HISTOIRE D'ANNIBAL

 

LIVRE SIXIÈME. — L'ÉCHIQUIER DU PÔ.

CHAPITRE PREMIER. — TURIN.

 

 

Après avoir dûment fêté l'heureuse arrivée de Bostar, dont il avait si bien préparé la mise en scène, Annibal reprit l'étude, un instant interrompue, des cartes et des mémoires que lui avaient remis ses agents. S'attachant à tirer de ces données descriptives toutes les conséquences militaires pratiques, il esquissa sans retard son plan d'opérations.

Quelles conclusions formula-t-il alors en son esprit ? Quelles furent sur ce canevas les lignes d'axe de ses projets ? C'est ce qu'aucun document ne nous laisse entrevoir ; aussi n'est-il possible d'essayer à cet égard qu'une simple restitution idéale. C'est dans cette voie seulement que nous avons dirigé nos efforts ; étant donnés les faits dont on trouvera ci-après le récit, nous supposons que le jeune général a pu résumer ainsi qu'il suit ses appréciations :

L'échiquier stratégique de la haute Italie a pour limites naturelles la majestueuse ceinture des Alpes, la mer Ligurienne, l'Apennin toscan et l'Adriatique. Au point de vue des opérations carthaginoises, dont la place de Rome est l'objectif suprême, on peut comparer ce théâtre à un immense ouvrage de fortifications, dont les Alpes représenteraient le parapet, et les plaines cisalpines le terre-plein. La gorge correspondrait à la région d'accès de la Péninsule, à la zone qui forme soudure entre celle-ci et le continent, et qui, étranglée entre deux mers, se trouve ainsi, de part et d'autre, solidement appuyée. De cette disposition des lieux il résulte qu'un envahisseur parti, comme Annibal, de la vallée du Rhône et courant sus au cœur de l'Italie, doit se heurter nécessairement et successivement à trois obstacles d'importance majeure : les Alpes, le Pô, l'Apennin. Le parapet des Alpes vient d'être, non sans peine, enlevé ; il reste à franchir un grand fleuve, puis une chaîne de hauteurs, un large fossé d'eau courant au pied d'un autre mur d'escarpe. (Voyez la planche IX.)

Dès qu'on aborde l'étude des propriétés de ce fossé géant, l'œil est frappé d'un accident topographique extrêmement remarquable, dont l'importance appelle et domine l'attention. On observe que le massif de l'Apennin ligure, épanouissant jusqu'aux bords du Pô les ramifications des bases de ses contreforts, engendre, du fait de cette tangence, un défilé fameux, connu des généraux de notre âge sous le nom de Stretta di Stradella. Cet étroit boyau partage le cours du fleuve en deux grandes sections : l'une, dite du Pô supérieur, comprise entre les sources et cette Stradella ; l'autre, du Pô inférieur, entre ladite Stradella et l'embouchure. Si l'on suit, d'autre part, le cours du Tessin et qu'on veuille remarquer que ce grand affluent conflue au Pô à hauteur même de la Stretta, on verra que l'échiquier stratégique de la haute Italie se décompose naturellement en deux échiquiers secondaires d'inégale étendue : l'un, du Pô supérieur, ou échiquier occidental ; l'autre, du Pô inférieur, ou oriental.

Ces circonstances topographiques déterminent implicitement la situation d'une armée d'invasion vis-à-vis des forces de la défense. L'envahisseur qui descend des Alpes se sent fatalement attiré vers le Pô ; c'est ce fleuve, en effet, qui constitue le premier obstacle ; c'est cette ligne qu'il faut couper et couper en un point du segment qui correspond à la région d'accès de la Péninsule.

Or, la section du Pô couvrant la gorge formée par la chaîne Apennine court de Plaisance à Ponte-di-Lagoscuro, dernier point de passage en aval. L'armée qui pénètre en Circumpadane ne peut avoir pour premier objectif que cette portion de fossé, mesurant environ 160 kilomètres de longueur ; qu'elle emporte l'obstacle ainsi délimité et, retrempée dans des eaux vivifiantes, elle est aussitôt assez vigoureuse pour insulter victorieusement[1] le boulevard montagneux qui protège, en dernier ressort, l'entrée de l'Italie péninsulaire.

La ligne du Pô est, en même temps, la grande base d'opérations de la défense. Se maintenir le plus longtemps possible à cheval sur le fossé d'eau vive qui barre tous les chemins d'invasion, conserver son entière liberté d'action sur l'un ou l'autre des deux échiquiers, y prolonger alternativement ou simultanément sa résistance, telle est la préoccupation du défenseur du sol de l'Italie.

Or, pour en arriver à ses fins, ce défenseur dispose, entre la mer Ligurienne et l'Adriatique, d'une position centrale, excellemment propice à toute espèce de manœuvres. Cette position est celle de la Stradella ou, comme l'appellent les Italiens, de Pavie-Stradella-Plaisance ; elle est la base indiquée de toutes les opérations militaires qui peuvent s'exécuter sur l'échiquier de la haute Italie.

D'où vient que le défilé, marié à la rive gauche du Pô depuis la Scrivia jusqu'à la Trebbia, jouit d'une telle propriété ? Située à égale distance de Gênes et du lac Majeur, de l'Adriatique et du mont Viso, la position Pavie-Stradella-Plaisance, qui soude le Pô à l'Apennin, occupe, si l'on peut s'exprimer ainsi, le centre de gravité de l'échiquier. Ainsi dotée du pouvoir d'un libre rayonnement en tous sens, elle est bien à cheval sur le fleuve, puisque les hauteurs dont elle est encaissée, de la Trebbia au Tidone, se conjuguent avec la place de Pavie et la tête de pont de Plaisance, pour assurer la défense des deux rives. Elle correspond enfin à la distance minimum du pied des Alpes à celui des Apennins, à cet étranglement de la grande vallée circumpadane où doivent nécessairement venir se concentrer les forces ennemies qui descendent du mont Genèvre. Géographiquement, on le voit, la position est établie dans les meilleures conditions possibles ; elle est, de plus, à peu près inexpugnable. Adossée, en effet, à la montagne, elle ne peut être tournée ni par la Staffora, ni par la Trebbia. Toute tentative dirigée par le sud dans l'une de ces voies tomberait dans le rayon d'action de Plaisance, qui exerce sur le défilé un commandement stratégique indiscutable. Pour tourner la position par le nord, l'envahisseur doit prendre le parti de manœuvrer en cercle au large, de passer la Sesia ou le Pô, puis le Tessin, pour aller encore passer le Pô en aval de Plaisance. Et, durant cette manœuvre délicate, compromettant singulièrement ses communications, il présente sans cesse le flanc à un adversaire dûment concentré, bien embusqué à la Stradella ; il court les dangers les plus sérieux. Si l'envahisseur se résout à dessiner une attaque de front, s'il tâte l'entrée du défilé par Tortone et Voghera, sa situation n'est pas meilleure, car l'adversaire peut encore le prendre de flanc ou de revers par les vallées de la Scrivia ou de la Staffora, qui, toutes deux, communiquent avec la Trebbia. Enfin, point important à noter, le défenseur ne peut être bloqué dans la position qu'il occupe ; il ne saurait y être réduit à des extrémités fâcheuses, attendu qu'il communique avec Chiavari et la Spezzia par les vallées de la Trebbia et de l'Aveto, et que, par conséquent, ses ressources peuvent être considérées comme étant presque inépuisables.

Pour l'assaillant, il lui est impossible de se soustraire à l'action directe de la Stradella. Sur la rive droite, en effet, c'est un nœud de communications ; c'est une section commune à toutes les routes qui mettent en relations la Ligurie et l'Émilie. Sur la rive gauche, les forces envahissantes peuvent, il est vrai, se tenir à distance, suivre le pied des Alpes, chercher, par delà le Tessin et en aval de Plaisance, un point où il leur soit loisible de passer tranquillement le Pô ; mais, à mesure qu'elles s'enfoncent ainsi dans l'échiquier oriental, elles s'éloignent de l'Emilie, de l'Apennin, de l'Italie péninsulaire, et cet éloignement ne peut être que momentané. Il faut bientôt qu'elles reviennent sur leurs pas et se rapprochent ainsi de Plaisance. Il suit de là que toutes les lignes d'opérations qu'on peut concevoir tracées sur l'échiquier occidental viennent concourir dans l'étroit intervalle Pavie-Stradella ; que la position militaire de Pavie-Stradella-Plaisance doit nécessaire- ment être emportée ou paralysée par tout assaillant sérieux ; que cette position, unique point d'appui de l'échiquier du Pô supérieur, peut, à la rigueur, être considérée comme le seul point stratégique de la haute Italie.

En somme, ce corridor de la Stradella occupe le premier plan d'une scène où se frappent tous les dénouements. Ce couloir étranglé semble remplir l'office d'un long tube d'appel qui aspire l'envahisseur ; au défenseur il offre un abri sûr, et, pour employer une des figures chères à l'antiquité, il représente bien l'antre d'un monstre polycéphale, d'un dragon commis à la garde de l'Italie péninsulaire.

Tel est le fait important que défend de méconnaître l'histoire des luttes qui, de tout temps, se sont engagées sur le terrain des plaines cisalpines. Il serait assurément difficile d'interroger à ce sujet les périodes nébuleuses durant lesquelles les premiers courants ethnographiques cherchaient à se frayer un lit ; mais la physionomie caractéristique des noms de Plaisance, de Pavie et de Casteggio[2] atteste irréfutablement l'antiquité de l'occupation des points vifs de la Stradella. Après les Sikels et les Celtes, les Ligures ont possédé ces positions si favorables de Casteggio[3], de Pavie[4], de Plaisance[5] ; puis vint le tour des Gaulois transalpins ; ce sont les Anamans qui furent les maîtres de Casteggio[6], c'est-à-dire de l'un des débouchés de la Stretta. Ainsi, dès la nuit des âges, le défilé tenait un rôle, et des peuples rivaux s'en disputaient la possession.

Le premier épisode qui appartienne réellement à l'histoire s'accomplit en 222, quatre années seulement avant la deuxième guerre punique. Les Romains, alors en guerre avec les Cisalpins, sont maîtres de la Stradella ; les Insubres, dont ils ont à soutenir le choc, viennent former le siège de Casteggio[7]. C'est sous les murs de cet oppidum que Marcellus remporte sur les bandes gauloises une victoire signalée[8], occit leur chef Viridomare, et fait vœu de bâtir, en mémoire de cette grande journée, un temple dédié au Courage et à l'Honneur[9].

Survient la deuxième guerre punique ; la Stradella va, comme on le verra bientôt, servir de brûlant théâtre à plus d'une opération des belligérants. Et ce n'est pas seulement Annibal qui doit se sentir entraîné vers les obstacles du défilé classique ; ses deux frères en subiront aussi, tour à tour, l'action inéluctable. En 207, Asdrubal, arrêté par Plaisance, en formera vainement le siège ; il croira, dans son impatience, pouvoir se borner à masquer la place et se portera sur Rimini pour forcer rentrée de la Péninsule par le chemin que doit plus tard (1528) suivre Lautrec. Mais on ne peut ainsi négliger le grand point stratégique de l'échiquier du Pô ; le consul Licinus, tombant sur ses derrières, lui fera payer cher sa funeste imprudence[10]. En 203, Magon voudra aussi échapper à la Stradella ; il tentera, en manœuvrant au large, de refuser sa marche de flanc au pouvoir rayonnant de la fameuse position défensive ; mais le préteur Quinctilius, le proconsul M. Cornélius, l'atteindront en Lomelline et lui feront cruellement expier sa faute[11].

Si la Stretta est l'axe de tous les mouvements qui se dessinent en Cisalpine, Plaisance en est assurément le pivot[12]. La guerre d'Annibal, étouffée à Zama, se rallumera un instant sur l'échiquier du Pô ; quelques débris des forces d'Asdrubal et de Magon reprendront consistance sous les ordres d'un certain Amilcar. Ce capitaine, en désespoir de cause, attaquera résolument Plaisance ; il l'enlèvera, mais pour tomber bientôt sous les coups de Furius Purpureo, accouru à marches forcées du camp de Rimini[13]. Plus que jamais, les Romains apprécieront la valeur de Plaisance : c'est là que Q. Opimius se concentrera avant d'attaquer les Ligures[14] ; que, plus tard, au cours des guerres civiles, César placera à demeure un corps d'observation[15]. C'est sous Plaisance que les partisans de Carbon seront arrêtés par Lucullus[16] ; c'est dans Plaisance que Spurinna s'enfermera précipitamment[17] ; c'est Plaisance que Cécina tentera d'emporter[18].

Le calme ne doit pas régner davantage aux abords du débouché occidental de la Stradella ni sur la rive gauche du Pô. Minucius Rufus n'aura raison d'une insurrection des Ligures qu'en livrant Casteggio aux flammes[19] ; Majorien, appelé en Italie par Ricimer, se fera battre à Tortone et tuer à Voghera[20]. Pavie n'aura pas de moins tragiques destinées : elle verra sous ses murs le quartier général de Valens[21] ; et, quand le farouche Attila marchera sur la Péninsule, ses ruines fumantes jalonneront le passage des Huns[22].

Le moyen âge n'est pas moins que l'antiquité fertile en événements propres à mettre en relief l'importance militaire de la Stradella. Il serait, par exemple, facile d'insister sur l'occupation de Tortone par Bélisaire[23], sur les attaques réitérées de Pavie par Pépin et par Charlemagne[24] ; mais nous ne saurions suivre ainsi l'histoire pas à pas, et nous avons hâte d'arriver aux temps modernes, au cours desquels la Stradella n'a rien perdu de sa valeur. Il suffira, pour s'en convaincre, d'embrasser d'un coup d'œil les débuts des campagnes d'Italie de 1796, de 1800 et de 1859. (Voyez la planche IX.)

Lors de l'armistice de Cherasco, il avait été stipulé entre les belligérants que la place de Tortone serait sur-le-champ remise à l'armée française. C'était une belle forteresse, abondamment pourvue d'artillerie et de munitions de guerre de toute espèce. Bonaparte y installa son quartier général dans les premiers jours de mai. Dans quel but prenait-il ainsi position au débouché occidental de la Stradella ? C'est que, réduit à ses seules forces, Beaulieu se proposait de défendre, l'une après l'autre, les lignes du Pô-Sesia et du Tessin, et venait d'occuper, à cet effet, Valleggio, sur la rive gauche de l'Agogna. Que fait le général Bonaparte ?

Il feint de vouloir passer le Pô à Valenza ; mais, pendant cette démonstration, il concentre à Tortone la majeure partie de ses forces ; Augereau se porte en avant, à l'embouchure de la Scrivia, pour couvrir l'opération qui se prépare. Tous les grenadiers de l'armée sont immédiatement rassemblés pour former dix bataillons solides : avec ces troupes d'élite, la cavalerie et vingt-quatre pièces de campagne, Bonaparte se jette dans la Stradella et court à marches forcées sur Plaisance, où il établit son nouveau quartier général. Le passage du défilé étant ainsi ouvert et librement praticable, toutes les divisions françaises s'y précipitent ; abandonnant leurs positions de Valenza et de Tortone, elles se portent en toute hâte sur Plaisance pour y entreprendre incontinent le passage du Pô. Beaulieu, saisi d'épouvante, fait sur-le-champ demi-tour, dans l'espoir d'arriver à temps pour s'opposer à ce passage ; mais il est déjà trop tard. Les Autrichiens, qui n'ont su ni garder ni défendre le passage de la Stradella, sont à la veille de la journée de Lodi.

En 1800, le premier consul, à peine descendu dans les plaines cisalpines, prend résolument pour objectif le camp retranché de Pavie-Stradella-Plaisance ; dès le 31 mai, les Français sont sur le Tessin. Lannes entre le 1er juin dans Pavie, passe le Pô à Belgiojoso et court prendre position devant l'armée ennemie, qui occupe en forces Casteggio (8 juin). Murat s'empare en même temps de Plaisance (6 juin), puis se porte au galop sur la Stradella, où toute l'armée a reçu l'ordre de se réunir. Le premier consul, qui il fait une pointe sur Milan, arrive à Pavie le 9 juin, au moment où Lannes livre aux Autrichiens le brillant combat de Montebello.

Il a peine à contenir sa joie : le précieux camp retranché est tout entier tombé dans ses mains ! Les 10, 11 et 12 juin, il reste immobile dans cette position si heureusement conquise ; il se concentre, assure sa retraite par l'établissement de deux ponts sur le Pô avec tètes de pont, se retranche et se fortifie par tous les moyens en usage à la guerre. Il est bientôt solidement établi et à l'abri de toute insulte ; son service des subsistances est assuré, car on vient de trouver à Plaisance des magasins considérables ; il donne, d'ailleurs, la main à la garnison d'Ivrée et au corps d'observation qu'il a laissé sur la gauche de la Dora Baltea[25]. L'armée française est ainsi parvenue à couper à Mélas la route de Mantoue, à l'obliger à recevoir une bataille, ayant sa ligne de communication coupée... Si l'ennemi, ajoute Napoléon en ses Commentaires[26], voulait rouvrir ses communications... c'était par la Stradella qu'il fallait qu'il passât, et qu'il marchât sur le ventre de l'armée française. Cette position de la Stradella semblait avoir été faite exprès pour l'armée française. A quelques jours de là se frappait le coup de foudre de Marengo.

En 1859, avant l'ouverture des hostilités, Pavie faisait partie intégrante de la Lombardie et se trouvait, en conséquence, aux mains des Autrichiens, qui possédaient ainsi un pont permanent sur le Tessin ; le défilé de la Stradella appartenait tout entier au roi de Sardaigne, dont les États de terre ferme se limitaient, à l'est, à la Bardonnezza ; enfin, Plaisance était, bien entendu, en la possession du grand-duc de Parme et Plaisance. Les trois éléments constitutifs de la précieuse position se trouvaient ainsi désagrégés et politiquement désunis.

Le soir du 26 avril, l'armée autrichienne, violant brusquement la frontière sarde, passe le Tessin à Bereguardo, à Cassolo-Nuovo, à Vigevano, à Pavie, et prend position dans la Lomelline ; mais le fait de la concentration de l'armée française autour d'Alexandrie ne laisse pas de l'inquiéter. Le comte Gyulai, pour assurer son flanc gauche, ordonne l'occupation de la Stradella. Aussitôt une brigade de Benedek pousse sur Voghera et Tortone (5 mai) ; le général Urban s'établit solidement à Broni (12 mai), pendant que le régiment-frontière de Szluin, n° 4, s'avance vers Bobbio. Qu'apprend alors le comte Gyulai ? Que les 1er et 2e corps français (Baraguey-d'Hilliers et Mac-Mahon) sont à Sale et à Voghera ; que le 3e corps (Canrobert) est en réserve à Tortone. On lui signale, en même temps, d'autres troupes ennemies dans la montagne : c'est la division d'Autemarre, du 5e corps (prince Napoléon), qui, débarquée à Gênes, s'est jetée directement, par Torriglia et Ottone, dans la vallée de la haute Trebbia. Le 3e zouaves occupe déjà Bobbio, où il va être renforcé du 75e de ligne ; le 93e se porte sur Varzi. Les Français commandent donc parfaitement la Trebbia et la Staffora ; ils peuvent, quand ils le voudront, descendre dans la plaine du Pô et tomber sur Plaisance. Telles sont les conclusions du comte Gyulai. Il se sent menacé sur son aile gauche, songe, non sans frémir, qu'un mouvement de l'ennemi sur Plaisance aurait infailliblement pour conséquence de lui faire abandonner le carré de Mortara pour se replier en toute hâte derrière le Tessin. Que doit-il faire pour résister à cette attaque, sinon s'établir solidement dans la position Pavie-Stradella-Plaisance ? Pavie est depuis longtemps occupée ; mais les deux autres éléments du système défensif ont singulièrement besoin d'être soutenus. Le IXe corps (Schaffgotsche), fort de 25 bataillons d'infanterie, 4 escadrons de cavalerie et 64 bouches à feu, s'échelonne de Plaisance à Stradella par Rottofreno et San-Giovanni. Pour relier ces positions à Pavie, il est procédé, à la Stella, à la construction d'un pont large et solide, défendu par plusieurs lignes d'ouvrages bien armés. Étant ainsi bien établi dans le camp retranché classique, le comte Gyulai ordonne sur Voghera une forte reconnaissance offensive, à l'effet de pénétrer d'une manière plus certaine les projets et la force de l'ennemi. De là le combat de Montebello, livré le 20 mai aux troupes de la division Forey (1er du 2e corps), et dont l'issue donna lieu, dans les rangs autrichiens, à de fausses interprétations. Le comte Stadion crut qu'on venait d'avoir affaire à plus de 40.000 hommes, et ne douta point que, si ces 40.000 hommes étaient à Voghera, le reste des armées alliées ne s'échelonnât jusqu'à Alexandrie par Castelnuovo, Sale et Tortone. Ainsi confirmé dans son erreur par les rapports de la reconnaissance, le général en chef ordonne un changement de front de l'armée autrichienne. Les Ve, VIIIe et IXe corps se placent en première ligne, de Valenza à Pavie Stradella ; les deux premiers, face au sud ; le troisième, face à l'ouest. En seconde ligne viennent les IIe et IIIe corps, avec quartier général à San-Giorgio, Trumello, Garlasco ; en réserve, le VIIe corps avec la cavalerie à Mortara et Vespolate. Toutes ces troupes se tiennent prêtes à repousser l'attaque qui pourrait être tentée par la rive droite du Pô. Mais le camp retranché Pavie-Stradella-Plaisance ne doit plus, cette fois, être arrosé de sang. Pendant que les Autrichiens, massés sur leur aile gauche, se tiennent prudemment sur la défensive, les armées alliées, jusqu'alors immobiles et concentrées sur leur aile droite, exécutent rapidement une marche de flanc par les routes et le chemin de fer qui bordent la rive droite du Pô-Sesia. Elles passent la Sesia à Verceil pour se diriger sur Novare, dans le but de déborder ainsi la droite de l'armée autrichienne et de la devancer, s'il se peut, au passage du Tessin. On connaît l'issue de la campagne, au début de laquelle la Stradella a joué, comme on le voit, un rôle de notable importance.

Nous n'avons pas craint de rappeler en tous détails l'ensemble de ces faits militaires, attendu qu'il nous paraissait essentiel d'accuser vigoureusement les propriétés d'un terrain qu'on peut considérer comme la case ouvrière de l'échiquier du Pô. Annibal, que l'histoire ne pouvait pas instruire comme nous, mesurait néanmoins d'intuition la valeur de cette position magistrale ; sentant bien qu'il devait l'aborder à bref délai, son premier soin fut d'en étudier sur la carte le dispositif si bien préparé par la nature.

Ensuite il consulta les mémoires descriptifs de ses ingénieurs, afin de se rendre compte du résultat des travaux exécutés par la main de l'homme, des perfectionnements apportés par le gouvernement romain à l'organisation défensive du défilé.

Quelle était donc cette organisation ?

L'occupation de Pavie par les Romains est un fait dont les textes[27] et les monuments épigraphiques[28] mettent la réalité hors de doute ; mais cette occupation était-elle déjà chose accomplie au début de la deuxième guerre punique ? Nous le pensons. Cela paraît d'ailleurs surabondamment démontré, ainsi qu'on le verra bientôt, par l'ensemble des événements qui se déroulent alors en Lomelline.

On sait en quel échec la Stradella mettrait toutes les opérations offensives, si elle était munie de bonnes défenses à son débouché oriental. Un bon fort au défilé de la Stradella, ne cessait de répéter Napoléon[29], couvrirait l'Italie du côté de la France. Une place à la Stradella serait le complément de cette ligne (du Tessin) pour arrêter l'ennemi sur la rive droite du Pô. A défaut de cette place, il faut une armée sur la rive droite du Pô. La Stradella est le point le plus étroit de la vallée du Pô ; un fort la boucherait en entier ; là viennent aboutir les derniers mamelons des Apennins liguriens ; la vallée n'a pas la largeur d'une portée de canon ; le Pô coule jusqu'à leur pied. Le canon de la Stradella battrait partout. Plus haut, plus bas que ce point, la vallée a deux ou trois lieues de large, et un fort tel que celui de la Stradella ne la fermerait pas. Les Romains avaient satisfait par avance au désir de Napoléon en occupant, à l'entrée orientale du défilé, le poste de Camillomagus. Le nom de ce centre de population est mentionné par l'Itinéraire d'Antonin et la Table de Peutinger ; mais ce nom, quelle en est l'origine ? Est-il tiré de celui des Camille, dont le glaive prédestiné fut si souvent rougi de sang gaulois[30], ou faut-il y voir une trace des limites de la circonscription Camilia ?

Une solution quelconque de cette question nous offrirait, dans le cas présent, peu d'intérêt ; ce qu'il est plus utile de déterminer, c'est la situation du lieu dit Camillomagus. Or, la condition d'un intervalle de 16 milles (23 km. 664 m.) de Voghera veut qu'on place ce point à mi-distance entre Broni et Stradella ; la seconde coordonnée, 25 milles ou 36 km. 975 m. de Plaisance, fait aboutir au site même de Broni. D'où il est permis de conclure que le poste dont il s'agit était assis aux environs de Stradella.

Quant à Plaisance, on sait que les Romains s'en emparèrent quelque temps avant l'époque de la descente d'Annibal en Italie, qu'ils la fortifièrent solidement[31], et ne cessèrent jamais d'en améliorer les défenses[32]. Ils possédaient ainsi, à l'est, les trois principaux éléments de la position ; le défilé lui-même appartenait à leurs alliés, les Anamans ; enfin, le débouché occidental était commandé par trois bonnes forteresses. Ils avaient fait de Tortone et de Voghera des places de premier ordre[33] ; Casteggio, qui n'était primitivement qu'un simple village, s'était vite transformé sous leur main en un oppidum extrêmement respectable[34]. Ce poste, dont les péripéties de la guerre d'Annibal vont bientôt rendre le nom célèbre, mesurait environ 2 kilomètres de développement total[35] ; on peut encore aujourd'hui restituer exactement les contours de sa muraille de briques, muraille dont le massif sert de base à nombre de maisons de la ville moderne, ainsi qu'à quelques édifices, notamment à l'église Saint-Pierre.

La situation des Romains en Cisalpine était théoriquement excellente : ils possédaient, à l'ouest, Pise et la Stradella ; à l'est, ils étaient concentrés sous Rimini. Leurs légions barraient donc absolument rentrée de la Péninsule : elles pouvaient, à volonté, manœuvrer dans la plaine émilienne ou derrière le rideau du massif Apennin ; elles coupaient ainsi le faisceau de toutes les lignes d'opérations que l'envahisseur pouvait être tenté de mener.

Étant donnée cette situation de la défense, à quelles résolutions Annibal devait-il s'arrêter ? Son objectif, c'est cette entrée si bien fermée de l'Italie péninsulaire ; comment en forcer la barrière épaisse et résistante ? S’il tâte son adversaire par la rive droite du Pô, il est tenu d'emporter de front le débouché occidental de cette Stradella, qui seule peut lui donner Plaisance et, avec Plaisance, les moyens de passer l'Apennin. S'il opère par la rive gauche, il ne lui est guère possible de s'avancer bien loin par delà le Tessin ; une ligne d'opérations poussée par le pays des Insubres (Milanais) est trop facilement prise en flanc par Plaisance et Crémone ; le fait de l'obliquité du cours du Pô sur la voie Émilienne l'éloigné trop de son objectif ; il lui faudra nécessairement se rapprocher, tôt ou tard, de Plaisance. Plaisance est donc la vraie clef de la Péninsule ; qu'il opère par la rive droite ou la rive gauche du Pô, l'assaillant qui descend du mont Genèvre doit indispensablement s'emparer de Plaisance ou la paralyser. Telles furent les conclusions du jeune général. (Voyez la planche IX.)

Ses décisions furent immédiatement arrêtées ; il résolut de piquer droit sur Plaisance et d'opérer à la fois par la rive gauche et par la rive droite. A cet effet, il prit pour front d'opérations : sur sa gauche, la ligne de la Sesia ; sur sa droite, le Tanaro ; au centre, l'élément du Pô compris entre ces deux affluents. La Sesia, qui prend naissance dans les glaciers du mont Rosa, s'enfle, en amont de Verceil, des eaux du Cervo, lequel n'est lui-même qu'un collecteur d'une multitude de ruisseaux sortis des flancs des montagnes Bielloises. Son volume est assez considérable ; aussi, sans constituer stratégiquement un obstacle de premier ordre, son cours doit-il être pris en considération. Ce qui fait avant tout la valeur de la Sesia, c'est qu'elle semble avoir pour prolongement la section coudée du Pô qui coule de Frassineto à Valenza, et qu'elle forme, par suite, avec ce coude, une ligne continue normale à la direction générale du grand fleuve cisalpin. Cet élément du Pô, si remarquable à tous égards, et dont les propriétés militaires sont éminemment précieuses, mesure, du nord au sud, une quinzaine de kilomètres de longueur. Quant au Tanaro, dont le développement total est de 280 kilomètres, et qui est navigable en aval d'Alba, il n'est, malgré tout, qu'un cours d'eau d'importance secondaire. Toutefois, la possession en est indispensable, attendu qu'il flanque bien le front Sesia-Pô ; que sa vallée n'est point sans communications avec celle de la Trebbia ; que, de plus, elle commande les bassins de la Polcevera et du Bisagno, au centre desquels s'élève la place de Gênes.

Annibal s'imposait nécessairement l'obligation de se rendre, au plus tôt, maître de tout le pays situé en deçà de ce front Sesia-Pô-Tanaro. Comment devait-il opérer en vue d'obtenir ce premier résultat ? Un texte de Polybe nous fait connaître qu'il commença par faire quelques sièges[36]. Quelles sont les places dont il pouvait avoir à s'emparer à titre de points stratégiques nécessaires ? La sobriété du document ne saurait autoriser, à cet égard, que de simples hypothèses ; mais ces suppositions, loin d'être absolument gratuites, peuvent, au contraire, s'étayer de la raison militaire. Nous pensons que, sur leur front d'opérations, les Carthaginois ne pouvaient se soustraire à la nécessité de posséder Verceil, Valenza et Asti.

Et, en effet, Verceil commande le cours de la Sesia ; les Romains la considéraient, non sans raison, comme le plus ferme appui de leur domination en Transpadane[37]. Ils n'appréciaient pas moins la haute valeur stratégique de Valenza (Forum Fulvii, Valentinum), qui, du fait de sa situation au sommet d'un angle rentrant du Pô, menace de flanc, et de très-près, la ligne d'opérations de la Lomelline, c'est-à-dire celle que l'envahisseur peut suivre sur la rive gauche du fleuve, en passant par Chivasso, Lomello et Pavie. Quant à Asti, qui devait sans doute son antique nom d'Asta[38] à quelque circonstance extraordinaire observée dans le régime du Tanaro[39], son importance était également indiscutable. Assise sur la rive gauche du fleuve, entre le haut et le bas Montferrat, elle occupe une excellente position centrale, formant nœud de communications. De cette étoile on peut opérer sur Turin, par la vallée du Borbore et le plateau de Villanova ; sur Pontestura, par Moncalvo ; sur Valenza, par la vallée du Tanaro ; on peut manœuvrer à volonté dans toutes les directions et commander ainsi tout l'amont du Pô supérieur. C'est en mettant heureusement à profit l'en- semble de ces heureuses conditions que Stilicon devait un jour (602 de notre ère) battre les Goths d'Alaric et délivrer Honorius, qui s'était jeté dans Asti.

En arrière de son front d'opérations, et perpendiculairement à la ligne Verceil-Frassineto-Valenza, Annibal était tenu de s'assurer la libre pratique de la vallée du Pô supérieur. Il lui fallait, par conséquent, enlever, en deçà de cette ligne, Carbantia, Bodenkmag, Chivasso[40], Turin, dont la possession pouvait seule lui permettre de manœuvrer à volonté sur les deux rives ; enfin, Ivrée, qui, à raison de sa situation sur la Baltea et du caractère de ses relations politiques[41], pouvait être considérée comme une annexe de Turin.

Comment parvint-il à réduire Ivrée, Chivasso, Bodenkmag, Carbantia et Valenza ? On ne sait rien des moyens qu'il eut à mettre en œuvre. Il est d'ailleurs permis de croire que les troupes entrèrent enseignes déployées dans Verceil, qui appartenait aux Libici, clients des Insubres et, par suite, alliés de Carthage. On sait aussi qu'un traité d'alliance lui ouvrit les portes d'Asti ; enfin, qu'il eut à faire le siège de Turin.

Il y avait longtemps déjà qu'Annibal avait invité ses émissaires à nouer des relations avec les principales villes de la Ligurie. C'est du fond de l'Espagne qu'était parti, deux ans auparavant, un agent politique, nommé Hannon, spécialement chargé du soin de faire embrasser à Asti la cause du gouvernement carthaginois. Cet homme avait heureusement atteint le but de sa mission : admis au rang de citoyen astiote, il avait fait établir, sous des murs de la ville, une sorte de camp fortifié tout prêt à recevoir les troupes, et obtenu des habitants un contingent d'un ou deux milliers d'hommes[42] ; ces forces auxiliaires étaient placées sous les ordres d'un certain Haxtexan de Turre[43]. Annibal n'eut donc pas grand'peine à se rendre maître d'Asti.

Turin allait opposer plus de résistance à l'accomplissement de ses projets.

Cette place demeurant portes closes et paraissant peu disposée à les ouvrir, Annibal, avant d'en venir aux sommations d'usage en pareille occurrence, essaya d'abord de négocier, afin de rester fidèle au principe qui veut qu'un homme de guerre n'ait recours à l'emploi de la force qu'à la dernière extrémité. Il dépêcha donc vers les défenseurs quelques parlementaires, qui reçurent pouvoir de traiter non-seulement au nom du général en chef, mais encore au nom de tous les sénateurs, de tous les citoyens de Carthage présents à l'armée. Ces représentants officiels du gouvernement carthaginois appartenaient à l'aristocratie ; ils avaient noms Magon, Myrcan et Barmocar[44].

Les trois hauts personnages partirent aussitôt porter aux autorités turinoises des propositions d'alliance, basées sur une équitable appréciation de la connexité d'intérêts des futures parties contractantes[45]. Mais il leur fut d'abord impossible d'entrer en pourparlers avec aucun des habitants. La ville était en proie aux plus violents désordres : la hideuse discorde y brandissait ses torches ; la guerre civile y sévissait. Ils revinrent.

La constatation de ces faits était, en somme, chose satisfaisante, car une telle situation devait singulièrement affaiblir la défense ; cependant, cette heureuse nouvelle, Annibal la reçut d'un air sombre. C'est qu'il ne pouvait s'empêcher d'établir de tristes rapprochements entre l'état de ce malheureux Piémont, que sa présence mettait en feu, et celui de son propre pays, de la turbulente Carthage, si fréquemment ensanglantée par l'émeute. Il s'affligeait au souvenir de sa ville natale, ébranlée tant de fois déjà par ces violentes commotions populaires auxquelles les enfants de la rue ne prenaient pas moins de part que les hommes[46] ; il comparait avec douleur les fureurs insensées de ses compatriotes à la sagesse de leurs ennemis, de ces Romains, qui tenaient conseil dans le temple de Bellone[47], édifice sacré dont l'insurrection ne franchissait jamais le seuil. Là les pères conscrits amenaient leurs fils dès qu'ils avaient douze ans[48], et ces enfants assistaient aux séances.

Quels exemples ! Que de vigueur les mœurs politiques de Rome devaient donner à ses légions ! Telles étaient les amères pensées d'Annibal ; mais il faut ajouter que ces réflexions n'assaillirent son esprit que le temps d'un éclair. Son front ne tarda pas à se rasséréner ; bientôt même un sourire effleura ses lèvres, car cette insurrection qui éclatait si à propos dans la ville de Turin, c'était lui qui l'avait fomentée ! Cette guerre civile, c'était son œuvre !

Lors de l'ouverture des hostilités entre Rome et Carthage, l'aristocratie turinoise, jalouse de respecter la lettre des traités, avait déclaré sa ferme intention de demeurer fidèle aux Romains. Les divers partis démocratiques, qui la tenaient alors en échec, s'étaient, au contraire, prononcés en faveur des envahisseurs de la Cisalpine. Annibal, on le comprend, n'avait pas manqué d'encourager ces tendances : loin d'apaiser de tels dissentiments, il avait soulevé les campagnes contre les villes[49]. Les paysans du revers italiote des Alpes le prirent pour un libérateur, invoquèrent son assistance et se jetèrent dans ses bras. Ainsi, deux mille ans plus tard, en 1812, les paysans russes, las du servage, imploraient le secours de Napoléon, qu'ils regardaient comme un nouveau Messie.

L'apport d'un encouragement aux instincts révolutionnaires du pays ennemi constitue sans contredit un très-puissant moyen d'action ; les résultats en sont incalculables. Si cette révolution des paysans, disait Napoléon[50], avait lieu dans l'ancienne Russie, cela pouvait être considéré comme une chose très-avantageuse dont nous tirerions bon parti. Mais l'honnêteté du procédé n'est-elle pas essentiellement contestable et ne faut-il pas en répudier l'emploi ?J'aurais pu, disait encore le vainqueur de Friedland[51], armer la plus grande partie de la population de la Russie contre elle-même ; un grand nombre de villages l'ont demandé... mais je me suis refusé à cette mesure, qui aurait voué bien des familles à la mort, à la dévastation et aux plus horribles supplices. Ainsi pensait le grand capitaine au cœur d'acier, mais non inaccessible aux sentiments de la probité militaire. Avec lui les armées modernes estiment que l'appel à l'émeute est toujours condamnable, et le jour n'est pas loin où cette juste réprobation sortira ses effets ; mais, au temps de la deuxième guerre punique, le droit des gens n'avait guère de principes codifiés ; ses formules ténébreuses semblaient même autoriser les attentats internationaux. Aussi est-ce très-naïvement et sans le moindre scrupule qu'Annibal appuyait la démagogie piémontaise.

Le lendemain de leur déconvenue, les parlementaires, invités par le général en chef à faire dans le même sens de nouvelles tentatives, se présentèrent une seconde fois devant Turin, porteurs de paroles de paix. Cette fois, il y eut conférence ; Magon, Myrcan et Barmocar furent admis à produire leurs ouvertures. Mais ceux auxquels ils adressaient des propositions amicales appartenaient au parti aristocratique, alors soutenu par les Romains, et ce parti venait sans doute, au sortir des derniers désordres, d'affirmer hautement sa supériorité. Il fut répondu aux Carthaginois par des fins de non-recevoir[52]. Sommées alors de céder à la force et d'ouvrir leurs portes, les autorités turinoises opposèrent à cette injonction le défi comminatoire d'une résistance à outrance. Dès lors un siège devenait nécessaire. L'opération fut décidée en conseil, et les ingénieurs reçurent l'ordre de procéder incontinent à la reconnaissance de la place.

L'antiquité n'ignorait pas que la ville de Turin est un point stratégique d'une importance considérable[53] ; c'est à raison de ce fait universellement admis que les Romains l'avaient placée sous l'invocation de Jupiter[54], le maître des dieux de l'Olympe. Cette importance résulte de l'ensemble des propriétés dont jouit un site exceptionnel : étoile de toutes les voies de communication tracées au travers des Alpes grées et cottiennes, Turin est en relation naturelle avec nombre de centres de la région française[55] ; c'est une position indiquée à toute armée opérant de France en Italie ou réciproquement[56] ; c'est le réduit du rempart des Alpes[57].

Au temps où les Carthaginois vinrent en former le siège, Turin avait déjà sans doute une histoire militaire, histoire à jamais perdue pour nous, mais qui peut, à la rigueur, s'induire théoriquement de celle des événements connus. C'est sous Turin que se vide, au commencement de notre ère (312), la fameuse querelle de Constantin et de Maxence ; c'est de Turin que les Goths, les Lombards et les Francs se disputent, tour à tour, la possession ; et, dans les temps modernes, Turin conserve constamment son rôle d'objectif inévitable ; c'est un pôle stratégique attirant fatalement à lui François Ier (1504 et 1536), d'Harcourt (1640), la Feuillade (1706), Bonaparte (1796), Souwarow (1799) et, encore une fois, Bonaparte (1800).

Les ingénieurs carthaginois étaient peut-être en possession de données historiques qui nous font aujourd'hui défaut ; mais de tels documents, quel qu'en fût l'intérêt, ne pouvaient servir de base à leur projet d'attaque ; ils s'empressèrent, en conséquence, d'étudier les défenses de la place, d'en lever avec soin les abords.

Point n'est besoin de faire observer que nous ne nous flattons pas d'avoir en main les dessins qu'ils placèrent sous les yeux de leur général en chef[58] ; mais nous avons cru pouvoir admettre que le plan de la place considérée au temps de l'expédition d'Annibal ne différait point sensiblement du plan qu'a restitué Carlo Promis, lequel représente Turin au temps de la domination romaine. (Voyez la planche X.)

Alors la capitale des Taurini affectait planimétriquement la forme d'un carré[59], dont l'orientation, rapportée aux éléments de la ville moderne, peut se repérer comme il suit : le côté nord de l'enceinte, dans lequel s'ouvraient les portes Pusterla et Romana, coupait la Piazza Milano parallèlement au Corso San Massimo ; le côté sud (porta Marmorea) longeait les rues della Cernaia, Teresa et San Filippo ; le côté ouest (porta Secusina) passait par la Piazza Savoia, qu'il partageait en deux parties égales parallèlement aux grandes bases ; le côté est traversait la Piazza di Castello, à peu près suivant le prolongement de la façade ouest de l'ancien château fort ; enfin, le pan coupé nord-est passait par le Giardino reale. Le périmètre de l'enceinte romaine présentait ainsi un développement d'environ 2750 mètres ; sa superficie mesurait à peu près 50 hectares.

Le terrain qui s'étendait en avant du côté sud de l'enceinte était assez uni, bien que sillonné, parallèlement aux murailles, de ruisseaux ou fossés d'eau vive qui tous allaient se jeter dans le Pô[60].

A l'est, parallèlement au Pô, et à plus d'un kilomètre du lit actuel, courait une ligne de hauteurs qui avaient primitivement constitué la rive gauche d'un ancien lit du fleuve[61]. Ces crêtes, sur lesquelles la ville était assise, exerçaient, de l'est à l'ouest, un excellent commandement sur la dépression de terrain comprise entre le Pô et la Dora, dépression le plus souvent inondée. Au nord-est, elles affectaient, sur environ 200 mètres de longueur, la forme d'un escarpement dont l'enceinte romaine devait plus tard suivre les contours[62]. A l'ouest, le terrain, descendant en pente douce, était découpé d'un grand nombre de petits cours d'eau dirigés perpendiculairement à ce côté de l'enceinte[63]. En somme, la position était, de sa nature, forte à l'est et au nord, médiocrement protégée au sud, et assez faible à l'ouest. C'est précisément sur l'ouest que débouchaient les colonnes d'Annibal, venant du mont Genèvre[64].

La place devait être munie de défenses artificielles, au moins sur les faces de son enceinte que la nature n'avait point pourvues d’obstacles suffisants[65]. Nous estimons, avec l'éminent Carlo Promis, que ses murailles étaient formées de pierres et de bois mis en œuvre à la manière gauloise. Voici, dit Jules César[66], comment on construit, en Gaule, les remparts des cités : à intervalles égaux de deux pieds (0m,59), on dispose parallèlement des poutres d'une seule pièce ; on les assujettit solidairement, et les vides du système sont remplis de terre pilonnée ; sur le parement, la terre est remplacée par des blocs de pierre de gros échantillon. Cette première assise étant ainsi disposée et bien liée, on en organise une deuxième, en tout semblable à la première, mais séparée de celle-ci par un bon lit de pierres. Le travail se poursuit ainsi jus- qu'à la hauteur voulue. Une telle ordonnance, formée d'alternances de pierres et d'abouts de bois, n'est point seulement agréable à l'œil ; elle est encore extrêmement utile aux intérêts de la défense. La pierre protège le mur contre l'incendie ; le bois défie les coups du bélier. Il est impossible de renverser ni même d'entamer un massif de poutres debout de quarante pieds (11m,83) de longueur, si bien liées ensemble et si profondément encastrées dans un massif compacte de terre battue, de pierrailles et de blocs.

Le temps a laissé venir jusqu'à nous un curieux spécimen de ces constructions originales ; nous voulons parler de l’oppidum de Mursens ou Mursceint, situé à l'intersection des deux vallées de la Rause et de Vers, commune de Gras, canton de Lauzès, arrondissement de Cahors (Lot). Ce monument de l'architecture militaire de nos ancêtres occupe un plateau de 140 à 150 hectares de superficie, bordé de toutes parts de rochers à pic, excepté du côté nord ; c'est dans cette partie que les Gaulois avaient élevé une forte muraille, dont on voit encore les restes bien apparents sur un développement de plus de 2 kilomètres. Cette enceinte est organisée conformément à la description de César. L'épaisseur du profil à la base varie du simple au double, de 5 à 10 mètres, suivant la disposition des lieux à défendre et les formes du terrain. La hauteur moyenne de l'escarpe mesure de 4 à 5 mètres, mais elle atteint jusqu'à 10 mètres sur les points faibles. Formée d'assises de pierres et d'un système de poutres méthodiquement réparties, la muraille repose directement sur le roc, sans aucune espèce de fondations. Le parement extérieur, tenu rigoureusement vertical, est en grosses pierres brutes juxtaposées sans mortier. Quant au remplissage intérieur, il est tantôt en terre, tantôt en pierres et pierrailles. Les poutres ne sont pas équarries ; ce sont des corps d'arbres de 32 à 35 centimètres de diamètre, disposés perpendiculairement au tracé de l'enceinte, régulièrement distants les uns des autres, reposant horizontalement sur la maçonnerie et traversant toute l'épaisseur de la muraille ; leurs têtes apparaissent en quinconce à la surface du revêtement. Ces bois sont solidement reliés entre eux par deux rangées de poutres placées perpendiculairement à leur direction, normales par conséquent au tracé de l'enceinte et noyées dans la maçonnerie. Tous les assemblages de cette charpente intérieure sont à mi-bois et renforcés par le moyen de fortes chevilles en fer carré, de 32 centimètres de longueur.

Telle était, vraisemblablement, au temps de la deuxième guerre punique, l'économie de l'enceinte de Turin, et nous ne devons point dès lors nous étonner de ce que Polybe trouve les fortifications de cette place extrêmement respectables[67]. Nous savons, d'autre part, qu'elle venait d'être mise en état de défense[68] ; que, de plus, ses remparts étaient au moins pourvus de leur armement[69] de sûreté. Il suit de là que le siège paraissait devoir être une entreprise ardue.

Quelques textes, affectés malheureusement d'une extrême concision, mettent hors de doute le fait de l'attaque et de la prise de Turin par l'armée carthaginoise[70] ; un mot de Polybe[71] nous fait d'ailleurs connaître que cette opération débuta par un investissement. Nous n'en savons pas davantage, et il est regrettable que l'histoire ne nous ait pas laissé sur cet épisode de la deuxième guerre punique des détails analogues à ceux qui nous sont parvenus touchant le siège de Sagonte. Les méthodes d'induction sont dès lors les seules qui soient permises à qui veut faire œuvre de restitution.

Nous admettrons que, une fois l'investissement parachevé, les ingénieurs de l'armée rédigèrent, suivant l'usage, un projet d'attaque[72], et que ce projet fut discuté en conseil de guerre. Ainsi, deux mille ans plus tard, lors de la formation du siège de 1706, une discussion devait s'engager, sous la présidence de Chamillart, ministre de Louis XIV, entre Vauban, la Feuillade, Vendôme, Villeroy, Lapara, Palavicini.

Nous avons dit (t. I, Appendice F) que l'art de l'attaque des places procédait, dans l'antiquité, suivant six méthodes distinctes : les surprises à l'aide d'intelligences ou de trahisons ; — l'escalade environnante par surprise ; — l'attaque de vive force avec escalade ou attaque en couronne, qui ne pouvait réussir que contre les mauvaises places ; — l'attaque de vive force par escalade, combinée avec l'assaut par les brèches ; — le blocus ; — l'attaque régulière, ou siège proprement dit. Dans l'espèce, la situation politique et les dispositions d'esprit des défenseurs permettent d'éliminer l'hypothèse d'une surprise ; le profil des murs de la place mise en état de défense empêche de supposer une escalade ; le court espace de temps qu'a réclamé l'opération fait écarter toute idée de blocus ; nous admettrons sans difficulté le fait de la formation d'un siège.

Cela posé, comment les Carthaginois ont-ils pu procéder pour exécuter leurs approches et faire brèche ? Ont-ils construit des galeries, des abris mobiles, quelques batteries de pièces de gros calibre[73], fait jouer une de ces puissantes machines bélières dont ils revendiquaient l'invention à titre de gloire nationale[74] ? Nous ne le pensons pas. Évidemment, Annibal n'avait pu traîner à sa suite le matériel dont il avait fait usage à Sagonte et, en eût-il encombré ses parcs, qu'il se fût vu dans la nécessité de l'abandonner à Grenoble. Une fois en Piémont, pouvait-il aisément reconstituer ce matériel, fabriquer des tortues, organiser des engins démolisseurs, armer de puissantes batteries névrobalistiques ? Il n'en avait assurément ni le moyen ni le temps ; on n'est donc pas porté à croire qu'il ait dessiné des attaques à ciel ouvert, et nous éliminerons l'hypothèse de ce procédé.

Nous ne saurions davantage admettre, avec le sagace Carlo Promis, que les défenses de Turin soient devenues la proie des flammes[75]. Assurément, l'incendie était un des moyens d'attaque en usage dans l'antiquité ; les Romains l'employaient même fréquemment : c'est par la méthode incendiaire que Sylla réduit Æculanum[76] et essaye ultérieurement d'avoir raison du Pirée[77] ; c'est aussi par le feu que Jules César tente de faire disparaître un castellum des Alpes qui lui barre le passage[78] ; que l'empereur Galba finit par emporter certain oppidum espagnol[79]. Le procédé était classique et, pour ainsi dire, réglementaire, puisque les parcs de l'armée romaine renfermaient, à cet effet, des matières à combustion vive, telles que le galbanum ou stagonitis[80], sorte de résine dont on enduisait l'obstacle à détruire et qui se comportait à la façon du pétrole. De leur côté, les défenseurs avaient divers moyens de combattre l'incendie : outre l'acetum, que préconisaient encore les auteurs du moyen âge[81], ils possédaient l'alun, dont ils faisaient souvent intervenir l'action, témoin la tour de boys en Pirée, laquelle L. Sylla ne peut oncques faire brusler, pour ce que Archelaus, gouverneur de la ville pour le roy Mithridates, l'avoit toute enduite d'alum[82]. De là tant de légendes touchant les essences de bois incombustibles, comme... celle arbre qu'Alexandre Cornelius nommoyt Eonem.... et ne pouoyt estre ne par eaue ne par feu consommée ou endommaigée[83]... ou encore le larix, lequel de soy ne faict feu, flambe, ne charbon[84]....

Donc, nous le répétons, la méthode incendiaire était bien connue des poliorcètes de l'antiquité ; mais il ne pouvait évidemment être fait usage d'un tel moyen d'action que contre des remparts tout en charpente, analogues à ceux d'Æculanum[85] ou de Polibothra[86]. Tout au plus, peut-on supposer qu'on eût recours à ce procédé violent pour l'attaque des murailles qui, comme celles d'Uspé, étaient formées d'un entrelacs de pièces de bois avec remplissage en terre[87], mais non de pierres de fort échantillon. A part ces cas, que l'on peut considérer comme exceptionnels, l'impuissance du procédé nous semble démontrée. Or, nous venons de le voir, l'enceinte de Turin était organisée à la manière gauloise, ainsi que le reconnaît lui-même Carlo Promis ; elle était donc bien de nature à défier l'incendie. Il convient enfin d'observer que l'effet d'une mise de feu n'eût pas demandé trois jours pour se produire ; que les défenses de la place auraient été consumées en quelques heures.

Tout considéré, nous estimons qu'Annibal a eu recours à la mine, et l'on se convaincra facilement que ce n'est point là une opinion hasardée, pour peu qu'on veuille avoir égard aux considérations dans lesquelles nous avons cru devoir entrer.

Loin de passer pour un moyen poliorcétique anomal ou seulement exceptionnel, l'attaque à la mine était, au temps de l'expédition d'Annibal, d'un usage ordinaire et, pour ainsi dire, classique.

On se perd dans la nuit des âges à la recherche des origines d'un art qu'ont pratiqué tous les peuples de l'antiquité : Assyriens, Égyptiens, Hébreux, Perses, Grecs et Romains. Les Ninivites contemporains de Sardanapale savaient, au dire d'Hérodote, ouvrir de longues galeries[88] ; ils appliquaient à la guerre les procédés de leur architecture souterraine. Certaines sculptures exhumées des ruines de Ninive représentent, en effet, une ville attaquée ; l'assaut se prépare, les machines de guerre battent les murailles, des mineurs sont attachés à la maçonnerie[89]. Les Égyptiens marchaient dans les mêmes voies, témoin la haute importance des fameuses substructions de Thèbes[90]. Il en fut de même des Hébreux : c'est par la mine que les fils de Jacob s'emparent des forteresses de l'ennemi[91], que Josué fait tomber les défenses de Jéricho[92], que le roi Saül réduit les places amalécites[93].

L'histoire des sièges de Chalcédoine par Darius (520) et de Barcé par Amasis (509) nous révèle la puissance des moyens mis en œuvre par les mineurs du VIe siècle avant notre ère[94] ; mais c'est au génie des Grecs que l'art doit ses progrès les plus éclatants, ainsi qu'il appert de quelques épisodes des attaques de Samos et de Platée[95]. Au siècle de Périclès, Artémon perfectionne habilement la tortue de mineur assyrienne[96] ; sous Philippe de Macédoine, Æneas insère en son Traité de la défense des places des principes de guerre souterraine[97] dont Alexandre le Grand doit faire, en 332, l'application au siège de Gaza[98] ; Démétrius, en 304, au siège de Rhodes, les mettra également à profit[99]. A peine la période alexandrine est-elle ouverte que le célèbre Athénée apporte de nouveaux perfectionnements à la tortue de mineur[100] ; Philippe III de Macédoine, le contemporain d'Annibal, dispose ainsi d'un excellent matériel et d'un personnel d'élite ; aussi enlève-t-il sans peine à la mine les places de Palée, de Thèbes, d'Échine[101], de Prinasse[102], d'Abydum[103], d'Apollonie[104], de Lamia[105].

Les Romains étaient eux-mêmes experts en l'art des substructions, témoin les grands travaux des égouts de Tarquin[106] et ceux de l'émissaire du lac d'Albe ou Fucino[107] ; ils étaient loin d'être étrangers aux procédés d'attaque à la mine, puisque, antérieurement à l'expédition d'Annibal, leurs généraux avaient enlevé par ce moyen Fidènes (430), Veïes (393), Nequinum (299)[108], Lilybée (250)[109] ; qu'ils se trouvaient ainsi parfaitement préparés aux opérations du célèbre siège d'Ambracie, entrepris en 189, c'est-à-dire six années avant la mort d'Annibal[110]. L'ensemble de ces faits démontre clairement que, au temps de la deuxième guerre punique, la méthode, connue depuis de longs siècles, était communément et habituellement suivie par les poliorcètes.

Cela dit, il convient d'observer que l'armée d'Italie placée sous la main d'Annibal comprenait un corps de mineurs ; on sait que ces ouvriers d'art à la solde de Carthage étaient de race africaine[111] ; il est, de plus, acquis à l'histoire qu'ils ne manquaient ni de savoir ni d'expérience, puisque trente ans auparavant, au siège de Lilybée (Marsala), leurs aînés avaient fait merveille[112]. Eux-mêmes, à Sagonte, venaient de rendre de signalés services[113] ; ultérieurement, enfin, les célèbres substructions de Libyssa devaient attester le fait de leur remarquable habileté[114]. Quant à leur organisation, on ne peut que l'induire de celle de leurs similaires de Rome. Or, les Romains désignaient leurs mineurs militaires sous les noms de munitores[115], fossores[116] ou fodientes[117] et cunicularii[118]. Ces travailleurs faisaient essentiellement partie de la légion[119] ; leurs officiers, dits architecti[120], étaient placés directement sous les ordres du præfectus fabrum[121] ; Végèce nous a laissé[122] la nomenclature des outils dont ils faisaient usage. Ce qu'il importe, en somme, de retenir ici, c'est que le général en chef de l'armée carthaginoise disposait d'un corps de mineurs.

Il convient maintenant d'exposer le mode d'exécution des travaux souterrains en usage à cette époque. Quand la nature du milieu le permettait, les anciens taillaient leur galerie dans la roche ; dans ce cas, le ciel affectait une forme semi-cylindrique[123], et cette voûte était soutenue au besoin par des piliers ménagés de distance en distance[124]. Mais, le plus souvent, il était indispensable d'étançonner les terres, et cette opération était accompagnée d'un coffrage des parois. Puis, quand ils arrivaient sous le mur à détruire, les mineurs étaient dans l'obligation d'en diastyler la base[125], c'est-à-dire d'en faire provisoirement reposer les fondations sur des charpentes condamnées aux flammes, et formées principalement de colonnes ou montants en bois dont le système supportait un tablier (tabulatum). Les Grecs donnaient à ces étais les noms d'έρείσματα[126], de ξύλων κορμοί[127], de σίαυροί[128] ; les Latins les appelaient furculæ[129], fulturæ, ligneæ columnæ[130], sublicæ ou sublices[131]. Quel que dût être l'équarrissage ou le diamètre de ces pièces, il était toujours possible de se les procurer sur place. L'ouverture d'une galerie de mine n'était donc pas un travail qui nécessitât l'emploi d'un matériel spécial, et s'imposait pour ainsi dire aux Carthaginois, qui n'avaient plus alors ni machines d'approches, ni machines de brèche.

Un argument qui nous semble absolument péremptoire peut se tirer du fait bien constaté de la vitesse de marche en galerie.

Végèce nous a laissé[132] la théorie d'une attaque à la mine, laquelle pouvait, dit-il, viser deux buts distincts : ou l'assaillant cherchait à passer par-dessous le mur d'enceinte, afin de déboucher dans la place, ou bien il s'arrêtait sous cette muraille pour la diastyler et en ruiner un pan. Dans les deux cas, il commençait par organiser sa parallèle[133] à soixante mètres[134] des saillants[135] de la place ; puis il ouvrait sous cet abri un puits de mine au fond duquel il entrait en galerie, et cette galerie était poussée jusqu'au rempart ; là enfin, s'il se décidait pour la seconde méthode, laquelle était, il faut le dire, communément employée, il fouillait et étançonnait le sous-œuvre du mur sur soixante mètres de longueur. Telle était, dans l'antiquité, la largeur que devait offrir une brèche pour être réputée praticable[136] ; et, en général, de bons mineurs n'avaient besoin que de trois jours pour préparer, dans ces conditions, l'ouverture de la brèche. Telle était, au sens des gens de guerre, la durée théorique du travail souterrain[137]. Or, le siège de Turin par les Carthaginois dure précisément trois jours[138].

En résumé : la mine offrait alors aux poliorcètes un mode d'attaque ordinaire et de commun usage ; l'armée carthaginoise qui venait de descendre en Piémont comprenait un corps de mineurs ; dépourvue de matériel de siège, cette armée trouvait dans l'emploi de la méthode souterraine le meilleur moyen de s'en passer ; enfin, le temps qu'elle met à s'emparer de la place est précisément égal à celui que nécessitait d'ordinaire l'ouverture d'une brèche préparée par un sous-œuvre diastyle. Pour ces motifs, nous estimons que, avant de prendre une décision et de donner des ordres pour l'attaque de Turin, Annibal s'était dit ce que Chamarande devait écrire à Chamillart à deux mille ans de là[139] : ... On ne peut prendre cette place que par la mine...

Cela admis, il n'est pas impossible de se représenter théoriquement l'ensemble des opérations du siège, ni d'en suivre les péripéties jusqu'à complet dénouement ; mais, eu égard au silence absolu des textes, il demeure entendu que, en procédant ainsi par intuition, on ne saurait obtenir pour résultat qu'une simple restitution idéale.

Donc, à soixante mètres environ du saillant ouest de l'enceinte, les Carthaginois organisent leur parallèle, dont le tracé coupe les abords de la citadelle moderne, aujourd'hui déclassée (voyez la planche X). Sous ce couvert, ils creusent le puits au fond duquel doit s'ouvrir l'υπόνομος[140] ou cuniculum[141]. Ils entrent résolument en galerie, étrangers à tout sentiment de crainte, souriant même à l'idée de la faible distance qu'ils ont à parcourir. C'est que, en effet, les mineurs de l'antiquité savaient donner à leurs travaux souterrains un développement parfois considérable : on cite, à ce propos, la galerie d'Aphase, ordonnée par Darius, roi de Perse, et qui ne mesurait pas moins de quinze stades ou 2.775 mètres de longueur[142]. Quant au profil du cuniculum, nous en connaissons les dimensions moyennes, grâce aux heureuses découvertes de Puy-d'Issolu[143] ; nous savons qu'il présentait 1m,80 de hauteur sur 1m,50 de largeur et que, par conséquent, il était comparable à notre grande galerie ordinaire[144]. C'est ce profil qu'adoptent vraisemblablement les mineurs carthaginois.

Le caractère distinctif de la conduite de leurs fouilles résulte du soin que met leur chef à assurer la continuité, l'ininterruption absolue du travail : l'opération ne se ralentit à aucun instant ; jour et nuit, les mineurs accomplissent leur tâche[145]. Ils sont, à cet effet, répartis en brigades, lesquelles sont, tour à tour, de service pendant six heures[146]. L'extraction des déblais s'effectue directement par la galerie[147], le long de laquelle les servants forment la chaîne[148] pour se passer les coffins (cophini) emplis de terre[149]. Une telle besogne pouvait, à la rigueur, s'accomplir dans l'obscurité[150] ; mais les anciens n'ignoraient point l'art de produire de la lumière artificielle en quantité voulue, suivant leurs besoins ; les rues de leurs villes, par exemple, étaient aussi bien éclairées que les nôtres[151]. Les travailleurs carthaginois sont donc vraisemblablement munis de lampes[152] ; mais la fumée qui s'en échappe ne tarde pas à se mêler aux gaz qu'expirent leurs poumons ; l'air ambiant devient irrespirable[153]. Comment obtenir dans la galerie une ventilation suffisante ? Il devient indispensable d'ouvrir, de distance en distance, des puits verticaux, qui sont mis en communication par le moyen de rameaux obliques en forme de siphons[154]. Grâce à cet aérage énergique, la marche en galerie se poursuit sans danger.

Cependant les outils de mine, bien que maniés par l'assaillant avec des précautions extrêmes, produisent un ψόφος ou ferri linnitus[155] dont la répercussion se propage sous terre. Le défenseur, qui perçoit ce bruit sourd, se met aussitôt aux écoutes[156] pour se rendre un compte exact des intentions de son adversaire ; il opère cette reconnaissance, soit à l'aide d'un bouclier, suivant la méthode du forgeron de Barcé[157], soit par le moyen d'un système de vases de bronze disposés comme ceux de l'ingénieur Tryphon, au siège d'Apollonie[158]. Il sait bientôt d'une manière précise quelle est la direction de la galerie qui le menace. A quoi lui servira cette donnée ?

Doit-il attendre l'ennemi à son débouché dans le fossé de la place et là lui opposer une résistance vigoureuse[159], ou bien contre-miner afin de contrarier, sinon d'arrêter les progrès du mineur[160] ? C'est ce dernier parti qu'il prend d'ordinaire : il se jette en avant, et cette marche souterraine aboutit vite au contact des assiégés et des assiégeants ; une rencontre a lieu. On peut s'en représenter l'effet : le défenseur tombe dans la galerie de l'assaillant, la barricade, l'obstrue de quartiers de roches, ou la coupe avec un hérisson formé de piques, de lances, d'épieux appointis et durcis au feu ; il y lance des projectiles de toute nature : traits de fer, pierres, pots de poix bouillante[161] ; il l'enfume[162] ; il donne le camouflet (calami flatus), dont l'invention remonte au temps d'Annibal[163] ; enfin, s'il peut le faire, il rend cette galerie intenable en y jetant des combattants auxiliaires pris dans le règne animal : guêpes, serpents Du bêtes fauves[164].

L'assaillant, d'autre part, repousse énergiquement les suprêmes efforts de la défense souterraine ; de là des combats corps à corps, luttes terribles où les héros des deux partis trouvent souvent une fin commune. Le journal du siège de Turin, en 1706, est semé d'épisodes de ce genre ; nous n'en citerons qu'un seul, celui de la nuit du 13 au 14 août.

Cette nuit, dit le comte de la Marguerite[165], il y a eu sous terre un combat remarquable. Notre mineur attache le pétard là où il entend cogner, et leur mineur en est écrasé. Ce pétard vient d'ouvrir un assez grand trou, par où les ennemis font descendre un de leurs grenadiers avec une corde... celui-ci est tué d'un coup de pistolet aussitôt qu'il paraît. Le dépit et la rage font acharner les ennemis sur nous. ils nous chargent d'injures et nous font des menaces. Çà, des bombes, des carcasses !... crient-ils ; étouffons, brûlons ces gueux, ces misérables !...

Nous ne perdons pas de temps à entasser devant nous des sacs à laine ; on fait d'abord avancer des grenadiers pour soutenir ce retranchement. Mais voilà une autre victime qu'on dévale pour chercher la mort... et il ne manque pas de la trouver. Quatre grenadiers des ennemis étaient chargés de cette expédition. Ils sont dans un étrange embarras : l'honneur les anime et la crainte les rebute, ils flottent entre la frayeur et la hardiesse. Auras-tu bien le cœur, dit l'un à son camarade, de t'engouffrer dans cet abîme ?Et qui pourra me reprocher, lui répond-il, de n'avoir pas eu le courage de braver ce péril ?... Çà, du vin ! dit-il. On lui en apporte, il l'avale... j'allais dire : et il descendit... mais il n'était pas descendu qu'on l'assomme. On dirait que la mort a des appas pour eux ; le troisième va se jeter entre ses bras ; puis le quatrième.

Les ennemis enfin mettent en bas un homme armé de pied en cap... celui-ci fraye le chemin à plusieurs soldats qui plongent avec lui dans le trou, sur des sacs à terre qu'on y jette tout d'un temps. Les voilà entrés ! le feu s'allume de part et d'autre ; ce sont des coups de pistolet, de fusil, de grenade qui retentissent dans cet antre effroyable !...

Ce combat eût duré plus longtemps si la fumée, la puanteur, les ténèbres, n'en eussent arrêté la fureur. Mais, pour comble de maux pour les ennemis, notre mineur met le feu à la saucisse et fait jouer les deux fourneaux, qui renversent la batterie des ennemis, à une pièce près, si bien qu'outils et mineurs, canons et canonniers, tout cela ne fait plus qu'une masse mêlée et couverte avec de la terre...

Voilà ce qui se passait sous le sol des glacis de Turin deux mille ans après la deuxième guerre punique ! Cet exemple sinistre permet à la pensée de restituer par analogie les scènes de mort auxquelles durent s'exposer les mineurs d'Annibal. Quelques difficultés qu'ait d'ailleurs présentées leur besogne, ces braves gens l'accomplirent avec un entrain remarquable et, comme nous l'avons dit, la place fut enlevée en trois jours.

D'où vient que, à vingt siècles de là, la Feuillade, assiégeant cette même place de Turin, l'ait vainement menacée durant cent dix-sept jours[166] ? A quelles causes attribuer des différences aussi considérables ? Malgré la disparité des moyens d'action employés à deux époques séparées par un aussi long intervalle de temps, il ne sera pas sans intérêt de procéder brièvement à l'examen comparé des conditions dans lesquelles se trouvaient respectivement placées les deux opérations.

Au temps de la deuxième guerre punique, Turin était, nous l'avons vu, déchiré en divers sens par des partis violents. L'action de l'autorité y était par conséquent difficile, et l'on ne saurait affirmer que la place, si forte qu'elle fût, ait pu être convenablement mise en état de défense ; du reste, abandonnés des Romains[167], les assiégés n'avaient à compter sur l'arrivée d'aucune armée de secours. En 1706, au contraire, la population turinoise était admirable d'union sous l'autorité du duc de Savoie. Ce prince ayant su communiquer à ses sujets l'ardeur de ses résolutions, nobles et bourgeois juraient de se défendre jusqu'à la dernière extrémité, de s'ensevelir, s'il le fallait, sous les ruines de leur ville[168]. Dans cette harmonie des sentiments du peuple et de son souverain, on put facilement améliorer l'état des fortifications, procéder aux armements nécessaires, exécuter des travaux immenses[169]. Enfin, le duc de Savoie et le prince Eugène tenaient la campagne ; ils parvinrent à opérer leur jonction et à faire lever le siège.

L'an 218 avant notre ère, l'investissement de Turin assiégé était complet[170] ; il n'en fut pas de même au temps de Louis XIV. Je ne vois pas, disait Vendôme[171], de quelle importance il est qu'une place soit bien ou mal investie... Et, de fait, l'investissement ne fut parachevé qu'après la 65e nuit de siège. Notre investiture, écrivait alors la Feuillade[172], est présentement faite dans les formes. Il était malheureusement bien tard, et les effets de la négligence première pouvaient, depuis longtemps, passer pour être irréparables. D'où provenait une telle faute ? De la mésintelligence qui n'avait cessé de régner parmi les assiégeants. Si l'unité de commandement de l'armée carthaginoise avait porté des fruits immédiats, les dissentiments, les stériles agitations du camp français devaient avoir de funestes conséquences. Là, le projet d'attaque de Vauban était l'objet des critiques les plus passionnées. ... Ayez confiance en moi, écrivait le duc de la Feuillade à M. de Chamillart, alors ministre de la guerre[173], ayez confiance en moi, et vous vous en trouverez mieux, et le roi aussi, que de tous les ingénieurs du monde. — Il n'y a rien de tel, disait Vauban[174], que de se renfermer dans les règles, qui, une fois bien observées, ne trompent jamais. — Que Votre Majesté, répondait alors le duc de Vendôme au roi[175], que Votre Majesté me fasse couper le cou si je ne prends Turin contre les règles ! — A quoi Vauban répliquait[176] : Je veux qu'on me coupe le cou si vous la prenez par l'endroit où vous l'avez attaquée ! Ni Vauban ni Vendôme n'eurent le cou tranché, mais Turin ne fut pas pris.

Pour Annibal, ayant bourré de sarments et de broussailles les interstices de son diastyle, il y fit mettre le feu sur plusieurs points à la fois. La combustion s'opéra vivement, et soixante mètres de murailles suspendues sur le vide s'écroulèrent avec grand fracas[177]. Les troupes commandées pour l'assaut[178], se précipitant par la brèche ouverte, eurent bientôt envahi la ville, dont tous les habitants furent passés par les armes[179]. Telles étaient alors les dures lois de guerre.

En ce moment, Scipion arrivait à Plaisance[180].

 

 

 



[1] Claudien, Guerre contre les Gètes.

[2] Plaisance, Πλακεντία, Pia-Kent (celt.) ; — Pavie, Τίκινον, Ti-Kino (amazir') ; Papia, Pad-pia (celt.) ; — Casteggio, Κλασίδιον, Ki-Asti-town (celt.-amaz.).

[3] Tite-Live, XXXII, XXIX.

[4] Pline, Hist. nat., III, XXI.

[5] Etienne de Byzance, ap. B. Pallastrelli, La città d'Umbria, cap. III.

[6] Tite-Live, XXIX, XI. — Plutarque, Marcellus, VI.

[7] Polybe, II, XXXIV.

[8] Plutarque, Marcellus, VI. —Cf. Valère-Maxime, III, II, 5.

[9] Tite-Live, XXVII, XXV.

[10] Tite-Live, XXVII, XXXIX, XLIII et XLVI. — Cf. Appien, De bello Annibalico, LII.

[11] Tite-Live, XXVIII, XXXVI, XXXVII et XLVI ; XXIX, XXXVI ; XXX, XVIII et XIX. — Cf. Appien, De bello Annibalico, LIV, et De rebus Punicis, VII.

[12] Silius Italicus, Puniques, VIII.

[13] Tite-Live, XXXI, X, XI et XXI.

[14] Polybe, XXXIII, VIII.

[15] Appien, De bellis civilibus, II, XLVII.

[16] Appien, De bellis civilibus, I, XCII.

[17] Tacite, Hist., II, XVII, XVIII.

[18] Tacite, Hist., II, XX, XXII, XXIV.

[19] Tite-Live, XXXII, XXXI.

[20] Carlo Promis, Storia dell' antica Torino, cap. IV.

[21] Tacite, Hist., II, XVII, XXVII et XXX.

[22] Jornandès, De Getarum origine et rebus gestis, cap. XLII.

[23] Nella guerra Gotica fu Tortona occupata da Belisario... (Carlo Promis, loco cit.) — Cf. Procope, B. G., II, XXIII, XXVIII.

[24] Pépin, en 755 et 756 ; Charlemagne, en 773 et 774.

[25] Ce corps d'observation était tranquille, ainsi que la garnison d'Ivrée. Depuis le 1er juin, le fort de Bard était pris, et Ivrée se remplissait de toute espèce de munitions de guerre, de vivres et des embarras de l'armée. Mélas avait abandonné Turin. La division Lapoype, du corps de Moncey, bordait le Pô depuis Pavie jusqu'à la Dora Baltea. (Commentaires de Napoléon 1er, t. IV, Marengo, V.)

[26] Commentaires de Napoléon 1er, t. IV, Marengo, VI.

[27] Strabon, V, I, 11.

[28] Henzen, inscr. n° 5126. — Cf. Carlo Promis, Storia dell' antica Torino, n° 44.

[29] Commentaires de Napoléon Ier, t. I. Campagnes d'Italie, chap. I : Description de l'Italie.

[30] Claudien, Panégyrique de Probinus et d'Olybre.

[31] Polybe, III, XL. — Appien, De bello Annibalico, V.

[32] Tacite, Hist., II, XIX, XXII.

[33] Pline, Hist. nat., III, VII. — Strabon, V, I, 11.

[34] Tite-Live, XXI, XLVIII ; XXXII, XXIX. — Polybe, III, LXIX.

[35] Telle est l'appréciation du savant Ferrari, dont une inscription, placée dans l'église de Casteggio, consacre la mémoire et la haute érudition.

[36] Polybe, III, LXI.

[37] Tacite, Hist., I, LXX.

[38] Pline, Hist. nat., III, VII.

[39] La géographie antique nous offre nombre de noms de lieux, de peuples et de fleuves, affectés du préfixe dissyllabique Asta. Outre l'Asta de Ligurie, il y avait en Espagne une Asta regia, dont on voit encore aujourd'hui les ruines entre Xérès et Tribugena. (Voy. Strabon, III, I, 9 ; III, II, 2 et 5 ; cf. Pline, Hist. nat., III, III.) — On y trouvait aussi une ville du nom d'Astapa. (Voy. Polybe, XI, XXIV ; Appien, De rebus Hispaniensibus, XXXIII.) — En Bithynie, sur l'emplacement du moderne Ouaschik ou de Bachkele, s'élevait une ville d'Astacus. (Voy. Strabon, XII, IV, 2 ; Pline, Hist. nat., V, XLIII ; Appien, De rebus Syriacis, LVII.) En Acarnanie, près du golfe qu'on nomme aujourd'hui Dragamesti, était un autre centre de population qu'on nommait aussi Astacus. — Les voyageurs distinguaient les Astes de la Thrace (Strabon, VII, VI, 2) des Astaceni du pays des Parthes (Pline, Hist. nat., II, CIX) et des Άσίακηνοί de l'Inde (Strabon, XV, I, 27 ; Pline, Hist. nat., VI, XXIII). — Enfin, sans parler du fleuve Astaces, qui arrosait le Pont (Pline, Hist. nat., II, CVI), il est acquis que les bras du Nil appelés aujourd'hui Bahr-el-Asrek, Aibara et Bahr-el-Abiad, étaient jadis connus respectivement sous les noms d'Astapus, Astaboras et Astasobas. (Voy. Strabon, XVII, I, passim ; Pline, Hist. nat., V, X.) — Diodore de Sicile et Pline le Naturaliste nous font connaître la signification du préfixe Asta. (Diodore de Sicile, I, XXXVII ; Pline, Hist. nat., V, X.) — Littéralement, comme on le voit, le mot implique le sens d'eau provenant d'une source ténébreuse. Si, d'ailleurs, on observe que les parages de l'Asta d'Espagne étaient fameux à raison de l'intensité de la marée (Strabon, III, I, 9 ; III, II, 2 ; III, II, 5), il sera permis de conclure que la constante Asta comporte intégralement le sens d'eau mystérieuse et extraordinaire ; que l'Asta de Ligurie devait probablement son nom à quelque circonstance remarquable observée dans le régime du Tanaro.

[40] Nous avons dit que le nom de Chivasso accuse une origine fort ancienne. Il est probable que ce centre était déjà organisé en oppidum au temps de l'expédition d'Annibal. — Colonel Sironi, Saggio di geografia strategica.

[41] Carlo Promis, Storia dell' antica Torino, cap. XII, et inscriptions n° 61, 62 et 71.

[42] De confederatione Astensium cum Carthaginiensibus. — Ex Odenato Farina. — Manuscrits de la bibliothèque de Turin, codex DCXLVII, chartaceus, constans foliis LIX, sæculi XV : Memoriale Raymondi Turchi, civis Aslensis.

[43] Manuscrits de la bibliothèque de Turin, codex MXLIV, chartaceus, sæculi XVI, foliis constans XXXIV. — Ex plurium Memorialibus, Jacobus Caze et Thomas Auricula ; — ex plurium Memorialibus, Jacobus de Borcanino ; — ex plurium Memorialibus, Paganus Incisia.

[44] Polybe, VII, IX.

[45] Polybe, III, LX.

[46] Polybe, XV, XXX.

[47] Tite-Live, XXVIII, IX ; XXX, XXI.

[48] Polybe, III, XX.

[49] Carlo Promis, Storia dell antica Torino, cap. II.

[50] Dépêche de Napoléon au prince Eugène, 5 août 1812.

[51] Allocution au Sénat, 20 décembre 1812.

[52] Polybe III, LX. — Tite-Live, XXI, XXXIX.

[53] Torino capitalissima. (Colonel Sironi, Saggio di geografia strategica.)

[54] Carlo Promis, Storia dell' antica Torino, n° 215.

[55] Turin est un centre d'où l'ennemi peut venir sur nous, c'est-à-dire sur Aix, sur Avignon, sur le Pont-du-Saint-Esprit, sur Valence, sur Lyon, sur Bourg-en-Bresse et sur Besançon... (De Montannel, Topographie militaire de la frontière des Alpes.)

[56] Turin était le gîte d'étape ordinaire des légions romaines qui avaient à franchir les Alpes dans un sens ou dans l'autre. Voyez Tacite, Hist., II, LXVI.

[57] On sait que la maison de Savoie fait remonter son origine au comte Humbert Ier, dont le fils Othon épousa l'illustre Adélaïde. Les comtés de Savoie et de Turin furent dès lors réunis pour former un duché à cheval sur les Alpes. Devenu ainsi le gardien des frontières franco-italiennes, le souverain du Piémont eut voix dans les conseils de l'Europe occidentale ; la diplomatie lui conféra le titre assez vulgaire, mais très-significatif, de Portier des Alpes. Voyez les Commentaires de Napoléon Ier, t. I, chap. II.

[58] Pline, Hist. nat., XXXV, VII.

[59] ... la città di figura quadrata. (Carlo Promis, Storia dell' antica Torino.)

[60] Carlo Promis, loc. cit.

[61] Carlo Promis, loc. cit.

[62] Carlo Promis, loc. cit.

[63] Carlo Promis, loc. cit.

[64] Carlo Promis, loc. cit.

[65] Carlo Promis, loc. cit.

[66] De bello Gallico, VII, XXIII. — Cf. Histoire de Jules César de l'empereur Napoléon III, t. II, liv. III, chap. X.

[67] Polybe, III, LX.

[68] Silius Italicus, Puniques, IV, v. 20-25. — Voyez, sur la mise en état de défense des places de l'antiquité : Végèce, Inst. rei milit., III, III, et IV, VIII.

[69] Silius Italicus, Puniques. IV, v. 23. — Dès le temps des guerres puniques, les Romains connaissaient l'emploi des lithoboles et des oxybèles. — Pline, Hist. nat., VIII, XIV. — Ces engins névrobalistiques étaient, d'ailleurs, depuis longtemps en usage. Voyez t. I, Appendice F.

[70] Polybe, III, LX. — Tite-Live, XXI, XXXIX. — Appien, De bello Annibalico, V.

[71] Polybe, III, LX.

[72] Pline, Hist. nat., XXXV, VII.

[73] Les pièces de gros calibre étaient alors très en faveur. Au siège d'Echiné, formé par Philippe III de Macédoine, le contemporain d'Annibal, les assaillants construisirent trois batteries de lithoboles ; un de ces engins névrobalistiques lançait des projectiles du poids d'un talent, ou de 120 livres romaines, c'est-à-dire de plus de 40 kilogrammes. — Polybe, IX, XLI.

[74] Athénée, Περί Μηχανημάτων, dans la Poliorcétique des Grecs, p. 9 de l'édition Wescher, Paris, Imprimerie impériale, 1867.) — Cf. Vitruve (X, XIX) et Tertullien (De Pallio).

[75] ... vieppiù se Annibale ne mando a fuoco le difese... (Carlo Promis, Storia dell' antica Torino, cap. II.

[76] Appien, De bellis civilibus, I, LI.

[77] Aulu-Gelle, XV, I. — Cf. Rabelais, Pantagruel, III, LII.

[78] Vitruve, Archit., II, II. — Cf. Rabelais, Pantagruel, III, LII.

[79] Suétone, Galba, III.

[80] Suétone, Galba, III. — Pline, Hist. nat., XII, LVI.

[81] Marcus Græcus, Liber ignium ad comburendos hostes. — Albert d'Aix, VI, XVIII. — Cf. Liv. V, chap. IV.

[82] Aulu-Gelle, XV, I. — Cf. Rabelais, Pantagruel, III, LII.

[83] Pline, Hist. nat., XIII, XXXIX. — Cf. Rabelais, Pantagruel, III, LII.

[84] Pline, Hist. nat., XVI, XIX. — Cf. Vitruve, Archit., II, IX ; Rabelais, Pantagruel, III, LII.

[85] Appien, De bellis civilibus, I, LI.

[86] Strabon, XIV, I, 36.

[87] Tacite, Annales, XII, XVI.

[88] Hérodote, Hist., II, CL.

[89] Voyez Victor Place, Ninive et l'Assyrie, t. II, liv. II, ch. II, pl. XL ; Botta, Monuments de Ninive, pl. LXXVII ; Layard, Monuments of Niniveh, Ire série, pl. XIX.

[90] Pline, Hist. nat., XXXVI, XIX et XX.

[91] Genèse, XLIX, 6.

[92] Josué, ch. II et VI, passim. — Les célèbres sonneries de trompettes n'avaient d'autre effet que de distraire l'attention des défenseurs et d'éteindre le bruit du travail des mineurs, entrés en galerie par un puits ouvert dans la maison de la courtisane Rahab.

[93] Josèphe, Antiquités judaïques, VI, VII, 2.

[94] Polyen, Stratagème, VII, XI, 5 ; Hérodote, Hist., IV — Cf. Æneas, Traité de la défense des places, chap. XXXVII, § 5. Trad. de Rochas.

[95] Méandre, assiégé dans Samos (490), échappe à Darius par une voie souterraine extrêmement compliquée. (Hérodote, Hist., III, CXLVI.) — Le siège de Platée est de l'an 419. Voyez Thucydide, II, LXXV et LXXVI. — Cf. Poliorcétique des Grecs, éd. Wescher.

[96] Diodore de Sicile, XII, XXVIII ; Plutarque, Périclès, XXVII ; Pline, Hist. nat., VII, LVII.

[97] Æneas, Traité de la défense des places, chap. XXXVIII, § 6. Trad. de Rochas.

[98] Compilation anonyme sur la défense des places, § 73. Traduction de Rochas. — Alexandre attaqua également à la mine la capitale du roi Sabus. — Voyez Quinte-Curce, IX, VIII.

[99] Végèce, Inst. rei militaris, IV, XX.

[100] Voyez le fragment inédit d'Athénée, inséré dans la Poliorcétique des Grecs (éd. Wescher), ayant pour titre : Περί όρυκτρίδος χελώνης. — Cf. Vitruve, Arch., X, XV.

[101] Les sièges de Palée, de Thèbes et d'Échine furent opérés par Philippe, de 221 à 217, c'est-à-dire au début même de la deuxième guerre punique. Voyez Polybe, V, IV et C ; IX, XLI.

[102] Polybe, XVI, XI ; Frontin, Stratag., III, VIII, 1 ; Polyen, Stratag., IV, XVIII, I.

[103] Polybe, XVI, XXX.

[104] Vitruve, Archit. X, XVI. — Le siège d'Apollonie est de l'an 214 et tombe, par conséquent, à l'époque où le vainqueur de Cannes opère dans le sud de la Péninsule.

[105] Le siège de Lamia fut formé en 191, huit ans avant la mort d'Annibal.

[106] Pline, Hist. nat., XXXVI, XXIV.

[107] Pline, Hist. nat., XXXVI, XXIV ; Suétone, Claude, XX ; Tacite, Annales, XII, LVI et LVII. — Cf. Orelli, inscr. 796 ; Niebuhr, passim ; M. Geffroy, Dessèchement du lac Fucin, dans la Revue des Deux-Mondes, numéro du 15 octobre 1877.

[108] Tite-Live, IV, XXII ; V, XIX et XXI ; X, X. — Cf. Plutarque, Camille, V.

[109] Polybe, I, XLII.

[110] Polybe, XXII, XI ; Tite-Live, XXXVIII, VII.

[111] Tite-Live, XXI, XI.

[112] Polybe, I, XLII.

[113] Voyez tome I, liv. III, chap. III, Sagonte.

[114] Tite-Live, XXXIX, LI.

[115] Tite-Live, V, XIX.

[116] Stace, Thébaïde, II, v. 418-419. Cf. Pline, Hist. nat., XXXIII, XXI.

[117] Ammien Marcellin, XXIV, IV.

[118] Végèce, Inst. rei militaris, II, XI. — Les Grecs donnaient aux mineurs militaires les dénominations de μεταλλικοί, μεταλλεΐς, όρυτίόντες. — Voyez Polybe, XXII, XI.

[119] Ammien Marcellin, XXIV, IV.

[120] C'est le titre d'architectus que Vitruve (Arch. X, XVI) donne à l'Alexandrin Tryphon, le défenseur d'Apollonie. — Cf. Ammien Marcellin, XXIV, IV et passim.

[121] Végèce, Inst. rei mililaris, II, XXI.

[122] Inst. rei militaris, II, XXV.

[123] Pline, Hist. nat., XXXIII, XXI.

[124] Ces piliers naturels taillés dans la roche étaient dits cervices fornicum. (Pline, Hist. nat., XXXIII, XXI.)

[125] Polybe, V, IV et C.

[126] Polybe, V, IV et C.

[127] Appien, De bellis civilibus, I, CXII.

[128] Josèphe, De bello Judaico, passim.

[129] Tite-Live, XXXVIII, XVII. — Vitruve, Archit., X, XVI.

[130] Pline, Hist. nat., XXXIII, XXI. — Cf. Végèce, Inst. rei militaris, IV, XXIV.

[131] Ammien Marcellin, XXIV, IV.

[132] Inst. rei militaris, IV, XXIV.

[133] Polybe, XXII, XI. — On voit que l'usage de la parallèle ne date point d'hier ; seulement, il s'agit ici d'une galerie couverte, formée de vignes.

[134] Polybe, XXII, XI. — Suidas attribue au πλέθρον une valeur de 100 pieds, soit 29 mètres 585 millimètres ; d'autres commentateurs assignent à cette mesure celle de la sixième partie du stade, ou 30 mètres 83 centimètres. Il nous est donc permis de dire qu'une longueur de 2 πλέθρα équivaut à peu près à celle de 60 mètres.

[135] Nous disons bien des saillants, car les divers tracés de l'antiquité comportaient des brisures méthodiques. — Ammien Marcellin, XX, VII. — Cf. t. I, Appendice D, § 3, et pl. II : Fortifications de Carthage.

[136] Polybe, V, IV, et XVI, XI.

[137] Polybe, V, C.

[138] Polybe, III, LX.

[139] Lettre de M. de Chamarande à M. de Chamillart, du 30 juin 1706. — On sait que les travaux de mines exécutés au cours du siège de 1706 sont demeurés célèbres dans les annales de l'art de l'attaque et de la défense des places.

[140] Plutarque, Camille, V. — Les Grecs employaient, en outre, les désignations techniques de : διώρυξ, όρυγμα, μέταλλον et σύριξ. — Hérodote, Hist., III, CXLVI. — Polybe, V, IV, et XXII, XI.

[141] Végèce, Inst. rei militaris, IV, XXIV. — Les Latins appelaient aussi la galerie de mine specus, fodina, trames subterraneus. — Tite-Live, X, X ; Vitruve, X, XVI. — Ammien Marcellin, XXIV, IV.

[142] Polyen, Stratag., VII, XI, 5.

[143] La galerie de mine à laquelle il est ici fait allusion a été ouverte par Jules César, à l'effet de couper l'eau potable aux défenseurs d'Uxellodunum (Puy-d'Issolu), oppidum gaulois situé sur la rive droite de la Dordogne. La découverte de ce monument d'architecture souterraine est due aux habiles recherches de M. J. B. Cessac. La galerie de Puy-d'Issolu ne nous fait pas seulement connaître les dimensions du profil en usage chez les Romains ; elle nous apprend, en outre, que les anciens savaient pratiquer des retours droits et obliques, ainsi que des changements de pente. Le sol de leurs rameaux était même parfois affecté de ressauts brusques ; dans ce cas, la différence de niveau était rachetée par des escaliers. — Ammien Marcellin, XIX, V.

[144] Cette grande galerie ordinaire doit avoir de 1 mètre 85 centimètres à 2 mètres de hauteur sur 1 mètre de largeur dans œuvre.

[145] Polybe, V, C, et XXII, XI. — Tite-Live, V, XIX.

[146] Tite-Live, V, XIX.

[147] Polybe, XXII, XI.

[148] Pline, Hist. nat., XXXIII, XXI.

[149] Végèce, Inst. rei militaris, II, XXV.

[150] Pline, Hist. nat., XXXIII, XXI.

[151] Ammien Marcellin, XIV, I.

[152] Diodore de Sicile, III, XII. — Pline, Hist. nat., XXXIII, XXI.

[153] Pline, Hist. nat., XXXIII, XXI, et XXXIV, L.

[154] M. Alexandre Brisse, ingénieur en chef du dessèchement du lac Fucino, exécuté pour le prince Alexandre Torlonia, a retrouvé trace des travaux d'aérage ordonnés par les ingénieurs de l'empereur Claude. L'appel d'air respirable dans le tunnel romain résultait du jeu d'un heureux dispositif de puits verticaux coupés de rameaux obliques en forme de siphons, rameaux que les gens du pays nomment cunicoli. Sur une longueur de tunnel de 55g5 mètres, les mineurs romains n'ont pas ouvert moins de six cunicoli et de quarante puits verticaux. Voyez l'article de M. Geffroy, Le desséchement du lac Fucin, dans la Revue des Deux-Mondes, numéro du 15 octobre 1877.

[155] Polybe, XVI, XI, et XXII, XI. — Ammien Marcellin, XXIV, IV.

[156] Polybe, XXII, XI.

[157] Æneas, Défense des places, chap. XXXVII, § 5. Trad. de Rochas. — Cf. Hérodote, Hist., IV, CC.

[158] Vitruve, Archit. X, XVI.

[159] Æneas, Traité de la défense des places, chap. XXXVIII. Trad. de Rochas. — Cf. Philon de Byzance, ch. III, § 5. Même trad.

[160] Æneas, loc. cit. — Cf. Philon de Byzance, ch. IV, § 25. Trad. de Rochas.

[161] Philon de Byzance, loc. cit. — Cf. César, De bello Gallico, VII, XXII.

[162] Æneas et Philon de Byzance, loc. cit.

[163] Ce moyen d'enfumer les galeries de mine fut pratiqué surtout au siège d'Ambracie, lequel fut formé l'an 189 avant notre ère, soit six années avant la mort d'Annibal. — Voyez Polybe, XXII, XI ; Tite-Live, XXXIII, VII.

[164] Æneas, loc. cit. C'est suivant ce principe d'Æneas que, lors du siège de Thémiscyre par Lucullus (68 av. J. C.), les galeries de mine furent livrées non-seulement à des essaims d'abeilles, mais encore à des ours et à d'autres fauves. — Appien, De bello Mithridatico, LXXVIII. — L'emploi des crocodiles et des grands ophidiens était encore de mode, au moyen âge, dans les opérations de guerre souterraine. Richard Cœur-de-Lion prit, en 1188, sur les côtes de Syrie, un navire musulman portant toute une cargaison de ces animaux destinés à la défense des contre-mines de Saint-Jean-d'Acre.

[165] Journal historique du siège de la ville et de la citadelle de Turin, en 1706, par le comte Solar de la Marguerite, lieutenant général d'artillerie, commandant celle de la place pendant le siège. Turin, Imprimerie royale, 1838.

[166] L'armée de siège placée sous les ordres du duc de la Feuillade était forte de 40.000 hommes, 110 bouches à feu de gros calibre et 49 mortiers. Elle arriva sous les murs de la place le 12 mai 1706 ; dès le 14, elle commença ses lignes de contrevallation, qui furent à peu près terminées le 25 ; l'ouverture de la tranchée s'opéra dans la nuit du 2 au 3 juin. Lorsque, le 7 septembre suivant, l'armée de secours du prince Eugène vint attaquer leurs lignes, les assiégeants étaient là depuis cent dix-sept jours, dont quatre-vingt-dix-sept de tranchée ouverte. A cette date, leur effectif se réduisait à 26.000 hommes : 20.000 d'infanterie, 6.000 de cavalerie. Coïncidence bizarre ! ces chiffres mesurent exactement l'état des forces carthaginoises, au jour de leur arrivée sous Turin.

[167] I Romani non si studiarono... d'unirsi ai Taurini, che lasciarono distruggere da Annibale. (Morelli, Passages des Alpes, Turin, ms. de la Bibliothèque du Roi.) — Che se i Taurini respinto avessero Annibale non v' era modo pei Romani di occuparne il paese ; ma quegli li assale e stermina, e Roma lo lascia fare ; poi alfine vince, invade la contrastata regione e la riduce a provincia. (Carlo Promis, Storia dell’ antica Torino, cap. II.)

[168] Histoire du prince Eugène, ap. G. Mengin, Relation du siège de Turin, Paris, 1832.

[169] Lettre du duc de Vendôme à Louis XIV, du 1er octobre 1705.

[170] Polybe, III, LX.

[171] Lettre du duc de Vendôme au roi, du 1er octobre 1705.

[172] Lettre du duc de la Feuillade à M. de Chamillart, du 6 août 1706.

[173] Lettre du duc de la Feuillade à M. de Chamillart, 1er septembre 1705.

[174] Lettre de Vauban à la Feuillade, du 13 septembre 1705.

[175] Lettre du duc de Vendôme au roi, du 1er octobre 1705.

[176] Lettre de M. de Chamillart au duc de la Feuillade, du 6 juillet 1706.

[177] Végèce, Inst. rei militaris, IV, XXIV.

[178] Végèce, Inst. rei militaris, IV, XXIV.

[179] Polybe, III, IX. — Appien, De bello Annibalico, V.

[180] Tite-Live, XXI, XXXIX.