S'il s'agissait du repas classique, célébré par des personnages ayant vécu, les convives seraient non pas douze personnes, dont huit selon le compte de l'Évangile appartiennent à des familles différentes, mais les cinq frères alors vivants de Bar-Jehoudda, Shehimon, Jacob senior, Philippe, Jehoudda junior dit Toâmin et Ménahem, Salomé sa mère, Cléopas son beau-frère, Maria Cléopas et Thamar, ses neveux et cousins germains, en un mot rien que des membres de sa famine consanguine jusqu'à concurrence de dix au moins et de vingt au plus. On n'invitait des amis que dans le cas où les membres d'une même famille n'allaient pas jusqu'à dix. Car telle était la Loi, et si quelqu'un eût été assez téméraire pour y manquer, il eût été seul à table-On ne peut imaginer un seul instant la mère, les frères et les sœurs, les oncles et les tantes, les cousins et les cousines, faisant la Pâque dans une maison étrangère, tandis que le fils aîné, représentant la Loi en l'absence du père mort, eût mangé l'agneau dans une autre maison, avec des amis politiques. Ceux-ci se seraient trouvés dans le même cas d'anomalie par rapport à leurs familles respectives, et jamais on n'en aurait vu de pareil — a fortiori treize d'un coup ! — depuis la création de l'équinoxe du printemps.

 

Le Banquet de Rémission, première étape vers la Cène actuelle, n'est point une Pâque allégorique, même dans l'esprit de celui qui l'a inventé[21] : on n'y mange ni agneau ni azymes. Même libre, jamais Bar-Jehoudda, s'il eût songé à cette monstruosité, n'eût pu manger la Pâque le 14 Nisan ; il faut en écarter jusqu'à l'idée. On n'aurait pas trouvé dans le Temple un seul sacrificateur pour immoler l'agneau la veille du jour consacré. Si par impossible quelque aliéné se fût prêté à ce sacrilège, prêtres et convives, tous eussent été lapidés le lendemain, et Pilatus n'eût pas été obligé de crucifier l'amphitryon. Cette réunion allégorique est si peu celle de la Pâque qu'à table, Jésus disant a Judas : Ce que tu veux faire, fais-le vite, quelques-uns pensent qu'il avait voulu dire, comme Judas tenait la bourse : Achète ce qui nous est nécessaire pour la fête (l'agneau et le sel, le vin et les azymes).

C'est en effet parce que la Grande Pâque de 789 n'a point été célébrée avec les Douze Apôtres, c'est parce que le Baptême de feu n'a point eu lieu, que Jésus, empruntant le procédé du Joannès baptiseur, en est réduit à laver d'eau les douze Juifs par lesquels l'évangéliste les a remplacés. Il est impossible d'avouer plus clairement que tout le christianisme est tombe en une seule journée.

Il n'y a pas de preuve plus tangible que l'Evangile n'est ici qu'une fiction, car ni le roi-christ crucifie depuis la veille, ni ses compagnons en fuite depuis plusieurs jours n'ont pu faire la Cène ensemble, tandis que, dans le mythe, Jésus mange l'agneau avec tous ces personnages, augmentés d'Is-Kérioth que dans sa toute puissance il a ressuscité pour compléter la Douzaine zodiacale. On peut même être certain qu'Éléazar est de la fête sous un nom supposé. Mais il y a quelqu'un qui n'en est certainement pas quoique nous soyons à la fin du second siècle. C'est le nomme Saul, auteur prétendu des Lettres de Paulos !

 

IV. — LES TROIS RENIEMENTS DE PIERRE ET LE COQ DU 14.

 

Si, sous le nom de la Pierre, Shehimon se comporte avec quelque vaillance sur le Mont des Oliviers où il n'était pas, il s'en faut de beaucoup qu'il en ait montré dans la journée de Sôrtaba et dans celle de Lydda, si par hasard il y était. Il fut encore moins brillant, si c'est possible, dans la cour du grand-prêtre.

Ceci nous amène à l'allégorie des trois Reniements de Pierre, premier jet du Reniement des Douze au Mont des Oliviers, thème plus général et moins offensant pour Shehimon.

Il est bien vrai que dans l'allégorie astrologique, celle qui se passe la nuit de la. pâque manquée, les douze apôtres ont à renier trois fois, la nuit ayant trois veilles (neuf heures, minuit et trois heures), mais c'est le triple Reniement de Pierre dans la nuit précédente qui a donné l'idée d'étendre aux douze ce cas tout individuel de parjure et de lâcheté[22]. Comme moyen de salut en dehors du baptême, Shehimon, à l'exemple de Bar-Jehoudda n'a point dédaigné la fuite, et ce n'est pas de très bonne grâce, on le sait[23], qu'il marcha au supplice en 802. Soit qu'il ait été arrêté avec son frère, soit qu'entré dans Jérusalem il eût eu vent de ce qu'il en advenait, Shehimon suivit jusqu'à la demeure de Kaïaphas un christien qui y avait accès. Ce christien accompagna la troupe qui s'engouffrait dans la cour, puis, la concierge l'ayant laissé sortir un instant, fit entrer Shehimon qui l'attendait au dehors : N'es-tu pas aussi des disciples de cet homme ? dit-elle à celui-ci. Shehimon nie trois fois selon qu'il plaît au scribe. Comme on pourrait s'étonner que Shehimon avec un autre disciple ait pu pénétrer librement chez le grand-prêtre, alors qu'on mène son frère à la mort, le Quatrième Evangile donne la raison de cette impunité. Kaïaphas était celui qui avait donné aux Juifs ce conseil : Il importe qu'un homme seul meure pour le peuple. En style non évangélique, arrêtés ou non, Képhas et l'autre disciple n'avaient point été condamnés, ils n'étaient point compris dans la sentence. On ne vous hait point, dit-il à ses frères avant les Tabernacles, montez à Jérusalem, mais moi je n'y monte point, parce qu’on me hait et que mon heure n'est pas encore venue[24]. Ils tenaient à leur peau, puisque le christ lui-même avait, de son côté, essayé de sauver la sienne par le secours de ces pieds que Jésus, au Banquet de rémission, est obligé de laver spécialement pour leur remettre le pèche commis contre le dieu Mars.

Shehimon et son compagnon peuvent donc entrer chez Kaïaphas avec tranquillité : ils en sortiront de même, et, en attendant, Shehimon qui a froid aux mains — aux pieds, jamais ! — pourra se les réchauffer près du brasier. Autre raison pour laquelle il faut entrer dans la cour et à deux : si aucun des disciples n'est là, on se demandera comment le scribe peut savoir ce qui s'est passé, et si le témoignage n'est point porté par deux personnes il sera anti-deutéronomique. Pas de témoignage à moins : faux ou vrai, il n'importe. Les témoins contre le jésus — faux témoins, les misérables ! — sont deux : deux aussi les témoins — véridiques, ceux-là ! — de ce qui s'est passé dans la cour. Une chose est certaine, toutefois, qu'on aurait cachée avec soin s'il y avait eu moyen de faire autrement, et qu'on répartit plus tard entre les douze pour alléger la conscience de leur prince déjà terriblement chargée[25]. Shehimon, menacé sinon dans sa vie du moins dans sa sécurité, Shehimon par trois fois renia son frère : une première fois, devant la concierge ; une seconde fois, en le voyant passer dans la cour, lié, (jamais je ne traverse la Cour de Saint-Pierre de Rome sans penser à cela) ; une troisième fois, quand un serviteur du grand-prêtre, parent d'Amalech, (Saül comparé à un Amalécite), dit : Ne t'ai-je pas vu au Iarden (Jourdain)[26] avec lui ? Alors chante le coq. Il y a des variantes[27].

En avisant Shehimon resté dans la cour, assis près d'un brasier, une chambrière lui dit[28] : Tu étais aussi avec le jésus Galiléen ?[29] Shehimon le nia devant tous et se dirigea vers la porte. Une autre chambrière (un homme, dit Luc), l'apercevant comme il se dirigeait vers la porte, dit : Celui-ci pareillement était avec le jésus Nazir. Il le nia de nouveau, avec serment[30], disant : Je ne connais pas cet homme-là. D'autres s'approchèrent, disant : En vérité, tu es aussi de ceux-là, ton parler te décèle. Une troisième fois, il protesta, jurant encore qu'il ne connaissait, pas cet homme, et incontinent le coq chanta[31].

Voilà qui est clair, nonobstant des variantes de peu d'importance. En cette nuit fatale de la Préparation, Shehimon s'est parjuré, il a manqué au serment qu'il a fait à son père de donner sa vie pour le Christ[32]. Que chacun de vous prenne sa croix ! avait dit Jehoudda. Au lieu de la croix, Shehimon prend la fuite. Il semble avoir eu une aversion, d'ailleurs légitime, pour le martyre évitable.

Mon dieu, il est bon que l'intérêt de la conservation l'emporte le plus souvent sur les élans irréfléchis, sans quoi c'en serait fait de l'espèce humaine ! Mais enfin on ne peut nier que la réputation de Bar-Jehoudda et de Shehimon comme martyrs volontaires ne tienne de l'usurpation par les racines profondes. Si le jésus est innocent de tout crime, comme le dit l'Evangile, et qu'il

soit injustement condamné sur le rapport de deux témoins subornés, si ces trois reniements ont eu lieu coup sur coup dans les circonstances rapportées ici, impossible de trouver un être plus abject que ce Shehimon qui laisse son frère succomber sous l'opprobre et le faux témoignage, sans offrir son appui, sans même dire le mot qu'un goy trouve spontanément à fleur de lèvres, quand la justice et la vérité sont en péril. Il est permis de penser que l'Eglise romaine aurait pu réserver ses trésors d'enthousiasme pour d'autres héros, et qu'elle aurait pu ne pas nous imposer le jésus comme dieu et la Pierre comme pape, car les pseudonymes ne sauraient avoir la vertu d'effacer les tares ni d'exalter la bassesse, et il n'y a pas là de quoi déranger Michel Ange avec le Bramante !

Quoique nous ne soyons pas chargés de défendre Shehimon et que soit plutôt la besogne d'un avocat de Cour d'assises, nous éprouvons quelque soulagement à l'idée que les trois Reniements de Pierre sont là parce que Dieu se réjouit des nombres impairs : numero Deus impare gaudet, même quand son fils doit en être victime. Les Reniements de Pierre dans la Cour de Kaïaphas sont trois et ramassés en une seule nuit, parce qu'il y a trois veilles à la nuit : c'est la nuit des Azymes, la nuit du 14, dans laquelle le roi-christ a manqué son royaume. Les trois Reniements des Douze au Mont des Oliviers, c'est la nuit dans laquelle Jésus devait descendre, la nuit pascale, la nuit du 15. En un seul jour tout fut perdu, même l'honneur.

Il faut donc bien se garder de confondre ces deux nuits, dont la première seule a quelque fondement dans l'histoire, et surtout d'additionner les trois reniements de Pierre dans la cour de Kaïaphas le 14 nisan avec ses trois reniements au Mont des Oliviers le jour suivant. La première nuit, c'est le frère qui renie ; la seconde, c'est l'apôtre. Et son frère le jésus renie comme lui, car il est le prince des douze.

Si l'on additionne on arrive à un total exorbitant pour un seul individu. On trouve six reniements. Du 5 pour 1 ! Beau placement, comme les Juifs modernes n'en font plus ! Shehimon n'ayant pu collectionner les reniements avec cet âpreté, il en résulte qu'il y a eu successivement deux thèmes, composés chacun de trois reniements. L'Église, quand elle s'est trouvée en face de ces deux thèmes d'ensemble six reniements, a jugé utile de rectifier ainsi la prophétie de Jésus : Avant que le coq ait chanté par deux fois, tu me renieras par trois fois. Gardez-vous de faire comme elle et d'additionner les chants du coq, ceux du 14 avec ceux du 15 (il eût été condamné pour tapage nocturne). C'est bien le même coq, mais il chante trois fois pour Shehimon dans la nuit de la Préparation et trois fois pour les douze dans la nuit de la Pâque. Ce coq est apocalyptique au premier chef, à la première crête. Le 14, il salue mélancoliquement l'Étoile du matin qui s'est levée sur le jésus prisonnier ; le 15, il annonce, d'une voix enrouée par la déception, que le Christ n'est pas descendu sur Sion conformément à l'Apocalypse : Jésus a passé sans s'arrêter (pesach), tandis que, de son côté, Bar-Jehoudda est en train de passer sur la croix (passion).

 

V. — DANS LA COUR DE KAÏAPHAS.

 

Gardé à vue dans la cour du grand-prêtre, il y resta jusqu'au matin. Il ne fut point jugé, il l'était et condamné ; il ne comparut pas devant le grand Sanhédrin qui tenait ses séances dans la vieille salle de Hanoth, mais devant une sorte de commission exécutive qui, le sachant sujet de Rome et d'ailleurs heureuse d'esquiver une responsabilité, résolut de le remettre à Pilatus. De même qu'on n'eût pas trouve dans le monde un seul Juif pour manger la Pâque le 14 nisan, on n'eût pas trouvé un seul membre du Sanhédrin pour juger dans la nuit. D'abord il était défendu de juger la nuit, a fortiori pendant celle des Azymes tellement prédestinée à l'amnistie que, dès le matin, les Juifs demandent à Pilatus de leur faire l'aumône d'un condamné à mort en relâchant Bar-Rabban. On a reproché aux évangélistes leur ignorance, vraiment inouïe, des règles et des formes judiciaires en usage parmi les Juifs. On a le plus grand tort. Ce n'est pas du tout par ignorance qu'ils pèchent. Ils savent parfaitement que le Sanhédrin ne siège que de jour, et qu'on n'instruit pas une affaire pendant la nuit. Il est vrai que la sentence est rendue le matin, mais vous savez pourquoi ils ne veulent plus qu'elle remonte a quarante jours : en indiquant la date, on eût indique les motifs, et alors adieu la transfiguration de Bar-Jehoudda en Jésus ! Dans la version actuelle, les Juifs sont si peu fondés à condamner Jésus que l'Evangile de Nicodème a dû, quatre siècles après, leur suggérer des motifs nouveaux : il imagine qu'ils lui firent grief d'avoir, en naissant, causé le massacre des Innocents !

 

Pas plus chez le grand-prêtre qu'ailleurs, l'imposteur ne put fournir de signes, mais sur la doctrine il ne varia point. Il soutint jusqu'au bout qu'il était christ-roi d'Israël, au sens davidique, et fils de Dieu comme tout Juif pur, mais qu'il n'était ni le Christ ni le Roi des Rois ni le Fils de Dieu. Nous le retrouvons dans Marc tel que nous l'avons vu dans l'Apocalypse : bonté à tout homme assez fou, assez impudent pour se faire adorer ! Anathème à ceux qui avaient introduit dans Césarée, dans Sébaste, dans Panéas, dans Tibériade, dans Gadara, le culte des hommes-dieux, des démons-Césars ! Dans le testament que lui dictent les Évangélistes, il renouvelle les phrases-moules de son Apocalypse, les déclarations enflammées de sa prédication. Faites pénitence, car le Royaume proche, avait-il dit. Et : Prêchez : le Royaume de Dieu est proche. Et : Vous n'aurez pas fini de prêcher la Bonne nouvelle à toutes les villes d'Israël que le Fils de l'homme ne vienne... Il y en a quelques-uns ici présents qui ne goûteront pas la mort qu'ils n'aient vu le Fils de l'Homme venant en son Royaume[33]... Vous qui m'avez suivi, lorsqu'à la Régénération (millénariste) le Fils de l'Homme sera assis sur le trône de sa gloire, vous aussi, vous serez assis sur douze trônes, jugeant les douze tribus d Israël... En vérité, je vous le dis, tout cela viendra sur cette génération... Cette génération ne passera pas avant que toutes ces choses s'accomplissent. Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas. Le Royaume de Dieu est proche, faites pénitence et croyez à la Bonne nouvelle... Quiconque aura eu honte de moi parmi cette nation adultéresse et pécheresse, le Fils de l'Homme aura pareillement honte de lui, lorsqu'il viendra avec les saints anges en la gloire de son Père. Pour le reste, Marc confirme Mathieu en le copiant à peu près textuellement. Il serait oiseux de continuer avec Luc qui, lui aussi, confirme en copiant : Cette génération ne finira point que tout cela ne soit accompli.

Nulle part dans cette apocalypse, Bar-Jehoudda ne cherche à se faire passer lui-même pour le Fils de l'Homme ; nulle part il ne dit : Je reviendrai, ou C'est moi qui viendrai, toujours il dit : le Fils de l'Homme viendra. Et même il menace Kaïaphas de ce terrible Fils de l'Homme qui va descendre du ciel le 15 : Je vous le déclare : vous verrez dès à présent le Fils de l'Homme assis à la droite de la Majesté de Dieu et venant sur les nuées du ciel. Et il eût pu ajouter : Ce sera mon salut et votre perte, car le monde ne finissait point par la venue du Christ ; il y avait simplement passage du mauvais Cycle du Zachû au bon Cycle des Poissons, plein de délices et de fruits. En vérité, je vous le dis, personne ne quittera pour moi et pour l'Évangile sa maison, ses frères, ses sœurs, son père, sa mère, ses enfants et sa terre (sa terre surtout !), que présentement et dans le Cycle à venir il n en reçoive cent fois autant ! Quand Bar-Jehoudda dit à Kaïaphas : Dès à présent, tu verras le Fils de l'Homme venir sur les nuées du ciel, ce n'est assurément pas de lui qu'il parle. Kaïaphas eût infailliblement répondu : A quoi bon surseoir à la destruction de l'Orient et de l'Occident ? Détruis-les, pendant que tu y es. Mais si, enlevé par Jésus, tu ne montes au ciel que pour les assommer de plus haut, avoue que ce n'est pas bien.

C'est donc le trait distinctif de l'Apocalypse millénariste qu'on retrouve ici, telle qu'elle était avant l'expédient de l'Antéchrist. Le Jésus, quand il menace Kaïaphas de la Régénération par le Christ, ne fait que lui rabâcher du Joannès. Ou, pour mieux dire, c'est le Joannès lui-même qui parle. L'Antéchrist n'était pas inventé lorsque Bar-Jehoudda prédisait à ses contemporains la venue du Christ pour le 15 nisan 789. Aucun être satanique ne se levait de la terre pour faire obstacle au Fils de l'Homme[34].

Le Christ entre en besogne sans être contrarié par un tyran. On inventa Néron Antéchrist après la chute de Jérusalem, quand il fallut calmer les impatiences et surtout masquer la faillite de toutes les prophéties apostoliques. Quand, après plusieurs délais accordés aux fils de Jehoudda par la crédulité publique, il fut démontré que le Joannès avait été mauvais prophète, il fallut bien trouver un prétexte qui retarderait autant qu on voudrait, éternellement même, l'arrivée du Christ Jésus.

Bar-Jehoudda n'avait jamais pris le titre de Messie dans le sens où nous l'entendons. Lorsqu'il comparait devant Kaïaphas, on cherche des accusateurs, et alors que, si les Evangiles disaient vrai, tout Jérusalem eût pu l'accabler, on ne trouve pas même deux témoins dans toute la ville pour déposer contre lui. Encore sont-ils faux ! Si les prêtres et les magistrats avaient réellement cherché des témoins à charge, ils auraient attendu le jour. La place de Christ est encore libre au moment où écrivent les évangélistes, et il faut se méfier des imposteurs qu'allaite le sein maternel de l'Église : Bar-Jehoudda met tous les christiens en garde contre les entreprises de cette mégère. Il ne cesse de répéter aux disciples : Prenez garde que quelqu'un ne vous séduise, car il en viendra disant : C'est moi, qui en égareront beaucoup. Et, en effet, il en vint un après sa mort, et ce fut lui-même. En attendant, si quelqu'un vous dit : Voici que le Christ est ici ou là, ne le croyez pas ; car il s'élèvera des faux Christs et des faux prophètes, lesquels feront des signes et miracles, de façon à séduire même les élus, si cela était possible. Mais tenez-vous sur vos gardes. Voilà que je vous ai prédit le tout.

Dis-nous quand adviendront ces choses (le Temple renversé et remplacé par celui de l'Apocalypse) et quel signe annoncera leur accomplissement[35].

Le signe, c'est quand on verra le soleil et la lune refuser leur lumière et que les étoiles tomberont du ciel. Alors verra-t-on le Fils de l'Homme venir sur les nuées... C'est quand on verra cela qu'on en pourra conclure qu'il est proche. En vérité, je vous dis que cette génération ne passera point que tout cela soit accompli... Quant à ce jour-là et à l'heure, nul ne les sait, pas même les anges qui sont au ciel, ni le Fils[36], mais le seul Père. En somme, que disait Bar-Jehoudda ? Le Christ se servira de signe à lui-même. Les cataclysmes terrestres et célestes ne sont que le bruit qu'il fait en se dérangeant. Point d'autres signes que ceux-là.

 

Tel était le testament du prophète ; c'est l'Apocalypse sous la forme dialoguée. On y a joint force codicilles empruntés à l'histoire des temps qui ont suivi. Marc et Mathieu peuvent les relater sans crainte de se tromper : ils peuvent, si bon leur semble, les copier dans Josèphe à l'état de faits accomplis depuis Néron. Jésus ne risque aucun démenti de Dieu lorsqu'il dit que les femmes et leurs nourrissons courent les plus grands dangers, car les soldats de Florus en avaient fait un terrible massacre. Les gens de guerre, dit Josèphe, menèrent à Florus des personnes de condition qu'il fit déchirer à coups de fouet et crucifier ensuite. On ne pardonna pas même aux femmes ou aux enfants qui étaient encore à la mamelle, et le nombre de ceux qui périrent de la sorte se trouva être de trois mille six cent trente personnes. Les évangélistes auraient pu donner le chiffre.

Tel il s'était montré pendant toute sa vie prophétique, tel il se montra dans la cour du Grand-Prêtre. Aucun de ses acolytes n'assistait à cet interrogatoire, — simple constatation d'identité, la cause était entendue — mais on en a pu deviner les grandes lignes après coup, avec exactitude. Les témoins[37] déclarèrent que c'était bien le roi-christ, et qu'ils lui avaient maintes fois entendu dire : Il détruira le sanctuaire de Dieu et le remplacera par un Temple non bâti de main d'homme[38]. Ou bien : Voyez-vous tout cela ? Je vous dis en vérité qu'il n'en restera pas pierre sur pierre qui ne soit démolie[39]. Ils ne mentaient pas : d'ailleurs Kaïaphas, les chefs des prêtres, les scribes et les anciens n'avaient que faire de leurs témoignages, l'instruction était close. J'ai parlé ouvertement au monde, dit le prophète à Kaïaphas, j'ai toujours enseigné dans la Synagogue et au Temple où les Juifs s'assemblent d'ordinaire, ne disant rien en cachette. Pourquoi m interroges-tu ? Interroge ceux qui m'ont entendu sur ce que je leur ai annoncé ; ceux-là connaissent bien mes Paroles[40], et c'est fort bien dit. Ceux qui mentent, et scandaleusement, sinistrement, grotesquement, ce sont les scribes ecclésiastiques lorsque, mettant à la première personne ce que les écrits mythologiques avaient mis à la troisième, ils font dire à l'homme interrogé : Je puis détruire le sanctuaire de Dieu et le rebâtir en trois jours. Le faux témoignage, le voilà ! Relisez la phrase de Marc et comparez. Celle-ci qui est dans Mathieu, et la faculté que l'homme interrogé s'attribue, de rebâtir le Temple en trois jours, n'ont été possibles qu'après la substitution de Jésus à Bar-Jehoudda et du signe de Jonas — la résurrection du roi-christ — à tous les signes apocalyptiques. Il fut alors convenu (voyez le Quatrième Evangile) que Jésus, en se disant capable de rebâtir le Temple, ajouterait : en trois jours, et qu'il voudrait parler... du Temple de son corps !

Kaïaphas ne lui demanda donc pas s'il soutenait être le Christ Fils de Dieu et il ne répondit pas : Tu l'as dit[41]. Pour que le Grand-Prêtre, posât la question, il eût fallu qu'on accusât Bar-Jehoudda de l'avoir soulevée. Or, les témoins ne l'accusaient nullement de prétention à la divinité, mais de trois choses essentiellement politiques : subversion de leur nation, ordre de refuser le tribut, usurpation de la royauté par le chrisme qui appartenait au Grand-Prêtre, et subsidiairement attentat déjà ancien à la liberté du culte : empêchement de porteries vases à la Fête des Tabernacles[42]. Toutes ses réponses sont supposées. Il n'a pas dit un mot, il n'a pas ouvert la bouche. Il était alors convaincu qu il ne mourrait pas. Dans la version de Philippe, le premier de tous les légendaires, bien antérieur à Mathias qui déjà marivaude, il est conduit au supplice comme l'agneau à la boucherie, inconscient, muet[43]. Un seul homme, Pilatus, l'interrogea peut-être. Encore n'était-ce point par curiosité, mais par devoir, il savait tout. Kaïaphas ne s'écria point : Il a blasphémé ! et ne déchira point ses vêtements qui lui étaient fort utiles en ce jour de Préparation à la pâque[44]. Annoncer, attendre le Christ n'était nullement un blasphème. C'était une licence permise par les Ecritures juives. Philon, le faux Enoch, en usaient avec la plupart des Juifs. Des membres du sanhédrin comme Gamaliel pouvaient être christiens, sans être millénaristes. Mais il y avait dans la cour des gens fort irrités contre Bar-Jehoudda : c'était cette séquelle de changeurs et de marchands du Temple, le grand et le petit paquet des courtauds de boutique sacerdotale, capables de massacrer tout Jérusalem pour une fête manquée. Et comme il n'est point de bornes à la lâcheté quand un intérêt lésé la provoque, ils lui crachèrent au visage, le souffletèrent, le frappèrent de bâtons, lui bouchant les yeux et lui disant par dérision : Prophétise-nous qui t'a frappé, ô christ ![45]

 

VI. — COMPARUTION DEVANT ANTIPAS.

 

On explique l'empressement de Kaïaphas à livrer le roi-christ par la peur qu'il avait d'un soulèvement populaire. On oublie toujours que les Anciens du peuple avaient participé à la sentence rendue. Le Sanhédrin n'avait rien à redouter au cas où il eût lapidé Bar-Jehoudda comme il avait lapidé Jacob junior. Bar-Jehoudda n'eût trouvé dans le peuple que des bourreaux. Aucun Juif de Jérusalem ne se fût levé pour défendre un homme qui voulait brûler le Temple. Il n'y eut aucune précipitation. Dès le moment que Bar-Jehoudda était arrêté avant la Pâque, on avait atteint le but. Kaïaphas ne prit qu'une seule précaution : ne pas l'enfermer dans le Hanoth.

De chez Kaïaphas on n'alla pas dans un autre endroit où se serait tenu le Sanhédrin. On mena le prisonnier au prétoire, de bon matin, mais auparavant on passa par le palais d'Antipas. On n'avait nulle peur du peuple. Au contraire, influencé par la perspective d une pâque gâtée, Jérusalem demandait qu'au plus vite on se débarrassât du trouble-fête. Entre l'heure à laquelle Bar-Jehoudda fut conduit au prétoire et l'heure à laquelle il fut conduit au supplice toute la matinée s'inscrit. Sauf Shehimon et son compagnon, la famille ignorait qu'il fût arrêté. On le croyait en fuite et sauvé.

En forçant les bourgs de Galilée sur son passage, il avait encouru la condamnation d'Antipas qu'il méritait déjà pour avoir livré la Pérée aux Arabes. En se proclamant roi des Juifs dans un pays d'Empire, il avait encouru celle de Vitellius. En soulevant la Samarie, il avait encouru celle de Pilatus. L'intervention de Jésus dans l'histoire a eu pour effet de changer complètement la nature des choses. Elle a transformé une affaire de pur banditisme en un procès religieux. Jusqu'au dernier jour, jusqu'à son dernier soupir, Bar-Jehoudda ne cessa de séparer sa personne de celle du Christ. On le calomnie en disant qu'il se faisait passer pour le Christ, comme on calomnie les Juifs en disant qu'ils ont tué le Fils de Dieu : ils s'étaient contentés de condamner l'imposteur et le traître qui avait exposé toute la population juive du Jourdain à l'invasion. Sur l'observation de la loi religieuse, sur le paiement des décimes, sur les sacrifices, impossible de le prendre en faute. Il n'est poursuivi, jugé et condamné que pour crimes politiques ou de droit commun. Personnellement, les prêtres n'ont point de griefs contre lui. Et ce que la famille leur reprochera plus tard à eux-mêmes, c'est d'avoir livré aux païens un homme irréprochable devant la Loi.

La vérité sur le fond de l'affaire perce dans Luc et dans Luc seul. L'intervention d'Antipas achève de nous éclairer. De tous les évangélistes c'est Luc qui tient ici la version la plus voisine de l'histoire. Antipas se trouve dans Jérusalem en même temps que Pilatus, à une Pâque qui ne saurait être celle de 788, à laquelle Bar-Jehoudda n'assista point, ni celle de 790, à laquelle Pilatus avait quitté la Palestine. Antipas était venu à cette pâque pour se concilier le procurateur de Judée à défaut du proconsul de Syrie, lequel ne bougeait, retardé par on ne sait quelle raison, et laissait la Pérée aux Arabes vainqueurs.

Le 11 nisan Antipas cherchait Bar-Jehoudda pour le tuer. Il était donc au premier plan de l'histoire, avant Kaïaphas et Pilatus. Dans les autres Évangiles on a fait disparaître peu à peu le tétrarque de Galilée et rejeté Pilatus au second plan, pour charger le Temple de tout l'odieux de la condamnation. On a gardé Antipas pour le commencement de la fable : Antipas, en décapitant le Joannès dans Marc et dans Mathieu, permet aux scribes de substituer Jésus au baptiste. Service signalé, mais qui épuise le bienfaiteur ! Décemment on ne peut plus, dans Marc et dans Mathieu, représenter Antipas cherchant, pour le crucifier aux Azymes de 788, un homme dont, selon eux, il a coupé la tête plusieurs mois auparavant ! On ne peut avouer que la Journée des Porcs et l'invasion de la Galilée sont la cause de cette ardente recherche, puisque d'autre part on explique la haine d'Antipas pour le Joannès par la fougueuse prédication de celui-ci contre Hérodiade.

Luc a donc retourné complètement la situation pour ménager la réputation de son héros : il ne pouvait avouer que sous son nom de circoncision, le crucifié de Pilatus était coupable de crimes publics au sens de la loi commune. Dans la version de Luc, après avoir interrogé le roi des Juifs, le chef des factieux de Bathanée, de Galilée et de Samarie, celui-là même contre qui il opérait hier avec sa cavalerie, Pilatus — énormité qui surpasse en hauteur la montagne du Garizim — déclare : Je ne trouve aucun crime en cet homme-ci. Et là-dessus il l'envoie à Antipas pour être jugé. Or c'est tout le contraire : c'est Antipas qui le fit conduire à Pilatus pour l'exécuter.

Mais, que Pilatus soit devant ou derrière, il n'importe. Ce qui importe, c'est ce que Luc a trouvé dans les écrits de son temps — Marc et Mathieu compris — et qui a disparu de ceux qui nous restent : Bar-Jehoudda comparaissant devant Antipas, le jour de la Préparation. C'était la preuve de l'identité du Joannès avec le jésus par la raison que le Joannès n'avait pas été décapité, mais crucifié. Qu'a fait le Jésus de la christophanie évangélique à Antipas pour que celui-ci le recherche afin de le tuer ? Rien du tout. Qui tonne contre Antipas au Jourdain ? Le Joannès. Qui prêche contre Hérodiade ? Le Joannès. Qui Antipas tue-t-il par décapitation dans le Marc et dans le Mathieu d'aujourd'hui ? Le Joannès. Qui veut-il tuer ici trois jours avant la pâque ? Le Joannès à qui il n'avait pas encore coupé le cou au temps de Luc et du Quatrième Évangile. Et qu'est-ce que ce Joannès ? Le pseudonyme qu'a pris Bar-Jehoudda pour signer l'Apocalypse. Et qu'est-ce que le roi-christ vient de réciter à Kaïaphas ? L'Apocalypse elle-même. Par Antipas on remontait de Jésus au jésus baptiste, du jésus au Joannès révélateur, du Joannès à Bar-Jehoudda le Nazir, et de Bar-Jehoudda au Jehoudda du Recensement.

 

Mais voici le héros de la Journée des Porcs, le roi-christ de Bathanée, l'ennemi des Hérodes, devant le tétrarque de Galilée dont il a envahi les terres. Que va-t-il se passer ?

On va sans doute apprendre pour quels motifs le tétrarque le cherche depuis trois jours afin de le tuer ? Nullement. Antipas, dit Luc, se réjouit fort de voir un homme dont il entendait parler depuis si longtemps et dont il espérait quelque miracle inédit (la transformation d'Hérodiade en truie sans doute). Il l'interrogea longuement, mais il n'en eut aucune réponse. Ah ! ici nous tenons une vérité ancienne, la vérité reconnue par Philippe : Bar-Jehoudda n'a pas ouvert la bouche, et cela se comprend, on ne lui a rien demandé. On n'interroge pas un condamné. Nous tenons une autre vérité non moins importante : c'est la première fois qu'Antipas voyait Bar-Jehoudda. Depuis longtemps, il en entendait parler comme d'un magicien habile et depuis la Journée des Porcs comme d'un traître, mais il ne l'avait jamais vu. Nous avons donc la certitude que, dans les écrits antérieurs à Luc, Antipas ne faisait pas appeler fréquemment le Joannès, comme on le lit aujourd'hui dans Marc, qu'il ne le consultait pas sur l'opportunité de son mariage avec Hérodiade, et que le grand baptiseur ne lui répondait pas : Il ne t'est pas permis de l'avoir. Nous possédons la preuve que ces relations et ces consultations sont un faux de plus au milieu de vingt faux. Mais le fait était qu'à un moment donné le tétrarque Antipas avait vu le roi des Juifs : on ne pouvait avouer qu'il eût vu, prisonnier à Jérusalem et in articulo mortis, mieux encore in articulo crucis, un homme à qui il avait coupé le cou quelques mois auparavant ! Il était beaucoup plus convenable qu'Antipas fit appeler le Joannès dans son palais de Séphoris ou de Tibériade au début de la prédication et que là, dans une pose hiératique, le baptiseur inondât de vérités morales ce barbon emporté par une folle et criminelle passion pour sa belle-sœur. C'était beaucoup plus profitable à la religion que de montrer un imposteur affublé à la royale, chargé de liens, abattu, sans force et sans voix, en face du tétrarque enfin vengé par un retour de fortune. Quant à Luc, il se tirera des écritures primitives comme il pourra, c'est son affaire. Il a trouvé que Bar-Jehoudda avait été mené devant Antipas, il a expliqué cela par la curiosité du tétrarque pour le faiseur de miracles. Celui-ci n'a voulu ni parler ni opérer, ne se sentant pas en verve. Mais comment l'entrevue a-t-elle fini ? Mon Dieu ! de la façon la plus simple du monde. Malgré les violences de ses accusateurs, Antipas et ses soldats n'ont vu dans le prisonnier qu'un pauvre d'esprit, et, l'ayant revêtu d'un éclatant habit, ils l'ont renvoyé à Pilatus. Et en ce jour-là même, ajoute Luc, Hérode et Pilate devinrent amis, eux qui auparavant se détestaient.

Ainsi Pilatus envoie à Antipas un homme qu'il tient pour innocent de crime ; Antipas qui, trois jours auparavant, cherchait cet homme pour le tuer, le renvoie habillé de pourpre à Pilatus, et, en ce jour-là même, ce tétrarque de Galilée et ce procurateur de Rome, qui la veille se détestaient, deviennent amis comme deux de ces animaux que le sinistre génie de Bar-Jehoudda avait précipités dans le lac de Génézareth. Oh ! la singulière aventure ! Voyons, Luc ne penses-tu pas que si Pilatus et Antipas, hier divisés jusqu'à la haine, se jettent dans les pattes l'un de l'autre avec cette effusion, c'est qu'à l'instant même ils se sont rendu le service de se délivrer mutuellement d'un ennemi ? Et dans ces conditions crois-tu vraiment que, voyant revenir Bar-Jehoudda vêtu de pourpre par Antipas et ses soldats, Pilatus ait dit : Ni Hérode ni moi ne l'avons trouvé digne de mort ? J'aime à croire pour toi que tu n'en penses pas le premier mot.

De toutes ces folies retenons le costume de roi dont, selon Luc, les soldats d'Antipas affublent Bar-Jehoudda quelques instants avant que, selon d'autres évangélistes, les soldats de Pilatus ne le revêtent du même costume. Cette opération n'ayant pu être faite par les soldats de Pilatus s'ils ont été devancés par ceux d'Antipas, et réciproquement, il est clair qu'en dehors de quelques accessoires non prévus par le protocole juif et que la soldatesque romaine imagina — fort lourdement, hélas ! — le roi-christ s'était lui-même paré des insignes royaux, et qu'il les portait depuis le sacre.

La loi juive donnait à Antipas et au Temple le droit d'exécuter sur le champ Bar-Jehoudda. Mais ici elle pliait devant la loi Julia. Usurpateur en Bathanée, district proconsulaire, et envahisseur de la Samarie, qui relevait de Pilatus, Bar-Jehoudda tombait doublement ' sous la juridiction de Tibère. La première pensée de Kaïaphas avait été de l'envoyer à Antipas, la Journée des Porcs étant antérieure au sacre. Antipas montra, plus de finesse politique. Le renard, comme dit l'Évangile, se conduisit en renard. Simple tenancier de l'Empire, il ne voulut point se substituer au représentant de Rome qui était souverain. Le Temple se déchargeait sur le tétrarque de Galilée pour ménager le peuple de Jérusalem, le tétrarque se déchargea sur le procurateur romain pour ménager le peuple de Galilée.

 

VII. — MASSACRE DES GALILÉENS DANS LE TEMPLE.

 

Pendant que Kaïaphas, à la lueur des torches, gardait le roi des Juifs dans sa cour, Pilatus entrait à Jérusalem, prenait possession de la tour Antonia[46], pénétrait dans le Temple par le souterrain qui reliait ces deux édifices et s'y cachait, prêt à fondre sur les partisans] de Bar-Jehoudda, lorsqu'à midi les portes s'ouvriraient pour le sacrifice de l'agneau.

Le fait était dans Josèphe et naturellement il n'y est plus, mais il y était encore au temps des Eusèbe et des Hiéronymus, c'est-à-dire au quatrième siècle[47]. Les légionnaires avaient leurs enseignes à l'image de Tibère, ce qui a permis à ces écrivains d'insinuer que telle avait été la cause première des troubles et de la sédition dont avaient été marqués les Azymes et dont l'Évangile relevait incidemment la trace. Jointe aux suppressions opérées dans Josèphe, cette interprétation ecclésiastique donnait à croire qu'il n'y avait aucune corrélation entre le châtiment de Bar-Jehoudda et la Passion de Jésus.

Bar-Jehoudda avait été pris à l'insu de ceux de ses partisans qui étaient à Jérusalem pour leurs purifications. Shehimon, en quittant la cour de Kaïaphas et la ville elle-même, avait négligé de les avertir. Sans méfiance, ils entrèrent au Temple pour commencer leurs sacrifices. Pilatus les laissa faire, les cerna, les massacra sur leurs victimes. Comme le dit très bien l'Évangile, il mêla le sang des Galiléens avec celui de leurs sacrifices[48]. Mais ce ne fut point sans essuyer une vigoureuse riposte, car ils étaient armés de couteaux et de siques. Au point de vue juif il ne s'était rien passé de plus grave depuis le Recensement. C'était, en effet, un scandale sans précédent que ces images de la Bête promenées un jour de Préparation à la pâque dans le lieu saint, où nulle image, pas même celle d'Iahvé, ne devait être tolérée[49]. Mais c'était aussi la preuve que, pour la troisième fois depuis la mort d'Hérode, le parti zélote avait été assez hardi pour revendiquer son droit aux sacrifices. La conquête du Temple avec exclusion des familles sacerdotales en charge fut la préoccupation dominante de ce parti depuis le Jehoudda du Recensement jusqu'au Ménahem de 819, en passant par le roi-christ de 788. L'Église a donc enlevé du texte de Josèphe l'épisode sanglant que cet historien y rapportait et sur lequel Luc, au troisième siècle, a voulu avoir l'avis de Jésus lui-même.

Si Pilatus a occupé le Temple pendant la nuit ou dans la matinée de la Préparation, c'est requis par Kaïaphas, à l'instar de Coponius prêtant main forte à Hanan pour le débarrasser de Jehoudda et de ses sacrificateurs improvisés. Luc d'ailleurs est le seul évangéliste qui évoque topographiquement le souvenir du massacre. Dans les Actes des Apôtres on ne reproche qu'une seule victime à Pilatus et à Kaïaphas, mais cette victime contient toutes celles qu'ils ont faites ce jour-là.

 

Jésus juge avec quelque sévérité les incendiaires de Samarie, mais que pense-t-il des Galiléens qui sont tombés dans le Temple ? Dira-t-on de ceux-là qu'ils ne défendaient pas la Loi ? Les traitera-t-on de brigands et de voleurs comme les autres ? En ce temps-là donc (sous Hadrien au moins) quelques-uns (de ces pharisiens attachés à l'étiquette) lui vinrent parler des Galiléens dont Pilatus avait mêlé le sang avec celui de leurs sacrifices. Jésus leur répondit en ces termes : Pensez-vous que ces Galiléens fussent plus pécheurs que le reste des Galiléens parce qu'ils ont souffert cela ? Non, vous dis-je, et si vous ne vous amendez, vous périrez tous de même façon... Ou bien estimez-vous que les dix-huit sur lesquels tomba la tour, près de Siloé, et qu'elle écrasa[50], étaient plus coupables que le reste des gens de Jérusalem ? Non, vous dis-je, et si vous ne vous amendez, vous périrez tous de même façon.

Les fabulistes qui soumettent la question à Jésus se gardent bien de dire en quel lieu, à quelle date et à quelle fête les Galiléens ont trouvé la mort. Au premier abord on peut croire que Jésus regrette médiocrement ceux des partisans de Bar-Jehoudda qui ont péri sous le fer de Pilatus dans le Temple. Mais cette froideur ne cadre guère avec les anathèmes qu'il vient de lancer contre les habitants de Chorazin, de Kapharnahum et de Bethsaïda pour être restés chez eux en cette journée-là. La vérité est qu'il prend ces Galiléens sous son aile. Vipères tant qu'on voudra, ils ont fini en martyrs[51]. Et si ceux qui attaquent leur mémoire ne s'amendent pas, c'est-à-dire s'ils ne s'arment pas pour défendre la Loi, ils finiront comme eux, tués par César, avec la gloire en moins. C'est le sens vraisemblable[52], et cette consultation n'a pas toujours été placée al endroit où elle est aujourd'hui, trois jours avant le fait. Je sais bien que Jésus peut résoudre tous les cas par anticipation, mais dans les fables anciennes, dans les écrits valentiniens, nombreux sont les exemples ou Jésus Parle en Grand Juge et à longue distance des événements.

 

C'est merveille de voir ce que deviennent au souffle purificateur de l'Église, l'entrée de Pilatus dans Jérusalem après le grand trouble dont parle Josèphe, et le massacre des Galiléens dont parle Luc comme ayant eu lieu en plein Temple. Au lieu d'une seule et même affaire comprenant ces deux épisodes qui s'enchaînent invinciblement, nous trouvons deux affaires qui n'ont aucun rapport[53]. Dans l'une, Pilatus ne quitte pas Césarée ; il envoie en quartiers d'hiver à Jérusalem des troupes portant des drapeaux à l'image de Tibère. Est-ce pour qu'elles aient plus froid qu'il les envoie sur Sion en plein hiver ? Non, mais seulement pour qu'il ait le temps de les retirer de Jérusalem avant la Pâque, car sept jours après, changeant d'avis, sur la plainte formulée par les Juifs, il donne l'ordre de les ramener à Césarée. Des détails toutefois sont restés qui appartiennent à l'ancien récit : les troupes sont entrées de nuit, et Pilatus, après leur avoir commandé de se tenir sous les armes pour châtier les Juifs, les a postées dans le lieu qui lui a paru le plus propre à les cacher. La seconde affaire se passe encore à Césarée : d° moins n'est-il pas dit qu'elle se passe ailleurs. Pilatus a résolu de faire venir par des aqueducs, aux frais du trésor sacré, de l'eau dont les sources sont éloignées de deux cents stades. Pourquoi deux cents stades et point d'indication de lieu ? Parce qu'il suffit au faussaire que cette eau ne puisse être celle de la fontaine de Siloé, à propos de laquelle Bar-Jehoudda fit le scandale que nous avons rapporté d'après les aveux de Luc et du Quatrième Évangile. Le peuple s'émeut de cette décision, s'assemble tumultueusement en un lieu qui n'est point nommé et injurie copieusement Pilatus. Celui-ci commande alors à ses soldats de cacher des

bâtons sous leurs habits et d'environner cette multitude afin de la châtier au premier signal et, comme elle 'recommence, il fait exécuter l'ordre. A part les bâtons substitués aux épées et aux lances, un détail est resté de l'ancien récit : les soldats ont frappé de telle sorte que parmi les séditieux il y eut plusieurs tués et blessés. Et la sédition s'apaisa, dit le faussaire. Mais le faux ne s'apaisa point, car c'est immédiatement après cette phrase que commence le fameux passage sur Jésus-Christ.

Grâce à ces procédés de vulgarisation, la révolte de Bar-Jehoudda, le grand trouble selon Josèphe, et le massacre selon Luc, se trouvent réduits aux proportions d'un assaut de bâton entre des séditieux qui ont oublie de s'armer et des soldats romains qui ont dépose leurs armes tranchantes pour s'en tenir aux instruments contondants. De plus ils se sont déguises en Juifs, ce qui suppose des vêtements d'emprunt et jusqu’à de fausses barbes disposées autour de bouches hermétiquement closes, car il n'est pas admissible qu avant de se préparer à cette scène carnavalesque les légionnaires aient pu apprendre assez d'araméen pour tromper leurs adversaires dans une langue que les gens de Kaïaphas eux-mêmes avaient de la peine à saisir.

 

Il y avait un autre document et de première importance sur l'entrée de Pilatus à Jérusalem et sur le massacre dans le Temple, c'est la Légation de Philon à Caligula. Philon, qui était allé en Italie pour défendre les Juifs contre les Alexandrins, séparait sa cause de celle des jehouddistes. Obligé de tenir compte de cet état d'esprit, l'arrangeur ecclésiastique de Philon ramène l'affaire de 788 à la mesure d'une anecdote sans portée belliqueuse, où les drapeaux à image deviennent des boucliers votifs et sans figure. Pilatus a consacré à Tibère des boucliers dorés sans image dans le palais d'Hérode et, les Juifs ayant réclamé, il a, sur l'ordre de l'empereur[54], remporté ces boucliers à Césarée. Notons qu'en consacrant des boucliers à Tibère Pilatus n'aurait fait qu'user de son droit, il aurait offensé d'autant moins le Temple et les coutumes juives que ces armes étaient sans figure et dans un palais où Rome était chez elle. On s'étonnerait que les Juifs en eussent écrit à Tibère et que, sur l'ordre impérial, Pilatus les eût fait remporter à Césarée comme des objets qui souillent la perspective de la Ville sainte. Au contraire, on comprend qu'avant introduit des enseignes à figure jusque dans le Temple, Pilatus, le calme rétabli, les ait ramenées à Césarée. Un homme d'Église a revu et corrigé Philon, jusqu'à ce qu'il n'y restât rien du sanglant épisode enregistré par Luc. Et les drapeaux à image, qui ne sont point entrés dans le Temple tout seuls, deviennent des boucliers sans figure que Pilatus a eu le mauvais goût de suspendre dans le palais. Ce qu'on voit clairement dans tout cela, c'est que, la révolte réprimée, Pilatus célébra sa facile victoire par des sacrifices et dédia les boucliers à Jupiter Capitolin.

 

VIII. — AU PRÉTOIRE.

 

Il était grand jour lorsque les gens du grand-prêtre et ceux d'Antipas, amenant le roi des Juifs, arrivèrent en tumulte au palais de Pilatus. Le palais était voisin du Temple, à l'ouest ; le prétoire était dans la cour intérieure du palais ; la tour Antonia, prison impériale, dominait le Temple, et dans cette tour étaient déjà d'autres séditieux, parmi lesquels Bar-Rabban, lequel dans la révolte avait commis un meurtre, celui d'un Romain, car pourquoi Bar-Rabban aurait-il été enfermé dans la prison impériale, s'il eût tué un Juif ? Le mouvement n'avait point affecté que la Samarie, puisque Josèphe dit qu'il y eut un grand trouble en Judée. Bar-Rabban avait opéré dans Jérusalem, Puisqu'il fut crucifié par les Romains pour avoir tué l'un d'eux dans la révolte. La dernière révolte à cause de laquelle les deux larrons de l'Evangile sont emprisonnés, puis crucifiés avec Bar-Jehoudda, ne peut être que celle de 788, il n'y en eut point d'autre. Depuis qu'elle a fait de Bar-Jehoudda un héros, puis un dieu, l'Église appelle ces prisonniers des voleurs ou des brigands. Mais si on réfléchit que ce qualificatif malsonnant a été le premier sous lequel on ait désigné Bar-Jehoudda lui-même, on conviendra que ces messieurs sont tout uniment des complices, habiles au maniement de la sique.

Arrivés devant le prétoire, les Juifs qui y conduisaient Bar-Jehoudda n'entrèrent point eux-mêmes de peur de se souiller et afin de pouvoir manger la pâque. Ce trait dut faire son admiration, il respire d'ailleurs la vérité. Le Talmud confirme absolument les évangélistes primitifs : c'est parce que le Nazir touchait à la royauté qu'on le crucifia dans l'après-midi qui précède la pâque[55]. Voici un autre trait, faux en ce qui concerne Pilatus, mais exact en ce qui concerne la date et d'une importance cardinale.

Pilatus sortant au-devant d'eux (quelle condescendance !) leur dit : Quelle accusation portez-vous contre cet homme ?S'il n'avait fait aucun mal, s'écrièrent-ils, nous ne te l'eussions point livré. Sur cela Pilatus ajouta : Prenez-le vous-mêmes et le jugez selon votre loi. — Nous n'avons pas le droit, reprirent les Juifs, de mettre à mort quelqu'un[56]. Ce n'est pas pour un prétexte inventé au second siècle que les Juifs n'avaient pas le droit d'exécuter Bar-Jehoudda eux-mêmes, c'est pour une raison tout autre et très forte et très ennuyeuse pour l'imposture ecclésiastique : il leur était défendu d'exécuter quelqu'un ce jour-là, parce qu'ils n'auraient pas pu manger la pâque ! Il y avait là deux preuves que Bar-Jehoudda était aux mains de Pilatus le jour de la Préparation et qu'il n'avait pu, sous le nom de Jésus, manger l'agneau le soir avec douze compères, comme il le fait aujourd'hui dans Mathieu, dans Marc et dans Luc[57].

Quant à Pilatus, nous ne savons pas ce qu'il a dit, mais nous savons ce qu'il n'a pas dit. Il n'a jamais demandé aux Juifs qu'ils jugeassent selon leur Loi un révolté qui était depuis cinquante jours au moins sous le coup de la Loi romaine. Jamais Pilatus n'a fait une telle proposition. Ce que le scribe du Quatrième Évangile a voulu dire, c'est que si le roi-christ n'a point été exécuté par les gens du Temple, c'est uniquement à cause de la date, mais qu'autrement l'envie ne leur en manquait pas. L'Église est sortie de cette impasse conformément à son habitude, par un mensonge imbécile : C'était, dit-elle, pour que fût accomplie la parole qu'avait dite Jésus, marquant de quelle mort il devait mourir. Vous savez assez que, loin d'attendre la mort sur une croix, le roi-christ comptait bien délivrer Israël, et si par hasard vous l'avez oublié, Cléopas, son beau-frère, va vous le rappeler tout a l'heure.

 

Condamné par ses coreligionnaires Bar-Jehoudda n'eût toutefois été supplicié qu'après la fête. On ne crucifiait pas, on ne lapidait pas pendant la pâque. Toute exécution était suspendue, les Actes des Apôtres le reconnaissent. A la pâque de 802 après l'exécution de Jacob, on surseoit à celle de Shehimon pour qu'elle ne coïncide pas avec la pâque, tant le respect de cette loi était absolu[58]. Or Shehimon était coupable des mêmes crimes que son frère : il avait été arrêté pour avoir organisé une famine avec Jacob. Mais ici, celui qui applique la loi romaine n'est pas un Romain comme Pilatus, c'est un Juif, Tibère Alexandre, et il en concilie les dispositions avec celles de la loi juive.

Pour expliquer la phrase : Nous n'avons pas le droit de tuer quelqu'un, après en avoir très certainement retranché ce jour-là, on en est arrivé à nier que les Juifs eussent le droit de mettre quelqu'un à mort. Cela ne se soutient pas une minute. Pilatus lui-même le leur reconnaît en leur offrant d'en user. Ils avaient le droit soit de lapider le condamné, comme ils avaient voulu le faire quelques mois auparavant et comme ils l'avaient fait à Jacob junior, soit de lui trancher la tête, soit de le brûler, soit même de le crucifier. La Loi et l'usage le leur permettaient, et jamais un procurateur n'intervint dans les sentences de mort rendues par le Sanhédrin.

La crucifixion qu'on nous représente comme un supplice importé par les Romains en Judée[59] est tout au long marquée dans le Deutéronome[60], comme ayant été dictée par Dieu à Moïse. Ordre d'enlever le corps au coucher du soleil et de l'enterrer le soir même, le crucifié étant maudit de Dieu, et rien de semblable ne devant souiller les regards du Seigneur. Pour cette raison Josué, ayant crucifié cinq ou six rois, les fait enlever au coucher du soleil et jeter hors la ville. On crucifie dans les Nombres[61]. Les Gabaonites crucifient les fils de Saül avec la permission de David, ancêtre de Bar-Jehoudda[62]. On crucifie Aman[63]. On crucifie dans Esdras. Sous les asmonéens on crucifie par centaines. Huit cents d'un coup sous Alexandre Jannée. Peut-être aurait-on crucifié le roi-christ si la question de jour ne s'y était opposée. En effet c'est à la croix qu'on l'avait condamné, nullement à la lapidation. On le remet à Pilatus en vociférant : Crucifie ! crucifie !, la croix étant parmi les supplices de ceux qui avaient tué[64].

Les Juifs perdent absolument la tête quand il s'agit du Joannès-jésus. Il est impossible de se défendre aussi mal, ils passent à côté de tous les arguments qui les absolvent et restent comme hébétés par l'absurde accusation de déicide qui pèse sur eux. Ils en arrivent, dans ces choses qui les touchent le plus directement, à méconnaître les vérités les mieux établies par leurs propres Ecritures. Par exemple, je lis dans l'un d'eux que le supplice de la croix, fréquent chez les Romains, est absolument inconnu des Juifs[65]. Je vois bien à quoi il tend ; il veut rejeter l'exécution sur Pilatus, montrer que condamnation et supplice, tout fut romain. Désir compréhensible. Encore faudrait-il qu'il n'allât pas contre l'histoire et contre le Talmud.

Comment se fait-il que Bar-Jehoudda ait péri de la main de Rome s'il n'était coupable que vis-à-vis de la loi juive ? S'il fut exécuté entre deux autres lestés, c'est qu'il avait perpétré, commandé les mêmes crimes. Il était plus coupable qu'eux, puisque nous voyons les gens du Temple préférer à sa libération celle de Bar-Rabban. Ce n'est donc pas pour cause de religion que Bar-Jehoudda fut puni, mais pour crimes de droit commun, et puni d'un supplice inscrit dans la Loi même. N'est-ce point un scandale qu'un goy de France soit obligé de venir en aide au peuple élu ?

 

Pilatus ne l'interrogea point. Si la loi juive était impitoyable et le pouvoir des témoins sans limites : Quelqu'un a-t-il enfreint la loi de Moïse, il doit mourir sans pitié sur le témoignage de deux ou de trois, la loi Julia était encore plus radicale en ce qui touche Bar-Jehoudda. Il avait été arrêté en costume de roi. Son affaire n'avait pas besoin d'être instruite. Déjà condamné par le Sanhédrin et Antipas, il l'était ici par les mirobolants oripeaux qu'il avait sur les épaules. Pilatus ne lui a pas demandé : Es-tu le roi des Juifs ? Et il n'a pas répondu : Tu l'as dit. Cela se voyait bien.

Nous l'avons trouvé subvertissant notre nation, dirent ceux qui l'amenaient à Pilatus, défendant de donner le tribut à César et se disant christ-roi.

La question est parfaitement posée. Rien ne ressemble moins à une erreur judiciaire. Au premier rang des crimes selon la loi romaine est le sacrilège, mais le crime de haute trahison se confond presque avec lui, et ce crime comprend celui de lèse-majesté. Il est défini tout attentat commis contre le peuple romain ou contre l'ordre public. Celui-là s'en rend coupable par l'aide duquel des hommes armés se rassemblent à Rome ou conspirent contre la République, ou s'emparent des édifices publics ou des temples ; celui-là également par l'aide duquel se réunissent des rassemblements, des attroupements ou par lequel des séditions prennent naissance. Voilà le crimen majestatis tel qu'il est défini par Ulpien d'après la loi Julia. C'est celle qu'appliqua Pilatus. Elle est encore en vigueur sous un autre nom dans tous les pays où l'Europe possède des colonies. La réponse de Pilatus : Je ne trouve aucun crime en cet homme-ci est donc contredite par tout ce qui précède et par tout ce qui suit. Il émeut le peuple depuis la Galilée jusqu'ici, est de la part des Juifs une insistance inutile. Pilatus, qui arrive du Garizim et du Sôrtaba, est fixé. Mais comme le plan des évangélistes est de leur laisser tout le poids de l'exécution, nous allons assister à une scène qui fait pendant à celle où nous avons vu Antipas prendre contre le Sanhédrin la défense du condamné.

Si par impossible Pilatus l'eût absous, tout était à recommencer : il eût fallu trouver autre chose. Mais, il n'y avait rien à craindre avec de telles gens qu'on faisait danser au bout du fil, aller, venir, tourner la tête, condamner, crucifier, et faire le salut à l'honorable société.

 

L'attentat s'étant poursuivi jusque dans Jérusalem devant des étrangers, Pilatus voulut que la sentence fût publique exceptionnellement. Il semble qu'il ait fait dresser son tribunal dans le Lithostrotos et qu'il ait prononcé là. D'ailleurs on fit observer aux évangélistes que, les Juifs n'ayant point pénétré dans le prétoire, personne n'avait rien su de ce qui s'était fait et dit à partir de ce moment. Alors ils déclarèrent que Pilatus était assis dans le Lithostrotos lorsqu'on lui amena le roi-christ. Le Lithostrotos faisait comme une cour des pas-perdus entre le prétoire et la Tour Antonia[66].

Le roi des Juifs ayant perdu sa couronne pendant sa fuite, les soldats de Pilatus lui en firent une avec des joncs marins et non avec des épines, comme les empiriques l'ont avancé au temps de ce bon roi saint Louis qui faisait percer la langue aux impies et maldisants. Et je ne sais rien de plus bas, de plus écœurant que cette spéculation sur la pitié naturelle. Au dire de Marc, on pourrait croire que le tribunal de Pilatus était à l'étage dans la cour intérieure du prétoire[67], et que la foule envahit la salle à un moment donné. Mais que la salle fût à l'étage ou au rez-de-chaussée, il n'importe. Les Juifs qui livrèrent Bar-Jehoudda aux soldats de Pilatus ne pénétrèrent même pas dans la cour, il fallut que le procurateur l'envoyât prendre. Entrer chez un païen le jour de la Préparation à la pâque, voir ce jour-là des enseignes à l'image de Tibère, c'était se souiller, se rendre indigne des azymes et de l'agneau. Aucun d'eux n'assista donc au jugement. C'eût été vaine curiosité d'ailleurs, le malheureux n'avait plus qu'une chose à apprendre : l'heure à laquelle il mourrait.

Pilatus condamna et exécuta martialement, sans prendre conseil d'Antipas ni du Temple, après un interrogatoire sommaire et resté sans réponse : le fouet peut-être, puis la croix[68] ! Il expédia l'affaire, assourdi par les cris de cette foule hurlant à la mort devant son palais. Ses soldats ne furent pas plus humains que n'avaient été le roi-christ et ses gens. Selon certains récits, ce sont eux qui emmènent Bar-Jehoudda au prétoire, le déshabillent, le fouettent, le couvrent d'un manteau d'écarlate, tressent une couronne de joncs qu'ils lui mettent sur la tête, avec un roseau dans la main droite, et pliant le genou devant lui, se moquent, disant : Salut au roi des Juifs !, puis, reprenant le manteau, crachent sur le corps et, saisissant le roseau, frappent sur la tête, enfin l'entraînent au Guol-golta.

Ces détails sont vraisemblables et je crains qu'ils ne soient vrais, surtout au lendemain d'une révolte où les assassinats de païens avaient été nombreux. On agit avec le vaincu comme il eût agi vainqueur. Mais pas plus que ceux d'Antipas, les soldats de Pilatus n'eurent à faire les frais de son accoutrement ; ils ont fourni le sceptre de jonc, le seul que fût capable de porter l'homme qui devait les paître avec la verge de fer.

 

IX. — L'ORDRE D'EXÉCUTION.

 

Les néo-évangélistes, dont la politique est de ménager Rome aux dépens du Temple — cela va souvent jusqu'au scandale — ont donné au monde qu'ils ont voulu conquérir et tourner contre les Juifs, l'image d'un Pilatus qui incline à la bienveillance. Et même, pour se concilier les matrones, ils ont mêlé à l'affaire la propre femme du procurateur qu'ils ont douée d'une sensibilité égale à la sauvagerie des Hérodiade et des Salomé dans la pseudo-décapitation du Joannès baptiseur. Ayant remplacé le farouche Bar-Jehoudda par le divin Jésus dans leur travail, ils ne pouvaient laisser en place l'inflexible Pilatus qui, pour l'exemple, avait crucifié le baptiseur du Jourdain en plein jour de la Préparation à la Pâque. Gomment respecter l'original du bourreau quand eux-mêmes nous montrent de la victime une copie si peu ressemblante ? Quelles serres l'aigle romaine osera-t-elle fermer sur ce pauvre et doux Jésus qui conseille l'impôt et n'en veut qu'à de vagues saducéens pour des questions abstraites ? En quoi Jésus a-t-il lésé la majesté de Tibère ? Quelles menaces a-t-il proférées contre Rome ? Quels Galiléens a-t-il soulevés ? Quelles statues a-t-il renversées ? Quels dieux a-t-il insultés que les Juifs ne méprisassent aussi profondément ? Pilatus n'a qu'à se récuser, il n'y a plus là qu'une querelle de sophistes juifs.

A Corinthe Gallion, frère de Sénèque, ayant à juger entre Saül et les Juifs, dira : Querelles de mots, débrouillez-vous. Pilatus en arrive à discuter avec Bar-Jehoudda sur l'essence de la vérité. Nous ne sommes plus à Jérusalem dans le Lithostrotos, mais à Athènes sous le Portique.

La nécessité politique, l'économie de la fable, la volonté de tout rejeter sur Kaïaphas, nous ont donné un Pilatus en harmonie avec Jésus. Il essaye de tous les moyens pour sauver cet ami de Rome. Sa femme elle-même intervient pour suspendre le jugement, troublée tout à coup par un songe. Il a, parait-il, le droit de relâcher, ce jour-là, un prisonnier aux habitants[69] : il leur donne le choix entre Bar-Rabban et le roi-christ dans l'espoir qu'ils opteront pour le second contre le premier, mais tous s'écrient : Délivre Bar-Rabban ! Il renouvelle la question sous d'autres formes pour gagner du temps : Que ferai-je de celui qu'on nomme le christ ? D'une voix ils clament : Qu'il soit crucifié !Mais quel mal a-t-il donc fait ? reprend-il. — Qu'il soit crucifié ! vocifèrent-ils avec plus de rage. Il prend de l'eau, se lave les mains, disant : Je suis innocent du sang de ce juste, cela vous regarde[70]. Tout le peuple répond : Que son sang soit sur nous et sur nos enfants ! Puis l'interrogatoire commence. Plus de Bar-Jehoudda depuis trois ou quatre cents ans, plus de Pilatus en fonctions, plus de Juifs devant le prétoire, on va pouvoir causer. A l'interrogatoire, Jésus répond jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien en lui de Bar-Jehoudda. Ma royauté n'est point de ce monde, dit-il ; si elle était de ce monde, mes gens lutteraient pour que je ne fusse pas livré aux Juifs, mais ma royauté n'est pas d'ici-bas. On sait de quelle façon les disciples ont lutté pour empêcher Bar-Jehoudda de tomber aux mains d'Is-Kérioth. Autant de vilaines petites roueries que de mots. Lisez cela au passé et vous aurez le sens exact : Ma royauté n'était pas de ce monde (elle était du Monde nouveau que devait créer le Fils de l'homme à sa venue). Si elle eût été de ce monde, mes gens auraient lutté pour que je ne fusse pas livré aux Juifs (on voit que le scribe est grec ou latin), mais ma royauté n'était pas d'ici-bas (elle était au contraire d'un ici-bas purifié par le Baptême de feu).

Continuons. Pilatus ici ne renvoie point le roi-christ à Antipas comme dans Luc. Il sort une seconde fois du prétoire (ce gouverneur est d'une complaisance !) et dit aux gens du Temple : Je ne trouve en lui aucun crime. Mais il est d'usage qu'à la Pâque je vous relâche quelqu'un ; voulez-vous que je vous délivre le Roi des Juifs ? Tous crièrent : Non, pas celui-ci, mais Bar-Rabban. Or ce Bar-Rabban était un brigand, ajoute le narrateur. Mais si Pilatus ne trouve aucun crime en Bar-Jehoudda, pourquoi le fouette-t-il de sa propre main ? Pourquoi ses soldats s'emparent-ils d'un malheureux qui n'est même plus un accusé., pour lui cracher au visage, le vêtir du manteau d'écarlate, 1er souffleter en lui disant : Salut, le Roi des Juifs ?

Pilatus, sortant une troisième fois du prétoire, — il est inépuisable ! — l'amène aux Juifs dans son accoutrement ridicule en disant : Voici l'homme. — Crucifie, crucifie !Je ne trouve point de crime en lui. — Nous avons une loi et d'après elle il doit mourir, car il s'est fait fils de Dieu. A ces mots qui lui auraient permis de répondre aux Juifs : En ce cas, lapidez-le et me laissez tranquille, je ne suis pas chargé d'appliquer votre loi, il rentre au prétoire et interroge le roi-christ qui d'abord se tait, puis entre autres arguments décoche au grand-prêtre ce trait mortel : Celui qui me livre à toi est plus coupable. Quels êtres abjects, en effet, que ces Juifs ! Ce sont eux qui ont préféré Bar-Rabban au fils de David, eux qui par leurs hurlements de fauves ont arraché à la Bête elle-même une sentence qui lui répugnait, eux qui, voyant hésiter Pilatus, se sont montrés plus romains que le procurateur et plus impérialistes que Tibère, eux qui sont allés, pour enlever la condamnation, jusqu'à montrer au fonctionnaire romain les conséquences funestes qu'aurait pour son avenir l'acquittement d'un crime de lèse-majesté !

Voici la scène :

Pilatus s'efforce de le relâcher, mais les Juifs crient : Si tu le délivres, tu n'es point ami de César, car quiconque se fait roi contredit à César. A ces cris Pilatus fait sortir l'inculpé du prétoire et s'asseyant au tribunal, dans le lieu appelé Lithostrotosc'était la veille de Pâque, vers la sixième heure[71]dit aux Juifs : Voici votre roi ! Mais ils clament : Enlève, enlève, crucifie-le !Crucifierai-je votre roi ? reprend Pilatus. Mais les chefs des prêtres répondent : Nous n'avons d'autre roi que César. Alors il le leur abandonne pour être crucifié. Et ce ne sont plus les soldats de Pilatus, mais les Juifs eux-mêmes qui entraînent le condamné au Guol-golta. Et ils ont une telle peur d'être compromis auprès de Tibère par la froideur de Pilatus que, celui-ci ayant posé de sa propre main sur la croix une inscription où il avait mis ces mots en hébreu, en grec et en latin : Le roi des Juifs, les chefs des prêtres, comme s'il y avait dans ce libellé un commencement de lèse-majesté impériale, lui disent : N'écris point le roi des Juifs, mais : Celui-ci a dit : Je suis le roi des Juifs[72].

La pleutrerie des Juifs décadents, la peur qu'ils ont de déplaire à César, est rendue avec une malice admirable dans tous ces traits. Si la méchanceté est un art, jamais cet art n'a été poussé plus loin. Jamais la haine n'a pris de détours plus accablants pour perdre des hommes. Toutes les flèches sont trempées dans le poison. Ramassons-les, considérons chaque pointe, elle est mortelle, mieux que cela, immortelle !

Mais qu'on ne s'y trompe pas ! Il n'y a qu'un amant jaloux, un Zélote, pour mettre à nu de tels sentiments, il n'y a qu'un cœur blessé à fond pour jeter de tels cris. On croirait lire la lettre anonyme d'un christien à Iahvé pour lui dénoncer ceux qui ont trompé Israël avec Rome ! On nomme Pilatus, mais c'est Saül qu'on veut atteindre, c'est Tibère Alexandre, les juifs adultères, les renégats qui, jadis, pour le compte de Rome, ont crucifié Bar-Jehoudda et ses deux frères, Shehimon et Jacob. C'est à eux, non à Pilatus, que s'adresse ce chef-d'œuvre d'ironie enfiellée et cauteleuse, — pensée zélote sertie dans une scène imaginaire, — où l'on voit des Juifs de Jérusalem, l'un petit-neveu d'Hérode, l'autre fils de l'alabarque d'Alexandrie et neveu de Philon, servant de coadjuteurs à Rome et pourvoyant le gibet de prophètes ! De la fondation à la chute de Jérusalem, même en y comprenant Hérode, on n'avait jamais rien vu de pis !

 

L'attitude que la tradition première, sensible dans Mathieu et dans Marc, prête aux soldats romains après la condamnation et pendant l'exécution montre assez la brutalité de sentiments qui les animait. Comment Pilatus aurait-il pu relâcher Bar-Rabban, coupable de sédition et convaincu de meurtre, pour être agréable à une population qu'il voulait précisément frapper par un exemple ? On croit voir, au contraire, que des voix s'élevèrent en faveur de la Loi juive, représentèrent qu'il était d'usage de délivrer un prisonnier à la Pâque et demandèrent qu'il fût sursis à l'exécution. Mais Pilatus se boucha les oreilles impitoyablement. Il fit exécuter Bar-Jehoudda avec une promptitude qui est la conséquence ordinaire des crimes flagrants. Il ne proposa pas aux Juifs le moyen terme qu'on trouve aujourd'hui dans l'Évangile : Après l'avoir châtié, je le relâcherai. Les Juifs ne dirigeaient pas la procédure de Pilatus, ils ne dominaient pas ses pensées et ses mouvements jusqu'à lui demander de relâcher Bar-Rabban à la place de Bar-Jehoudda. Mais le désir d'épargner Rome en Pilatus est si fort chez Luc qu'il en arrive à supprimer complètement la scène où Mathieu et Marc nous ont montré ces soldats romains, des légionnaires, accablant un prisonnier d'outrages pires que le supplice même !

 

FIN DU TOME DEUXIÈME

 

 

 



[1] Quatrième Evangile, IX, 54. Il s'agit ici du décret de prise de corps compris dans la condamnation et qui remontait à une quarante de jours.

[2] Ceci dans Mathieu qui n'avoue ni la condamnation antérieure de Bar-Jehoudda, ni sa déconfiture en Samarie, ni son arrestation à Lydda.

[3] Aucune ruse, au contraire. Mais il faut observer que dans la fable Bar-Jehoudda est remplacé par Jésus qui est innocent de toute faute et qui n'a été condamné par aucun sanhédrin.

[4] Actes des Apôtres, IX, 32. Vous êtes assez familiarisés avec les procédés des évangélistes pour savoir qu'un paralytique qui fait lui-même son lit, comme dans ce cas, ou qui l'emporte lui-même comme dans l'Évangile c'est un patriote juif qui, sur l'injonction du Verbe inspirateur de la Loi, rompt une période d'inertie plus ou moins longue.

[5] Actes des Apôtres, I, 18.

[6] Dialogue millénariste faussement attribué à Justin.

[7] Nous en parlerons quand nous en ferons le bilan.

[8] Ainsi leur sera enlevé le crime de ce sang versé, dit la Loi. (Deutéronome, XXI.)

[9] Nom qui convient parfaitement aux Gnostiques ou connaisseurs en Apocalypses, mythes, fables et systèmes chaldéens ou égyptiens.

[10] Voyez Irénée (Contra hæreses) là-dessus, malgré les fraudes ecclésiastiques dont il est farci.

[11] Appelé Eon dans ces Commentaires. C'est un équivalent de Cycle et d'Apôtre, avec cette différence que les Eons ne sont pas spécialement attachés au service des Juifs.

[12] Le scribe ecclésiastique qui a mis son ouvrage sous le nom d'Irénée le millénariste, disciple de Papias et mort, semble-t-il, au commencement du troisième siècle, connaît parfaitement toutes les fausses Ecritures fabriquées aux quatrième et cinquième siècles et même au-delà par l'Eglise romaine. Il connaît même la liste des premiers papes !

[13] Dans les Actes en effet Jésus retourne au ciel par sa propre puissance, ce qui est tout naturel : il en vient. Le Joannès-jésus, le christ, si vous aimez mieux, est simplement enlevé de la vue des disciples. C'est son Assomption, et vous en avez vu le premier tableau : le Sôrtaba dans Luc. Vous en verrez l'avant-dernier : le Guol-golta dans l'Évangile de Cérinthe (le Quatrième), mais vous n'en verrez pas le dernier qui pouvait être intitulé Macheron : on le cache, c'est là qu'est le secret de la sépulture de Bar-Jehoudda.

[14] On désigne sous le nom de Plérôme l'ensemble des puissances célestes représentées par Jésus et les Douze.

[15] Theudas, le Thaddée de l'Évangile, s'est levé sous Claude. Nous examinons son cas dans les Marchands de Christ, le volume qui fait suite à celui-ci.

[16] Je rappelle que, sauf le quantième, nisan répond à avril.

[17] Au cinquième siècle, grâce aux inventions des évangélistes, la vérité ne pouvait déjà plus se faire jour sur aucun point. Comment ! dit l'Anticelse, le rabbin prétend qu'il s'est caché, qu'il était en fuite quand on l'a pris ? Mais c'est une calomnie ! Celui-là s'est caché qui a dit : J'enseignais tous les jours en liberté dans le Temple et vous ne m'avez pas arrêté ? (Anticelse, II, 70.)

[18] Patriarche de Constantinople, auteur du schisme d'Orient.

[19] Bibliothèque de Photius, ch. 116, dans la Patrologie grecque de Migne.

La question du jour est très secondaire, dès le moment qu'il est bien établi que c'était avant la Cène, mais nul doute que ce ne fût le mercredi, jour de jeûne naziréen. Tous les Évangélistes reconnaissent que la pâque était un jeudi. N'en conviendraient-ils pas que nous serions suffisamment édifiés par l'allégorie du Quatrième Évangile où Jésus proclame que Bar-Jehoudda fut son Joannès, son messager, son Mercure, et le restitue, sous cette étiquette, à Salomé, sur la croix même. Rappelez-vous également le livre que possédait Photius et où il est dit : Pour que la Cène ne soit pas imaginaire, il faudrait qu'elle eût été célébrée après le jour de la pâque.

[20] Donc le 15 nisan au compte juif, la journée commençant à six heures de l'après-midi.

[21] Cérinthe dans le Quatrième Evangile, ch. XIII.

[22] Voyez Quatrième Evangile, XIII, 38. Il n'y avait pas : cette nuit, et en effet dans le thème de Cérinthe la fiction se passe le 14. C'est dans le thème grand jeu, où la fiction est placée le 15, qu'on a mis cette nuit.

[23] Par l'épilogue du Quatrième Evangile, assez dur pour lui. Cet Évangile est le seul qui mêle Shehimon et un autre disciple à l'arrestation du Nazir.

[24] Nous avons expliqué ce propos dans le présent volume.

[25] Notez que la dignité de prince des apôtres ne revient nullement à la Pierre, mais au Joannès-jésus.

[26] On a traduit par Jardin à cause du Mont des Oliviers où a lieu l'Arrestation de Jésus dans l'allégorie, mais c'est Iarden qu'il faut lire, comme il faut lire Bathanea trans Jordanem quand on met Bathanie-lez-Jerusalem.

[27] Dans Luc et dans Mathieu.

[28] Dans Mathieu.

[29] Galiléen a été ajouté relativement tard. Bar-Jehoudda était Gaulonite.

[30] Défense de jurer, d'invoquer en vain le nom de Dieu, Jésus est formel. Mais se tirer d'affaire par un parjure, n'est-ce pas invoquer utilement le nom de Dieu ? Qu'est-ce donc après tout que l'Evangile ?

[31] Il arrive une chose étrange à Shehimon depuis qu'il s'appelle La Pierre dans la fable, et son frère aîné, Jésus. Shehimon se souvient de la parole que dit Jésus dans l'allégorie fabriquée au second siècle, à savoir qu'il le renierait, et, au souvenir de la nuit des Azymes, il se met à pleurer. Remords tardif.

[32] Sur ce serment, revoyez l'Assomption de Moïse dans le Charpentier.

[33] Les scribes de Marc, déjà moins explicites, disent : dans sa puissance.

[34] Nous avons même fait observer que l'Antéchrist, dans le sens étymologique, c'était Bar-Jehoudda lui-même.

[35] Dialogue imaginaire entre les disciples réunis sur le Mont des Oliviers et Jésus.

On a mis dans Mathieu : Révèle-nous quel sera le signe de ton avènement (il y avait son) et de la consommation des Cycles. Mais la supercherie est criante.

C'est le pendant de celle du baptême où nous voyons appliquer à Jésus le membre de phrase qui, dans la version primitive, s'appliquait manifestement au Joannès baptiste.

De même on lit aujourd'hui en mon nom, dans Marc, et cela se comprend, puisque Jésus est substitué à son prophète. Avec une candeur charmante, Jésus avoue le subterfuge. Qui lit cela, dit-il, y prenne garde. Et à propos de l'abomination de la désolation établie sur le Temple tombé, on a ajouté dans quelques copies et enlevé de quelques autres les mots dont parle le prophète Daniel, qui déposent de la façon dont les Évangélistes ont travaillé, l'œil sur Daniel et le doigt sur l'Apocalypse.

[36] Remarquez au point de vue théologique, que, pour Marc, le Fils n'est pas dans le Père, comme pour le Quatrième Évangile par exemple. C'est une personne distincte, complètement à la disposition du Père, il a le pouvoir de faire et défaire, mais pour venir il attend l'ordre. C'est toujours au Père qu'il faut s'adresser pour l'oraison, à lui qu'il faut demander d'envoyer son Christ.

[37] Il y en eut deux, dit Mathieu, de faux témoins... naturellement.

[38] Cf. le présent volume (Apocalypse, ch. XXI).

[39] Renversée, dit plus exactement Marc.

[40] Quatrième Evangile, XVIII, 21. Philippe, premier en date de tous les scribes qui ont transmis les Paroles du Rabbi, confesse que Bar-Jehoudda ne prononça pas une parole, et Luc va nous dire qu'il ne répondit rien à Antipas.

[41] Mathieu, XXVI, 64.

[42] Dans Luc seul.

[43] Actes des Apôtres, VIII, 32 et Valentin, Pistis Sophia.

[44] Ces demandes : Vous avez entendu ? A quoi bon d'autres témoins ? Il avoue, et cette réplique : Il est digne de mort, ne peuvent être authentiques.

[45] Dans certaines versions, ces gens sont très ménagés. — ce qui suppose toujours une rédaction moderne. Ils ne se portent à aucune violence contre Bar-Jehoudda. Seul un sergent va jusqu'à lui donner un soufflet. Encore est-ce par condescendance pour Isaïe, car vous connaissez la faiblesse des sergents pour les Zélotes, vous les avez vus à l'œuvre. Il était interdit de frapper un prévenu. Kaïaphas eût été repris par tous les assistants s'il eut désobéi à la Loi. Quand le prétendu apôtre Paul comparait devant le sanhédrin, Ananias, le grand prêtre, ayant ordonné à ses voisins de le frapper, Paul réplique : Dieu vous frappera, muraille blanchie, car vous êtes assis conformément à la Loi ; et contre la Loi, vous ordonnez qu'on me frappe. (Actes, XXII et XXIII.)

[46] Forteresse construite par Hérode et siège de la garnison romaine.

[47] Eusèbe, Chronique, dans la traduction latine de Jérôme, et Démonstration évangélique, VIIIe livre. Ce passage de Josèphe ne pouvait que succéder immédiatement aux événements de Samarie. Sa suppression, en même temps que celle du nom du chef de la révolte de 788, a permis de reculer la Passion de Jésus à la date de 782, comme on le verra par la suite.

[48] Rappelons que le mot Galiléens doit être pris dans le sens qu'il eut à partir de la chute de Jérusalem en 823, c'est-à-dire embrassant la population gaulonite et bathanéenne.

[49] Vous verrez bientôt pourquoi cette grave affaire des enseignes à l'image de Tibère (Josèphe, Antiquités) est devenue dans Philon (Légation à Caïus) un vulgaire incident de boucliers sans figure.

[50] Détail emprunté au dernier épisode du siège de Jérusalem par Titus en 823. Les béliers romains ayant fait tomber un pan de mur et fait brèche à quelques-unes des tours, ceux qui les défendaient les abandonnèrent... et s'enfuirent vers la vallée de Siloé. (Josèphe, Guerre des Juifs, l. VI, ch. XLII, 492 et 493.)

Nous apprenons par l'Évangile que cet écroulement a causé la perte de dix-huit Galiléens de la troupe de Jochanan de Giscala.

[51] Dans un tel comble de malheurs il n’y en pas de pire pour cette misérable ville de Jérusalem que cette engeance de vipères qui, en déchirant le sein de leur mère, ont été la cause de sa ruine. (Josèphe, Guerre des Juifs, l. VI, ch. XLII, 495.)

[52] A moins qu'ici le Verbe ne soit valentinien et que désavouant, comme en Samarie, les excès du sicariat, il ne rende les apôtres responsables de la perte de leur patrie. A la réflexion ce sens paraît préférable.

[53] Antiquités judaïques, l. XVIII, ch. IV.

[54] Dans l'arrangement de Josèphe, Pilatus n'attend pas d'ordres de Tibère. Il ne lui en demande même pas. Le septième jour et de son propre mouvement il commande qu'on ramène les enseignes à Césarée.

[55] Talmud de Babylone (Sanhédrin, traité Nigmar Hadir) au nom du Rabbi Ula. La première édition de Venise traduit ainsi : Quod propinquus erat regni et suspenderunt eum in vespera paschæ (Sanhédrin, p. 22). Et Pierre Crespet, supérieur du couvent des Célestins de Paris, d'après le même document : Il fut crucifié le soir précèdent de pasques. (Le Triomphe de Marie, mère de Jésus, Paris, 1600, p. 231.)

[56] Quatrième Evangile, XV, 31.

[57] M. Barnabé (Le Prétoire de Pilate et la Forteresse Antonia, Paris, 1902, in-8°), dit que si le Sanhédrin a refusé d'ordonner l'exécution, c'est parce que la coutume lui défendait de manger de toute la journée après une exécution capitale, et qu'en conséquence, il n'aurait pu manger l'agneau. C'est vrai, mais l'auteur ne s'aperçoit donc pas qu'il ruine toute la religion, la Cène n'ayant pu avoir lieu la veille ?

[58] Le fait est d'ailleurs faux. Ou Shehimon et Jacob ont été amenés à Jérusalem et crucifiés en même temps ou c'est parce qu'ils ont été arrêtés à quelques jours d'intervalle qu'ils n'ont pas été crucifiés ensemble.

[59] M. Stapfer, La Palestine au temps de Jésus.

[60] Chapitre XXI.

[61] Chapitre XXV.

[62] Rois, II, 21. Les Gabaonites dirent à David : Nous demandons justice contre Saül et contre sa maison. Nous devons tellement exterminer la race de celui qui nous a tourmentés et opprimés si injustement qu'il n'en reste pas un seul dans toutes les terres d Israël. Qu'on nous donne au moins sept de ses enfants afin que nous les mettions en croix pour satisfaire le Seigneur. Et (sauf Miphiboseth) il les mit entre les mains des Gabaonites qui les crucifièrent sur une montagne, pour satisfaire le Seigneur. (Les Rois, XXI, 4-5, 6 et 9).

[63] Esther, VII, 10. Aman attaché sur la plus haute croix. Ensuite sont crucifiés dix de ses fils.

[64] Philon, De legibus specialibus.

[65] Amitaï, Romains et Juifs, Paris, 1904, in-8°.

[66] Josèphe parle d'une attaque des Humains contre le Temple par le Lithostrotos du côté de la Tour Antonia (Guerre des Juifs, VI, ch. VI et VII).

[67] Cela me porte à croire qu'entre la remise de Bar-Jehoudda aux soldats romains et l'arrivée de Pilatus il s'est écoulé un certain intervalle pendant lequel le prisonnier a été enfermé dans la Tour Antonia à laquelle on accédait par un escalier. Cet escalier est mentionné dans les Actes des Apôtres, XXI, 40 (affaire de Saül).

[68] Dieu a permis que le texte hébreu de ce jugement fût retrouvé, lors des fouilles d'Aquila, dans la sacristie de l'ancien couvent des Chartreux, et qu'une copie en ait été faite par les moines et gravée ensuite sur une lame d'acier dont lord Howard s'est rendu acquéreur à Londres, à la vente du cabinet Denon. Il a permis également que cette lame — de Tolède probablement — fut payée 2.890 francs.

Voici ce monument, il est d'une irréprochable imbécillité :

L'an 17 de l'empire de Tibère César, et le vingt-cinquième jour du mois de mars, en la cité sainte de Jérusalem, Anne et Caïphe étant prêtres et sacrificateurs du peuple de Dieu ;

Ponce-Pilate, gouverneur de Basse-Galilée, assis sur le siège présidentiel du prétoire, condamne Jésus de Nazareth à mourir sur une croix, entre deux larrons, sur les grands et notoires témoignages du Peuple suivants :

1° Jésus est séducteur ; 2° il est séditieux ; 3° il est ennemi de la Loi ; 4° il se dit faussement fils de Dieu ; 5° il se dit faussement roi d'Israël ; 6° il est entré dans le Temple suivi d'une multitude portant des palmes à la main ;

Ordonne au premier centurion Guiniher Cornélius de le conduire au lieu du supplice ; défend à toutes personnes pauvres ou riches d'empêcher la mort de Jésus. Ont signé : les témoins Daniel Tobani, Pharisien, Joannès Zorobadel, Raphaël Tobani, Capet, homme public (Louis, sans doute, qui a été guillotiné en 93). Jésus sortira de Jérusalem par la porte Strénuée.

[69] On ne sait rien de cet usage.

[70] Ne pas oublier qu'au quatrième siècle ou en est arrivé à faire de Pilatus le premier des jésu-christiens de sang latin, en lui prêtant un Rapport où il proclame la divinité de sa victime !

[71] Midi. On fait partir le temps de la dernière veille de nuit au compte juif, six heures du matin.

[72] On ne veut plus qu'il ait été sacré à Bathanea. Il a simplement eu de vagues prétentions.