HISTOIRE DE LA GRÈCE SOUS LA DOMINATION DES ROMAINS

 

INTRODUCTION

Texte numérisé par Marc Szwajcer

 

 

L’antique pays des Hellènes avait, depuis la bataille de Chéronée, cessé de marcher à la tète des nations historiques de l’ancien monde. Il est vrai que le puissant fils de Philippe de Macédoine avait conquis, en grande partie avec les forces de la Grèce et avec les armes de la civilisation hellénique, le inonde oriental, depuis l’Hellespont jusqu’au Pendjab ; il est vrai que sous ses successeurs commença cette nouvelle et grande émigration d’innombrables Grecs de toutes les tribus et de toute condition, qui, en quittant leur antique patrie, devaient donner pour des siècles aux contrées de l’Orient, jusqu’au haut plateau de l’Iran et aux lointaines frontières de l’Egypte, une forme toute nouvelle et une histoire complètement neuve et très caractéristique ; il est vrai qu’après Alexandre les forces matérielles et intellectuelles de la nation grecque, encore considérables et loin d’être épuisées, trouvèrent un théâtre nouveau et immense pour un développe ment inconnu jusqu’alors et pour les créations les plus importantes et les plus diverses. Mais ces forces considérables n’étaient plus qu’au service d’intérêts étrangers ; l’histoire de la civilisation grecque ne coïncidait plus, pas même en grande partie, avec l’histoire de la Grèce ; le centre politique du monde hellénique, pendant toute la période si agitée qui s’écoula depuis Alexandre le Grand, n’était plus dans la vieille Grèce, et l’élément religieux lui-même, qui jusqu’alors avait maintenu comme en une union idéale les divers membres de la nation hellénique, répandus au loin, avait perdu depuis longtemps sa forme et son importance. Cette grande nation ne se sentait plus guère unie, pendant la période de ce qu’on appelle l’hellénisme, que par sa littérature, le sentiment d’une civilisation commune et les grands souvenirs d’un passé glorieux. Mais, parmi tous les pays du nouveau monde hellénistique, l’antique mère patrie, dont ce livre se propose de raconter les dernières destinées, avait le moins profité des nouvelles et glorieuses conquêtes des armes et du génie de la Grèce. L’émigration en masse de robustes guerriers et d’audacieux aventuriers, de laborieux colons et d’ambitieux jeunes gens de toute profession qui sous Alexandre le Grand et les Diadoques étaient allés s’établir dans les contrées de l’Orient, avait épuisé la mère patrie ; et les guerres incessantes des Diadoques, pendant la période de près de cinquante ans qui s’étend de la mort d’Alexandre a l’invasion des Celtes dans la Grèce centrale, avaient exercé leurs cruels ravages, plus qu’ailleurs, dans une grande partie de la Grèce continentale. Mais lorsque enfin, au milieu de toutes ces formidables commotions, se fut formé un nouvel et imposant système d’États hellénistiques et que partout en Orient un état de choses plus régulier se fut établi, les États et villes helléniques des deux rives de la mer Egée commencèrent à voir, eux aussi, des temps meilleurs. La longue série de ces villes grecques, de ces antiques colonies situées sur le bord nord-ouest et ouest de l’Asie-Mineure, depuis Sinope, Héraclée et Byzance jusqu’à l’archipel Rhodien (cités dont notre relation ne pourra jamais, il est vrai, qu’effleurer en passant les destinées ultérieures), redevinrent prospères et florissantes ; leur histoire forme un des points les plus lumineux dans les annales du monde hellénique pendant le IIIe siècle, avant J.-C. En partie complètement indépendantes, comme l’étaient surtout les puissantes cités commerçantes d’Héraclée, de Byzance et de Rhodes, mais relevant pour la plupart, à titre de villes libres, des divers princes qui régnaient sur ces eaux et sur ces côtes — des dynastes de Bithynie, des Attales, des Séleucides, et principalement des Ptolémées qui dominaient dans la mer Egée — et dont la suzeraineté peu gênante n’était souvent, en bien des endroits, que purement nominale, mais partout florissantes par le commerce et l’industrie, et s’adonnant avec zèle aux arts et à la science de ces temps-là ; c’est ainsi que nous apparaissent, au milieu et à la lin du IIIe siècle, les villes qui formaient l’aile orientale du vieux monde hellénique. Mais c’est Rhodes qui, pendant cette période, avait eu le développement de beaucoup le plus brillant. Le civisme éclairé de ses habitants avait préservé cette île florissante de la triste décadence et des horribles lut tes de partis qui, à l’époque des Diadoques et des Épigones, avaient mené à la ruine de nombreuses cités grecques ; la bravoure bien connue des Rhodiens sur terre et sur mer, l’entretien d’une forte marine militaire, l’habile politique grâce à laquelle cette cité, tout en restant amie des Lagides, sut conserver sa neutralité au milieu des luttes incessantes des grandes puissances hellénistiques, ne lui avait pas seulement gagné l’estime générale, les Rhodiens avaient su aussi, en profitant sagement de l’heureuse situation commerciale rie leur île, développer tellement leur trafic, que, même longtemps après le moment de leur contact avec Rome, il ne le cédait en importance qu’à celui d’Alexandrie et de Carthage. Si l’excellent code maritime et commercial des Rhodiens était reconnu au loin, au IIIe siècle, ils surent aussi constamment sauvegarder avec, fidélité et une grande habileté les droits et les intérêts des villes libres et à moitié libres dont ils étaient les protecteurs naturels et, si cola était nécessaire, les défendre énergiquement les armes à la main. Par contre, la grande île de Crète, où les luttes désastreuses entre les villes dominantes de Gortyne, de Cydonie et de Cnossos se répétaient d’une façon chronique, restait indépendante, mais persévérait dans un isolement inutile. Comme autrefois, les Crétois, dans ces temps-là aussi, n’étaient d’ordinaire en rapport avec les autres Grecs que par leurs mercenaires, qu’ils ne refusaient à aucun potentat en mesure de les bien payer.

Cependant, ce fut précisément le continent grec qui reprit une importance toute particulière depuis la fin de l’époque des Diadoques proprement dite. Là, depuis la guerre Lamiaque, l’ancien ordre de choses avait été complètement détruit au milieu des guerres et des ruines ; les anciens États prépondérants de la nation grecque, sans en excepter Athènes, se trouvaient réduits à une impuissance complète. Par contre, quelques tribus de l’ancienne Grèce qui, à l’époque où les Hellènes s’étaient couverts de gloire, n’avaient joué qu’un rôle très secondaire, avaient réussi à faire valoir énergiquement leurs forces encore intactes : les belliqueux Etoliens dans la Grèce centrale, les Achéens et les Arcadiens dans le Péloponnèse, s’étaient décidément placés au premier rang depuis l’époque de la guerre celtique, et notamment depuis le milieu du IIIe siècle avant J.-C. ; il semblait vraiment qu’une ère nouvelle de prospérité allait commencer pour l’antique pays des Hellènes. Il est vrai que, par suite du changement complet survenu dans l’état politique du monde, ces États grecs de formation nouvelle pouvaient à peine, malgré leurs efforts, s’élever au rang de puissances de second ordre ; il est vrai que ces jeunes Etats grecs ne pouvaient pas songer à suivre une politique indépendante dans le sens élevé du mot ; s’ils n’exerçaient pas, ou du moins s’ils ne pouvaient exercer que très rarement une influence décisive sur les affaires générales du système des Etats hellénistiques, leur politique était presque toujours déterminée par l’état des rapports politiques entre les grandes puissances hellénistiques, la Macédoine, la Syrie et l’Egypte. Mais malgré cela, la Grèce avait infiniment gagné par la formation de ces confédérations nouvelles. Les temps terribles n’étaient plus où les malheureuses contrées de la péninsule hellénique étaient foulées aux pieds par les armées des Diadoques, où l’égoïsme et les combinaisons intéressées de ces souverains étrangers — qui ne cessaient de tromper ce peuple malheureux en lui répétant les mots magiques de liberté et d’indépendance de tous les Hellènes, tandis qu’au fond la Grèce n’avait de valeur à leurs yeux qu’à cause de ses positions stratégiques et parce qu’elle leur fournissait de bons soldats — couvraient sans cesse ce pays de sang cl de ruines ; elles n’étaient plus ces années néfastes où le peuple grec ne comptait plus pour rien, surtout dans son antique patrie, et où, pour comble de misère, avait surgi en d’innombrables lieux cette race de criminels sanguinaires dont le règne a valu une si terrible renommée à la tyrannie nouvelle. Depuis la seconde moitié du IIIe siècle avant J.-C., la Grèce était redevenue malgré tout quelque chose de plus qu’une simple notion géographique ; la formation de la Ligue étolienne et de la Ligue achéenne avait rendu aux forces encore vivaces de la péninsule un solide point d’appui ; c’était quelque chose que de revoir des puissances grecques indépendantes, avec lesquelles les souverains étrangers, habitués pendant si longtemps à traiter la Grèce selon leur bon plaisir, étaient obligés de compter très sérieusement. Il y a plus : les nouveaux États grecs jouirent eu somme pendant assez longtemps d’une assez grande considération. On craignait même au loin les belliqueux Etoliens ; l’impétueuse valeur de ces robustes montagnards remplissait de terreur leurs ennemis et de confiance leurs amis, jusqu’en Asie-Mineure, en Syrie et en Egypte. Et si le solide civisme et la démocratie modérée des Achéens n’étaient appréciés à leur juste valeur que dans les limites plus étroites de la Grèce même, leur cher et illustre Aratos, au temps de sa fortune, jouissait d’autant plus de considération auprès des grandes cours hellénistiques comme habile diplomate et homme d’Etat expérimenté.

Vers l’an 228 avant J.-C, la grande œuvre de la restauration d’une Grèce indépendante semblait avoir beaucoup de chances de succès. Les rois de Macédoine de la maison d’Antigone le Grand, après que cet Etat se fut relevé des terribles ruines causées par les invasions celtiques en 279 et 278, avaient, depuis Antigone Gonatas et depuis que leur monarchie eut été réduite à la presqu’île des Balkans, en ce qui concernait leurs intérêts en Europe, repris une partie seulement des plans de l’illustre vainqueur de Chéronée. Ils avaient renoncé à enchaîner à leur domination, par des liens plus ou moins étroits, les tribus barbares du nord, de l’est et de l’ouest de leur empire jusqu’au Danube, à la mer Noire et à la mer Adriatique ; de ce côté, ils ne se tiennent plus guère que sur la défensive. Mais ils font au sud des efforts d’autant plus énergiques pour conserver la Grèce. Sans doute ils ne peuvent sérieusement songer à faire de ce pays une province macédonienne, mais ils tendent décidément à s’emparer du moins des points importants de la péninsule hellénique et, soit par de solides alliances, soit en envoyant des secours continuels à de puissants partis ou à certains potentats, à lier si étroitement les États grecs à leur politique qu’à côté de l’influence macédonienne aucune autre ne puisse ni s’établir ni se maintenir. C’est ainsi que, depuis le relèvement de la Macédoine par Antigone Gonatas, les nouveaux États grecs se trouvent presque constamment en lutte avec cette puissance.

A l’époque déjà indiquée, vers l’an 228 avant J.-C, après la mort du roi de Macédoine Démétrios II, la balance semble décidément pencher en faveur des Hellènes. L’influence macédonienne est refoulée jusqu’au fond de la Thessalie. La Ligue étolienne domine dans la plus grande partie de la Grèce centrale ; les Achéens, très liés avec les Ptolémées d’Egypte, principaux adversaires des Antigones, ont déjà gagné pour leur Ligue la plus grande partie du Péloponnèse avec Mégare et Égine et de plus enlevé l’Attique à la puissance macédonienne ; l’union amicale enfin entre les Achéens et les Étoliens n’est encore nullement compromise ; les rapports entre ces deux puissances continuent à être, en apparence du moins, assez satisfaisants, malgré la jalousie qui les dévore en secret.

Mais les belles espérances du rétablissement complet d’une Grèce indépendante, qu’avait fait naître cet état de choses, ne devaient point se réaliser. Ce ne fut pas cependant l’hostilité entre les Achéens et les Étoliens qui fit échouer l’œuvre de la régénération de la Grèce : on sait au contraire que la tournure fatale que prirent les destinées de la Grèce dès les années qui suivirent a été amenée par une dernière tentative de rajeunir Sparte vieillissante. Ce fut un malheur immense pour les Hellènes que l’antipathie récente entre les institutions civiles des Achéens représentées par Aratos, qui avaient une teinte fortement timocratique, malgré leurs formes démocratiques, et la royauté nouvelle du Spartiate Cléomène III, que soutenaient surtout les masses, n’ait pu être ni vaincue ni oubliée ; que l’homme d’État achéen qui avait tant de mérites n’ait vu dans le jeune roi de Sparte, dans le génie le plus original qu’ait pu produire la Grèce sur son déclin, que le destructeur de l’œuvre de sa vie ; qu’il n’ait pas trouvé assez de grandeur d’âme, de renoncement à soi-même pour céder le pas à son puissant rival dans l’intérêt de la Grèce, pour abandonner à Cléomène l’hégémonie dans le Péloponnèse, et que, d’autre part, ce même Aratos n’ait pas possédé lui-même, dans cet Age de fer, le génie militaire, et n’ait pas eu à, sa disposition un général qui eût pu se mesurer avec succès avec Cléomène (comme les Achéens en trouvèrent un par la suite dans Philopœmen, précisément un demi-siècle trop tard). Il arriva donc qu’Aratos, avec les débris de la Ligue achéenne et au moment de sa plus grande détresse (en 223 avant J.-C.) employa un moyen désespéré en appelant à son secours ces mêmes Macédoniens contre lesquels, pendant une génération, il avait lutté de toutes ses forces. Quant aux Étoliens, qui, avec toute leur énergie et leur audace, ne possédaient pas dans ces années décisives un homme d’Etat d’un esprit supérieur, qui étaient aussi peu capables que les Achéens de s’élever à des conceptions panhelléniques, les Étoliens ne purent pas prendre une part décisive et salutaire à la direction des affaires du Péloponnèse si gravement compromises. L’éminent roi de Macédoine, Antigone Doson, devint donc l’arbitre souverain des destinées de la Grèce. La défaite de Bellasie (dans l’été de l’année 221 av. J.-C.) mit fin pour toujours aux projets audacieux des Spartiates ; la Ligue achéenne et Aratos se virent délivrés de leur puissant ennemi. Mais c’était une délivrance bien chèrement achetée. Non seulement, pendant la guerre contre Cléomène, Mégalopolis, la perle des cités arcadiennes, reçut un coup dont elle ne se remit jamais entièrement (222) ; non seulement les troupes macédoniennes reprirent pied à Orchomène, en Arcadie, et à Corinthe, la clef du Péloponnèse : la liberté et l’autonomie des Achéens, l’espoir de reconstituer une Grèce indépendante s’évanouirent à jamais.

Le prudent Antigone était, en effet, l’homme qu’il fallait pour profiter largement de la faveur des circonstances, afin de renouveler et d’établir sur de fortes bases la suprématie macédonienne en Grèce. Dans l’état où se trouvaient les Grecs, il ne pouvait pas songer, il est vrai, à attacher les différentes villes grecques à la Macédoine en y établissant des tyrans, comme l’avaient fait ses prédécesseurs : il eut donc recours aux formes dont s’était servi le vainqueur de Chéronée : il créa une vaste symmachie gréco-macédonienne. Il constitua ainsi, pendant la guerre contre Cléomène, une grande confédération d’États qui comprenait la Macédoine et la Thessalie, la Béotie et la Phocide, les tribus unies du l’Épire, l’Acarnanie, et enfin aussi les Achéens, et à laquelle, après la défaite de Cléomène, Sparte elle-même dut s’adjoindre. La mort prématurée d’Antigone ne permit pas d’organiser systématiquement cette nouvelle symmachie comme l’avait été celle que Philippe II avait constituée de force et que représentait le synode de Corinthe. De même — car les circonstances n’étant plus du tout semblables, Antigone choisit les formes les plus douces pour faire reprendre peu à pou aux Hellènes l’habitude de la suzeraineté macédonienne, — la suprématie de la Macédoine ne s’affirma pas de longtemps aussi fortement, du moins en apparence, que du temps de Philippe et d’Alexandre. Les États grecs qui faisaient partie de la nouvelle symmachie étaient réunis[1], du moins de nom, en une confédération, non pas sous l’hégémonie de la Macédoine, mais avec la Macédoine. Mais, en fait, l’hégémonie appartenait au roi de Macédoine, qui se réserva d’emblée la direction des affaires politiques, et auquel, à cause de ses forces supérieures, devait naturellement tomber en partage aussi le commandement militaire[2] ; d’ailleurs, les divers membres de celle confédération n’avaient presque point d’intérêts communs et n’étaient plus unis que par leur alliance commune avec la Macédoine. A l’exception, d’une part, des Athéniens, qui, depuis leur délivrance du joug macédonien, se laissaient diriger complètement par la politique égyptienne, et, de l’autre, des puissants Etoliens et des cantons péloponnésiens, l’Élide et la Messénie, qui marchaient avec eux tous les États de la péninsule grecque se retrouvaient alors (fin de l’année 221 av. J.-C.) réunis sous la domination macédonienne. La fatale désunion des Grecs, que les plus fâcheuses expériences n’avaient pu faire cesser et qui déjà au IVe siècle avant J.-C. avait placé entre les mains de Philippe II le gouvernement de la Grèce, mit aussi fin, d’une façon lamentable, au nouvel espoir d’un relèvement des Hellènes du m0 siècle, du moins en ce qui concerne le Péloponnèse. Et pourtant, il faut bien le dire, si les Hellènes de cette époque étaient incapables de mettre en mouvement dans tout leur ensemble les forces considérables dont ils disposaient encore et d’apaiser ou de faire cesser, par leur propre énergie, les haines vivaces qui renaissaient toujours au sein de ce peuple étrange, il n’en fallait pas moins considérer comme une circonstance favorable que la puissance qui, dans la péninsule, se rapprochait le plus des Grecs par une origine commune, eût assez de force pour réunir sous sa protection la plupart des membres de cette nation divisée et — bien qu’elle fît toujours passer en première ligne son propre intérêt — pour utiliser, sans en négliger aucune, dans la plupart des cantons grecs, les ressources dont ils pouvaient disposer encore. Car précisément à cette époque où le sort du Péloponnèse allait se décider, il devenait de plus en plus évident pour les hommes d’État les plus clairvoyants que les deux formidables grandes puissances de l’ouest, Carthage, qui depuis ses conquêtes eu Espagne avait pris un nouvel essor, et la jeune grande puissance italique qui depuis 228 av. J.-C. avait déjà poussé ses avant-postes au delà de l’Adriatique jusqu’en Illyrie et à Corcyre, se préparaient à une lutte pour l’existence dont l’issue devait nécessairement exercer une influence décisive sur le monde grec et le monde hellénistique. Dans cette éventualité, la monarchie macédonienne bien constituée, avec ses robustes habitants et sa vaillante armée, était le boulevard naturel de tout l’Orient en général, et tout d’abord la protectrice naturelle et nécessaire de la péninsule grecque avec son système d’Étals compliqué. Et cette même Macédoine n’était plus du tout maintenant, à l’égard de la Grèce méridionale, dans la situation où elle avait été du temps du Philippe II. Le peuple macédonien, abstraction faite des tribus celtiques et illyriennes qui s’étaient fixées dans le pays, s’était complètement assimilé la civilisation hellénique ; l’antipathie qu’éprouvaient les unes pour les autres, du temps de Philippe et même encore du temps d’Alexandre, les Hellènes et les Macédoniens avait pendant les cent dernières années presque entièrement disparu, par suite des rapporta constants, soit pacifiques, soit hostiles, entre les deux nations ; les intérêts de la Macédoine avaient fini par se confondre si bien avec ceux des autres Etats de la péninsule, qu’il ne fallait plus penser, dans l’état actuel du monde, à une séparation complète de la Grèce et de la Macédoine ; chaque nouveau conflit et toutes les complications politiques en fournissaient la preuve. Ajoutez à cela la conviction depuis longtemps partagée par bien des esprits[3] qu’une Macédoine puissante, dont les troupes vigoureuses fussent en état de résister avec succès aux dangereuses tribus des Barbares du nord, Illyriens, Dardaniens, Celtes et Thraces, était absolument nécessaire à la sécurité de la Grèce méridionale. Enfin, les forces militaires de la Macédoine proprement dite n’étaient plus, au temps dont nous parlons, à beaucoup près aussi supérieures à celles des Grecs qu’à l’époque d’Alexandre. La perte de milliers de ses plus robustes habitants conduits en Asie sous Alexandre le Grand et sous les Diadoques, les terribles incursions des Celtes et les incessantes guerres ultérieures avaient considérablement diminué la population de la Macédoine ; dès le temps de Philippe V, la levée d’une armée de 26,000 hommes à peine (mercenaires compris) coûtait des efforts extraordinaires, Du moment que la politique macédonienne cessait de pouvoir disposer en môme temps de la Grèce, ou du moins d’une grande partie des cantons grecs, sa position de grande puissance se trouvait singulièrement compromise. Or, s’il avait été possible d’allier avec la Macédoine tous les États grecs de la péninsule, unis entre eux, même par des liens assez lâches et par un certain sentiment d’intérêts communs, la liberté et l’indépendance des cantons grecs n’auraient probablement pas eu beaucoup il craindre de Pella.

Mais malheureusement, il n’en était pas ainsi. Sans parler des robustes Étoliens qui étaient restés indifférents à l’égard de la nouvelle ligue d’Antigone Doson, cette même ligue de création nouvelle u’était pas née, du moins en ce qui concerne les Grecs, de considérations et de calculs ayant une vaste portée ou s’élevant au-dessus des intérêts du moment ; elle était partout le résultat d’une politique locale plus ou moins étroite. La plus grande partie de la Thessalie était, depuis l’époque de Philippe II, à l’exception de quelques rares moments d’indépendance, devenue province macédonienne ; ceux des Acarnaniens, des Épirotes, des Phocidiens qui étaient encore indépendants se jetèrent dans le parti macédonien à cause de leur antipathie pour les Étoliens, dont la puissance et la politique ambitieuse menaçaient leur indépendance locale et dont les brigandages ruinaient leurs propriétés. Il en était à peu près de même des Béotiens, qui végétaient dans les excès et la débauche et qui déjà depuis le roi Démétrios II n’avaient cessé d’entretenir les relations les plus étroites avec la Macédoine. Quant au Péloponnèse enfin, nous avons déjà vu comment la désastreuse rivalité de Sparte et de la Ligue achéenne les fit tomber l’une et l’autre sous la domination macédonienne. Le plus important et le mieux ordonné des États groupés alors autour delà Macédoine, la Ligue achéenne, qui aurait très bien pu, même sous la domination macédonienne, conserver une certaine autonomie, avait malheureusement développé sa force armée d’une façon bien insuffisante sous la direction d’Aratos, très défectueuse au point de vue militaire : de telle sorte que les Achéens en étaient bien souvent réduits à appeler à leur secours des troupes macédoniennes. Par suite de cet état des affaires en Grèce, la prépondérance de la Macédoine dut se faire sentir, alors comme plus tard, d’une façon décisive au sein de la nouvelle Ligue : prépondérance qui ne reposait pas uniquement, qui se fondait même bien moins sur l’étendue des ressources matérielles de cet État que sur la valeur morale, la pratique constante du métier des armes, la discipline militaire et politique du peuple macédonien, et sur la fermeté et la ténacité avec lesquelles les hommes d’État macédoniens, formés par une longue tradition politique, défendaient les intérêts de l’Étal et s’efforçaient de résoudre les problèmes politiques, qui leur étaient très clairement indiqués et dont ils avaient parfaitement conscience eux-mêmes. S’appuyant sur ses forces nationales, sur la Thessalie, en grande partie macédonienne, avec sa forteresse maritime très importante de Démétriade (en Magnésie, sur le golfe de Pagase), sur l’île d’Eubée, depuis longtemps au pouvoir de la Macédoine, très importante aussi au point de vue stratégique avec la forte Chalcis, qui, du côté de la mer, permettait d’entrer en Béotie, et sur Corinthe, la clef du Péloponnèse (de même que sur Orchomène en Arcadie), Antigone Doson pouvait considérer comme solidement établie la domination de sa dynastie sur la Grèce. Comme État, Athènes ne comptait presque plus, et les puissants Étoliens, qui résistaient encore au roi et dont les possessions continentales — elles s’étendaient sur une vaste surface depuis l’archipel céphallénique et la vallée de l’Achéloos jusqu’à Delphes, et du détroit de Rhion jusqu’aux Thermopyles et bien avant dans la Phthiotide — séparaient toujours encore les contrées septentrionales de la nouvelle Ligue des contrées méridionales, étaient si bien cernés et resserrés qu’Antigone pouvait bien espérer de les forcer eux aussi, tôt ou tard, à reconnaître son hégémonie.

Dans ces circonstances, il ne reste plus, depuis la bataille de Sellasie, à la plupart des Hellènes confédérés, parmi lesquels les Spartiates exaspérés conservaient seuls l’espoir d’un soulèvement des Étoliens, qu’à prendre leur parti de ce grand fait accompli : la domination de la Macédoine rétablie en Grèce. Quant aux Achéens, ceux dont les sympathies n’avaient pas été pour Cléomène pouvaient du moins espérer qu’en profitant sagement des circonstances nouvelles, ils verraient prospérer leurs affaires tant que leurs intérêts ne seraient pas contraires à ceux des Antigonides. Et c’est dans ce sens qu’Aratos, surtout depuis le jour mémorable où il rompit avec son propre passé, s’efforça de garantir au moins à ses chers Péloponnésiens, par son influence personnelle auprès des souverains macédoniens, une situation tolérable au sein de la nouvelle symmachie.

Ce fut donc un grand malheur, eu égard à la situation générale du monde à cette époque et à l’état des affaires de la péninsule gréco-macédonienne en particulier, que la mort subite d’Antigone Doson, de ce souverain éminent qui fut enlevé peu de temps après la bataille de Sellasie (vers la fin de l’an 221 ou au commencement de l’an 220 avant J.-C), à peine âgé de quarante ans[4]. Il est vrai qu’Antigone avait bien nettement fait sentir aux Achéens qu’à côté de la royauté militaire macédonienne, les institutions démocratiques du Péloponnèse étaient tout au plus tolérées. Aratos lui-même, jusque-là traité avec la plus grande distinction par le prudent monarque, avait dû, encore pendant la guerre contre Cléomène, se soumettre à l’humiliation de voir relever les statues des anciens tyrans dans la ville d’Argos délivrée par les Achéens et renverser celles des libérateurs achéens à Corinthe (excepté celle d’Aratos lui-même[5]). Le cruel traitement enfin que subit Mantinée, prise en 222, donnée ensuite aux Argiens, repeuplée par eux et appelée par Aratos Antigonia, par déférence pour le roi[6], souilla d’une tache de sang la gloire militaire d’Antigone, même en admettant que les Achéens soient en grande partie responsables de ce crime.

Et cependant, vu l’état général du monde, la mort d’Antigone était pour les Hellènes aussi une grande perte. Car ce monarque était un homme, dans toute l’acception du mot, un homme comme le monde grec et hellénistique n’en comptait plus que peu à cette époque. S’il avait su rendre à la Macédoine sa puissance après l’avoir tirée d’une situation très fâcheuse ; s’il avait su fixer l’inconstance de la fortune par son énergie opiniâtre et ses qualités éminentes comme souverain, il sut aussi très bien en imposer aux Grecs, s’attacher personnellement, par sa loyauté, par ses manières franches et bienveillantes, les hommes marquants de cette nation tristement divisée, et gagner leur confiance. Et si, comme chef militaire macédonien, il se tint sur la réserve vis-à-vis de la démocratie grecque, on ne peut lui reprocher les folies tant politiques que personnelles de son jeune successeur, ni la négligence et la brutalité avec laquelle il lésait les intérêts les plus sacrés, ni enfin son caractère cruel et vindicatif. En un mot, Antigone, en descendant au tombeau, priva la Grèce de celui qui, mieux que tout autre, eût pu diriger d’une main ferme les destinées de cette partie du monde oriental, au milieu de la crise formidable dans laquelle allait être entraînée bientôt la Macédoine elle-même par la lutte pour la domination du monde qui déjà s’annonçait à l’ouest de l’Adriatique.

La puissance de la Macédoine avait été si solidement rétablie par Antigone que, même après sa mort, aucune velléité de défection, aucune agitation ne se manifesta au sein de la nouvelle Ligue. On pouvait d’autant moins songer à un soulèvement que, par suite de la mort inattendue du grand Ptolémée III Évergète (en automne 221), qui peu de temps auparavant avait accueilli avec beaucoup de bienveillance Cléomène fugitif, et de l’avènement du faible Ptolémée IV, la politique ambitieuse de la cour d’Egypte cessa de se faire sentir au dehors et d’offrir comme jusqu’alors un point d’appui aux agitations de la Grèce contre la Macédoine. Quanta Aratos et aux Achéens, ils considéraient l’avènement du successeur d’Antigone sans la moindre inquiétude. En effet, le nouveau roi Philippe V (fils de Démétrios II), cousin, beau-fils et pupille d’Antigone Doson et a peine âgé de dix-sept ans[7], avait été envoyé dans le Péloponnèse par son tuteur peu de temps avant la mort de celui-ci, pour se familiariser avec les affaires de ce pays sous la direction d’Aratos. Ce dernier avait réussi alors à gagner la faveur et la sympathie du jeune héritier de la couronne et à lui inspirer de la confiance en sa personne et en ses conseils[8]. Aussi Philippe, devenu roi, répondit-il pendant plusieurs années aux espérances qu’Aratos avait fondées sur lui ; mais bientôt les circonstances, sans que l’influence de Philippe se fit encore sentir, se modifièrent de telle façon, que les Étals alliés de la Macédoine, sans en excepter la Ligue achéenne, devinrent de plus en plus dépendantes de la puissance dirigeante. Une série de conflits très fâcheux entre les Étoliens et les Messéniens, qui avaient jusqu’alors vécu en amis avec la Ligue étolienne, mais avaient récemment conçu le projet de se joindre à la symmachie gréco-macédonienne[9], amena d’abord au commencement de l’été de l’année 220 avant J.-C, entre les Étoliens et les Achéens, de sanglantes collisions dans lesquelles ces derniers eurent si complètement le dessous, qu’ils furent obligés d’implorer le secours du roi Philippe. La tournure que prirent les affaires en Grèce amenèrent Philippe et ses alliés à entreprendre une grande guerre dont le but avoué était de reconquérir les villes enlevées depuis dix ans à divers alliés par les Etoliens, mais qui, au fond, tendait à refouler ceux-ci dans les limites les plus étroites possibles, et à les faire reculer au moins au delà du mont Œta et de Delphes[10].

Nous n’avons pas à parler ici en détail de la guerre qui éclata alors et qui porte le nom de Guerre Sociale (219-217 avant J.-C.)[11] ; il suffira d’insister sur son importance politique.

Le but politique des Étoliens en commençant la guerre fut, selon toute probabilité, le suivant : ils voulaient arrêter avant tout le développement de la symmachie gréco-macédonienne, qui avait déjà envahi en Messénie un territoire où l’influence étolienne avait été puissante jusqu’alors ; de plus, ils espéraient sans doute, ne connaissant pas encore les forces du jeune roi, pouvoir, par une guerre heureuse, déchirer le filet sous lequel Antigone Doson avait tenu la Grèce prisonnière et dont il les avait entourés eux-mêmes. Mais la suite des événements montra que les lourdes fautes que la politique étolienne avait commises jusque-là commençaient à porter leurs fruits amers. Ce fut constamment le malheur et la faute de cette énergique tribu grecque, qu’au temps qui précéda cette guerre sa force exubérante n’ait jamais été ni bien dirigée, ni disciplinée par un système de saine politique, ni préservée d’un gaspillage sans but ; que les Étoliens n’aient jamais suivi une politique d’ensemble, à vues larges, réfléchie, conséquente avec elle-même, et bien dirigée ; surtout que le germe de l’idée du panhellénisme, qui là aussi ne faisait pas complètement défaut, n’ait pas eu un développement plus complet. Le moment où il semblait que pour la dernière fois les Étoliens eussent pu ou conquérir le premier rang en Grèce, ou, en s’unissent aux membres encore vivaces de la péninsule, régénérer leur pays par leurs propres efforts, était passé depuis la bataille de Sellasie, depuis l’entrée d’Antigone à Sparte. Dès lors, la suzeraineté macédonienne était pour lu péninsule hellénique un fait accompli ; la situation générale du monde en faisait en même temps une nécessité. Les Étoliens se virent ainsi réduit8 à une défensive permanente, pleine de difficultés surtout au point de vue politique. Mais les Étoliens avaient beaucoup contribué par leur propre faute — on le vit bien au début de la guerre qui éclata en 220 — à augmenter les difficultés politiques de leur position. Les vieilles habitudes de brigandage dont ils n’avaient jamais voulu se corriger complètement allaient recevoir leur châtiment ; leurs nombreuses querelles privées, les brigandages sur mer et sur terre que les audacieux chefs de partisans étoliens avaient commis au détriment de tous leurs voisins — souvent très mal à propos, trop souvent aussi sans aucun égard pour les intérêts politiques de leur pays — avaient partout excité la haine et leur avaient valu au loin une fâcheuse renommée. Aussi, pendant la guerre qui venait d’éclater, les Grecs ne sont presque nulle part sympathiques aux Etoliens, qui, à l’exception des Eléens, depuis longtemps leurs amis, ne trouvent point d’alliés au début de la lutte, même parmi ceux des Hellènes qui n’adhéraient pas encore fortement à la symmachie ; de là vient aussi qu’ils ne réussissent pas à enlever aux Macédoniens leur prépondérance politique. Abstraction faite des subsides que l’adversaire de Philippe, le roi Attale Ier de Pergame, alors déjà l’ami des Étoliens, fit parvenir à ces derniers[12], la politique étolienne ne trouva d’appui qu’à Sparte. Les Spartiates, qui, depuis la mort d’Antigone,vivaient tantôt en proie à une sourde effervescence, tantôt au milieu de sanglantes dissensions intestines, se décidèrent à placer, au printemps de l’année 219, deux nouveaux rois sur le trône des Héraclides devenu vacant. Cléomène, qu’on avait beaucoup regretté et dont on avait en vain souhaité le retour, venait enfin de trouver en Egypte sa fin tragique, vers la fin de 220 ou au commencement de 219 ; le jeune Agésipolis III représentait la famille des Eurysthénides ; l’autre moitié de la double royauté Spartiate fut donnée par les éphores à un certain Lycurgue[13], qui acheta pour une grosse somme l’exclusion des derniers héritiers légitimes des Proclides. D’autre part, les Étoliens réussirent à détacher de la Ligue gréco-macédonienne les Spartiates, qui s’allièrent à eux et prirent part sans tarder à la guerre générale. Dans le camp opposé, Philippe nourrissait probablement l’espoir d’ébranler par cette guerre la puissance étolienne en Grèce, et de préparer le seul territoire grec encore indépendant a reconnaître sa suzeraineté.

Cette guerre, qui, du reste, mit bientôt en mouvement les tribus barbares du nord, les Illyriens pour la Macédoine, les Dardaniens contre elle, ne se déroula point comme récemment la guerre contre Cléomène, en une série d’actions importantes, de coups décisifs ; au contraire, d’un côté, les frontières étendues et irrégulières des deux pays belligérants furent le théâtre d’un grand nombre de sanglantes escarmouches ; de l’autre, ta qui intéressait surtout dans cette lutte, ce fut le siège de certaines places fortes et notamment une série d’incursions réciproques en pays ennemi, accompagnées de terribles ravages, peu importantes au point de vue militaire, mais désastreuses pour les malheureux cantons du nord rie la Grèce, comme aussi pour l’Etolie et une partie du Péloponnèse. On vit bien clairement alors que les principaux chefs des Étoliens, le brutal Dorimachos de Trichonion et le vaillant mais non moins sauvage Scopas, ne pouvaient pas, comme généraux, se comparer à Cléomène ; ce qui lit plus de tort encore à la cause étolienne, ce furent les horribles dévastations et les honteux pillages de temples dont ces chefs se rendirent coupables en s’élançant avec autant d’audace que d’énergie de leur forteresse située sur la montagne ; ils étouffèrent ainsi dans le reste des Hellènes les sympathies qui y pouvaient exister encore. Philippe, de son côté, bien qu’il fit preuve de talent militaire, qu’il fût toujours tout aussi prêt à se battre, tout aussi rapide dans ses mouvements que les Étoliens, n’égala pas, comme chef d’armée, son prédécesseur Antigone. Avouons-le cependant : outre les incursions des Dardaniens, ce fut la mollesse de la plupart des alliés de Philippe et la regrettable faiblesse des armées achéennes qui empêchèrent surtout le roi, réduit, sur presque tous les points du vase théâtre de la guerre, à faire le plus gros de la besogne avec ses Macédoniens ; de réaliser complètement le plan qu’il s’était tracé : l’attaque systématique et concentrique du haut plateau étolien et de vigoureux assauts contre le cœur même de leur position.

Malgré cela, le plateau de la balance semblait pencher en faveur de Philippe. Les Étoliens, dont Philippe avait ravagé en 218 pendant une de ses plus célèbres expéditions le centre politique, Thermon : qui avaient perdu sur leur frontière sud-ouest Œniadæ (219), et en Thessalie (217), Thèbes Phthiotique : qui, en exceptant si l’on veut une partie des Crétois[14] et le roi de Pergame, n’avaient pas d’alliés considérables dont ils eussent pu recevoir des auxiliaires ou du moins des subsides, virent leurs ressources diminuer peu à peu : ils commencèrent donc en 217 à désirer sérieusement la paix. Aussi, ce fut la nouvelle des événements extraordinaires survenus précisément alors dans la péninsule italique qui décidèrent enfin les puissances belligérantes à changer complètement de politique.

La lutte pour l’existence à laquelle Rome et Carthage se préparaient depuis longtemps — elle porte le nom de deuxième guerre punique — avait enfin éclaté en 218 av. J.-C. Le formidable Hannibal avait pénétré dans le nord de l’Italie vers la fin de l’été de cette année, et déjà l’Orient suivait avec une inquiète attention les premières grandes péripéties de cette guerre. Or on sait qu’Hannibal avait, aux premiers jours d’été de l’année 217[15], infligé aux Romains une terrible défaite auprès du lac Trasimène. La nouvelle de ce grand événement produisit dans toute la Grèce la plus profonde impression. Comparées à une guerre aussi acharnée et faite sur une aussi vaste échelle que celle qui venait d’éclater en Italie et en Espagne, les luttes dans lesquelles les États de la péninsule gréco-macédonienne consumaient alors le meilleur de leur force ne paraissaient plus que des combats de gladiateurs. La nation grecque, si désunie, eut alors un secret pressentiment de ses propres destinées : on sentait bien que dans cette lutte entre Hannibal et les Romains, il y avait un autre enjeu que la domination sur les pays situés à l’ouest de l’Adriatique, et que le vainqueur dans ce combat de géants ne manquerait pas, tôt ou tard, d’étendre sa main sur les contrées du monde hellénique. Cette conviction disposa les chefs des États grecs belligérants à se tendre la main pour faire la paix ; mais le roi Philippe aussi vint au-devant de leurs désirs. Il est vrai que lui avait d’autres motifs encore[16]. En effet, ce prince, jeune et plein d’ambition, que le sort n’avait cessé de favoriser jusqu’alors, se souvenait, grâce à l’influence d’un de ses compagnons les plus considérés, du chef illvrien Démétrios de Pharos (voy. ci-après), de l’ancienne grandeur des rois de Macédoine depuis Alexandre, de leurs faits d’armes éclatants et de la formidable puissance de ses propres ancêtres, du grand Antigone et du célèbre Démétrios Poliorcète. Le Pharien s’entendait très bien à nourrir et à exalter ces sentiments ; il savait enfin représenter au jeune général que l’état actuel de l’Italie était très favorable à une intervention efficace de la Macédoine ; au jeune roi, il ouvrait, sous les couleurs les plus séduisantes, la perspective d’un futur empire universel. Dans ces circonstances, il n’était pas difficile de décider toutes les puissances belligérantes de la péninsule hellénique, avant la fin de la 3e ou au commencement de la 4e année de la CXLe olympiade, à prendre part, pendant l’été de l’année 217 avant J.-C, à un congrès de paix qui se réunit près de Naupacte. Là ce fut surtout le digne Étolien Agélaos de Naupacte, un des meilleurs hommes d’État que l’Étolie ait jamais produits, qui donna une expression éloquente aux sentiments des Hellènes les plus clairvoyants. L’importance qu’avait pour la Grèce la grande guerre italique ; les dangers dont menaçait l’indépendance de la Grèce elle-même le nuage qui s’élevait à l’Occident ; la nécessité d’une entente générale et spontanée de tous les États grecs, tandis qu’il en était encore temps ; il insista sur tout cela avec autant de force que de clarté. Quant au roi Philippe, il lui attribua la mission, aussi belle que pleine de promesses au point de vue politique, d’assumer, dans toute l’acception du mot, le rôle de protecteur de tous les Hellènes ; si Philippe aspirait à plus de puissance encore, il n’aurait qu’à s’immiscer au moment opportun dans les affaires d’Italie[17]. Les paroles pleines de sens de l’homme d’État étolien furent partout reçues avec faveur, notamment par Philippe ; et c’est ainsi que, peu de temps après, on signa une paix générale qui confirma tous les partis dans leurs possessions acquises[18].

Le jour de la conclusion de la paix de Naupacte fut dans la vie du peuple grec un des rares moments où les puissances dirigeantes — du moins dans la mère patrie — s’unirent sous la pression des nécessités politiques. Mais, hélas ! ce fut aussi le dernier jour où tous les Grecs libres de la péninsule se tendirent librement la main. Les brillantes espérances avec lesquelles les hommes d’État et les généraux grecs réunis près de Naupacte se séparèrent ne devaient pas se réaliser. Il fut donné, il est vrai, aux Grecs de reconnaître l’unique chemin du salut ; mais l’énergie et la prudence nécessaires pour faire ce qu’il fallait pour obvier à la ruine imminente de leur indépendance nationale leur furent refusées. Le nuage de l’Occident ne devait que trop tôt s’étendre sur la Grèce, et cela principalement par la faute des Grecs eux-mêmes, et surtout par les fautes graves de leur guide naturel, Philippe.

Il y avait, après la conclusion de la paix à Naupacte, pour Philippe et pour les Grecs, deux moyens de conjurer avec quelque apparence de succès les dangers dont les menaçait eux aussi, tôt ou tard, la guerre d’Italie. Ou bien on pouvait profiter des circonstances pour vider à fond et en tout lieu les différends qui divisaient les États et les tribus, pour guérir les blessures qu’on se faisait depuis dix ans, mais avant tout pour mettre dans le meilleur étal possible les forces armées des divers Etats : on pouvait, en un mot, faire les préparatifs les plus énergiques pour repousser, en réunissant toutes les forces sous la direction de la Macédoine, toute attaque de celle des deux grandes puissances occidentales de Rome ou de Carthage qui tenterait d’étendre la main sur la péninsule hellénique. Mais il y avait de grands inconvénients à cette manière d’agir. Nous avons vu qu’aucun lien, même le plus léger, ne rattachait entre eux ceux des États grecs qui ne faisaient point partie de la Ligue gréco-macédonienne. Or, des préparatifs pour une défense commune n’eussent eu à coup sûr l’approbation générale qu’au cas où le danger eût été assez proche, assez tangible, pour émouvoir vivement non seulement les hommes d’Etat les plus clairvoyants, mais aussi la masse du peuple. Mais ceux qui connaissaient la situation telle qu’elle était pouvaient facilement prévoir que la plupart des Hellènes, s’ils devaient avoir plusieurs années de calme et se tenir uniquement sur la défensive en attendant les événements, s’abandonneraient bientôt aux douceurs d’une paix longtemps désirée, mais que tôt ou tard aussi on verrait s’accumuler de nouveaux sujets de dissensions intestines et qu’on ne ferait à peu près rien dans l’intérêt de tous. Le second moyen se recommandait donc de lui-même : il fallait que le roi Philippe profilât sans tarder du sentiment profond qui poussait les Grecs vers l’unité pendant qu’ils faisaient la paix à Naupacte. Il s’agissait de faire de forts armements en Macédoine et notamment sur mer, de réunir en faisceau l’élite des forces des Etats confédérés, mais avant tout d’attirer complètement a soi les vaillants Etoliens, pour s’immiscer ensuite au premier moment opportun, directement et d’une manière décisive, dans les affaires d’Italie. Alors le roi eût peut-être réussi à remettre en plein mouvement les forces toujours encore respectables de la nation grecque et, pendant les péripéties d’une lutte acharnée et peut-être couronnée de succès, à ressouder en même temps les membres épars de cette nation en prouvant ainsi au monde, l’épée à la main et plus clairement que jamais, ses droits à l’hégémonie en Grèce.

Le roi Philippe s’était décidé avec raison à prendre le second parti, la participation immédiate à la grande guerre italo-punique ; bien plus, il avait clairement reconnu que ses intérêts faisaient de lui l’allié naturel des Carthaginois. Sans doute, au point de vue de la politique de sentiment, les Grecs pouvaient s’élever contre l’alliance avec cette Carthage qui, depuis des siècles, avait empêché les progrès des Hellènes en Occident, qui autrefois avait attiré de grands désastres sur plus d’une belle colonie grecque de la Sicile et, il y avait deux ans à peine, sur la florissante Sagonte en Espagne. D’un autre côté, on se rappelait très bien encore et avec reconnaissance l’énergie pleine de calme avec laquelle les Romains, douze ans auparavant (229 avant J.-C), avaient mis fin rapidement et complètement à l’intolérable piraterie des Illyriens de Scodra dans l’Adriatique, que les Etoliens et les Achéens avaient en vain essayé de faire cesser[19]. Et cependant, au moment actuel, l’intérêt immédiat des Grecs et des Macédoniens n’était pas de s’allier avec Rome, mais bien avec Hannibal. En effet, dans la grande guerre qui se déroulait en Italie, ce n’était pas Carthage, mais Rome dont la victoire définitive devait être le plus grand danger pour l’indépendance de la péninsule grecque ; toute la puissance que les Carthaginois déployaient alors ne reposait-elle pas uniquement sur le génie du seul Hannibal ? Etait-il bien probable que ces mêmes Carthaginois qui, même au temps de leur plus grande puissance, avant la première guerre punique, n’avaient pas même réussi à soumettre complètement la Sicile grecque, si divisée pourtant, oseraient, même après un complet abaissement de Rome, avec leurs forces de terre artificielles et coûteuses, se poser dans la péninsule grecque en redoutables conquérants ? Par contre, la politique que les Romains avaient suivie jusqu’alors pouvait bien inspirer aux Grecs de sérieuses appréhensions. Les Étoliens se rappelaient peut-être que Rome, dès l’année 239, avait essayé d’intervenir par voie diplomatique en faveur de leurs ennemis, les Acarnaniens[20]. Même la guerre d’Illyrie avait laissé aussi des souvenirs dangereux et humiliants. Les pirateries des Illyriens n’étaient devenues si dangereuses que parce que l’hostilité qui reliait alors entre la Grèce et la Macédoine avait déterminé cette dernière puissance[21] à diriger toutes les forces des brigands illyriens contre les Hellènes, dont les principaux Etats, il fallait bien l’avouer, n’étaient pas de force à résister à ces troupes de pillards. Et les Romains vainqueurs, dont on avait alors (228), chez les Étoliens et les Achéens, à Corinthe et à Athènes, reçu les ambassadeurs avec les plus grands honneurs, auxquels les Corinthiens avaient accordé la participation aux eux Isthmiques, les Athéniens, la participation aux mystères d’Eleusis et le droit de cité (isopolitie)[22], ces mêmes Romains s’étaient hâtés de s’établir d’une façon durable sur la ôte orientale de l’Adriatique. Ils avaient, d’un côté, pris définitivement possession de l’île de Corcyre, et, de l’autre, une série de villes côtières et d’îles du sud de l’Illyrie (notamment plusieurs villes grecques, comme Apollonie, devenue leur amie depuis 270 avant J.-C, le port de Dyrrhachion, très important au point de vue militaire, et l’île d’Issa), de même que plusieurs tribus illyriennes, notamment les Parthiniens (près de Dyrrhachion) et les Atintanes (sur le bas Aoos), avaient été déclarés amis des Romains, c’est-à-dire incorporés à leur empire sous la dénomination spécieuse d’alliés militaires[23]. C’est ainsi que Rome avait, dès ce temps-là, poussé ses avant-postes jusqu’aux frontières de la Grèce et de la Macédoine proprement dites ; et si naguère déjà les Romains avaient surveillé a politique macédonienne non sans une jalousie inquiète de l’avenir[24], ils venaient de prendre pied dans des contrées qui jusque-là n’avaient cessé d’appartenir au domaine de l’influence macédonienne. Il fallait bien admettre que Rome, avec ses terribles et inépuisables milices nationales, devenue aussi formidable puissance maritime depuis la première guerre punique, n’hésiterait pas longtemps, après la ruine complète des Carthaginois, à continuer son œuvre à l’Orient, en Grèce. Et, bien que ni Philippe, ni les Hellènes ne se fissent une juste idée des forces dont disposait Rome, les patriotes clairvoyants de la péninsule hellénique sentaient très bien alors déjà que la vigueur juvénile des légions et la politique de la grande puissance italique voisine, qui s’avançait lentement mais irrésistiblement, allait devenir pour eux infiniment plus dangereuse que les riches marchands carthaginois avec leur flotte et leurs armées de mercenaires. Ce fut donc avant tout pour Philippe une nécessité politique de ne pas assister avec une inerte neutralité aux événements qui se déroulaient dans la péninsule italique ; son propre intérêt comme relui du monde grec lui défendait de permettre que Carthage succombât aux Romains ; la coopération avec Hannibal lui était réellement commandée par les circonstances, et aussi, en définitive, par la considération qu’il pourrait, en prenant part à la guerre, prévenir une diminution trop grande de la puissance romaine, chose qu’il ne pouvait pas non plus souhaiter.

Mais, pour son malheur et pour celui de la Grèce, le jeune roi de Macédoine, au moment où il aurait dû jeter ses regards au delà de l’étroit horizon des affaires politiques de la péninsule gréco-macédonienne, ne possédait nullement la maturité de l’homme d’État, la prévoyance, la fermeté, l’énergie constante, le sérieux du caractère, aucune des qualités enfin sans lesquelles il n’aurait pas dû se risquer à prendre part à la lutte gigantesque qui avait lieu de l’autre côté de l’Adriatique. Philippe avait été préparé avec le plus grand soin par son excellent tuteur Antigone au grand rôle qu’il était appelé à remplir. Il était intelligent, bien fait, d’un commerce agréable, mais il était arrivé trop jeune sur le trône ; il n’était pas encore assez rompu à la politique ; en un mot, il n’était pas encore, à l’âge de vingt ans à peine, capable d’atteindre le but élevé qu’il s’était proposé. Et pour son malheur, il n’avait auprès de lui aucun homme d’État qui eût pu suppléer, dans une certaine mesure, à ce qui lui manquait. Les plus éminents des ministres et des généraux macédoniens, dont Antigone mourant avait entouré son pupille comme d’une espèce de conseil de régence, avaient très mal rempli leur mandat. Guidés par un patriotisme étroit, ils étaient jaloux de la haute considération dont Aratos jouissait auprès de leur jeune souverain, et, après avoir tramé de honteux complots contre Philippe et ses intérêts, ils avaient trouvé une fin déshonorante au moment où s’achevait la guerre d’Étolie.

Quant au vieil Aratos, dont la politique n’avait jamais dépassé la sphère des intérêts grecs ou hellénistiques, il n’était pas particulièrement propre à donner des conseils relatifs à la position nouvelle dans laquelle on se trouvait vis-à-vis d’Hannibal et des Romains. Il ne restait donc plus guère à Philippe que l’homme qui avait déjà, tout récemment commencé à enlever à Aratos une partie de la considération dont il jouissait à la cour, qui avait déjà attiré sur l’Italie l’attention de Philippe et qui était la cause immédiate des difficultés qui avaient surgi entre le roi et les Romains : le prince illyrien Démétrios de Pharos (dont nous avons déjà cité le nom). Allié des Romains depuis 229avant J.-C, brouillé avec eux dès 225 pour devenir en 222 et 221 l’allié d’Antigone Doson, ce personnage avait été expulsé en 219 de toutes ses possessions ; il avait cherché un refuge auprès de Philippe, qui venait de refuser de le livrer aux Romains[25]. Cependant, ce Démétrios était un pirate illyrien, violent et impie, un soldat d’une témérité aveugle, mais certainement pas le conseiller dont Philippe avait maintenant besoin ; c’était avant tout sa haine ardente contre Rome qui l’avait poussé[26] à exciter le jeune roi à prendre part à la guerre italique ; mais, de même que dans d’autres circonstances déjà, ses agissements avaient exercé sur Philippe la plus fâcheuse influence, il n’était pas homme à faire réussir par de bons conseils ou une action énergique la nouvelle entreprise. C’est ainsi que ce même Philippe qui, dans la guerre d’Étolie, avait imposé à tous les Grecs par son courage et sa fermeté, son activité et son énergie, fait preuve, durant les années d’une lutte décisive, d’une faiblesse, d’une irrésolution, d’une hésitation et d’un laisser-aller qui s’accordaient très mal avec les rêves ambitieux qu’il s’était flatté de réaliser lors de la conclusion de la paix de Naupacte.

La tâche qui s’imposait à Philippe était très clairement indiquée. Il s’agissait avant tout d’entrer à temps en relations suivies avec Annibal, mais il lui fallait aussi, comme nous l’avons fait observer plus haut, faire de sérieux préparatifs sur mer et sur terre, mobiliser autant que possible pour cette guerre l’élite des forces grecques, et, dans tous les cas, conserver et augmenter ses bonnes relations avec les Etats helléniques. Or, c’est précisément à ces divers points de vue que Philippe commit partout les grandes fautes. Et tout d’abord, il perdit un temps précieux. Sans doute, il était urgent de repousser le chef illyrien Scerdilaïdas (été et automne 217), qui, autrefois allié des Macédoniens, avait passé récemment du côté des Romains et ravagé les frontières macédoniennes ; et, avant l’équipement, remis jusqu’à l’hiver suivant, d’une flotte considérable (destinée surtout au transport des troupes), il ne fallait pas songer à passer en Italie. Mais Philippe, pour son malheur, ne songeait toujours pas encore à faire construire de gros vaisseaux de guerre ; bien plus, encore que l’Italie le préoccupât beaucoup et que sa participation à la guerre qui s’y faisait eut été, précisément alors, décisive, il ne put pas, paraît-il, pendant plusieurs mois, se décider à entrer en relations avec Hannibal.

Peu importent les motifs psychologiques ou politiques qui y contribuèrent : les troupes macédoniennes ne passèrent pas l’Adriatique en 216 ; le roi n’entra pas on relation directe avec Hannibal, mais par contre, pendant l’été de cette année, il se rendit ridicule aux yeux de tout le monde. En effet, il s’était proposé de s’emparer avant tout d’une partie des côtes de l’Illyrie méridionale, dans le but sans doute d’élargir sa base d’opérations pour la guerre d’Italie ; déjà il était arrivé avec sa flotte aux environs d’Apollonie, lorsque le bruit de l’apparition prochaine d’une flotte romaine lui fit prendre précipitamment la fuite, pour rester chez lui dans une inaction complète, tandis qu’en réalité ce n’était qu’une petite escadre d’observation de cinquante vaisseaux romains qui croisait près de Rhégion. Ce ne fut qu’en apprenant la nouvelle et terrible défaite des Romains à Cannes[27] que le roi prit la résolution qu’il avait si longtemps remise. Alors enfin Philippe se mit en rapport avec Hannibal et traita effectivement avec lui, pour lui et ses alliés, des conditions d’une vaste alliance défensive et offensive ; mais la conclusion du traité fut retardée de la manière la plus fâcheuse : la première ambassade que Philippe envoya en Italie tomba, avec l’original du traité, entre les mains des Romains.

Les conditions du traité qui fut enfin signé, en 215 avant J.-C, entre Hannihal et Philippe ne nous sont pas, il est vrai, complètement connues[28] : les historiens qui nous parlent de ces faits, ceux du moins qui méritent d’être crus, et en particulier Polybe, ne nous donnent pas de détails précis sur le sort qui était réservé à l’Italie après l’écrasement des Romains. Mais ce qu’on voit bien, c’est que Philippe devait renoncer aux rêves ambitieux de la possession éventuelle des colonies grecques de l’Italie méridionale, rêves qu’il semble avoir nourris à l’exemple d’Alexandre et de Pyrrhos, roi d’Épire ; par contre, les Carthaginois, pour leur avoir promis de les soutenir dorénavant de toutes ses forces dans la guerre qu’ils faisaient aux Romains, lui avaient assigné, comme sa part du butin, les possessions romaines en Illyrie et la domination sur toute la péninsule grecque, ainsi que leur appui pour rendre cette domination complète ; Démétrios de Pharos devait rentrer dans ses possessions.

Dès lors, on se demanda avec la plus grande inquiétude, en Italie comme en Grèce, ce que Philippe allait entreprendre ; mais ni les craintes des Romains, qui, il est vrai, n’étaient pas anéantis même par la défaite de Cannes, mais qui, selon les prévisions humaines, auraient dû succomber aux forces réunies des Macédoniens et des Carthaginois, ni les espérances d’Hannibal, qui sentait bien qu’appuyé sur ses seules forces il ne pourrait pas anéantir la grande puissance italienne, ne se réalisèrent. Le roi, avant même que les négociations fussent complètement terminées, avait essayé de prendre Corcyre[29], la station la plus importante sur la route maritime entre la Grèce et l’Italie méridionale ; cette attaque était restée sans succès. Or les Romains, en faisant prisonnière l’ambassade macédonienne, avaient obtenu à temps une connaissance parfaite des plans de Philippe, et s’étaient hâtés en conséquence de mettre une forte garnison à Brundusium, le port d’Italie, où l’on devait craindre plus qu’ailleurs le débarquement de l’armée macédonienne ; en même temps, pour protéger la côte orientale de l’Italie, ils avaient posté une flotte de cinquante gros vaisseaux de guerre sous le commandement du préteur M. Valerius Lævinus. Philippe n’osa pas affronter de pareilles forces avec ses petits vaisseaux ; il ne trouva pas non plus les moyens ni l’audace nécessaires pour tendre la main aux Carthaginois en suivant une autre route ; il se jeta donc de nouveau avec ses troupes, pendant l’été de l’année 214, sur la côte méridionale de l’Illyrie, pour reprendre, en attendant, dans ces contrées au moins, aux Romains et à leurs alliés en Illyrie, une partie de leurs possessions. Il attaque d’abord les villes d’Apollonie et d’Oricos sans aucun succès. Les forces peu considérables que les Romains envoyèrent d’Italie contre le roi lui firent éprouver des pertes très sensibles. La manière dont Philippe faisait alors la guerre était telle que les Romains, qui d’ailleurs avaient déjà surmonté les plus grandes difficultés en Italie et qui, grâce à de pénibles efforts, l’emportaient peu à peu sur les Carthaginois, se sentirent bientôt complètement délivrés de la crainte que leur avait inspirée ce nouvel ennemi. Philippe en avait fait juste assez pour provoquer la vengeance future des Romains, et il s’y était pris de telle façon que les généraux italiques se sentirent bientôt délivrés de cette crainte respectueuse qu’inspiraient encore à l’époque les armes macédoniennes.

Depuis les tristes expériences de l’année 214, Philippe se tint sagement à distance d’Apollonie qui lui avait valu un si cruel échec. Mais les expéditions qu’il fil contre l’Illyrie centrale, maintenant que les Romains ne le gênaient plus, furent couronnées d’un plein succès. Et lorsque Hannibal, dans cette même année 212 où les Romains en Espagne se virent repoussés derrière l’Ebre, s’empara enfin des ports italiques si importants de Tarente et de Métaponte, la route d’Italie semblait enfin complètement ouverte à l’armée macédonienne. Mais, même en ce moment, le roi ne trouva pas l’énergie nécessaire, pour sou malheur et pour celui de la Grèce. Car maintenant les Romains jugèrent que le moment était venu de repousser plus énergiquement l’attaque qui les menaçait du côté de l’Orient et d’arrêter l’armée macédonienne, qui, si Philippe avait eu quelque énergie, eût pu se montrer d’un jour à l’autre dans l’Italie inférieure, en lançant le brandon de la guerre dans la maison même de ce temporiseur insensé, en allumant dans la Grèce même une nouvelle guerre contre les Macédoniens. Cette tentative ne réussit que trop bien. En effet, Philippe avait lui-même, par ses propres folies, aplani les voies à la diplomatie romaine qui, depuis plusieurs années[30], travaillait avec zèle en Grèce : ce même Philippe qui, au moment de la paix de Naupacte, était le favori de la Grèce entière était devenu odieux à tout le monde cinq ans plus tard. Il était naturel que sa manière nonchalante de faire la guerre aux Romains eût ébranlé partout en Grèce la confiance qu’il avait inspirée comme général en chef ; que les sentiments d’un patriotisme élevé qui, en été de l’année 217, animaient toute la nation grecque se fussent dissipés à la vue de l’altitude indécise de Philippe dans la grande crise italique, et d’une série de lourdes fautes commises par le jeune roi dans la direction de la politique hellénique. C’était surtout chez les impétueux Étoliens, auxquels le roi ne pouvait imposer qu’en menant vivement la guerre et en remportant de nouvelles victoires, qui depuis longtemps supportaient impatiemment la paix et éprouvaient un vif désir de labourer avec l’épée, que les idées d’Agélaos étaient depuis longtemps oubliées ; et les Romains n’ont sans doute pas négligé de nourrir, dans la mesure de leurs forces, l’antique antipathie et la méfiance renaissante des Étoliens à l’égard de la Macédoine, en leur communiquant sans retard et en profitant habilement de certaines clauses du traité conclu entre Carthage et les Macédoniens. En outre, Philippe avait su, par d’autres moyens encore, ébranler profondément rattachement de la plupart de ses anciens alliés grecs. A côté de plus d’une brillante qualité, ce jeune monarque, en avançant en âge, lit voir des traits de caractère qui lui valurent bientôt auprès des Grecs la renommée d’un odieux « tyran ». On s’aperçut peu à peu que le jeune et aimable prince n’était nullement le doux jeune homme pour lequel plus d’un l’avait pris d’abord. Déjà la barbare dévastation des sanctuaires de Thermon et la terrible dureté avec laquelle il avait vendu comme esclave toute la bourgeoisie grecque de Thèbes Phthiotique (prise pendant la guerre Sociale), pouvait faire réfléchir maint patriote grec, bien qu’alors on ne pût pas prévoir encore que cet homme, si ses ardentes passions étaient surexcitées ou si la raison d’État semblait l’exiger, n’hésiterait pas à aller bien au delà des limites de l’odieux droit de la guerre de ce temps-là, et que, à l’occasion, il ne reculerait même pas devant un crime. Mais c’est précisément à cet égard que Philippe devait faire faire aux Grecs les plus tristes expériences, non pas que le roi trouvât du plaisir à verser le sang et à commettre d’inutiles cruautés, mais il montrait de plus en plus une effrayante indifférence à l’égard des commandements de l’honneur et de l’humanité, un mépris du droit vraiment despotique qui devait à la fin se venger cruellement sur lui-même. En outre, Philippe, s’abandonnant en vrai tyran à ses caprices despotiques, ne négligeait que trop souvent les intérêts de l’ordre le plus élevé ; souvent, au grand détriment de ses propres affaires, il n’hésitait pas à blesser de gaieté de cœur ses amis les plus intimes. Le même homme qui, quand il le voulait, savait gagner tous les cœurs par le charme d’une dignité vraiment royale unie à l’amabilité la plus séduisante, qui savait exercer un charme toujours nouveau sur les Grecs si impressionnables en adoptant avec condescendance leurs coutumes favorites et nationales[31], ne craignait pas, par exemple, même dans les moments les plus critiques, de blesser profondément les familles grecques les plus considérées, en déshonorant sans vergogne des femmes et des jeunes filles. Mais son despotisme arbitraire se montra encore bien plus sur le terrain de la politique proprement dite. Pendant les premières années de son règne, il avait été assez sage pour ne point écouter les propositions brutales de ses ministres macédoniens, qui prétendaient traiter sans façon les alliés grecs comme des sujets macédoniens ou plutôt comme des vaincus, et pour suivre les bons conseils d’Aratos. Tout récemment, cependant, alors que la haute opinion qu’il avait de lui-même le rendait de plus en plus impatient de l’autorité d’Aratos, il avait commencé à se comporter à l’égard des Grecs plutôt en maître qu’en protecteur, à traiter ses alliés en Grèce avec hauteur et sans égards[32], comme si, dans la guerre qu’il faisait aux Romains, la sympathie des Grecs était pour lui chose complètement indifférente et sans valeur. Il est possible qu’alors déjà l’influence romaine se soit fait sentir en Grèce et que Philippe crût ne pouvoir y conserver sa position que par une impitoyable sévérité ; en tout cas, sa dureté ébranla partout la confiance dont il avait joui autrefois. Ce fut notamment sa conduite en Messénie qui excita l’indignation générale. Guidé par les pernicieux conseils de Démétrios de Pharos, Philippe — qui depuis longtemps déjà s’efforçait d’assurer à la couronne macédonienne des possessions immédiates en Grèce — désirait mettre sous sa dépendance la Messénie, que dominait la forteresse d’Ithome, comme il avait déjà réduit Corinthe, Zacynthe, la Triphylie avec Aliphéra qu’il avait conquise pendant la guerre Sociale. Il espérait ainsi dominer complètement le Péloponnèse par la force militaire et peut-être aussi élargir considérablement sa base d’opérations contre l’Italie. Dans ce but, il ne craignit pas (dans le cours de l’année 215 avant J.-C.), de faire dégénérer à Messène, la capitale, en sanglante guerre civile un conflit entre l’oligarchie et les démocrates, afin de s’emparer pendant les troubles de la forteresse d’Ithome. Le vieil Aratos réussit une fois encore, grâce à ses sages remontrances, à empêcher du moins l’occupation définitive d’Ithome ; mais les rapports entre le roi et l’homme d’État achéen cessèrent presque complètement depuis lors. Aratos refusa d’accompagner le roi lors de son expédition en Illyrie en 214 ; et lorsque Philippe, après son triste échec devant Apollonie, reparut en Messénie et, après une attaque infructueuse dirigée contre Ithome (entreprise qui coûta la vie à Démétrios de Pharos) n’eut pas honte de se venger en ravageant affreusement le pays plat, Aratos rompit ouvertement avec le royal criminel, qui avait séduit la bru de son ancien ami sous le toit hospitalier de ce dernier. Pour prévenir à temps les suites de sa rupture avec cet homme d’État toujours encore influent, Philippe n’hésita pas à se débarrasser au moyen d’un poison lent de ce même Aratos qu’il avait si longtemps vénéré comme son ami et son fidèle conseiller (213 avant J.-C.)[33]. En face d’un pareil adversaire, la diplomatie romaine avait naturellement beau jeu. Tandis que Philippe regardait tranquillement les Romains s’emparer en 212 de la belle Syracuse, la dernière ville grecque restée libre sur le bord occidental de la mer Ionienne ; tandis que même la fatale nouvelle du changement décisif que la chute de Capoue (211) amena sur le théâtre de la guerre ne put l’arracher à sa torpeur, les Romains ne perdaient pas un moment pour exciter avant tout les Étoliens contre Philippe. Comme l’Étolie était naturellement pauvre, la situation économique de ces rudes montagnards se trouvait dans un triste état par suite de la désastreuse guerre qu’ils avaient faite à Philippe et aux alliés ; les chefs étoliens ont dû se montrer d’autant plus accessibles à l’or et aux insinuations des Romains[34]. Aussi lorsque, dans l’automne de l’année 211 avant J.-C, une flotte romaine vint jeter l’ancre sur la côte d’Étolie et que l’amiral M. Valerius Lævinus parut devant les Étoliens assemblés et leur promit non seulement l’humiliation complète des Macédoniens et le retour à leur Ligue des villes que les derniers Antigonides leur avaient enlevées, mais encore la conquête de l’Acarnanie qu’ils avaient toujours convoitée, il ne lui fut pas difficile de décider ce peuple belliqueux à signer un traité d’alliance avec Rome. Ce dernier contenait surtout la clause honteuse que, de toutes les conquêtes qu’on ferait jusqu’à Corcyre, le sol appartiendrait aux Étoliens, toute la propriété mobilière ainsi que les habitants aux Romains. Aucune des deux parties ne devait conclure avec Philippe une paix particulière[35].

Il était difficile de s’immiscer dans les affaires de la Grèce d’une manière plus honteuse que le firent les Romains par cette alliance de brigands qu’avait dictée le calcul le plus égoïste. Sans doute, ils atteignirent leur but ; la guerre qui éclata en Grèce ne permit plus aux Macédoniens de songer à l’Italie. D’un autre côté, les Romains, en n’ayant pas honte de se rendre solidaires de la politique de Klephtes des Étoliens, forcèrent les alliés grecs de Philippe, même les Achéens que le roi venait de blesser si cruellement, à se rallier intimement à la Macédoine. Quant aux Étoliens, qui les premiers, et sans nécessité, avaient tendu la main à la grande puissance italique pour enfoncer un coin dans le système des États grecs, ils devaient expier et plus durement que les autres cette conduite anti-nationale.

Les conséquences désastreuses pour la Grèce de ce traité entre Rome et les Étoliens ne tardèrent pas à se développer avec une effrayante rapidité. Ni les Romains, ni les Étoliens n’étaient disposés à s’engager sans alliés dans cette nouvelle guerre contre les Macédoniens. On savait très bien que les sauvages Dardaniens étaient toujours disposés à envahir le territoire des rois de Macédoine chaque fois que la situation de ces derniers se compliquait au dehors ; mais on avait en outre, dès le début, compté sur l’appui des chefs illyriens Scerdilaïdas et Pleuralos. En Grèce, les Étoliens (auxquels se joignirent aussi les Messéniens, que Philippe avait si odieusement traités[36]) se chargèrent de faire marcher les Éléens, leurs bons amis, et les Spartiates. L’Élide leur avait été de tout temps indispensable comme point de départ d’expéditions importantes dans le Péloponnèse ; les Spartiates, de leur côté, devaient tenir en échec les Achéens et les troupes macédoniennes à Corinthe. Sur ces entrefaites, le roi Lycurgue avait chassé de Sparte le jeune Agésipolis III ; lui-même était mort en 211, et le pouvoir avait passé, du moins de nom, aux mains de son fils mineur Pélops. Les propositions des Etoliens amenèrent un changement décisif à Sparte (210). Après une lutte acharnée des partis, les Spartiates adhérèrent à la ligue romano-étolienne ; mais en même temps le jeune et belliqueux Machanidas, qui était peut-être le chef du parti étolien à Sparte, profita de l’occasion pour écarter complètement le jeune Pélops et pour s’emparer lui-même du pouvoir suprême. Cet État, qui pendant si longtemps avait représenté l’oligarchie la plus intraitable, qui, aux jours de sa grandeur, avait partout systématiquement combattu la tyrannie, devait avoir, vers la fin de son existence, lui aussi, son ère de tyrans.

Ce que les plus clairvoyants des Hellènes avaient craint, ce qu’ils avaient en vain essayé de prévenir était donc enfin arrivé : la grande lutte entre Rome et Carthage pour l’empire du monde avait aussi entraîné la Grèce, et, comme pendant chaque crise décisive depuis la fatale rupture entre Athènes et Sparte en 461 avant J.-C, cette fois encore la Grèce, au moment où son sort allait se décider, était malheureusement divisée, déchirée par les plus cruelles dissensions entre les diverses tribus ; toutes les peuplades grecques étaient disposées à se faire le plus de mal possible. Bien plus : on vit alors clairement pour la première fois qu’en face de la lutte décisive entre Rome et Annibal, le monde hellénistique lui-même était bien loin déformer un tout compact. L’Egypte, il est vrai, qui, toujours opposée aux Séleucides et aux Antigonides[37], avait, dans d’autres circonstances déjà, cultivé l’amitié de Rome, resta neutre dans la guerre qui venait d’éclater en Grèce. Par contre, la puissance de second ordre qui depuis la troisième décade du IIIe siècle avant J.-C. avait peu à peu grandi dans l’ouest de l’Asie-Mineure, le royaume de Pergame, dont le roi Attale Ier ne se maintenait que péniblement dans sa position difficile entre les Séleucides, ses anciens ennemis, entre Philippe et son beau-frère, Prusias Ier de Bithynie, profita sans tarder de l’occasion pour tendre la main aux Étoliens et par là aux Romains dans la guerre qu’ils faisaient à la Macédoine. Ses troupes devinrent ainsi les premiers avant-postes de Rome dans l’Orient hellénistique. C’est sous ces auspices que commença, sur le sol hellénique, le prélude de la grande lutte pour la suprématie dans l’Orient gréco-hellénistique que Rome devait entreprendre dix ans plus lard.

Nous ne suivrons pas dans ses péripéties compliquées celle guerre de six ans entre la coalition des Romains et des Étoliens et celle des Grecs et des Macédoniens ; il suffira, cette fois encore, d’indiquer les événements principaux. La manière dont cette guerre fut faite rappelle, à plus d’un égard, celle qui porte le nom de guerre Sociale ; ou ne frappe que rarement des coups décisifs, et, tandis que la Laconie cl l’Élide menacent constamment de cruels ravages le Péloponnèse achéen, les Étoliens, appuyés d’ordinaire par des vaisseaux de guerre de Rome et de Pergame, s’efforcent dans la Grèce centrale de soumettre vers l’ouest l’Acarnanie, et de reprendre vers l’est une série de villes que, depuis une génération, la Macédoine leur avait enlevées. Dans le nord de la Grèce, secondés par les incursions des Barbares du Nord, des tribus thraces, illyriennes et dardaniennes, ils cherchent à se frayer une route vers la Macédoine en passant par la Thessalie. De son côté, Philippe, comme les Achéens, en est réduit pendant plusieurs années à une pénible défensive. Or, il faut le dire à la louange du roi, depuis le moment où les Romains ont jeté le brandon de la guerre dans sa propre maison, il rassemble toutes ses forces et sait affronter avec virilité les dangers nouveaux qui le menacent ; autant il s’était montré faible et hésitant en face de la question italienne, autant il fait preuve d’intelligence, de vigueur, de fermeté quand il ne s’agit plus que des affaires de la Grèce. Il déploie, et plus que jamais, cette force irrésistible, cette activité infatigable, cette rapidité dans ses mouvements qui l’avaient rendu si terrible à ses adversaires dans la guerre Sociale, — et, il faut le dire, cette fois ce n’est pas Philippe, ce sont plutôt les Romains et les Étoliens qui se couvrent de honte en faisant la guerre en véritables Barbares. L’affreux pillage de la ville phocidienne d’Anticyre (210)[38] et de la ville achéenne de Dyme (209 ou 208)[39] par les Romains, la froide cruauté avec laquelle on vendit en masse comme esclaves les habitants grecs d’Anticyre, d’Égine (210)[40], d’Oréos en Eubée (208)[41] et de Dyme après la prise de ces villes ; enfin la vente brutale de l’île d’Égine, qui appartenait à la ligue achéenne et que les Étoliens[42] cédèrent définitivement au roi Attale pour une somme de trente talents (180.000 fr.) ; tout cela excita dans le monde hellénique tout entier la plus profonde indignation et fil bientôt oublier les anciennes fautes de Philippe. L’activité de ce dernier était incessante ; la grande étendue du théâtre de la guerre et la faiblesse de ses alliés, qui cette fois encore le forçaient, sans lui laisser un moment de repos, tantôt à se tourner contre les Barbares du Nord, tantôt à lutter contre les Étoliens en Thessalie et aux Thermopyles, tantôt à courir au Péloponnèse, rendirent sa position bien difficile pendant plusieurs années. En outre, ce qui pendant longtemps le rendit impuissant vis-à-vis des Romains et des Pergaméniens, ce fut le manque de gros vaisseaux auquel ne suppléaient que de temps à autre les secours envoyés par Carthage et la Bithynie (ce ne fut que vers la fin de l’été de l’année 208 que Philippe commença à faire construire cent gros vaisseaux de guerre)[43]. Cependant la fortune se mit à pencher décidément de son côté depuis 208. Ce fui pour lui un grand avantage que, d’un côté, le roi Attale, qui se voyait menacé dans son propre pays par Prusias de Bithynie, ne prit plus part à la guerre en Grèce depuis 207, et que, de l’autre, les Romains, qui voyaient les Macédoniens suffisamment occupés dans la péninsule hellénique, et qui par conséquent n’avaient plus depuis quelque temps déjà que faiblement soutenu les Etoliens, ne leur envoyèrent presque plus aucun secours depuis l’année 207, étant accablés eux-mêmes par la terrible lutte qu’ils soutenaient en Espagne et contre Hasdrubal en Italie. Déjà repoussés de la Thessalie et de la Phocide, les Étoliens ne purent plus à la fin empêcher Philippe de pénétrer (206) jusqu’à leur forteresse de Thermon[44] et de l’emporter sur eux partout ailleurs. Du reste, la Ligue achéenne vers cette époque fut animée d’une ardeur belliqueuse nouvelle, qui exerça pendant longtemps une grande influence sur les événements.

Ce nouvel essor fut avant tout l’œuvre d’un général distingué, qu’une destinée jalouse fit surgir malheureusement quelques dizaines d’aunées trop tard parmi les Achéens, du grand Philopœmen. Cet homme, fils de Craugis, noble Arcadien, était né à Mégalopolis en 233 avant J.-C. Après avoir été très bien élevé par son excellent père et, après la mort prématurée de ce dernier, par un ami de la maison, le jeune homme, quelques années plus lard, fut initié aux sciences et conçut un idéal politique très élevé, grâce à la société des philosophes académiciens Ecdémos et Démophane (ou Mégalophane), ses célèbres compatriotes[45] ; il montra de bonne heure autant de goût que de talent pour la carrière militaire. Formé théoriquement par l’élude d’importants ouvrages sur la tactique et l’histoire militaire, il chercha à donner de la justesse à son coup d’œil militaire en faisant avec zèle des études topographiques ; bien fait et robuste, le jeune homme ne négligeait pas, en outre, d’endurcir son corps par de continuels exercices des plus fatigants, qui visaient tous à le rendre plus apte au métier de la guerre. Il arriva ainsi à une force et à une dextérité extraordinaires ; même dans l’âge mûr, il n oubliait pas, dans les moments de calme, d’entretenir ses forces, tantôt par d’audacieuses parties de chasse, tantôt par des travaux champêtres. Nous ne savons pas si et dans quelle mesure le jeune Philopœmen a pris part aux campagnes d’Aratos ; mais les jours de sa gloire militaire ne commencent qu’à cette époque fatale où le choc de Cléomène de Sparte contre Aratos modifia complètement l’altitude qu’avait conservée depuis un quart de siècle la Ligue achéenne. Philopœmen avait déjà fait preuve d’éminentes qualités militaires dans diverses escarmouches sur la frontière laconienne ; lors de la surprise de Mégalopolis par les Spartiates (222), cet homme de cœur, alors âgé d’une trentaine d’années et plein de vigueur, s’était vaillamment battu et avait ensuite protégé la fuite de ses compatriotes en Messénie avec autant de courage que de dévouement. Et lorsque sonna l’heure de la revanche, il avait puissamment contribué à la défaite des Spartiates à Sellasie en chargeant à la tête de la cavalerie achéenne, avec autant d’audace que d’habileté, le centre de l’ennemi[46]. Sa conduite admirable imposait alors tellement au roi Antigone Doson qu’il tenta de décider ce jeune homme si bien doué à entrer en qualité d’officier dans l’armée macédonienne. Mais Philopœmen, qui ne voulait pas servir un prince, et qui du reste voyait avec déplaisir la tournure que prenaient les affaires en Grèce, refusa cette offre, et s’en alla eu Crète, où il prit part pendant plusieurs années, comme chef de mercenaires, a la guerre qui y sévissait alors, devenant ainsi, dans les circonstances les plus difficiles, un général de premier ordre. Lorsque, après une longue absence (probablement après la mort d’Aratos), il revint enfin dans le Péloponnèse, il trouva sa pairie dans une triste situation ; c’était surtout la mort d’Aratos et la faiblesse militaire de la Ligue achéenne qui avait fait tomber de plus en plus cette partie du monde hellénique sous la dépendance du roi Philippe[47]. Il est vrai que Philippe, depuis la guerre contre les Romains et les Étoliens, avait été assez prudent pour reconquérir par son affabilité et de flatteuses promesses la faveur des Achéens qu’il avait si profondément blessés par sa conduite à l’égard d’Aratos ; mais cela n’augmentait pas les forces de la Ligue achéenne. Ce fut donc un grand avantage pour les Achéens de revoir au milieu d’eux Philopœmen, qu’avait précédé d’ailleurs sa grande renommée. On se hâta de nommer l’illustre général hipparque (second chef de la Ligue) pour l’année 210-209[48]. Dès lors, Philopœmen commença sa grande œuvre de réorganisation de l’armée achéenne. Dans un laps de temps d’une brièveté surprenante. il avait changé en une troupe d’élite la cavalerie confédérée, qui se recrutait parmi les fils de la riche bourgeoisie, mais qui, depuis plusieurs années, était tombée dans un triste état en partie par l’admission de remplaçants, en partie par l’incapacité militaire de la plupart des hipparques et surtout par leur faiblesse et leur manque d’autorité en face de leurs nobles subordonnés. La brillante victoire qu’il remporta ensuite avec ces guerriers dans la rencontre de cavalerie près du Larisos sur les Étoliens et les Éléens réunis, rendit pour la première fois aux Achéens la confiance en leurs propres forces et contribua pour beaucoup à faire nommer l’excellent général stratège (premier chef) de la Ligue achéenne pour l’année 208-207[49]. Alors enfin Philopœmen put entreprendre la réforme complète de l’infanterie fédérale. Jusqu’alors les stratèges des Achéens s’étaient appuyés surtout sur des mercenaires ; mais il leur était d’autant plus difficile d’opérer avec succès que souvent même on manquait d’argent pour payer régulièrement ces soldats[50]. Quant aux milices fédérales, mal organisées comme elles l’étaient, on n’avait plus, depuis des années, osé les employer dans les affaires décisives. Philopœmen se mit énergiquement à l’œuvre. Il savait très bien quels excellents soldats on pouvait encore faire surtout des Achéens proprement dits et des Arcadiens, qui autrefois s’étaient fait craindre et rechercher au loin comme mercenaires. Les rudes et robustes bergers, chasseurs et paysans des contrées montagneuses du Péloponnèse, n’avaient qu’à être bien armés et exercés avec méthode pour se mesurer avec confiance, sous la conduite d’un bon chef, avec les Étoliens et les Spartiates. Mais le grand général comptait aussi, pour en faire de bons soldats, sur ceux des jeunes élégants peu belliqueux des villes qui n’avaient pas été appelés à reconstituer la cavalerie. Philopœmen employa surtout des moyens moraux ; secondé par les impérieuses exigences de cet âge de fer, il sut réveiller le sentiment national des Péloponnésiens et inspirer aux hommes ainsi qu’aux femmes un enthousiasme belliqueux comme ces tribus n’en avaient pas éprouvé depuis les temps d’Épaminondas et de Lycomède. Et de même qu’en réformant la cavalerie il ne s’était pas contenté de combattre la mollesse et l’inconduite déjeunes nobles par une discipline sévère, mais avait encore réussi à mettre au service des intérêts militaires leur ambition et leur vanité, il sut à présent attacher au service militaire la jeunesse libertine et fastueuse des villes par la splendeur et la beauté de leurs vêtements militaires et de leurs armures, les dégoûter peu à peu d’une vie d’oisiveté et de plaisirs, et leur inspirer un goût durable pour le métier des armes. D’ailleurs, ce vaillant général imposait aux campagnards et aux basses classes par ses manières vraiment populaires. Philopœmen était un général comme les Grecs du Péloponnèse n’en avaient point eu depuis les temps de Xénophon et d’Agésilas. Placé au premier rang par sa position sociale, riche en propriétés parfaitement tenues, il était bien vu du campagnard parce que, dans les temps de calme, il aimait à manier la charrue et la bêche comme un pauvre journalier, et se contentait du lit de paille le plus dur ; sa simplicité et sa droiture, sa franche cordialité, la simplicité de son genre de vie et de sa mise, qui de temps à autre donnait lieu aux quiproquos les plus divertissants, son goût pour les facéties militaires et l’esprit caustique, malgré sa sévérité en ce qui concernait le service, c’étaient là des qualités que Philopœmen partageait avec les plus populaires des grands généraux grecs. Et si les soldats admiraient sa force étonnante, son irrésistible valeur personnelle, les connaisseurs, son heureux talent d’organisation rapide, sa routine de tacticien, la sûreté et l’habileté avec lesquelles il profilait avec autant de rapidité que de bonheur de toutes les circonstances et surtout des avantages du terrain, on devait voir bientôt avec étonnement combien ce même Philopœmen était capable d’éveiller dans le cœur de ses soldats une calme assurance et la confiance la plus complète en son commandement.

Eu égard à l’état politique, militaire et social où se trouvait alors la péninsule hellénique, Philopœmen ne pouvait pas songer à supprimer complètement l’emploi de troupes auxiliaires, mais il fallait le restreindre dans une mesure convenable. Son but principal était de rendre son peuple capable de se défendre, de créer une bonne armée nationale, de changer les troupes méprisées de la confédération achéenne en une solide milice ; et il réussit si bien que plus lard (ce ne fut, il est vrai qu’après l’adjonction des cantons péloponnésiens qui jusque-là n’en faisaient point partie), la Ligue se vit en état de mettre sur pied, au besoin, 4.000 cavaliers et 40.000 fantassins bien exercés[51]. Mais, pour faire enfin de ses Péloponnésiens les égaux des fières phalanges du roi Philippe, il adopta pour sa nouvelle armée, dans ses points essentiels, l’armement des guerriers macédoniens, et changea ainsi les milices achéennes, légèrement et insuffisamment armées, peu faites pour exercer un choc vigoureux et se battre corps à corps, en un excellent corps de fantassins pesamment armés, auxquels ses rangs serrés suffisaient à inspirer cette confiance en eux-mêmes qui avait si longtemps manqué aux Achéens. La simplicité relative des exercices traditionnels et son zèle infatigable lui permirent de former, dans l’espace de huit mois seulement, une armée achéenne parfaitement prête au combat ; et c’est avec cette jeune armée qu’il remporta bientôt après une des plus sanglantes victoires dont fassent mention les annales du Péloponnèse. Depuis quelques années, le tyran belliqueux Machanidas, appuyé sur les forces lacédémoniennes et de nombreux mercenaires, avait, comme allié des Étoliens, fort molesté les Achéens ; récemment même il avait pris l’importante ville arcadienne de Tégée et commençait à ravager le territoire de Mantinée. Philopœmen résolut de marcher contre lui, et, dans une bataille meurtrière près de Mantinée (probablement dans l’été de l’année 207 avant J.-C.), Machanidas, qui y périt, fut si complètement défait, que 4.000 hommes de son armée y trouvèrent la mort, et qu’un plus grand nombre encore y furent faits prisonniers. Tégée fut aussitôt reprise par les Achéens, et la Laconie ravagée jusqu’aux portes de sa capitale[52].

Celte brillante victoire répandit du coup dans tout le Péloponnèse la terreur du nom de Philopœmen et de l’armée achéenne, et il était naturel que ce formidable relèvement des Achéens profilât aussi beaucoup au roi Philippe. Dans ces circonstances, les Etoliens aussi, qui à la fin se voyaient réduits à leurs propres forces, se fatiguèrent enfin delà guerre. Les tentatives d’intervention qu’avaient faites dans les premières années de cette guerre d’abord (209) les envoyés de l’Egypte, de Rhodes, de Chios et d’Athènes, puis (208) l’Egypte et Rhodes, avaient échoué. Bien que plus d’un Étolien pensât sans doute, comme les médiateurs, que cette guerre atroce dans laquelle des Etuis grecs s’entre-déchiraient avec une rage barbare ne servirait en définitive que les intérêts des Romains, que la Grèce, sans en excepter l’Étolie, deviendrait enfin la proie de Rome, le vaillant peuple étolien était, par l’odieux traité de 211, trop fortement enchaîné à Rome pour pouvoir facilement s’entendre avec ses adversaires. Un des États médiateurs de 209, Athènes, avait ensuite lui-même passé aux Romains[53], dont les Athéniens ne cessèrent depuis lors d’être les alliés[54]. Mais maintenant que les Étoliens se voyaient presque abandonnés par les Romains, ils n hésitèrent plus à céder aux remontrances des médiateurs (Égypte et Rhodes, Byzance, Chios et Mitylène) instamment renouvelées depuis 206 ; ils cessèrent de tenir compte de l’article du traité conclu avec Rome qui leur interdisait de signer une paix particulière, et ils conclurent (205), malgré tous les efforts des Romains, avec Philippe une paix (probablement basée sur le statu quo) dont les conditions ne leur étaient pas, il est vrai, bien favorables[55]. Les suites de celle guerre désastreuse furent très importantes pour les différentes puissances grecques. La situation des Étoliens était évidemment la plus fâcheuse. Dans celle longue et malheureuse guerre, ils avaient perdu une partie de leur territoire ; bien plus, par suite des efforts considérables et en définitive complètement inutiles qu’il avait faits, ce peuple vaillant et notamment ses chefs s’étaient de plus en plus endettés ; il s’en était suivi aussi un fâcheux ébranlement de la situation économique auquel il était d’autant plus difficile de remédier que les occupations pacifiques et lucratives des tribus grecques du Sud et de l’Est, si intelligentes et d’une civilisation si avancée, étaient presque inconnues à ce peuple de rudes paysans et de bergers ; il ne leur restait donc plus guère que leur ressource favorite, celle de se faire en masse soldats à l’étranger. Cette fois ils entrèrent surtout au service des Lagides. Le pire était que les Étoliens, en violant le traité conclu avec Rome et en refusant énergiquement de se joindre, pour continuer la guerre, au proconsul romain P. Sempronius, qui immédiatement après la conclusion de leur paix avec Philippe, avait débarqué près des frontières de l’Épire avec des forces considérables, s’étaient attiré la colère des Romains. Ce devait être pour eux l’origine des plus grands malheurs.

Le roi Philippe était au contraire plus puissant et plus respecté en Grèce qu’il ne l’avait jamais été ; une fois encore on attendait, semble-t-il, dans tous les pays baignés par la Méditerranée, le passage de l’armée macédonienne en Italie ou en Sicile pour soutenir dans leur lutte désespérée les Carthaginois qui criaient au secours[56] et qui, après avoir complètement perdu l’Espagne, se voyaient déjà menacés en Afrique, ou du moins pour prévenir la destruction complète de la puissance carthaginoise. Mais Philippe n’y songeait plus ; soit qu’il fût trop affaibli lui-même, soit qu’alors surtout il n’osât plus se mesurer avec les terribles Romains dans leur propre pays, il désirait ardemment faire la paix avec Rome. Après quelques démonstrations contre les troupes romaines qui opéraient en Illyrie, il vit avec plaisir les Épirotes entamer des négociations avec le proconsul romain Sempronius ; il était dès lors facile de conclure à Phœnike (en Chaonie), alors la capitale de la Ligue en Épire, une paix qui laissait au roi, de ses conquêtes dans l’Illyrie méridionale, au moins le territoire des Atintanes (autrefois romain). Ce traité de paix, qui du côté des Macédoniens devait être valable aussi pour la Bithynie, la Thessalie, l’Épire, l’Acarnanie, la Béotie et les Achéens, du côté des Romains, pour les princes Pleuratos et Attale, pour Athènes et Sparte, la Messénie et l’Élide (l’Étolie était complètement ignorée), fut (vers la fin de l’année 205 ou au commencement de 204) ratifié sans retard par le Sénat et le peuple. Philippe venait lui-même de décider de son sort à venir.

Dès que Philippe se vit délivré du danger le plus pressant, son orgueil démesuré, les mauvais éléments de son caractère reprirent complètement leur fatal empire sur ses actions ; pendant les quatre années qui suivirent, l’histoire de Philippe n’est autre chose que celle d’une politique qui se détruit elle-même. Si ce roi avait compris tant soit peu la politique des Romains, il devait se dire que les Romains, une fois vainqueurs des dernières résistances de la grande puissance africaine, ne tarderaient pas à demander compte à la Macédoine de son alliance avec Hannibal. Et si, induit en erreur par ses propres succès dans la dernière guerre, il ne s’est pas imaginé, dans son complet aveuglement, que les Romains pouvaient tien se mesurer avec les barbares Carthaginois, mais non avec les phalanges macédoniennes ; s’il ne négligea pas complètement le fait si important pour bien apprécier la conduite militaire des Romains dans la guerre qui avait eu lieu en Grèce, à savoir que Rome s’était tenue jusque-là sur la défensive à l’est de l’Adriatique, il devait mettre à profit le temps qui lui restait encore pour se préparer le mieux possible à la défense, au point de vue politique et militaire ; il importait avant tout de faire les plus grands efforts pour entretenir et consolider les bonnes relations récemment formées avec les autres États grecs. Mais c’est précisément à cet égard que nous voyons le roi ne commettre qu’une série des plus grandes fautes politiques. Non seulement Philippe irrita inutilement les Romains[57] en envoyant sous main des troupes et de l’argent à ces mêmes Carthaginois qu’au moment décisif il avait abandonnés à leur sort, et en permettant à ses fonctionnaires d’empiéter de nouveau sur le territoire de l’Illyrie romaine : sa conduite entière à l’égard des Hellènes, sans en excepter les fidèles Achéens, Semblait être faite pour ébranler le plus tôt possible la confiance qu’il s’était acquise pendant la dernière guerre.

La victoire de Mantinée, le seulement de leur force réveillé par le grand Philopœmen, avaient donné aux Achéens une confiance toute nouvelle en eux-mêmes ; et Philippe ne pouvait pas s’empêcher de voir que ces Péloponnésiens qui, depuis la guerre Sociale, s’étaient plies presque machinalement à ses ordres et à ses désirs, avaient recommencé à revendiquer une plus grande part d’autonomie. C’est dans ce sens que Philopœmen était particulièrement actif. Le soin des intérêts immédiats de la Ligue achéenne et le relèvement de cette Ligue au rang de puissance indépendante, qui pouvait bien entretenir les meilleurs rapports avec la Macédoine, préoccupaient sans cesse cet homme d’État, et son peuple partageait de plus en plus ces idées, à mesure qu’on voyait combien il savait augmenter chaque année les forces de la Ligue. Et lorsque, stratège pour la seconde fois (peut-être en 206-205, ou 205-204 av. J.-C.)[58], il fit défiler, pendant les jeux Néméens, ses magnifiques phalanges brillamment équipées devant les Grecs assemblés pour la fête, ceux-ci, pleins d’espoir, crurent que la patrie avait retrouvé sa liberté et sa grandeur et saluèrent de leurs cris d’enthousiasme le vaillant chef de la Ligue[59]. On comprend que Philippe ait vu de mauvais œil cet homme et sa politique. Mais au lieu de prendre son parti, en homme d’État intelligent, de la nouvelle situation des Achéens, et de s’attacher d’une manière durable, et par le moyen d’une politique honorable, les confédérés dont les forces renaissantes pouvaient lui être très utiles, il n’écouta que ses mauvais instincts et essaya, en soudoyant des bandits, de se débarrasser de Philopœmen. Cette honteuse tentative d’assassinat échoua, et Philippe, en s’attirant, de gaieté de cœur, la haine et le mépris des confédérés, avait secondé plus que tout autre les plans de Philopœmen[60].

Nous verrons bientôt comment Philippe continua ailleurs aussi à tuer la sympathie des Hellènes pour sa cause. Quant aux Achéens. il les abandonna, en attendant, à eux-mêmes (depuis 204) et à leur lutte avec un nouvel ennemi qui venait de surgir encore en Laconie. La mort de Machanidas n’avait pas mis fin aux désordres sur les bords de l’Eurotas ; au contraire, bientôt après la bataille de Mantinée, un certain Nabis s’empara du pouvoir dans ces contrées. Cet homme peut être rangé parmi les criminels les plus odieux qu’ait produit l’époque de ce qu’on appelle la tyrannie nouvelle. Mais il eut pour Sparte une importance capitale, parce que, caricature aussi vulgaire que sanguinaire et horrible du grand Cléomène, il mit fin de la façon la plus brutale à l’antique oligarchie dorienne ; parce qu’il vengea de la manière la plus complète les crimes qu’avaient commis pendant des siècles les anciens Spartiates à l’égard des hilotes et des périèques, le mal qu’avait fait, en dernier lieu encore, l’oligarchie corrompue de ce IIIe siècle avant J.-C. au roi Agis ; enfin parce qu’il termina par une république de Klephtes sanguinaires l’histoire riche en gloire et en hauts faits de cet antique État militaire dorien. Nous n’avons pas de détails sur l’origine de Nabis ; nous ne savons pas s’il était un heureux chef de mercenaires, un hilote ou un périèque, s’il appartenait à une des classes moins privilégiées issues de cette population sujette, ou enfin (ce qui est peut-être le plus probable) s’il est né Spartiate. Qu’il ait été un de ces Spartiates appauvris qui vouaient aux familles régnantes la haine la plus ardente, un descendant de l’ancienne oligarchie ou peut-être même un parent de l’ancienne famille des Héraclides, toujours est-il qu’il était animé d’une haine furieuse contre l’oligarchie qui avait été au pouvoir. Époux d’une femme, Apéga, digne de lui à tous égards, s’appuyant avant tout sur une forte armée de mercenaires, il balaya d’abord l’oligarchie. Après s’être débarrassé du jeune prince, de Pélops, il commença à persécuter et à dépouiller d’une façon aussi cruelle que vulgaire l’oligarchie Spartiate et tous ceux qui se distinguaient par leurs richesses et leur considération personnelle. Les oligarques détestés furent assassinés en masse ou contraints de s’enfuir ; on prévint la vengeance possible des fugitifs à l’aide d’assassins qui traquaient les malheureux émigrés dans toute la Grèce, tandis que les femmes et les filles des victimes et des bannis tombaient en partage aux partisans du tyran. Quant aux citoyens riches qui malgré tout osaient rester à Sparte, ils se virent exposés même plus tarda de cruels outrages, à de dures exactions et à d’horribles tortures. C’est avec les biens des oligarques proscrits, et surtout avec les grandes propriétés foncières qui avaient naguère appartenu aux familles régnantes, que Nabis dota la nouvelle bourgeoisie qu’il créa, une bourgeoisie qui n’était pas seulement composée de périèques, de Spartiates appauvris et de la masse des esclaves et des hilotes qu’il avait émancipés, mais aussi d’innombrables criminels et de scélérats de toute espèce, que Nabis attira en Laconie de toutes les parties de la Grèce et qui lui servaient à compléter son armée et son peuple. Nabis se vanta plus tard avec une arrogance cynique de n’avoir fait, en agissant ainsi, que remettre en vigueur les idées des anciens Spartiates[61] ; en effet, il avait fourni une grotesque caricature des plans du noble Cléomène, effectué une révolution sociale complète, et donné de la manière la plus effrayante la vie et la forme aux aspirations communistes répandues alors depuis longtemps parmi les classes inférieures du peuple grec.

Non content d’avoir édifié son gouvernement sur une base de sang et de boue, sur la lie du peuple, et de continuer à se maintenir en face de la partie plus morale et plus riche de la bourgeoisie à force de cruautés et de supplices, cet indigne successeur des illustres guerriers Spartiates, qui du reste était lui-même un soldat vaillant et résolu,songea à se mêler énergiquement des affaires du reste de la Grèce ; mais il le fit comme un chef de brigands, sans souci des intérêts politiques d’un ordre élevé. S’appuyant sur son acropole bien fortifiée et sur les solides ouvrages de défense dont il avait fait couvrir les parties faibles de sa capitale, il espérait, avec ses farouches soldats armés de lances, se rendre terrible à tous ses voisins. Nous apprenons qu’il s’occupait aussi de la mer[62] ; que, tout en faisant des acquisitions de territoire en Crète, il s’allia avec les audacieux corsaires Crétois ; qu’avec ses propres vaisseaux il rendait très peu sûres les eaux de la Laconie, odieux imitateur du grand Polycrate, tyran de Samos, précurseur des pirates maïnotes des temps modernes. Mais, si Nabis put se livrer pendant des années et presque sans interruption à ses honteuses manœuvres sur mer, il trouva sur terre, heureusement, de courageux adversaires dans les Achéens, qu’il devait bientôt rencontrer dans le cours de ses intolérables brigandages.

En effet, Philopœmen, qui aspirait, comme Aratos l’avait fait autrefois avec succès, à être le chef suprême des confédérés, poursuivait sans cesse le but qu’Aratos déjà s’était proposé : gagner le Péloponnèse entier à la Ligue fondée par les Achéens, à laquelle, disons-le en passant, s’était réunie la ville de Mégare, longtemps séparée après s’être détachée de la Ligue étolienne à laquelle elle avait appartenu depuis la guerre de Cléomène[63]. Le but qu’il poursuivait et la haine qu’il avait vouée aux potentats de Sparte depuis la destruction de Mégalopolis faisaient de lui l’adversaire naturel de l’odieux Nabis et le surveillant assidu de toutes ses entreprises. Et lorsque le tyran, lui déjà était en guerre avec les Achéens, franchit la frontière laconienne (202 ou 201) et, sans souci des relations communes avec Rome et les Étoliens, se jeta sur Messène en conquérant, a prit et assiégea Ithome avec ses soldats, Philopœmen intervînt en sauveur. L’occasion lui paraissait extrêmement favorable pour rétablir des rapports d’amitié avec les Messéniens, qui depuis longtemps n’en avaient plus eu avec les Achéens. Comme Lysippe, alors chef de la Ligue achéenne, ne partageait pas ses vues, le brave général, qui à aucun prix ne voulait voir, sans s’y opposer, les nouveaux empiétements de Sparte en Messénie, rassembla lui-même une troupe de volontaires, marcha avec eux sur Messène et décida les Spartiates à la retraite au seul bruit de son approche[64]. Et lorsque ensuite (201 à 200 avant J.-C.[65]) il fut stratège pour la troisième fois, il réussit, dans une campagne très habilement commencée, à infliger aux troupes lacédémoniennes une terrible défaite près de la forêt de Scotitas au pied du Parnon (sur la frontière de Tégée, d’Argolide et de Laconie)[66]. Il est vrai que cela ne terminait pas la guerre entre Sparte et les Achéens ; mais dès lors ces luttes partielles se confondent avec des événements bien plus importants, à savoir avec la guerre qui recommença entre Rome et la Macédoine et qui, cette fois, devait avoir pour le monde de si graves conséquences.

Le roi Philippe, après avoir renoncé à prendre part plus longtemps à la guerre punique, avait résolu de se dédommager ailleurs du mince profit que lui avait valu la guerre avec les Romains. Le roi d’Egypte Ptolémée IV Philopator était mort en 200 ; son successeur Ptolémée V Épiphane était un enfant. Or, contre ce dernier s’allièrent (en 203 ou 202 avant J.-C.) le Séleucide Antiochos, dit le Grand, et le roi Philippe, dans le but de détruire la monarchie des Lagides. Antiochos espérait notamment étendre son empire sur le continent asiatique et africain, tandis que Philippe voulait s’emparer des possessions égyptiennes sur les îles et les côtes de la mer Egée ainsi que de Cyrène. C’était là une entreprise aussi honteuse qu’impolitique, par laquelle Philippe s’attira une foule de nouveaux ennemis et jeta des alliés très utiles entre les bras des Romains, sur lesquels, depuis longtemps d’ailleurs, étaient fixés les regards des souverains et des partis de l’Orient. D’autant plus que, dans ses nouvelles entreprises, il commettait audacieusement, soit personnellement, soit par ses amiraux scélérats, le Tarentin Héraclide et le forban étolien Dicéarque, les crimes les plus odieux, en lésant partout, avec une insolence despotique, les intérêts et les droits d’autrui. Au début, il est vrai, son succès fut complet, parce que les Égyptiens, occupés en Syrie, ne pouvaient pas s’opposera lui. Dicéarque put donc, sans trouver de résistance, conquérir les Cyclades (égyptiennes)[67] ; quant à Philippe, qui convoitait surtout les florissantes villes grecques des cotes occidentales de l’Asie-Mineure, en partie complètement libres, en partie dépendantes de l’Egypte, qui les gouvernait avec douceur, il commença (201 av. J.-C.)[68] par s’emparer des villes de Lysimachia (dans la Chersonèse de Thrace), qui était alors l’alliée des Etoliens[69], et de Périnthe, qui se trouvait sous la protection de Byzance[70]. Par là, Philippe se brouilla sans raison aucune avec les Étoliens et avec les puissants Byzantins. Il fit plus : dans l’intérêt de son allié, le roi Prusias de Bithynie, il chassa les garnisons étoliennes des villes de Chalcédoine et de Cios, situées sur le territoire bithynien et également alliées des Étoliens ; il fit en outre, malgré l’intercession d’autres villes, surtout des Rhodiens, complètement piller la malheureuse Cios et vendre tous les habitants comme esclaves[71]. On traita les Thasiens avec la même cruauté, en allant cette fois jusqu’à violer la capitulation[72].

De telles horreurs produisirent partout dans les pays helléniques une profonde indignation. On fit plus. Sous l’impression de cette conduite des Macédoniens, qui menaçaient gravement non seulement la liberté, mais même les racines de l’existence des villes prospères et commerçantes du bord occidental du monde hellénistique, les États de deuxième rang les plus entreprenants de la mer Egée formèrent sans tarder une coalition pour s’opposer à temps aux excès de Philippe. Il est vrai que les Étoliens, épuisés par la dernière guerre et bien affaiblis, et dont un grand nombre étaient probablement allés en Egypte avec Scopas pour y servir en qualité de mercenaires, se tinrent tranquilles en attendant. Les énergiques Rhodiens, au contraire, qui, pas plus qu’Attale,ne pouvaient contempler tranquillement l’anéantissement des cités grecques et le démembrement de l’empire des Lagides, contre lesquels Philippe avait en outre, déjà auparavant, excité les corsaires crétois, que le roi, entre autres crimes, avait trompés avec un cynisme révoltant lors de leur intercession en faveur de Cios[73], les Rhodiens, complètement désabusés sur le compte de Philippe, renoncèrent à la neutralité si longtemps observée et mirent tout en mouvement pour sauver les villes d’Asie-Mineure. Avec Byzance, Chios et Attale de Pergame, ils rassemblèrent une forte flotte avec laquelle leur excellent amiral Théophiliscos livra aux escadres macédoniennes, qui déjà avaient pris Samos aux Égyptiens et menaçaient Chios, une bataille navale meurtrière dans le voisinage de cette île. Les alliés remportèrent une brillante victoire, trop chèrement achetée par la mort de l’énergique Théophiliscos. Car dès lors l’activité des alliés fut comme paralysée ; Philippe put reprendre rapidement des forces. Une victoire remportée près de l’île de Ladé sur la flotte rhodienne, alors séparée de ses alliés, lui ouvrit les portes de Chios et de Milet ; les troupes de terre macédoniennes se répandirent alors, au milieu d’affreux ravages, dans le royaume de Pergame, et Philippe put étendre ses conquêtes dans la partie égyptienne de la Carie et sur le continent rhodien (Péræa), c’est-à-dire sur la côte méridionale de la Carie[74]. Pendant ce temps, les Rhodiens renforcèrent leur flotte, se réunirent aux vaisseaux de guerre de Pergame, et arrivèrent ainsi à être si bien les maîtres dans la mer Egée que Philippe fut en grand danger de se voir couper la retraite en Macédoine et d’être forcé de passer l’hiver en Carie ; c’était d’autant plus grave qu’il était fortement menacé d’une guerre avec les Romains. Dans ces circonstances, le roi se hâta de quitter l’Asie-Mineure ; laissant un petit détachement sur le théâtre de la guerre, il hâta son départ et, après avoir habilement trompé les commandants des flottes ennemies, il fut assez heureux pour atteindre encore avant la fin de l’hiver de l’année 200 avant J.-C. ses possessions européennes.

Sans contredit, les rapports des Romains avec l’Orient s’étaient développés en attendant d’une façon fort inquiétante pour Philippe. Au printemps de 201 avant J.-C., les Romains avaient conclu une paix définitive avec Carthage : la lutte gigantesque contre Hannibal était terminée, Carthage réduite au rang d’un État commerçant de peu d’étendue, Rome par contre devenue une puissance colossale. Or, l’histoire de tous les temps nous apprend qu’il est dans la nature de toute puissance politique fortement constituée de lâcher de s’accroître après chaque succès, jusqu’à ce que cet accroissement soit arrêté dans des limites déterminées par d’invincibles obstacles extérieurs ou une sagesse politique supérieure ; c’est surtout à mesure que les intérêts politiques se développent et deviennent plus délicats, et les rapports entre les nations plus fréquents, que les pouvoirs dirigeants des grandes puissances douées de vigueur et entourées d’un grand nombre de voisins se trouvent peu à peu dans une situation telle qu’aucun événement important ne peut avoir lieu au delà des frontières ni aucune modification de la puissance relative des États voisins sans qu’ils en soient affectés. Si on réfléchit à cela, si l’on se rappelle en même temps la tendance instinctive à la domination universelle particulière à tous les grands empires de l’antiquité, la ligne de conduite que suivirent dès lors les Romains ne paraîtra pas étrange. On avait pu prévoir que les Romains, après la destruction de la puissance carthaginoise, cultiveraient avec plus de zèle et augmenteraient encore les relations déjà commencées avec le monde oriental, et qu’ils se vengeraient notamment de la Macédoine. Sans doute, il n’est pas très probable que le Sénat, pour ne pas parler du peuple, vu le terrible épuisement de l’Italie, le plus triste héritage que la guerre punique ait laissé aux Romains, ait éprouvé un bien vif désir de se jeter immédiatement sur la péninsule hellénique. Ce fut en réalité Philippe lui-même qui, par sa guerre d’Asie, s’attira cette fois les Romains sur les bras, plus tôt qu’ils ne l’eussent voulu eux-mêmes.

Les attaques de Philippe contre les villes étoliennes et égyptiennes de la mer Égéo avaient bientôt amené à Rome, pour y exposer hautement leurs griefs, des ambassadeurs étoliens et égyptiens[75] ; les Rhodiens aussi (depuis cent ans amis des Romains) et Attale avaient été bientôt obligés d’implorer le secours de Rome[76]. Les Étoliens, il est vrai, avaient été assez froidement reçus ; et Attale qui, grâce à ses relations étroites avec Rome, semblait avoir des droits tout spéciaux à sa protection, ne pouvait guère, parce qu’il avait été cette fois positivement l’agresseur[77], faire valoir on sa faveur la clause du traité de paix de 205, en vertu de laquelle Philippe ne devait pas léser dans leurs intérêts les amis de Rome, ni les Romains les amis de Philippe[78]. Malgré cela le Sénat, qui n’avait aucun intérêt à permettre que Philippe dépouillât l’Egypte et détruisît ou engloutit les petits États ou les États moyens de la mer Egée, qui, du reste, avait récemment adressé de sérieuses remontrances à Philippe à propos des empiétements des Macédoniens en Illyrie[79], était assez disposé à entreprendre une guerre qui devait évidemment assurer au vainqueur la suprématie dans les parties occidentales du monde gréco-hellénique. Il s’agissait maintenant de mettre Philippe directement dans son tort vis-à-vis de Rome ; l’occasion s’en présenta bientôt en Grèce, même sans qu’on eût besoin de la chercher. En effet, les Athéniens, qui semblent avoir eu déjà d’autres démêlés avec Philippe, avaient (en septembre de l’année 201), animés d’un grossier fanatisme, tué deux jeunes gens du pays des Acarnaniens si intimement unis à Philippe, parce que, sans la moindre mauvaise intention du reste, ils étaient entrés avec le peuple dans le temple de Démêler pendant la célébration des mystères d’Eleusis[80]. Les Acarnaniens, profondément indignés, auxquels Athènes refusait probablement la satisfaction demandée, se plaignirent amèrement de ce crime auprès de Philippe, et obtinrent du roi la permission de mettre à feu et à sang le territoire athénien, conjointement avec des auxiliaires macédoniens[81]. Là-dessus, les Athéniens, qui, en même temps, demandèrent du secours aux Rhodiens, à Pergame et à l’Egypte, se plaignirent à Rome ; et ces plaintes d’une ville alliée, à propos d’une agression commencée par les troupes de Philippe, ne furent pas, naturellement, décisives pour le Sénat, mais lui fournirent un prétexte commode pour motiver plus tard sa déclaration de guerre[82]. Il s’agissait maintenant de préparer la guerre par la diplomatie, un art que les Romains, depuis cette poque et surtout pendant leurs luttes contre les États de l’Orient, ont développé avec une effrayante profondeur. On commença par poster dans l’Adriatique une flotte romaine qui servit : point d’appui à tous les adversaires de Philippe sur la frontière occidentale de la Macédoine[83] ; dans ces contrées, les agents romains paraissent avoir préparé le terrain avec un zèle tout particulier. Déjà une ambassade romaine était en route pour l’Orient, pour travailler partout en Grèce contre Philippe, pour veiller aux intérêts de Rome en Egypte, sonder les intentions du roi Antiochos et notamment pour donner des torts Philippe au point de vue de la diplomatie[84]. Une nouvelle ambassade des Athéniens, qui se trouvaient serrés de près[85], fut reçue à Rome — les consuls pour l’année 200 avant J.-C. venaient d’entrer en fonctions le 15 mars — de façon à faire comprendre à tout le monde que la guerre allait ouvertement éclater sous peu [86].

Cependant la guerre ne larda pas à recommencer dans la mer Egée. Les Rhodiens et le roi Attale, après le retour de Philippe de la Carie, étaient venus avec leurs flottes dans les eaux de l’Attique, et c’est alors que les Athéniens, sûrs de l’appui des Romains, se décidèrent à déclarer officiellement la guerre à Philippe[87]. Les Rhodiens se tournèrent ensuite contre les Cyclades, qu’ils arrachèrent sans peine aux Macédoniens, à l’exception d’Andros, de Paros et de Cythnos, où Philippe rail mis de fortes garnisons[88]. Mais ils se contentèrent, en tendant le secours des Romains, d’observer l’ennemi et permirent à leur énergique adversaire de remporter de sanglants trophées. En effet, Philippe, qui, depuis le printemps de l’année 200, s’attendait, à n’en pas douter, à voir éclater les hostilités avec les Romains — déjà les ambassadeurs romains nommés plus haut avaient fait part à son général Nicanor, qu’ils trouvèrent devant Athènes, de la ferme détermination du Sénat — se hâta de couvrir ses derrières dans la mesure de ses forces en faisant énergiquement la guerre. Le général macédonien Philoclès fut envoyé en Attique avec un détachement de force moyenne[89]. Philippe lui-même se jeta avec sa flotte et son armée de terre sur les villes grecques de la côte entre Maronée en Thrace et l’Hellespont, la plupart placées sous la suzeraineté de l’Egypte, pour opposer par leur conquête les plus grands obstacles possibles à un débarquement sur ses derrières des Romains, des Rhodiens et des Pergaméniens réunis. Après une série de succès, il attaqua enfin la forte Abydos, dont la possession devait lui assurer le passage de l’Hellespont et la libre communication avec ses alliés asiatiques, Prusias et Antiochos. Pendant que la résistance admirable des habitants d’Abydos forçait Philippe à prolonger péniblement le siège, il vit enfin paraître dans son camp un des ambassadeurs romains envoyés en Orient (dans l’été de l’année 200), M. Æmilius Lepidus qui lui exposa, dans un langage des plus audacieux, les prétentions de Rome : il devait renoncer à toute agression contre les États grecs et l’Egypte, rendre les terres enlevées aux Lagides et reconnaître un tribunal comme arbitre entre lui et Rhodes et Pergame qu’il avait injustement traitées[90]. Bien qu’il fût profondément irrité, ce monarque passionné ne se décida pas à déclarer ouvertement la guerre ; il se contenta d’une réponse fière et menaçante[91], et continua à assiéger Abydos. Naturellement, il n’évita pas pour cela la guerre avec les Romains ; car précisément en ce moment les centuries venaient d’agréer à Rome, après une longue résistance des tribuns et du peuple, la déclaration de guerre, qui prit surtout pour prétexte le différend entre Philippe elles Athéniens et le prétendu danger d’un débarquement des Macédoniens en Italie[92]. Et lorsque Philippe, après avoir enfin pris Abydos au milieu de scènes atroces dont Attale et les Rhodiens avaient été à Ténédos les timides spectateurs, s’en retourna en Macédoine vers la fin de l’automne 200, il reçut pendant sa marche la nouvelle que le consul P. Sulpicius Galba avait passé l’Adriatique ; l’armée de terre romaine avait pris en attendant ses quartiers d’hiver à Apollonie ; la flotte avait pris position près de Corcyre[93].

On venait donc de commencer une guerre qui devait exercer une influence si décisive sur l’avenir de Rome et sa situation dans le monde, sur le sort des États de l’Orient, et tout particulièrement sur celui des États grecs situés entre la mer Ionienne et la mer Egée. Même à présent, nous ne raconterons pas en détail les péripéties de la lutte ; cette fois encore, il suffira de mettre en lumière les traits caractéristiques de cette guerre et les événements les plus importants pour les Étals grecs qui en ressentirent les effets. Ce qui nous frappe tout d’abord, c’est l’économie bien connue des Romains dans l’emploi de leurs forces, particulièrement motivée cette fois par le profond épuisement de l’Italie. Cette guerre, entreprise pourtant avec la ferme résolution de détruire la puissance macédonienne, les Romains la commencèrent (abstraction faite de la flotte) avec des forces à peine supérieures a deux légions ; ce n’est que dans les années suivantes que cette armée eut des renforts considérables. C’est que les Romains comptaient, comme dans la dernière guerre, sur l’appui énergique des peuples de la péninsule gréco-illyrienne même ; et, pour s’assurer ces subsides aussi abondants que possible, ils représentèrent, en rusés diplomates et en tenant habilement compte des circonstances où se trouvait la Grèce et des passions dominantes des Hellènes, la guerre nouvelle comme ayant été entreprise pour délivrer la Grèce du joug macédonien[94]. C’est ainsi que pendant toute cette guerre la diplomatie des Romains agit de concert avec leurs armes ; les combats qui ont lieu sur ce terrain contre la politique macédonienne ne sont ni moins intéressants, ni moins compliqués que les batailles elles-mêmes, et les derniers grands succès des Romains sont préparés en grande partie par leur habile politique.

Cependant, au début de la guerre, de tous les anciens alliés des Romains en Grèce, les Athéniens seuls se décidèrent d’abord à combattre Philippe (le féroce Nabis soutenait une lutte meurtrière contre les Achéens) ; les Étoliens et les peuples qui se réglaient sur eux se tenaient tranquilles en attendant parce que les relations avec Rome continuaient à être tendues et, que l’irritation récente des Étoliens contre Philippe était encore contrebalancée par le souvenir fâcheux de la dernière guerre. Les Barbares du Nord attendaient, eux aussi, les premiers succès des Romains. Dans ces circonstances, Philippe, qui croyait pouvoir compter sur la neutralité durable des Etoliens et des Dardaniens, et qui, en somme, dans la dernière guerre ne s’était que peu ressenti directement de la puissance formidable des Romains, ne crut pas, malgré les difficultés de sa position, devoir considérer sa situation comme sérieusement compromise. Il devait bientôt reconnaître son erreur. En effet, le consul Sulpicius, bientôt après son arrivée sur les frontières de l’Épire, avait fait partir pour le Pirée une partie de sa flotte pour protéger les Athéniens serrés de près sur mer et sur terre et pour s’opposer, avec le secours des Rhodiens, aux brigandages des garnisons macédoniennes de Corinthe et de l’Eubée, ainsi qu’aux excès des corsaires macédoniens de Chalcis. Sur ces entrefaites, le commandant de cette escadre, Gaius Claudius Cento, apprit que la ville de Chalcis, la grande place d’armes de Philippe en Eubée, était très mal gardée. Il eut donc l’audace de risquer un coup de main, surprit Chalcis, détruisit au milieu d’un affreux carnage les magasins et l’arsenal de Philippe, et réduisit en cendres une grande partie de la ville pour s’en retourner ensuite rapidement au Pirée. Lorsque Philippe, qui se trouvait alors à Démétrias en Thessalie, apprit cette fâcheuse nouvelle, il pénétra avec une forte armée en Attique pour tenter de se venger en surprenant Athènes ; mais ce fut eu vain. Ayant échoué dans son attaque contre cette ville, cet homme violent détruisit dans sa colère de la façon la plus brutale le Cynosarge, le Lycée et d’autres sanctuaires près d’Athènes, sans même respecter les monuments funéraires. Une tentative dirigée contre Eleusis ayant également échoué, il se rendit dans le Péloponnèse pour décider au moins les Achéens, sur lesquels il comptait toujours avec certitude, à prendre part à la guerre contre Rome[95].

Les Achéens se trouvaient alors dans une situation bien difficile ; leur vaillant chef Philopœmen n’avait pas pu, malgré tous ses mérites, arriver à une position aussi influente que l’avait été celle d’Aratos ; la raison en était évidemment dans la situation particulière qu’il s’était faite comme homme de parti. Comme Philopœmen était tout à fait l’homme du peuple, il était convaincu[96], on peut bien l’admettre, que le but qu’il poursuivait, lui et ses amis, l’affranchissement du joug macédonien, ne pouvait être atteint complètement et d’une manière durable que si l’on parvenait à utiliser toutes les forces encore existantes des villes et des tribus qui faisaient partie de la Ligue achéenne, en d’autres termes, si on accordait un plus libre espace aux éléments vraiment démocratiques de la confédération en intéressant sérieusement à la Ligue les masses pauvres, non seulement au point de vue militaire, mais au point de vue politique. Il est vrai que la Ligue vantait depuis longtemps sa constitution démocratique ; mais, selon toute apparence, cette démocratie achéenne était très modérée ; c’est surtout en ce qui concerne les institutions générales de la Ligue que la participation des masses aux affaires publiques était réduite, du moins en fait, à bien peu de chose : les familles riches avaient une prépondérance qui donnait à la confédération une couleur plutôt timocratique[97]. C’est sur cette timocratie que s’était surtout appuyé Aratos, et l’antipathie des basses classes pour les riches avait, on le sait, provoqué, pendant la guerre de Cléomène, une sympathie dangereuse des éléments démocratiques de la confédération pour le roi de Sparte vanté comme ami du peuple (δημος). Philopœmen résolut de tenter une réforme : malheureusement nous n’avons plus que de vagues indications sur les efforts qu’il tenta dans ce sens. Ce qui parait certain, c’est que le vieux général ne songea pas à opérer une révolution sociale, entreprise dangereuse et pleine de hasards, mais qu’il avait formé le projet de réconcilier jusqu’à un certain point les masses avec leur position par des réformes d’une nature purement politique et de leur inspirer par ce moyen un plus vif intérêt pour les affaires publiques. Ces efforts lui attirèrent l’inimitié de la plupart des adhérents du parti timocratique ou aristocratique ; et, cette opposition, il la retrouva sur le domaine de la politique étrangère dès qu’on vit se dessiner plus nettement son plan de soustraire de plus en plus la confédération à l’influence macédonienne ; car c’était précisément dans les rangs du parti timocratique que la Macédoine, depuis la guerre de Cléomène, comptait le plus de partisans. Il parait[98] toutefois que Philopœmen avait encore réussi en 200 (avant la fin de sa troisième stratégie) à maintenir la Ligue dans une stricte neutralité en empêchant l’alliance plus étroite avec la Macédoine, que Philippe désirait beaucoup au moment où allait éclater la guerre contre les Romains. Mais lorsque, à ce qu’il parait, il essaya de se faire réélire stratège pour l’année 200-199 (on peut bien admettre que ce fut pour diriger la confédération d’une main ferme et dans le sens de sa politique à travers les temps difficiles qui s’annonçaient), il éprouva un pénible échec : le parti adverse réussit, lors de l’élection du nouveau stratège, à faire nommer chef delà Ligue pour l’année 199 Cycliadas, qui passait alors pour être un des plus dévoués partisans du roi de Macédoine[99]. Philopœmen se laissa entraîner alors à commettre une des plus mauvaises actions de sa vie. On nous apprend[100] qu’il avait pris pour modèle le grand Épaminondas ; et, un effet, à ne considérer que son activité politique et militaire, sa capacité comme tacticien, son désintéressement, la simplicité de sa vie privée enfin, et son noble mépris des richesses, il n’avait point à redouter la comparaison avec l’illustre Béotien ; par contre, il ne savait pas, comme lui, maîtriser noblement ses passions et se dévouer complètement au bien public. Prompt à s’emporter, soldat rude et sans détours, d’humeur querelleuse et prétendant avoir toujours raison, il était capable de se mettre dans Une violente colère lorsqu’il voyait échouer ses plans concernant les affaires intérieures et ne se dominait pas assez pour continuer à servir l’État lorsque les adversaires de son parti et de sa politique étaient au pouvoir. Et c’est ainsi qu’après l’élection de Cycliadas, il ne craignit pas — en face de complications menaçantes, dans un temps où la Ligue devait regretter l’absence de son grand général autant qu’elle l’avait jamais fait pendant la guerre de Cléomène — de tourner le des à sa patrie et de s’en aller, en véritable condottiere arcadien, passer plusieurs années en Crète, où de nouveaux troubles avaient éclaté, pour secourir les Gortyniens contre leurs ennemis[101]. Son départ du Péloponnèse enleva immédiatement une grande partie de leur assurance aux Achéens, dont les forces nouvelles provenaient encore surtout de la confiance illimitée que leur inspirait le commandement de Philopœmen. Cycliadas n’était pas homme à remplacer son prédécesseur sur les champs de bataille ; Nabis ne tarda donc pas à recommencer la guerre et à causer les plus grands ennuis aux confédérés[102].

Ce fut sur cette situation fâcheuse des Achéens que Philippe fonda son principal espoir. Les Achéens avaient jusque-là résisté aux incitations de Rome[103] ; ils avaient même tenté depuis la prise d’Abydos, sans succès, il est vrai, de rétablir la paix entre Philippe et les Rhodiens[104]. Or, lorsque le roi, vers la fin de l’année 200 ou au commencement de l’année 199 av. J.-C, arriva de l’Attique dans le Péloponnèse, il trouva les confédérés réunis eu une assemblée générale extraordinaire convoquée à Argos à propos de la guerre contre Nabis. Il leur promit donc d’entreprendre avec toutes ses forces la guerre contre les Spartiates ; par contre, l’élite des forces achéennes devait être mise en garnison à Corinthe, à Chalcis et à Oréos. Pour la première fois, dans cette guerre, les Achéens curent donc à prendre une grave décision. Accepter les propositions de Philippe, c’était, on le sentait bien, se livrer complètement à lui ; c’était prendre parti ouvertement contre Rome. Or, depuis sept ans et grâce aux efforts de Philopœmen, on s’était affranchi de plus en plus de l’influence macédonienne ; et Philippe, par toute son attitude, par sa conduite à l’égard d’Aratos et de Philopœmen, de Messène, de Rhodes, de Cios, de Thasos et d’Abydos, avait tué presque entièrement dans le Péloponnèse aussi la sympathie qu’on avait eue pour lui. C’était une résolution d’une portée immense pour la Grèce, divisée par la faute de Philippe, que d’entreprendre la lutte contre la puissance formidable de Rome en s’inspirant uniquement des calculs d’une saine politique et au nom du monde hellénique ; et cela, sans un général auquel on put se fier, et conjointement avec et pour un prince qui n’inspirait plus aucune confiance. Aussi les Achéens, y compris Cycliadas, ne s’élevèrent-ils pas jusqu’à une pareille résolution : ils résolurent de garder vis-à-vis de Philippe une bienveillante, mais stricte neutralité. Les propositions de la Macédoine furent écartées sous prétexte d’obstacles constitutionnels. Quant à Philippe, qui n’avait réussi qu’à attirer à lui une troupe de volontaires achéens, il quitta en colère le Péloponnèse et se relira en Attique où, après plusieurs attaques infructueuses sur Eleusis, Athènes et le Pirée, il calma ses fureurs en ravageant la contrée avec une barbarie inouïe (il alla jusqu’à faire briser les statues renversées et les pierres des temples qu’il avait détruits)[105].

Philippe se vit donc trompé dans son espoir d’être secouru par les Achéens ; ses espérances relatives à la neutralité des Dardaniens et des Étoliens ne se réalisèrent pas davantage. Dès que (dans l’hiver de 200 à 199 av. J.-C.) L. Apustius, légat du consul Sulpicius, qui, du camp romain sur les bords de l’Apsos (entre Dyrrachium et Apollonia), s’était avancé vers la frontière macédonienne, eut remporté un premier succès sans importance, non seulement le prince illyrien Pleuratos embrassa ouvertement le parti des Romains, on vit encore le roi des Dardaniens Bato, et même Amynandre, prince des Athamanes (une tribu épirote sur le territoire de l’Achéloos supérieur[106] qui ne faisait point partie de la ligue des autres Épirotes), se joindre à la grande puissance de l’Occident[107]. Les Étoliens résistèrent un peu plus longtemps. Dans leur assemblée à Naupacte, l’ambassadeur romain L. Furius Purpureo et les envoyés des Athéniens déployèrent toute leur éloquence en face des agents macédoniens ; mais le chef de la ligue étolienne, Damocritos (gagné, selon les Romains, par l’or macédonien) sut, en attendant, empêcher un vote décisif. Le souvenir de l’attitude des Romains pendant la dernière guerre semblait inviter les Étoliens à attendre les événements avant de prendre un parti et à ne pas s’exposer encore en première ligne aux attaques de la Macédoine. Ce ne fut qu’après quelques nouveaux succès des Romains au printemps de l’année 199, notamment après une heureuse rencontre de cavalerie près d’Ottolobos, que, sur l’avis du même Damocritos, le peuple étolien, auquel il paraissait sans doute dangereux de se brouiller complètement avec les Romains victorieux en persévérant dans sa neutralité, prit rang de nouveau parmi les ennemis de Philippe. Les Étoliens, de concert avec les Athamanes, commencèrent alors (bien que pendant ce même été, malgré les temps difficiles, des milliers de jeunes gens se laissassent enrôler pour l’Egypte par Scopas), avec leur violence habituelle et leur rage de destruction, la lutte contre la Macédoine[108]. L’Élide, et selon toute apparence aussi la Messénie, imitèrent alors également l’exemple des Etoliens[109].

En 199 av. J.-C, il devint donc évident que Philippe — si nous exceptons la Thessalie et l’Eubée, ainsi que les cantons des Locriens orientaux et des Phocidiens, qui, autant que l’Eubée, étaient eu son pouvoir — ne pouvait plus compter dans toute la Grèce que sur l’assistance effective des Acarnaniens cl des Béotiens et sur les sympathies des Épirotes. Malgré cela, le roi ne perdit pas courage ; il fit preuve, au contraire, alors que le danger était le plus pressant, d’une énergie telle et d’une si grande capacité comme général que les alliés pendant cette année et pendant la suivante n’obtinrent guère plus de succès que dans la guerre précédente. Les énergiques attaques des Dardaniens, des Illyriens et même des Romains (199) sur les frontières de l’ouest et du nord-ouest de la Macédoine n’eurent en fin de compte aucun résultat appréciable ; les incursions des Athamanes et des Étoliens en Thessalie causèrent, il est vrai, à ce malheureux pays un tort immense,, mais se terminèrent par la retraite honteuse et désastreuse des pillards ; et la flotte des alliés — sous la protection de laquelle la colère des Athéniens profondément indignés se déchargea dans une série de manifestes contre la maison royale de Macédoine, tels que ne pouvait les dicter que la rage la plus exaltée et en même temps la plus impuissante[110] — ne put également faire que peu de chose ; elle réussit seulement à forcer la flotte macédonienne, bien plus faible qu’elle, à s’enfermer dans ses ports ; de plus on s’empara de l’île d’Andros et de la ville fortifiée d’Oréos en Eubée[111].

Dans ces circonstances, Philippe, avec son audace accoutumée, prit l’offensive. Tandis que le successeur du consul Sulpicius, P. Villius, se voyait menacé par une émeute dans son propre camp, le roi se jeta sur l’importante forteresse de Thaumaki, bâtie sur un rocher et dominant les défilés qui conduisaient de la Phthiotide occidentale vers les plaines intérieures de la Thessalie, et tenta de l’enlever aux Étoliens (automne 199[112]).

Là il n’eut point, il est vrai, de succès ; mais, au printemps de l’année 198 avant J.-C, il transporta le théâtre de la guerre sur les frontières de l’Illyrie et de l’Épire. En occupant le défilé difficile de la vallée de l’Aoos, près d’Antigonia, sur le territoire des Atintanes, il barra aux Romains la route la plus commode de la Macédoine, comme de l’Épire et de la Thessalie, et tint en échec l’armée romaine pendant plusieurs mois[113]. Alors, enfin, parut en Grèce ce Romain, homme d’État et général, dont le génie devait faire échouer tous les plans du roi de Macédoine. C’était le consul de l’année 198 av. J.-C., Titus Quinctius Flamininus, à peine âgé de trente ans. Excellent général, formé à la rude école de la seconde guerre punique, cet homme, par ses vues politiques, par l’idée qu’il se faisait de l’attitude que Rome devait prendre vis-à-vis des États et des peuples de l’Orient, appartenait au parti de Scipion précisément alors très influent dans la capitale[114]. Comme Je grand Scipion et d’autres jeunes hommes d’État romains, Flamininus n’était nullement étranger à la civilisation hellénique ; il éprouvait une vive sympathie pour cette Grèce et ses habitants avec leur glorieux passé, leurs magnifiques monuments, leur histoire riche en hauts faits, leur haut degré de culture, — une sympathie qui rendait particulièrement propre à la direction de la guerre présente ce diplomate aussi habile que personnellement aimable.

L’arrivée de ce général sur les bords de l’Aoos amena bientôt (été 198) un changement décisif dans la situation des Macédoniens, auxquels, d’ailleurs, l’habile diplomatie romaine avait déjà su enlever le soutien efficace du peu clairvoyant et indécis Antiochus de Syrie[115]. Au début, il est vrai, Flamininus lui-même resta sans succès, pendant quarante jours, avec l’armée romaine maintenant renforcée, en face des positions inexpugnables des Macédoniens ; il permit encore à Philippe de tenter d’entamer des négociations de paix, comme il l’avait fait autrefois au moyen des Épirotes. Mais le roi, qui n’avait pas été vaincu, ne pouvait naturellement, à aucune condition, consentir, comme l’exigeaient les Romains, à abandonner toutes ses possessions en Grèce, sans excepter la Thessalie[116] ; d’autre part, les Romains avaient une fois de plus, en agissant ainsi, indiqué d’une façon aussi décidée que séduisante pour les Hellènes le but de cette guerre. Flamininus commença bientôt à exécuter son programme. Le passage aux Romains de Charops, un des grands les plus influents de l’Epire, procura au consul les moyens de faire sortir les Macédoniens, à la suite d’une série de combats sanglants et désastreux, de leur position fortifiée sur l’Aoos et de forcer le roi à reculer en attendant avec son armée jusqu’au défilé thessalien de Tempe près de l’Olympe. La malheureuse Thessalie fut alors affreusement ravagée. Philippe en se retirant avait brûlé, pour empêcher les Romains de profiter de leurs ressources, toute une série de villes qu’il avait pu atteindre et qui, selon lui, n’étaient pas en état de soutenir le siège des Romains ou des Étoliens. Et alors, les Étoliens et les Athamanes aussi se répandirent en pillant sur le pays plat, pour essayer ensuite de s’emparer d’un grand nombre de villes et de châteaux forts ; bientôt Flamininus marcha à leur secours, après avoir d’abord décidé les Épirotes à abandonner Philippe[117]. Cependant Flamininus se vit si longtemps arrêté en Thessalie par la résistance opiniâtre de diverses places fortes, notamment d’Atrax, près de Larissa, dont il ne put vaincre la résistance bien soutenue par l’armée de Philippe[118], que, cette année du moins, il ne pouvait plus guère songer à renouveler ses attaques contre le gros de l’armée du roi.

Dans ces circonstances, Flamininus résolut de prendre de bonne heure ses quartiers d’hiver ; mais il ne comptait pas pour cela rester inactif : l’automne et l’hiver suivants devaient être employés à gagner pour les Romains la Grèce méridionale par tous les moyens, soit par la force, soit par la diplomatie. Le consul ne voulait pas passer l’hiver dans la Thessalie dévastée, mais dans la Phocide méridionale, où le port d’Anticyre lui permettait de communiquer très facilement avec ses vaisseaux de transport et d’où il pouvait menacer immédiatement la plupart des États helléniques restés fidèles à Philippe. Il fut facile de prendre la plupart des villes de la Phocide[119], mais Élatée, extrêmement importante au point de vue stratégique et très attachée à Philippe, força les Romains à faire un siège prolongé. Tandis que le consul campait encore devant cette ville, sa diplomatie eut un succès très important, le détachement complet des Achéens de la cause macédonienne.

Depuis longtemps les Achéens suivaient avec anxiété les péripéties de la lutte dans le Nord. Encore avant la fin de l’hiver 199-198 avant J.-C, Philippe avait tenté de raffermir la fidélité de ses alliés en promettant de leur céder, à l’exception de Corinthe, lés places du Péloponnèse qui se trouvaient en sa possession immédiate[120] ; on ne sait pas, il est vrai, s’il a tenu sa promesse[121]. Peu à peu cependant la conviction qu’ils ne pouvaient plus longtemps persister dans leur neutralité commença à se répandre aussi parmi les Achéens. En face du parti macédonien de Cycliadas, qui l’emportait surtout à Dyme, à Mégalopolis et à Argos, les ennemis de Philippe se remuaient de plus en plus, surtout depuis les victoires de Flamininus et la sympathie qu’il témoignait aux Grecs ; le chef de la confédération pour l’année 198, Aristænos, était lui-même de ce parti qui demandait de plus en plus instamment qu’on s’alliât aux Romains. Ce parti faisait valoir que la ligue, qui déjà souffrait beaucoup des attaques des Spartiates, périrait, selon toute prévision, sans espoir de salut, lorsque la terrible Rome porterait sérieusement secours à Sparte, sa vieille alliée. Et pourquoi s’exposerait-on à un pareil danger pour l’amour d’un homme tel que Philippe, qui, dans tous les cas — dût-il cette fois encore finir par remporter la victoire — témoignerait sa reconnaissance à ses alliés en les traitant en despote[122] ? Déjà les passions étaient fortement excitées ; déjà Cycliadas avait été expulsé par le parti romain[123]. Quant à Aristænos, il profitait, selon toute apparence, de sa position officielle pour s’entendre secrètement avec les Romains. On vit donc paraître la flotte des alliés, qui, dans l’été de d’année 180, avait été occupée à prendre Carystos et Erétrie sous le frère du consul, Lucius[124], dans la rade de Cenchrées pour s’emparer de ce port, menacer Corinthe et exercer la pression nécessaire sur les décisions des Achéens[125]. Et alors, tandis que les légions du consul se répandaient dans la Phocide voisine, et assiégeaient Platée, Aristænos convoqua à Sicyone une assemblée des alliés où parurent des ambassadeurs de Rome, de Pergame, de Rhodes, d’Athènes, mais aussi de la Macédoine. Aristænos disposa les harangues des envoyés de telle façon que les Romains, qui promettaient aux Achéens la possession de Corinthe, parlèrent les premiers, puis les Pergaméniens et les Rhodiens ; alors on donna la parole aux agents de Philippe pour être réfutés enfin par les discours passionnés des Athéniens. L’assemblée achéenne, déjà si indécise, fut tellement troublée par toutes ces allocutions que tous ses membres restèrent sur leurs sièges sans pouvoir prendre un parti et que Aristænos put sans hésiter inviter les alliés ù traiter avec Rome et à déclarer la guerre à Philippe. Les paroles franches du chef de la ligue excitèrent une formidable tempête ; les partis s’entrechoquèrent avec une ardeur passionnée ; le tumulte augmenta lorsque le conseil gouvernemental qui fonctionnait à côté du chef de la ligue, les dix damiorges, durent s’entendre sur la décision à prendre, décision qu’il fallait ensuite soumettre à l’approbation de l’assemblée fédérale. Il y eut cinq voix opposées à cinq autres ; on n’obtint la majorité nécessaire pour l’alliance avec Rome que lorsque (Rhisianos ou) Risias, du parti romain, cul contraint son fils, le damiorge Memnon de Pellène, en menaçant sa vie, d’abandonner ce parti macédonien. Dans ces circonstances, les représentants des villes de Dyme, Mégalopolis et Argos, qui avaient de grandes obligations à Philippe et lui étaient très attachées, quittèrent l’assemblée au moment décisif, avant le vote ; les confédérés résolurent alors, sans hésiter davantage, de se joindre à la coalition qui s’était formée contre Philippe et de réunir leur armée aux troupes qui, après la prise de Cenchrées, opéraient contre Corinthe sous Lucius, le frère du consul[126].

Philippe, vers la fin de l’année 198, se vit donc réduit uniquement à l’alliance des fidèles Acarnaniens et à celle des Béotiens ; malgré cela il ne perdit pas encore courage, d’autant plus que la défection des Achéens ne lui fit du tort que par l’impression morale de cette détermination. Car tandis que le consul romain réussissait à prendre d’assaut la ville d’Élatée, les attaques dirigées par l’amiral et les Achéens contre Corinthe — très énergiquement défendue par la garnison et les habitants, et à laquelle le général Philoclès avait amené à temps des renforts considérables de Chalcis — restèrent sans aucun effet. Et lorsque les alliés eurent enfin levé le siège et se furent retirés dans leurs quartiers d’hiver, Philoclès réussit même à arracher aux Achéens la ville d’Argos, avec le concours de ses habitants[127]. Cependant Philippe, comme nous le verrons bientôt, abusa d’une façon honteuse de ce succès et de la confiance des fidèles Argiens pour commettre une bassesse diplomatique qui lui enleva les dernières sympathies du Péloponnèse.

En effet, le roi, dans la situation difficile où il se trouvait, essaya encore une fois (vers la fin de l’automne et dans l’hiver de 198 à 197 avant J.-C.) d’obtenir des Romains une paix acceptable. Près de la ville de Nicæa, sur le golfe Maliaque, il y eut des négociations sérieuses entre Philippe et le consul, accompagné des représentants de ses alliés. Les confédérés manifestaient ouvertement l’intention de démembrer l’empire macédonien, de réduire les possessions de Philippe à peu près aux anciennes limites dont était parti autrefois le grand Philippe II après ses victoires sur les Illyriens et les Péoniens (depuis 358 avant J.-C.). Philippe se déclara prêt, en effet, à faire de très grandes concessions sans réussir à satisfaire ses ennemis (ses rapports avec les Étoliens surtout étaient extrêmement tendus) ; ils exigeaient avant tout l’évacuation complète de la Grèce jusqu’à l’Olympe. Enfin on convint que Philippe devait retirer ses dernières garnisons de la Phocide et de la Locride orientale ; on lui accordait en revanche un armistice de deux mois, afin que les négociations pussent être terminées à Rome devant le Sénat. Mais là (au printemps de 197 avant J.-C), toutes les tentatives de Philippe échouèrent contre la fermeté avec laquelle le Sénat exigeait de lui l’évacuation des forteresses de Démétrias, de Chalcis et de Corinthe, par lesquelles Philippe dominait militairement la plus grande partie de la Grèce[128].

Flamininus, dont le commandement fut prorogé indéfiniment, et Philippe se préparèrent donc à une dernière rencontre qui devait être décisive. On vit alors avec surprise le roi, dans son isolement, se tourner vers le féroce Nabis de Sparte (Philippe espérait que la nouvelle alliance des Achéens avec Rome ferait naturellement du tyran un ennemi de Rome) et essayer de le gagner et de l’attirer en lui promettant, entre autres choses, de lui livrer la fidèle Argos. Et, en effet le général macédonien Philoclès livra cotte malheureuse ville au tyran (au printemps de 197), qui commença immédiatement à la traiter à sa façon. Les citoyens riches et haut placés furent dépouillés de leurs biens, sans vergogne ; les récalcitrants, humiliés par les traitements le plus odieux ; et la populace, qui ne possédait rien, gagnée au nouveau régime par l’annonce de l’abolition générale des dettes et un partage agraire — c’étaient les grands mots du prolétariat communiste de cette époque[129]. Quelque temps après, la princesse Apéga se chargea de dépouiller les dames argiennes avec autant d’insolence que de cruauté. D’ailleurs le tyran ne songeait pas du tout à soutenir Philippe ; au contraire, à peine maître d’Argos, il se mit directement en rapport avec Flamininus et Attale, et, après que les Romains eurent réussi à faire conclure entre lui et les Achéens un armistice de quatre mois, il convint avec le consul de l’envoi d’un subside de six cents mercenaires crétois à l’armée romaine[130]. Malgré cela, Nabis ne craignit point, aussi peu qu’auparavant, de faire capturer par ses corsaires, dans les eaux de la Laconie, des vaisseaux de transport romains et italiques et d’en faire assassiner les équipages[131].

Ce dernier espoir de Philippe s’était donc évanoui, et bientôt les Romains devaient détacher de lui les derniers de ses alliés dans l’orient de la Grèce centrale. En effet, Flamininus réussit, au printemps de l’année 197, à s’emparer par surprise de la ville de Thèbes, et alors l’assemblée des confédérés béotiens dut se résoudre à abandonner Philippe et à s’allier avec Rome[132]. Il est vrai que les Béotiens restèrent en grande majorité ennemis des Romains ; nous retrouvons les traces sanglantes de cette hostilité dans toute l’histoire ultérieure de cette contrée jusqu’à la troisième guerre contre Mithridate. Et d’abord, les Romains ne purent empêcher les forces béotiennes qui se trouvaient avec les troupes de Philippe de rester fidèles jusqu’à la fin de la guerre aux drapeaux macédoniens[133] ; Flamininus dut se contenter d’avoir empêché la garnison que Philippe avait à Corinthe de communiquer avec celle qu’il avait à Chalcis. Les deux puissances belligérantes se préparèrent alors avec le plus grand zèle à la dernière campagne, à laquelle les troupes helléniques aussi devaient coopérer d’une manière décisive.

Philippe, qui tenait en échec le Péloponnèse parce qu’il venait d’élever la garnison de Corinthe à 6.000 hommes[134], fit les plus grands efforts pour compléter et augmenter son armée ; tandis qu’en Macédoine, il fit marcher même des vieillards et des jeunes gens de seize ans à peine, il fit faire de forts recrutements en Thrace et en Illyrie. Les Romains, de leur côté, qui avaient reçu des renforts considérables d’Italie, complétèrent leur effectif par les contingents des robustes Étoliens[135] sous Phænéas et des Athamanes, et par des guerriers Crétois et apolloniates. Au moment décisif, le roi commandait à une armée d’environ 26,000 hommes. L’armée romaine était à peu près également forte ; seulement, grâce aux Etoliens, elle avait plus de cavalerie que ses adversaires. Le dénouement eut lieu dans la partie montueuse du sud de la Thessalie. Dans l’été de l’année 197, après quelques mouvements sans résultat, eut lieu enfin près de Scotussa, non loin d’une série de collines appelées Cynocéphales, cette grande bataille dans laquelle, pour la première fois[136] dans une rencontre régulière, la tactique macédonienne succomba à la tactique romaine, la phalange à la légion (soutenue cette fois par des éléphants africains). Les Macédoniens avaient perdu 8.000 morts et 5.000 prisonniers ; les Romains, 700 hommes seulement : la défaite de Philippe fut complète[137]. En même temps, de tous les autres points du théâtre de la guerre les mauvaises nouvelles lui arrivaient coup sur coup : les derniers alliés de Philippe dans la Grèce centrale, les Acarnanes, s’étaient vu enlever par Lucius, frère de Flamininus, leur principale forteresse d’alors, Leucas ; à la nouvelle de la défaite de Philippe, ils se soumirent également aux Romains[138] ; l’Achéen Nicostratos avait complètement battu la garnison de Corinthe, qui avait fait une sortie importante de cette forteresse[139] ; les Rhodiens enfin, avec des auxiliaires achéens, s’étaient battus avec succès contre les Macédoniens en Carie[140]. Le roi, qui déjà avait complètement abandonné la Thessalie, ne pouvait plus conserver beaucoup d’espoir. Il est vrai qu’à ce moment même une grande révolte éclata en Espagne contre les Romains ; que le roi Antiochus III opérait enfin avec de grandes forces en Asie-Mineure et en était déjà venu aux mains avec les Rhodiens : tout le monde croyait qu’il se disposerait bientôt à conduire son armée et sa flotte au secours des Macédoniens[141]. Mais Philippe n’oserait plus, en comptant sur ce secours plus que douteux, risquer, avec les ressources épuisées de ses pays héréditaires, une lutte désespérée ; aussi, bientôt après sa défaite en Thessalie, il entama avec Flamininus des négociations que le Romain — qui, poussé par son ambition personnelle autant que par l’intérêt bien entendu de son pays (il s’agissait d’empêcher a tout prix l’alliance de Philippe et d’Antiochus), aspirait à terminer promptement la guerre — se garda bien de repousser.

Ces négociations, qui amenèrent une entente complète entre Philippe et Flamininus, et bientôt après la conclusion d’un armistice de quatre mois, pendant lesquels le traité de paix devait être signé à Rome[142], devinrent surtout importantes, parce qu’à la même époque on vit naître entre les Romains et les Etoliens une profonde inimitié qui ne devait que trop tôt devenir désastreuse pour ces derniers. L’excellente cavalerie des Étoliens avait livré un brillant combat à Phéræ peu avant la bataille principale[143] ; bien plus, c’étaient eux précisément qui, à la bataille de Cynocéphales avaient, parleur bravoure héroïque, rendu possible à Flamininus de ranger à temps en ordre de bataille l’élite de son armée[144]. Cette gloire nouvelle avait tellement exalté leur amour-propre qu’ils s’attribuaient volontiers à eux seuls toute la victoire[145], ce qui naturellement blessa au vif Flamininus. D’ailleurs Flamininus, bien qu’il éprouvât beaucoup de sympathie pour Tes Hellènes et qu’il aspirât au nom glorieux de libérateur de la Grèce, restait toujours homme d’État romain ; il ne voulait ni ne pouvait renoncer à la politique d’après laquelle, nous le montrerons mieux plus tard, Rome ne pouvait pas désirer du tout que de jeunes et vigoureux Etats militaires naquissent des ruines de l’empire macédonien. De graves différends ne tardèrent donc pas à éclater entre Rome et les Étoliens. Du jour où Flamininus, sans consulter les Étoliens, donna au roi la permission d’entamer des négociations, le froid commença entre les deux parties ; il s’accrut lorsque le Romain, qui se plaisait d’ailleurs à parler sur un ton plus altier aux Étoliens, qui lui étaient antipathiques, fit observer avec raison à ces derniers, qui de mandaient le complet anéantissement du royaume de Philippe que la Macédoine devait continuer à exister pour protéger lei Grecs eux-mêmes contre les Barbares du nord, les Thraces, les Celtes et les Illyriens[146]. On en arriva à se haïr presque ouverte ment lorsque Flamininus refusa aux Étoliens (qui avaient cru jusque-là que leur participation à la dernière guerre rendait toute sa vigueur à l’ancien traité d’alliance de 211), en leur rappelant la paix de l’année 205 conclue séparément, contrairement au traité, le droit de reprendre ces ville ; thessaliennes que Philippe leur avait enlevées pendant les dernières guerres[147]. Dès lors les Etoliens poursuivirent de leu méfiance passionnée et de leurs sarcasmes les plus amers tous les actes de Flamininus en Grèce ; ils savaient ce qu’ils avaient à attendre de Rome, et bientôt ils ne songèrent plus qu’à si venger des Romains, eux qui leur avaient ouvert le chemin de la Grèce.

Les Béotiens firent faire des expériences non moins désagréables à Flamininus qui reprit alors à Élatée ses quartier d’hiver. A peine eut-il, lui qui s’efforçait constamment de gagner la sympathie des Grecs, facilité aux guerriers béotien qui, jusqu’à la fin, avaient combattu sous les drapeaux de Philippe, le retour dans leur patrie, que les Béotiens nommèrent béotarque pour l’année suivante Brachyllas, le chef du part macédonien qui s’était battu jusqu’au bout au service, de Phi lippe. En face de cette raideur du parti macédonien, les partisans de Rome en Béotie furent remplis d’appréhension ; et, dans leur crainte de voir leur vie en danger après le retour de l’armée romaine en Italie, ils se hâtèrent, avec l’assentiment au moins tacite de Flamininus, de se débarrasser de Brachyllas, avec l’aide de sicaires italiques et étoliens[148]. Les Béotiens en furent tellement exaspérés qu’ils assassinèrent les soldats romains partout où ils les rencontraient isolément ; ce fut notamment dans les contrées voisines du lac Copaïs, et en particulier à Acræphia et à Coronée que ces crimes furent commis en grand nombre. Enfin — déjà 500 Romains avaient été tués — Flamininus intervint avec vigueur. Comme les gouvernements béotiens ne voulaient ni livrer les assassins, ni payer l’amende demandée de cinq cents talents, il envahit le pays en pillant et bloqua les villes d’Acræphia et de Coronée. Ce ne fut que grâce à l’intervention des Athéniens et des Achéens que Flamininus se contenta enfin de l’extradition des assassins et d’une amende de trente talents[149] ; mais les Béotiens persévérèrent dans leur attitude menaçante[150].

Enfin (au printemps de l’an 196), le moment qui devait décider du sort futur de la Grèce n’était pas loin. En effet, selon la coutume romaine, dix députés du Sénat se présentèrent devant Flamininus pour lui faire part de ce que le gouvernement romain avait décidé à l’égard de Philippe et pour donner une nouvelle direction aux affaires de la Grèce. A Rome, on était alors encore bien éloigné de l’idée dangereuse de vouloir acquérir des possessions étendues et immédiates à l’est de la mer Ionienne et des frontières illyriennes ; mais on profita de l’occasion d’asseoir sur de solides fondations la suprématie de Rome dans la péninsule gréco-macédonienne. C’est pour cela qu’on commença par humilier Philippe un peu plus encore que Flamininus lui-même ne l’eût voulu. Non seulement la Macédoine fut ramenée à ses anciennes frontières, mais le roi dut livrer entre autres, choses tous ses gros vaisseaux de guerre ou vaisseaux pontés, sauf six qu’on voulut bien lui laisser. Quant au droit de faire la guerre, Philippe et ses sujets ne devaient en aucune façon soutenir les ennemis de Rome et de s alliés, et réciproquement ; Philippe ne devait pas faire la guerre aux alliés de Rome ; si ceux-ci l’attaquaient les premiers, pouvait se défendre ; en outre, il ne devait pas conclure de Irai d’alliance avec des alliés des Romains ; enfin un tribunal arbitral devait juger les différends éventuels entre Philippe et les alliés des Romains[151].

L’altitude qu’on prit vis-à-vis des Hellènes fut naturellement toute différente. La guerre, dès le début, avait été qualifiée de libératrice ; ou voulait que les États grecs soustraits l’influence macédonienne fussent réellement libres ; seulement les détenteurs de pouvoir à Rome n’étaient nullement d’accord sur la nature de cette liberté. La liberté des Grecs d’Asie devait être sans doute illimitée ; mais en Europe les envoyés du Sénat voulaient que les forteresses de Corinthe, de Chalcis et de Démétrias, fussent en attendant occupées par des troupes romaines. On ne voulait pas, disait-on, tout simplement livrer au Séleucide, dont on attendait sous peu l’attaque, ces port maritimes de la péninsule grecque[152] ; il nous est permis de supposer en outre qu’un grand nombre des hommes d’État romains jugèrent très à propos de donner au nouveau protectorat romain sur les Grecs délivrés un solide point d’appui par l’occupation de ces importantes forteresses. Tel n’était pas l’avis de Flamininus ; les sarcasmes dont les Étoliens poursuivaient la liberté nouvelle le remplissaient de dépit ; déclaraient sans façon[153] que Philippe avait légué aux Romains les chaînes de la Grèce. Le vaillant philhellène, qui ne cessait de briguer la sympathie des Grecs, voulait que Rome évitât même la plus légère apparence d’une politique d’annexion ; sans renoncer aux combinaisons délicates d’une politique toute pratique (voyez ci-après), il pensait que le meilleur moyen de s’attacher fortement les Hellènes, c’était de les obliger, comme il l’espérait, à une reconnaissance éternelle envers leurs généreux libérateurs[154].

D’abord cependant l’avis des légats prévalut. Chalcis et Démétrias, comme la citadelle de Corinthe, devaient rester en attendant entre les mains des Romains ; mais la ville de Corinthe devait être remise aux Achéens. Par contre, Flamininus proclama aux Jeux isthmiques de l’année 196 av. J.-C., devant les Grecs réunis en masse, la décision du Sénat qui déclarait complètement libres et indépendantes toutes les tribus grecques qui jusque-là s’étaient trouvées sous la dépendance immédiate de la Macédoine, les Corinthiens, les Phocidiens, les Locriens, les Eubéens, les Thessaliens, les Magnètes, les Phthiotes (Dolopes) et les Perrhèbes. Cette proclamation provoqua chez les Grecs réunis, qui n’avaient plus guère espéré que les choses prendraient cette tournure, une explosion indescriptible d’enthousiasme pour Rome et Flamininus[155] ; une fois encore les mots de liberté et d’indépendance, si chers à tous les Hellènes, opérèrent comme par enchantement sur les âmes si impressionnables de ces épigones d’une grande nation ; ni les Romains ni les Grecs ne pressentaient, en cet instant de félicité, à cette première heure de nouvelle liberté sous l’égide de Rome, que quelques dizaines d’années à peine les séparaient du jour terrible où les flammes de l’incendie allumé par des Romains et dévorant Corinthe devaient jeter leur lueur sinistre sur la Grèce asservie.

Lorsque la première ivresse se fut dissipée, Flamininus commença avec les dix légats à régler définitivement les affaires des divers Etats grecs[156], sous la réserve de quelques modifications que le Sénat jugea opportun de faire plus tard. Les peuplades thessaliennes, qui, pour la première fois depuis l’époque du grand Philippe, se trouvaient complètement indépendantes, furent divisées en quatre républiques autonomes (Magnésie, Perrhébie, Dolopie et Thessalie proprement dite réunie à la plus grande partie de la Phthiotide) ; les Athamanes furent autorisés à garder la plupart des places fortes qu’ils avaient conquises sur la frontière occidentale de la Thessalie[157]. Par contre, la décision finale mécontenta fortement les Étoliens, qui aspiraient à reprendre la totalité des villes et des contrées qui avaient été naguère plus ou moins longtemps entre leurs mains. On leur permit, il est vrai, de réunir à leur ligue les pays locriens et phocidiens comme avant l’époque du dernier Antigone ; on leur rendit aussi les villes d’Ambracie[158] et d’Œniadæ[159], qu’ils avaient perdues pendant les guerres antérieures. Mais ni Flamininus ni le Sénat ne souffrirent que ce peuple arrogant s’étendit de nouveau en Thessalie au delà de la ligne de l’Othrys et de Lamia ; on songeait tout aussi peu à satisfaire leurs prétentions sur l’Acarnanie ou du moins sur une partie notable de cette contrée[160]. Aussi Flamininus et les Étoliens en arrivèrent presque à une rupture ouverte ; les Étoliens n’attendaient que le départ des Romains et l’évacuation de la Grèce pour manifester clairement leur mécontentement (voyez ci-après). Ce qui les irritait surtout, c’est que les Achéens, leurs adversaires depuis tant d’années, qui n’avaient que bien tard pris les armes contre Philippe, furent comparativement bien plus favorisés par les Romains, auxquels la modération et l’esprit d’ordre de leur gouvernement et récemment aussi l’excellence de leur système militaire devaient plaire bien plus et inspirer bien plus de confiance pour l’avenir que les allures hautaines et prétentieuses, l’amour-propre et la violence des Étoliens. Car la ligue péloponnésienne put s’approprier maintenant, outre Corinthe, toutes les villes de la péninsule qui jusque-là avaient été au pouvoir immédiat du roi ; on alla même jusqu’à passer sur d’anciens droits des Étoliens et des Éléens et à ne pas rendre aux Messéniens Pylos et Asine, situés dans leur pays[161].

Mais ce fut le tyran Nabis de Sparte qui fut le plus sévèrement puni de sa conduite dans cette guerre. Flamininus, auquel les autres Grecs avaient fait connaître ce potentat, avait évidemment honte de l’alliance de cet homme immoral, dont les crimes commis à Argos semblaient en effet mériter les plus sévères châtiments et dont l’amitié jetait un jour équivoque sur l’homme d’État très fier de son rôle de libérateur de la Grèce[162]. Flamininus vit donc avec plaisir que, d’un côté, un différend qui s’était levé entre le tyran et les alliés au sujet de la prise de possession d’Argos, au moment où Nabis renonçait à l’alliance momentanée avec Philippe, n’était toujours pas vidé, et que, d’un autre côté, la guerre entre Sparte et les Achéens se prolongeait toujours. Nous ne savons pas si et jusqu’à quel point il y eut entre Nabis et les Romains des pourparlers irritants depuis la grande scène de la proclamation de la liberté sur l’isthme de Corinthe[163] ; toujours est-il que ces derniers semblaient craindre depuis peu que Nabis ne fût tout prêt, dans le cas d’une guerre entre les Romains et la grande puissance asiatique, à tendre la main à Antiochus ou du moins à inonder le Péloponnèse de ses bandes de brigands disciplinés[164]. Ces considérations et les instances des Achéens déterminèrent enfin le Sénat romain, au printemps de l’an 195 av. J.-C., à faire la guerre à Nabis[165], auquel on reprochait aussi maintenant sou attaque antérieure contre Messène, et sa piraterie au détriment de la flotte romaine. Flamininus invita sans tarder ses alliés à se réunir à Corinthe poulies engager — sous prétexte de délivrer Argos — à entreprendre contre Nabis une guerre qui devait porter un caractère éminemment panhellénique. Ces négociations ne furent troublées que par l’impétueuse colère des Étoliens, qui ne cessaient de s’élever avec violence contre la longue occupation de Corinthe, de Chalcis et de Démétrias par les Romains et le séjour indéfini des légions romaines en Grèce, en se faisant forts d’arracher avec leurs seuls moyens Argos au tyran. Elles eurent en effet le résultat désiré par Flamininus : la grande guerre contre Nabis fut résolue par les Hellènes. Le général romain, se mettant en marche de Cléonæ à Argos, commenta les opérations en attaquant cette dernière ville avec ses troupes qu’il avait fait venir de la Phocide, et avec 10.000 hommes et 1.000 cavaliers achéens sous Aristænos. Mais comme la ville, que Pythagoras, beau-frère et gendre de Nabis, défendait énergiquement avec des forces considérables en contenant les habitants par les supplices, ne pouvait être rapidement enlevée, Flamininus, auquel il importait bien plus de frapper directement Nabis, se tourna vers la Laconie. A Caryæ, sur la frontière du territoire de Tégée et de la Laconie, les autres auxiliaires (à l’exception des Étoliens, qui boudaient en persévérant dans leur neutralité) se réunirent aux Romains ; parmi eux se trouvaient aussi des guerriers macédoniens, que Philippe[166] qui, après la conclusion de la paix, avait jugé prudent de dissiper la méfiance durable des Romains en se faisant leur allié, envoyait sans doute avec un plaisir tout particulier pour satisfaire son désir de se venger du traître Nabis. El tandis que du côté de la merles escadres des Romains, des Rhodiens et des Pergaméniens (cette dernière envoyée par le roi Kumène II, fils et successeur d’Attale, mort en 197) se mettaient en mouvement contre le nouveau Polycrate, Flamininus, accompagné parle prince Agésipolis, banni depuis de longues années, et par les Spartiates chassés de chez eux par Nabis, lit descendre sa nombreuse armée dans la vallée de l’Eurotas. C’était la plus formidable masse d’hommes armés qui, depuis le temps d’Épaminondas, eût inondé la Laconie. Mais Nabis ne voulait pas encore céder ; il avait élevé jusqu’à 15.000 hommes ses forces mobiles et rendu Sparte plus forte encore ; il étouffa dans l’âme des plus sensés des citoyens toute pensée de révolte contre le tyran en exerçant un terrorisme impitoyable ; et enfin, pour se mettre en sûreté autant que possible en même temps contre ses adversaires dans la ville et contre les Romains, il attendit derrière les retranchements de Sparte l’attaque des alliés. Il s’y défendit, en effet, assez longtemps avec une grande ténacité, tandis que les troupes de la flotte confédérée, qui s’étaient emparées d’abord des autres villes de la côte, forçaient, sous la conduite du frère de Flamininus et après un sanglant combat, Gytheion, la grande place maritime et l’arsenal principal du pays, à se rendre. La dévastation de la contrée et la prise de Gytheion décidèrent enfin le tyran à entamer des négociations avec les Romains. Mais, comme on n’arrivait pas à s’entendre : comme les prétentions, en somme, modérées des Romains trouvèrent une résistance opiniâtre auprès de l’assemblée du peuple spartiate, c’est-à-dire, auprès des mercenaires et des esclaves et hilotes devenus citoyens ; comme enfin Nabis lui-même, qui s’appuyait sur ces masses fanatisées par tous les moyens et à qui Pythagoras avait récemment amené d’Argos 3.000 hommes de renfort, avait le premier recommencé la lutte, Flamininus, qui, après un combat heureux, s’était adjoint les équipages de la flotte, risqua un assaut général contre Sparte avec toutes ses forces, qui s’élevaient maintenant à 50.000 combattants. A la suite d’une lutte acharnée, les Romains pénétrèrent en effet dans la ville : la fermeté de Pythagoras, qui, au moment du plus grand danger, fit incendier les rues les plus voisines, put seule déterminer l’heureux vainqueur à suspendre momentanément le combat. Cependant Nabis avait perdu courage ; il demanda humblement la paix. On la lui accorda à des conditions très dures, mais plus modérées que celles auxquelles il devait s’attendre après ce qui s’était passé. Outre Argos, qui, peu de jours auparavant, s’était délivrée elle-même, le tyran dut céder toutes ses possessions dans l’île de Crète et tout le littoral de la Laconie, réduire sa flotte à deux barques ouvertes, rendre leurs biens, leurs femmes et leurs enfants aux Spartiates qu’il avait expulsés, et entre autres choses renoncer au droit de faire la guerre et de conclure des alliances de sou propre chef[167].

Nabis était donc réduit à la ville de Sparte et à ses environs immédiats, l’intérieur de la Laconie ; et cependant on était très peu satisfait en Grèce de ce résultat. Sans parler des Étoliens, qui, naturellement, blâmaient dans les termes les plus acerbes les égards qu’on avait eus pour le tyran[168], on comprendra sans peine que le prince Agésipolis, qui voyait toutes ses espérances déçues, et les émigrés doriens avides de vengeance et qui probablement durent se contenter d’être dédommagés par une partie du littoral cédé par le tyran[169], aient été les plus mécontents. Mais les Achéens aussi, bien qu’on leur eût rendu Argos et placé sous leur protection[170] ces communes de périèques lacédémoniens, arrachées à Nabis et d’antique origine achéenne (on les nomma depuis Éleuthérolaconiennes), étaient peu satisfaits de voir qu’on ne s’était pas complètement débarrassé de l’odieux Nabis et que Sparte ne se trouvait pas incorporée à leur confédération[171]. Ce mécontentement donna lieu tôt ou tard aux remarques les plus malicieuses sur les motifs qui avaient guidé Flamininus : en réalité, les raisons les plus diverses avaient probablement décidé le général romain à agir comme il avait fait. Il se peut bien qu’il se soit efforcé de terminer si rapidement la guerre sur les bords de l’Eurotas pour ne pas abandonner à un successeur l’honneur de mettre fin aux luttes entreprises pour l’indépendance de la Grèce ; et, il faut bien le dire, il n’était pas précisément dans l’intérêt de la politique romaine d’arrondir complètement et sans nécessité vers le sud-est la position militaire des Achéens, en écartant complètement un souverain qui, dans tous les cas, n’avait pas encore assez provoqué la vengeance des Romains pour mériter d’être anéanti. D’autre part, Flamininus n’avait pas tout à fait tort[172] de penser que la ruine complète de Nabis ne pouvait être achetée qu’au prix de la destruction de la ville de Sparte et de sa population, alors très nombreuse et en grande partie fidèlement attachée au tyran ; et ce n’était certainement pas l’affaire de Flamininus d’ouvrir toutes les portes aux passions surexcitées des Achéens et aux ardents désirs de vengeance des émigrés doriens[173].

Mais il se peut bien que le mécontentement des Hellènes ait été pour Flamininus un motif de plus pour appuyer auprès du Sénat l’évacuation définitive par les Romains des forteresses de Corinthe, de Chalcis et de Démétrias. Ses instances ne restèrent pas sans effet. Flamininus avait encore passé l’hiver en Phocide et s’était efforcé, pendant ce temps, d’effacer les restes de l’influence macédonienne en Grèce et de reconstituer les affaires des villes et des contrées détachées de la Macédoine, surtout celles de la Thessalie qui avait cruellement souffert ; il s’appliquait en outre à faire triompher partout le parti romain[174]. De plus, il n’avait pas cessé, depuis la défaite de Philippe, de diriger les négociations avec le roi de Syrie Antiochus. L’occupation par les troupes de Séleucus d’un grand nombre des villes grecques de l’Asie-Mineure (dont les unes étaient indépendantes et dont les autres avaient été récemment placées sous l’autorité de l’Egypte, puis sous celle de Philippe) sur lesquelles Antiochus avait d’anciens droits avait, dès 196, donné lieu à un échange de notes assez vives entre Flamininus, qui demandait la liberté de toutes les villes grecques, et le roi Antiochus ; mais aucun des deux partis ne songeait encore sérieusement à faire la guerre. Les choses prirent une tournure plus menaçante depuis l’année 195, lorsque, d’un côté, Hannibal, que l’influence romaine avait expulsé de sa patrie, parut à Éphèse dans l’hiver de 195 et fut brillamment reçu par Antiochus ; et que, de l’autre, ce dernier étendit ses conquêtes en Thrace, après avoir occupé l’année précédente la Chersonèse de Thrace[175]. En tout cas le Séleucide faible et indécis avait maintenant auprès de lui pour l’exciter sans cesse à la guerre, l’homme le plus formidable de ce temps-là, l’ennemi irréconciliable des Romains[176]. Dans ces circonstances, Flamininus donna une preuve de soi audace en se décidant à donner un brillant relief aux exigences de Rome vis-à-vis d’Antiochus par l’évacuation complète de la Grèce, et à ne laisser à la nouvelle position de : Romains en Grèce, malgré l’hostilité des Étoliens, aucun autre appui que les conquêtes morales qu’il avait faites dans le cœur de la plupart des Hellènes. Il arracha en effet au Sénat l’autorisation d’évacuer entièrement la Grèce[177], et, au commencement du printemps de l’année 194 avant J.-C, il pu annoncer aux Grecs réunis en assemblée générale à Corinthe l’évacuation très prochaine de l’Acrocorinthe, de Chalcis et de Démétrias ; puis il célébra en paroles éloquentes la générosité et la loyauté des Romains et exhorta ses chers Hellène à rester noblement unis et à se servir avec dignité et modération de leur nouvelle liberté[178]. Les Grecs enthousiastes lu accordèrent volontiers sa dernière prière : le rachat, aux frai des divers Étals grecs, des nombreux soldats romains vendu comme esclaves en Grèce pendant la seconde guerre punique. Flamininus ne resta que le temps nécessaire pour régler définitivement les affaires de l’Ile d’Eubée et celles des États de la Thessalie ; puis, vers le commencement de l’été de l’an 194, il reconduisit sa flotte et son armée d’Oricos (sur la frontière septentrionale de l’Épire) à Brundisium en Italie[179].

 

 

 



[1] Cf. DROYSEN, Histoire de l’Hellénisme, III, p. 588 sqq., trad. Bouché-Leclercq.

[2] Cf. POLYBE (édit. Didot), II, 54, 4. IV, 67, 8. PLUTARQUE (éd, Sintenis), Aratus, c. 45.

[3] Cf. POLYBE, IX, 35.

[4] Cf. DROYSEN, Histoire de l’Hellénisme, III, 584, 628 sqq., 640 (trad. Bouché-Leclercq).

[5] PLUTARQUE, Aratus, c. 45.

[6] PLUTARQUE, loc. cit. POLYBE, II, 57-62. PAUSAN. (éd. Siebelis), VIII, 8, 6. Ce ne fut que l’empereur Adrien qui rétablit officiellement le nom de Mantinée.

[7] POLYBE, IV, 5, 3. 24, 1. EUSÈB., Chron. arm., p. 334. SYNCELL., p. 508.

[8] PLUTARQUE, Aratus, c. 46 ; cf. c. 47. s. fin.

[9] POLYBE, IV, 5, 8.

[10] Cf. POLYBE IV, 25, 6 sqq.

[11] Cette guerre avait eu pour cause première le frivole mépris du droit que montrait le commandant étolien Dorimachos de Trichonion, lequel, investi immédiatement après la mort d’Antigone du commandement de Phigalia, avait permis, à condition de prendre part au butin, à une troupe de corsaires de piller les Messéniens, jusqu’alors amis des Etoliens. Lorsque ensuite, lors d’une visite qu’il fit à Messène pour arranger la chose, les autorités messéniennes, irritées par de nouveaux brigandages, l’eurent retenu prisonnier et forcé de payer une indemnité, il jura de se venger. De retour en Étolie, il fit avec quelques chefs de ses amis les préparatifs d’une guerre privée contre la Messénie, débarqua au printemps de l’année 220 av. J.-C. dans le Péloponnèse, traversa le territoire des Achéens et pénétra en Messénie. Les Messéniens ayant alors demandé du secours aux Achéens, Aratos, redevenu chef de la ligue, fit faire des préparatifs et ordonna à Dorimachos de quitter sans tarder le Péloponnèse. On en vint aux mains ; mais Aratos fut complètement battu près de Caphyæ en Arcadie et les Klephtes étoliens purent, sans être inquiétés, se retirer par l’isthme de Corinthe. Lorsque peu après les chefs étoliens Dorimachos et Scopas, avec le secours de l’illyrien Scerdilaïdas, eurent entrepris une nouvelle et terrible expédition contre la ville de Cnyætha déchirée pur les partis et située dans les montagnes du nord de l’Arcadie, le roi Philippe et ses alliés, c’est-à-dire les Achéens, les Béotiens, les Phocidiens, les Acarnaniens et les Épirotes résolurent, à Corinthe, de prendre des mesures énergiques contre les brigands étoliens : en cas de guerre, on se proposait de leur enlever toutes les villes qu’ils avaient prises depuis la mort de Démétrios II ; en outre. Delphes devait être soustraite à leur influence et replacée sous la protection des Amphictyons.

Cependant la Diète étolienne, réunie dans l’automne de l’an 220, était si bien décidée à suivre ses chefs pillards qu’elle confia la stratégie au féroce Scopas. La guerre prit en 219 des proportions considérables. Pendant que les Messéniens, sans énergie, se tenaient à l’écart, les Spartiates, au printemps de l’année 219, se mirent du côté des Étoliens, auxquels se joignirent aussi les Éléens. De l’Élide et de la Laconie, les Achéens furent dès lors inquiétés d’une façon intolérable. Au sud, ce fut notamment l’Arcadie et, du côté nord-ouest, les territoires de Dyme, de Pharæ et de Tritæa, qui eurent beaucoup à souffrir. Dans le nord de la Grèce, le roi Philippe avait gagné l’Illyrien Scerdilaïdas : il devait inquiéter les Étoliens du côté de la mer. Le jeune roi étant entré en Épire au commencement de l’année 219 avec 15.000 fantassins et 800 cavaliers, les Achéens réussirent à repousser une attaque de Dorimachos sur leur ville d’Ægire. Par contre, l’Étolien Scopas pénétra jusqu’à Dion, au sud-ouest de la Macédoine (en Piérie), et s’y rendit coupable des plus terribles dévastations. Philippe, de son côté, n’avait réussi qu’après quarante jours de siège à s’emparer de la forteresse d’Ambracos, près d’Ambracie : il enleva ensuite aux Etoliens, avec le secours des Acarnaniens, l’importante place d’Œniadæ dans le bas pays des Étoliens. Les Dardaniens, depuis longtemps ses ennemis, avant attaqué la frontière septentrionale de la Macédoine, il fut contraint de s’eu retourner chez lui, et c’est ainsi que Dorimachos put mettre à l’eu et à sang l’Épire, et notamment la ville de Dodone.

Dans les derniers jours de l’année 219, le roi Philippe parut de nouveau à Corinthe avec 6.000 hommes, battit au commencement de l’année 218 un corps étolien sous Euripide, près de Stymphale, et attaqua avec un brillant succès, conjointement avec des troupes achéennes (il disposait de 10.000 hommes) la forteresse de Psophis, située sur la frontière de l’Élide de l’Arcadie. Après s’être emparé de cette place, qu’il abandonna aux Achéens, le roi entreprit une expédition contre la riche Élide, y fit beaucoup de butin, et conquit alors pour lui Aliphéra et les villes de la Triphylie, notamment Lepréon. La cession de Phigalia aux Messéniens décida enfin ceux-ci à prendre part à la guerre ; mais la tentative de soustraire également l’île de Céphallénie à l’influence des Étoliens n’eut point de succès. Cependant Philippe trouva l’occasion, non seulement de réparer cet échec, mais aussi de venger une nouvelle invasion des Spartiates en Messénie et des bandes étoliennes sous Dorimachos en Thessalie en conduisant, sur l’avis des Acarnaniens et d’Aratos, son armée à Limnæ en Acarnanie. Là, il rassembla autour de lui les troupes levées par les Acarnaniens et, après avoir franchi l’Achéloos près de Stratos, pénétra ensuite avec autant d’audace que de rapidité dans les vallées intérieures de l’Étolie, où il alla piller à fond et détruire la capitale, Thermon, remplie des dépouilles île la Grèce. Immédiatement après, il revint à Corinthe, se joignit aux Achéens, envahit la Laconie, dévasta tout le pays jusqu’au Ténare et, par un combat heureux qu’il livra à Lycurgue qui voulait lui barrer le passage près de Sparte et du Ménélæon, il se fraya une route pour revenir en Arcadie. La tentative des Rhodiens de rétablir la paix (au commencement de l’année 217) entre les puissances belligérantes resta sans effet. De l’Elide, les Étoliens purent même toujours encore faire beaucoup de mal aux Achéens avec 3.000 hommes commandés par Pyrrhias. Ce ne fut que lorsque Euripide fut replacé à la tête des Étoliens, que l’hypostratège achéen Lycos réussit à les battre complètement. Pendant ce temps, le roi Philippe s’était battu avec succès contre les Dardaniens, avait enlevé Bylazora en Péonie et avait enfin pris en Thessalie Thèbes de Phthiotide, lorsque (après une démonstration contre l’illyrien Scerdilaïdas, devenu son ennemi), pendant qu’il assistait aux jeux Néméens à Argos, il reçut sur les événements de la guerre punique des informations qui décidèrent les Grecs à conclure la paix de Naupacte.

[12] Cf. POLYBE, IV, 65.

[13] Cf. POLYBE, IV, 35, 30.

[14] POLYBE, IV, 53 et 55.

[15] MOMMSEN, Röm. Gesch., (4e édit.), t. I, p. 604, dit en note : La date de la bataille, fixée au 23 juin, d’après le calendrier non rectifié, doit, d’après le nouveau, tomber en avril, etc.

[16] Il est étrange que JUSTIN (XXIX, 2, 3), avec sa négligence habituelle, attribue au roi Philippe cette intelligence profonde des dangers qui surgissaient en Occident et même, a peu de chose près, les paroles et les pensées qui, chez Polybe, le principal témoin de cette époque, sont celles de l’Étolien Agélaos.

[17] POLYBE, V, 104.

[18] Vers cette époque Philippe eut un grand succès sur un autre point encore. A l’époque de la guerre Sociale, l’île de Crète était ravagée par une de ces guerres civiles qui y étaient endémiques. Cette fois, c’étaient les grandes villes de Cnossos et de Gortyne (dans cette dernière dominait alors un parti ami des Cnossiens) qui s’étaient alliées. Par ce moyen, ils avaient réussi à réduire sous leur domination la plus grande partie de l’île ; seule, la vieille ville dorienne de Lyttos, à laquelle se joignirent bientôt un certain nombre de villes moins importantes, était en lutte avec eux. (V. aussi VORETZSCH, de inscr. Cret. qua continetur Lyttior. et Boloênt. fœdus, p. 32.) Les Cnossiens étaient les alliés des Étoliens et ils réussirent (probablement vers 219 av. J.-C.) à détruire Lyttos ; le parti opposé (y compris les bannis de Gortyne) se joignit de son enté à la ligue gréco-macédonienne. Lorsque ensuite les Étoliens consentirent à faire la paix en Grèce, les Crétois jouirent enfin, eux aussi, de quelque repos et concédèrent, vers 216 av. J.-C, au roi Philippe l’hégémonie sur l’île entière. Cf. POLYBE IV, 53-55. VII, 12, 9. PLUTARQUE, Arat., 48.

[19] POLYBE, II. 11. 12. Cf. APPIEN, Illyr., 7. ZONARAS, 19. EUTROPE, III, 4.

[20] Cf. DROYSEN, Histoire de l’Hellénisme, III, p. 458, trad. Bouché-Leclercq.

[21] Cf. DROYSEN, op. cit., p. 476 sqq.

[22] POLYBE, III, 12, 8. ZONARAS, Ann., VIII, 19 (éd. Pinder). WALTER, Gresch. d. rôm. Rechts, I, p. 121 (3e édit.).

[23] MOMMSEN, Röm. Gesch., 4e édit., I, p. 557.

[24] MOMMSEN, Röm. Gesch., 4e édit., I, p. 555.

[25] TITE-LIVE, XXII, 33 (éd. Weissenborn). ZONARAS, Annal., VIII, 20, s. fin.

[26] D’après JUSTIN, XXIX, 2, Démétrios, pour décider le roi à faire la guerre en Illyrie et en Italie (le pirate espérait ainsi rentrer en possession de ce qu’il avait perdu, POL. V, 108, 6 sqq.), serait allé jusqu’à céder préalablement à Philippe ses droits sur les contrées qu’on lui avait enlevées en Illyrie.

[27] Le 2 août (de l’an 216), d’après l’ancien calendrier, à peu près au mois de juin d’après le calendrier rectifié. (MOMMSEN, op. cit., I, p. 611).

[28] Cf. POLYBE, VII 9. APPIEN, Maced., 1 (éd. Schweighaeuser). TITE-LIVE, XXIII, 33. EUTROPE, III, 12. ZONARAS, IX, 4. — Comparez aussi les opinions diverses de plusieurs modernes, notamment de FLATHE, Gesch. Macedoniens, vol. II, p. 277 et suiv., et l’article Philippe III dans l’Encyclopédie d’ERSCH-GRUBER, 3e sect., tom. XXIII, p. 279. FREEMAN, History of federal government, Vol. I, p. 566 et suiv. C. FUCHS, art. Philippe III, dans la Realencyalop. d. klass. Alterth. de PAULY, V, p. 14S3 ; v. aussi PETER, Gesch. Roms (2e édit.), I, p. 374, et MOMMSEN. op. cit., I, 614.

[29] APPIEN, Maced., 1 ; cf. ZONARAS, IX, 4.

[30] Cf. POLYBE, V, 105, 8. TITE-LIVE XXII, 11, init. ; XIII, 24, init.

[31] Cf. POLYBE, X, 26, 1. TITE-LIVE, XXVII, 31.

[32] POLYBE, VII, 13,1. PLUTARQUE, Arat., c. 49.

[33] PLUTARQUE, Aratus, c. 52. POLYBE, VIII, 14, 2 sqq. PAUSAN., II, 9, 4.

[34] Cf. TITE-LIVE, XXV, 23. XXVI, 21.

[35] TITE-LIVE, XXVI, 24. Cf. POLYBE, XI. 6, 5. JUSTIN, XXIX, 4.

[36] POLYBE, IX, 30, 6. TITE-LIVE, XXIX, 12.

[37] DROYSEN, Histoire de l’Hellénisme, III, p. 177, trad. Bouché-Leclercq. MOMMSEN, loc. cit., I, p. 433, 555.

[38] TITE-LIVE, XXVI, 26. POLYBE, IX. 39, 2, sqq. PAUSAN., X, 36. 3.

[39] Cf. TITE-LIVE, XXVII, 31. XXXII, 21. PAUSAN., VII. 17, 3.

[40] POLYBE, XI, 6, 8. XXIII, 8, 9.

[41] TITE-LIVE, XXXIII, 6. POLYBE, XI, 6, 8.

[42] POLYBE, XXIII. 8, 10. Sur l’Attaleion d’Épine (enclos dédié plus tard à Attale Philadelphe de Pergame), cf. BURSIAN, Geogr. Griechenlands, II, p. 82. Sur la domination des Pergaméniens à Egine, voyez BŒCKH, Corp. Inscr. Græc, II, p. 1011 sqq. Addenda, n° 2439 b.

[43] TITE-LIVE, XXVIII, 8.

[44] POLYBE, XI, 4 ; 1. Comparez TITE-LIVE, XXXVI, 31.

[45] Cf. PAULY, Real-Encyclop. des klass. Alterth., vol. V, p. 1526, IV, p. 1712.

[46] Cf. DROYSEN, Hist. de l’Hellén., III, p. 578 sqq. trad. Bouché-Leclercq.

[47] A cette époque, il était d’usage que les Achéens renouvelassent tous les ans leur alliance avec Philippe en prêtant serment ou lui rendant hommage. Cf. TITE-LIVE, XXXII, 5. Cf. aussi le passage de TITE-LIVE, XXXII, 22 : Lege cautum ne quid, quod adversus Philippi societatem esset, aut referre magistratibus, aut decernere concilio jus esset.

[48] Cf. SCHORN, Gesch. Griech., p. 189 et p. 197. FREEMAN, op. cit., p. 589. Il est probable que, comme le dit SCHOHN, op. cit., p. 210-215 (la plupart des modernes sont de son avis, et en dernier lieu encore FREEMAN, ibid., et H. NISSEN, Kritische Untcrsuchunjun über die Quellen der vierten und fünften Decade des Livius, p. 137), les stratèges annuels et autres fonctionnaires achéens n’entraient plus, comme autrefois, en fonctions au mois de mai, mais en automne, depuis la fin de la guerre Sociale, c’est-à-dire depuis 217 av. J.-C.

[49] Cf. SCHORN, p. 193, 212. FREEMAN, p. 593. K. KEIL à l’article Philopœmen dans l’Allgem. Encyklop., sect. III, vol. XXIII, p. 459.

[50] Cf. POLYBE, IV, 60, 2. V., 30, 5.

[51] POLYBE, XXIX, 9, 8. NITZSCH, Polybius, p. 26.

[52] SCHORN, p. 20. KEIL, loc. cit. FREEMAN, p. 597.

[53] Cf. TITE-LIVE, XXIX, 12.

[54] On sait qu’Athènes avait noué, dès 228, d’étroits rapports d’amitié avec Rome ; et c’est peut-être alors déjà, plutôt que dans les guerres macédoniennes depuis 209 ou 201, que fut conclu entre les deux États le fœdus sequum (cf. TACITE, Annal., II, 53. BECKER-MARQUARDT, Röm. Alterth., III, p. 248), qui plus tard assura à Athènes une situation si avantageuse dans l’empire romain, comparée à celle des autres Grecs de « l’Achaïe ». — On ne sait à quel événement se rapporte le passage de Pausanias, I, 29, 13, s. fin ; et le prétendu secours envoyé par Athènes aux Romains dans une des guerres italiques précédentes (PAUSAN., I, 39, 13, init.) a sans doute la même valeur que le fœdus vetustissimum des Lacédémoniens avec Rome, dont se réclamait Nabis (TITE-LIVE. XXXIV, 31).

[55] Cf. POLYBE, XI. 4-7. APPIEN, Maced., 3. TITE-LIVE, XXIX, 13.

[56] TITE-LIVE, XXIX, 4. ZONARAS, IX, 11.

[57] Cf. TITE-LIVE, XXX, 33, 26 et 12. XXXII, 33. POLYBE, XVII, 1, 14.

[58] SCHORN, p. 207. FREEMAN, p. 611. KEIL, p. 460.

[59] PLUTARQUE, Philop., 11. PAUSAN., VIII, 50, 3.

[60] PLUTARQUE, Philop., 12. PAUSAN., VIII, 50, 4. Cf. JUSTIN, XXIX, 4, 8.

[61] Cf. POLYBE, XIII. 6-8. XVI, 13 et DIODORE (éd. C. Müller) fragm. lib. XXVII., c. 1 et 2. (Excerpt. de Virt. et Vit., p. 570) ; ainsi que TITE-LIVE, XXXIV, 31, 32, 35. Les δοΰλοι émancipés chez POLYBE, XVI, 13, les servi chez TITE-LIVE, I, 1, doivent être (Cf. PAUSAN., VIII, 51, 1 et PLUTARQUE, Philop., c. 16) sans doute en grande partie considérés comme des hilotes.

[62] POLYBE, XIII, 8, 2. TITE-LIVE, XXXIV, 32 et 35 sq.

[63] Cf. SCHORN, op. cit., p. 208.

[64] PLUTARQUE, Philop., 12. PAUSAN., IV, 29, 4. XIII, 50, 5 ; cf. POLYBE, XVI, 13, 3.

[65] SCHORN, p. 209. KEIL, p 460. NISSEN, p. 137. 284.

[66] POLYBE, XVI, 36,37. Cf. CURTIUS, Peloponnesos, Vol. II, p. 262.

[67] THEOCRITE, 17, 90. APPIEN, Maced., 3. POLYBE, XVIII, 37, 8. TITE-LIVE, XXXI, 15.

[68] D’après MOMMSEN, Rœm. Gesch., vol. I, p. 704.

[69] POLYBE, XV, 23, 8 sqq., XVII, 3, 11. TITE-LIVE, XXXII, 33 sqq.

[70] POLYBE, XVII, 2, 4. XVIII, 27, 4. TITE-LIVE, XXXII, 33. XXXIII, 30.

[71] POLYBE, XV, 21-33. XVII, 3, 11. TITE-LIVE, XXXII, 33.

[72] POLYBE, XV, 24, 1 sqq. TITE-LIVE, XXXIII, 30.

[73] POLYBE, XIII, 3-5. XV, 22, 5 ; 23, 1 sqq. DIODORE, fr. lib. XXVIII, 1 (Exe. de Virt. et Vit., p. 572). POLYEN, V, 17, 2.

[74] POLYBE, XV, 23, 6. XVI, 1-12. XVII, 2. APPIEN, Maced., 3. DIODORE, fr. lib. XVIII, 5. (Exe. de Virt. et Vit., p. 573). PLUTARQUE, De mul. virt., 3. — La nature fragmentaire des détails qui nous ont été conservés sur ces événements en rend le groupement difficile et a produit des opinions contradictoires chez les modernes. Nous avons suivi surtout SCHORN, op. cit., p. 219 et suiv. ; v. aussi PAULY, Realencyclopædie, vol. V, p. 1484 ; WEISSENBORN, ad TITE-LIVE, XXXI, 14, Vol. VII, p. 26, et notamment MOMMSEN, Rœm Gesch., Vol. I, p. 705 et suiv., qui toutefois place la dévastation du royaume de Pergame avant la bataille navale de Chios. (V. aussi NISSEN, p. 121). Par contre, cf. MEIER, Pergamenisches Reich, dans l’Allgemeine Encyklop. d’ERSCH-GRUBER, IIIe sect., vol. XVI, p. 363,et PETER, Rœm. Gesch., 2e éd. (1865), vol. I, p. 429, qui placent la bataille de Ladé avant les autres événements, notamment avant l’attaque de Pergame et la bataille de Chios.

[75] Cf. JUSTIN, XXX, 2. TITE-LIVE, XXXI, 29. APPIEN, Maced., 3.

[76] Cf. POLYBE, XVI, 24. 3. TITE-LIVE, XXXI, 2. JUSTIN, XXX, 3 : cf. APPIEN, loc. cit.

[77] APPIEN, Maced., 2.

[78] MOMMSEN, op. cit., p. 697.709.

[79] TITE-LIVE, XXX, 42.

[80] TITE-LIVE, XXXI, 14.

[81] TITE-LIVE, XXXI, 14.

[82] PAUSAN., I, 36, 4. TITE-LIVE, XXXI, 1, 9. POLYBE, XVI, 25, 1. APPIEN, 3.

[83] TITE-LIVE, XXXI, 3.

[84] Cf. TITE-LIVE, XXXI, 2, 18. POLYBE, XVI, 25. 27. 34. JUSTIN, 30, 3 ; 31, 1. 3) Les ambassadeurs romains avaient, il est vrai, persuadé au général macédonien Nicanor, qui se trouvait en Attique, d’opérer sa retraite ; bientôt très cependant, et notamment après la déclaration de guerre des Athéniens Philippe (V. aussi ci-après), les choses reprirent pour Athènes une tournure menaçante.

[85] TITE-LIVE, XXXI, 5. Cf. PAUS., I, 36, 4.

[86] TITE-LIVE, XXXI, 14 sqq. POLYBE, XVI, 25 sqq.

[87] TITE-LIVE, XXXI, 15.

[88] TITE-LIVE, XXXI, 15.

[89] TITE-LIVE, XXXI, 16.

[90] Cf. TITE-LIVE. XXXI, 18. POLYBE, XVI, 27 et 34 ; cf. APPIEN, Maced., 3.

[91] TITE-LIVE, XXXI. 18. POLYBE, XVI. 34.

[92] Cf. TITE-LIVE, XXXI, 8.

[93] TITE-LIVE, XXXI, 18, 22.

[94] Cf. avant tout POLYBE, XVI, 27, et tout le développement ultérieur dans le texte même.

[95] TITE-LIVE, XXXI, 14. 22-25. ZONARAS, IX, 15. DIODORE, fr. lib. XXVIII, 7. (Exe. de Virt., p. 573).

[96] Cf. NITZSCH, Polybius, p. 18.

[97] Comparez DROYSEN, Histoire de l’Hellénisme, III, p. 490 sqq. trad. Bouché-Leclercq ; voyez aussi FREEMAN, op. cit., p. 25i-276. 294.

[98] C’est à peu près tout ce que nous pouvons emprunter au passage de Justin, XXIX, 4, fin. (c. POLYBE, XL, 8, 6), qui d’ailleurs n’est pas exempt d’erreurs. On croira difficilement un auteur comme Justin disant que Philopœmen s’est efforcé de gagner les Achéens à l’alliance romaine. Toute la conduite ultérieure de Philopœmen ne permet pas d’admettre que le vaillant général ait eu l’idée dangereuse d’attirer les Romains en Grèce pour délivrer avec leur secours les Hellènes du joug macédonien.

[99] TITE-LIVE, XXXI, 25. s. fin.

[100] PLUTARQUE, Philop., 3. PAUSAN., VIII, 49, 2.

[101] PAUSAS., VIII, 50, 5. PLUTARQUE, Philop., 13.

[102] TITE-LIVE, XXXI, 25. Cf. PLUTARQUE, ibid.

[103] Cf. POLYBE, XVI, 27, 4.

[104] POLYBE, XVI, 35.

[105] TITE-LIVE, XXXI, 25, 26.

[106] Cf. BURSIAN, Geogr. von Griechenland, I, p. 39 et suiv. DROYSEN, Hist. de l’Hellénisme, III, pp. 98, 460, trad. Bouché-Leclercq.

[107] TITE-LIVE, XXXI, 27 sqq. ZONARAS, IX, 15.

[108] TITE-LIVE, XXXI, 29-32. 40 sqq. 43.

[109] POLYBE, XVIII, 25, 7.

[110] TITE-LIVE, XXXI, 44.

[111] TITE-LIVE, XXXI, 45, 46.

[112] TITE-LIVE, XXXII, 4.

[113] TITE-LIVE, XXXII, 5, 6.

[114] Voyez ci-après.

[115] Cf. TITE-LIVE, XXXII, 8, 27.

[116] TITE-LIVE, XXXII, 10. PLUTARQUE, Flamin., c. 5. DIODORE, XXVIII, 12 (Exc. Vatic., p. 67).

[117] TITE-LIVE, XXXII, 9-15. PLUTARQUE, Flamin., c. 3, 4, 5. POLYBE, XVIII, 6, 4. XXVII, 13, 2. DIODORE, XXX, 5. (Exe. de Virt, p. 578). APPIEN, Maced., 4. ZONARAS, IX, 16.

[118] TITE-LIVE, XXXII, 15, 17, 18.

[119] TITE-LIVE, XXXII, 18. Pour Élatée, cf. PAUSAN., X, 34, 2.

[120] TITE-LIVE, XXXII, 5.

[121] Cf. POLYBE, XVIII, 25, 7. TITE-LIVE, XXXIII, 34. SCHORN, p. 236, note 2, et WEISSENBORN, ap. TITE-LIVE, XXXII, 5. L’opinion contraire est soutenue par NISSEN, p. 133.

[122] Cf. TITE-LIVE, XXXII, 19. POLYBE, XVII, 13.

[123] TITE-LIVE, I, 1 ; cf. POLYBE, XVII, 1, 2.

[124] TITE-LIVE, XXXII, 16, 17.

[125] ZONARAS, IX, 16. PAUSAN., VII, 8, 1. TITE-LIVE, XXXII, 19.

[126] TITE-LIVE, XXXII, 19-23. ZONAB., IX, 16. PLUTARQUE, Flamin., c. 5. APPIEN, Maced., 5. JUSTIN, XXX, 3. PAUS., VII, 8, t. Cf. aussi VISCHER, N. Schweiz. Muséum, 4e année, 4e fasc. (1864), p. 315 sqq.

[127] TITE-LIVE, XXXII, 23-25. Ce fut peut-être alors que la ville d’Antigonia (Mantinée), dépendante d’Argos depuis la guerre de Cléomène, rentra dans la confédération comme membre indépendant. Comparez SCHORN, p. 126.

[128] TITE-LIVE, XXXII. 32-37. POLYBE, XVII, 1-12. PLUTARQUE, Flamin., c. 5, 7. APPIEN, Maced., 6. ZONARAS, IX, 16. JUSTIN., XXX, 3, 4.

[129] TITE-LIVE, XXXII, 38, 40. POLYBE, XVII, 16. ZONARAS, ibid.

[130] TITE-LIVE, XXXII, 39. 40 ; XXXIV, 31.

[131] TITE-LIVE, XXXIV, 32.

[132] TITE-LIVE, XXXIII, 1, 2. PLUTARQUE, Flamin., c. 6. ZONARAS, IX, 16.

[133] POLYBE, XVIII, 26, 1. TITE-LIVE, XXXIII, 14, 27.

[134] TITE-LIVE, XXXIII, 14.

[135] D’après Plutarque (Flamin., 7), les Étoliens n’auraient alors fourni que 6.000 hommes et 400 cavaliers ; WEISSESDORN (vol. VII, p. 177), à propos des assertions de Tite-Live (XXXIII, 3), qui admet un nombre égal de cavaliers étoliens, mais réduit considérablement (à 600 hom.) le nombre de l’infanterie étolienne, croit que les indications de Plutarque sont plus exactes, tandis que NISSEN, p. 140 sqq., soutient l’opinion de Tite-Live.

[136] La défaite de Pyrrhus à Bénévent en 275 av. J.-C. était due, comme on sait, moins à la tactique romaine qu’à une série de malheurs, notamment à l’habileté des Romains, qui avaient réussi à tellement effrayer les éléphants que ceux-ci se jetèrent sur les lignes épirotes.

[137] TITE-LIVE, XXXIII, 3-10. POLYBE, XVIII, 1-10. PLUTARQUE, Flamin., c. 7-8. JUSTIN., XXX, 4. PAUSAN., VII, 8, 4. ZONARAS, IX, 16. OROSE, IV, 20. Sur un prétendu oracle concernant ces luttes et sur le soulèvement volcanique d’une île nouvelle près de Théra, voyez PLUTARQUE, De Pythiæ oraculis, 11.

[138] TITE-LIVE, XXXIII, 16-17. ZONARAS, IX, 16.

[139] TITE-LIVE, XXXIII, 14. 15. ZONARAS, IX, 10.

[140] TITE-LIVE, XXXIII, 18.

[141] Cf. TITE-LIVE, XXXIII, 19-21.

[142] TITE-LIVE, XXXIII, U-13, 24. POLYBE, XVIII, 10-22. PLUTARQUE, Flamin., c. 9. APPIEN, Maced., 7. DION CASS. (M. Dindorf), vol. I, p. 114 sq. fr. 60.

[143] TITE-LIVE, XXXIII, 6. Cf. POLYBE, XVIII, 2, 9-11.

[144] TITE-LIVE, XXXIII, 7. 41. Cf. POLYBE, XVIII, 5, 4 sqq. et DION CASS., ibid.

[145] Cf. PLUTARQUE, Flamin., c. 9 et Comp. Philop. c. Flamin., c. 2. POLYBE, XVIII, 17, 2. TITE-LIVE, XXXV, 48. 49.

[146] TITE-LIVE, XXXIII, 11, 12. POLYBE, XVIII, 17. 19. 20. PLUTARQUE, Flamin., c. 9. APPIEN, Maced., 7.

[147] TITE-LIVE, XXXIII, 13. POLYBE, XVIII, 21, 22.

[148] POLYBE, XVIII, 26, 1-12. TITE-LIVE, XXXIII, 27, 28.

[149] TITE-LIVE, XXXIII, 29.

[150] Cf. POLYBE, XXIII, 2, 4 et suiv. TITE-LIVE, XXXV, 47. XXXVI, 6.

[151] TITE-LIVE, XXXIII, 25, 30. POLYBE, XVIII, 25, 27. PLUTARQUE, Flamin., c. 10, Aratus, c. 54. APPIEN, Maced., 1. ZONARAS, IX, 16. JUSTIN., XXX, 4. EUTHOPE, IV, 2, TH. MOMMSEN, Gesch. des röm. Münzwesens, p. 689, cherche en outre à prouver que Rome enleva alors à la Macédoine comme aux autres États de la péninsule gréco-macédonienne le droit de battre des monnaies d’or pour se l’attribuer à elle, et proclamer ainsi formellement son protectorat sur la Macédoine et la Grèce. — NISSEN a démontré, p. 146 et suiv., que certaines clauses humiliantes de ce traité de paix ne sont qu’une invention ou altération des annalistes romains consultés par Tite-Live.

[152] Cf. TITE-LIVE, XXXIII, 30. 31. POLYBE, XVIII, 27, 3 ; 28, 10-11. PLUTARQUE, Flamin., c. 10.

[153] POLYBE, XVIII, 28, 1-6. Cf. TITE-LIVE, XXXIII, 31. PLUTARQUE, Flam., c. 10, aussi De malign. Herod., c. 1.

[154] TITE-LIVE, XXXIII, 31. POLYBE, XVIII, 28, 7-9.

[155] TITE-LIVE, XXXIII, 31, 32 sq. POLYBE, XVIII, 28, 12 ; 29 et 30, 7. PLUTARQUE, Flamin., c. 10-12. APPIEN, Maced., 7. VALÈRE MAXIME, IV, 8, 5.

[156] Cf. aussi PLUTARQUE, Flamin., c. 12. TITE-LIVE, XXXIII, 35. POLYBE, XVIII, 31.

[157] TITE-LIVE, XXXIII, 34. POLYBE, XVIII, 30, 6 sqq., 13.

[158] Cf. POLYBE, XXII, 9, 2. APPIEN, Maced., 2.

[159] Cf. POLYBE, XXII, 15, 14.

[160] POLYBE, XVIII, 30, 8. 9. TITE-LIVE, XXXIII, 34. 49. Cf. XXXIV, 23. XXXVI, 10. XXXIX, 25.

[161] Cf. TITE-LIVE, XXXIII, 34. POLYBE, XVIII, 25, 7. 30,10. — D’après Valerius Antias (ap. TITE-LIVE, XXXIII, 30, s. fin.), Athènes aurait alors reçu comme présent les îles de Lemnos (ou Paros, cf. WEISSENBORN, loc. cit., vol. VII, p. 235), Imbros, Délos et Scyros. Toutefois, cet auteur est un témoin peu sûr, de sorte que l’on ne saurait affirmer, du moins pas avec certitude, si Athènes a reçu alors déjà les îles nommées plus haut (en ce cas, elle en aurait plus tard perdu quelques-unes d’une façon quelconque), ou si Rome ne les lui donna en bloc qu’après la guerre des Romains contre Persée (v. plus bas), comme on pourrait le croire (cf. NISSEN, p. 146) d’après certains passages de Polybe (XXX, 18. XXXII, 17, 2), où, il est vrai, Délos et Lemnos sont seules mentionnées (cf. aussi, en ce qui concerne Lemnos et Imbros, un texte de Vitruve [VII, 7]). Sur ces questions, voyez SCHOHN, p. 261 et 367 ; et K. FR. HERMANN, Griech. Staalsalterth., § 176, 2, p. 526. MOMMSEN, Röm. Gesch., I, pp. 725 et suiv., et 786 et suiv. (cf. p. 755) fait tomber entre les mains des Athéniens en 196 av. J.-C. Paros, Scyros, Imbros, et, après la défaite de Persée, Délos et Lemnos. Cf. aussi MEIER, Comm. Epigr., I, n° 31, p. 35. KUHN, Die städt. u. bürgerl. Verfass. d. rôm. Reiches, II, p. 42. — Pleuratos, l’allié illyrien des Romains, reçut pour sa part des dépouilles de Philippe des terres en Illyrie, notamment les contrées à l’est de Dyrrhachion (le territoire des Parthiniens et Lychnidos). TITE-LIVE, XXXIII, 34. POLYBE, XVIII, 30, 12.

[162] PLUTARQUE, Flamin., c. 12.

[163] Cf. TITE-LIVE, XXXII, 40.

[164] TITE-LIVE, XXXIII, 43, 44.

[165] TITE-LIVE, XXXIII, 45. XXXIV, 22. Cf. 32. JUSTIN, XXXI, 1.

[166] Cf. TITE-LIVE. XXXIII, 35. POLYBE, XVIII, 31, 3 sqq.

[167] TITE-LIVE, XXXIV, 22-40. XXXV, 12, 13. JUSTIN, XXXI, 1, 3. PLUTARQUE, Flamin., c. 13. ZONARAS, IX, 18. STRABON, VIII, 5, 5, p. 562 (365 sq.) Cf. aussi CURTIUS, Peloponnesos, vol. II, p. 243 sqq. 317.

[168] TITE-LIVE, XXXIV, 41.

[169] Cf. TITE-LIVE, XXXVIII, 30.

[170] TITE-LIVE, XXXV, 13.

[171] TITE-LIVE, XXXIV, 41. PLUTARQUE, Flamin., c. 13.

[172] Cf. PLUTARQUE, ibid. TITE-LIVE, XXXIV, 48. 49.

[173] MOMMSEN, Römische Geschichte, I, p. 728.

[174] TITE-LIVE, XXXIV, 41, 18, cf. 51. PLUTARQUE, Flamin., c. 12, et ci-après.

[175] La connaissance de ce fait est due aux recherches de NISSEN, op. cit., p. 149-153 sqq. 162 sqq. 327 sqq.

[176] APPIEN, (éd. Bekker) Syr., 1-4. Cf. TITE-LIVE, XXXIII, 20, 34, 35, 38-41, 40 sqq. XXXIV, 25, 33, 43. POLYBE, XVIII, 30, 1 sqq. ; 31, 3 ; 32-35. ZONARAS, IX, 18. DIODORE, XXVIII, 12, 14.

[177] Cf. PLUTARQUE, Flamin., c. 10. TITE-LIVE, XXXIV, 49. DIODORE, XXVIII, 12.

[178] Voyez ci-après. Les villes d’Érétrie et d’Oréos, qui d’abord avaient dû échoir au royaume de Pergame, furent plus tard (TITE-LIVE, XXXIII, 34. POLYBE, XVIII, 30, 10 et 11) déclarées libres ; de sorte que, dans ces contrées, Égine seule resta à Pergame.

[179] TITE-LIVE, XXXIV, 48-52. PLUTARQUE, Flamin., c. 12, 13. DIODORE, loc. cit., et ZONARAS, IX, 18.