LE MENSONGE CHRÉTIEN - (JÉSUS-CHRIST N'A PAS EXISTÉ)

 

TOME II. — LE ROI DES JUIFS

V. — SA MAJESTÉ.

 

 

I. — LA TOURNÉE DE TYR ET DE SIDON.

 

Chassé par les Gadaréniens, il revient en sa ville, dit Mathieu. Sa ville, c'est tour à tour Gamala, Bethsaïda, Kapharnahum, Béthara, Bathanea. Ici, je pense, c'est Kapharnahum. Il y entra suivi des Bathanéens en rupture de ban, et de paillardes qui seules pouvaient donner à ces coquins le prestige d'une armée régulière. A Kapharnahum il était sujet de Tibère, c'est-à-dire que ce bourg appartenait la veille à la tétrarchie de Philippe. Quoique, par un ordre fort libéral de l'empereur, l'argent de l'impôt dût être employé dans le pays même au bénéfice des habitants, Bar-Jehoudda réunit les péagers et les collecteurs chez Lévi, fils d'Alphée, dont nous connaissons les sentiments et qui n'était nullement publicain[1]. Ennemi acharné au contraire de tout ce qui touchait à la Bête, même en effigie : fils de son père, en un mot, et cousin germain de Bar-Jehoudda.

Supportable sous Philippe, la situation de la veuve et des fils de Jehoudda devenait impossible. Hier on était sous un prince débonnaire et qui ne leur réclamait pas l'impôt, ou, en tout cas, acceptait la monnaie juive. Aujourd'hui on allait avoir affaire à la Bête elle-même. Après avoir étendu la griffe sur la maison de David à Betléhem, elle venait la happer jusqu'au bord du Jourdain. Où Jehoudda avait empêché les Juifs de passer ses fils passeraient-ils ? Souffriraient-ils que les Zélotes de Transjordanie payassent tribut, tournassent entre leurs doigts l'image monnayée de la Bête avec le nom de blasphème qui y était marqué ? La question ne se posa même pas, elle était résolue depuis qu'il y avait une Loi. Que le proconsul fasse venir des Syriens, des Grecs, des gens de la Décapole pour exercer le métier de publicain, mais qu'aucun Juif ne se souille par un tel adultère ! Qu'il se fasse des amis avec l'argent de l'iniquité ! Qu'il le distribue pour la libération d'Israël ! Sinon c'est l'étang de soufre dans six mois, et le ver qui ne meurt point !

La peur de cet étang et de ce ver convertit sans doute quelques délicats. Néanmoins les gens de sens rassis demandaient des signes plus apocalyptiques qu une trahison conseillée à des soldats rangés en bataille. Les exhortant à la patience, Bar-Jehoudda s'en alla aux confins de Tyr et de Sidon, évitant la Galilée sinon à l'aller, du moins au retour.

 

Cette tournée, la plus importante de toutes, n'est avouée que dans Mathieu et dans Marc[2].

De Khorazin[3] à Tyr, par la route actuelle, il n'y a qu'une douzaine d'heures. Mettons qu'il en fallût le double par les anciens moyens de communication. Peut-être Bar-Jehoudda passa-t-il par Méiron où Hillel et Schammaï étaient enterrés, et par Giscala[4] d'où était l'hérodien Saül avant qu'on ne le fit de Tarse. Il avait un frère à Sidon[5], Ménahem, le filleul de Ménahem Ier, frère de Salomé. C'est dans cette maison qu'il entra, où il voulait que personne ne le vit, mais il ne put rester caché[6]. En effet, ce n'est pas pour dissimuler ses projets qu'il avait traversé la terre cananéenne. Ce voyage dans le district de Tyr et Sidon, avec retour par la Décapole, montre au net le plan de Bar-Jehoudda et nous éclaire sur ses prétentions : rétablir l'unité d'Israël sous les enseignes de David. Pilatus tout à l'heure résumera ces prétentions dans les quatre mots qu'il écrit sur la croix : Le Roi des Juifs. Au fils de David toute la terre de Canaan, sur laquelle Jésus doit régner éternellement ! Promesse que David un instant réalisa : Sidon, avec ses beaux jardins, fut la métropole de Canaan[7], Bar-Jehoudda la réclame. Il n'excepte pas Tyr ; il y a de l'espoir pour elle, malgré l'abaissement où elle est tombée. Eu longeant la mer il passa par Sarepta, la ville où Elie s'était caché pour fuir Achab.

 

Occupée surtout par des Syriens et par des Phéniciens, cette région était fort compromise. Mais elle avait été aux Juifs et il y en avait encore, mêlés à la population. Qu'adviendrait-il d'eux ? Seraient-ils jetés au feu inextinguible, confondus avec les païens, ou suivraient-ils l'Agneau qui dès la pâque prochaine conduirait leurs frères aux fontaines d'eau vive ? Ils tenaient la route de Ptolémaïs par où la Bête allait passer pour soutenir le tétrarque de Galilée contre l'effort des Arabes. Assaillir l'Hérode avant que Vitellius n'amenât sa légion, prévenir les Romains sur le Garizim où les Bathanéens donneraient la main aux frères de Samarie, et la Vie éternelle était à eux ! Les Juifs cananéens s'engagèrent en échange du salut ; quelques-uns, très peu, tinrent parole. La terre cananéenne est représentée dans l'Evangile sous les traits d'une Juive dont la fille est possédée d'un démon[8]. Or Bar-Jehoudda n'est envoyé que pour les brebis perdues de la maison d'Israël. La fille de la Cananéenne a quitté le troupeau ; si cependant sa mère consent à y rentrer, en un mot si les Juifs de Syro-Phénicie consentent à rallier leur tribu pour défendre la Loi, ils seront du Royaume.

Avant d'adopter cette interprétation que la suite des événements confirme, nous nous sommes assurés qu'il ne s'agissait pas d'un exorcisme. Bar-Jehoudda ne voit même pas la possédée ; elle guérit loin de lui, à domicile. Quand sa mère rentra dans sa maison, elle trouva sa fille étendue sur le lit et le démon (syro-phénicien) parti[9].

Monter en armes à la pâque et se joindre au fils de David sur le Garizim, le Royaume est à ce prix, mais à ce prix seulement ! En effet : Il n'est pas bon, dit-il, de prendre le pain des Enfants (de Dieu) pour le donner aux petits chiens (les Juifs qui ne marcheront pas sont assimilés aux goym). — Oui, reprit la Femme, toutefois les petits chiens mangent des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. La mère reconnaît que les Juifs sont les maîtres, sa fille est sauvée ! Ô femme, dit-il sur ce propos flatteur, grande est ta foi, et qu'il te soit fait comme tu désires. Et à partir de cette heure même, la fille de la Cananéenne fut guérie de son démon[10]. Comme on n'aperçoit pas de porc émissaire dans le voisinage et que ce démon n'est pas noyé, on doit craindre qu'il n'ait été imparfaitement chassé. En effet, quelques jours avant la pâque, il revint et actionna les jambes des Juifs cananéens dans un sens diamétralement opposé à la montagne du Garizim.

 

II. — LA TOURNÉE DE LA DÉCAPOLE.

 

Les choses n'allaient pas trop mal. Antipas avait en un jour perdu une partie de la Pérée, et les Bathanéens détournés de son service consentaient à suivre le fils de David. Agrippa, son frère, qu'il avait fait venir de Rome pour gouverner Tibériade, s'en était allé vers Flaccus à Antioche, pestant contre son avarice et son orgueil. Les christiens de Tyr et de Sidon se lèveraient au moment voulu. Restaient ceux de la Décapole, perdus dans ces villes qui faisaient sur la carte comme le dessin d'une constellation aux trois quarts païenne. Le jésus regagna le lac de Génézareth par celles de la Haute-Décapole qui relevaient du royaume de David.

 

Je regarderais comme un crime envers Dieu de vous dissimuler la note qu'on trouve sur la Décapole dans le Nouveau Testament approuvé par le Saint-Siège :

La Décapole était la confédération de plusieurs villes unies entre elles pour leur commune défense. Quoique le mot Décapole signifie dix villes, le nombre des cités confédérées était variable. La plupart d'entre elles étaient situées à l'est du Jourdain. La capitale, Scythopolis, l'ancienne Bethsan, à l'ouest du fleuve, est la clef de la Palestine proprement dite. Après Scythopolis, les villes les plus importantes de la Décapole étaient Césarée de Philippe, Asor, Cédés de Nephtali, Séphet, Corozaïn, Capharnaüm, Bethsaïda, Jotapata et Tibériade. Le territoire confédéré s'étendait donc depuis Scythopolis au sud jusqu'au Liban et à Damas au nord ; a l'ouest, il se prolongeait jusqu'à Sidon ; à l'est, il se Prolongeait au delà de Gadara, d'Hippos et de Pella.

Hélas ! nous ne voyons pas que la Décapole ait formé une confédération au temps d'Auguste et de Tibère. Au contraire nous voyons que ces dix villes sont libres de toute confédération, et même que toute confédération est impossible entre elles, les unes étant dans la tétrarchie de Philippe, comme Césarée, Bethsaïda et Kapharnahum, les autres dans celle d'Antipas, comme Corozaïn, Asor, Cédés de Nephtali et Tibériade, laquelle Tibériade était une ville entièrement neuve, bâtie par Antipas lui-même et qui n'était en rien confédérée, pas plus que Séphet ou Jotapata. Nous savons que Scythopolis est à l'ouest du Jourdain, mais nous ignorons qu'elle ait été la capitale de la Décapole et que la Décapole ait eu une capitale. La confédération composée par e Saint-Siège on ne sait sur quelles bases archéologues ou historiques a tout au moins un grand avance : la plupart des villes de la Décapole au temps de Bar-Jehoudda se trouvent rayées de la liste, de telle manière qu'il n'y a plus moyen de reconstituer le rêve de gloire où s'enfonçait le malheureux prétendant. Ni Gadara, ni Gamala, ni Gérasa, les trois villes de la Journée des Porcs, ne font partie de cette Décapole canonique !

Ici qu'est-ce que la Décapole ? C'est avant tout Damas, jadis à Israël, et qui peut être sauvée si les Juifs qui l'habitent font comme ceux de Tyr et de Sidon. Bar-Jehoudda se rendit chez Ananias, rabbi très influent[11]. Tributairement la ville était aux Arabes, commercialement elle était aux Juifs. Les Hérodes en avaient toujours ménagé la population ; Hérode le Grand y avait construit un théâtre et un gymnase, afin qu'il y fût quelqu'un et qu'elle lui dût quelque chose. Par son mariage avec la fille du roi des Arabes, Antipas s'était conservé l'influence du nom hérodien. Mais tout était fini, bien fini. Dans trois mois, plus d'Arabes ni d'Hérodiens ! Toute la Terre Sainte aux davidistes depuis Jérusalem jusqu'à Damas ! Un seul peuple sous un seul roi, Bar-Jehoudda ! Un seul roi sous un seul Maître, le Christ ! Et comme don de joyeux avènement, mille ans de vie en attendant le Père ! Ce n'est pas qu'Ananias eût besoin d'explications, mais peut-être voulait-il des garanties. Il fut assez accommodant, quand il vit que dans l'ordre de bataille il serait à l'arrière-garde[12].

Dans l'Évangile[13], on amène à Jésus la Décapole sous les espèces d'un sourd — ce sourd est Juif, n'en doutez pas — qui à cause de cette infirmité n'entend Pas la Loi et qui, sans être muet positivement, s'exprime avec difficulté. Cela peint chez les Juifs décapolitains de 788 une regrettable indifférence pour le triomphe de Bar-Jehoudda. Ils manquent de cette ferveur qui fait les héros.

Jésus renouvelle sur le sourd l'expérience qu'a tentée Bar-Jehoudda. Naturellement il ne se sert pas des mêmes moyens. Il n'a pas besoin de persuader, lui, ni de menacer. Il lui suffit d'être, incarné dans Bar-Jehoudda. Créateur de toutes choses et surtout de la Parole, il commence par tirer le Juif hors de la multitude (des goym), de manière que le fils soit seul en f ace de son père. Il lui met les doigts dans les oreilles, pour qu'il n'entende point les voix païennes, et, crachant, lui touche la langue, — cette langue qu'il a formée et à qui il a donné l'hébreu. Ensuite, il regarde le ciel avec un soupir et lui dit : Ethpethah[14], ce qui signifie : Ouvre-toi. Et aussitôt s'ouvrirent les oreilles, et le lien de la langue fut délié, de sorte qu'il parla aisément. Que dis-je ? Divinement ! Dès que Bar-Jehoudda lui eut révélé les splendeurs du Royaume, le plan qu'il avait conçu de se frayer le chemin de Jérusalem par la destruction des païens qui l'obstruaient, ses certitudes de l'aide céleste, la descente de Jésus, des Douze, des Trente-six et des Cent quarante-quatre mille, Pilatus culbuté dans l'abîme, Kaïaphas plongé dans l'étang de soufre, la Méditerranée passée à pied sec par les Juifs enfin maîtres du monde, le sourd de la Décapole ouvrit les oreilles, entendit, comprit peut-être.

 

III. — LE SACRE.

 

Si l'on considère qu'avec ses titres davidiques et quelques exorcismes ruraux, Bar-Jehoudda avait à son actif une éclipse de soleil et la Journée des Porcs, on voit qu'il n'était point en mauvaise posture pour ceindre la couronne. Jusque-là il n'avait invoqué que les prophéties à immense rayon de son Apocalypse. L'approche du Grand Jour semble avoir calmé son appétit mondial. Le sceptre ne sortira pas de Juda et de sa postérité que le Scilo ne vienne, avait dit Jacob. Le sceptre, hélas ! avec la légèreté de cet objet mobilier, avait échappé à Juda et consorts depuis plus de six cents années. Cinquante ans en çà, on gémissait encore sous la tyrannie d'un Iduméen contre lequel on ne cessait de proférer les injures les plus sanglantes. Le sceptre était si bien sorti de Juda, le Scilo était si peu venu que Bar-Jehoudda, fils de David, avait été obligé de se réfugier en Egypte avec ses parents, pour fuir les estafiers d'un usurpateur qui n'était ni de la race de Juda ni même d'aucune tribu d'Israël. Mais que le sceptre rentrât dans la maison de David, et le Scilo descendrait ! Il semble que Bar-Jehoudda, en approchant de la fin, ait réduit son vol à la première de ces deux perspectives.

Le Quatrième Évangile n'envoie Bar-Jehoudda ni dans la Décapole, ni sur les confins de Tyr, ni à Sidon, ni dans le district de Césarée Panéas. Est-ce à dire qu'il ignore tout cela ? Il le connaît fort bien au contraire. Il connaît même certaine ville de Bathanea qui est au-delà du Jourdain, au-dessus de la Gaulanitide, et qu'on transportera un jour, sous le nom de Béthanie, à quinze stades de Jérusalem, parce que c'est dans la Bathanea transjordanique que Bar-Jehoudda se fit sacrer roi des Juifs[15].

 

On était au mois de février, sous le Verseau, signe avant-coureur du Zib après lequel le monde devait être renouvelé. Bar-Jehoudda se trouvait à Bathanea, chez Éléazar. Toute sa famille était là. II y avait notamment sa sœur Thamar, femme d'Eléazar, Maria Cléopas et sans doute Cléopas, car un bon mari doit suivre et même précéder sa femme un jour de sacre. Sa mère, tous ses frères étaient là sans nul doute, serrés autour de lui, avec Jaïr et les chefs des synagogues zélotes.

Après un banquet où l'on s'échauffa plus que de coutume, lui toujours réfractaire aux boissons fermentées, fut proclamé roi des Juifs. Il y eut une cérémonie de acre, avec onction sainte. Une femme que Mathieu ne nomme plus, mais que nous connaissons par le Quatrième Evangile, Maria Cléopas, s'approcha de lui, avec un alabastron d'huile parfumée, disent les uns, de myrrhe, disent les autres, de nard pur et d'un grand prix, disent d'autres encore, et le répandit sur sa tête pendant qu'il était à table[16]. Comme il s'était écoulé plus de trois cents jours depuis la pâque dernière, Marc évalue le contenu du vase à plus de trois cents deniers. Ce vase en effet, est de la même famille chronométrique que les six cruches des Noces de Cana, la cruche de la Samaritaine, et celle de l'Homme-Verseau que le Joannès-jésus et son frère Pierre doivent suivre, sur l'ordre de Jésus, pour aller manger l'agneau à Jérusalem. Le fait est là : il y eut chrisme. Luc, qui le sait fort bien, préfère n'en rien dire ; cela vaut mieux pour sa cause. Dans cet Evangile le Roi des Juifs est tout oint quand il entre en campagne.

Ce chrisme, c'était celui dont le Verbe avait donné lui-même la recette à Moïse : onction sacrée dont les rois s'étaient attribué le monopole, quoique, selon la Loi ancienne, elle ne dût servir qu'à Aaron et à ses descendants. Peine de mort contre quiconque aura composé ce parfum pour en donner à un étranger ou pour le respirer par plaisir[17]. Or, qu'avait fait le Temple depuis le temps des rois-prêtres ? Il avait oint la tête de gens qui non seulement n'appartenaient pas à la tribu de Lévi, mais qui étaient de sang étranger, des Asmonéens, des Iduméens. Et le parfum spécialement composé pour le tabernacle, pour les objets et les ustensiles du culte, il avait osé le donner à respirer aux païens que la curiosité seule attirait autour du lieu saint ! Mais Bar-Jehoudda, qui descendait par son père d'Abia, fils de Samuel, et par sa mère de celle d'Aaron et de Moïse, Bar-Jehoudda qui cumulait tous les droits Politiques et toutes les prérogatives sacrées, Bar-Jehoudda savait qu'il trouverait sur le mont Garizim, dans des vases qu'y avait enterrés David, les parfums composés par son grand ancêtre Moïse, père après Dieu de la religion juive. Il disait que le Scilo, le Christ Jésus ne viendrait pas qu'il n'eût, lui, Bar-Jehoudda, rétabli la royauté d'Israël et qu'alors seulement, la loi temporelle satisfaite, le Scilo descendrait.

Dans les vases enterrés par David au Garizim il y avait des parfums qui jamais n'avaient été prostitués Par l'usage, des parfums vierges. Vienne la pâque et Bar-Jehoudda, lui-même en odeur de virginité, ferait son entrée dans le Temple où récemment encore, aux Tabernacles de 787, il avait empêché les prêtres de transporter, sous les narines juives, des vases et des ustensiles offerts par les Macchabées, parles Hérodes, Pis encore, par les Auguste et les Livie !

Luc est le seul qui nous conte l'histoire de ces vases et de ces ustensiles. C'est le seul qui fasse figurer cette atteinte au culte parmi les motifs de la condamnation du roi-christ. Les autres évangélistes se sont bien gardés d'y faire la plus petite allusion. Mais nous savons par Josèphe que l'imposteur contre lequel Pilatus marcha à travers la Samarie en cette année 788 s'était proposé de fouiller le Garizim pour y retrouver les vases. Imposteur est le mot propre. Il y eut à Bathanea une comédie fantastique que monta toute la famille pour brusquer l'avènement du Nazir par l'exhibition d'un signe, visible, tangible, fleurant sinon plus du moins mieux que roses, et qu'on pouvait se passer de main en main. C'est Maria Cléopas qui opéra, et s'il n'est pas prouvé qu'elle ait eu tous les siens pour complices, il est bien certain que le bénéficiaire de cette supercherie en est également l'instigateur, et qu'il ne fut nullement étonné lorsque sa sœur, armée d'un riche alabastron, dans la pose et sous le signe du Zachû, lui versa le chrisme sur la tête[18].

Marc et Mathieu sont formels et d'accord avec la vérité historique. Le chrisme fut fait sur la tête et il y eut dans la maison d'Eléazar une odeur que tout le voisinage huma délicieusement. Comme il y avait dans ce geste la preuve indiscutable que le Rabbi avait été oint, c'est-à-dire christ, et l'explication très claire du titre de Roi des Juifs qu'il avait pris (l'inscription de Pilatus le lui conserva jusque sur la croix), on a imaginé ceci dans le Quatrième Evangile : au lieu de l'oindre sur la tête, ce qui a un sens politique très accentué, Maria l'oint... sur les pieds et les lui essuie avec ses cheveux[19], ce qui prend un air d'adoration toute religieuse ! ! !

 

Il ne faut pas croire que Maria Cléopas ait forcé la main de son frère ni qu'elle ait violé sa modestie. Le roi-christ ne se contenta pas d'une onction éphémère ; il se para des insignes royaux et il les avait encore le jour qu'il fut arrêté par Is-Kérioth et amené devant Antipas et Pontius Pilatus. Pour gouverner le monde avec son sceptre de fer, c'était bien le moins qu'il fût attifé comme son grand ancêtre David pour régner sur la Judée seule : vêtement si outrageusement écarlate que dans la fable Is-Kérioth n'en peut supporter la vue sans suffocation. Bar-Jehoudda, qui revenait de prêcher la guerre sainte sur le territoire de Tyr, s'était fait offrir un complet satrapique par les Juifs affolés à la pensée de la glorieuse échéance !

L'Eglise a essayé d'atténuer l'expression des qualitatifs employés par les scribes originaux pour en désigner la couleur[20] ; mais le vêtement blanc étant réservé au Christ Jésus de par l'Apocalypse, celui de Bar-Jehoudda était d'une pourpre éblouissante, afin que, le Grand Jour venu, le peuple d'Israël pût distinguer aisément entre le Jésus d'en haut et son homme de paille. Non seulement les termes grecs ne laissent point de doute sur le rouge de ce costume qui avait l'air d'avoir été emprunté à la garde-robe hérodienne, mais lorsque, dans la Transfiguration de Bar-Jehoudda, ses vêtements deviennent blancs comme ceux de Jésus, vestimenta ejus alba facta sunt sicut lux, cela ne peut s'entendre que d'une métamorphose à vue, car les vêtements de Jésus sont toujours blancs. Avait-il posé sur sa tête la merveilleuse couronne aux douze pointes, représentation des douze stations du soleil dans le Zodiaque ? En ce cas, ce devait être une fort belle chose à l'œil, quoique le spectacle ne fût pas nouveau : cette forme, consacrée par le songe de Joseph, rappelait opportunément l'Apocalypse sans empiéter sur les prérogatives de Jésus dont la chevelure comburante eût fait fondre en un instant toute espèce de diadème. Dès le moment qu'il avait la robe talaire du roi-christ, il en avait la couronne. Tel il était en 788, tel fut son frère Ménahem en 819 lorsqu'il entra, vêtu à la royale, dans le Temple[21].

 

Cette cérémonie, qui très probablement franchit les bornes de la noblesse pour atteindre celles de la bouffonnerie, eut lieu une cinquantaine de jours avant la Pâque, comme il appert de l'allégorie chronométrique de Marc. Maintenant, dans quel intérêt a-t-on rapproché la date du chrisme ? Et pourquoi l'a-t-on mis six jours avant la Pâque dans le Quatrième Évangile ? Parce qu'on a déplacé le lieu de la scène lui-même, la Transfiguration de Bar-Jehoudda en Jésus ne permettant pas d'avouer que ce prétendu Jésus ne faisait qu'un avec l'imposteur et le bandit qui avait été sacré roi des Juifs dans la Bathanea transjordanique. Et comme, à part la crucifixion, toute la Semaine pascale de l'Evangile est une pure fiction astrologique dont on a posé le décor sur le mont des Oliviers, il a fallu remplacer Bathanea du Jourdain qui est à quarante lieues de ce mont par Béthania-lèz-Jérusalem. C'est alors, et alors seulement, qu'on a introduit dans le Quatrième Évangile cette incidente grotesque à propos du lieu où avait été célébré le sacre : Bathanea était près de Jérusalem, à quinze stades environ.

Voyez-vous cela ? Bar-Jehoudda, sacré roi des Juifs a quinze stades de Jérusalem six jours avant sa crucifixion ! Sacré dans Béthanie, une petite promenade de vingt minutes à pied pour Kaïaphas ! Vendu dans Béthanie par Jehoudda Is-Kérioth moyennant trente sicles ! On a senti que cet intervalle de six jours était encore trop grand, et que dans ces conditions topographiques Bar-Jehoudda n'eût pas même fini le premier Jour en liberté ; on a mis deux jours avant la Pâque (Mathieu et Marc). Et comme Éléazar fut la première Victime de ce maudit sacre, — oh ! que n'a-t-on pu le supprimer tout à fait ! — on a, pour cacher cette vérité, mis le sacre après la résurrection d'Éléazar[22], alors que c'avait été la seule cause de sa mort.

 

Mais aussi quelle idée à un homme de s'être imaginé qu'il allait, à jour et à heure fixes, paître les nations avec une verge de fer !

C'est cette grandeur-là que le Diable offre à Jésus du haut de la montagne d'où il lui montre non pas seulement la Judée, mais tous les royaumes de la terre. Jésus n en veut pas, son Royaume n'est pas de ce monde ; mais Bar-Jehoudda n'en cherchait pas d'autre. Jésus rabaisse son caquet dans l'Evangile, et jamais il n'ouïe de traiter David et Salomon en hommes. Il y a ici mieux que Salomon, dit il. Le fils de David envisageait ûe entrée sensationnelle à Jérusalem, avec une suite à cheval, comme en faisait Salomon. L'emploi des Ânes comme monture triomphale n'est permis qu'au seul Jésus[23], c'est la condamnation par le ciel du faste que Bar-Jehoudda avait rêvé dans son train et dans ses équipages.

Jésus ira plus loin lorsque d'évangéliste en évangéliste il sera tombé aux mains de rhéteurs grecs frottés de philosophie socratique, il condamnera l'absurde croyance du roi-messie né dans la maison de David. Il se demandera comment les scribes[24], tant ceux de la famille de Bar-Jehoudda, comme Philippe, Toâmin et Mathias, que ceux du Talmud[25], osent soutenir de pareilles impiétés, à la face du ciel.

Les pharisiens assemblés, Jésus les interroge, disant[26] : Que vous semble du Christ ? de qui est-il fils ? Ils lui répondirent : De David. Il leur répliqua : Comment donc David l'appelle-t-il en esprit son Seigneur, disant : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que je fasse de vos ennemis l'escabeau de vos pieds ? Si donc David l'appelle son Seigneur, comment est-il son fils ? Et personne ne pouvait lui rien répondre ; et depuis ce jour, nul n'osa plus l'interroger.

Le fait est qu'il n'y a rien à répliquer, et la suite va nous montrer que Bar-Jehoudda n'était même pas le christ d'en bas qu'il croyait être.

 

IV. — MARIA CLÉOPAS ET LA TRAHISON DE JEHOUDDA IS-KÉRIOTH.

 

La mise en scène du chrisme produisit sur les assistants qui n'étaient pas de la famille un effet tout contraire à celui qu'en attendait Bar-Jehoudda. Cet alabastron, cette myrrhe, cette livre de nard, cette huile parfumée, par quel tour de magie tout cela se trouvait-il au dessert dans les bras blancs de Maria Cléopas, juste au moment où son frère, jetant le masque, se proclamait roi des Juifs ? Interrogée, Maria ne sut que répondre ou répondit mal, elle fut pincée en plein charlatanisme. Les vases du Garizim, la vieille recette de onction royale, toute cette comédie tombait à plat, sombrait devant que les chandelles de la Pâque fussent allumées. Quand les évangélistes ne savent plus où donner de la tête pour expliquer, dissimuler ou pallier les choses, ils font intervenir Jésus qui arrange tout, en sa qualité de Christus ex machina. Au fond Maria était rendue complice d'une de ces mille supercheries dont l'Histoire est pleine et plus particulièrement la Sainte. Dans l'Évangile actuel Maria n'est plus coupable que d'une faute économique, d'une partiale prodigalité au profit d'un seul. Les disciples, au lieu de l'interroger sur l'alabastron et sur son origine, se plaignent de la dépense, et voilà du même coup la question principale écartée.

A quoi bon cette perte ? disent-ils, on pouvait vendre cela fort cher au profit des pauvres ! Sur ce terrain Maria n'est pas plus solide que sur l'autre, car on n'avait pas décrété l'égalité devant le Créateur pour que tout à coup le fils aîné de Jehoudda se fit oindre sur les fonds communs. Jésus, le sauveur de toute la famille, prend la défense de Maria, il prononce l'acquittement de Bar-Jehoudda, et naturellement il omet de dire qu'il s'agit de la sœur et du frère. Maria n'est plus qu'une sœur d'Eléazar[27], puis, comme ce titre de sœur et ce nom d'Eléazar sont encore de trop, on supprime Éléazar dans tous les Évangiles hormis le Quatrième, et on le remplace par un certain Simon le Lépreux dont la notoriété n'est pas inférieure à celle de Personne dans l'Odyssée.

 

Étant le Verbe, Jésus parle en sauveur... de la situation, il ne voit dans les vases qu'un subterfuge permis en politique, et on ne se serait peut-être aperçu de rien si Jehoudda Is-Kérioth n'avait révélé son mauvais caractère à cette occasion. Pourquoi faites-vous du chagrin à cette femme ? dit Jésus. Elle a fait une bonne action à mon endroit. Vous aurez toujours des pauvres parmi vous, mais moi, vous ne m'aurez pas toujours. Autant de mots, autant d'antinomies : le programme du Royaume, c'était la richesse pour les Juifs de la Loi dans une Jérusalem tout en or. Un mot cependant est vrai : Jésus estime que Maria avait fait une bonne action en introduisant l'huile parfumée, le nard et la myrrhe dans l'alabastron du Garizim et en les versant sur la tête de son frère. Car, en admettant qu'il y eût de la supercherie dans le détail, ce n'est pas cela qui empêchait Bar-Jehoudda d'être fils de Lévi et de David tout ensemble, donc fondé en droit !

A ce sacre où Bar Jehoudda montre je ne sais quel faste davidique, je ne sais quelle affectation de pompe orientale, à ce chrisme révélateur, Luc substitue une innocente allégorie où d'ailleurs Maria reprend son véritable titre, car elle y est dite sœur de Marthe (Thamar) et par conséquent de Bar-Jehoudda. Dans ce conte bleu Maria est assise en manière d'odalisque aux pieds de Jésus, elle écoute la parole divine, pendant que Thamar se fatigue aux occupations du ménage. Ce contraste rend assez bien le caractère des deux femmes : Maria Cléopas, celle que Valentin appellera la Belle, plus ambitieuse pour son frère que pour son mari, confidente de ses tours de magie et monteuse de coups e mérite, quoiqu'elle ait manqué celui des vases ; Thamar au contraire, femme d'Eléazar, toute à son foyer, et ne rêvant pas même pour son mari la grandeur de son frère. Maria Cléopas est au Guol-golta, on n'y voit pas Thamar.

Il faut s'appesantir sur cette turlupinade oléagineuse. Aucune voix parmi les zélateurs de la Loi ne s'élève en faveur de Bar-Jehoudda. Encore plus juifs que christiens, les chefs commencent à douter que le Messie descende du ciel pour jeter bas ce Temple si fermement assis sur le roc de Sion, quoique le bâtiment fût héro-dieu. Presque tous se sentent perdus s'ils s'associent aux orgueilleuses extravagances du nouveau roi. Maria en croyant bien faire a tout gâté. Un homme est à quelques lieues de là, qui depuis longtemps a deviné l'imposteur et qui le guette : cet homme, c'est Jehoudda Is-Kérioth, fils de Simon. L'évangéliste va employer pour calomnier Is-Kérioth les moyens dont il s'est servi pour disculper Maria.

Malgré les subterfuges des scribes, on retrouvait toujours, au fond de la fable, les vases qui la rattachaient à l'histoire selon Josèphe, les parfums qui rappelaient l'odeur du chrisme, la dilapidation des deniers communs qui complétait la physionomie morale de cette famille d'aventuriers, et jusqu'à la date du sacre incluse dans les trois cents deniers du pot aux roses. Il fallait inventer quelque expédient pour soustraire la mémoire du Jésus à ces rapprochements calamiteux. On imagina donc qu'il y avait une question d'argent au fond de l'allégorie mathématique dont Jehoudda Is-Kérioth est encore victime dans l'imagination populaire : question dans laquelle Maria Cléopas était complètement désintéressée, tandis que Jehoudda Is-Kérioth aurait infailliblement détourné les trois cents deniers, car il tenait la bourse et était un voleur. S'il eût tenu la bourse, comme Maria Cléopas y a pris les trois cents deniers pour acheter le chrisme, c'est Is-Kérioth qui serait le volé. Mais il ne tenait pas la caisse de Bar-Jehoudda, il n'était pas son disciple, il n'était même pas de sa secte. Il ne l'a pas trahi au sacre par la bonne raison qu'il n'y était pas. Il ne l'a pas livré au Mont des Oliviers par la bonne raison qu'ils n'y sont allés ni l'un ni l'autre. Il n'y a qu'un cas dans lequel il aurait pu assister an sacre, celui où on l'aurait fait venir pour l'acheter. Mais en ce cas, comme il a refusé de se vendre, ce n'est pas la veille de la Pâque qu'on aurait trouvé son cadavre sous les murs de Jérusalem[28], c'est le soir du chrisme et sous les murs de Bathanea.

Si on laisse la scène du chrisme à Bathanea trans Jordanem en février, tout le monde va se demander pourvoi, ayant été pris ce jour-là en flagrant délit de trahison, Is-Kérioth n'a pas été immédiatement exécuté et pourquoi Jésus invite un traître à la Pâque christophanique dont il est libre de choisir les convives. On répondit à ces objectons en changeant et la date et le lieu du sacre. On déclara que, s'étant passée à Béthanie-lez-Jérusalem et six Jours ou deux jours seulement avant la pâque, la scène des parfums n'avait aucun rapport avec celle de Bathanea trans Jordanem et ne pouvait se confondre avec ce sacre dont l'imposteur nommé par Josèphe avait été le héros ; que, loin de songer à se faire roi et d'avoir été sacré, le jésus s'était dès Bethsaïda soustrait par la fuite (sic) aux entreprises des exaltés qui voulaient le proclamer malgré lui[29] ; qu'à la vérité Maria Cléopas s'était procuré un vase et des parfums, mais que — cela se voyait à la date — c'avait été pour embaumer le Jésus, lequel allait mourir sur la croix dans les quarante-huit heures, ainsi qu'il l'avait annoncé à tout le monde ; que cet acte de précaution révélait chez Maria une nature à la fois pleine d'un respect méticuleux pour cette prophétie et d'une tendre sollicitude pour le corps de son divin maître : à tout prendre, elle n'avait acheté l'alabastron et les parfums sur l'argent de la communauté que pour arracher ces fonds à la rapacité de Jehoudda Is-Kérioth. Celui-ci n'avait protesté contre cette dépense que parce qu'elle limitait d'autant le produit de ses vols, sans aucun égard — quelle canaille ! — pour le pieux usage auquel, dans le désintéressement de sa pensée, Maria destinait les parfums dont on faisait tant de bruit. Au surplus voulait-on connaître la vérité ? Les parfums n'avaient été versés ni sur la tête ni sur les pieds ni autrement, ils n'avaient pas été versés du tout, mais bien... réservés pour l'embaumement du christ !

C'est dans le Quatrième Evangile qu'on plaide cette thèse ardue. D'abord on essaie de réparer la maladresse des scribes primitifs qui ont montré toute l'assistance irritée contre Maria et son frère. Les assistants ne s'indignent plus, ni à l'unanimité ni à la majorité, du détournement fait aux pauvres par le roi des Juifs et sa sœur. On ne veut plus laisser subsister un motif qui met tous les braves gens du côté d'Is-Kérioth. Ici, Is-Kérioth tient la bourse, il est furieux de voir qu'il y manque de l'argent auquel il ne pourra pas toucher, et lui-même évalue les parfums à trois cents deniers. Grosse faute du scribe, car si Is-Kérioth estime publiquement les parfums ce prix-là et qu'il les vende au profit des pauvres comme c'est son intention, il va en être comptable envers ses collègues. De quelque côté qu'on se tourne, Maria Cléopas apparaît coupable.

Jésus ne fera-t-il rien pour elle ? Laisse-la, dit-il à Is-Kérioth (comme si celui-ci était présent), laisse-la garder ce parfum pour le jour de ma sépulture. Qu'est-ce à dire ? Non seulement il n'y a pas eu chrisme, mais il n'y a pas même eu onction cosmétique ? Alors, comment dans les autres thèmes Is-Kérioth et tous les apôtres avec lui peuvent-ils vitupérer Maria d'avoir fait le chrisme, et Bar-Jehoudda de l'avoir accepté ? S'il n'y a pas même eu onction, comment, dans les thèmes de seconde main, Maria peut elle essuyer de ses cheveux les pieds de l'oint, et pourquoi toute la maison d'Éléazar est-elle pleine de l'odeur ?

Mais on ne veut plus qu'il y ait eu sacre et chrisme chez Eléazar ! On ne veut plus qu'il y ait eu alabastron ! La preuve qu'il ne s'agissait pas d'un sacre, dit l'un, c'est que le parfum a été versé... sur les pieds. A-t-il même été versé ? Non, dit l'autre, il s'agit de parfums qui ont été achetés par Maria l'avant-veille de la pâque, pour la sépulture de Jésus qui, vous le reconnaissez vous même, n'a plus rien de commun avec le crucifié de Pilatus. Quant à Jehoudda Is-Kérioth, c'était un voleur, vous entendez ?... Un simple voleur. Laissez donc cette sotte histoire de vases. A aucun moment Jésus n'a été mêlé à l'histoire de vases dont parle Josèphe. Et en même temps qu'on effaçait peu à peu le chrisme de l'Evangile, on en enlevait l'expédition de Samarie qui est sa suite naturelle, de manière qu'à aucun moment de sa vie Bar-Jehoudda n'eût été sacré Roi des Juifs en Bathanée chez son beau-frère.

 

Luc, qui connaît tous les écrits évangéliques, supprime carrément le sacre et ses accessoires. Luc est ans le vrai : une écriture révélée ne doit d'éclaircissements à personne. C'est mettre les gens sur un mauvais pi e d que de discuter. Pourquoi avoir nommé Maria Cléopas ? Pourquoi avoir nommé Eléazar et sa femme ? Pourquoi avoir nommé l'endroit et cité Bathanea ? Simon le lépreux lui-même est de trop. Ce lépreux vaut mieux certes que le vaillant Eléazar, mais puisqu'on peut faire le vide absolu[30] ? Située à Bathanea trans Jordanem, la maison d'Eléazar n'est point de ces maisons où il faille montrer tout ce monde six ou sept semaines avant la pâque, lorsqu'on a décidé de transporter la scène dans Béthanie, à vingt minutes de Jérusalem.

Voilà la cause, ô mon âme ! dit Hamlet. Quant à Jehoudda Is-Kérioth, eh bien, pourquoi assigner un motif quelconque, même anecdotique, à sa trahison ? N'est-il pas plus simple que, le Satan étant entré en son cœur, il soit allé trouver les gens du Temple pour leur livrer le roi-christ ? L'Esprit du monde est entré dans le cœur d'Is-Kérioth, pourquoi chercher autre chose ? C'a été le Démon, le Fils de la perdition, le Satan qui a levé le talon contre le fils de David, c'est lui qui peut-être, pour avoir coupé en deux le parti zélote, a empêché le Christ Jésus de descendre.

 

V. — LES TRENTE DENIERS.

 

Marc évalue à plus de trois cents deniers la valeur de la myrrhe que la Femme à l'alabastron a versée sur la tête de Bar-Jehoudda ; c'est que Maria Cléopas est devenue l'Année elle-même, portant le vase des jours écoulés au mois de février 788 (Verseau). De son côté, dans Mathieu, Is-Kérioth reçoit trente sicles pour livrer le roi-christ ; c'est qu'il est devenu le douzième et dernier mois de cette Année fatale.

Lorsque le soleil passa du Verseau dans les Poissons, la myrrhe de l'alabastron valait très exactement trois cent trente deniers qui, avec les trente deniers d'Is-Kérioth, forment les trois cent soixante jours requis pour former l'année mosaïque jusqu'à la venue de l'Agneau.

Ayant dit la valeur de la myrrhe, Marc nous laisse à deviner la somme d'argent qu'a reçue Is-Kérioth. Problème comme on en donne aux élèves de huitième dans les pensionnats, mais très important pour la chronologie : c'est après le trois centième jour et avant le trois cent trentième que Bar-Jehoudda s'est fait oindre en Bathanée et que le Temple a mis sa tête à prix.

Le sacre ayant eu lieu environ cinquante jours avant la pâque, et Is-Kérioth n'ayant eu que trente deniers, nous savons par là qu'Is-Kérioth n'assistait pas à la cérémonie. S'il y eût assisté, ce n'est pas trente deniers qui lui foraient été comptés, mais une cinquantaine. En ce cas il y aurait eu une protestation très vive de la part de ses Onze collègues, tous intéressés à part égale dans la distribution du fonds solaire[31]. Car il convient de faire ressortir ce point que, sous le Verseau dont Maria Cléopas est la gracieuse image, dix de ces personnages symboliques, le jésus lui-même qui fait partie des Douze en tant que fils du Zibdéos, avaient reçu et mangé les trente deniers qui revenaient à chacun. Si on eût remis plus de trente deniers à Is-Kérioth, Schebat[32], en fonction sous le Verseau, aurait été lésé de la différence. Or il n'y a pas d'apparence qu'il se fût laissé dépouiller d'une façon aussi contraire à l'ordre de la nature.

Avec ses trente deniers, Is-Kérioth ne pourra pas aller plus loin que trente jours. C'est un cadran dont l'ombre de Jésus fait tout le prix, un sablier qui n'est que poussière quand il est plein, et moins que rien quand il est vide. Il ne reçoit rien qu'il ne soit condamné d'avance à dépenser : en marchant, il se dévore. Qu'il reçoive des sicles d'argent ou des deniers, il n'importe : ce n'est pas dans la valeur de la monnaie qu'est l'allégorie, c'est dans le nombre des pièces.

 

Vous préférez croire qu'une femme inconnue, poussée par on ne sait quel vertige cosmétique, a versé pour deux cent soixante francs d'huile sur la chevelure d'un nommé Jésus ? A votre aise. Mais s'il s'agissait de valeur monétaire, il n'y aurait aucune contradiction entre les Evangélistes sur le montant d'une somme versée devant onze témoins. Dans tous les thèmes on aurait respecté le nom de la monnaie (sicles) indiquée par Mathieu, et s'il eût plu à quelqu'un de convertir les sicles du Temple en deniers romains — monnaie sacrilège portant l'image des Césars — il eût été obligé de les multiplier par quatre, ce qui aurait modifié profondément le chiffre[33]. D'ailleurs il ne saurait être question de deniers romains, car le Temple ne se servait que de monnaie juive, et pour un christien comme Is-Kérioth le fait de toucher une pièce à l'effigie de la Bête était un cas de mort. C'est surtout pour lever cette consigne qu'au troisième siècle Jésus demande à prendre entre ses doigts la monnaie du tribut : car la scène machinée par l'Eglise pour amadouer Rome est en tout point contraire à la Loi selon le Jésus.

D'autre part, trente deniers juifs ne valant qu'environ vingt-six francs, ce n'est pas à un homme de la force d'Is-Kérioth qu'on eût fait accepter trente deniers pour trente sicles d'argent qui valent environ cent cinq francs. C'est donc bien trente pièces qu'il reçoit dans l allégorie chronométrique qui le concerne, et ces trente pièces c'est Adar[34] monnayé, c'est le dernier mois de l'année juive et en l'espèce de l'Année 788, le mois livreur des Poissons à l'Agneau.

Pourquoi Mathieu parle-t-il de sicles ? C'est que Mathieu a beaucoup, mais beaucoup d'esprit. En effet sur le denier se trouvait le sigle X qui est la première lettre du mot Χρίστος. Car Is-Kérioth a beau livrer Jésus, il est de l'année au même titre que les Onze autres divisions. Il en est une pièce, un morceau, et de la même chair arithmétique que le morceau dont Jésus le gratifie au Banquet des Apôtres.

La seule puissance en état de verser les trente deniers à Is-Kérioth, c'est celui qui va lui tremper, puis lui passer le morceau, c'est Jésus lui-même.

 

Et voilà ce qu'il faut entendre par le prix de la trahison de Judas ? Oui, pas autre chose. Non seulement Is-Kérioth ne reçoit pas un seul denier qui ne vienne de Jésus et qui n'ait été compté un à un par lui sur le plat zodiacal, mais encore il est payé en une monnaie qui répond exactement aux trente derniers degrés du cercle écliptique avant que celui-ci ne soit coupé par la ligne équinoxiale sous l'Agneau. Quand un scribe avait trouvé un de ces effets-là, on le traitait de cher maître, quoique cela fût défendu dans la secte, on lui déclarait hautement qu'il dégageait une sensation d'art et qu'il faisait courir sur le monde un frisson nouveau.

 

Dans les thèmes primitifs, le livreur n'était qu'esquissé. C'était le douzième apôtre inventé par les évangélistes en remplacement du Douzième Apôtre céleste qui n'était pas plus descendu que ses Onze collègues du patriarcat juif. Mais comme on le retenait jusqu'à la fin en scène, il fallait corser son personnage. Adar, pour être le dernier sur l'affiche, n'en était pas moins important ; dans les théâtres anglais, l'acteur principal est toujours nommé le dernier.

Le 15 adar, Is-Kérioth reçoit son rôle, l'apprend et le répète chaque jour, en bon mois qu'il est. C'est le rôle d'un courtier en pesach, rôle ingrat, difficile, pour lequel il n'est pas plus payé que les autres artistes. La seule chose qu'exige Is-Kérioth, c'est de toucher d'avance, mais c'est l'habitude de sa maison. La marchandise n'étant livrable que commencement équinoxe, le 15 nisan, jour du passage solaire, il bénéficie de l'intérêt.

Il le mérite, car c'est un parfait christien qui refuse énergiquement de traiter sur des bases lunaires. Un rôle de mois lunaire ne lui eût assuré que vingt-neuf deniers et demi[35]. Mais que la lune se montre ou non le 15 nisan, Moïse comptant trente jours au mois, Is-Kérioth n'acceptera pas moins de trente deniers. Il est de la Multiplication des pains[36], on ne le met pas dedans !

Il a vendu Jésus à trente jours sans remise. S'il ne livre pas à la date convenue, il sera disqualifié, mais U n'y a rien à craindre. Il a la plus grande habitude de ces marchés, et son crédit sur la place est excellent. Le seul reproche qu'on puisse lui adresser, c'est de s'être fait payer d'avance pour une opération sans aléa. Il reçoit trente deniers, et le même jour Kaïaphas, Grand-Prêtre, note sur son carnet de Dépenses et avances :

 

A Is-Kérioth stipulant pour Adar la somme de trente deniers, valeur en Christ Jésus, livrable au Mont des Oliviers, le lendemain de la crucifixion de Bar-Jehoudda[37], 15 Nisan prochain. Ci : 30 deniers.

A noter qu'Is-Kérioth n'a voulu s'engager que si les mois écoulés étaient témoins au marché, lesquels ont décliné leurs noms et qualités, à savoir :

Nisan (mars-avril).

Ijar (avril-mai).

Sivan (mai-juin).

Tammouz (juin-juillet).

Ab (juillet-août).

Elul (août-septembre).

Tischri (septembre-octobre).

Marcheschvan (octobre-novembre).

Kisleu (novembre-décembre).

Tebeth (décembre-janvier).

Schebat (janvier-février).

Lesquels ont déclaré ne savoir signer que sur le Zodiaque.

Et a déclaré Is-Kérioth ne vouloir signer que d'une croix, conformément aux usages de son commerce.

 

VI. — ORDRE DE REFUSER LE TRIBUT.

 

Le premier soin du roi-christ fut d'ordonner le refus du tribut par toute la Judée et la Samarie ; jusque-là il ne l'avait que prêché. Cette perspective n'était pas neuve, mais elle était agréable ; elle flattait surtout les Samaritains foulés de plus près par les agents de Pilatus. La Judée n'en augura rien de bon. Que Bar-Jehoudda refusât le tribut, c'était son affaire, il s'en expliquerait ; avec Vitellius. Mais si Jérusalem bronchait, c'était celle de Pilatus, et Pilatus tenait bonne garnison dans Césarée. Il arriverait malheur au roi des Juifs comme à ceux qui le suivraient ! On ne trouverait pas de minorité au sanhédrin pour conseiller la révolte au peuple. Gamaliel, président du sanhédrin, était, lui aussi, du sang de David. Peut-être fut-il de ceux qui envoyèrent au roi-christ pour le renseigner sur cet état d'esprit ; mais aucun membre de la famille de Hanan n'eût osé se risquer dans cette aventure, il n'en serait pas sorti vivant. Pharisiens de la Galilée, de la Pérée et de la Gaulanitide, habitants de Gamala, de Bethsaïda, de Chorazin, de Kapharnahum et de Cana, tous avaient assez de ce Mauvais plaisant. Quant aux Géraséniens, ils attendaient leur revanche et ils allaient la prendre. Selon la Parabole de l'homme qui va dans un pays lointain recevoir la royauté[38], parabole qui est de la catégorie historique, il est dit : Ses concitoyens le haïssaient si bien qu'ils envoyèrent après lui une députation pour dire : Nous ne voulons pas que celui-là soit notre roi.

 

Ceux qui étaient le mieux disposés firent valoir l'intérêt du moment, l'impossibilité de rien faire contre Pilatus et, là-bas, derrière le Liban, Vitellius s'apprêtant à traverser la Galilée pour marcher sur Pétra[39].

Tout l'effort de leur dialectique s'alla briser contre les Ecritures. Le roi-christ exhiba la Loi, il s'enferma dans cette forteresse où il était inexpugnable, où quelques-uns des députés se fussent enfermés avec lui, s'ils s'étaient sentis en force.

Il était roi des Juifs enfin ! Dans cinquante jours, Jésus et le Baptême de feu ! A bas le Temple ! A bas la Bête ! Des signes ? On en avait plus que les pharisiens ne croyaient ! Tibère n'était pas mort, mais il était mourant : il retardait, voilà tout. Philippe était mort, Antipas était entamé par les Arabes, son frère Agrippa s'était retiré de lui. On parlait vaguement de la venue de Vitellius, mais était-il seulement parti ? Et s'il partait, arriverait-il à temps ? L'Apocalypse était infaillible.

Certains députés n'étaient point des irréconciliables, et même ils tremblaient devant l'autorité des prophéties. Ils demandèrent au roi-christ, non pour lui tendre un piège, car ses opinions étaient connues depuis celles de son père, si vraiment ils pouvaient continuer sans damnation à payer tribut.

A la question que lui posèrent les pharisiens et les hérodiens : Le paierons-nous ou ne le paierons-nous pas ? Bar-Jehoudda répondit selon son Apocalypse. Dans Luc, les chefs des prêtres, les scribes et les docteurs qui le conduisent en foule à Pilatus déclarent eu termes exprès : Nous l'avons trouvé subvertissant notre nation, défendant de donner le tribut à César et se disant christ-roi[40].

Il ne leur dit pas : Montrez-moi une pièce de monnaie, il lui était défendu de la regarder, encore plus de la toucher. Il ne demanda pas : Quelle est cette image ? à propos d'un denier de Tibère, et ils ne lui répondirent pas : C'est celle du roi. Mais voyant de loin quelque chose briller entre leurs doigts il eut un mot profond dans sa subtilité judaïque : Cela brille, s'écria-t-il, donnez au roi ce qui revient au roi (l'airain) et à Dieu ce qui est à Dieu (l'argent). A Dieu, l'argent ! c'est le refus du tribut. A César, l'airain ! c'est la guerre sainte[41].

Il céda si peu sur le principe que le premier acte de Ménahem, son frère, du nazir Absalom et d'Eléazar, ses neveux, lorsqu'ils devinrent maîtres du Temple en 819, fut de frapper la monnaie de la Sainte Jérusalem, portant d'un côté la coupe de l'alliance, et de l'autre une fleur de lis disposée en croix, premier jet de la croix fleurdelisée qu'on retrouve dans l'écu de France. Si la fortune lui en eût laissé le temps et les moyens, Bar-Jehoudda eut pillé tous les ateliers monétaires de l'Empire, — il y en avait à Ptolémaïs, à Béryte, en Abilène — et il eût frappé à son nom ou plutôt à son signe.

Au troisième siècle, lorsque Jésus entre dans la maison où vécurent Salomé et ses fils, il y trouve Shehimon, combien changé depuis qu'il est devenu Pierre ! Les receveurs arrivent, combien changés eux aussi ! N'exigent-ils pas un impôt qui ne fut ordonné que par Vespasien pour remplacer l'impôt de même valeur payé par chaque Juif au Temple avant la chute de Jérusalem ? Ils s'adressent à Pierre — on n'ose plus l'appeler Shehimon : Votre Maître, disent-ils — il s'agit du Roi des Rois, le seul que les christiens dont avaient été les fils de Salomé reconnussent pour maître et qui défendait aux Juifs de payer tribut à l'étranger —, votre Maître ne paie-t-il pas les didrachmes ?Si, répond Shehimon tellement honteux de ce parjure qu'il s'est dissimulé sous le nom de Pierre.

Il y a ici un jeu de scène sur lequel j'attire spécialement votre attention. C'est un chef-d'œuvre d'hypocrisie où l'on joue non pas seulement sur les mots, mais aussi sur les temps. Comment, devenu Pierre malgré lui, Shehimon va-t-il s'y prendre pour conseiller sous un Sévère le tribut que tous ses frères et lui ont ordonné de refuser sous Tibère ? Attendez. Ce Pierre, qui pour la galerie a fait la réponse forcée que vous avez vue, rentre alors dans la maison, et quelle maison ! celle de la Veuve du héros du Recensement, la maison de sa mère, de la mère de Bar-Jehoudda, des deux Jacob, de Philippe, de Jehoudda dit Toâmin, de Ménahem qui tous se sont levés contre le tribut. Là il est seul à seul avec Jésus. Osera-t-il, humble sujet, mentir à celui que l'Apocalypse appelle le Véridique ? Jésus a pitié de l'embarras de ce malheureux. D'un seul mot il le rassure, il lui rend son nom de circoncision. Shehimon, lui dit-il, que te semble ? Les rois de la terre (les Empereurs notamment), de qui perçoivent-ils impôt ou taille ? De leurs enfants ou des étrangers ?Des étrangers, répond Shehimon. — C'est évident, les princes ne paient pas d'impôt au roi leur père, mais seulement les étrangers à la famille royale. — Les enfants sont donc francs, dit Jésus. A la bonne heure ! voilà comment on parle à des christiens de 788, comment parlait Bar-Jehoudda, comment parlaient tous les fils de Salomé ! Les Juifs payer tribut, eux, fils de Jésus et héritiers ne la promesse, aux Romains établis sur la Terre Sainte. Depuis Jehoudda jusqu'à Ménahem, depuis Quirinius jusqu'à Gessius Florus en passant par Pontius Pilatus, la maison de Kapharnahum ne s'est révoltée que pour empêcher ce scandale ! On n'a été persécuté, on n'a été crucifié que pour cela ! Cet hommage rendu au passé où toute la famille jehouddique, les évangélistes recommencent à parler pour la galerie, par conséquent à tenir un autre langage qu'en particulier. Jésus, non moins changé que Shehimon, conseille de payer l'impôt à la condition toutefois — ceci est délicieux — que l'argent soit fourni par les fidèles en échange du baptême. Afin que nous ne scandalisions point les receveurs, allez-vous-en à la mer et jetez-y votre ligne et le premier Poisson (à nous, mon vieux Zibdéos !) que vous tirerez de l'eau, prenez-le et lui ouvrez la bouche ; vous y trouverez un statère d'or que vous prendrez, et que vous leur donnerez pour moi et pour vous[42]. Marchands de Christ, dit le philosophe Justin !

 

On a senti qu'on ne pouvait plus laisser la question : Paierons-nous ? Ne paierons-nous pas ? dans la bouche des pharisiens de Mathieu et des hérodiens de Marc ; on aurait avoué qu'ils étaient dans le doute en face d'un homme dont la doctrine était connue. Ceux que nous voyons dans Luc ne sont plus que des gens apostés par eux, des agents provocateurs contrefaisant la bonne foi. Ces provocateurs essaient d'arracher à Jésus la même réponse qu'à Bar-Jehoudda en 788. Pas si bête ! Vous connaissez sa réponse, elle est celle d'un pontife qui partage avec l'Empereur le produit de l'impôt levé sur les peuples : c'est une trouvaille de l'Église.

Ah ! si le zélotisme avait cessé avec la révolte de Bar-Jehoudda, on pourrait admettre qu'un Juif comme on en avait jamais vu eût paru avec les idées d'obéissance et de résignation qui sont aujourd'hui dans l'Evangile ! Mais en l'an 788 le sicariat n'en était encore qu'au prologue. Jehoudda et Zadoc ne s'étaient pas bornés à désoler toute la Judée : ils avaient jeté — ceci est de Josèphe — les semences de tous les maux dont elle fut affligée depuis, et de sa destruction totale. L'homme qui aurait prêché le paiement de l'impôt, alors que les Juifs officiels eux-mêmes le subissaient comme un châtiment, cet homme, s'il eût échappé au Temple, n'aurait point échappé à Bar-Jehoudda et à ses frères.

Jésus conseillant de payer l'impôt, c'est Kaïaphas en action, Kaïaphas complice de Pilatus. C'est le porte-voix des saducéens et des hérodiens. Au premier Kapharnahum venu, il aurait eu du couteau entre les deux épaules. L'auteur du : Rendez à César ce qui est à César, ce n'est pas Jésus, c'est Hanan, grand-prêtre du Recensement de Quirinius !

 

VII. — CONDAMNATION DE BAR-JEHOUDDA ET D'ÉLÉAZAR.

 

Le plan de Bar-Jehoudda était de célébrer lui-même la Pâque dans le Temple en qualité de Grand Sacrificateur et de Roi-christ dans le sens davidique intégral. Il purgerait la cour du Temple, l'ancienne aire aux Juifs, de tous les animaux non juifs, de toutes les monnaies non juives, de tous les marchands non juifs, et il pénétrerait dans le sanctuaire par la porte d'Orient. Il ferait comme avait fait son père au Recensement, et comme fit Ménahem, son frère, en l'année de la grande révolte contre Néron. L'alliance renouvelée avec Iahvé devant les Juifs fanatisés par l'exemple, il se jetterait sur les hérodiens et les goym et il libérerait Israël. Cléopas, son beau-frère, l'avoue catégoriquement : Nous espérions qu'il était celui qui devait délivrer Israël[43]. Bar-Jehoudda, c'est un Ménahem manqué ; Ménahem, c'est un Bar-Jehoudda réussi. Le seul de toute la famille qui soit parvenu à ses fins, pendant un moment c'est Ménahem[44]. Il est excessivement fâcheux que le roi-christ ne soit point entré vainqueur dans le Temple : le lendemain, il aurait été, comme fut Ménahem, massacré par ses rivaux.

Malgré toutes ses menaces et toutes ses promesses, il ne put rassembler qu'environ neuf cents hommes, et il s'était mis à leur tête pour commettre ses brigandages[45]. Le Talmud de Babylone reproduit une vérité acquise à l'histoire lorsqu'il note que le pseudo-Jésus s'était fait brigand, prenait des villes et régnait sur elles avec sa bande de voleurs[46]. Il n'y a là aucune exagération. Les Évangiles eux-mêmes conviennent qu'il n'était entouré que de gens de mauvaise vie en rupture de ban ou de caisse.

Dans la Sagesse de Valentin, où pourtant il s'inspire du judaïsme le plus fervent, Jésus a beaucoup de peine à lui pardonner la somme de crimes qu'il partage avec ses frères. Jusque dans les vieilles légendes ecclésiastiques une odeur de banditisme le poursuit inexorablement : l'une des plus caractéristiques représente un chef de brigands, jadis baptisé par l'auteur de l'Apocalypse, et qui, émigré de Judée, terrorisait les environs d'Éphèse[47].

Cette troupe lui venait d'Abilène, des confins de Tyr et de Sidon, conduite à l'assaut du Temple par dix ou onze hommes diffamés, publicains, pêcheurs chargés de crimes, menant avec lui une vie honteuse, vagabonde, mariniers fuyant partout devant le châtiment, vivant de rapine et de mendicité[48]. Personne n'a traité les apôtres plus durement que Barnabas, oui Barnabas, celui-là même que les Actes leur donnent pour agent et pour ami dans Jérusalem : Une bande d'hommes surpassant tout péché, dit-il[49]. Pires que les plus mauvais Juifs, dit l'empereur Julien ! Enfin tels que leur histoire arrache des larmes de honte à l'auteur des Lettres de Paul ![50]

 

Sur les nouvelles venues de Bathanée, le sanhédrin s'assembla. Toute la délibération tient, dans ce mot de Kaïaphas : Si nous laissons cet homme, tous croiront en lui[51] et les Romains viendront exterminer le lieu (Jérusalem) et la nation. On le condamna donc à mort et on promit une récompense à ceux qui le livreraient avant que sa folie ne fit trop de victimes[52]. Pharisiens, saducéens, scribes, tous opinèrent du même turban, Jésus le constate à mots non couverts : Elie est déjà venu, et ils ne l'ont pas connu, mais ils ont fait contre lui tout ce qu'ils ont voulu. Ce que les disciples comprirent fort bien avoir été dit du Joannès baptiseur[53]. Gamaliel présidait le sanhédrin, et il est bon de savoir que ce vertueux docteur, représenté par les Écritures[54] comme un partisan des christiens a successivement condamné Jacob junior en 787, Bar-Jehoudda en 788, Shehimon dit la Pierre et Jacob senior en 802, par conséquent quatre des fils de Jehoudda. En même temps que le roi-christ on condamna son beau-frère chez qui le sacre avait été célébré[55]. Éléazar était le complice le plus avéré de l'entreprise, et il en fut le premier puni. Kaïaphas n'a donc pas dit : Il vaut mieux qu'un seul homme meure pour le peuple que si la nation périssait tout entière. C'est là un faux inventé pour qu'on ne puisse rattacher la condamnation de Bar-Jehoudda à celle d'Éléazar dont les Evangiles synoptisés (Marc, Mathieu, Luc) ne soufflent mot[56].

Au quatrième siècle, il restait encore assez d'histoire hors de l'Évangile pour qu'on pût connaître exactement le fond des choses, et il est fort simple : convaincu de crimes à la fois par les Juifs et par les Romains, jugé digne du dernier supplice[57], le roi-christ était condamné par le Sanhédrin quarante jours au moins avant la Pâque[58].

Il était un danger pour la paix générale, un sotada offensant pour l'unité de Dieu, un fléau pour le pays. Au conseil, Kaïaphas parla de lui comme Josèphe parle des Zélotes : même bande désignée par les mêmes termes. Nul machiavélisme, nulle précipitation dans la sentence : ce n'est pas l'instinct de la conservation qui l'inspire, c'est l'obligation de mettre un terme immédiat, si l'on peut, aux tueries commencées sous Je prétexte de venger les martyrs du Recensement. Kaïaphas fut énergique et concis ; son beau-père et lui connaissaient les hommes à qui on avait affaire, c'était le Jehoudda du Recensement qui reparaissait dans sa Veuve, dans ses fils et dans ses gendres.

C'est pourquoi après avoir rapporté que la condamnation visait au moins deux d'entre eux, le Quatrième évangile réduit les effets de la sentence au seul jésus pour prévenir tout retour de vérité. Encore, dit-il, Kaïaphas ne parlait-il pas ainsi de lui-même. Mais il prophétisa que le jésus devait mourir pour la nation, et non pour la nation seulement, mais afin de réunir dans l'unité les Enfants de Dieu dispersés (les Juifs habitant hors de Judée). Ce Kaïaphas qu'on représente comme un juge politique, eh bien ! c'est un prophète et combien avisé ! Il a prédit que le roi des Juifs serait un jour mue en Jésus dont le Royaume n'est pas de ce monde !

 

Seigneur, disent les évangélistes à Jésus, ce n'est pas pour rien que nous vous avons incorporé à feu Bar-Jehoudda. Nos majeurs se sont mis dans un bien mauvais cas. Si nous avouons qu'ils ont envahi, pillé, saccagé toutes les propriétés qui se sont trouvées sur leur passage sous le prétexte que c'était le dernier Sabbat avant le Renouvellement du monde, nous allons donner une des raisons pour lesquelles ils ont été condamnés ; vous serez compromis vous-même, puisque nous vous avons fait entrer dans la peau du principal coupable. Ne pourriez-vous mentir comme vous le faites depuis que nous vous tenons par les deux oreilles ? Ne pourriez-vous, par exemple, dire que c'est non pour avoir trop bien observé la loi jubilaire, mais plutôt pour avoir manqué à l'observation du sabbat, que le Jésus et ses compagnons ont été condamnés ? Ce sera évidemment absurde, puisqu'ils n'observaient pas moins le sabbat que la loi de la septième et de la quarante-neuvième année ; mais cela détournera les soupçons, et rendra notre héros sympathique, puisqu'aussi bien les Juifs se sont rendus ridicules par leur attachement excessif à ces rites. De plus on en pourra conclure à la grande rigueur que, loin de s'être passés dans l'année proto-Jubilaire 788, les divers épisodes que nous plaçons aux sabbats hebdomadaires ont eu lieu en une année quelconque ; et ce point de vue n'est point inutile à la mystification des goym. Au moment où nous écrivons, nous vous avons fait baptiser par le Joannès que nous avons ensuite crucifié sous votre nom, nous n'avons donc pas de permission à vous demander pour vous souffler un mensonge qui est en même temps une lâcheté.

 

Et voici ce que Luc a trouvé dans cet ordre d'idées[59] :

 

Or il arriva qu'un jour du Sabbat second-premier[60], comme Jésus passait par les blés[61], ses disciples arrachaient les épis et en mangeaient, en les froissant dans leurs mains. Quelques-uns des pharisiens leur disaient : Pourquoi faites-vous ce qui n'est point permis les jours du sabbat ? Jésus, leur répondant, dit : N'avez-vous point lu ce que fit David, lorsqu'il eut faim, lui et ceux qui étaient avec lui ? Comment il entra dans la maison de Dieu, et prit les pains de proposition, et en mangea, et en donna à ceux qui étaient avec lui, quoiqu'il ne soit pas permis d'en manger, si ce n'est aux prêtres ? Et il ajouta : Le Fils de l'homme est maître même du sabbat.

 

Ils ont violé le sabbat, c'était pour ne pas mourir de faim ; que les païens leur jettent la première pierre !

A Marc maintenant[62] :

 

Il arriva encore que, le Seigneur passant le long des blés un jour de sabbat, ses disciples se mirent en marchant à cueillir des épis[63].

Sur quoi les pharisiens lui dirent : Voyez, pourquoi font-ils le jour du sabbat ce qui n'est pas permis ?

Et il leur répondit : N'avez-vous jamais lu ce que fit David, dans la nécessité, lorsqu'il eut faim, lui et ceux qui étaient avec lui ? Comment il entra dans la maison de Dieu, au temps du grand prêtre Abiathar, mangea les pains de proposition qu'il n'était permis qu'aux prêtres de manger, et les donna à ceux qui étaient avec lui ?[64] Il leur dit encore : Le sabbat a été fait pour l'homme, et non l'homme pour le sabbat. C est pourquoi le Fils de l'homme est maître du sabbat même.

 

Passons à Mathieu[65] :

 

En ce temps-là, Jésus passait le long des blés un jour de sabbat : et ses disciples, ayant faim, se mirent à cueillir des épis et à les manger. Les pharisiens, voyant cela, lui dirent : Voilà que vos disciples font ce qu'il n'est pas permis de faire aux jours du sabbat. Mais il leur dit : N'avez-vous point lu ce que fit David, lorsqu'il eut faim, lui et ceux qui étaient avec lui ? Comme il entra dans la maison de Dieu et mangea les pains de proposition, qu'il ne lui était pas permis de manger, ni à ceux qui étaient avec lui, mais aux prêtres seuls. Ou n'avez-vous pas lu dans la Loi qu'aux jours du sabbat les prêtres dans le Temple violent le sabbat, et sont sans péché ? Or, je vous dis qu'il y a ici quelqu'un de plus grand que le Temple. Et si vous compreniez ce que signifie : Je veux la miséricorde et non le sacrifice, vous n'auriez jamais condamne les innocents !

Car le Fils de l'homme est maître du sabbat même.

 

Vous n'auriez jamais condamné les innocents ! Il a fallu que l'Evangéliste laissât passer le bout de l'oreille zélote ! C'a été plus fort que lui ! Jehoudda et Zadoc étaient innocents ! Eléazar et Bar-Jehoudda étaient innocents ! Leurs compagnons étaient innocents ! Jamais des Juifs n'auraient dû condamner des frères qui, même dans leurs excès, n'étaient pas sortis de la Loi !

 

VIII. — ESSORILLEMENT DE SAÜL, MORT ET RÉSURRECTION D'ÉLÉAZAR.

 

Tandis qu'avec sa bande, grossie du contingent de l'Abilène, Bar-Jehoudda s'ouvrirait, à l'occident, le chemin du Garizim par la Galilée, Éléazar, à l'orient, se glisserait le long du Jourdain, passerait les gués et opérerait sa jonction en avant de Jéricho, où se ferait le rassemblement de tous les Zélateurs de la Loi.

En exécution de ce plan de campagne, Bar-Jehoudda monta aux sources du Jourdain où il avait autrefois baptisé, plus haut encore, jusque dans les anciens États de Lysanias. Il espérait y faire d'importantes levées. Ses frères étaient avec lui, tout au moins Jehoudda dit Toâmin. Mais son prestige était usé, le sacre l'avait tué.

Il était dans le district de Césarée Panéas — tous les Evangiles en conviennent, sauf le Quatrième — lorsque certains envoyés de Thamar et de Maria Cléopas arrivèrent, porteurs d'une déplorable nouvelle. Une force anonyme avait repoussé Éléazar qui s'était porté contre elle. Éléazar, fort maltraité dans le combat, avait été ramené chez lui, mourant.

Qui avait ainsi traité Eléazar ? Saül, je ne vois que lui.

 

Ce n'est point on vain exercice ni mince de rechercher le fond de ces querelles sous la couche de mensonges dont on l'a badigeonné. Le même parti pris éclate chez tous les scribes qui, après s'être entendus pour dissimuler le sacre, véritable cause de l'entrée en lice d'Is-Kérioth, essaieront tout à l'heure de s'entendre pour cacher l'invasion de la Samarie, véritable cause de la crucifixion de Bar-Jehoudda. Tous les Evangiles noient le chrisme dans l'ombre et passent sur les événements qui l'ont suivi. Tous, sauf le Quatrième, sont muets sur Eléazar, qui a porté et reçu les premiers coups. De son côté, cet Evangile est muet sur l'expédition de Samarie. Des faits importants sont traités en une ligne, indiqués par un mot, ou, ce qui est plus prudent encore, supprimés. Il n'en résulte pas moins deux choses cardinales : et que Bar-Jehoudda ne put pousser jusqu'à Béthanie-lez-Jérusalem et qu'Eléazar mourut dans la Bathanea du sacre. Cet événement est bien antérieur aux jours de la Purification qui précède les Azymes et où nous voyons les routes s'emplir de gens qui montent à Jérusalem avec l'espoir d'assister à l'entrée du roi des Juifs et à la descente de Jésus. On nous cache une action militaire à petit rayon, mais très vive, qui prélude au passage du Jourdain, à l'invasion de la Galilée et à celle de la Samarie où les davidistes furent dispersés par Pilatus.

Cette action militaire, réplique des gens de Pérée et de Galilée au vainqueur de la Journée des Porcs, deux hommes ont pu la conduire, Is-Kérioth ou Saül. Dans les Evangiles, elle semble avoir été livrée par Is-Kérioth. Devenu Satan dans la fable, il a, pour jouer ce rôle, subi la transformation inverse de celle qu'a subie Bar-Jehoudda pour jouer celui de Jésus. Bar-Jehoudda y a tout gagné, même la divinité ; Is-Kérioth y a tout perdu, même l'honneur : c'est un effet de la grâce. Dans les Actes, au contraire, une persécution accompagnée de tueries est menée par Saül en un temps qui, indubitablement, a précédé la crucifixion de Bar-Jehoudda.

 

On sait ce qu'il faut entendre par le mot persécution, surtout quand il est employé par un homme d'Eglise trois cents ans après le fait. Persécution, c'est le mot qui déguise les attentats de la folie christienne contre les personnes et les choses. Persécution, c'est tout effort tenté par un pays ou par une ville pour repousser le s attaques de cette maladie contagieuse. Dès que le Sanhédrin avait appris, non comme il est dit aujourd'hui dans l'Évangile la résurrection d'Éléazar, mais son insurrection, il s'était assemblé, songeant à le faire mourir parce qu'il détournait beaucoup de Juifs. Cela veut dire qu'avec l'appui du Sanhédrin dans les synagogues de Galilée et de Bathanée quelqu'un fut envoyé contre Éléazar.

Is-Kérioth n'avait point attendu les manifestations capillaires de Bar-Jehoudda pour le dénoncer aux douze tribus. Ce vernissage de royauté temporelle, machiné P a r un homme qui annonçait l'égalité de tous devant le Christ, lui parut quelque chose d'indécent, de bouffon, et qui pouvait tourner au dangereux. Il était visible que, si par hasard le Christ ne descendait pas à la Pâque prochaine, c'est le fils de David qui, promu Grand-Prêtre, lèverait le tribut sur Is-Kérioth. Il était clair comme le soleil qu'il n'y avait pas deux personnes en Dieu, dont l'une, le Fils, viendrait gouverner avec Bar-Jehoudda pendant mille ans, tandis que l'autre, le Père, resterait au ciel dans une honteuse inaction.

Is-Kérioth incarne donc la résistance religieuse a l'entreprise de Bar-Jehoudda, jusqu'aux Azymes où ils succombent tous deux, lui éventré par les christiens, Bar-Jehoudda crucifié par Pilatus. Mais il n'avait point de troupes avant que le Temple ne lui en fournit. Saül, au contraire, immédiatement après la pâque, monte en armes à Jérusalem pour voir Kaïaphas et lui demande des lettres pour achever à Damas la répression commencée contre les bandits de Bathanée. Il était donc engagé dans l'action depuis quelque temps, il avait des hommes et qui lui obéissaient. Il incarne donc la réaction anti-davidiste après le coup d'État de Bathanea, et il a les moyens matériels de la faire triompher. Allié en fait avec Antipas, nous le trouvons ici du même côté que ces fameux chefs qu'on appelle les hérodiens dans l'Evangile et qu'Hérode le Grand avait tirés de Babylone pour les attacher spécialement à la garde de la Haute Bathanée, de la Trachonitide et de l'Abilène, soit contre les Arabes, soit contre les partisans capables comme Bar-Jehoudda de soulever le pays. Il est avec les fils de Jacim[66] contre les fils de David et nous le retrouverons en 819, employé à la même besogne dans cette même région, avec celui qu'on appelle Philippe Bar-Jacim.

 

Il n'apparaît point que le proconsul de Syrie occupa militairement la province où Bar-Jehoudda s'était fait roi. On avait laissé les choses comme elles étaient à la mort de Philippe le tétrarque, les publicains percevant le même impôt sur une population dont on ne doutait pas et que les Bar-Jacim suffisaient à contenir. A moins de massacrer partout les postes romains, comme le fit son frère Ménahem en 819, jamais Bar-Jehoudda n'aurait pu se maintenir pendant deux mois, à trois jours de Césarée Maritima où Pilatus avait une légion et des cohortes de cavalerie. C'est donc une force hérodienne, ce sont des pharisiens maudits qui se levèrent contre Eléazar. Transporté d'un zèle massacrant, Saül ravageait l'Eglise, pénétrait dans les maisons, en tirait de force les hommes et les femmes pour les jeter en prison, ne respirant que menace et tuerie[67], ne parlant de rien moins que d'aller forcer les partisans de Bar-Jehoudda dans leurs repaires.

 

Au Jourdain il y eut une passe d'armes entre Shehimon et Saül. Shehimon fut repoussé, mais, avant de céder, l'Israélite détacha un violent coup de sique à l'Amalécite et lui emporta l'oreille droite[68]. Ce fait était connu des Juifs contemporains de l'apostolat, puisque Cérinthe le relate dans son Evangile[69]. Pendant trente ans Saül a couru après son oreille comme Daumesnil après sa jambe. C'est la blessure, l'infirmité à laquelle l'auteur des Lettres de Paul fait plusieurs fois allusion comme s'il lui en cuisait à lui-même : De peur que la grandeur de mes révélations ne m'enorgueillit — la révélation qui aurait rapproché Saül de la famille de Jehoudda et que les Actes ont placée sur le chemin de Damas —, Dieu a permis que je ressentisse dans ma chair un aiguillon qui est l'ange et le ministre de Satan pour me souffleter. C'est pourquoi j'ai prié trois fois le Seigneur afin qu'il se retirât de moi, et il m'a répondu : Ma grâce te suffit, car ma puissance éclate davantage par ta faiblesse[70]. En un mot, on a pu réconcilier Saül avec Shehimon, Pierre avec Paul, par la grâce de l'Ecriture, mais Jésus n'a pu lui remettre son oreille qu'à la date incertaine où, descendu dans l'Evangile, il est remonté au ciel sur le Mont des Oliviers[71].

Faute d'une oreille, la vengeance ne chôme pas dans ce milieu enflammé d'amour pour les hommes. Et telle était la vitesse acquise par Saül que, le lendemain de la crucifixion de Bar-Jehoudda, il ira trouver Kaïaphas et en obtiendra des lettres pour les synagogues de Damas, à l'effet que s'il se trouvait là des gens appartenant à cette secte, tant hommes que femmes, il put les amener liés à Jérusalem[72]. En dépit des honteux mensonges que lui a dictés l'Eglise sous le nom de Paul[73], tel il fut en 788, tel il resta jusqu'à ses derniers jours, d'abord ennemi puissant des Jehouddistes et ayant le pouvoir de nuire, ensuite obligé de les fuir pour échapper aux représailles, enfin victime de leurs rancunes la première fois qu'il osa remettre les pieds dans le Temple, après la mort de Shehimon et de Jacob senior en 802. Car, en admettant qu'Is-Kérioth eût honteusement trahi, livré le héros de l'Evangile, Saül l'a approuvé, Saül s'est offert pour le venger de ses assassins ; la crucifixion de Bar-Jehoudda ne l'a point apaisé, il a persécuté ses frères survivants, Shehimon, Jacob senior, Jehoudda-Toâmin, Philippe et Ménahem ; dans les lettres qu'on lui prête il ne nie point leur avoir voulu et fait, quand il a pu, mal de mort ; voilà la grande vérité qui plane au-dessus de toutes les impostures ecclésiastiques.

Eléazar était bien malade — c'est le mot qu'on emploie dans l'Evangile — quand sa femme Thamar et sa belle-sœur Maria envoyèrent prévenir celui qui guérissait si bien. Thomas montre de la décision : Marchons, dit-il aux frères, marchons, nous aussi, pour mourir avec lui[74]. D'ailleurs le moment n'approchait-il pas d'entrer en Galilée ?

Puisque Eléazar était si malade, il fallait le tirer d'affaire. Tant qu'un homme n'est pas mort, il y a de l'espoir. Je suis content de n'avoir pas été là, dit Bar-Jehoudda, d'abord parce que je suis valide, ensuite parce que j'espère pouvoir le guérir. Eléazar, après tout, n'était qu'en sommeil : avec un peu de cette bonne huile vierge dont il oignait les blessés, le jésus, pensaient Thamar et Maria, le remettrait sur pied. Le cas était grave pourtant, et le jésus n'exagère pas lorsqu'il dit que c'est un homme mort... si d'ici peu on ne le rappelle à la lumière. Après deux jours de recueillement, de jeûne peut-être ou de voyage, selon le sens qu'il vous plaira de donner à une phrase apocalyptique sur les avantages de la circulation diurne et les inconvénients de la déambulation nocturne, il arriva dans Bathanea. Un funeste pressentiment l'agitait en chemin : Eléazar est mort, disait-il. Et en effet, dans l'intervalle, Eléazar était mort.

 

On se demande pourquoi il n'entre point dans la maison où il avait reçu le chrisme et où gisait maintenant le corps de son beau-frère. Il n'entre point parce qu'étant Nazir, s'il souillait ses regards par la vue d'un cadavre, il donnerait un gage à la mort. Laissons les morts ensevelir leurs morts, dira-t-il tout à l'heure. Le corps n'était pas encore au tombeau comme le veut la fable, il était encore dans la maison. Afin que le Nazir ne péchât point par ignorance, Thamar alla au-devant de lui toute en pleurs :

Si tu avais été là, lui dit Thamar avec un accent de reproche, mon mari ne serait pas mort[75]. — Il ressuscitera, dit Bar-Jehoudda. — En la Résurrection, au dernier jour, reprend Thamar avec quelque défiance[76]. — Non, tout de suite, dit son frère. Tout de suite est un peu exagéré, mais à la pâque. Dans cette réponse, il est conséquent avec la Révélation que Jésus lui a faite à lui-même : Tu ne mourras pas que je ne vienne. Thamar rentre alors dans la maison, elle appelle Maria Cléopas qui sort, elle aussi, sachant que le Nazir ne peut entrer : Si tu avais été ici, dit-elle à son tour, mon beau-frère[77] ne serait pas mort. N'allons pas plus loin ; les deux femmes, Thamar surtout, veuve éplorée, ont dit à Bar-Jehoudda ce qu'elles avaient sur le cœur ce jour-là, mais le personnage avec qui elles vont négocier la résurrection d'Eléazar cesse d'être le Nazir de 788. C'est Jésus, qui, au second siècle, fait sa tournée de résurrection parmi les martyrs de la prédication en procédant par ordre. C'est bien le moins qu'avant de ressusciter Bar-Jehoudda crucifié le 14 nisan, il commence par Éléazar, tué vers la fin du mois d'adar, le mois fatal dont Is-Kérioth joue le rôle dans le thème astrologique. Jésus se conduirait de la façon la plus injuste et la moins zodiacale, s'il ne ressuscitait pas d'abord Eléazar, lequel a donné sa vie pour lui plusieurs jours avant que le roi-christ ne perdit la sienne[78]. Et les pauvres femmes sont toutes deux respectueuses de l'Apocalypse de leur frère, lorsqu'elles disent à Jésus : Si tu avais été ici, notre frère Eléazar ne serait pas mort. — Ni votre frère Bar-Jehoudda, ni vous-mêmes, pourrait dire Jésus. Car elles aussi sont mortes et tous les personnages de cette histoire, mais Jésus les ressuscitera, lorsque ce sera leur tour. Eléazar a beau être mort pour avoir suivi la folie de Bar-Jehoudda, celui-ci lui ayant promis qu'il ne mourrait pas que Jésus ne vint, Jésus ne souffre pas que son prophète reçoive un démenti. Et même il va faire une chose que Bar-Jehoudda n'eût pas faite pour tout l'or du monde : le Nazir, à cause de son vœu, n'a pas pu voir Eléazar mort ; Jésus, lui, va l'aller réveiller jusque dans son tombeau. Ainsi tiendra-t-il sa parole dans le délai que l'Apocalypse lui avait assigné à lui-même pour venir glorifier les vivants et ressusciter les morts. Devant Jésus, Thamar ne récrimine plus comme en adar 788 devant le roi-christ, elle n'accuse plus son frère d'avoir, par sa folle prédication, causé la mort de son mari. D'ailleurs, Jésus prend toutes ses précautions pour éviter un accroc : Je suis, dit-il, la résurrection et la vie ; celui qui croit en moi, quand il serait mort, vivra. Et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Croyez-vous cela ? Si Thamar répondait non, Jésus n'aurait plus qu'à faire ses paquets pour le ciel, mais ce serait s'opposer à ce qu'il ressuscitât Eléazar[79] : Seigneur, s'écrie-t-elle, je crois que tu es le Christ ; et, mettant à l'imparfait ce que son frère mettait presque au présent : le Fils de Dieu qui devait venir dans le monde. Et qui n'est pas venu ma pauvre Thamar ! Personne ne le sait mieux que toi qui as survécu à son précurseur !

Les scribes ont accumulé tous leurs procédés ordinaires dans la Résurrection de Lazare. La conversion de Bar-Jehoudda en Jésus dans le même temps et dans le même lieu, sous la même espèce corporelle, rend particulièrement difficile le départ à faire entre le réel et le fantastique. On s'explique très bien que tant de gens simples y aient été pris et que, dans le monde de l'exégèse, tant d'esprits pénétrants y aient laissé leur acuité. Mais il n'y a là ni imposture, ni magie, comme beaucoup l'ont cru. Au mois d'adar 788, le support humain de Jésus, soit Bar-Jehoudda, refuse d'entrer dans la maison du mort ; à l'époque de la rédaction évangélique, sa personne divine, incarnée dans le Nazir, opère la résurrection au tombeau. L'évangéliste fait même aire aux assistants : Lui qui a guéri l'aveugle (depuis 789 les scribes ont eu tout le temps de leur apprendre que Jésus avait guéri l'aveugle-né), ne pouvait-il empêcher Eléazar de mourir ?

Non, il ne le pouvait pas sous la forme mortelle que la fable lui a donnée. Il ne leur avait jamais révélé par son précurseur qu'ils ne mourraient pas, mais simplement qu'ils ne mourraient pas avant sa venue. En quoi il avait trompé tout le monde. Il se rattrape par le moyen d'un mythe où il montre qu'en dépit de l'erreur initiale il se réserve de faire sentir un jour son pouvoir résurrectionnel aux héros du baptisme. Mais une imposture concertée avec toute la famille d'Éléazar, une mascarade lugubre et nauséabonde devant toute la ville sortie de ses murs, les deux sœurs dans la confidence, Éléazar faisant le mort pendant quatre jours avec des bandelettes mal liées, pouah ! Comment a-t-on pu penser à cela ? Magie ? Il n'y a pas de magie capable de ressusciter un mort, et, d'ailleurs, est-ce que Jésus agit ? Il ne touche point Éléazar, il ne le débarrasse pas de ses liens sans qu'on s'en aperçoive. Verbe Créateur, il parle en Verbe Résurrecteur : il appelle, Eléazar se lève et revit. C'est la pleine allégorie. On se croirait au Jugement[80].

 

Cette mort en deux temps, précédée de souffrances que le jésus n'avait pu guérir, et suivie d'un enterrement où le Nazir n'avait pu se montrer, ce départ sans un salut, sans un' adieu, produisit un plus déplorable effet qu'une mort par maladie[81]. On était donc vulnérable dans le parti ? Bar-Jehoudda l'était donc lui-même, puisque ses parents les plus rapprochés, ses partisans les plus immédiats succombaient à la première rencontre, comme des Juifs non baptisés ? Lui qui prétend sauver les autres, disait Is-Kérioth, a-t-il pu empêcher son beau-frère de mourir ? Ce grand médecin qui n'a pu soulager son beau-frère, pauvres gens, comment pourra-t-il vous guérir si vous tombez dans la bataille ? Il ne voudra même pas vous voir !

Thamar ressentit cruellement l'égoïsme de son frère et la perte de son mari. Maria et son mari Cléopas sont de ceux qui montèrent à la pâque où le Fils de l'homme devait venir avec son Baptême de feu. Thamar resta pleurer dans Bathanea. Qu'avait promis le roi des Juifs à sa Maria pour son alabastron ? Que ses trois cents deniers lui rentreraient au centuple dans le Royaume, Centuplum accipies ? Peut-être. Mais le pauvre Éléazar, maintenant sous terre, que lui donnerait-on pour prix de la vie ? Thamar, Thamar, lui dit Jésus, tu te tracasses dans beaucoup de choses, mais une seule est nécessaire. Maria a choisi la bonne part, laquelle ne loi sera point enlevée. En effet, au sacre, Maria dupe les gens crédules, Maria tout à l'heure va leur mentir en disant que le crucifié de Pilatus ne l'a point été, Maria est complète, elle a la grâce, elle a la vie. Quant à Thamar, qu'elle se contente des œuvres humaines. Qu'elle reste avec la mort, et que chaque année elle délaye un peu de chaux pour blanchir la tombe d'Éléazar !

Et d'ailleurs qu'on fasse taire cette braillarde dont les cris déchirent le tant doux Évangile et ébranlent les cieux ! Celui qui croit en moi, quand même il serait mort, vivra, lui a dit Jésus. Et quiconque vit et croit en moi ne meurt jamais, croyez-vous cela ? Elle lui a répondu : Oui, Seigneur. Eh bien, Eléazar est mort, persuadé, sur la foi de l'Apocalypse, que le Théanthrope, le Fils de l'homme, allait venir le ressusciter après trois jours[82] ! De quoi te plains-tu, Thamar ?

 

IX. — DÉFECTION ET PUNITION DES SAMARITAINS.

 

On peut se demander si la déconfiture d'Éléazar n a pas modifié le plan de campagne de Bar-Jehoudda et si elle ne l'a point forcé de se jeter précipitamment en Galilée. Les trois bourgs qui coiffaient le lac de Génésareth et sur lesquels il fondait tout son espoir, Bethsaïda, Chorazin et Kapharnahum, restèrent fidèles au Temple Jésus fulmine contre eux au nom du prophète incompris. A celui-ci il ne reste plus derrière lui qu'un peu de la Décapole et les Juifs de Canaan, s'ils bougent, e devant lui, que les Samaritains, s'il se lèvent ! Il traverse rapidement la Galilée avec les quelques partisans qu'il domine encore par le rêve doré du Millenium et la terreur du châtiment infernal. S'il comptait sur Cana, Cana fut insensible.

Pour un disciple qui consentait à aller jusqu'au bout coûte que coûte, vingt autres voulaient s'en retourner. Celui-ci devenait tout à coup formaliste, demandait à prendre congé des siens : Quiconque, dit Bar-Jehoudda, met la main à la charrue et retourne en arrière es t mal préparé pour le Royaume de Dieu. Oui, très mal. Celui-là prétextait l'enterrement de son père ; avec l'égoïsme parfait qu'explique sa qualité de Nazir et dont il vient de donner une si belle preuve à Thamar, Bar-Jehoudda l'en empêche, disant : Laisse les morts enterrer leurs morts, mais toi, va-t'en annoncer le Royaume. Et, pour les retenir, il insistait sur les avantages de la Vie Nouvelle à laquelle on marchait. Ceux qui auront quitté la famille et le monde, ceux qui auront vendu leurs biens pour donner l'argent à Maria l'alabastrophore, ceux-là dans peu de jours allaient être récompensés, maintenant, disait-il, en ce temps, au milieu des persécutions.

Sans doute, et tout cela était dans l'Apocalypse. Mais plus on avançait et plus le Royaume reculait. Il y avait bientôt un an que durait cette fièvre du Millenium, cette faim des douze récoltes, cette soif du fleuve d eau vive. Et rien ne venait que la mort ou les coups. Des doutes grondaient sur l'impartialité de Bar-Jehoudda dans la distribution des charges. Le Fils de l'Homme a sa venue pourrait réparer l'inégalité des profits et des honneurs, mais enfin, puisque le roi des Juifs allait à Jérusalem en précurseur, quel ordre donnerait-il à son royaume, si par hasard Jésus ne venait pas ? On suivait troublé, épouvanté, dit Marc. Ajoutons : brûlé de jalousies. Le feu de rivalité couvait dans ces âmes avides et basses : on avait peur, comme il arriva sous Ménahem, qu'ayant réussi son coup, l'imposteur ne prit tout pour lui et pour ses frères et ne mit le peuple sous sa sandale !

 

Passé la Galilée sans encombre, il entre en Samarie. Une énorme coupure a été pratiquée ici dans les Evangiles, et n'était Luc qui mange le morceau, jamais on ne saurait que le roi des Juifs a envahi cette région. De cette courte et malheureuse campagne, il ne reste plus rien dans Mathieu, dans Marc et dans le Quatrième Evangile. Luc, au contraire, est presque abondant. Quand approchèrent les jours de son Assomption — mot à double sens qui désigne la noire série des journées au bout desquelles il fut enlevé de la vue des disciples[83], c'est-à-dire emballé par la police du Temple — et qu'il prit la résolution d'aller à Jérusalem, il dépêcha des messagers... pour lui préparer un gîte[84]. Outre les disciples que nous appellerons la garde, — on va la voir fuir plutôt que de se rendre —ces fourriers le précédaient dans les villages. Il leur avait donné des ordres farcis de malédictions contre Chorazin, Bethsaïda et Kapharnahum et de précautions contre les habitants suspects de tiédeur : Ne saluez personne en chemin, mais saluez la maison qui vous reçoit et tenez-vous-y.

Il ne faut pas confondre l'envoi réel de ces fourriers avec la mobilisation tout astrologique des soixante douze disciples[85]. Ces soixante-douze disciples ne sont autres que les Trente-six Décans de l'Année solaire dont les Douze Apôtres sont, comme on le sait, les Douze Chefs de par le Zodiaque[86]. Jésus préside aux Douze Mois, qui président aux Trente-six Décans, qui, à raison de Trois Décans par mois, président aux Trois cent soixante jours. Les soixante-douze disciples de l'allégorie vont deux à deux, dit Luc, parce qu'ils sont terrestres et qu'il en faut deux pour faire une journée comme celles que devait ramener Jésus, c'est-à-dire composée de vingt-quatre heures de lumière. Ils sont divisés en deux par les douze heures de jour et les douze heures de nuit de la journée juive[87]. Impossible de dire plus clairement que le Christ de l'Apocalypse n'est pas venu[88].

Admettons que Bar-Jehoudda ait eu soixante-douze fourriers. Soixante-douze fourriers, allant deux par deux, en silence, dans les villages de la plaine et de la montagne pour préparer le logement d'un seul homme, c'est beaucoup plus qu'il n'en faut pour un régiment tout entier. Ce pèlerin accomplissait donc une œuvre mystérieuse dans ses moyens, éclatante dans ses effets ? Tant de gîtes dans tant de bourgs à la fois, est-ce l'appareil d'un honnête Juif qui monte simplement à la Pâque pour manger l'agneau en famille et se plaint de ne savoir où reposer sa tête ?

 

Les éclaireurs, fort semblables aux espions que Moïse avait envoyés jadis à la découverte de la terre de Canaan, se replièrent avec une rapidité inquiétante pour l'avenir du Royaume. Pilatus, prévenu, montait de Césarée avec ses troupes. Il tirait une diagonale de fer à travers la Samarie, et déjà ses fantassins occupaient le sommet du Garizim. Avec sa cavalerie, il irait barrer la grande voie qui parallèlement au Jourdain allait de Jérusalem à Damas.

Le plan de Pilatus, c'est le plan de Bar-Jehoudda retourné. C'est la réplique à celui que le prétendant avait exposé d'abord aux Samaritains de Sichar en 787, et successivement aux Juifs de la Décapole, à ceux de Tyr et de Sidon, à ceux de la Bathanée et de la Galilée : soulever les Juifs Cananéens contre les Syro-phéniciens, la Galilée contre Antipas, les Samaritains contre Pilatus, s'emparer du Garizim, montagne presque aussi forte que Sion, se concentrer sous Jéricho et, de là marcher sur Jérusalem pour assister au triomphe du Christ Jésus. Ce dispositif ayant échoué en Pérée par la déconfiture d'Éléazar, c'est à Is-Kérioth que s'en prennent les scribes de l'Evangile, mais 'Pilatus et les Samaritains sont tout dans celle de Bar-Jehoudda.

Sichar, le bourg dont le roi-christ comptait faire son quartier général, Sichar décline l'honneur de lui ouvrir ses portes.

Gâtés par la fréquentation des Romains, pervertis par des spectacles maudits, refroidis par la mésaventure d'Éléazar, les purs de Sichar sont revenus sur leurs dispositions premières. Indifférents à la Parole révélée, réfractaires aux beautés du Royaume, ils refusent de marcher. Impossible de rendre l'ouïe à ces sourds, leurs jambes à ces paralytiques. Depuis qu'ils ont vu les enseignes de Pilatus dans Sébaste, ils ont perdu l'usage des organes utiles à la guerre. Ils ne veulent Pas recevoir le roi des Juifs et ils ne le recevront pas ! On avait compté sur les brebis perdues de Samarie, on avait pensé les trouver, blotties avec des siques autour du puits de Jacob, et les conduire au Garizim, assoiffées de l'eau vive d'Iahvé ; mais voilà qu'elles ne voulaient plus quitter la bergerie. Elles avaient appris une chose qui les avait glacées : Bar-Jehoudda ne serait monté au Garizim que pour en redescendre aussitôt avec les vases ! Pour proclamer le Royaume sur le Garizim, pour y planter la tente du Christ afin qu'il descendît là et non ailleurs, peut-être seraient-elles sorties ! Mais travailler pour Sion, jamais ! Plutôt l'esclavage avec Pilatus ! Il n'y a pas deux Montagnes saintes dans Israël ! Il n'y en a qu'une, le Garizim. C'est là qu'habite Iahvé. Les Juifs de Samarie qui auraient peut-être accepté Bar-Jehoudda séparatiste, repoussèrent Bar-Jehoudda parce que son dessein était de se rendre à Jérusalem[89]. Voilà la raison, la grande. On devrait l'imprimer engrosses capitales, elle explique toute l'affaire, elle domine l'histoire. Ainsi, son dessein était de se rendre à Jérusalem ! La marche au Garizim n'était qu'une feinte, pour reprendre les vases qu'il y avait mis ?

Cela juge l'énormité de l'imposture. Au premier coup de pioche on découvrait les vases qu'on avait enterrés la veille. Après avoir tiré tout le revenant bon du Garizim, on continuait la marche sur Jérusalem, on les portait dans le Temple et on y achevait l'œuvre commencée par Maria Cléopas dans Bathanea !

Les Samaritains se conduisant en l'occurrence comme de simples démons, on les traita comme tels. On les exorcisa par la torche. On brûla tout ce qu'on put pour purifier les environs de Sichar, afin qu'à sa venue le Christ eût moins de gens à baptiser dans le feu.

Ce n'est pas sans motif qu'après les avoir comblés de visites et de flatteries sous les espèces de Bar-Jehoudda dans le Quatrième Évangile, Jésus finit par comparer les Samaritains aux maudits habitants de Bethsaïda, de Chorazin et de Kapharnahum, inférieurs en grâce à ceux de Tyr et de Sidon, et par défendre aux disciples de mettre les pieds dans leurs villes.

Ce roi des Juifs, à qui Jésus avait oublié d'envoyer l'Esprit-Saint sous la forme delà raison, voue au feu tout ce qui résiste à sa démence. Après Bethsaïda, Chorazin, après Chorazin, Kapharnahum, après Kapharnahum, les villages de Samarie que Pilatus n'a pu couvrir à temps. A la Journée des Porcs on avait chassé les démons par l'eau, ici on les chassa par le feu : le tout est de savoir utiliser les éléments. On n'appelle plus la bénédiction d'Iahvé sur Sichar. Au contraire, on se souvient qu'Élie, aux jours de gloire, a fait descendre (avec quelques bottes de paille) le feu du ciel sur les soldats d'Ochozias envoyés pour l'arrêter[90]. Seigneur, s'écrièrent Bar-Jehoudda et son frère Jacob, permets que nous disions au feu de descendre du ciel pour les consumer ! Jésus eut une faiblesse : il permit. Il permit si bien que Bar-Jehoudda et Jacob ont mérité le nom significatif de Boanerguès (les Fils du Tonnerre) dans lequel Jésus les confirme tout d'abord. Mais depuis, dans Luc, il a quelque remords pour eux et quelque honte : ils avaient abusé ! Vous ne savez pas de quel Esprit vous êtes, leur dit-il. Lisez comme il faut lire : Vous ne saviez pas de quel Esprit vous étiez à cette époque lointaine. Vous en étiez encore l'un et l'autre à l'Esprit qui est l'attribut du Christ apocalyptique dont le précurseur disait : Celui qui viendra vous baptisera dans le feu et l'esprit saint. Le Vous ne savez pas de quel Esprit vous êtes est une correction faite par Valentin à la morale apostolique. Elle a passé dans Luc et on la trouve dans Marcion. Elle était nécessaire, après toutes les horreurs que la bande ré pandit sur son passage. Jésus ne peut les effacer qu'en revenant sur le programme de l'Apocalypse : Le Fils de l'homme, dit-il, n'est pas venu pour perdre la vie des hommes (ce Christ destructeur fut celui des Boanerguès en Samarie) mais pour les sauver. — Voilà le Fils de l'homme nouveau style, que les Valentin et les Cérinthe tirèrent de la côte de Bar-Jehoudda après avoir quelque peu décrotté ce zélateur de la Loi. — Résipiscences tardives et dépourvues de toute sincérité.

L'image que trace Bar-Jehoudda de son effroyable Mission ne permet pas de croire qu'il ait laissé sans vengeance immédiate la défection des Samaritains. Les bandits que le roi-christ menait au sac de Jérusalem, étaient relativement peu nombreux, puisqu'ils n'atteignaient pas mille hommes, mais pour le pillage et l'incendie ils valaient une légion.

Je suis venu jeter le feu sur la terre, disait leur chef, et que désiré-je sinon qu'il brûle déjà ? J'ai à être baptisé d'un Baptême, (converti en corps de feu, donc incorruptible), et combien suis-je dans l'angoisse jusqu'à ce qu'il soit accompli ! Estimez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre ? Non, vous dis-je, mais plutôt la discorde ; car désormais cinq dans la même maison seront divisés, trois contre deux et deux contre trois ; le père sera en discorde avec le fils et le fils avec le père, la mère avec la fille et la fille avec la mère, la belle-mère avec la bru et la bru avec la belle-mère. De Sichar en feu les Boanerguès gagnèrent un autre village[91]. Le feu ! Longtemps ce fat le grand argument des christiens. Hommes de feu, comme le Christ Jésus, mais avec des moyens terrestres, les deux Boanerguès furent l'éclair, l'étincelle qui embrasa la contrée. Le feu de Samarie était dans celui du Temple au Recensement ; le feu de Daphné, de Nicée, du Sérapéum, de Constantinople, les grands incendies christiens des premiers siècles, étaient dans celui de Samarie. Ce moyen était si naturellement christien que les ariens, cherchant dans les ténèbres de l'histoire les auteurs responsables de l'incendie de Rome sous Néron, n'ont rien trouvé de mieux que d'en accuser les disciples du christ-jésus[92] !

 

X. — DÉFAITE ET FUITE DU ROI CHRIST AU SÔRTABA.

 

Comment a fini la campagne de Samarie ? D'une façon terrible, sur laquelle tous les Evangélistes font un silence contraint. Mais de leur texte hypocrite, embarrassé, penaud, une plainte s'élève, une récrimination unanime. Après le chaleureux accueil que Bar-Jehoudda a reçu dans Sichar aux Tabernacles de 787, cette ville va mériter le nom de Suchar, la ville qui ment, la ville qui a menti, la capitale du mensonge. Dans ces champs de malheur, Jésus fulmine l'excommunication contre toutes les villes de Samarie. Qu'ont-elles donc fait ? Puisqu on ne veut pas nous le dire, puisque, sauf Luc, personne n'ose prononcer le nom de Samarie qui réveille tout un passé douloureux, demandons la clef du mystère à Flavius Josèphe. Ici c'est Josèphe qui est le Verbe, la Lumière et la Vie. La parole est à lui, et rien de plus édifiant que les efforts déployés par l'Eglise pour la lui couper, sinon ceux qu'elle a montrés dans les Evangiles pour éviter le funeste rayon de lumière qui tombe des hauteurs du Garizim.

 

Les chapitres de Josèphe relatifs à la procurature de Pilatus portent la marque non équivoque des altérations les plus profondes. L'Eglise s'y est acharnée. Parmi les lambeaux qu'elle a laissés du texte primitif, il y a ceci qui vient immédiatement après le passage sur Jésus-Christ — un faux de l'Eglise consécutif à la Nativité de Jésus pendant le Recensement et à la Décapitation du Joannès, par conséquent postérieur au quatrième siècle : — Environ le même temps il arriva un grand trouble dans la Judée... Or juste à l'endroit où Josèphe racontait l'aventure qui avait mis la Judée en émoi on lit maintenant qu'un imposteur qui ne faisait conscience de rien pour plaire au menu peuple et gagner son affection lui avait donné rendez-vous sur le mont Garizim, promettant de lui faire voir des vases sacrés que Moïse y avait enterrés.

Quand même il n'y aurait pas d'autres preuves de l'intervention de l'Église dans le texte de Josèphe, le nom seul de Moïse suffirait à la dénoncer. Là où il y a Moïse, il y avait David ; le faux a été fait par un homme absolument étranger à l'histoire juive. Tous les Juifs du commun, à plus forte raison Bar-Jehoudda et Josèphe, versés à fond dans les Ecritures, savaient que Moïse n'avait jamais rien enfoui au Garizim, ayant été lui-même enterré sous la montagne d'Abar, en un lieu inconnu, sans avoir pu pénétrer dans la Terre promise[93]. Nous sommes donc sûrs que le nom de Bar-Jehoudda a été enlevé du texte en même temps que celui de David. Poursuivons notre récit avec ce que l'Église nous a laissé de Josèphe.

Les Juifs de Samarie prennent les armes, et, en attendant ceux qui devaient se joindre à eux de tous côtés pour monter au Garizim, ils assiègent le bourg du Sôrtaba. Comme il n'est pas nécessaire de s'armer pour déterrer des vases ni d'assiéger le bourg du Sôrtaba, nous voyons que ces Juifs s'étaient purement et simplement révoltés sur un mot d'ordre déjà ancien, puisqu'ils attendaient et celui qui leur avait donné rendez-vous au Garizim et ceux qui s'étaient juré d'y monter avec lui. Les gens qui défendaient le Sôrtaba contre les entreprises des révoltés étaient donc d'horribles pharisiens, de monstrueux hérodiens envoyés par Antipas et commandés par quelque Saül.

Qu'est-ce donc que ce mouvement dans lequel, sous la conduite d'un imposteur émérite, des hommes de Guerre sainte se disposent à monter sur le Garizim où, dit Josèphe[94], l'infanterie romaine arrive avant eux ? C'est le mouvement qui continue dans les montagnes de Samarie celui qu'Éléazar et Bar-Jehoudda ont commencé en Bathanée. Et il ne finit qu'à Jérusalem, car Jésus, qui sait tout d'avance en sa qualité de Fils de Dieu, nous révèle ici que Pilatus a massacré des Galiléens dans le Temple et mêlé leur sang à celui de leurs sacrifices[95].

Le roi des Juifs marchait, dit Luc, à son Assomption[96]. Hé ! sans doute, mais cette assomption ne devait-elle point commencer par l'ascension du Garizim ? En temps ordinaire, l'ascension du Garizim était un sport licite. Montait au Garizim qui voulait, surtout au moment des fêtes ; beaucoup de Samaritains y adoraient sur les ruines du Temple qu'avait détruit Hircan. Pilatus ne les en empêchait point. Pour qu'il s'y soit porté et qu'il les y ait prévenus avec ses forces d'infanterie, il faut que le mouvement adverse soit parti de la Galilée, sans quoi les révoltés seraient arrivés les premiers sur la montagne. Ce mouvement n'affectait point que la Samarie, puisque la Judée en fut troublée grandement, selon Josèphe. Il eut donc sa répercussion sur la Pâque, puisque à une date qui ne peut être que 788, Pilatus a mêlé le sang des Galiléens à celui de leurs sacrifices, par conséquent dans le Temple de Jérusalem. Dès lors il y a identité absolue entre le roi-christ de Luc et l'imposteur de Josèphe. A diverses reprises les Juifs de Jérusalem lui reprochent d'être Samaritain, alors que tous connaissent son origine gaulonite. De leur côté, les Juifs de Sichar s'étonnent qu'un Juif pur comme lui négocie avec ceux de Samarie. C'était, en effet, l'ambition de Bar-Jehoudda d'unifier pour ainsi dire les deux montagnes saintes ; mais dans son plan, commencée sur le Garizim, l'unité devait se consommer sur Sion. En cela il suit très rigoureusement le processus du peuple juif sur le sol palestinien. Le plus ancien motif de sa condamnation à mort, c'est qu'il a, en un temps antérieur à sa révolte — les Tabernacles de 787, — arrêté la circulation des vases du Temple, comme si ces vases lui semblaient moins aptes que ceux du Garizim à leur messianique destination.

 

Le Garizim leur étant interdit, les révoltés se rejetèrent sur le Sôrtaba, montagne fortifiée qui commande la vallée du Jourdain en avant de Phasaël[97]. La position de Çôr était surtout importante à l'époque où les rois de Juda habitaient Samarie. Elle les couvrait à l'Orient et la porte de la ville qui y conduisait s'appelait la porte de Çôr[98]. Hérodienne dans la suite[99], elle était acquise au Temple qui y avait des gens pour annoncer aux populations les nouvelles lunes et la pleine lune de la pâque par des signaux de feu[100]. Les révoltés essayèrent de l'emporter, et s'ils se fussent emparés du château-fort, c'eût été pour eux une défense d'autant meilleure que la grande route de Césarée Panéas à Jérusalem par Jéricho passait au bas, leur amenant tous ceux qui de Galilée et de TransJordanie montaient à la pâque. Le bourg qui était sous le château ayant refusé de les recevoir, ils s'attardèrent au siège. Tout à coup, dans un nuage de poussière si épais qu'on n'aurait pas reconnu le Messie, Pilatus avec sa cavalerie déboucha, venant du sud. Il les enveloppa, les dispersa, fit trancher la tête à ceux qu'il put saisir.

Le reste de cette truandaille s'envola devant lui. Quelques-uns passèrent à travers les mailles du filet romain et montèrent à Jérusalem, sans vases ; mais le roi des Juifs ne passa point.

Entre l'imposteur, dont la troupe est dispersée au Sôrtaba, et le lestès qui conduit ses neuf cents hommes à travers la Samarie, il y a une rencontre de fait et de date qui n'est point l'effet d'un hasard, et quand on voit ce bandit[101] mis en fuite avec tous ses partisans, lui-même échappant difficilement à la cavalerie de Pilatus, puis arrêté en pleine fuite, conduit prisonnier à Jérusalem et crucifié à la même date et pour le même fait par le même Pilatus, on conclut qu'il y a là plus qu'une coïncidence fortuite.

 

Que manque-t-il au texte de Josèphe pour que, même falsifié, il confirme la manifeste identité du héros de Luc avec l'imposteur dont la bande est dispersée autour du Sôrtaba ? Rien que le nom. Il y était, il a été enlevé. Comment croire que Josèphe ignorait ce nom et ne le citait point, lui qui a fait entrer dans l'histoire le père du roi-christ, ses autres fils, Shehimon (Pierre), Jacob (Jacques le Majeur), Ménahem, et plusieurs de ses neveux, notamment Eléazar ?

Qu'était-ce que cet homme ? Un imposteur. Qu'est-ce donc que Bar-Jehoudda, et comment l'appelle-t-on, quand on ne l'appelle pas brigand ? Un imposteur. Qui l'anonyme de Josèphe avait-il réussi à tromper ? La populace. Dans quel milieu Bar-Jehoudda fait-il ses dupes ? Dans la populace. Est-ce qu'un des magistrats ou des pharisiens a cru en lui ? Mais c'est cette exécrable populace ignorante de la Loi ![102]

D'où vient l'imposteur anonyme de Josèphe ? D'un pays situé au-delà du Garizim et qui ne peut pas ne pas être la Galilée. D'où arrive Bar-Jehoudda ? De la Galilée. Par où débouche-t-il en Samarie ? Parla Galilée. Qu'advient-il du roi-christ dans l'Évangile ? La mort par crucifixion. Et de l'imposteur dans Josèphe ? Rien du tout, il n'arrive plus rien à ce scélérat qui a mis toute la Judée sens dessus dessous. Quoi ! l'imposteur qui guidait l'expédition du Garizim et soulevait les Samaritains sur son passage a simplement disparu ? Il n'a fini d'aucune façon ? Après avoir concentré la curiosité sur ce prophète qui n'a pas réussi, Josèphe le laisse s'évanouir anonymement dans l'atmosphère samaritaine ? Il donnait le nom, vous dis-je !

 

Sont-ce les seules rencontres de fait et de date qu'il y ait entre l'histoire et la fable évangélique ? Non pas. Dans les Actes des Apôtres, le Joannès qu'on donne pour compagnon ordinaire à Shehimon et à Jacob, et qui n'est autre que le Jésus, disparaît pour toujours en Samarie[103]. C'est en Samarie qu'il est enlevé de la vue des disciples[104]. Et en effet ils ne devaient plus le revoir qu'au jour du Jugement. Je vous affirme que vous ne me verrez plus jusqu'à ce qu'il advienne que vous disiez : Béni soit Celui qui vient (le Christ lui-même) au nom du Seigneur[105]. Et : Vous vous disperserez, chacun de son côté, me laissant seul ; mais je ne suis point seul, le Père étant avec moi[106].

Prenant son courage à deux pieds, seul, doublant les étapes, il gagna les défilés qui mènent vers la mer et le lendemain il se trouvait à dix lieues du champ de bataille, près de Lydda. La poudre d'escampette ! C'est sans doute de celte façon qu'il entendait le baptême du feu. Où aller d'ailleurs après la débandade ? Il ne pouvait ni rester en Samarie sans être pris par Pilatus, ni s'y cacher sans être dénoncé par ses victimes, ni retraverser la Galilée sans être pris par Saül, ni monter à Jérusalem sans l'être par le Sanhédrin.

Le feu grégeois de paraboles que Jésus allume devant nous[107] pour nous dérober cette situation ne nous éblouit pas le moins du monde. Le rabbin de Celse avait en mains la plus ancienne version de cette histoire, celle qui avait ensuite passé dans l'Evangile de Marcion et de Tertullien, et où la mystification avait encore gardé quelque air de vérité. Le roi des Juifs, abandonné par ceux-là mêmes qui s'étaient dits ses disciples, réussissait à se cacher après avoir échappé aux troupes romaines qui le cernaient. Arrêté lorsqu'il fuyait honteusement, il était amené à Jérusalem étroitement lié et enfin exécuté.

Le rabbin de Celse[108], qui accepte bravement pour les Juifs la responsabilité de la condamnation — l'exécution appartient à Pilatus — disait, en termes qui ont été très voilés[109], comment les choses s'étaient passées après la débandade du Sôrtaba. Se tournant vers ceux de ses coreligionnaires qui se font jésu-christiens : D'où vient, s'écrie-t-il, que vous nous ayez quittés pour changer de nom et de manière de vivre ? Ce n'est que d'hier que nous avons puni l'imposteur qui vous abusait par des tromperies ridicules ! C'est notre religion qui est la base de vos doctrines, ce sont nos rites qui lui ont donné naissance, pourquoi les rejetez-vous, les méprisez-vous ? Nous avons condamné votre jésus, comme il le méritait, au châtiment des impiétés et des blasphèmes qu'il débitait avec ses vieux contes sur la Résurrection des morts et le Jugement et le feu préparé pour les méchants[110]. S'il eût mérité quelque créance, n'aurions-nous pas été les premiers à lui ouvrir nos bras et nos cœurs, nous tous qui avons annoncé au monde que Dieu enverrait son Messie pour juger et punir les méchants ? C'est par nous que sa venue a été prédite. Nous l'attendons avec impatience, et ce serait précisément nous qui refuserions de le reconnaître, qui le repousserions ? Dans quel but ? Afin d'être les premiers punis et plus sévèrement que les autres ? Mais comment aurions-nous pu reconnaître comme dieu un homme qui, d'une part, n'a rien fait, comme on le lui reprochait souvent, de ce qu'il se vantait de faire, et qui, de l'autre, lorsque nous l'eûmes convaincu et condamné au supplice, fut réduit à se cacher, à fuir honteusement, et fut enfin pris grâce à la trahison de ceux qu'il appelait ses disciples ?... Un bon général ne trouve jamais un traître parmi les milliers de soldats qu'il commande ; un chef de brigands lui-même, quelque perdus que soient les hommes qui composent sa bande, n'a rien à craindre de leur part, mais votre Jésus n'a pas seulement pu se faire assez estimer et assez aimer de ses propres disciples pour n'être pas trahi par eux !

On est frappé du ton de modération des témoignages juifs, de la tendance qu'ils ont tous à ménager le circoncis qui, dans son pieux délire, avait promis de si beaux jours à la race. On lui pardonne beaucoup parce qu'il a beaucoup aimé. Les païens sont beaucoup plus durs, n'étant point du Royaume.

Un scélérat, disent Apulée[111] et Minucius Félix[112]. Quoique l'Eglise ait remanié et interpolé l'ouvrage de ce dernier, elle n'a pu tant faire qu'il n'y soit resté ceci : En reconnaissant pour auteur et pour fondement de ces cérémonies un homme exécuté pour ses crimes sur le bois funeste d'une croix, ils se donnent le culte qui leur convient comme à des êtres noircis de vices : ils adorent ce qu'ils méritent ! Et Minucius Félix lui-même sous le nom d'Octavius défend la religion chrestienne[113] (une bonne conscience et point de culte public) contre la confusion que la calomnie tend à établir entre l'anti-paganisme des chrestiens et la hideuse superstition du juif-dieu : Adorer un scélérat et sa croix, non ! C'est une étrange aberration de se figurer que parmi nous un homme puisse passer pour un dieu, surtout un pareil coupable !

Un lestés, un brigand, dit Celse le platonicien. Et quels autres que des brigands peut bien appeler à lui un lestés ?[114] Un bandit, proclame Hiéroclès. Toute cette ruée de la truandaille baptiste, qui commence au Jourdain pour finir dans le Temple, toute cette séquelle démoniaque, incendiaire, pillarde, meurtrière, cette armée de pêcheurs d'hommes en eau trouble, l'Evangile ne la peint pas, il l'efface. Des apôtres, le Nouveau Testament n'avoue qu'un seul acte, et c'est un double assassinat[115] !

 

XI. — COMMENCEMENT DE L'ASSOMPTION DE BAR-JEHOUDDA.

 

Tertullien regarde comme prodigieux que le héros de l'Évangile ait échappé à la cavalerie romaine déployée contre lui, et il l'appelle Samaritain parce que la chose a eu lieu en Samarie. Cependant l'imposteur qui conduisait la bande du Sôrtaba n'était point Samaritain d'origine, c'était un Samaritain d'occasion comme Scipion était Africain. Cet exploit à rebours était cité comme miraculeux dans les Évangiles qu'ont eus Marcion et Tertullien[116]. Il en a complètement disparu, car il avait le défaut d'aplanir la piste devant l'historien, et de découvrir l'identité du triste individu qui avait posé pour Jésus dans l'atelier des évangélistes. Présentée comme un commencement d'apothéose, la fuite de Bar-Jehoudda rentrait dans ces fameux jours d'Assomption, dont parle Luc. Néanmoins en sondant cette matière ondoyante, on sentait quelque chose de résistant : l'arrestation de l'imposteur opérée non à l'orient de Jérusalem sur le Mont des Oliviers, comme dans la mystification évangélique, mais à l'occident, non loin du territoire sur lequel il s'était aveuglément engagé. Dans ce prologue de l'Assomption définitive on voyait trop qu'on avait devant soi un seul individu eu deux personnes distinctes, dont l'une était tout le salut de l'autre dans les cas désespérés : un deus non ex machina, mais ex homine. On ne pouvait laisser dans la fable cette débâcle lamentablement historique et le roi-christ n'échappant lui-même qu'à force de jambes. Sans supprimer totalement la cavalerie de Pilatus, on avait remplacé la disparition du jésus par une Assomption en plusieurs tableaux, comprenant la crucifixion et la résurrection, et je serais bien surpris, étant donné le Baptême que Bar-Jehoudda attendait de Jésus, qu'il n'y ait pas eu du feu au début de l'affaire. A part le détail de la cavalerie qu'on n'avouait plus au quatrième siècle, il reste quelque trace de cette Assomption dans Marc où ceux qui veulent arrêter Jésus au Mont des Oliviers ne trouvent devant eux qu'un fantôme enveloppé de voiles blancs. Or, dit Marc, il y avait un jeune homme (un ange) qui suivait Jésus, couvert seulement d'un linceul, et les soldats ayant voulu se saisir de lui, il (Jésus) laissa aller son linceul et s'échappa tout nu de leurs mains.

Dans la christophanie, les soldats juifs ne peuvent voir qu'un blanc fantôme, puisque telle est la couleur des vêtements de Jésus ; mais la forme humaine qui détala devant les soldats romains au Sôrtaba n'était ni blanche ni nue, elle était vêtue du rouge tyrien le plus pur.

Un seul le suivait, dit Mathieu ; les gens du Temple[117] lui mirent la main au collet : il s'échappa ; laissant son manteau entre leurs mains. Les soldats romains n'ont donc eu ici que le vêtement terrestre dont on revêt Jésus dans la fable, celui de Bar-Jehoudda. Quant à son vêtement de lumière, comment ces goym auraient-ils pu le regarder en face ? C'est impossible aux Juifs eux-mêmes !

Ce vêtement, il l'avait apporté avec lui lors de sa descente, il l'avait déposé chez Barbilo la Sangsue et il le lui reprenait pour retourner vers son Père[118], quand il le fallait, s'inquiétant assez peu de laisser en Samarie un jeune homme capable de scandaliser par sa nudité les femmes qui montaient à la Pâque. Car Dieu révèle que ce jeune homme était nu, canoniquement nu, Marc l'affirme. Vous doutez, et toujours parce que je ne suis pas Juif. Voici le texte — admis par le Concile de Trente (même chiffre que les deniers de Judas) : Un seul jeune homme suivait Jésus, vêtu sur le corps d'un voile blanc, et ils s'en emparèrent. Mais, abandonnant son voile blanc, il leur échappa tout nu[119]. Vous sentez bien qu'aucun jeune homme nu n'est resté dans les plaines de Samarie le 11 nisan 788, alarmant la pudeur des vierges. Ce que les premiers scribes disaient très clairement, c'est que de Bar-Jehoudda les goym n'ont eu au Sôrtaba que la dépouille vestimentaire, comme au guol-golta ils n'ont eu qu'une apparence de corps. Partout il leur a échappé, protégé, sauvé, assumé par Jésus.

Mais, en dehors de ces assomptions, Jésus que les fabulistes ont incorporé à Bar-Jehoudda, Jésus qui concentre en lui tous les pouvoirs de la Lumière, Jésus qui est à lui seul les Douze Apôtres et les Trente-six Décans, Jésus qui vient de ressusciter Éléazar, le tout-puissant Jésus ne fera-t-il rien pour le roi-christ en Samarie ? Pas grand'chose, mais puisque les scribes l'ont sous la main, c'est pour qu'il mente.

Son Voyage à travers la Samarie, c'est l'expédition de Bar-Jehoudda transfigurée. Dans Luc seul on ne l'a pas encore assez synoptisé ! — apparaît cette façon de marche funèbre à travers ce pays qui a vu jadis la défaite, la fuite et l'arrestation du roi des Juifs — son enterrement même ! Que la route est triste du Jourdain au guol-golta et que de fois les fils de Salomé demandent à Jésus de dire — on le croira, lui, le Véridique ! — ce qu'il est advenu d'eux au bout de ce voyage ! Ils ont tout quitté, disent-ils, pour le suivre en la Nouvelle Vie, cette Vie millénaire qu'il avait révélée à leur père en son Thème du monde. Et d'abord qu'est-il advenu du jésus, de celui qui les avait armés, entraînés à la libération d'Israël ? Si bien commencée, la conquête du Royaume a si mal fini ! Quelle infraction à tout le programme apocalyptique dans cette prophétie lugubre où Jésus annonce qu'il va, en la personne de Bar-Jehoudda, être livré aux païens, mis à mort et réduit à ressusciter misérablement le troisième jour ! Comment les disciples ne seraient-ils pas grandement contristés de ces paroles au fond desquelles il y a une oraison funèbre par anticipation ? Et nous qui aujourd'hui lisons cela, comment pourrions-nous ne pas remarquer la gène profonde, l'hypocrite et cruel embarras des scribes à ce tournant de leur travail ?

C'est qu'ici il ne s'agit plus de miracles et de thèmes chiffrés, il y a une part de biographie et qui touche à l'histoire juive dans ses rapports avec l'histoire romaine. Comment cacher cela ? Comment faire que seuls les initiés comprennent ? Que Jésus est ennuyé de ce qui lui est finalement advenu sous le nom de Bar-Jehoudda ! Que Pierre est inquiet de ce qu'il a fait sous le nom de Shehimon ! Que les paroles de Jésus au jeune homme riche[120] lui semblent amères, car si donner tout son bien ne suffit pas pour être sauvé, qu'adviendra-t-il de lui qui cette fois-là n'a pas donné sa vie ? La croix ? Oui, la croix. Et de son frère Jacob qu'adviendra-t-il ? La croix aussi ? La croix. Et des disciples que la fable leur a adjoints pour former le chiffre Douze, nécessité par le thème astrologique ? Comment Jésus réconfortera-t-il ces martyrs de l'Apocalypse ? En leur faisant des contes pour enfants, en les berçant d'espoir jusque dans le tombeau : Quand le Fils de l'homme sera assis au trône de sa gloire, vous pareillement assis sur douze trônes, vous jugerez les douze tribus d'Israël. Et quiconque aura quitté, à cause de mon nom, maison, ou frères, ou sœurs, ou père, ou mère, ou femmes, ou enfants, en recevra cent fois autant (quoi donc ! cent femmes ? mais c'est le paradis de Mahomet avant la lettre !) et aura en possession la vie éternelle. Mais beaucoup d'entre les premiers seront les derniers et beaucoup d'entre les derniers seront les premiers.

En fait de plaisirs terrestres, il ne leur en laisse qu'un, celui de la vengeance : champ naturellement vaste et qu'ils ont encore étendu. Il leur est permis, enjoint même de tuer ceux qui ont empêché Bar-Jehoudda de régner. Qu'on amène ces miens ennemis, dit Jésus, ceux qui n'ont pas voulu que je régnasse sur eux (pendant mille ans), et les tuez en ma présence. Ces instructions sanguinaires qui continuaient celles de Bar-Jehoudda, c'est toute l'histoire du christianisme jusqu'à Ménahem, dernier goël-ha-dam de la famille[121].

 

 

 



[1] Il est fils d'Alphée (Aggée, frère de Jehoudda) dans Marc, et publicain. Publicain !

Lévi simplement, dans Luc. On a fait disparaître ce Lévi dans Mathieu et on l'a remplacé par Mathias lui-même que le Quatrième Evangile connaît certainement mais ne cite pas, Mathias n'appartenant point à la même période, à la même génération que les fils de Salomé. Mais comme l'Eglise a mis plus tard un Evangile sous le nom de Mathias, elle a fait de ce scribe, d'ailleurs ancien, un publicain de Kapharnahum. Elle a eu pour but, en lui confiant cet emploi, de le transformer en un des douze témoins oculaires de Jésus, qui, on le sait assez, n'en eut pas un seul, et aussi de faire croire aux dupes de l'Evangile que le Jésus ne pouvait être l'homme qui avait été crucifié, entre autres causes, pour refus de tribut.

[2] Mathieu, XV, 19-29 ; Marc, VII, 24-30.

[3] Aujourd'hui Kérazé.

[4] Aujourd'hui El Djich.

[5] Que pour cette raison Hippolyte de Thèbes appelle Sidonios dans Josephus christianus, (Patrologie grecque, t. CVI, p. 142).

[6] Ce détail n'est que dans Marc.

[7] Canaan, d'après une exploration récente, par le père Hugues Vincent (Paris, 1907, in-8°).

[8] Mathieu, XV, 21-28 ; Marc, VII, 24-30.

[9] Marc, VII.

[10] Plus tard cette allégorie étant trop transparente, on a remplacé la Juive cananéenne par une païenne, une syro-phénicienne. Et voici ce qu'au point de vue moral il résulte de ce changement Maître, fils de David, aie pitié de moi, dit la pauvre femme. Ma fille est misérablement tourmentée d'un démon. Jésus ne lui répond même pas. Les disciples s'approchent : Maître, chasse-la, car elle crie derrière nous. Jésus répond : Je ne suis envoyé que vers les brebis perdues de la maison d'Israël. Mais, s'avançant, elle se prosterne devant lui en disant : Maître, aide-moi. Alors Jésus : Il n'est pas bon de prendre le pain des enfants (de Dieu) pour le jeter aux petits chiens. Mais la malheureuse avec plus d'esprit qu'il n'a d'humanité : Oui, maître, reprend-elle, toutefois les petits chiens mangent des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres ! Flatté dans son orgueil grand et décontenancé par tant d'à-propos, Jésus répond : Ô femme, grande est ta foi ; qu'il te soit fait comme tu désires. Et la fille de la pauvre femme fut guérie à l'instant même. Ces traits révoltants et d'un égoïsme pire que la barbarie sont fréquents dans l'Evangile. Pauvre païenne de Syrie, ce n'est point parce que tu as besoin qu'on te donne — après tant de quérimonies ! — c'est parce que tu as foi dans ce monstre. Quelle honte ! Je n'ai jamais pu lire ce passage sans que l'indignation gagne mon cœur, et j'espère pour l'espèce humaine qu'il ne se trouve rien de pareil dans aucune littérature.

[11] Dans les Actes des Apôtres cet Ananias est censé avoir baptisé Saül !

[12] Impossible de savoir ce que sont Dalmanutha (Damanutha ?) et Magada que le prétendant visite avant de rentrer en Bathanée.

[13] L'allégorie du Juif décapolitain n'est que dans Marc, VII.

[14] Il y a : Effathah dans le texte, ce qui, d'après M. Ledrain, est une faute de copiste.

[15] Il est devenu impossible de savoir si c'est à Bathanea même, dans le vieux bourg, en en Bathanée, à Bethara par exemple ou même à Bethsaïda, ancienne capitale de Philippe, que Bar-Jehoudda s'est fait roi.

[16] Dans Mathieu on met la scène chez Simon le Lépreux, personnage conventionnel en qui se perd Eléazar.

[17] Exode, chap. XXX, versets 22-38.

[18] Rappelons que Zachû est le nom chaldéen du Verseau et le radical de Zachùri, un des surnoms évangéliques du grand Jehoudda.

[19] Il y est dit de Maria, belle-sœur d'Eléazar : C'est la même Maria qui oignit le Rabbi de myrrhe et lui essuya les pieds avec ses cheveux (XI, 1). Et un peu plus loin : Prenant une livre de nard pur d'un grand prix, Maria en oignit les pieds de Jésus, puis les essuya de ses cheveux (XII, 3).

[20] Ceux du Quatrième Evangile et de Marc. Mathieu atténue un peu la couleur, mais la fait toujours rouge. Luc la maintient splendide, éclatante, mais n'en spécifie pas le ton, ce qui a permis à l'Eglise d'insinuer quelle était candida, de la couleur de l'innocence.

[21] Josèphe est formel sur ce point, et c'est une indication précieuse en ce qui touche les vestimenta davidiques de Bar-Jehoudda.

[22] Dans le Quatrième Evangile. Au chapitre XI, verset 2, on parle du sacre comme d'un fait acquis avant la Résurrection d'Eléazar, et on trouve le récit qu'au chapitre XIII, après ladite Résurrection.

[23] Signe de l'exaltation héliaque ou solstice d'été. Nous expliquerons l'allégorie tout astrologique du Christ à tête d'âne dans les chapitres consacrés à l'Evangile considéré au point de vue mythographique.

[24] Marc, XII, 35-38.

[25] Nous avons cité plus haut l'opinion du Talmud sur ce point.

[26] Mathieu, XXII, 41 et suiv.

Même version, moins franche, dans Luc, XX, 41-44.

[27] Ce qui d'ailleurs est vrai dans le système de Jehoudda.

[28] Actes des Apôtres, I, 18, 19.

[29] Quatrième Evangile, VI, 15 : Ayant connu qu'ils devaient venir pour l'enlever et le faire roi. Il s'enfuit de nouveau sur la montagne tout seul.

[30] Dans Luc le sacre a disparu pour faire place, tout au commencement de la prédication évangélique, à une vague scène de parfums où l'on voit une femme de mauvaise vie entrer chez un certain Simon pour obtenir son pardon de Jésus. Cette femme, c'est la Judée elle-même.

[31] Il suffit pour saisir l'économie de la fiction évangélique de se rappeler que,  faute d'être venu le 15 nisan 789 avec les Douze Apôtres de l'Apocalypse, Jésus est remplacé dans cette fiction par le Joannès-jésus et onze autres Juifs qui ont joué un rôle dans l'histoire zélote antérieure à la chute de Jérusalem en 823.

[32] Le mois du 15 février-15 mars.

[33] Le sicle valait quatre deniers romains.

[34] Le mois du 15 mars-15 avril.

[35] Un tout petit peu plus.

Le mois selon le Temple était de vingt-neuf jours, douze heures, quarante quatre minutes, trois secondes.

[36] La Multiplication des Pains et les Noces de Cana sont des allégories millénaristes qui ne tiennent en rien à l'histoire de Bar-Jehoudda. Nous les avons réservées pour le volume consacré à la fabrication de la christophanie.

[37] Rien ne fait mieux sentir le caractère mathématique de la christophanie de Jésus. Arrêté le 13, Bar-Jehoudda est en croix depuis le 14.

[38] Luc, XIX, 14.

[39] Capitale du roi Arétas, l'ancien beau-père d'Antipas.

[40] Luc, XXIII, 2.

[41] Pistis Sophia, œuvre valentinienne, trad. Amélineau (Paris, 1895, in-8°, p. 151).

[42] Mathieu, XVII, 26.

[43] Luc, XXIV, 21.

[44] Nous y viendrons, quand nous aurons épuisé l'histoire de ses frères.

[45] Latrocinia fecit. Lactance (Institutions divines, livre V, 3) d'après les sources non ecclésiastiques.

[46] Gemara de Babylone (Traité Ketuvot), ainsi traduit : Fuit latro et cepit urbes, regnavitque super eas et factus est princeps latronum.

[47] Dans cette légende, qui semble du quatrième siècle, l'Apocalypse cesse d'appartenir au Joannès du Jourdain : on la donne à ce Jean de Pathmos, que personne n'a jamais vu.

[48] Anticelse, livre I, ch. LXII. Les expressions dont se servait Celse ont certainement été atténuées par l'homme d'église qui lui a répondu, et les faits qui les justifiaient ont été enlevés.

[49] Lettre de Barnabé longtemps admise dans le canon par certaines Eglises. Fausse, mais ancienne.

[50] J'en passe, que le lecteur le sache bien ! Nous reviendrons sur ces terribles témoignages quand nous dresserons le bilan de l'apostolat et nous les compléterons.

[51] Remarquez le parti pris d'exagération qui, en dehors des mensonges qualifiés, inspire tout l'Evangile. Neuf cents individus, que l'espoir du pillage a groupés, sont transformés en une quasi-unanimité populaire.

[52] Aucun Evangile, sauf le Quatrième, n'avoue que cette condamnation fut prononcée pendant que Bar-Jehoudda était encore au-delà du Jourdain. Cet Evangile est absolument conforme à la tradition talmudique.

[53] Mathieu, XVII, 12. On voit qu'il n'est pas encore question de sa Condamnation par Antipas à la requête d'Hérodiade et de Salomé, ni de sa mort par décapitation. Son procès est instruit régulièrement par le Temple.

[54] Notamment Actes des Apôtres, V, 34.

[55] Fait et condamnation reconnus par le Quatrième Evangile seulement.

[56] Ils sont conséquents avec leur mensonge, puisque selon eux Bar-Jehoudda n'est condamné que trois jours avant la pâque. De plus ils ne peuvent pas avouer qu'Eléazar a été ressuscité quelques semaines avant lui.

Le propos en question a été introduit dans le Quatrième Évangile où il détonne furieusement, car cet écrit est le seul qui fasse mention de la condamnation, de la mort et de la résurrection d'Eléazar.

[57] Contra Celsum, l. II, n° 9.

[58] Talmud de Babylone. Détail vrai perdu au milieu de détails artificiel provenant des Evangiles eux-mêmes. C'est ainsi que, renchérissant sur ces fables, le Talmud dira que le Nazir de 788 n'a été condamné que sur le témoignage de deux hommes embauchés par les juges.

Il dira que le Sanhédrin a fait afficher sa condamnation pendant quarante jours (ce qui est vrai), invitant tous ceux qui pouvaient justifier le condamné à venir déposer en sa faveur. (Comment ! après sa condamnation ?) Le prophète n'a pas été crucifié (légende de Simon de Cyrène transportée dans ces écrits au cinquième siècle) mais lapiné (fait vrai de son jeune frère Jacob et partiellement de lui-même), pas pendu (ce qui est vrai, en ajoutant : à la croix). Enfin ce n'est pas comme coupable envers les Romains mais envers la religion que les Juifs l'ont menée à, Pilatus (théorie de l'Evangile le plus moderne). Ce n'est pas pour avoir conspiré contre Tibère, mais pour avoir trahi Moïse (un concile du sixième siècle n'en dirait pas plus).

[59] Luc, VI, 1-6.

[60] Cette année est dite le Sabbat second-premier, elle serait mieux dite le premier-second, et mieux encore le premier du second, la proto-jubilaire, première de la double année 788-789. Bar-Jehoudda était né dans un jour du Sabbat premier-second 739-740.

On a supprimé cette indication révélatrice dans Mathieu et dans Marc. Le Quatrième Evangile supprime la scène tout entière. C'était, dit à propos de l'expression second-premier, la Sacrée Congrégation de l'Index, le premier sabbat après le second jour de la pâque. Il serait bon vraiment qu'elle s'expliquât sur cette façon de compter. Les Juifs auraient-ils connu le premier sabbat après le premier jour de la pâque, le second sabbat après le second jour de la pâque, le troisième sabbat après le troisième jour de la pâque, et ainsi de suite jusqu'au septième jour ? Cela pourrait aller jusqu'au septième sabbat ; mais ce que nous serions curieux de savoir, c'est comment ils auraient compté à partir du huitième sabbat.

[61] C'est un paisible promeneur.

[62] II, 23-28.

[63] Ils marchaient. A quelle vitesse et où allaient-ils ?

[64] Le fait est exact (Rois, XXI, 2 et suiv.), mais il s'est passé sous Abimelech, père d'Abiathar, et non sous Abiathar lui-même.

[65] Mathieu, XII, 1-7.

[66] C'est le nom du chef qu'Hérode avait fait venir en Bathanée.

[67] Toutes expressions prises aux Actes des Apôtres, VIII et IX.

[68] Quatrième Evangile, XVIII, 10.

Saül n'était point proprement Amalécite, mais il ne s'en fallait pas de beaucoup. Les Amalécites étaient cette race maudite qui avait attaqué Israël au désert (Exode, XVII, 6-16). Aucun nom ne convenait mieux à Saül. C'est de ce chapitre XVII qu'est venu le nom baptismal de Shehimon, la Pierre d'Horeb, plus tard la Pierre tout court. De l'Exode était venu également le nom de Maria la Magdaléenne, plus tard Maria tout court, donné par les évangélistes à Salomé. Allez jusqu'à la Pierre d'Horeb, dit le Seigneur à Moïse, je me trouverai là moi-même présent devant vous, vous frapperez la pierre, et il en sortira de l'eau afin que le peuple ait à boire. (Exode, XVII, 5, 6.) Shehimon est la Pierre qui avait été frappée par le nouveau Moïse, son père, au nom de Iahvé ; et il en sortit de l'eau pour le salut du Peuple, moins peut-être qu'il n'en sortait du Jésus par droit d'aînesse et de naziréat, mais enfin en quantité notable. Moïse vainquit les Amalécites en faisant le signe de la croix avec ses mains étendues pendant toute la bataille, soutenu à droite par Aaron, à gauche par Hur. La malédiction des Amalécites par Iahvé termine ce même chapitre de l'Exode : J'effacerai la mémoire d'Amalec de dessous le ciel (V, 14). Sur quoi Moïse dit : Le Seigneur est ma gloire, car la main du Seigneur s'élèvera de son trône contre Amalec et le Seigneur lui fera la guerre dans la suite de toutes les générations (V, 16). L'allégorie de Jésus remettant l'oreille droite de Saül Amalec avec la main vient de ce verset, et c'est une allusion manifeste à la rencontre de Shehimon et de Saül au Jourdain, peut-être aussi le besoin de faire l'oubli sur ces vieilles choses, avant la conversion de Saül en Paulos, laborieusement opérée par les auteurs des Lettres de Paulos et des Actes des Apôtres.

[69] Le Quatrième, XVIII, 10 et 26.

[70] Deuxième aux Corinthiens, XII, 1-9.

[71] C'est une chose remarquable que seul l'auteur du Quatrième Evangile relate le coup de sique de Shehimon comme ayant été envoyé à (Saül) Amalec, et que seul Luc (XXII, 51) parle de l'oreille d'Amalec comme ayant été remise à sa place par Jésus. Il semble qu'à un moment donné on ait voulu faire le silence sur cette marque in aure de l'hostilité de Saül et des apôtres, et que n'y pouvant parvenir, à cause de ce vilain hérétique de Cérinthe, on ait chargé Jésus de guérir cette plaie.

[72] Toutes expressions prises aux Actes des Apôtres, VIII et IX.

[73] A la fois dans les Lettres pauliniennes et dans les Actes, sans jamais pouvoir se mettre d'accord avec elle-même.

[74] Quatrième Evangile seulement, XI, 16.

[75] Il y a mon frère. C'est la consigne depuis Jehoudda.

[76] Thamar tend un piège dogmatique à son frère, mais celui-ci n'y tombe pas. Thamar parle du Jugement dernier qui doit venir après les mille ans ; son frère, du Jugement d'attente qui doit être rendu au commencement du Cycle du Zib.

[77] Il y a mon frère, bien entendu. La grande ombre de Jehoudda ordonne.

[78] La résurrection d'Eléazar est la troisième des Evangiles, la cinquième en y comprenant celles de l'Apocalypse. Jésus a déjà ressuscité Jehoudda, Zadoc, la fille de Jaïr et Jacob junior. C'est à tort que dans le Charpentier, nous avons donné le n° 1 à Bar-Jehoudda, il n'a que le n° 6. Avouons nos fautes afin qu'elles nous soient pardonnées.

[79] Ce n'est pas la foi d'Eléazar, c'est celle de sa femme qui le ressuscite. De sa vie, s'il eut été nazir, Jésus ne se fût approché d'un cadavre. Or, non seulement il est toujours fourré auprès des morts pour les ressusciter, mais encore, au mépris de la loi sur le naziréat, les habitants viennent constamment le chercher pour faire son office de ressusciteur.

[80] Et au Jugement de première instance, tel que l'entend l'Apocalypse, c'est-à-dire précédant de mille ans le Jugement dernier. Eléazar est de ceux qui devaient vivre et vivront mille ans avec Jésus en attendant le Père.

[81] La mort d'Eléazar par suite de blessures est certaine. Jamais Jésus ne l'aurait ressuscité sans cela. C'est l'opinion des christiens que vise Tacite lorsqu'il dit des Juifs : Ils croient que ceux qui meurent dans les combats sont immortels. Et Lucien dans Pérégrinus : Ils se croient immortels.

[82] L'origine héliaque de cette croyance (le soleil créé le quatrième jour) n'est pas douteuse. La résurrection de Jehoudda et de Zadoc dans l'Apocalypse, celle d'Eléazar et du roi-christ dans l'Evangile e sont quatre exemples fameux.

[83] Expression empruntée aux Actes des Apôtres (I, 2 et 22) et qui n a nullement trait à l'Ascension de Jésus, puisque dans cet écrit Jésus remonte au ciel par sa propre puissance comme il en est descendu, et cela quarante jours après l'Assomption du Joannès-jésus.

[84] Luc, IX, 50.

[85] Il y a dans quelques versions soixante-dix, c'est une leçon fautive, à moins que le scribe n'ait fait son calcul sur l'année de 350 jours.

[86] Au-dessus du cours des planètes représentées dans l'Evangile primitif par les sept fils de Salomé, les Chaldéens plaçaient trente-six astres appelés les Conseillers ou Messagers — dans l'Evangile les Disciples, ce qui est plus juste. Ces messagers inspectent à la fois tout ce qui se passe parmi les hommes et dans le ciel. Tous les dix jours, dans un invariable mouvement, l'un d'eux est envoyé des régions supérieures dans les inférieures, tandis que l'autre est envoyé des régions inférieures dans les supérieures (Diodore de Sicile, II, 30.) Et en effet les Chaldéens dans leur système d'astronomie chronométrique disaient que Dieu, après avoir distribué l'année en douze mois, avait fixé à chacun d'eux trois étoiles formant décade. L'empereur Julien connaissait parfaitement cette disposition, il en parle dans son discours sur le Roi Soleil.

[87] Jésus répondit : N'y a-t-il pas douze heures au jour ? Si quelqu'un marche pendant le jour, il ne se heurte point, parce qu'il voit la lumière de ce monde, mais s'il marche pendant la nuit (les douze autres heures) il se heurte, parce qu'il n'a point la lumière. (Quatrième Évangile, XI, 9, 10.) Jésus n'ajoute pas : Moi, je ne me heurte jamais, ni de jour ni de nuit, parce que je suis la lumière, c'est inutile, Cérinthe l'a dit au commencement de son écrit : Toutes choses ont été faites par lui... En lui était la lumière des hommes... Et la lumière luit dans les ténèbres... Joannès n'était pas la lumière, mais il devait rendre témoignage à la lumière... Celui-là (qui a fait toutes choses) était la vraie lumière, qui illumine tout homme venant en ce monde. (I, 3, 4, 5, 8, 9.)

[88] Pour l'authenticité, les instructions qu'il donne aux soixante-douze disciples valent celles qu'il donne aux douze apôtres. Celle-ci : Mangez de ce qui sera devant vous n'est point antérieure à la fin du troisième siècle. La question des viandes n'était point encor tranchée à la fin du second.

[89] Luc, IX, 50.

[90] Les Rois, IV, 10-12.

[91] Luc, IX, 53. C'est le bourg du Sôrtaba.

[92] C'est, je pense, l'origine de l'interpolation de Tacite relative à Jésus-Christ.

[93] Josèphe, Antiquités judaïques, l. IV, ch. VIII, 119.

[94] Josèphe, Antiquités judaïques, l. XVIII, ch. V, 775.

[95] Dans Luc seul, XIII, 1.

[96] Insistons sur cette expression qui s'applique et par définition ne peut s'appliquer qu'à Bar-Jehoudda progressivement enlevé par Jésus de la vue des disciples, comme le disent très bien les Actes des Apôtres.

[97] Josèphe lui donne son nom grec, et traduit Çôr, nom hébreu, par Tyr, comme on l'a fait pour la ville de Tyr et pour le château-fort de Tyros (au-delà du Jourdain), qu'on appelle encore aujourd'hui Soùr et Sir. Dans certaines édition (Dindorff), on lit : Tyritana. Le Talrnud l'appelle Sôrtabé ou Sôrtaba (d'où le grec Tyrataba dans Josèphe) ; les Musulmans disent Surtubeh. M. Schwab, dans sa traduction du Talmud, dit : Sartaba par le changement de l'ô en a non moins fréquent que celui de l'i en ô et ensuite en a : témoin le mot nazaréen orthographié nazôréen dans Epiphane, alors qu'il vient de nazir.

[98] Rois, l. IV, CXI, 6.

[99] Asmonéenne aussi, et dans laquelle on croit trouver l'Alexandréion construit par Alexandre Jannée.

[100] Affectation constatée par le Talmud.

[101] Lestès, brigand. C'est ainsi que Celse l'appelle.

[102] Quatrième Evangile, VII, 47, 48.

[103] Il n'y a encore qu'un Joannès à ce moment de l'imposture ecclésiastique (troisième ou quatrième siècle). Le prétendu Jochanan, évangéliste, n'existe pas encore pour les scribes. En dehors du Joannès-jésus, on ne cite que Jochanan-Marcos, son neveu, sans doute fils de Shehimon.

[104] Actes des Apôtres.

[105] Luc, XIII.

[106] Quatrième Évangile.

[107] Dans Luc surtout.

[108] Celse le platonicien, qu'il ne faut pas confondre avec Celse l'épicurien, est du quatrième siècle. L'écrit du rabbin sur lequel il s'appuie et qui naturellement a disparu, avec Celse lui-même, est antérieur à l'écrit du platonicien.

[109] L'Eglise n'a rien laissé intact de ce qui touche à l'imposture évangélique.

[110] Les Juifs instruits connaissaient donc l'identité du Joannès de l'Apocalypse et du baptiseur jésus.

[111] Apologie ou plaidoyer prononcé devant Maximus pour repousser l'accusation de judéo-millénarisme portée contre lui sur de fausses apparences.

[112] Octavius ou De Vera religione, dialogue célèbre entre un païen et un chrestien qui date du troisième siècle et où sont rapportées, le plus souvent avec exactitude, les abominables mœurs des christiens Juifs, particulièrement ceux de la secte nicolaïte. (Octavius, p. 25 et 93 de l'édition donnée par messire Du Mas, sieur de la Gauterie, chanoine et doyen de l'Eglise cathédrale d'Alet, Paris, 1637, in-4°.)

[113] Je dis chrestienne et non christienne.

[114] Anticelse, III, 61.

[115] Celui d'Ananias et de sa femme, simple échantillon de la manière.

[116] Tertullien, Contra Marcionem. Tertullien est mort dans la première moitié du troisième siècle.

[117] Les soldats romains sont partout remplacés par les gens du Temple.

[118] Vous ferez la connaissance de Barbilo la Sangsue lorsque nous examinerons les éléments de la christophanie selon les Valentiniens.

[119] Marc, XIV, 51-52. J'ai traduit τήν σιηδόνα par un léger voile blanc et je crois bien faire. D'autres proposent chemise, mais cela parait inexact et peu décent. Le vêtement spirituel qui enveloppe Bar-Jehoudda est emprunte aux théories christiennes d'Egypte, avec cette différence que pour les Egyptiens ce double céleste s'applique à l'âme seule, tandis qu'ici, selon la règle juive, il s'applique au corps.

[120] Dans Mathieu et dans Marc les scribes ont eu veut de la distinction que les Chrestiens opposèrent au Christos juif : Bon Maître, dit le jeune homme riche, que ferai-je pour posséder la vie éternelle ?Pourquoi, dit Jésus, m'appelles-tu Bon (Chrèstos) ? Il n'y de Chrèstos que Dieu seul. Réplique datée en quelque sorte par l'intention des scribes, c'est-à-dire postérieure de plusieurs siècles aux temps apostoliques et antérieure à ceux où Bar-Jehoudda fut fait consubstantiel au Père par l'Eglise.

[121] Vengeur du sang.