LE MENSONGE CHRÉTIEN - (JÉSUS-CHRIST N'A PAS EXISTÉ)

 

TOME I. — LE CHARPENTIER

I. — LE SONGE DE JOSEPH.

 

 

I. — LES JUIFS.

 

De toutes les entreprises dirigées contre Dieu, il n'en est pas de plus odieuse et de plus ridicule que la prétention des Juifs à le représenter sur terre.

Un seul Dieu, le nôtre ; un seul temple, le nôtre ; un seul peuple, le nôtre, voilà toute la religion des Juifs. On s'explique qu'avec une telle foi, exclusive de tout le reste de l'humanité, les Juifs n'aient jamais pu trouver le chemin du cœur, et que, pour les admettre dans la grande famille sociale, on ait été si souvent obligé d'en appeler de l'instinct à la raison, et du préjugé à la justice.

Dieu a fait la terre pour les hommes, et comme elle est toute petite en comparaison de lui, ils se sont rencontrés dès les premiers jours. Pour des sauvages, se rencontrer, c'est se battre. Pour les gens civilisés, se battre, c'est se fondre. Les nations se forment de peuplades fatiguées d'être tribus, de tribus lasses d*être familles. Emportées par un mouvement dont nous ne percevons que les effets, elles capitulent selon la loi du plus fort, les unes s'affaiblissant par la victoire, les autres se fortifiant par la défaite, car il n'est pas de règle en ces hautes matières. Entre tous les peuples anciens dont l'histoire nous intéresse ou nous éblouit, un seul nous inquiète et nous étonne : c'est le juif. Le mystère de ses origines est pour peu dans le sentiment de curiosité qu'il nous cause. Il n'importe qu'il vienne de Crète, de l'Inde, de la feue Atlantide ou de plus loin encore. Ce qui nous frappe, absolument comme dans un animal, c'est la faculté qu'il a de se hérisser, de se mettre en boule, et de rouler toujours sans s'user jamais. Avec cela, un pouvoir inouï de résistance et d'envahissement ; c'est là dureté du kyste combinée avec l'avidité du cancer. Presque toujours vaincus sauf quand ils combattent contre eux-mêmes, esclaves ou maîtres, le plus souvent parasites, quelquefois exportés tout entiers comme une cargaison de chair et d'os, ruinés chez eux, ruinant les autres, en quelque état que la fortune les ait mis, les Juifs font carrière dans l'exil et fortune dans la misère. On les opprime, on ne les comprime pas. On les écrase, on ne les détruit pas ; on les humilie, on ne les abaisse pas ; même quand on les dépouille, on ne les appauvrit pas.

Et ce serait un spectacle étrangement beau que l'histoire des Juifs, si l'on y pouvait découvrir une seule page je ne dirai pas d'amour, mais de considération pour les autres hommes. Ils ont répandu autour d'eux une telle semence de haine que cette semence germe encore après trente siècles écoulés.

Les Grecs sont les premiers qui aient essayé de les réduire autrement que par les armes. Toutefois il leur fallut longtemps pour monter jusqu'à la Ville Sainte où était l'âme des Juifs, enfermée dans le Temple et dans la Loi. On les vit d'abord dans les colonies d'Alexandre comme Pella, Mygdonie, Piérie, Gérasa, Dium, mais la Galilée leur resta close. Lorsque la domination de Rome se fît sentir dans l'Orient, l'influence grecque diminua politiquement, mais elle avait déjà pénétré la langue, malgré la réaction des synagogues. Un peu delà pensée hellénique, plus claire, plus douce,, se glissait dans ces têtes aussi dures que la dure assiette du Temple. Il y eut d'heureux scandales : un grand prêtre helléniste ; un autre encore ; une citadelle grecque en face de Sion, avec Jupiter Olympien dans le temple ; puis, malgré les Macchabées, des monnaies judéo-grecques, et, malgré le vieux parti pharisien, une certaine détente d'idées et de mœurs, la joie du boire, du manger et du reste montrant le nez dans des livres à demi sacrés comme l'Ecclésiaste. Lorsque la traduction en grec des livres dits saints fut décidée, il se trouva dans chaque tribu six hommes sachant assez la langue pour faire ce travail difficile. Le courant était devenu assez fort, un siècle avant Tibère, pour donner la couleur hellène à une société religieuse d'origine juive, celle des Esséniens. Il semble qu'on y ait enseigné le grec, puisque l'historien Josèphe fut leur disciple pendant trois ans et qu'il les quitta parlant cette langue et l'écrivant comme la maternelle. Semblables pour les mœurs aux caloyers des Iles ioniennes, les Esséniens avaient mis la mer Morte entre Jérusalem et eux, vivant du travail commun dans une commune discipline, pacifique confrérie d'environ quatre mille individus dont on ne soupçonnerait même pas l'existence si deux Juifs hellènes, Josèphe et Philon, et Pline, Romain trempé d'hellénisme, ne nous en avaient curieusement parlé : Josèphe, avec une certaine reconnaissance[1]. Les Juifs d'Egypte, les Alexandrins surtout, sans cesser d'être Juifs étaient moins farouches que ceux de Jérusalem. Ceux-ci, par contre, s'étaient rejetés au fond du pharisaïsme, prétendant détenir le secret des textes hébreux, revendiquant le monopole des interprétations vraies, s'indignant au dedans d'eux-mêmes que ceux d'Alexandrie s'ingérassent d'en discuter, de les révéler dans une langue impie. Sans doute, lorsque les Juifs d'Alexandrie venaient au Temple adorer le vrai Dieu, les mains pleines de présents, ils étaient accueillis comme des frères, mais comme des cadets qui ne doivent parler qu,après les aînés, et plus bas, à la table de famille.

 

II. — L'ESPÉRANCE D'ISRAËL.

 

Je n'ai point à chercher si l'exécration encourue par les Juifs — c'est le mot d'Isaïe — a des causes ethniques[2]. Mais j'ai à chercher si elle en a de religieuses, et j'en trouve une qui rentre dans mon sujet, car elle appartient à l'histoire : c'est l'idée de la prédestination des Juifs à gouverner le monde. Cette idée se traduit au dehors et au dedans par cette formule très simple : Dieu nous a faits maîtres des hommes, et il le prouvera un jour par son Christ.

L'idée christienne a varié avec les temps. Elle a été plus ou moins aiguë, plus ou moins lancinante : pour quelques-uns, minorité infime, ère de réparation, mais tellement sûre que les païens eux-mêmes y sont tolérés après circoncision ; pour la plupart, ère vengeresse où le Juif tient tous les autres hommes sous le talon. La personne du Christ est souvent absente ; Dieu n'a pas besoin de Messie, il fait ses affaires lui-même. Seul son Jugement est certain, jugement fait d'avance, dicté par les prophètes et tout entier en faveur des Juifs, à part quelques apostats et quelques impies équitablement précipités dans l'enfer. Petit à petit, l'idée prend corps dans un envoyé de Dieu qui détient pour plus ou moins de temps, avec des attributions plus ou moins étendues, une parcelle du pouvoir divin, puis grandit dans les imaginations surchauffées, occupe toute la terre et tout le ciel, cachant un peu Iahvé par sa stature colossale. Tout Juif portait en lui l'idée christienne comme en vase clos. Au point où elle était sous Auguste, il ne restait plus qu'à régler protocolairement la réception du Messie in persona et specie. Il était d'autant plus -attendu qu'il était nécessaire.

 

Qu'un Messie dût venir, pas un Juif n'en doutait. Mais sous quelle forme, avec quels pouvoirs, à quelle époque et pour combien de temps ? Autant de questions sur lesquelles on se divisait. Et comme toujours on revenait aux prophètes, divisés eux-mêmes sur son rôle et sur sa personne.

Une fois venu, que fera-t-il ? Sera-t-il le Christ-Epée, le grand Messie régnant sur le monde enjuivé ? Sera-t-il un peu moins : le Messie pratique qui commence par libérer le territoire, quitte à aviser ensuite ? Sera-t-il le Messie-Juge (partial, bien entendu) qu'a entrevu le Psalmiste ? Voilà sur quoi les Juifs pouvaient différer d'opinion selon leur tempérament ou leur éducation. Ce qu'il importe de savoir, c'est si, avant la confection du Jésus des Evangiles, ils avaient entrevu le Christ-Martyr, contraire à toutes leurs Ecritures, voire celles d'Isaïe, à toutes leurs espérances, à la définition même du Messie. Nulle part ce pis-aller n'eût été plus déplacé que parmi les Galiléens, chez qui s'incarnait l'idée d'intransigeance patriotique. Là il eût été non -seulement anormal, mais impie, injurieux. Un Messie-Martyr eût été un monstre, une Bête comme aucune Apocalypse n'en avait entrevu dans ses cauchemars les plus effroyables. Car, dans leur soif de puissance encore plus que de liberté, les Juifs étaient allés jusqu'à donner le nom de messie à un païen qui les avait servis. Dans Isaïe Iahvé appellera Cyrus son soldat et son christ, bien que Cyrus s'incline devant d'autres dieux ; mais il a obligé les fils d'Israël, il les a renvoyés dans leur maison, cela suffit : Je te ceins, dit Iahvé, alors même que tu m'ignores ! Un Juif hardi pouvait donc réclamer pour lui, fils d'Israël ou de Juda, le nom que Iahvé avait donné à un païen par la bouche d'Isaïe, mais ce nom une fois pris, il fallait le mener à la victoire.

 

C'est surtout pendant les occupations étrangères, les captivités, les servitudes que le christianisme s'exaspère. Lorsqu'avec Pompée, Rome s'établit sur la terre juive, la Louve fut une Bête nouvelle — la Bête de l'Apocalypse — dont les Juifs firent le tour avec une curiosité indignée. Les Écritures l'avaient prévue et annoncée, cette Bête vomie par l'Occident, mais il y a des choses qu'on ne croit qu'en les voyant. Toutes les autres Bêtes étaient venues d'Assyrie, de Macédoine ou d'Egypte : on était habitué à leur poil et à leur cri, mais là vraiment, Bête nouvelle, Bête hérissée de crocs, de griffes, armée d'une gueule d'où sortait un bruit atroce, la langue des tribuns, des centurions et des aquilifères. Dans l'arsenal des docteurs et des scribes, aucun christ capable de lutter contre cette Bête-là, contre ce Dragon de pourpre et de fer dont la queue s'appuyait sur la pointe des îles britanniques.

 

Des trois sectes qui se partageaient la Judée, deux sont avant tout des partis politiques. Nous défalquons les Esséniens qui, vivant reclus, peu nombreux en somme et plus vénérés que puissants, goûtent, au milieu des pires tourmentes juives, les douceurs de la vie agreste et de la retraite volontaire. Les Saducéens sont un clan de grandes familles, une caste plutôt qu'une secte. Tout leur est bon, le grec et le romain, pourvu qu'ils soient aux places, et que, faisant le sanhédrin, ils le gouvernent. Juifs d'abord, cela est évident, mais de sentiment patricien, étrangers au peuple et cherchant secours n'importe où pour posséder, conserver et conduire. Les Romains trouvèrent en eux des hommes tout prêts à partager les profits et à contenir par en haut ces bourgeois de Pharisiens qui d'en bas, appuyés sur la masse, montaient à Tassant des charges et gagnaient chaque année quelques échelons. Certains de ces Pharisiens, plongeant dans le peuple par les racines, avaient fini par se nouer avec lui, épousant ses haines, compatissant à ses misères, s'enfonçant en terre juive profondément pour y pomper quelque sève inconnue. Les Pharisiens, qui professaient l'idéal patriotique de toute la nation, se fussent contentés d'un messie davidique, d'un descendant quelconque de ce Napoléon juif à qui Iahvé avait fait de si magnifiques promesses. Un héros guerrier qui ne pactisât point avec Rome eût suffi à toutes leurs ambitions, et même ils lui eussent pardonné quelques-uns des vices d'Hérode pourvu que sa filiation fût régulièrement établie. Voilà le messie qu'attendaient la plupart des Juifs : messie capable de plusieurs choses réservées à Iahvé. Le Dieu des Juifs n'avait certainement pas son compte dans ce messie-là, mais les Pharisiens y eussent trouvé le leur. Ils n'en entrevoyaient pas d'autre qui pût leur rendre le gouvernement du Temple passé aux Saducéens.

Que d'horribles visions Rome avait réveillées ! Le Temple pillé sous Antiochus Epiphane, les sacrifices abolis pendant plus de trois ans, la circoncision défendue, et, chose pire que tout, la plus impure des bêtes, le pourceau sacrifié sur l'autel au lieu de l'agneau sans tache ; un second Temple bâti dans Héliopolis, comme s'il y avait deux Iahvé, deux peuples juifs ! Jérusalem assiégée de nouveau sous Hircan, cet Hircan obligé de violer la tombe de David qui contenait trois mille talents pour en donner trois cents à Antiochus, et achetant le salut de la ville au prix d'un sacrilège ; Pompée emportant le Temple d'assaut, les sacrificateurs immolés en vaquant aux choses saintes ; les barbares pénétrant dans le Saint des Saints, violant Dieu ; le chandelier, les lampes, la table d'or, les vaisseaux d'or pour les encensements, les parfums, le trésor sacré, souillés par leurs regards profanes ; tout l'or du Temple, avec les deux mille talents que Pompée n'aVait pas pris, enlevé par Crassus ; Jérusalem assiégée de nouveau par Félix, puis par Antigone, prétendant assisté des barbares, et cette fois, la bataille livrée en plein marché, le camp ennemi posé en plein Temple, la ville occupée par les Parthes ! Pour comble de misère, Jérusalem assiégée par Hérode pendant cinq mois avec l'appui des Romains ; le roi de Judée obligé de conquérir sa capitale sur d'autres Juifs, puis de défendre le Temple contre l'indiscrète badauderie des troupes romaines associées à sa victoire ! Enfin ne suffisait-il pas d'avoir des yeux pour comprendre qu'Hérode, le dernier roi qui méritât ce titre, n'avait pu constituer son royaume que par la grâce d'Auguste succédant à celle d'Antoine ? La Judée ne se survivait à elle-même que par la pitié des Romains.

 

III. — LE REFUGE DU FANATISME.

 

Blessé par ces spectacles offensants, le fanatisme s'était réfugié soit en Galilée, la vieille Terre promise, la terre de lait et de miel, la terre de vin et d'huile, le Jardin et le Grenier de la Judée, soit dans les districts forestiers de TransJordanie.

Vaillants, batailleurs même, ici bateliers habiles, là rudes bûcherons, les Galiléens étaient bien près de considérer le Carmel, qui avait été à eux avant d'être aux Tyriens, et le Basan, le Basan surtout, comme leurs montagnes saintes, rivales du Garizim samaritain et de Sion. Supportant mal les limites que la politique leur avait assignées, ils aimaient à franchir celles que la nature leur dessinait entre la Phénicie qui leur cachait la mer, les montagnes qui leur barraient la Syrie, le Grand Champ qui les séparait de la Samarie, le lac de Génézareth et le Jourdain qui les baignaient à l'orient. L'idée messianique flambait en Galilée, l'attaque et la fuite étant plus faciles à cause de la montagne au nord, et du désert à l'est. Jamais de révolte au sud, serré entre les légions de Césarée et celles d'Egypte, point de refuge dans les villes du littoral toutes grecques ou toutes phéniciennes et qui avaient l'horreur du Juif ; l'émeute gronde toujours dans le pays adossé aux cavernes et aux forêts du Liban, et qui s'ouvre à l'Orient sur l'immensité du désert. Le bûcheron avec sa cognée, le pêcheur avec sa rame, le moissonneur avec sa faux, voilà les soldats de l'idée ; leur cœur se soulève quand une cuirasse romaine fait une lueur de cuivre sur le fond vert des oliviers. La grande voie qui monte vers Damas traverse le pays avec sa cohue de marchands païens : où qu'on se tourne, c'est Satan qui passe.

 

Il n'y a pas là que des paysans exaltés. La Galilée n'avait point cessé d'être un repaire de brigands, toujours bien armés de belles armes qu'on trempait au Jourdain. Hérode qui très jeune en avait eu le gouvernement, du temps de César, avait fort agi contre eux, et laissé le souvenir d'un homme qui entendait mal la liberté du pillage. Et plus tard, la figure d'Hérode fut l'épouvantail des montagnards galiléens, un croquemitaine pour les enfants de cette gent émeutière et dévotieuse. C'est en Galilée qu'Hérode avait grandi dans l'esprit des Juifs et s'était insinué dans la confiance des Romains, allant au-devant du tribut par des cadeaux, achetant la couronne sur les produits de la contrée. C'est par la Galilée qu'il rentra en Palestine, quand de Rome il revint roi.

Il retrouva les mêmes hommes de caverne, à qui l'air de l'indépendance semblait aussi important qu'à Hérode la couronne de Judée, bandits luttant à force ouverte contre tout le monde (Romains, Tyriens, Séphoritains et Galiléens de plat pays), rebelles à tous et souvent à leurs chefs, escarpés comme leurs montagnes, altiers comme leurs cèdres : il n'eut raison de ces troglodytes qu'en les murant ou en les faisant cuire.

Tandis que le Temple, reconstruit par lui en la quinzième année de son règne, veillait de loin sur la religion de Moïse, il semblait, à voir les villes nouvelles et leurs monuments païens, que Jérusalem fût vouée à Auguste et la Judée au Sénat. Les vieux noms hébreux s'effaçaient de la carte et des plans : ce n'étaient que Césaréon, Agrippion, Sébaste, Césarée : à Sébaste un temple d'Auguste s'éleva ; à Panéas, un autre tout de marbre blanc, d'autres encore : la Tour de Straton, hier rade ouverte et battue par les vents d'Afrique, devient, sous le nom de Césarée, un Pirée juif, avec un peu de la splendeur romaine, des statues d'Auguste et de Rome, un théâtre, un amphithéâtre, une ville neuve où Israël se cogne dans Rome et culbute dans Athènes. Magnifique, voire au dehors, Hérode avait comme redoré le blason juif dans les îles, dans les grandes villes de Syrie, de Grèce même. En mourant il laissera aux Juifs le souvenir d'un roi tolérant pour les païens, aux Galiléens celui d'un tyran monstrueux et, qui sait ? capable de trahir Sion pour le Palatin. Superbe en tout même en forfaits, aïeul de Barbe-Bleue, avec les neuf femmes qu'il eut, fécond en assassinats, personne ne fut plus criminel envers ses enfants, personne n'eut d'enfants plus criminels envers leur père et envers eux-mêmes. Par le père, par les enfants, par les serviteurs, la famille d'Hérode fut l'école de toutes les cruautés.

La fameuse prophétie de Jacob : Le sceptre ne se départira point de Juda, ni le Législateur (Moïse, image de la Loi) d'entre ses pieds jusqu'à ce que le Scilo (Christ) vienne, avait reçu des démentis répétés. Depuis la captivité de Babylone, il n'y avait eu de Juda que Zorobabel : après quoi, sceptre et Loi, tout était allé de mal en pis pour la tribu qui pourtant avait absorbé toutes les autres dans le grand nom de Judée. Le sceptre et la Loi s'étaient départis de Juda pour passer aux Asmonéens et aux Iduméens, on allait voir les Romains réclamer le serment et l'impôt. Et le Scilo ne tenait pas ! Il était temps que Iahvé suscitât un messie qui fit cesser cette abomination. C'était bien le moins qu'avant de régner sur les autres hommes le Messie qu'on pourrait appeler constitutionnel, commençât par délivrer les Juifs des Hérodiens et des Romains. On se fût contenté de celui qui aurait commencé par là, un messie libérateur du territoire, Hérode n'étant au fond qu'un préposé de la puissance romaine, vivant à la romaine, le plus souvent hors de Jérusalem ou dans des villes façonnées à la romaine, avec des théâtres et des cirques. Les Juifs, qui avaient le sentiment national, regardaient ce roi nominal comme un vendu, un fermier-général couronné, un roi-publicain. Il y eut de la poussière messianique au-dessus du Jourdain : on en était comme aveuglé. Chacun put espérer se faire roi-prophète pour commencer.

Pour détourner les prophéties de leur sens, il suffisait d'en effacer la date. Alors elles revivaient, rajeunissaient. Les plus vieilles, n'ayant plus d'âge, redevenaient fraîches, dataient d'hier, bonnes pour aujourd'hui et pour demain. Point de Juif de basse naissance qui n'y pût trouver une phrase pour lui, passer ainsi de la charrue à l'épée, sauter de l'étable au palais. Un berger, un gardeur de moutons pouvait, sans ridicule, jeter son bâton au vent et lever des hommes pour assaillir le trône vacant de David. Il y avait toujours dans le village de petits prophètes assez grands pour lui trouver les signes et le proclamer Oint. Messie d'occasion, l'occasion en débarrassait la terre. Coq de village, il perdait la crête au village voisin où se levait un autre messie : combats de coqs. Le pauvre messie, les yeux crevés, les pattes en sang, gisait devant la haie qui donnait de l'ombre à ses bêtes.

 

IV. — JEHOUDDA LE GAULONITE.

 

En ces temps désespérés, Auguste étant maître du monde, un homme de la tribu de Lévi, nommé Jehoudda eut des Révélations. Il était du même sang qu'Abia, fils de Samuel, et, d'autre part, il descendait du roi David. Juif complet, il pouvait prétendre à la grande-prêtrise et à la couronne.

Né dans un bourg de Gaulanitide, Gamala, nid de vautours haut perché sur la rive orientale du lac de Génézareth, il avait grandi sous Hérode, sa famille avait souffert d'Hérode, gouverneur de la Galilée, elle souffrit d'Hérode, roi de Judée, elle souffrira de tous les fils d'Hérode : l'ennemi, ce n'était pas seulement César, c'était Hérode, l'esclave iduméen affranchi par Rome.

Ces Iduméens n'avaient embrassé le judaïsme que par force sous Hircan : c'étaient des profanes et des usurpateurs. On a accusé Antipas, père d'Hérode, d'avoir adoré Apollon dans Ascalon.

Iahvé retirait sa main de son peuple, et il semblait que, condamnant tous les prophètes qui promettaient aux Juifs l'empire du monde, il n'écoutât plus que la voix de Balaam, ce misérable devin de Chaldée. Une fureur jalouse s'alluma dans le cœur de Jehoudda lorsque, crevant les murs du vieux Temple, Hérode édifia le Iahvé-Palace qui fit l'admiration de tous les Juifs jusqu'à la chute de Jérusalem. Jadis face à l'orient, l'entrée était maintenant au sud, tournée vers le pays natal d'Hérode. Israël passait après Edom. La terrasse orientale, l'aire sacrée sur laquelle s'élevait le Portique de Salomon, c'était maintenant la Cour des Gentils. Les païens foulant aux pieds la terrasse par où le soleil entrait dans le Temple, quelle impiété ! Plan, élévation, contenance, tout cela était dans Ezéchiel ; de quel droit, changeant le sens de la construction, l'iduméen faisait-il de l'entrée principale une porte de côté, de l'aire aux Juifs une cour de Goym ?

Moïse avait tourné le tabernacle vers l'orient, afin qu'à son lever la gloire du Seigneur y lançât ses premiers rayons ; Hérode avait trahi la Loi en le plaçant face au sud, et les prêtres avaient laissé faire ! Au lieu de présenter la figure à l'occident pour adorer, comme le voulait Ezéchiel, on allait la présenter au nord. Ce jour-là, le Seigneur devint, comme dit l'Évangile, la pierre que les bâtisseurs ont rejetée, et le Temple hérodien fut la maison maudite sur laquelle il avait à venger l'affront qui lui était fait.

 

V. — LA RÉVÉLATION DU VERBE-CORPS.

 

Evincé du trône et de l'autel par Hérode, entraîné par les doctrines d'un certain Joshua ben Peraia, dont on ne sait rien sinon qu'il était versé dans toutes sortes de kabbales[3], Jehoudda chercha le sens secret des Ecritures juives, le sens de derrière la lettre, celui qui échappait aux Saducéens ou que les Saducéens ne voulaient pas voir.

A côté de la Loi, des Prophètes et de quelques livres historiques, comme les Rois, il y avait des livres hermétiques, joanniques, des livres d'initiation à certains mystères des Écritures. Ce sont les Livres d'Ieou ou Iaô[4], c'est-à-dire les Révélations d'Iaô à ses Iaôannès — d'où est venu le nom de Joannès — depuis le commencement du monde, avant et après le déluge. Ces livres avaient été faits à l'imitation des livres chaldéens de même nature, avec cette différence que toutes les Révélations d'Iaôannès étaient à l'avantage des Juifs, et on ne les conçoit point autrement. Jamblique parle de vingt mille discours placés sous le nom d'Hermès ! Les Juifs n'en avaient mis que deux ou trois sous le nom d'Iaôannès. C'était peu, mais grâce à leur industrie, tout le christianisme en est sorti.

Dans tous ces Livres même définition de Ieou, la lumière universelle, qui deviendra Iaou, Iahvé, Iaoua, Jehovah ; même définition de son Fils, le Théanthrope solaire, qui deviendra le Fils de l'homme de l'Apocalypse et le Jésus de l'Evangile. Tout ce que le Verbe dira dans l'Apocalypse : Je suis le commencement, le milieu et la fin ; je suis celui qui est, qui a été, qui sera ; je suis l'Aleph et le Thav (l'Alpha et l'Oméga des traductions grecques), vient des Livres de Iâo. Le Joannès de l'Apocalypse n'a fait que transcrire sur le papyrus ce que les ouvriers égyptiens stylés par les prêtres avaient partout gravé dans la pierre. Les variations du Quatrième Évangile sur le Verbe procèdent de ces formules éternelles[5].

Sur les stèles, le Soleil est le Premier-né, le Fils de Dieu, le Verbe de Dieu. Sur une muraille du temple de Philœ, sur la porte du Temple de Medinet-Abou, on lit, tracée quinze siècles avant Jehoudda, la définition du Verbe par le Quatrième Évangile : C'est lui qui a fait tout ce qui est, et rien n'a été fait sans lui jamais[6].

Quoi de plus clair que cette définition, et comment ne pas voir immédiatement dans Jésus la personnification allégorique du Théanthrope solaire ? A qui les scribes essaient-ils de faire croire que Jésus est la véritable lumière qui éclaire tout homme venant au monde, que ce monde même a été créé par lui, s'il n'est lui-même le Verbe incarné ? Je m'adresse aux gens de sens rassis et je leur demande s'ils pensent qu'un Juif ait paru sous Tibère, disant de lui-même : Je suis la lumière et la vie, sans que les autres Juifs engagés dans cette solennelle proposition n'aient immédiatement compris que ce personnage était descendu tout exprès du ciel pour la démontrer par des miracles allégoriques.

 

Appuyé sur la vieille cosmogonie chaldéenne, sur l'astrologie et sur les Ecritures, Jehoudda codifia en quelque sorte la superstition du Christ céleste.

Que le Christ fût un Verbe-corps, on n'en saurait douter quand on le voit converser dans le Paradis terrestre avec Adam et Eve, avec Caïn, avant, pendant, après le déluge, avec Noé, avec Abraham, avec Moïse et avec tous les prophètes. Que l'homme fût à sa ressemblance, on en pouvait douter quand on regardait un païen, mais on en était sûr quand on regardait un Juif.

Moïse a vu quelqu'un et qui lui a parlé. Le Père ? Non. Qui eût commandé au monde pendant que le Père parlait à Moïse ? Mais le Verbe du Père. Et le Verbe est de chair puisque le Père est vivant. Sa chair est de feu, comme celle du Père. A la fois corps et feu, Homme de feu en un mot. Jehoudda le vit assez distinctement pour décrire sa forme, sa figure, ses vêtements, ses outils et ses armes[7].

Entre Juifs on l'appelait le Fils de l'homme comme s'il était de la famille, et en effet il en était le chef. Ces idées nous étonnent, nous avons peine à croire qu'il se soit trouvé des mortels pour les professer. S'ils pouvaient revivre, c'est nous qui les étonnerions. Dieu est chair ab æterno ! s'écrie Apollinaris, au quatrième siècle. Et : Rien n'est uni à Dieu comme la chair du Christ ![8]

Il est distinct du Père, puisqu'il est son Fils, et bi-sexuel, puisqu'Adam, formé à son image, était mâle et femelle[9]. Sans doute Adam n'était pas de la même substance, puisqu'il y a en lui de la terre et de Peau, mais il avait été créé immortel et il vivrait encore, s'il n'avait point écouté Satan. Le Christ peut refaire ce qu'ont défait Adam-Eve et Satan. Le Père n'a qu'à le lui commander, et il rendra l'immortalité aux Juifs.

 

VI. — LE MILLÉNARISME.

 

A l'instar des Mages Jehoudda estimait que Dieu avait divisé son Œuvre en Douze Cycles millénaires divisés eux-mêmes en deux groupes de six mille ans, — l'un avant, l'autre après la création de l'homme, — de manière que la consommation de l'Œuvre, l'homme compris, fût renfermée dans les Douze Cycles.

Jehoudda n'inventait rien. Il empruntait ses grandes lignes aux Genèses chaldéennes. Celle des Hébreux n'en est qu'une version plus ou moins fidèle. Ces thèmes de Création et de Consommation admettent que la Genèse a pris six jours, et que dans ce calcul mille ans sont comme un jour et un jour comme mille ans. Ayant été créé le sixième jour, Adam représentait à lui seul le septième Mille, et il aurait vécu éternellement si sa moitié féminine, séparée de lui par Dieu, n'avait pas cédé au Serpent : faute irréparable qui avait amené Dieu d'abord à chasser le couple du Ciel-sur-terre ou Paradis terrestre, et ensuite à noyer ce Paradis dans le déluge.

L'Arbre de l'Eden était éternel, et c'est pour avoir mangé de son fruit qu'Adam n'avait pas atteint mille ans. Le jour où tu en mangeras, tu mourras, lui avait dit Dieu. Ainsi l'entend Isaïe lorsqu'il prédit un ciel nouveau, une terre nouvelle et le retour des jours de l'Arbre : les jours de mon peuple seront comme ceux de l'Arbre, des jours de mille ans[10]. La Juive que, moins d'un siècle après la mort de Jehoudda, Juvénal décrira lisant dans les lignes de la main, interprète de l'Arbre, dit-il, c'est la millénariste du pavé de Rome sous Domitien. Certains Psaumes de David s'inspirent de la même théorie[11], point de départ de tout le christianisme. L'Eglise a rejeté du canon la Lettre de Barnabé d'où il résulte que le millénarisme était la doctrine dominante des temps apostoliques, mais nous avons mieux que la lettre de Barnabé ; dans l'Apocalypse nous avons le manifeste des apôtres, et la Lettre de Pierre est d'un millénariste imbu de la tradition jehouddique.

 

Sur les six premiers Mille correspondant aux six premiers jours, tous étaient d'accord, même ceux qui assignaient treize, quatorze ou quinze mille ans à la durée du monde. En restant avec les Chaldéens et les Sabéens, Jehoudda s'enferme dans le cadre duodécimal qui lui est imparti par le cours du soleil à travers le Zodiaque : douze signes, douze mois, douze cycles.

Ces six mille ans avaient été des temps de lumière, gouvernés par les bons principes, et ils étaient représentés sur le Zodiaque par les signes du printemps et de l'été. Ils étaient dits Mille d'Ieou, ayant commencé avec l'Agneau, signe du passage, pesach ou pâque du Soleil dans notre hémisphère, et fini avec la Vierge, en englobant le Taureau, les Gémeaux, le Cancer et le Lion.

C'est entre le sixième signe et le septième que le Monde avait commencé. Or les six Millenia assignés à ce Monde étaient en cours, gouvernés par les mauvais principes, ceux de l'automne et de l'hiver, et représentés sur le Zodiaque par la Balance, le Scorpion, le Sagittaire, le Capricorne, le Zachû (Verseau) et le Zib (Poissons). Ils étaient dits Mille du Serpent ou de Satan. En effet, c'est entre la Vierge et la Balance que se trouve placé sur les sphères le vilain Serpent céleste, père des ténèbres, qui chaque année recommence ses méfaits et, chaque année aussi, s'enfuit vaincu quand le soleil passe sous l'Agneau, signe du Christ réparateur du mal du monde. Ce Serpent était fort chaldéen, car les Juifs ne se sont pas bornés à dépouiller leurs voisins de leur Dieu, ils les ont dépouillés de leur Diable. C'est Satan qui a tenté Eve, et qui momentanément a battu Dieu. Le ciel a eu avec la terre des relations directes qu'Adam a connues, mais que sa faute a interrompues et le déluge brisées définitivement. Dieu renouera-t-il jamais ?

Ce monde a déjà eu bien des aventures. De premiers cieux ont existé, et une première terre tirée de l'eau et se tenant par l'eau, grâce au Christ[12]. Ils ont fait naufrage sous l'effort de la cataracte diluvienne, et ils ont été remplacés parles cieux et la terre dont on jouit sous Hérode : Dieu se propose de purifier cette terre par le feu et de la replacer dans la lumière originelle. Il n'a pas pu faire durable une Œuvre sur laquelle les Juifs ne règnent pas définitivement. C'est à recommencer.

 

Ainsi ce qu'attendait Jehoudda, c'est un troisième Monde, une troisième terre surmontée d'un autre ciel, celui d'alors étant visiblement raté, puisque la lumière propre à Dieu ne le traversait pas d'une manière régulière et continue. On vivait sous un ciel qui gardait encore les traces des épreuves passées et portait la marque de puissances hostiles. Ce ciel, lui aussi, empêchait le Christ de revenir, c'était plus qu'un voile, c'était un obstacle.

Car toute la voûte, c'est-à-dire la couche la plus rapprochée de la terre, était aux mains de Satan et de ses, anges qui faisaient un véritable abus de cette mitoyenneté contre les Juifs.

Au-dessus du ciel de Satan il y en avait deux autres, stratifiés. L'un était occupé par l'armée de Dieu à laquelle commandait en chef le Christ-Verbe, entouré des Douze Cycles de Mille ans ou Apôtres[13], ayant sous leurs ordres Trente-six Chefs ou Décans[14], avec douze légions de douze mille anges chacune, formant ensemble Cent quarante-quatre mille puissances qui participaient de la divinité. L'autre, le troisième ciel, était plus spécialement affecté à Dieu, qui y avait son trône et son sanctuaire, et vivait là. Père de toute lumière, au milieu de Vingt-quatre Vieillards ou Presbytres qui représentaient les Vingt-quatre Heures de l'heureux temps où le jour était sans nuit. C'est là sa famille éternelle et son éternel ministère.

Les Hébreux se rattachèrent à cette organisation par les douze tribus auxquelles président d'en haut les Douze Apôtres. Les Juifs de bon jugement reconnaissent volontiers qu'il n'y a jamais eu douze tribus[15], mais un certain nombre de clans placés sous la protection des douze signes. Le Père des Juifs, c'est Iahvé, père du Christ, Sujets de Iahvé, enfants du Verbe, par conséquent supérieurs par essence à toutes les nations, tels sont les Juifs dans la pensée créatrice, donc telle est la Loi.

 

Qu'était-ce donc que l'Apocalypse de Jehoudda ? Celle de Jacob et de ses douze fils, celle de Joseph chez Pharaon. Joseph, cet accapareur de grâce et de grains, avait vu, dans une zodiacale vision, le Soleil, la Lune et onze étoiles qui l'adoraient, lui douzième. Qu'est-ce à dire, sinon que le ciel ne s'allumait que pour éclairer la marche des Juifs à travers le monde ? C'est de Joseph que Moïse et Aaron tiennent tout ce qu'ils savent. Toute leur Apocalypse, ce sont les Juifs sauvés sous l'Agneau, les païens détruits.

Lisez l'Exode avec quelque attention[16], et si dépourvu que vous soyez de sens critique, vous verrez que la pâque juive n'est nullement une institution mosaïque, mais un signe de la prédestination. Au milieu des Égyptiens, les Israélites oubliaient leur vieille religion de Mésopotamie, et le sacrifice annuel de l'agneau, symbole du pacte d'éternité que Iahvé avait fait avec eux. La pâque est un rappel de l'Agneau, le signe astrologique sous lequel le Christ a donné le monde aux Hébreux. L'année ne commence le 15 nisan que par application de ce principe[17]. Ce jour-là le Seigneur passe, et ainsi repassera-t-il jusqu'à ce qu'il ne passe plus. C'est le passage du Seigneur et nullement celui de la Mer Rouge, on n'en est pas encore là. Le Seigneur passe la nuit du 14 au 15, et on la passe avec lui, bâton en main, comme des passants. L'agneau est blanc, les pains sont sans levain à cause de la pureté originelle ; la pâque dure sept jours parce que la Création en a pris sept.

Ce n'est pas une fête de circonstance, c'est la fête du passé engageant l'avenir. Le mot pesach est chaldéen, comme nisan et les autres mois, comme Zachû (Verseau), Zib (Poissons) et les autres signes, et comme est chaldéenne l'économie des Douze Cycles millénaires.

Les deux Tables du témoignage que Iahvé donne à Moïse, il ne faut point les confondre avec les tables de la loi. Les deux Tables écrites des deux côtés par le doigt de Iahvé sont le Livre des destinées du monde et le Livre de vie. Un côté regarde le ciel, un autre la terre[18]. Pourquoi Moïse brise-t-il ces deux Tables devant les Juifs au pied de la montagne ? Parce qu'ils sont indignes de ce qu'on y lit, ayant adoré le veau d'or. Pardonnez-leur cette faute, dit Moïse à Iahvé, ou si vous ne le faites pas, effacez-moi de Votre Livre que vous avez écrit. Le Seigneur répond : J'effacerai de mon Livre celui qui aura péché contre moi ; et au Jour de la vengeance je visiterai et punirai ce péché qu'ils ont commis[19].

 

VII. — LE RETOUR DE L'AGNEAU.

 

Le Père a décidé que le monde finirait avec le Douzième cycle. Mais il y a une clause secrète pour les Juifs. Les Juifs sont les enfants de Dieu, le Père anéantira-t-il sa famille terrestre ? Grosse question, résolue déjà dans les conseils du troisième ciel. De même que Jupiter est dit Stator, Capitolin, Ammon, Tonnant, selon les cas, le Christ était dit Iehoschoua — mot hébreu qui signifie Sauveur, dont les Grecs ont fait lésons, et nous Jésus —lorsque, dédaignant toute autre besogne, il se consacrait spécialement à la défense des Juifs. Tout-puissant pour la destruction, il est tout-puissant pour le salut. C'est celui-là qu'enverra le Père.

Ce que Moïse cache aux profanes, c'est le secret de cette prédestination : secret fort mal gardé que tous les Juifs ont pressenti. Ce qu'Aaron demande à Iahvé, quand il lui immole l'agneau du passage, c'est de tenir la promesse qu'il a faite aux Hébreux de les épargner au Jour de la colère et de leur sacrifier les nations. Le costume du Grand Prêtre lorsqu'il se présente devant Iahvé, c'est le rational du Jugement, le Jugement confectionné, rédigé d'avance, lisible dans le ciel comme il l'était sur les deux Tables. Ce Mage, car c'en est un, porte, gravé aux épaules sur deux sardoines et répété sur douze pierres précieuses, le nom des Douze fils de Jacob, chefs des douze tribus, car les deux sardoines représentaient l'une le Soleil et l'autre la Lune, et les Douze pierres les Douze signes du Zodiaque, comme les Douze Pains de proposition représentaient les Douze Cycles de l'Œuvre, et le Chandelier à sept branches les Sept planètes. Ce prospectus astrologique, c'est la vision de Joseph[20]. Le Grand Prêtre ainsi vêtu, c'est le Livre des Destinées du monde, côté terre. Le côté ciel, c'est, encore plus juif que le Grand Prêtre, le Christ par lequel a été créé le monde. Il sera de la fin comme il a été du commencement, l'Aleph et le Thav[21]. Chaque année à Pâque on sacrifie l'agneau ; mais l'Agneau de Iahvé, l'Agneau divin qui est à nos agneaux ce que le Christ est à un Juif, l'Agneau astral, en un mot, ne meurt pas. Chaque année à l'équinoxe du printemps, il semble mourir et chaque année il renaît. Il est le principe et la somme de tous les agneaux sacrifiés depuis la première Pâque. Il est l'image du peuple juif, jusqu'ici la victime des nations, mais viendra l'Agneau de la revanche.

Agneau, Pâque, Christ, c'est la même idée d'éternité. On disait du soleil pascal : L'Agneau est revenu. Dans l'Apocalypse, l'Agneau est représenté sacrifié — c'est-à-dire en croix, tel qu'on le dressait pour la cuisson — au milieu des quatre points cardinaux de la sphère. Il est donc le signe du Christ étendu sur la croix céleste à l'équinoxe du printemps. Dès que ce signe apparaîtra sur la montagne de Sion, les douze tribus, reconnaissant leur marque de fabrique, marcheront à lui et l'environneront, prêtes à le suivre partout. Pour cette raison Jehoudda appelle les christiens disciples de l'Agneau.

C'est le nom qu'on aurait pu donner, nonobstant leur idolâtrie, aux Juifs qui, du temps d'Ezéchiel, avaient représenté l'Apocalypse nationale sur les murailles intérieures du Temple. Car ils avaient peint toutes sortes de figures et de bêtes immondes, et toutes les Idoles de la maison d'Israël[22], c'est-à-dire les douze signes du Zodiaque et les Douze patriarches célestes, les Douze Apôtres du Christ, prototypes immortels des douze tribus. Et dans le Temple même on avait vu des femmes assises pleurant la Passion de Thammouz — c'est Adonis — comme les bonnes (et aussi les mauvaises) femmes d'à présent pleurent la Passion de Jésus le Vendredi saint[23].

 

Puisque le Fils de l'homme devait venir des cieux, c'est qu'il y avait un domicile, car s'il est vrai que, dans l'Evangile, il n'a sur terre aucun endroit où reposer sa tête, il habite au ciel un logis magnifique : le Soleil qu'il emporte dans l'espace comme l'escargot entraîne avec lui sa coquille. Certes on ne peut pas dire que le Soleil soit proprement le Christ, mais il est sa lumière promenée, son tabernacle mobile[24]. Logé dans le Soleil, nourri de sa substance, vêtu de sa lumière, le Christ a douze maisons, douze mansions plutôt.

Toujours on a comparé la course annuelle du Soleil, croissant et décroissant selon la saison, à la vie d'un homme qui naît et croit, décroît et meurt avec le temps. Il y a, vous le savez, un moment où la comparaison cesse d'être juste : si elle l'était tout à fait, il n'y aurait plus de terre. Conçu sous la Vierge à l'équinoxe d'automne, enfant au solstice d'hiver, le Soleil est adulte lorsqu'il passe dans les Poissons, vers mars, mais quand, franchissant la ligne équinoxiale, sous l'Agneau, il entre dans notre hémisphère, il apparaît vraiment comme l'image sensible de Dieu, et le Roi des Rois, le Seigneur des Seigneurs de la terre lesquels n'ont pu se croire quelque chose qu'en son absence. Je ne veux pas vous atteler avec moi à son char, mais tenez pour certain qu'Hercule, Bacchus, Osiris, Mithra et presque tous les dieux y étaient déjà lorsque les évangélistes y firent monter Jésus. Sous tous les masques qu'il prend on voit étinceler ses regards de feu. Les Egyptiens l'adorent enfant, les Grecs homme, on le célèbre à la moisson, aux vendanges. On le chante dans les jours du printemps et de l'été, on le pleure dans les mélancolies de l'automne, on l'espère, disent les Marseillais, dans les intimités de l'hiver. Des siècles et des siècles avant que les Juifs ne rappelassent ou Schilo ou Messiah ou Ieschoua, l'Orient ne connaissait, au-dessous de l'Invisible, d'autre dieu que l'Invaincu, l'éternel tisseur de lumière. Le mystère que les prêtres cachent au fond de leurs tabernacles, c'est ce faux mystère dont tout le monde a la clef. Partout, depuis que l'homme a des yeux pour voir le jeu tournant des nuits et des jours, on tient que le Soleil naît de la substance divine à une date qui correspond à notre 23 décembre. Partout on vénère la céleste Vierge dont les flancs immaculés donnent ce beau fruit. Point de doute nulle part, celui-là est bien né des œuvres de l'Invisible. Le joli enfant ! vit-on jamais de plus beau sourire et des formes plus pures ? Que l'image de cette Vierge féconde se dresse dans les temples et sur les places ! Et que chaque homme en passant s'incline devant la mère immaculée qui presse sur son sein cet Enfant dont on ne nomme le Père qu'avec un tremblement dans la voix !

Qu'on l'appelle Horus ou Adonis, Atys ou Bacchus, Apollon, Sérapis ou Christ, qu'on le fête au moment de sa naissance ou de sa maturité, c'est toujours le Soleil, .père du temps, qu'on adore, le dieu aux mille noms, dit Orphée. Qu'il meure comme Adonis, blessé par un sanglier, ou comme Apollon, par le serpent Python, ou comme Osiris par Typhon, ce sont des Passions héliaques sur lesquelles on se lamente dans les mystères et d'éclatantes Résurrections qu'on célèbre.

 

VIII. — LE ZIB (LES POISSONS) SIGNE DE GRÂCE.

 

Mais le jour vient où l'Agneau ne passera plus, où il ne sera plus en croix. Il y a trop longtemps qu'il s'immole au salut de la terre ! Il ne fera plus ce sacrifice annuel, il brisera le thav, cette croix sur laquelle il passe depuis le commencement du monde. La grosse affaire pour les Juifs, c'est d'être dans les bras du thav, au delà duquel il n'y aura plus rien qui ne soit à Iahvé. Dans l'écriture juive — au propre et au figuré — la lettre suprême, c'est la dernière lettre de l'alphabet hébreu, c'est le Thav et le thav est une croix. La croix de l'Agneau, ou, si vous préférez, l'équinoxe du printemps, c'est le monde en équilibre périodique. C'est à cet équinoxe que l'équilibre se rompra. Mais cette rupture aura lieu au bénéfice des Juifs.

Le Grand Agneau verra l'Accomplissement des temps, la Descente et la Victoire du Christ Jésus.

Il faut donc être en deçà de la ligne, du côté du Zib. Les Poissons passés, il sera trop tard.

Les Poissons étaient donc au premier et au dernier rang des signes du Zodiaque engagés dans le thème christien : au dernier rang, parce qu'ils sont le Mille sous lequel Satan, chef des nations, devait être anéanti par le Christ ; au premier rang, parce qu'ils sont le signe précurseur de l'Agneau sous lequel devait commencer le Royaume de Dieu. L'idée du baptême rédempteur était inscrite au ciel dans le Zib. Il convenait que les Juifs fussent de ces Poissons-là. La première condition du salut pour un poisson, c'est d'être dans l'eau. Cette idée, fondement de la pisciculture, est également celui du baptême.

Toute l'eau du ciel s'étant épuisée dans le déluge et le monde devant périr par le feu, il n'y avait de remède que dans l'eau sourdant de la terre, pour cela nommée eau vive. De là le caractère sauveur des sources comme celles du Jourdain, et des fontaines comme Siloë, Ænon, Kapharnahum.

 

Contre le Christ la Terre est sans défense, masse énorme, mais immobile et faite pour recevoir ses coups sans pouvoir les rendre. Immobile, je le répète, comme le piédestal de cette croix mouvante qui est le Christ passant par les quatre points cardinaux. Sans la croyance à l'immobilité de la terre, point de croix, et point de Christ[25]. Car sur quoi s'appuiera la croix, et où le Christ posera-t-il le pied si la terre est ronde et qu'elle tourne[26] ?

Iahvé négligea d'avertir Jehoudda que la terre était ronde et mobile. Quelle déception en effet si le Fils de l'Homme, au lieu de mettre pied à terre en Judée, allait descendre aux antipodes de Jérusalem, en un lieu où des hommes incirconcis auraient eu les pieds en haut et la tète en bas ! Jehoudda ne se demanda point par où les astres auraient accompli leur révolution si la terre eût été infinie, et il fut convenu que, devant les Révélations positives de Iahvé, on mépriserait profondément les sciences naturelles et physiques, source de tous les maux qui affligeaient les Juifs.

On ne saurait en vouloir aux christiens d'avoir ignoré les formes du monde et les lois créées par Dieu. Beaucoup de savants païens et fort honnêtes pensaient là-dessus comme les Juifs. Lucrèce a soutenu qu'il n'y avait point d'antipodes et que le soleil n'était pas plus grand au ciel qu'il ne paraissait à l'œil.

Cette thèse n'a rien de scandaleux dans la bouche d'un homme qui n'y mêle pas Dieu. Mais c'est un blasphème chez des gens qui disent : Le dieu qui nous a révélé ces belles choses est le vrai Dieu, et qui ne tarderont pas à ajouter : Si vous ne le croyez pas, nous vous tuerons de sa part. Le dieu qui a créé les lois de la pesanteur, de la gravitation et de l'attraction, et qui, semble-t-il, est le vrai Dieu, ne leur avait rien révélé du tout. S'il inspira des hommes sous Auguste, ce sont les païens sectateurs de Pythagore et d'où sont issus les Strabon et les Ampélius, que Jehoudda exclut du salut.

La science antique nous a été volée pendant l'invasion christienne ; les paroles de Dieu à ses vrais enfants, les philosophes, ont été submergées par le flot des paraboles juives. Mais ils sont nombreux ceux à qui il avait dit à l'oreille : Attention ! Je vous emporte à votre insu dans un mouvement rapide. La terre n'est point immobile dans le monde, ni le monde autour de la terre. Vous tournez autour de corps qui tournent autour de vous[27]. N'allez pas vous figurer que je descendrai un jour pour faire votre connaissance, et surtout ne m'insultez pas au point de croire que j'enverrai pour juger les hommes un petit Juif de Gaulanitide qu'on va crucifier sous Tibère pour crimes de droit commun.

 

IX. — LA GRANDE ANNÉE, LE GRAND JOUR.

 

L'Apocalypse de Jehoudda résultait et d'une tradition exaltée par le zèle religieux et d'un plagiat astrologique corroboré par quelques observations.

Outre les Douze signes, les Sept planètes jouaient un rôle éminent à raison de la situation qu'elles occupaient au début du monde. Lorsque l'état du ciel les, ramènerait à leur point de départ, le Christ prendrait lui-même la direction des Douze Apôtres, et cette Année-là c'en serait fait de Satan qui gouvernait l& monde contre les Juifs[28].

Quand viendrait la Grande Année, le Mille du Zib, comme disait Jehoudda ? En l'an de Rome 739, il estimait qu'environ cinq cycles s'étaient écoulés depuis Adam, et que le Mille en cours ou Mille du Sachû (le Verseau) finirait avec le 14 nisan 788[29]. Le Douzième mille ou Mille du Zib commencerait le soir même et le Christ viendrait avec l'Agneau de la pâque.

Toutefois il ne fallait pas que les Juifs s'imaginassent éluder le Jugement. Les Douze Apôtres jugeraient les douze tribus.

Sur le Jugement de Dieu, toutes les Écritures s'accordaient. L'idée pouvait effrayer, elle ne pouvait pas surprendre. Moïse et les prophètes annonçaient tous cette terrible journée d'Iahvé, mais tous ne promettaient pas aux Juifs l'empire d'un monde créé exprès pour eux. Beaucoup croyaient qu'en ce jour il y aurait Fin du monde et Jugement sans appel. Il fut révélé à Jehoudda qu'avant cette solution le Christ viendrait renouveler la terre par un Jugement d'attente et pour une période de mille ans après laquelle le Père lui-même prononcerait l'arrêt définitif. Il dépendait des Juifs d'échapper à la destruction partielle en même temps qu'aux conséquences du Premier jugement, lesquelles n'étaient pas minces. En observant la Loi avec autant de rigueur contre les Juifs adultères que contre les païens, ils gagneraient le salut et régneraient mille ans avec le Christ, jusqu'à ce que vînt à son tour le Royaume éternel du Père.

Ceux qui auraient abandonné cette Loi, révélée à Moïse par le Verbe, ceux-là iraient en enfer confondus avec les autres hommes — la plus dure de toutes les punitions !

Ceux qui l'auraient servie sans défaillance iraient dans l'Eden millénaire, et là ils jouiraient d'un bonheur dont ils ne pouvaient se faire qu'une faible idée, étant donné la pauvreté de l'imagination humaine.

Mille ans, cela pouvait sembler long pour des esprits superficiels. Mais quoi ! le Verbe avait, au gré de sa puissance, fait vivre des hommes sept cents, huit cents, neuf cents ans, il avait modelé de ses mains Hénoch et Élie qu'il avait soustraits à la mort et transportés dans le ciel. A quoi bon pleurer le Paradis terrestre ? Iahvé pouvait le rendre à ceux qui croyaient en son Christ. Qu'était-ce, pour lui, de faire qu'on vécût en ce séjour une seconde vie égale à celle qu'avaient vécue les patriarches ? Mille ans, qu'était-ce pour celui qui avait créé le temps ?

Les Juifs se plaignaient du raccourcissement de la vie, l'attribuant non au premier péché mais à ceux des générations nouvelles. Le premier péché, on l'expiait par la mort, mais celui des générations, par une diminution de longévité. Ah ! le bon temps que celui où les hommes atteignaient dix-neuf jubilés, près de mille ans ! Mais comme il a passé vite ! Quand on pensait qu'Abraham avait eu de la peine à vivre jusqu'à cent soixante-quinze ans ! Aujourd'hui on s'estimait vieux quand on arrivait à quatre-vingts ! Quelle misère ! Mais patience, voilà que Iahvé va faire périr cette terre souillée par l'existence des incirconcis, il la refera pour les Juifs seuls et leurs jours s'allongeront sans fin.

Pendant tout le Mille du Zib c'est le Christ Jésus qui régnait[30]. Il coupait l'Arbre de la science du bien et du mal dont le fruit avait perdu Adam, le jetait au feu et replantait l'Arbre de vie dont le fruit était éternel. A la fin du Douzième mille, le songe de Joseph était accompli, et Iahvé se réunissait à son peuple sur les derniers débris du monde païen.

 

 

 



[1] Herriot, Philon le Juif. (Paris, in-8°.)

[2] Quoique je ne sois point de ceux dont l'opinion importe à la patrie, je dois dire que l'antisémitisme professionnel est diamétralement contraire à mes principes philosophiques. Mais la vérité est une Muse exigeante. Je prends les Juifs à un tournant de leur histoire où il faut absolument, sous peine de demeurer incompréhensible, mettre en lumière les raisons pour lesquelles ils étaient détestés, sans oublier celles qui leur faisaient détester les Gentils. De plus c'est un devoir de purger mon pays, dans la mesure drastique dont je dispose, de la superstition qui vient d'eux. Il n'est pas vrai que Dieu se soit choisi un peuple dès l'origine du monde et qu'il existe des trucs particuliers pour aller au ciel. L'intérêt de la civilisation et celui de la morale commandent qu'il en soit autrement.

[3] L'influence de ce Joshua sur l'idée christienne est constatée par les écritures talmudiques. Elle a été niée par Strauss, dans sa Vie de Jésus, pour des raisons de chronologie qui ne sont pas applicables à Jehoudda le Gaulonite.

[4] Valentin, Juif de la fin du second siècle, les nomme dans ses Sagesses, que nous citerons souvent d'après la traduction de M. Amélineau. La Pistis Sophia est incompréhensible à première vue, mais la vérité doit beaucoup à Valentin : aussi a-t-il, de bonne heure, été traité d'hérétique ainsi que tous ses disciples, la plus nombreuse et la plus honnête de toutes les sectes christiennes.

[5] Quatrième Évangile, I, 1, 2. Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu. C'est lui qui, au commencement, était en Dieu.

[6] Tout a été fait par lui et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans lui. (Quatrième Évangile, I, 3.) Sur les sources archéologiques, voyez l'Hermès Trismégiste de M. Louis Ménard. (Paris, 1867, in-12°.)

[7] Dans l'Apocalypse, on a très bien vu que l'Apocalypse était une allégorie astrologique et un livre d'initiation, mais on s'est trompé en l'attribuant aux phrygiens (Dupuis, Origine de tous les cultes). C'est par excellence le livre d'initiation judéo-christienne. C'est par lui que les apôtres ont été initiés au grand mystère du Christ, Roi des Rois et Seigneur des Seigneurs.

L'Apocalypse du canon, dont vous avez tous entendu parler, n'est autre que celle de Jehoudda, exploitée par ses fils et remaniée par ses neveux, appliquée d'abord à Auguste et à Tibère, puis étendue à Antonin.

[8] Irénée le millénariste a dit que Dieu est un feu, Tertullien, un corps. A la fois Corps et Feu, Homme de feu, seul capable de purifier la Terre, tel est le Christ de Jehoudda.

Tertullien, en attribuant un corps à Dieu, suit à la lettre la doctrine dont Jésus est la figure dans les Evangiles. Pour savoir à quel point de théanthropie les premiers christiens en étaient venus, il n'y a qu'à voir par la suite des temps la fortune de l'Homme-Dieu Jésus, de la Consubstantialité, de la Présence réelle, de la Transsubstantiation : ces dogmes sont dans le sang de l'idée première, on les a crus nouveaux, c'est une erreur, ils sont à l'état d'infusoires dans le christianisme primitif.

[9] L'hermaphrodite juif.

Dans la théologie païenne, pour les uns, Hermaphrodite était fils de Vénus et de Mercure, pour d'autres, le premier type formé par Prométhée, le dieu pétrisseur d'hommes. Pour les Juifs, c'est Adam, fils de Dieu, dit l'Évangile (Généalogie de Jésus), c'est-à-dire le premier après le Fils de l'homme ou Christ céleste.

[10] Ainsi l'entend l'auteur millénariste du Dialogue avec Tryphon, faussement attribué au philosophe Justin.

[11] Particulièrement le psaume LXXXIX, 4 et 5.

[12] Pseudo-seconde lettre de Pierre.

[13] Les Juifs hellènes désignent les Douze Apôtres sous le nom d'Éons, mais c'est une même chose, il n'y a que des mots de plus.

[14] Les divisions de l'année en trente-six décades.

[15] De ce nombre est M. L. Germain Lévy, rabbin de Dijon : La Famille dans l'antiquité israélite (Paris, 1805, in-8°, p. 10). C'est le Zodiaque, dit-il, et le cours de la lune qui ont communiqué une valeur sacrée au chiffre Douze. Et il renvoie au songe de Joseph. Voilà qui est bien vu.

[16] Le chapitre XII.

[17] Nisan est le mois de l'équinoxe du printemps.

[18] On retrouve ce livre avec cette disposition dans l'Apocalypse. C'est celui qu'a vu Moïse entre les mains d'Iahvé.

[19] Exode, XXXII, 31-34.

[20] L'historien Josèphe dit qu'au moment où il commença son livre, sous Domitien, si l'on veut, il y avait plus de deux cents ans que ces sardoines et ce Rational ne jetaient plus leur éclat légendaire.

[21] Il est à remarquer que la thèse apocalyptique de Jehoudda doit tout à Babylone et rien à l'Egypte. Les thèmes du monde égyptien, il y en a, partaient du solstice d'été.

L'échéance de la Grande Année variait selon les écoles. Elle a été plusieurs fois renouvelée par Dieu. Les Égyptiens, après bien des tâtonnements, l'avaient fixée au lever héliaque du Chien, le premier jour de Thot, premier mois de leur année : phénomène qui n'arrivait que tous les 1461 ans. Quand cette échéance était passée, il y avait comme un renouvellement du Ciel et de la Terre. Les Sabéens connaissaient la Grande Année, mais loin d'être un renouvellement par tacite reconduction, c'était un acte à grand fracas et à grands frais, suivi du Renouvellement des êtres et de la résurrection. C'est cette forme-là qu'avait adoptée Jehoudda.

[22] Ézéchiel, VIII, 10.

[23] Ézéchiel, VIII, 14.

[24] Le gnostique Hermogène, en plaçant le tabernacle du Christ dans le soleil, est sur ce point un disciple de Jehoudda qui lui-même est un disciple de Zoroastre. De même tous ceux qui voyaient plus ou moins distinctement dans le ciel la forme et la figure du Christ.

[25] Ce qui caractérise la théorie des millénaristes, c'est l'immobilité de la Terre, mais il ne semble pas qu'ils soient allés jusqu'à nier absolument une sphéricité relative. Les scribes, à qui on doit Jésus de Nazareth, admettent tout au moins le Zodiaque en forme de plat rond.

[26] Lactance, cosmogoniste absolument orthodoxe, a rendu l'orgueilleuse ignorance des christiens en des termes qu'il faut lui emprunter, si on veut égaler ces faux prophètes. (Institutions divines, t. II, ch. 10 et t. III, ch. 25.)

Dieu, dit Lactance, a créé le ciel avant toutes choses, et il l'a suspendu dans la partie la plus élevée de l'univers, pour y établir le trône de sa gloire. Il a rempli le lieu de sa demeure de lumière en y attachant le soleil. Il a placé les ténèbres sur la terre, car cette masse grossière n'a d'autre jour que celui qu'elle reçoit du soleil : elle est le lieu de la nuit, de la mort et du tombeau. Ceux qui tiennent qu'il y a des antipodes ont-ils un sentiment raisonnable ? Comment y a-t-il quelqu'un assez extravagant pour se persuader qu'il existe des hommes ayant les pieds en haut et la tête en bas ; que tout ce qui est couché en ce pays-ci soit suspendu en celui-là ; que les herbes et les arbres y croissent en descendant, et que la pluie et la grêle y tombent en montant ? Telle est pourtant Terreur des philosophes ! Si nous en cherchons la source, nous trouverons qu'elle procède de la même cause que les autres. Quand trompés par l'ombre de la vraisemblance, les philosophes ont admis un faux principe, conséquents avec ce principe ils tombent de faussetés en faussetés et embrassent indiscrètement la première venue au lieu d'examiner la seconde qui se présente. Comment donc se sont-ils engagés à soutenir qu'il y a des antipodes ? En observant le mouvement et le cours des astres, ils ont remarqué que le soleil et la lune se couchent toujours du même côté, s'étant levés toujours du même. Mais ne pouvant découvrir l'ordre de leur marche, ni comment ils passaient de l'occident à l'orient, ils se sont imaginé que le ciel était rond, tel que sa vaste étendue le fait paraître, et que le monde même était rond comme une boule ! C'est ce qui les a portés à faire des globes d'airain sur lesquels ils ont gravé des figures monstrueuses auxquelles ils donnent le nom d'astres. Le ciel étant rond, il fallait que la terre, qui est renfermée dans son étendue, fût ronde aussi ! Que si elle est ronde, elle regarde le ciel de tous côtés de la même manière, et lui oppose, sur toutes faces, des mers, des plaines et des montagnes. Il suit encore de là qu'il n'y a aucune partie qui ne soit habitée. Et voilà comment la rondeur qu'on a attribuée au ciel a donné occasion d'inventer les antipodes ! Quand on demande à ceux qui défendent ces opinions monstrueuses comment il se peut faire que ce qui est sur la terre ne tombe pas vers le ciel, ils répondent que c'est parce que les corps pesants tombent toujours vers le milieu comme les rayons d'une roue, et que les corps légers, comme l'air, les nuées, la fumée, le feu, tendent à s'élever. J'avoue ne savoir que dire de ces personnes qui s'opiniâtrent dans leurs erreurs, sinon que, quand elles disputent, elles n'ont d'autre dessein que de divertir ou de faire de l'esprit. Et brandissant sa massue : Il me serait aisé de prouver par des arguments invincibles qu'il est impossible que le ciel soit en dessous de la terre.

[27] Comme le dit Sénèque, résumant ces opinions. (Questions naturelles, livre VII, 2.)

[28] Nous aurons l'occasion de voir le Christ Jésus, héros des Sagesses valentiniennes, rectifier lui-même, de sa pleine science et autorité, les calculs erronés de Jehoudda.

[29] Nisan répond à notre mois d'avril par une convention qui n'a rien de mathématique.

[30] Quelques-uns, ceux qui donnaient plus de douze mille ans à l'Œuvre de Dieu, faisaient de deux mille ans le règne du Christ. Mais ce sont des gens qui n'y entendaient rien.