HISTOIRE D'ANNIBAL

 

LIVRE CINQUIÈME. — LES ALPES.

CHAPITRE IV. — LE MONT GENÈVRE.

 

 

Les agents des services administratifs de l'armée carthaginoise venaient de faire chez les Allobroges des dépenses considérables, que les payeurs ou mechas'bim avaient immédiatement soldées en numéraire[1]. Les caisses du Trésor semblaient inépuisables, et les soldats pensaient peut-être que leur général en chef avait mis la main sur les richesses accumulées à Carthage par la reine Elissa[2].

Grâce à cet argent bien employé, l'armée s'était refaite. Il ne lui manquait rien en fait de vivres, d'effets d'équipement, d'habillement, de chaussures[3] ; abondamment pourvue d'objets de campement de toute espèce, d'outils, de munitions, elle emportait un armement complet et en parfait état[4]. Les ateliers organisés à Grenoble avaient permis de réparer le matériel de guerre ; les arsenaux, bourrés de rechanges préparés à l'avance, avaient rendu facile l'opération des remplacements.

Quelle était la composition de ce matériel ? Il est bien difficile d'en restituer une nomenclature exacte, car on ne dispose, à cet égard, d'aucune autre donnée que ce seul mot de Polybe[5] : τών όπλων. Cette expression, très-générale, vise évidemment les armes offensives et défensives du soldat ; mais elle doit, en outre, à notre sens, s'appliquer à l'ensemble des appareils, engins, agrès et substances diverses dont toute armée en campagne a, chaque jour, besoin de faire usage.

Est-il permis de penser que ce matériel comprenait des pièces d'artillerie névrobalistique ? Bien que la question semble assez délicate, le colonel Macdougall n'hésite pas à la résoudre négativement[6] ; nous sommes d'un sentiment contraire.

Un court exposé de motifs ne sera certainement point taxé de digression inutile. Au moment de mesurer les difficultés de l'opération du franchissement des Alpes, nous ne saurions omettre de mentionner ce fait, incontestable à nos yeux, qu'Annibal avait à traîner à sa suite un matériel d'artillerie de campagne.

L'emploi des appareils névrobalistiques[7] n'était pas alors chose nouvelle : les Phéniciens faisaient, depuis nombre de siècles, usage de la baliste, dont l’invention leur est attribuée[8]. Ce qu'il convient surtout d'observer, c'est que les péripéties de la deuxième guerre punique se développent au cours de la période alexandrine, c'est-à-dire au temps où l'art de la construction des machines de jet touche à l'apogée de sa puissance. C'est l'heure où le monde militaire préconise à grand bruit les pétroboles de Charon, les lithoboles d'Isidore[9] ; où Denys fonde à Syracuse une véritable école d'ingénieurs[10]. L'art venu de l'Orient s'implante avec une facilité merveilleuse au sud de l'Europe occidentale : Zopyre invente ses gastraphètes[11] ; Archimède perfectionne tous les appareils connus[12].

Les principes, jusqu'alors dispersés, sont réunis en corps ; Héron et Biton publient les traités didactiques[13] qui doivent en arrêter les bases. On est en droit de supposer que cette célèbre période alexandrine, si féconde en inventions de machines de siège et de place, a vu naître également l'artillerie de campagne. Ce qu'on sait, c'est qu'Archimède, habile à construire des balistes de tout calibre[14], faisait spécialement de petites pièces très-mobiles, que Polybe désigne sous le nom de σκορπίδια[15] ; il est, d'autre part, avéré que le matériel carthaginois comportait nombre de ces petits calibres[16].

En ce qui concerne les Romains, l'épisode du serpent de la Medjerda nous démontre surabondamment qu'ils avaient des pièces de campagne dès le temps de la première guerre punique[17]. Nous ne serons donc pas trop surpris d'apprendre qu'ils faisaient, au cours de la deuxième, usage de carrobalistes[18]. Or aucun procédé ne se monopolise, à la guerre ; les découvertes tendent, au contraire, à se propager entre puissances belligérantes. Si donc les légions consulaires marchaient appuyées d'une artillerie de bataille, il est présumable que les troupes carthaginoises disposaient de moyens analogues.

Suivant cette hypothèse plausible, peut-on restituer d'une manière satisfaisante le matériel de campagne d'Annibal ? Assurément non, car les documents font défaut. Une telle restitution pourrait, au plus, s'induire d'une description fidèle du matériel romain, et, en ce qui concerne celui-ci, on ne possède que des données afférentes aux temps de l'Empire[19]. Ce qu'il importe de retenir ici, c'est qu'à chaque légion romaine était attachée une division de cinquante-cinq carrobalistes et de dix onagres, soit, ensemble, soixante-cinq pièces de campagne[20] ; que le transport de chaque pièce nécessitait l'emploi de deux bêtes de trait[21] ; que, par conséquent, le train d'artillerie d'une légion comportait au moins cent trente bœufs, mulets ou chevaux[22] ; que le service des batteries névrobalistiques était confié spécialement à des légionnaires, désignés communément sous le nom d'artifices et de balistarii[23], placés sous les ordres d'un præfectus militum balistarioram ; enfin, qu'il fallait ordinairement onze hommes pour servir une pièce de campagne[24]. En admettant pour l'armée d'Annibal le fait d'une organisation similaire, et observant que, au sortir de Grenoble, l'effectif de son infanterie est encore de 38.000 hommes, c'est-à-dire d'une importance égale à celle d'environ huit légions romaines, on arrive aux chiffres suivants : 500 pièces de campagne, nécessitant pareil nombre d'attelages à deux, et 5.500 artilleurs[25].

Outre ces 38.000 hommes d'infanterie, l'armée réorganisée à Grenoble comprend 8.000 hommes de cavalerie et 37 éléphants[26].

Ces effectifs, mis en regard du chiffre des 21 journées de marche qui vont être employées à faire la route de Grenoble à Turin[27], impliquent un convoi considérable. On peut, par comparaison avec les besoins d'une armée moderne, apprécier, jusqu'à certain point, l'importance des impedimenta d'Annibal.

Au moment de s'éloigner de sa base d'opérations secondaire, le jeune général eut à cœur de passer l'inspection de ses troupes, qui, on ne saurait le méconnaître, formaient bien l'antithèse des bandes que Charles VIII devait plus tard conduire dans les mêmes voies[28]. Disciplinées, bien équipées, bien vêtues, elles étaient magnifiques. Ces belles troupes défilent sous les yeux d'Annibal, qui les inspecte minutieusement : hommes et chevaux sont tous examinés l'un après l'autre ; partout, les fautes sont corrigées ; les omissions, réparées ; aucun détail n'échappe à la prévoyance du général en chef. Ainsi, deux mille ans plus tard, devait défiler sous les yeux du premier consul l'armée française concentrée à Lausanne[29].

Annibal ne néglige pas non plus l'œuvre de la préparation morale. Avant de faire passer ses hommes sur la rive gauche de l'Isère, il les réunit, les harangue et fait en sorte de leur communiquer son ardeur[30]. Mais, cette fois, contre son attente, ses paroles semblent se perdre dans le vide les soldats l'écoutent silencieusement, les yeux baissés ; l'enthousiasme des premiers jours est éteint ; il règne même dans les rangs une froideur glaciale... Quelle en peut être la cause ? On s'enquiert, on apprend qu'il court parmi les troupes des bruits sinistres, qui bouleversent les imaginations et paralysent les cœurs les mieux trempés. Ces soldats, ordinairement si fermes en face du danger, si solides aux jours de bataille, cèdent sans résistance au pouvoir qu'exerce sur leur esprit un mystérieux cycle de légendes ; ils se troublent au récit des horreurs qu'on raconte[31] ; les Alpes leur apparaissent sous un aspect terrible ; ils sont saisis d'épouvante[32] !

En cela, ces braves gens, hâtons-nous de le dire, ne se faisaient que l'écho des opinions alors généralement admises. Les anciens, en effet, s'exagéraient singulièrement les proportions du massif des Alpes. Polybe était frappé du fait de leur immense hauteur, de l'ampleur de leurs dimensions, qu'il évalue au quintuple des dimensions homologues de toutes les montagnes de la Grèce. Leur épaisseur, dit-il[33], ne mesure pas moins de 2200 stades ou 407 kilomètres !... Strabon s'étonnait également de cette hauteur prodigieuse, qu'il évaluait à 18 kilomètres et demi, soit à plus du quadruple de la hauteur véritable et au double de celle de l'Himalaya[34].

Enchérissant encore sur ces gros chiffres, Pline, qui ne recule pas toujours devant les énormités, donne à quelques pitons des Alpes la hauteur vertigineuse de cinquante mille pas, soit près de 74 kilomètres[35]. De telles mesures pouvaient, à bon droit, sembler fabuleuses[36], et il fut permis non-seulement à la poésie[37], mais encore à l'histoire[38], d'exposer que ces pics majestueux passaient pour les piliers de la voûte du ciel. De telles appréciations étaient bien de nature à faire sur de pauvres soldats une impression profonde, à frapper des esprits simples, toujours disposés à se soumettre à l'empire du merveilleux. Aussi ne pouvaient-ils s'empêcher de trembler devant ces cimes perdues dans les nuages[39]. Comment, se disaient-ils, affronter ces lieux dévastés par le vent[40], où règne un hiver éternel[41] ? Croit-on qu'il soit possible d'avoir raison de la neige et des glaces[42] sous lesquelles ils sont ensevelis ? Non, ce sont d'horribles déserts[43], de funèbres chaos de terres bouleversées par tous les éléments, des forêts de pics, d'aiguilles, de rochers sauvages[44], que n'a jamais tâtées le pied de l'homme. Non, jamais la cavalerie de l'armée, jamais les éléphants, ni même l'infanterie légère, ne sauraient triompher de ces obstacles insurmontables[45]. Car il est bien certain qu'elles sont absolument infranchissables, ces Alpes si affreusement désolées[46]. Se frayer un passage au travers de ces gorges sinistres, ce serait accomplir un prodige[47]. Et, le prodige accompli, s'il pouvait l'être, que deviendrait-on de l'autre côté de ces gigantesques escarpements ? Où trouverait-on, s'il en était besoin, une ligne de retraite ? On n'aurait plus qu'à périr de désespoir, car on serait dans une impasse, acculé à d'inexorables murailles[48].

Tels étaient les propos des soldats.

Mais ce qu'ils n'exprimaient pas, ce qu'Annibal devinait à leur attitude, c'était le caractère particulier des impressions qu'ils subissaient. Le jeune général ne pouvait s'y méprendre : ses hommes se laissaient envahir par un profond sentiment de terreur sacrée[49].

C'est que, en effet, l'aspect des montagnes implique une mesure saisissante de la puissance divine. A cette vue, l'homme acquiert, en frissonnant, l'intuition des grands phénomènes géogéniques ; il reçoit une révélation de la violence des commotions séismiques, de l'alternance des submersions et des soulèvements[50], de l'ensevelissement des terres sous leurs suaires de glace, de tous les cataclysmes, brusques ou lents, de tous les épisodes du drame inénarrable de la Création. Tout colosse de roches vives apparaît à ses yeux comme le mystérieux témoin d'un phénomène de bouleversement de l'écorce du globe.

Frémissant aux dernières trépidations d'un sol qui, parfois encore, se dérobait sous leurs pas[51], les premiers représentants de la race adamique eurent sans cesse grand effroi des montagnes, et leurs théogonies naïves ne manquèrent pas de les peupler d'une foule de divinités[52]. Puis, vivement impressionnée par les tableaux de la nature si facilement encadrés de fantômes, leur imagination en vint, sans trop d'efforts, à l'anthropomorphisme topographique[53].

La montagne elle-même devint divinité. Tout massif proéminent fut un titan, un géant, un cyclope[54], en tous cas un monstre effroyable dont les hommes devaient conjurer la fureur.

Annibal s'était ému de la terreur répandue dans les rangs de ses troupes ; il en pénétrait les causes et ne s'en dissimulait ni l'étendue, ni les conséquences.

A tout prix, il fallait raffermir ces cœurs chancelants. Ayant donc fait assembler son armée[55], il sut trouver, pour l'émouvoir, des paroles chaleureuses[56]. Eh quoi ! s'écria-t-il, c'est vous que gagne une indigne frayeur ! vous, les soldats de l'armée d'Espagne, les vainqueurs de Sagonte ! Vous avez, non sans danger et sans gloire, passé l'Ebre, les Pyrénées, le Rhône ; et c'est au pied des Alpes que vous vous arrêtez ! Pourquoi frémissez-vous ? De quels fantômes peuplez-vous ces Alpes, dont le seul aspect vous agite ? Vous imaginez-vous qu'elles soient autre chose que des montagnes ? Fussent-elles plus hautes que les Pyrénées, les pensez-vous infranchissables ? Tenez, voici nos guides qui viennent de les traverser ; ils y ont suivi des chemins battus, car vous ne supposez point que les oiseaux leur aient prêté des ailes. La chaîne n'est pas seulement praticable aux voyageurs isolés ; elle a jadis livré passage à des armées, à des populations entières, à des colonnes embarrassées de femmes, de vieillards et d'enfants. Et vous, soldats, qui ne portez que vos armes, vous n'oseriez pas aujourd'hui prendre le même chemin ! Marchons sans crainte, et que les dieux nous protègent ![57] Cette énergique péroraison fut aussitôt suivie d'un sacrifice aux divinités carthaginoises. En les invoquant d'une voix ferme, le jeune orateur les conjura de protéger chacun de ses compagnons d'armes[58].

Telle était la coutume du grand Carthaginois. Jamais il n'engageait ses troupes dans quelque entreprise avant de les avoir conviées à une solennité religieuse[59]. La raison en est simple : il savait par intuition que la religiosité constitue, en anthropologie, un fait considérable, le seul peut-être qui soit essentiellement caractéristique[60] ; il sentait que l'expression de ce sentiment inné doit nécessairement entrer dans les formules de l'art militaire pratique, de même qu'elle s'impose à tout programme de gouvernement rationnel. Ces maximes n'étaient pas alors universellement admises ; Polybe insiste, en effet, sur cette intervention des dieux au cours du passage des Alpes, de manière à laisser croire que l'opportunité du sacrifice d'Annibal fut longuement discutée par une foule d'écrivains du temps, diversement interprétée[61], critiquée et, vraisemblablement, bafouée. Deux mille ans ont passé sur ces événements. La question de principe divise encore les hommes, et, sous prétexte de progrès, certaines écoles philosophiques refusent au soldat cette nourriture morale, qui complète, aux yeux du commandement, la valeur de la ration de pain[62].

Honteuse d'un moment de faiblesse, mais ranimée par la parole de son général en chef, l'armée carthaginoise a fermement relevé la tête. C'est d'un pas assuré qu'elle sort de Grenoble. Couverte sur ses derrières par un détachement de partisans allobroges que le brenn, restauré dans l'île, vient de mettre à sa disposition[63], elle suit la rive droite du Drac et parvient allègrement à Vizille[64]. (Voyez la planche VI.)

Là s'offrent deux moyens de gagner la haute Durance[65] : prendra-t-on par la vallée de la Romanche, ou poursuivra-t-on le long du Drac ? Annibal s'est depuis longtemps prononcé sur la question que soulève le fait de cette bifurcation : il a choisi le Drac, à raison de la sécurité relative qu'il offre au voyageur[66]. Les Carthaginois franchissent donc la Romanche et poussent sur Laffrey pour pénétrer dans la Matasine[67], dont ils côtoient les lacs[68]. Puis ils défilent parallèlement à la ligne de crêtes que jalonnent les monts de la Serre, de la Chamoussière, du Mouchet[69], passent par la Mure[70] et parviennent à l'entrée du Valbonnais[71]. (Voyez la planche VII.)

Là s'ouvre encore une voie de communication naturelle, qui, conjuguée avec celle qu'ils suivent, forme, pour ainsi dire, un chemin de ronde enlaçant, à sa base, le massif du Pelvoux[72]. Ils pourraient pénétrer dans ce Valbonnais, franchir le col d'Ornon et gagner la Romanche ; mais ce chemin, étudié par le général en chef, n'est pas entré dans le tracé de la directrice de marche qu'il a cru devoir arrêter. La colonne continue à remonter le Drac.

Cependant, non loin de la bifurcation des routes, le confluent du Drac et de la Bonne présente un dangereux passage[73]. C'est celui du Ponthaut, où les autorités de Grenoble songèrent à arrêter Napoléon Ier, lors de son retour de l'île d'Elbe[74].

Il était à craindre que cette position, qui commande si bien le Drac, ne fut occupée en force par les Tricorii, qui, nous l'avons dit, possédaient, outre la vallée du Drac, les vallées latérales de l'Hébron, de la Souloise, de la grande Severaisse[75], c'est-à-dire les pays de Trièves, du Devoluy, du Val Godemar[76]. Les Tricorii s'étaient effectivement établis au Ponthaut, dans le dessein non équivoque d'y arrêter les Carthaginois ; mais, dès qu'ils eurent aperçu l'avant-garde de cavalerie tamazir't, le courage leur faillit[77]... ils ne s'exposèrent point aux hasards d'une attaque. La colonne défila donc tout entière sous leurs yeux, sans courir le moindre danger. Quand elle fut passée, ils eurent l'idée de se jeter sur ses derrières ; mais, malgré l'envie qu'ils en avaient, ils n'osèrent tenter l'aventure ; l'arrière-garde, formée des Allobroges du brenn, sut les tenir fermement en respect[78]. On put, en conséquence, monter paisiblement vers Corps[79]. La marche jusqu'alors accomplie à partir de Grenoble mesurait 64 kilomètres ; on se trouvait à l'altitude de 900 mètres.

Au delà de Corps, un nouvel obstacle allait se présenter ; le général en chef n'était pas sans inquiétudes. La route qu'on suivait pouvait, en effet, être coupée au pas d'Aspre ; c'est le nom d'un étranglement qu'on rencontre aux abords du confluent de la grande Severaisse[80]. Ce dangereux couloir, cette porte de fer (ou mieux d'enfer), c'est la clef de la montagne ; la possession en est réellement du plus haut prix pour qui veut défendre les Alpes, et Catinat fit acte de haute sagesse en l'occupant, au cours de la campagne de 1692.

Les Tricorii avaient également pris position au pas d'Aspre et y barraient absolument la route[81]. Leur attitude était des plus menaçantes ; pour peu qu'ils eussent de vigueur, l'armée carthaginoise risquait d'être mise en échec. Mais, de même qu'au Ponthaut et pour les mêmes raisons, les bandes malintentionnées s'abstinrent de toute démonstration hostile. et la colonne passa.

Sorti sans accident de ce corridor sombre, Annibal s'éleva sans peine jusqu'à la vallée du haut Drac, qu'on désigne sous le nom de Champsaur[82]. C'est un pays fertile, ayant pour chef-lieu Saint-Bonnet[83], et qu'arrose, outre le Drac, la petite Severaisse.

Jusqu'alors, la ligne d'opérations des Carthaginois a festonné le chemin que, deux mille ans plus tard, Napoléon doit faire en sens inverse[84]. Jusque-là, à l'exception de deux mauvais pas, heureusement traversés, les difficultés n'ont pas été sérieuses[85]. On a cheminé par une vallée ouverte[86] ; les riverains n'ont pas opposé de résistance[87], et ces six jours de marche[88] ont été vivement enlevés.

Mais les choses vont changer de face aux environs de Saint-Bonnet, là où Napoléon craignait tant d'être arrêté, soit par un détachement de la garnison d'Embrun, soit par les troupes de Mouton-Duvernet, venant de Grenoble[89].

C'est là, non loin de Saint-Bonnet, que s'ouvre le débouché connu des anciens sous le nom d'entrée des Alpes[90] ; c'est là qu'est l'origine de ces saltus Tricorii reliant le Drac à la Durance, et dont les difficultés étaient alors devenues proverbiales. Les Carthaginois vont se trouver aux prises avec les obstacles de toute nature, que ne cessera de leur opposer l'âpreté des lieux[91]. Ils auront à pratiquer d'étroits sentiers tracés au flanc des rochers à pic ou festonnant la scie aiguë des crêtes. Les hommes, les chevaux, les bêtes de charge, y prendront le vertige et rouleront au fond des abîmes[92] ; chaque pas fait en avant sera peut-être le prélude d'un accident irréparable.

On va, d'autre part, se trouver en présence de gens plus dangereux que les Tricorii. Ce sont : les Voconces, dont il faut côtoyer les montagnes[93], et avec lesquels il n'a pas été possible de traiter ; les Katoriges, qui ne sont pas seulement défiants, presque sauvages, ivres d'amour de l'indépendance[94], mais encore amis déclarés des Romains[95]. Pour comble de disgrâce, l'escorte des Allobroges ne peut pousser au delà de Saint-Bonnet, limite extrême du territoire des Tricorii ; elle doit redescendre le Drac pour regagner Grenoble[96] Que va-t-il advenir de tant de conditions mauvaises ?

Trois moyens distincts s'offrent à qui, de Saint-Bonnet, veut se porter sur la Durance. Les colonnes carthaginoises pouvaient : ou remonter le Drac jusqu'au confluent du Drac d'Orcières, suivre cet affluent, passer les cols du Haut-Martin et de Bonvoisin, à l'effet de déboucher à la hauteur du Pallon[97] ; —ou, plus au sud, gagner, par Prapic, le col de Freissinières, pour arriver à Réotier (Montdauphin)[98] ; — ou, enfin, piquer droit sur la Durance par l'un des cols qui coupent au plus court les Alpes du Dauphiné[99]. (Voyez la planche VII.)

C'est ce dernier chemin qu'Annibal a choisi. Il s'avance dans le Champsaur jusqu'à Forest-Saint-Julien. Là, prenant pour objectif la capitale des Katoriges, il s'apprête à frapper au cœur l'ennemi qui lui défend l'accès de la région des crêtes.

Les commentateurs ne sont guère d'accord sur la date de l'arrivée d'Annibal au sommet des Alpes, et cependant les textes semblent fournir, à cet égard, des renseignements précis. Polybe et Tite-Live nous font, en effet, connaître qu'on touchait alors au moment du coucher héliaque de la constellation des Pléiades ou Vergilies[100]. Sur ces données, M. Chappuis place l'événement aux premiers jours de septembre[101] ; et l’éminent Carlo Promis, à la fin du même mois[102]. L'astronome anglais Maskelyne propose le 26 octobre[103] ; mais il est vivement combattu par le comte Vignet[104]. Columelle fixe cependant le coucher des Pléiades au 26 ou 27 octobre[105] ; César et Varron, à cette même date du 27[106]. Malgré ces autorités, l'Art de vérifier les dates adopte l'échéance du 9 novembre, et, suivant la version de Pline[107], M. Imbert-Desgranges admet que c'est le 11 novembre seulement qu'Annibal a mis le pied sur les crêtes de la chaîne. L'écart qui se manifeste entre les avis extrêmes ne mesure donc pas moins de soixante et dix jours.

En présence d'une telle divergence d'opinions, la critique s'émeut et n'ose se prononcer. Aussi avons-nous cru devoir faire part de notre embarras au directeur de l'Observatoire de Paris, enlevé si prématurément à la science, il y a quelques années. L'illustre et regretté Delaunay nous ayant nettement confirmé l'exactitude des calculs de Maskelyne, nous n'avons plus hésité à admettre cette date du 26 octobre, admise avant nous par le général Melville, Deluc, Cramer et Daudé de Lavalette[108].

Etant ainsi donnée la date de l'arrivée des Carthaginois au point culminant, il est possible de scander leur marche au travers des Alpes et d'arrêter idéalement leur journal d'étapes. Est-ce à dire que, en procédant ainsi, nous songions à suivre l'exemple des commentateurs qui, revenant sur leurs pas, jusqu'à l'origine de la ligne d'opérations, déterminent l'époque de toutes les haltes d'Annibal ? Telle n'est point notre prétention. Nous ne voulons point écrire de roman, mais seulement fixer les idées et dresser un cane- vas chronologique sur lequel se développeront plus clairement les événements dont nous allons présenter le récit.

Donc, le 18 octobre, Annibal, sortant de la vallée du Champsaur, commence à gravir les premières pentes[109] de la longue croupe qui se développe en pointe aiguë, de l'est à l'ouest, entre le cours du Drac et celui du torrent d'Ancelle. Parti de Forest-Saint-Julien, il atteint rapidement sur cette croupe l'altitude 1.194 mètres, s'élève de là sur Saint-Hilaire (1.293 mètres), et arrive à Ancelle (1.355 mètres), gros village assis au centre d'une vallée assez ample, mais qui paraît absolument fermée de toutes parts[110]. Là, ses colonnes ont fait 9 kilomètres ; leur ascension verticale mesure déjà 321 mètres. Il les arrête pour leur faire prendre un instant de repos.

Jusque-là tout va bien, et le jeune général est maître de la situation ; mais il entrevoit déjà les difficultés qui vont l'assaillir.

Pour en apprécier l'importance, il faut se rappeler que les Carthaginois se proposent de passer de la vallée du Drac dans celle de la Durance, de franchir ce contrefort épais qui se détache du mont Tabor sous le nom d'Alpes du Dauphiné. Campés sur les bords du torrent d'Ancelle, affluent du Drac, ils ont à sauter de là dans la vallée de la Panerasse, affluent de l'Avance, qui est elle-même un affluent de la Durance, et, par conséquent, à pratiquer l'un des cols (saltus) qui débouchent dans le vallon d'Ancelle. Ces cols sont ceux de Combeous, de Rouanette, de la Couppa, de la Pioly[111]. Nous estimons qu'ils ont pris ce dernier, lequel s'ouvre à l'ouest de la pointe du même nom, entre cette pointe et Chategré[112]. (Voir la planche VII.)

A peine engagés dans la montée du col, les Carthaginois furent frappés du fait des dispositions hostiles des gens du pays. Des bandes de Katoriges[113], épaisses et tumultueuses, occupaient, sous la conduite de leurs chefs, les positions qui commandaient l'étroit passage[114]. Etabli à la Tour-Saint-Philippe, ainsi qu'au plateau de Chategré, l'ennemi se proposait évidemment d'attaquer ; il pouvait faire le plus grand mal à la colonne, et peut-être la détruire[115].

Quel parti prendre en ces conjonctures délicates ? Annibal fait d'abord appel au dévouement de ses guides, qu'il envoie en reconnaissance. Il leur recommande de sonder adroitement les intentions de l'ennemi, de bien pénétrer la nature de ses moyens de défense, d'en apprécier la valeur, d'examiner soigneusement les lieux, de découvrir, s'il est possible, un autre passage[116]. Les guides se dispersent en avant ; mais bientôt ils reviennent, et leur rapport est exempt de toute ambiguïté : on ne saurait s'y méprendre, les Katoriges sont prêts à défendre énergiquement leurs montagnes ; il est, d'ailleurs, inutile de tâter les autres cols qui s'ouvrent sur le vallon d'Ancelle ; tous sont gardés, et celui de la Pioly est encore le moins impraticable. Ce col, si bien indiqué, s'impose absolument[117]. Il faut l'enlever de vive force, ce qui paraît à peu près impossible, ou le surprendre, ou bien revenir sur ses pas, en renonçant à l'entreprise.

Renoncer au passage des Alpes !... Annibal n'y veut même pas songer, jamais il ne souffrira qu'on ose discuter devant lui l'hypothèse d'une telle retraite. Et, une fois de plus, il convient d'observer ici combien les opérations militaires empreintes d'analogie ont semées d'épisodes frappés de similitude. Deux mille ans après a deuxième guerre punique, le général Bonaparte était arrêté par le fort de Bard : ses officiers de reconnaissance lui parlèrent aussi d'impossibilités absolues ; mais il refusa de les entendre et poursuivit résolument l'exécution de ses projets[118].

Repoussant donc bien loin toute idée de mouvement rétrograde, mais ne se dissimulant point, d'autre part, les dangers d'une tentative de vive force, Annibal résolut d'essayer une surprise[119]. Il avait appris de ses explorateurs que, si les positions commandant si bien les rampes de la Pioly étaient solidement occupées pendant le jour, il n'en était plus de même durant la nuit ; que l'ennemi les évacuait dès le soir, pour se retirer sous les murs du castellum qui lui servait de refuge ordinaire[120], abandonnant ainsi aux ténèbres le soin de la défense de ses montagnes. Ce renseignement allait servir de base à une ingénieuse combinaison du jeune général.

Aux dernières heures du jour, il dessine une fausse attaque, s'avance jusqu'à l'entrée des gorges, fait mine d'insulter le débouché dans l'intention bien arrêtée de forcer le passage ; puis d'hésiter... finalement, de renoncer, au moins pour le moment ; à toute insulte. En conséquence, l'armée fait halte au pied des rampes du col : on y plante les palissades, on allume les feux... N'est-il pas clair que, avant de pousser plus loin, les Carthaginois se disposent à prendre au moins une nuit de repos[121] ? Trompés par ces habiles démonstrations, les Katoriges se disent que rien ne les menace encore, qu'ils peuvent respirer jusqu'au jour suivant. N'ayant donc garde de déroger à leurs principes, ils s'éloignent afin d'aller, eux aussi, passer une nuit calme, se refaire tranquillement au castellum, et se trouver ainsi mieux préparés à soutenir la lutte du lendemain. Chacun part[122]... Les imprudents n'organisent même point de service de grand'gardes ; ils ne laissent derrière eux aucun poste, aucune sentinelle. Les lieux qu'ils occupaient sont bientôt déserts.

Vers minuit, Annibal entame l'action. Prenant lui-même le commandement d'un fort détachement d'infanterie légère, composé d'hommes robustes et résolus[123], il s'engage silencieusement dans le défilé de la Pioly. Pas une ombre de résistance ; le passage est libre !... on gravit sans peine les hauteurs qui en commandent les points les plus dangereux ; on s'empare sans coup férir des positions abandonnées par l'ennemi[124] Cette opération préparatoire ayant eu plein succès, le gros de l'armée reçoit incontinent l'ordre de se mettre en marche. L'infanterie de ligne, la cavalerie, les éléphants, le convoi, s'engagent à leur tour dans le col et défilent paisiblement sous les traits du détachement qui a si bien réussi son expédition nocturne.

A l'aube, les Katoriges furent saisis d'épouvante. Voyant leurs positions aux mains des Carthaginois, ils poussèrent des cris de détresse, auxquels répondit bientôt un concert de lointaines clameurs. La nouvelle se répandait dans la montagne avec une rapidité foudroyante[125], et la montagne entière éclatait en lamentations. Les malheureux, se sentant perdus du fait de leur manque de vigilance, leur première pensée fut de renoncer à une défense dont ils s'étaient laissé ravir les moyens. Mais, subissant bientôt l'effet d'un de ces revirements d'esprit si fréquents chez les populations primitives, le désespoir leur inspira l'audace d'une attaque.

Ils profitèrent, pour se jeter sur les flancs de la colonne, du moment où celle-ci traversait le mouvement de terrain auquel Polybe affecte la désignation de προσβολή. Grimpant alors à l'assaut des deux côtés à la fois, les bandes katoriges atteignirent le chemin que suivait la longue file de leurs adversaires. Ils se mirent à la harceler, à la faire traquer par leurs chiens, à l'étourdir de leurs hurlements, et lui enlevèrent ainsi nombre d'hommes. La colonne assaillie fut, en quelques instants, jetée en grand désordre. Ayant à se maintenir en équilibre sur une arête tranchante, à repousser un ennemi que n'arrêtait point la roideur des pentes, les Carthaginois, pris dans une sorte de remous, s'entre-heurtaient, se jetaient confusément les uns sur les autres, et finissaient par tomber dans l'un ou l'autre des abîmes qui bordaient le chemin. En se débattant sur cette arête, les chevaux portaient le trouble à son comble. Effrayées des cris de guerre de l'ennemi, cris sauvages que répercutait au loin l'écho des montagnes, les malheureuses bêtes se bousculaient, pliaient sous leurs charges et ne tardaient pas à rouler dans le gouffre, entraînant avec elles leurs conducteurs ou cavaliers.

Jusqu'alors Annibal était resté immobile ; dès qu'il vit sa colonne en passe d'être coupée, il fit donner vigoureusement son détachement d'infanterie légère. Les frondes des Baliares, les arcs des Imazir'en et, sans doute aussi, quelques carrobalistes firent pleuvoir sur l'assaillant une grêle de projectiles, qui presque tous atteignirent leur but. Les Katoriges perdirent ainsi beaucoup de monde[126] en tués et prisonniers[127] ; culbutées et dégoûtées de toute idée de coup de main, leurs bandes se dispersèrent. La partie était gagnée, et le jeune général put, à bon droit, se dire :

. . . . . . . . . . . . . . . . Je mis au bas

Et dissipay (dont gloire j'en mérite)

Des Galliquans le puissant exercite[128]...

Les colonnes carthaginoises avaient fait des pertes très-sensibles en hommes, chevaux et mulets de bât ; mais ce n'était pas payer trop cher le salut : elles étaient dégagées et maîtresses du passage !

Pratiquant aussitôt le col de la Pioly, le jeune général pénétra sans difficulté dans la vallée de la Panerasse ; mais, au lieu de descendre cet affluent de l'Avance jusqu'à hauteur de la Bâtie-Neuve, il ne fit que le traverser pour incliner vers le sud-est, et se porter sur Chorges, la capitale des Katoriges[129]. Les Carthaginois ne pouvaient se dispenser d'occuper cette place, clef des communications établies entre les vallées du Drac et de la Durance, et qui venait d'appuyer si franchement les moyens de défense mis en œuvre par les montagnards. (Voyez la planche VII.)

Les Carthaginois n'eurent aucune peine à s'emparer d'une ville abandonnée[130] : saisis de panique à leur approche, tous les habitants s'étaient enfuis. On y ramassa nombre de chevaux et de mulets avec leurs conducteurs[131] ; on y recueillit aussi, en céréales et viande sur pied, des approvisionnements qui permirent de pourvoir plusieurs jours à la subsistance de l'armée[132]. Cet heureux coup de main était de nature à produire un grand effet, à frapper d'une terreur salutaire toutes les populations des Alpes, à les dégoûter de tout mouvement de nature à troubler la marche du corps expéditionnaire[133].

Annibal estima qu'il pouvait poursuivre sa route en pleine sécurité. De Chorges, où il séjourna le 20 octobre, il se dirigea vers le sud-est, descendit la rive droite de la Marasse et atteignit Saint- Michel. Il était enfin dans cette vallée de la haute Durance, qu'il lui était indispensable de tenir.

Partant donc du confluent de la Marasse, les colonnes carthaginoises longent une vallée dont les flancs taillés à pentes douces leur livrent d'abord un passage commode[134] ; mais, peu à peu, ces flancs se resserrent, les ruisseaux deviennent torrentueux, et le passage de ces torrents leur fait éprouver des pertes sensibles[135].

Franchissant le dangereux pas du Réalon[136], elles parviennent à Savines, où la rivière commence à s'encaisser profondément[137] ; mais rien ne contrarie leur marche en avant : elles arrivent à Embrun[138] où les Katoriges ne leur opposent aucune espèce de résistance. La position est cependant favorable à la défense[139]. D'où vient que pas un défenseur ne se montre ? C'est que l'effet voulu s'est produit ; tous les montagnards ont disparu depuis leur échec de la Pioly, sitôt suivi de la prise de Chorges. Annibal se porte facilement en amont d'Embrun. (Voyez la planche VII.)

Il était, le 22 octobre, en aval de Châteauroux, quand il vit tout à coup déboucher d'un ravin de la montagne une petite troupe d'hommes qui paraissaient être des chefs de clans[140]. Ils étaient sans armes et portaient à la main des branches d'arbre ; leur tête était couronnée de feuillage, symbole de paix chez les populations des Alpes[141]. C'étaient des parlementaires des Brigiani, clients des Katoriges[142]. Ils dirent aux Carthaginois que le malheur des autres leur servait de leçon ; qu'ils aimaient mieux éprouver l'effet de leur amitié que celui de leur puissance ; qu'ils étaient prêts à faire acte de soumission ; qu'ils les priaient de recevoir, en garantie de leur foi, des vivres, des guides, des otages. Annibal était trop prudent pour admettre a priori la sincérité de ces dires ; il se défiait de tant d'empressement. Mais il était, en même temps, trop habile pour repousser des gens qui lui faisaient de telles ouvertures ; un refus péremptoire en eût aussitôt fait des ennemis déclarés. Il leur répondit donc obligeamment, accepta les vivres qu'ils avaient apportés sur la route et fit bon accueil à leurs guides, sans toutefois permettre à ses troupes de fraterniser avec eux, comme on peut le faire en pays ami. La cavalerie et les éléphants furent placés en tête de colonne ; lui-même se mit, de sa personne, à l'arrière-garde avec son infanterie d'élite[143]. C'est dans cet ordre qu'on arriva au plan de Phazy[144], en regard de Réotier[145], sous le plateau où devaient s'élever plus tard les fortifications de Mont- dauphin[146].

On y passa la nuit du 23 au 24 octobre.

Le confluent de la Durance et du Guil offre aux armées qui opèrent dans les Alpes une étoile de communications de la plus haute importance. De là on peut passer, par la Durance, dans la Dora Riparia ou le Chisone ; par le Guil, dans la Germagnasca, le Pelice, le Pô ou la Vraita. (Voyez la planche VIII.) C'est là que convergent les chemins conduisant à tous ces cols que les anciens désignaient sous le nom de saltus Taurini. On en compte une vingtaine[147], parmi lesquels Annibal avait exercé son choix.

Ainsi que nous l'avons vu, il avait tout d'abord éliminé les solutions de la Dora et de la Vraita, dont les débouchés tombent en dehors des limites des Taurini ; puis celle de la vallée du Pô, dont la valeur stratégique est assez contestable[148]. Admettant, d'autre part, l'importance subsidiaire du Pelice[149] et de la Germagnasca[150], il en avait peut-être indiqué la route à quelques détachements chargés d'appuyer le flanc droit de la directrice de marche. Mais, ayant adopté pour le trace de celle-ci la vallée si avantageuse du Chisone[151], il devait renoncer au Guil et s'en tenir à la Durance.

Il avait donc choisi, parmi tous les saltus Taurini, le col du mont Genèvre, à raison de sa commodité[152], et, parmi tous les chemins qui y conduisent[153], il avait prescrit de ne point s'écarter du thalweg de la Durance supérieure, de remonter le fleuve jusqu'à ses sources.

Le 24 au matin, l'armée, prenant sur sa gauche la direction du nord, continue à se porter en avant le long de la Durance.

Mais les troupes cette fois marchent péniblement et laissent percer dans leur allure des signes non équivoques de lassitude. L'âpreté des sentiers, la fréquence des éboulements, l'urgence sans cesse répétée du passage d'une rive à l'autre, les heurts d'une marche à chaque instant coupée, mille accidents divers, ont fini par exténuer le soldat. La colonne compte déjà beaucoup de traînards, de blessés ; elle a, de plus, perdu du monde. Nombre d'hommes se sont noyés dans les eaux des torrents ; d'autres ont péri écrasés sous des blocs de pierre tombés en roulant delà montagne ; quelques-uns ont glissé sur les éboulis et sont allés se perdre au fond des gouffres. Dans les rangs éclaircis, le moral s'affaisse d'une manière sensible ; les officiers ne réconfortent pas sans peine des gens dont la fatigue a brisé l'énergie. L'entrain qui présidait au parcours des premières étapes est tombé pour faire place à des langueurs étranges.

Au moment d'arriver à la cime des Alpes, ces hommes de fer se sentent envahis de nouveau par les terreurs qui les frappaient au sortir de Grenoble. Des bruits sinistres courent de nouveau d'un bout de la colonne à l'autre, semant partout l'inquiétude et l'hésitation : jusqu'alors, se dit-on, on n'a bravé que des difficultés ordinaires ; on n'a fait qu'assister au prélude des dangers sérieux ; mais l'heure de ces dangers approche !... c'est le sommet des monts qu'habitent les divinités malfaisantes ; c'est là que règnent ensemble tous les maux de la terre ! Cette gorge étranglée dans laquelle on s'engage ne peut mener qu'à des lieux désolés... n'a-t-elle pas l'aspect d'un sépulcre ? tant d'horreurs disent assez qu'elle n'est qu'un vestibule de nécropole !... Les chefs s'attachent encore une fois à rassurer leurs hommes, leur jurent qu'ils s'abusent, qu'aucun péril ne les menace aujourd'hui plus qu'hier, que tous les guides, Magelli ou Brigiani, les mènent par des chemins sûrs. Le soldat ne se sent qu'à demi convaincu : il obéit, il avance, mais son pas est mal assuré.

Cependant la tête de colonne arrive au confluent de la Biasse, en vue de ce fameux plateau du Pallon que Catinat devait un jour[154] occuper. (Voyez la planche VJI.)

A la pointe de cette position formidable s'élevait un oppidum dont les défenses commandaient la gorge où l'on s'engageait ; c'était celui d’Arama, sorte d'acropole sacro-sainte où quelques images de Matrones, grossièrement taillées, faisaient, aux yeux des Galls, office de palladiums. Là, quelques montagnards résolus pouvaient aisément tenir tête à une armée entière, et il eût été difficile de les déloger. Mais les éclaireurs carthaginois ne parviennent à découvrir aucun sujet de crainte : l'oppidum n'est point garni de défenseurs ; la ville est veuve de ses habitants ; tous ont fui : le passage est libre. Les parlementaires Brigiani, sous la conduite desquels on marche, avaient bien raison d'affirmer que l'on ne rencontrerait aucune résistance de la part des populations. Donc la colonne défile tranquillement sous les murs d'Arama. Elle pousse ensuite en avant par la Roche-sous-Briançon, l'Argentière et l'Abessée, point à hauteur duquel s'embranchent sur la Durance : d'une part, la Gyronde, qui descend de la Vallouise[155] ; d'autre part, la petite rivière du Loriou.

L'Abessée est aussi une position militaire de la plus haute importance, que Catinat devait également occuper en 1692, en même temps que le Pallon et le plateau de Malaure (Montdauphin)[156].

Là encore, quelques bandes malintentionnées pourraient tenir sans peine la colonne en échec ; mais les explorateurs n'y aperçoivent non plus aucune trace d'embuscades ; rien de suspect ne se dessine à leurs yeux ; on n'entrevoit pas un signe d'hostilité ni de malveillance. Donc on passe l'Abessée sans malencontre. Décidément, les parlementaires ont dit vrai ; ce sont gens de bonne foi. L'armée ne court aucun danger dans ces gorges d'un aspect si terrible. Ainsi, comme tous les soldats du monde, les compagnons d'Annibal se laissaient aller, sans raison et sans transition, de la panique folle à l'excès de confiance. Mais cette confiance aveugle, le général en chef est loin de la partager. Il ne s'en rapporte point aux apparences et n'oublie pas que ses troupes sont chez les Brigiani, dont on lui a signalé le caractère astucieux[157]. Jusqu'à présent, il est vrai, on n'a vu se produire aucune démonstration hostile, mais la journée n'est pas finie, on n'est pas encore à Briançon. Qui sait ce qu'il peut advenir au cours de cette étape[158] ?

Les montagnards n'ont pas défendu l'entrée de leurs gorges, cela est incontestable. Peut-être néanmoins ont-ils d'autres projets ; il est à craindre qu'ils n'aient réservé leur attaque pour le moment où les colonnes seront définitivement engagées dans quelque étroit couloir propice aux guets-apens. Le jeune général ne pouvait se défendre de certaine inquiétude, et son esprit s'ouvrait à de vagues pressentiments[159].

L'armée se trouvait alors entre l'Abessée et Queyrières, à l'entrée d'un de ces étranglements de la vallée qui en sont, pour ainsi dire, les œuvres vives, car la défense est à son aise pour y frapper, à peu de frais, des coups décisifs. Qu'on se représente une ruelle sombre entre deux murailles de rochers à pic dont les arêtes vives déchirent crûment le ciel, un de ces corridors sauvages dont le sol est ravagé par les eaux d'un torrent. De tels couloirs ne sont pas rares en pays de montagnes, où on les désigne ordinairement sous le nom de portes ; chacun sait ce qu'il faut entendre par Thermopyles, Portes Caspiennes, Bibans ou Portes de fer[160]. Les habitants des Alpes les appellent le plus souvent combes ; mais celui que les Carthaginois abordaient a reçu depuis longtemps une dé- nomination spéciale, celle de pertuis Rostang. Le profil de cet étranglement fameux est bien conforme à la description si concise, mais si expressive en même temps, que nous en a laissée Polybe[161] ; esquisse tracée de main de maître, et que Tite-Live eût dû s'attacher à reproduire en termes précis, au lieu d'essayer une autre description, que la fantaisie nous semble avoir inspirée[162]. Ce pertuis est bien une porte, ouverte non par la main de l'homme, incapable de pareille œuvre[163], mais par celle du Créateur, frappant, aux premiers âges du globe, la loi des grands bouleversements géogéniques. C'est une gorge à parois verticales, parois dont les stratifications discordantes dressent en saillies aiguës leurs surplombs menaçants, et qui sont partout déchirées de failles, crevassées de ravins sombres qu'éclaire en bondissant l'écume des cascades.

Au fond de ce pertuis aux flancs sauvages roulent tumultueusement les eaux de la Durance[164].

Il est facile de comprendre l'importance militaire dont la nature a doté le dangereux méat[165] ; un seul homme, a-t-on dit, peut y arrêter une armée[166]. C'est là de l'exagération, sans doute, et même de l'hyperbole. Toujours est-il que le fait de la création de quelques ouvrages analogues à ceux qu'y organisèrent les Vaudois du XVIe siècle[167] peut rendre incertain le succès de toute opération tendant à forcer le passage. Un tel obstacle n'est d'ailleurs pas absolument insurmontable, témoin Lesdiguières, qui en eut encore raison dix-huit siècles après les Carthaginois[168].

Au moment de pénétrer dans ce coupe-gorge, Annibal hésitait[169]. Entrevoyant vaguement l'étendue du danger auquel allaient être exposées ses troupes, il cherchait un moyen de le conjurer. Plus que jamais, en conséquence, il s'éclaire sur ses flancs, jette quelques troupes légères par les crêtes dentelées des deux murailles qui encaissent la combe, fait reconnaître les débouchés des ravins, fouiller tous les couverts suspects[170]. Ces investigations n'aboutissent cependant à aucun résultat fâcheux ; on ne découvre dans les replis des roches aucun mouvement de nature à justifier les perplexités du commandant en chef. Le jeune général finit par se décider ; mais, toujours agité, inquiet, c'est encore à contrecœur qu'il donne l'ordre de pousser en avant.

On a vu (chapitre III) que, après le passage du Rhône, la tête de la colonne carthaginoise était formée d'infanterie ; la queue, de cavalerie ; le centre, du troupeau d'éléphants. Dans la vallée de la Durance, ce mode de formation s'est essentiellement modifié : ce sont les éléphants qui forment tête de colonne ; viennent ensuite la cavalerie, le convoi, et c'est l'infanterie qui ferme la marche[171]. Les ζωαρχίαι entrent donc, l'une après l'autre, dans le défilé, où elles sont successivement suivies des autres troupes ; l'armée est bientôt tout entière massée dans le pertuis, qu'elle emplit de son long serpentement. Encore quelques moments d'une reptation pénible, et les troupes sortiront de ce boyau étranglé, d'aspect très- effrayant, elles en conviennent, mais où les parlementaires qu'on a pris pour guides avaient, on ne saurait y contredire, raison de leur garantir toute sécurité.

Tout à coup, un grave accident se produit, qui coupe court à toutes les réflexions du soldat. C'est un énorme bloc qui se détache de la montagne, roule, bondit et vient écraser dix files de la colonne ! On s'émeut, on porte secours aux victimes, mais on presse le pas pour échapper au reste de l'avalanche. Un deuxième quartier de roc, un troisième, un dixième, tombent au milieu des rangs[172] ! On s'étonne, on s'irrite ; instinctivement, on cherche des yeux les guides Brigiani ; les guides ont disparu !... Une grêle de pierres couvre alors les Carthaginois[173], dont les illusions s'évanouissent sous l'empire d'un profond saisissement. Aucun doute ne leur est plus permis, car des bandes tumultueuses de montagnards entrent brusquement en scène ; les hauteurs en sont couronnées ; les grottes et les ravins les vomissent[174]. Assaillie en tête, sur ses derrières et sur ses flancs[175], la colonne, harcelée[176], atterrée, prise au piège, se sent en passe d'être détruite jusqu'au dernier homme.

Au milieu du désarroi général, Annibal conservait son sang-froid. Il était, fort heureusement, de ceux que le fait d'une situation critique ne saurait abattre ou paralyser, et qui retrempent, au contraire, dans le danger la vigueur de leur présence d'esprit.

Il réfléchissait. Les yeux tournés vers lui, attendant de lui seul un espoir de salut, ses compagnons furent frappés de la profondeur de ce regard placide envisageant l'imminence d'un désastre ; ils admirèrent en lui ce calme inébranlable dont les grands hommes de guerre possèdent le secret, cette attitude impassible, mais éminemment rassurante, si bien comprise du poète[177], qui fait dire à son héros de prédilection :

. . . . . . . . . . . . . . me suis réputé homme

Carthaginoys, qui, pour l'heur ou malheur,

Ne fuz attainct de liesse ou douleur...

Après quelques instants de méditation, son parti fut pris. Jugeant bien de la situation ainsi que du moyen d'y porter remède, il arrêta nettement ses résolutions tactiques et donna sur-le-champ ses ordres. L'armée, avons-nous dit, était attaquée à la fois en tête, en queue et sur ses flancs. La droite, formée des éléphants, faisait assez bonne contenance, car les montagnards n'osaient guère affronter ces forteresses vivantes dont les formes étranges leur inspiraient un juste effroi[178]. La gauche, formée de troupes d'infanterie, tenait également ferme contre les agresseurs[179]. Mais le centre, comprenant la cavalerie et le convoi, ne pouvait opposer une longue résistance ; il fut bientôt coupé du reste de la colonne[180] ; les Brigiani se ruèrent sur les chevaux, sur les mulets de bât, et commencèrent le pillage en poussant des hurlements de joie.

C'est alors qu'Annibal prend en personne le commandement d'une moitié de ses troupes d'infanterie[181], se jette avec elles dans un ravin dont il a su pénétrer l'importance tactique, et parvient à leur faire gagner, par ce chemin défilé des vues de l'ennemi, une position dominante, exerçant un bon commandement sur la section de la combe où le salut de l'armée se trouve le plus compromis[182]. L'art de la guerre en pays de montagnes est surtout l'art de faire choix de positions favorables, de les occuper en temps utile.

Annibal ne l'ignorait pas ; son coup d'œil émérite lui avait promptement révélé l'étendue des propriétés militaires d'un site remarquable, que les assaillants, entraînés par les ardeurs du pillage, avaient négligé de garder. C'était un petit plateau de formation calcaire, que l'absence de toute végétation rendait éblouissant de blancheur[183]. Les fantassins carthaginois qui viennent de le gravir commencent, du haut de ce refuge inexpugnable[184], un jet de traits bien nourri sur les bandes qui tiennent en échec le centre de la colonne. Ils tirent d'une manière continue, incessante ; chacun de leurs coups porte. Les montagnards finissent par lâcher prise ; la cavalerie et le convoi sont dégagés.

Ce premier succès obtenu, l'ordre se rétablit peu à peu sous la protection du détachement d'infanterie, resté maître du λευκόπετρον ; la colonne put se remettre en marche, mais son mouvement fut d'abord extrêmement pénible. La nuit suffit à peine à l'entier écoulement des troupes ; ce n'est qu'au jour que le dernier homme put sortir de l'affreux coupe-gorge[185].

Alors seulement, le jeune général, descendu du rocher blanc au haut duquel il avait passé la nuit[186], rejoignit le gros de la colonne, désormais hors d'atteinte. Malgré leurs pertes nombreuses en hommes et surtout en bêtes de charge[187], les Carthaginois devaient s'estimer heureux d'être sortis à bon compte d'un aussi mauvais pas. Ils se portèrent vite en amont de cet endroit néfaste, festonnèrent le cours de la Durance jusqu'au confluent de la Guisane, et campèrent, le soir du 25 octobre, en vue des murs de Briançon[188]. (Voyez la planche VII.)

L'histoire ne dit pas qu'Annibal se soit emparé de cet oppidum, mais le fait paraît vraisemblable, car il ne pouvait laisser debout un tel repaire de coupeurs de route. Ce qui rend l'hypothèse plausible, c'est que, après l'affaire du pertuis Rostang, il ne fut plus une seule fois inquiété par les Brigiani, du moins d'une manière sérieuse. Le clan de ces hardis montagnards n'était plus en état de réunir des contingents capables d'arrêter une colonne en marche[189] ; or, cette impuissance venait sans doute de ce qu'ils n'avaient plus l'appui de la forteresse sous laquelle ils opéraient d'ordinaire leurs concentrations. De là jusqu'aux sources de la Durance, on n'eut plus à se défendre que de l'agression de quelques bandes décousues[190], ou des partis de maraudeurs cherchant à surprendre des traînards, à enlever des mulets du convoi[191].

Hommes ou chevaux étaient souvent attaqués, tantôt par des meutes de chiens de guerre[192], tantôt par des troupeaux de porcs domestiques de taille gigantesque et d'une vigueur qui ne les rendait pas moins redoutables que des loups[193]. Ces bêtes féroces jetaient surtout le désordre parmi les ζωαρχίαι de la tête de colonne, car on sait que le cri du pourceau a pour effet étrange de terrifier l'éléphant[194]. En somme, bien que harcelées sans relâche, les troupes ne couraient plus de dangers graves, et leurs alertes étaient sans conséquences fâcheuses.

Le matin du 26 octobre, elles quittent Briançon, s'avancent vers la Vachette, lieu qu'une brillante victoire du maréchal de Berwick devait plus tard rendre célèbre, dépassent le confluent de la Clarée et, suivant toujours la Durance[195], parviennent aux Alberts, à l'altitude de 1.423 mètres. Le soldat, épuisé, ne se plaint plus seulement de ses fatigues, il éprouve un surcroît de malaises bizarres. L'air raréfié qu'il respire, la crudité des eaux qu'il boit, l'étonnent et le débilitent ; il est près de s'avouer vaincu. Mais le but qu'il poursuit depuis si longtemps, il est cette fois près de l'atteindre ; quelques heures de patience et de courage, un dernier et suprême effort ! voilà ce qu'on lui demande.

C'est aux Alberts que commence la montée proprement dite du col, montée qui s'opère au travers d'une forêt de pins, de sapins, de mélèzes ; nulle part les Alpes ne sont aussi boisées. La route fait de nombreux lacets ; les tournants en sont rapides, les rampes courtes et roides ; mais les Carthaginois triomphent de ces dernières difficultés. Ils parviennent à l'altitude de 1860 mètres ; ils touchent enfin à Druentium !

Quel est, au juste, le point que les anciens désignaient sous cette dénomination ? La question exerce encore la sagacité des érudits. La station de Druentium, dit M. Ernest Desjardins[196], semble correspondre au village de la Draye.Les vases des Aquæ Apollinares, écrit à son tour la Commission de la carte des Gaules[197], placent au-dessus de Briançon, dans l’Alpis Cottia, une station de Druentium, dans laquelle il est bien difficile de ne pas voir un point d'arrêt aux sources mêmes du fleuve, auxquelles les anciens devaient rendre, en passant, leurs hommages. il nous paraît permis de dire que cette station ne représente autre chose que les sources mêmes de la Durance, dont Strabon nous parle. On peut être assuré que là étaient, aux yeux des anciens, les sources de la Durance, ou s'arrêtaient les voyageurs qui se rendaient à Rome. Serait-il trop hardi de penser qu'il y avait là un temple Druentium, dont l'existence expliquerait cette station à six milles (8 kilomètres 886 mètres) de Briançon, dans la montagne ? Nous partageons absolument l'avis de la Commission, et nous estimons qu'il convient d'attribuer à l'antique Druentium une situation voisine de celle qu'occupe aujourd'hui le village du Mont-Genèvre. Parvenus là, les Carthaginois n'ont plus qu'un pas à faire ; ils débouchent, au bout de leur étape, sur un vaste plateau couvert de champs de seigle et bordé de forêts de mélèzes ; ils sont au col, leur tâche est accomplie !

En semblable occurrence, on entend des exclamations bruyantes éclater dans les rangs d'une armée, et les officiers eux-mêmes ne résistent pas toujours à ces élans de légitime allégresse. Italiam ! Italiam ! s'écrient les compagnons d'Enée, à l'aspect de leur terre promise[198] ; Italiam ! Italiam ! répétait le jeune Bonaparte en apercevant le théâtre de ses premiers succès[199] ; Moscou ! Moscou ! s'écriaient nos soldats à l'heure d'un triomphe éphémère, prélude de douloureux désastres[200]. Un fol enthousiasme couronne d'ordinaire le but atteint au prix de longs efforts ; mais les troupes carthaginoises étaient tellement épuisées, qu'elles furent incapables d'aucun transport de joie. Elles se laissaient aller au découragement[201] ; l'atonie les gagnait ; sur le visage éteint du soldat on ne lisait plus que l'expression de la désolation, de l'abattement, du désespoir[202].

C'est alors qu'Annibal assemble ses compagnons d'armes, dont il faut, à tout prix, réduire les défaillances[203]. Il leur montre à leurs pieds cette Italie dont la beauté n'a cessé de faire le malheur[204]. Soldats, disait le général Bonaparte[205], je veux vous conduire dans les plus fertiles plaines du monde. De riches provinces, de grandes villes, seront en votre pouvoir ; vous y trouverez honneur, gloire et richesses. Soldats d'Italie, manqueriez-vous de courage ? La harangue d'Annibal, dont l'histoire nous a conservé le sens[206], fait moins directement appel à la convoitise et traite plus largement la question militaire. Sobre de mouvements, le jeune général ne cherche point à soulever les passions de son auditoire exténué ; il se borne à un geste oratoire, étend les mains vers les plaines du Pô, puis vers le site de Rome et, cela fait, c'est à la raison de chacun qu'il fait appel : Nous tenons, dit-il à ceux qui l'écoutent, nous tenons en nos mains les clefs de l'Italie ! Vous venez d'en conquérir l'acropole ; le reste du chemin sera facile à faire. Les Gaulois de la Cisalpine n'attendent que le moment de se joindre à nous ; un ou deux combats heureux vont faire tomber en notre pouvoir toutes les terres de la Péninsule !

Sur cette péroraison, empreinte d'un cachet de ferme logique, Annibal invita ses soldats au repos. Lorsque, en 1800, notre armée d'Italie passa le Saint-Bernard, elle ne fit, au col, qu'une halte de courte durée[207] ; mais les troupes carthaginoises étaient en si triste état qu'il ne leur fallut pas demeurer moins de quarante-huit heures[208] au camp du mont Genèvre (27 et 28 octobre 218).

Ce séjour leur permit de se refaire, donna le temps de rejoindre aux blessés, aux traînards, aux chevaux éclopés, aux mulets de bât perdus dans la montagne[209], de sorte que les pertes se trouvèrent, en définitive, moins considérables qu'on ne le supposait.

C'en est fait, l'orage dont Rome est menacée se condense à la cime des Alpes ; des nuages qui couronnent leurs neiges éternelles va bientôt se dégager la foudre[210]. Annibal reprend baleine ; il va demain se jeter sur sa proie, l'enlacer comme un serpent enlace dans ses replis la victime qu'il a longtemps guettée[211]. Durant seize ans[212], il va l'étreindre au point de l'étouffer, la faire gémir de douleur, d'épouvante. Parti du détroit de Gibraltar, l'audacieux capitaine doit arriver au détroit de Messine, occuper toute la péninsule italiote, ravager son territoire et, à l'exception de Rome et de Naples[213], s'emparer de toutes ses forteresses. Vingt fois, au cours de ces luttes sanglantes, la république romaine sentira le fer carthaginois déchirer ses entrailles[214] ; vingt fois, elle sera sur le point d'expirer sous les coups de l'adversaire qui a juré sa perte[215] ; mais, après chaque désastre, on ne la verra courber la tête que pour la relever aussitôt.

D'où lui viennent cette force de résistance indélébile, cette extraordinaire vitalité ? C'est que la petite république, fermement dirigée par une aristocratie intelligente, ne connaît autre chose que le métier des armes[216]. Elle n'en est pas encore au temps de la littérature frivole, railleuse et dissolvante ; la langue qu'elle parle n'a même pas encore de grammaire[217]. Elle est à l'âge des vertus primitives, où le sentiment religieux donne aux éléments d'une nation cette cohésion merveilleuse qui en fait un tout homogène, indissoluble. Fortement attachée à sa foi. Rome ne verra d'abord dans le fait de l'invasion étrangère qu'un acte de souveraine impiété, un attentat à la gloire de ses dieux[218]. Durant les longues péripéties de la lutte engagée, son-corps sacerdotal ne cessera de leur offrir des sacrifices ; ses matrones couvriront d'offrandes l'autel de la patrie ensanglantée ; ses théories de jeunes filles chanteront par la ville les hymnes sacrés d'Andronicus[219].

Quand deux Scipions seront tombés les armes à la main, un autre Scipion ira chercher au loin, pour en doter sa ville, l'image d'une divinité tutélaire[220] ; le sol de l'Italie se couvrira de temples[221]. Or, un peuple dont l'âme ardente respire une telle foi n'est pas près, il s'en faut, d'entendre sonner l'heure de la ruine.

Profondément pénétré de cette vérité, dont l'antique Orient faisait un axiome, Annibal, enfin debout sur la cime des Alpes, mesurait mentalement la force de résistance de son adversaire. Il la jugeait considérable et, analysant les ressorts qu'elle allait mettre en jeu, il se demandait au prix de quels efforts il pourrait les briser. Ses regards, comme ceux de Cornélius, se noyaient dans les brumes d'un horizon de sang.

Mais il s'agit du salut de Carthage : le sort en est jeté ! On est maître du mont Genèvre : l'hésitation n'est pas possible, il faut descendre en Italie !

Nous avons dit que, à partir du mont Genèvre, la directrice de marche de l'armée carthaginoise passe par Clavières, Césanne, le col de Sestrières, pour descendre, de là, la vallée du Chisone par Fenestrelle, Perosa et Pignerol. Les principaux villages que l'on rencontre sur la rivière (du Chisone), en allant du col de Sestrières à la plaine du Piémont, sont, dit Montannel[222], ceux du Duc, des Traversés, des Souchères-Hautes, delà Rua, des Souchères-Basses, de Graisse, de Pourrières, de Balbotet, d'Usseaux, et le bourg de Fenestrelle. On trouve ensuite les villages des Chambons, de Mantoulles, de Villaret, des Chargeoirs, de la Jartroussière, de la Balme, et le bourg de la Pérouse. Au delà de ce bourg, on trouve encore le Diblon, le Villard, les Portes et l'abbaye de ce nom. C'est à cette abbaye que la vallée dans laquelle coule la rivière présente sa gorge vers la plaine de Piémont. Un tel tracé n'est point d'une étendue considérable ; c'est une rampe dont le développement total mesure une centaine de kilomètres[223], et dont le parcours peut s'effectuer en une trentaine d'heures[224], s'il ne survient aucun accident.

Mais les accidents, qui ne sont jamais rares sur le revers italiote des Alpes, devaient être d'une fréquence extrême au temps de l'expédition d'Annibal. A cette époque, en effet, la vue seule des lieux faisait, dit-on, frémir[225]. Les sentiers réputés praticables y étaient singulièrement étroits, roides[226], et si glissants[227] qu'une chute y semblait à chaque instant inévitable[228]. Cette chute, à laquelle il était si difficile de se soustraire, avait immédiatement des conséquences terribles : le voyageur qui avait le malheur de se laisser choir, ne pouvant nulle part s'accrocher, se retenir, roulait nécessairement dans l'abîme ouvert sous ses pas[229] ; celui qui, trompé par de perfides apparences, mettait le pied hors des chemins ensevelis sous la neige, celui-là était également perdu[230] ; tel autre avait le même sort pour avoir tâté de fragiles croûtes de glace offrant à l'œil l'aspect d'un sol ferme et résistant[231]. Toute opération de descente de montagne est, on le sait, plus ardue que celle de la montée conjuguée[232]. La descente (du Saint-Bernard) était, dit M. Thiers[233], plus difficile. Pour les fantassins, la peine était moins grande que pour les cavaliers. Ceux-ci faisaient la route à pied, conduisant leur monture par la bride. C'était sans danger à la montée ; mais, à la descente, le sentier fort étroit les obligeant à marcher devant le cheval, ils étaient exposés, si l'animal faisait un faux pas, à être entraînés avec lui dans les précipices. Il arriva, en effet, quelques accidents de ce genre.... On ne pouvait l'opérer [la descente des bouches à feu] qu'à force de bras et en courant des dangers infinis, parce qu'il fallait retenir la pièce et l'empêcher, en la retenant, de rouler dans les précipices. Cela se passait en l'an 1800, c’est-à-dire de nos jours.

Qu'on juge des difficultés qu'Annibal dut rencontrer 218 ans avant notre ère, dans cette vallée du Chisone, par laquelle il avait à faire descendre, lui aussi, de l'artillerie (névrobalistique), des mulets de bât, des chevaux et, de plus, des éléphants !

C'est le 29 octobre que, au mépris d'une foule de dangers sans cesse imminents, les compagnons d'Annibal se remettent résolument en marche et commencent par descendre la vallée de la Dora. Quelques géographes modernes font venir cette Dora des environs du col d'Abriès[234] ; d'autres, du col de Thures ; mais il faut bien reconnaître que les sources du fleuve italiote, opposées symétriquement à celles de la Durance, se doivent réellement prendre au mont Genèvre. Ce fait hydrographique, qui n'avait pas échappé à Strabon[235], est admis aujourd'hui par les esprits les plus judicieux[236]. Les torrents de la Ripa, de la Dora ne sont que des affluents[237] ; la Dora Riparia, rivière maîtresse, a son origine sous l'obélisque à l'inscription quadrilingue. De là, ses eaux arrosent un beau pays, qui s'étend, dans la direction de l'est, jusqu'au mont Sestrières, et qu'on appelle vallée de Césanne[238]. C'est ce pays que traversent d'abord les colonnes carthaginoises ; leur pas est allègre et rapide ; une première traite de 8 kilomètres les fait descendre de près de 500 mètres au-dessous du col du mont Genèvre[239] ; on leur signale Scingomagus : elles sont en Italie[240] !

Le problème de la détermination du site de ce village de Scingomagus, que mentionnent, outre Strabon[241], Pline[242] et Agathemère[243], a longtemps divisé les commentateurs. Honoré Bouche, Harduin et Vesseling le plaçaient à Suze ; Mannert, à Oulx ; Cluvier et d'Anville, à Champlas-Séguin. Aujourd'hui, M. Ernest Desjardins n'est pas éloigné de croire qu'on doit le fixer à Pamplinet[244]. Mais, de son temps, Aymar du Rivail opinait pour Césanne[245], et, aux premières années de notre siècle, l'illustre Durandi n'émettait pas un avis différent[246]. Avec M. Antonin Macé[247], nous n'hésitons pas à partager l'opinion de Durandi et d'Aymar ; nous pensons que Scingomagus ne doit pas se chercher ailleurs qu'à Césanne. Quant au nom assez bizarre de cet antique centre de population, nous n'y découvrons point, avec Durandi[248], le sens topographique de lieu situé sur un cours d'eau, mais la signification de résidence de chef militaire[249].

L'éminent érudit, inclinant à croire que le nom moderne de Césanne procède directement de Scingomagus[250], omet de tenir compte du rôle qu'a rempli, dans le travail de formation onomastique, la série des dénominations qui furent en usage au temps de la domination romaine. Les formules diverses insérées dans les Itinéraires de l'Empire ou du moyen âge[251] n'ont point, dit-il, une physionomie cisalpine[252], et de ce fait il conclut qu'elles ne comptent point dans la filiation ; qu'elles sont demeurées étrangères à tout ce qu'a produit la lente élaboration des siècles. Assurément, la nomenclature des Itinéraires trahit une origine essentiellement latine ; elle ne provient pas d'un travestissement, d'un emprunt fait à l'idiome territorial ; nous la croyons exclusivement romaine[253], indépendante de tout terme primitif, amazir' ou gaulois. Mais, en même temps, nous estimons qu'on y retrouve facilement le vrai principe du nom de Césanne ; on s'en convaincra si l'on jette les yeux sur les IIe et IIIe Apollinaires[254], qui n'étaient pas connus du temps de Durandi.

Ces considérations philologiques ne constituent point, comme on pourrait le croire, un hors-d'œuvre ; elles nous semblaient indispensables. Historiquement, en effet, la désignation de Césanne se trouve affectée de plus d'une variante ; ce point ne s'est pas seulement appelé Scingomagus et Gœsao, mais encore Tyrio, ou plutôt Tyrium, ainsi qu'il appert d'une inscription du IVe Apollinaire[255].

D'où vient cette formule inattendue ? Faut-il y voir la trace d'un souvenir du passage des Carthaginois ? L'interprétation serait, il faut le déclarer, puérile. Peut-on y reconnaître une expression du voisinage de la vallée de Thures, qui débouche indirectement dans celle de Césanne ? Non, car une autre ville que Césanne s'est approprié ce nom. Cela étant, nous croyons être en droit de supposer que la leçon nouvelle n'est que la transcription d'une très-ancienne dénomination territoriale, à signification topographique.

Située au pied du mont Genèvre[256], Césanne est, pour ainsi dire, perdue au fond de sa vallée[257] ; dominée, d'une part, par le mont Chaberton[258], de l'autre, par le mont Sestrières, elle est comme enfermée dans un cercle de monts. Or, l'idiome amazir' emploie le mot Tir'ilts pour caractériser un site de cette nature.

La Dora, qui jusqu'à Césanne est descendue vers le nord-est, prend alors franchement la direction du nord[259]. Mais les Carthaginois ne doivent pas suivre plus longtemps la rive de ce cours d'eau, qui, par la vallée d'Oulx, les mènerait chez les Salassi, tandis qu'il leur faut pénétrer chez les Magelli, dont le Chisone baigne le territoire. Le tracé de la directrice de marche, arrêté sur les conseils du brenn Magile, se trouve donc, à Césanne ; affecté d'un jarret ; un rebroussement brusque se prononce en même temps dans la courbe des altitudes de l'itinéraire. La colonne doit, en effet, gagner le col de Sestrières, dont l'altitude mesure 2069 mètres ; à peine est-elle descendue de 500 mètres qu'elle se voit dans l'obligation d'en remonter plus de 700 !

Cette perspective de labeur trouble un peu le soldat, qui pensait n'avoir plus d'ascensions à faire ; mais son émoi n'est pas de longue durée. Il reprend courageusement le fil de son étape, s'élève rapidement, passe par Champlas[260], et ne tarde pas à atteindre le point culminant du col, qui domine de 200 mètres celui du mont Genèvre. Du haut de ce passage de Sestrières[261], il revoit, d'un côté, les cimes du Pelvoux ; de l'autre, s'ouvre à ses pieds la vallée du Chisone. Cette fois, c'est bien le dernier thalweg qu'il ait encore à descendre ; le torrent dont il entrevoit les méandres aboutit sûrement aux plaines du Piémont !

Dès leur entrée dans le val de Pragelas, les Carthaginois sont saisis de son aspect sauvage. C'est une gorge humide, une combe enfermée entre des murailles de rocs abrupts, le long desquelles courent, à flanc de coteau, les lacets d'un étroit chemin. Est-il un autre moyen de descendre le val ? Non, c'est ce sentier de chèvres qu'ils doivent pratiquer. Ils le prennent donc, malgré ses difficultés manifestes, passent au-dessus du village de Sestrières, et ne tardent pas à voir s'ouvrir, sur leur droite, le ravin tourmenté du Chisone, dont ils n'ont jusqu'alors suivi qu'un affluent. Les eaux du torrent qui roule à leurs pieds ont tout d'un coup tumultueusement grossi.

L'opération de la descente sera sans doute encore plus difficile qu'on ne l'a supposé. La colonne rencontre, à chaque instant, des passages dont les aspérités rompent d'une manière fâcheuse l'uniformité de son écoulement. L'alternance irrégulière des arrêts et des brusques reprises fatigue singulièrement le soldat, dont la marche devient bientôt décousue, haletante. Enfin, dans l'après-midi de celte première journée de marche, il se produit un temps d'arrêt prolongé, qui prend les proportions d'une halte. On ne fait plus que piétiner sur place.

Annibal, qui, de sa personne, se tient à l'arrière-garde, s'enquiert des causes de ce nouvel embarras[262] ; on lui apprend qu'il n'y a plus de route[263] ; que la colonne donne dans une impasse ; que, si l'infanterie peut, à la rigueur, avoir raison de ce mauvais pas, à coup sûr ni les chevaux, ni les éléphants n'en sortiront[264].

De quelle nature était donc cet obstacle ? Ici, comme partout ailleurs, les avis sont très-partagés : les commentateurs parlent confusément de rochers obstruant le chemin[265], de construction de ponts[266] ou de routes en bois[267], de glaciers et de gorges[268]. L'opinion commune veut qu'il s'agisse d'un encombrement de la voie, dû à la chute d'une de ces avalanches qui désolent les pays de montagnes, et dont les anciens géographes avaient remarqué la fréquence dans les vallées des Alpes[269]. Fidèle à la méthode que nous nous sommes imposée dès le début de cette étude, nous renoncerons aux hypothèses pour aller droit aux textes qui traitent de la matière. Or, ces textes, il n'est pas nécessaire de les interroger longuement pour résoudre le présent cas ; leur réponse catégorique ne se fait pas attendre et ne saurait surtout prêter à l'équivoque. Polybe attribue, en effet, la halte forcée de la colonne carthaginoise à certain accident auquel il affecte la désignation non ambiguë d'άπορρώξ[270] ; d'ailleurs, Tite-Live, qui, cette fois, traduit fidèlement l'historien grec, accuse nettement un lapsus terra[271]. Il ne peut donc être ici question d'autre chose que d'un éboulement ; aussi, de tous les écrivains, est-ce Michelet qui nous paraît avoir le mieux dépeint l'obstacle : Tout à coup, dit-il[272], on se trouva arrêté par un éboulement de terre qui avait formé un précipice... C'est bien cela : l'empêchement majeur qu'on vient de signaler au jeune général provient d'une rupture du sol. Il consiste en une coupure de la route à flanc de coteau qu'on est forcé de suivre, en un large et profond arrachement.

Il serait assurément puéril de songer à soutenir une discussion topographique contre les commentateurs qui cherchent le point du val de Pragelas où cet éboulement s'est produit ; nous ne nous proposons d'essayer, à cet égard, qu'une simple description théorique, empreinte, autant que possible, de clarté.

Qu'on se représente une croupe vigoureusement modelée, dont l'âpre soubassement est baigné par les eaux du Chisone ; elle est sillonnée d'une piste étroite, dont les nombreux lacets entaillent sa surface. L'armée suit à grand'peine cette dangereuse corniche ; elle arrive au point où toute trace de sentier disparaît. Là, que s'est-il passé ? D'où vient la solution de continuité coupant brusquement court au mouvement des colonnes ? L'explication semble facile : les roches friables, les terres franches dont était revêtue la croupe à pentes roides ont, sous l'influence des agents atmosphériques, éprouvé les effets de la désagrégation ; elles se sont fracturées, détachées du corps de la montagne ; puis, glissant sur la roche vive, leur masse est descendue au fond de la vallée. Elles ont emporté, dans ce glissement, une section de la piste que suivent les Carthaginois, de sorte que ceux-ci n'ont plus devant leurs pas que le vide ; sous leurs yeux, que le calcaire à pic[273], aux fentes duquel pendent encore les racines des arbres entraînés dans l'abîme avec la terre végétale qui les nourrissait ; l'arrachement produit par l'éboulement ne mesure pas moins de 300 mètres de largeur[274].

Comment franchir un pareil gouffre ?

Quelques hommes résolus, posant armes et bagages, n'hésitent pas à contourner intérieurement la paroi conchoïde du précipice, ils s'accrochent aux anfractuosités du roc, se suspendent aux racines, accomplissent des prodiges d'audace... ils sont bientôt sur l'autre bord. C'est ainsi que, au mois de mai 1800, le détachement du général de Béthencourt, en marche par le Simplon, eut raison d'un obstacle analogue. Une avalanche avait emporté le pont d'un ravin qui coupait la route, et celle-ci se trouvait frappée d'une solution de continuité de plus de 25 mètres. Un homme, se tenant aux pointes du rocher, mettant le pied dans les fentes, eut la hardiesse de passer une cinquenelle, qu'on tendit d'un bord à l'autre de l'abîme. Le général passa le premier... puis, un à un, tous ses soldats le suivirent. Mais de tels procédés ne peuvent être pratiqués que par des détachements d'une faible importance numérique, comme celui de Béthencourt, qui ne comptait qu'un millier d'hommes ; ils sont inadmissibles quand il s'agit de tirer d'embarras l'infanterie de toute une armée ; absolument inapplicables au cas où six mille chevaux, un convoi considérable et trente-sept éléphants se trouvent ainsi bloqués.

Annibal se porte, aussi rapidement qu'il peut le faire, à la tête de sa colonne inquiète, interdite ; il s'approche de l'arrachement, afin d'en reconnaître exactement la disposition et les abords[275]. D'un coup d'œil, le jeune général se rend compte d'une situation dont il mesure les conséquences ; moins que jamais, il songe à proférer ces mots hardis qu'un de nos poètes[276] a mis dans sa bouche :

Tousjours content quelque part où je marche.

Non ! car la marche est impossible ; ses officiers d'avant-garde ne se sont hélas ! point trompés : la voie est sans issue. Rétrograder ? on n'y songe pas. Poursuivre ? on ne-le peut. La colonne est donc prisonnière[277]. Pour comble de détresse, des maraudeurs Salassi commencent à voltiger sur ses flancs[278] !... L'immobilité à laquelle on est condamné devient intolérable ; à tout prix, il faut sortir de cette horrible impasse.

Annibal, que le sang-froid n'abandonne jamais, prend immédiatement une décision rationnelle ; il prescrit le tracé d'un tronçon destiné à relier d'urgence les deux amorces de la route coupée.

Suivant ces ordres, les ingénieurs militaires s'empressent de s'élever au-dessus de l'origine de l'arrachement, pour y jalonner une nouvelle piste qui en enveloppe les lèvres. C'est par cette ligne de raccordement que l'armée se remet en marche ; elle gravit la croupe assez péniblement, mais sans perdre courage, car elle espère que, à moins de jouer de malheur, l'obstacle sera promptement tourné[279].

Malheureusement, le terrain supérieur à l'arrachement se trouvait dans des conditions peu favorables au succès d'une telle opération, enseveli qu'il était sous une neige récemment tombée, laquelle recouvrait la neige de l'hiver précédent ; or, celle-ci, depuis longtemps congelée, était dure et polie comme un miroir.

C'est sur ce sol perfide que les ingénieurs avaient été conduits à établir leur piquetage ; que la colonne s'avançait, guidée par les jalons.

Le pied portait assez bien sur la neige nouvelle, encore molle et de médiocre épaisseur ; mais cette fragile enveloppe ne tarda pas à fondre sous les pas de l'avant-garde, de telle sorte que les corps de troupes qui suivaient n'eurent plus devant eux qu'une âpre surface, singulièrement lubrifiée. La situation devint cruelle. Les hommes qui tombaient étaient à l'instant emportés : cherchant instinctivement quelque point d'appui, leurs mains, leurs genoux ne rencontraient nulle part une pierre qui leur permît d'opposer un peu de résistance au pouvoir entraînant de la pente, une racine à laquelle ils pussent s'accrocher. Les malheureux glissaient, roulaient ; leurs corps meurtris ne tardaient pas à prendre une sinistre vitesse, et ils s'allaient perdre au fond de l'arrachement ou dans d'autres abîmes. Quant aux mulets de bât, leur sort était étrange : à peine tombés à terre, ils cherchaient à se relever, mais leurs efforts désordonnés n'aboutissaient qu'à la rupture de la croûte de neige durcie. Alors ils s'y trouvaient empêtrés : le sabot pris au piège, encastrées des quatre membres dans des trous de scelle- ment, retenues par le poids de leur charge, les pauvres bêtes restaient plantées, figées sur place[280].

La nuit venait. Craignant de compromettre le salut de tous les siens, Annibal s'arrêta pour bivouaquer sur les lieux mêmes. Il fit, en conséquence, déblayer de neige[281] l'arête de partage des eaux de la dangereuse croupe[282], et ses troupes, déjà si éprouvées, s'y installèrent tant bien que mal[283].

Au jour, il tint conseil avec ses ingénieurs. Ceux-ci, désespérés de l'échec de la veille, ne pouvaient plus songer à passer par-dessus l'arrachement, mais l'idée d'une autre solution leur vint à l'esprit. Ils proposèrent de tourner l'obstacle, non plus par le haut, mais par l'intérieur ; d'entailler, à cet effet, la paroi du gouffre conchoïde ; d'ouvrir dans le roc vif le seul raccordement qui leur parût possible[284]. La tâche serait ardue, sans doute, mais on n'avait pas le choix des moyens. Annibal le comprit : ayant donné son adhésion pleine et entière au projet qui lui était présenté, il fit procéder immédiatement à l'exécution. Les ingénieurs commandés de service répartirent sur le chantier nombre de travailleurs[285], et ces braves soldats[286] attaquèrent résolument la roche.

Le salut de l'armée était remis aux mains des travailleurs imazir'en[287] et ne dépendait plus que de leur énergie ; mais cette énergie suprême, on était heureusement en droit de l'attendre de leur dévouement.

Ces courageux pionniers, que nous avons déjà vus à l'œuvre au siège de Sagonte ainsi qu'au passage du Rhône, venaient de faire merveille dans les Alpes. Chaque jour, en effet, depuis le départ de Grenoble, on leur avait ordonné d'importants travaux de route[288] ; chaque jour, et presque partout, ils avaient dû frayer passage à la colonne expéditionnaire à travers des lieux désolés ou réputés impraticables[289] ; aussi n'est-ce pas sans peine qu'ils avaient enfin eu raison des obstacles accumulés dans les âpres vallées du Drac et de la Durance. Nous ne pouvons mieux les comparer, pour la patience, l'audace et l'opiniâtreté, qu'à ces hommes résolus dont les efforts facilitèrent si bien au général Bonaparte son opération du grand Saint-Bernard[290]. On pouvait donc compter sur ces braves Africains, que dirigeaient d'ailleurs des ingénieurs de mérite, élèves de ces maîtres auxquels on attribuait l'invention de l'empierrement des routes[291], ainsi que la distinction théorique du statumen, du rudus et du nucleus[292]. Il ne serait assurément pas hors de propos de restituer ici l'organisation de ce corps de pionniers carthaginois qui va sauver l'armée et, par là, perpétuer la gloire d'Annibal. On ne peut, malheureusement, faute de documents précis, procéder, à cet égard, que par voie d'induction ; mais ce ne sera point faire une digression inutile que de consacrer quelques lignes à l'étude du corps similaire, auxiliaire de l'armée romaine. Cette analyse sera d'autant plus fructueuse que le roi Servius Tullius, auquel remonte l'institution militaire des fabri[293], paraît n'avoir fait, en les créant, qu'imiter les Carthaginois et les Grecs.

Les fabri, ou pionniers romains, formèrent d'abord deux centuries distinctes[294] ; mais, au temps de César, ils furent uniformément répartis dans l'armée[295] ; chaque légion en possédait un détachement.

Ce génie légionnaire se recrutait principalement en terrassiers ; mais on comptait, en outre, dans ses rangs, nombre de maçons, charpentiers, menuisiers, peintres et autres ouvriers d'art, dirigés par des architecti spéciaux. Ses attributions comprenaient l'organisation des camps permanents et des ouvrages de campagne ; le baraquement ; la construction, ainsi que la réparation des machines d'approche, du matériel roulant, du matériel d'artillerie névrobalistique ; la fabrication de toutes les armes portatives ; les travaux de mines et les ponts militaires[296]. Son parc était considérable : il renfermait des outils de terrassier : hoyaux, bêches, pelles et pioches, hottes et couffes pour le transport des déblais ; des outils de charpentier : doloires, haches, cognées, scies, instruments de toute espèce pour dégauchir le bois et le mettre en œuvre ; des armes de toute nature : boucliers, casques, cuirasses, flèches et javelots ; des rechanges d'organes de pièces d'artillerie ; des appareils divers pour tortues, vignes, muscules, ou tours mobiles ; des équipages de pont ; des engins de toute nature : crocs connus sous le nom de loups, faux emmanchées, cordes de chanvre et chaînes de fer ; on y trouvait, en un mot, tout ce dont on pouvait avoir besoin au cours d'une campagne[297]. Ces dispositions, empreintes de tant de prudence, étaient sans doute inspirées aux fabri de Rome par l'exemple des τεχνίται de l'armée d'Alexandre, qui emportaient avec eux toute espèce de matériaux de construction, jusqu'à des sacs de pouzzolane[298].

Les fabri étaient placés, dans chaque légion, sous l'autorité d'un præfectus fabrum, dont les fonctions pourraient se comparer à celles d'un commandant de l'artillerie ET du génie d'une division de nos armées modernes[299]. Cet office ne s'accordait qu'à titre de récompense de longs services ; on ne l'obtenait guère qu'après avoir fait ses preuves en qualité de tribunus militum[300]. Il y avait, de plus, dans chaque légion, un præfectus castrorum[301], officier supérieur dont les attributions ne sont pas sans analogie avec celles d'un directeur de l'artillerie ET du génie, auquel serait confiée, SUPPLÉMENTAIREMENT, la direction des services administratifs[302]. On n'abordait cette haute situation qu'après avoir justifié d'une grande expérience[303], et servi comme centurion, primipile, tribun des soldats, præfectus fabrum[304]. Ces deux exemples nous montrent, une fois de plus, combien l'administration antique répugnait à parquer les fonctionnaires dans des spécialités dont l'isolement eût stérilisé les efforts.

Il est permis de penser que, lorsqu'ils avaient à parler des ingénieurs militaires de Carthage, les Romains leur appliquaient, par analogie, les désignations d'architecti, de præfecti fabrum, de præfecti castrorum. Ces officiers carthaginois étaient placés, dans l'armée d'Annibal, sous les ordres d'un commandant supérieur, qui, nous l'avons vu (liv. III, chap. V), se nommait Adherbal. On jugera bientôt du caractère original de leurs méthodes, ainsi que de leur talent pratique.

L'ouverture d'une piste de raccordement destinée à racheter une solution de continuité de 300 mètres constituait, on le comprend, un travail de longue haleine ; on n'avait pas de temps à perdre.

Aussi les travailleurs, armés de leurs outils, furent-ils immédiatement attachés au roc. Ils s'y cramponnèrent comme ils purent pour en attaquer la paroi verticale, et tous les bras, obéissant à des muscles d'acier, entrèrent ensemble en mouvement. Les masses et les coins fendirent le calcaire, la barre à mine et la pince en remuèrent les blocs désagrégés, l'aiguille en abattit les pointes, la doloire et le pic en tranchèrent les arêtes[305]. Les pierres ainsi détachées, la terre, les racines d'arbres, tous les débris roulaient pêle-mêle au fond du gouffre. A ce travail ardu[306], les outils s'émoussaient, se faussaient, se tordaient ; il fallait aussitôt des rechanges[307] ; les hommes se fatiguaient ; il était indispensable de les relever par d'autres hommes moins harassés. Pour parer aux inconvénients du moindre temps d'arrêt dans la marche des travaux, les ingénieurs avaient réparti leur monde en plusieurs brigades[308] qui, tour à tour, frappaient et entaillaient le roc. Le chantier ne chôma pas un seul instant, et resta même en pleine activité durant la nuit[309] ; les Imazir'en firent d'ailleurs preuve de tant de zèle que leur besogne se trouva parachevée en vingt-quatre heures[310].

Le raccordement, si péniblement ouvert dans la roche, ayant été reconnu praticable, Annibal s'empressa d'y faire passer non-seulement son infanterie, mais encore la cavalerie et le convoi[311]. Le défilé, commencé le soir du 30 octobre, dura jusqu'au lendemain matin.

Cependant, tout n'est pas fini. On ne tarde pas à s'apercevoir que, à raison du volume de leur corps, les éléphants ne pourront pas passer le long de cette étroite corniche ; que, par suite, il faudra procéder à des travaux d'élargissement. Ces travaux présentent, de plus, un caractère prononcé d'urgence, car les malheureux animaux ont déjà tant souffert, qu'il faut, sous peine de les voir périr, les descendre au plus tôt dans la plaine.

Comment aura-t-on raison de ces difficultés nouvelles ?

Pour apprécier exactement l'importance de l'œuvre complémentaire qui s'imposait aux ingénieurs carthaginois, il est indispensable de se rappeler les termes de la classification admise par les anciens en matière de voies de communication. Les Latins nommaient callis la piste laissée sur le sol par le passage des troupeaux ; semita, le simple sentier praticable à l'homme ; iter, le chemin strictement nécessaire au passage d'un cavalier, et mesurant 60 centimètres de largeur[312]. Quant à la route carrossable, elle était dite actus ou via, selon qu'elle était large de 1m,20 ou de 2m,40, dimensions correspondant respectivement au passage d'un seul véhicule ou de deux voitures[313]. Les ingénieurs d'Annibal venaient d'ouvrir un iter qu'il s'agissait de porter à largeur convenable. Or, la grosseur moyenne des éléphants d'Annibal pouvait mesurer 1m,30 ; cette dimension[314] imposait, par conséquent, l'obligation d'un élargissement final intermédiaire entre l’actus et la via, élargissement que nous évaluerons à 1m,50. Il fallait donc entamer la roche sur une épaisseur d'environ 90 centimètres, ce qui, dans l'hypothèse d'une hauteur moyenne de 6m, devait conduire à un déblai de 5mc,400 par mètre courant de piste. En admettant pour celle-ci un développement de 400m, on voit que le déblai total ne devait pas s'élever à moins de 2.000 mètres cubes ! Ce chiffre est, à tous égards, un minimum.

Encore une fois, le temps presse. Comment doit-on s'y prendre pour déblayer cette énorme masse calcaire, et la déblayer rapidement ?

Ici se place une légende bizarre dont il convient de rechercher le sens. On a dit et répété plaisamment que, pour avoir raison de l'obstacle, Annibal avait, suivant l'expression des chimistes, employé tour à tour la voie sèche et la voie humide ; qu'il avait brûlé, réduit en cendres et, finalement, traité par le vinaigre l'épaisseur de rochers qui s'opposait au passage de ses éléphants. Les commentateurs de Tite-Live, de Juvénal, d'Appien, d'Ammien Marcellin et de Servius ont, comme on devait s'y attendre, émis à ce sujet des avis très-divers[315]. Je sens, disait Gibbon[316], que Tite-Live a voulu plutôt plaire à l'imagination par une fable romanesque, que satisfaire l'esprit par une histoire vraie et judicieuse. — Tite-Live, écrivait le savant Letronne[317], Tite-Live, en historien qui vise à l'effet, mêle à son récit, il est vrai, une circonstance évidemment fabuleuse, l’emploi du feu et du vinaigre : toutefois, il est douteux que cette fable soit de son invention, comme on s'est plu à le répéter ; c'est probablement une de ces traditions populaires qui durent leur origine à l'étonnement dont la marche merveilleuse d'Annibal avait frappé tous les esprits. Polybe, en effet, reproche aux historiens d'Annibal d'accueillir de ces traditions mensongères pour rendre leur narration plus attachante et plus dramatique. Appien lui-même ne dédaigne pas de rapporter cette fable ; il n'est donc pas surprenant que Tite-Live l'ait insérée dans son histoire. — Concluons, appuyait Deluc[318], que l'histoire du bûcher et du vinaigre est une fable inventée par le peuple ou par des auteurs aussi amateurs du merveilleux que l'était Tite-Live, et que celui-ci a accueillie trop légèrement. — Je ne sais, se demandait Lavalette[319], s'il est permis de discuter sérieusement une pareille fable.

La fable, comme on l'appelle, a cependant été discutée. Plusieurs, disait Rollin[320], rejettent le fait comme supposé. Apparemment, ce qui arrête ici est la difficulté où Annibal dut être de se procurer, dans ces montagnes, la quantité de vinaigre nécessaire pour cette opération. Guazzesi, Deluc, Wickham et Cramer font également valoir l'objection tirée de la quantité de vinaigre, qu'il eût été, disent-ils[321], impossible de réunir ; mais ils admettent, par là même, implicitement que la puissance du réactif est, jusqu'à certain point, discutable.

Cette puissance, Guazzesi la nie ensuite d'une manière absolue[322], et se met ainsi en singulière contradiction avec lui-même. Wickham et Cramer lui refusent toute réalité pour le cas particulier d'une roche primitive[323]. Larauza ne l'admet que s'il s'agit d'un calcaire. Nous conviendrons, dit-il[324], que l'action du feu et du vinaigre peut calciner toute roche qui n'est pas primitive ; les rochers qui dominent le passage où nous montrerons qu'Annibal fut arrêté sont précisément dans ce cas, étant des rocs calcaires dont la pierre fait effervescence avec les arides. Mais nous n'en croirons pas moins qu'il y a de l'exagération dans les détails donnés par Tite-Live. On voit que l'éminent critique faisait ses réserves et n'exprimait qu'une opinion timide. M. Chappuis hésite de même à se prononcer catégoriquement. Sans doute, écrivait-il[325], en 1860, les Carthaginois ont pu... allumer quelques feux pour désagréger et fendre les roches, comme on le fait encore aujourd'hui dans les Alpes. Tite-Live dit, en outre, qu'un acide achevait ce qu'avait commencé le feu ; et Appien, qu'on versait sur la cendre brûlante de l'eau et de l'acide ; c'est ainsi, suivant eux, qu'on rendait le rocher friable et qu'on le préparait à l'action du fer. La science moderne est embarrassée à rendre compte de ce procédé, et, en tout cas, on l'aurait difficilement appliqué à des masses considérables.

Il convient de constater ici que, contrairement à l'opinion du savant professeur, la science n'éprouve aucun embarras à prendre nettement position dans le conflit. Nous avons cru devoir consulter, à cet égard, M. Fremy, notre ancien maître, et l'éminent chimiste a bien voulu nous affirmer que nous ne nous trompions pas. Non, l'acide acétique ne jouit pas des propriétés merveilleuses qu'on s'est plu parfois à lui attribuer ; comme nous le verrons bientôt, c'est une autre substance que les Carthaginois employaient pour entailler le rocher des Alpes.

Cependant, en face des commentateurs qui décernent si volontiers à Tite-Live le titre de mythographe, en regard des érudits qui nous exposent consciencieusement les raisons de leurs doutes, se lève une phalange compacte qui, loin de manifester de l'hésitation, nous paraît, au contraire, animée d'une foi robuste. Paul Jove, Aymar du Rivail et Bergier ouvrent la marche de ces défenseurs du vinaigre[326] ; puis, Saint-Simon vient grossir les rangs. Il n'est ici question, dit avec conviction l'aide de camp du prince de Conti[327], il n'est question que d'un simple rocher que des soldats ont couvert de bois : quand il est pénétré des flammes, et que les fentes et crevasses sont de plus en plus ouvertes par l'action du feu, le vinaigre jeté dans ces fentes trouve encore le rocher ardent dans l'intérieur, quoiqu'on puisse approcher de sa surface ; il bouillonne en tombant dans des crevasses que son action fait ouvrir de plus en plus, non comme l'eau froide fait sur la chaux vive, mais comme la poudre qui ne serait pas tout à fait renfermée, et dont l'explosion ne serait pas tout à fait gênée, qui, jetée dans ces mêmes crevasses, n'aurait pas la force de briser et de séparer ces rochers, mais les ébranlerait légèrement, les ferait entrouvrir, et donnerait la facilité d'en détacher les éclats avec le fer, comme fit Annibal. Plus d'un écrivain s'est rallié, de nos jours, à l'opinion de Saint-Simon[328] ; la conviction s'est même établie si profondément chez certains adeptes, qu'elle les conduit parfois à malmener nos meilleurs chimistes. Pour diminuer la dureté du roc, dit fermement M. Imbert-Desgranges[329], on prit parti de le calciner ; d'aider à l'action du feu par celle du vinaigre, DONT LES SAVANTS MODERNES SEULS ONT IGNORÉ L'ACTION CORROSIVE. L'accusation est formelle, et les termes en lesquels elle est conçue nous permettent de juger de l'ardeur des deux partis en présence : l'un attaquant, l'autre défendant, comme une place forte, la question controversée du vinaigre.

Il était naturel de voir, entre les belligérants, s'interposer des médiateurs dont les tendances pacifiques devaient donner naissance à des interprétations diverses. C'est ainsi que sir Robert Ellis estime que le texte de Tite-Live vise non des quartiers de roc, mais simplement une masse de neige durcie par la gelée (snow solidified by frosi), obstacle dont les Carthaginois ont raison en allumant de grands feux, puis en faisant couler les flots d'un liquide porté à une haute température[330]. L'auteur invoque en vain, à l'appui de son opinion, le souvenir de deux épisodes de la marche de Macdonald par les Alpes Rhétiques[331] : l'un, au Saint Zénon ; l'autre, au passage du Splügen[332]. La critique ne peut faire qu'une réponse, savoir : que cette interprétation, absolument gratuite, est en complet désaccord avec les textes que nous allons relire.

Une autre interprétation est celle du R. P. Griffet et de Dacier, qui ne veulent attacher à ces textes qu'un sens essentiellement figuré. Tous deux prétendent qu'Annibal, désireux d'assurer au plus vite le passage de ses éléphants, encourageait les travailleurs en doublant leur ration de vinaigre, comme nous doublons aujourd'hui l'eau-de-vie ou le café des nôtres, quand nous avons à leur demander un grand effort de bras. L'explication est au moins ingénieuse, car on sait que les troupes de l'antiquité touchaient régulièrement des prestations de cette nature[333]. Les légionnaires de Rome étaient déjà munis de bidons de posca (eau acidulée) au temps de Caton l'Ancien, c'est-à-dire d'Annibal[334]. Ce n'est malheureusement là qu'une simple hypothèse, et rien ne prouve que le sens métaphorique doive prévaloir, à l'exclusion d'un autre.

Enfin, quelques savants, au nombre desquels il faut compter M. Sainte-Claire Deville, ont proposé de remplacer par la leçon acuto l’aceto de Tite-Live et de Juvénal. Ils exposent qu'il s'agit de rochers enlevés au pic à roc, à l'aiguille (acus ou aculum, outil de l'acuarius), et citent, à l'appui de leur dire, une inscription de Fabretti[335]. Mais, avant de pouvoir décider si l'interprétation est ou non plausible, il serait indispensable de savoir quelles étaient exactement, à l'armée, les fonctions de l'acuarius ; surtout, si cette expression visait un munus militare, ce qui n'est point démontré[336].

En présence de tant d'opinions divergentes, il convient, comme toujours, de revoir attentivement les textes. Or, pour Polybe, Diodore de Sicile, C. Nepos et Isidore de Séville[337], il n'est question que d'une simple ouverture de route, dont les travaux semblent s'exécuter suivant la méthode ordinaire, c'est-à-dire à l'aide de coins[338], de pics et de doloires[339].

Florus et Claudien parlent vaguement de rupture de roches[340] ; Silius Italicus et Orose mentionnent remploi combiné du fer et du feu[341]. Jusque-là, rien que de très-ordinaire. Mais voici Juvénal et Servius qui attribuent uniquement le succès de l'opération au pouvoir chimique de l'acetum[342]. Ammien Marcellin fait agir non point l'acetum seul, mais encore la flamme[343] ; enfin, Tite-Live et Appien admettent l'emploi successif et concurrent de la flamme, des outils de fer et de l'acetum, ou όξος[344].

On voit qu'il est des textes au goût de tous les commentateurs. Mais avant de prendre parti parmi les défenseurs de ces divers systèmes, il est bon d'étudier certains procédés d'exploitation des mines et carrières, ainsi qu'un étrange moyen de faire brèche aux murailles, en usage dans l'antiquité. Carriers et mineurs avaient alors coutume d'employer la flamme pour ameublir les terres, désagréger et friabiliser les roches[345]. A ce renseignement de Diodore Pline en ajoute un autre : lorsque l'action du feu était reconnue insuffisante, on avait, dit-il, recours à l’emploi de l'ACETUM, dont les effets semblaient irrésistibles[346]. Le dire de Pline est, d'ailleurs, loin d'être une assertion isolée : Dion-Cassius le confirme nettement et venge ainsi le naturaliste de l'accusation de crédulité naïve, trop souvent portée contre lui. L'historien Dion rapporte que Metellus, assiégeant en Crète la ville d'Éleuthère, s'était ménagé des intelligences dans la place, et que ses agents secrets surent produire l'écroulement d'une tour, en arrosant d'όξος les maçonneries de la muraille[347].

Que si la critique de l'historien paraît entachée de légèreté ou animée, comme celle de Pline, d'instincts puérils et d'amour du merveilleux, on veuille bien consulter les traités didactiques. Voici l'architectus Apollodore, le contemporain de Dion-Cassius[348], qui enseigne, en sa Poliorcétique, un moyen infaillible de faire brèche aux murs d'escarpe : il suffit, enseigne-t-il, de diriger contre les pierres la flamme d'un fourneau dont il indique la disposition, et la rupture des maçonneries s'opère aussitôt qu'on fait intervenir dans la combustion l'action de l’όξος ou de quelque autre mordant (τινός τών δριμέων)[349]. Il est donc bien certain que, tout au moins dès les premières années de l'ère chrétienne, cet όξος était d'un usage vulgaire et pour ainsi dire classique dans l'art de l'attaque des places.

L'emploi de cette méthode semble s'être invariablement perpétué jusqu'au temps de l'invention de la poudre, puisque le compilateur connu sous le nom d'Anonyme de Byzance[350] reproduit presque littéralement le texte d'Apollodore[351], et indique, comme lui, des dispositifs de fourneaux de démolition. Comme lui, il classe l’όξος parmi les substances essentiellement comburantes et mentionne, en outre, un autre mordant, l’οΰρον.

Ce qu'il importe, en somme, de retenir, c'est que, lorsqu'ils étaient dans l'obligation d'ouvrir des brèches ou d'attaquer la roche vive, les anciens avaient coutume de recourir à l'emploi d'un agent dit όξος, ou ACETUM, lequel facilitait singulièrement l'opération et qui jouissait, en outre, de quelques autres propriétés remarquables[352]. Or, les ingénieurs militaires de Carthage étaient, sans aucun doute, initiés à ces méthodes de démolition rapide ; la pratique leur en était familière.

Mais quelle pouvait être la formule de cette substance énergique ? On en est, jusqu'à présent, réduit aux hypothèses ; ce qu'il est permis de croire, c'est que l’όξος était une matière fortement oxygénée[353]. Si l'on observe d'ailleurs que l'Anonyme de Byzance en assimile les effets à ceux de l’οΰρον ; que Marcus Græcus fait, à certains égards, de l’acetum acutum un équivalent de l'urina antiqua[354], on jugera que le produit dont il s'agit était également riche en ammoniaque ; que, par conséquent, on est peut-être en présence d'un chlorate ou d'un azotate de potasse. Il convient enfin d'observer que l’όξος s'employait parfois à l'état liquide[355] ; dès lors, il ne serait pas impossible que les auteurs grecs et latins eussent entendu désigner un similaire de la nitroglycérine, base des dynamites dont nous faisons maintenant usage.

C'est aux sciences chimiques qu'il appartient de prononcer ; nous estimons qu'elles peuvent le faire sûrement, pour peu qu'elles veuillent serrer de près les textes. Dès à présent, et quels que soient les considérants du jugement à intervenir, nous nous croyons en droit de prétendre que l’όξος ou acetum n'était point un vinaigre, un acide acétique, ainsi que l'ont voulu nombre de traducteurs, mais une autre substance dont la formule n'est point venue jusqu'à nous. Ce mordant énergique, employé par les anciens au cours de leurs opérations de démolition ou de pétardement, agissait à la façon des matières détonantes, poudres ou dynamites.

Cela posé, reprenons le problème qui s'impose à l'opiniâtre Annibal. Les ingénieurs carthaginois sont mis en demeure de porter immédiatement à 1m,50 la largeur d'une piste ouverte seulement à 60 centimètres, c'est-à-dire d'opérer sans retard un déblai de plus de deux mille mètres cubes. Que font-ils ? Ils amassent d'abord sur la piste ouverte des bois résineux qu'ils enflamment ; habiles praticiens, ils conduisent leurs feux intenses avec cet art tout antique dont les vitrified sites nous permettent aujourd'hui d'apprécier la vigueur[356] ; favorisés par le vent, ils cuisent la roche calcaire[357] de manière à la friabiliser. Dès que celle-ci a perdu, sous l'action de la flamme, un peu d'acide carbonique ; dès que la calcination est jugée suffisante, ils arrosent d'eau la paroi attaquée[358], à la manière des gens qui éteignent la chaux et provoquent ainsi une pluie de fragments parmi lesquels courent, çà et là, des ruisselets argentins[359].

Attaquée ensuite au marteau, la surface ainsi préparée se détache par lamelles ; mais le cœur de la roche oppose encore une vive résistance. C'est alors que, pour en finir, Adherbal ordonne le pétardement : les ingénieurs entreprennent aussitôt des forages, organisent des chambres de mine qu'ils chargent de ce précieux όξος[360] ; ils procèdent au bourrage, à la mise du feu, et leurs fourneaux produisent des explosions heureusement compassées. Le roc se rompt[361], les masses se fendent, les blocs soulevés sautent, roulent et bondissent dans le gouffre de l'arrachement. Bientôt on est à largeur ; pour parfaire le travail[362], les Imazir'en n'ont plus à donner que quelques coups de leurs masses de fer[363], qui aplanissent la voie et en règlent les pentes.

Tel est cet épisode du passage des Alpes qui a eu tant de retentissement, et dont le récit, pris chez les traducteurs, a toujours le privilège d'amener le sourire sur les lèvres. Annibal, dit Rollin[364], fit verser une grande quantité de vinaigre, qui, s'insinuant dans les veines du rocher, entrouvert par la force du feu, le calcina et l'amollit. Non, le vinaigre, si concentré qu'on le suppose, ne pouvait, comme le veut Rollin, attendrir les rochers. Non, Annibal n'a fait dissoudre aucun rocher dans le vinaigre, ainsi que le prétendent quelques humouristes[365]. Mais s'il n'a ni dissous, ni attendri les calcaires des Alpes, il les a pétardés ! Il les a MINES, comme il le dit lui-même par la bouche de notre sagace Clément Marot[366] :

... Par quel art, moyens et façons caultes,

Taillay des montz et lez Alpes trez haultes,

MINAY et mis les rochers en rompture,

Qui sont haultz murs, massonnez par nature.

L'exécution de ces travaux de raccordement n'avait pas demandé moins de trois jours[367]. Durant ces trois longs jours, les hommes avaient beaucoup souffert[368] ; quant aux éléphants, qui, privés de tout fourrage, venaient, pendant le même temps, de stationner dans la neige, ils étaient gelés de froid, mourants de faim[369]. Dès que la voie fut praticable à ces grands moteurs animés, Annibal se hâta de les faire défiler l'un après l'autre[370] ; puis, quand il eut ainsi sauvé la dernière de ces précieuses bêtes, il passa de sa personne sur l'autre bord de l'arrachement[371]. Là, il retrouva son infanterie, sa cavalerie, son convoi et, rassemblant tout son monde[372] il donna l'ordre de descendre le reste de la vallée du Chisone[373].

Cette dernière partie de la route devait se faire sans difficulté.

La colonne se mut à grands pas par Fenestrelle, Perosa et Pignerol, positions formidables, qui n'eussent pas manqué de l'arrêter, si elles n'avaient été occupées par les Magelli, dont le clan obéissait au brenn Magile. Or, le fidèle Magile répondait des siens ; les troupes carthaginoises passaient par des lieux sûrs ; bientôt elles débouchèrent paisiblement dans la plaine piémontaise.

C'est le 1er novembre que le passage des Alpes fut ainsi parachevé. Cornelius Scipion, qui n'avait pas su défendre la ligne du Rhône, était, encore une fois, gagné de vitesse. Il était loin du pied des montagnes ; les éclaireurs carthaginois ne le signalaient même point sur les rives du Pô.

 

 

 



[1] Vide supra, liv. III, chap. V.

[2] Suétone, Néron, XXXI. — Cf. Tacite, Annales, XVI, I et III.

[3] Polybe, III, XLIX. — Tite-Live, XXI, XXXI.

[4] Polybe, III, XLIX.

[5] Polybe, III, XLIX.

[6] During the second Punic war we do not read of any field artillery. (Macdougall, Compaigns of Hannibal. — Introductory account.)

[7] Vide supra, t. I, Appendice F.

[8] Pline, Hist. nat., VII, LVII.

[9] Biton, Construction des machines de guerre et des catapultes.

[10] Diodore de Sicile, XIV, XLII.

[11] Biton, Construction des machines de guerre et des catapultes.

[12] Polybe, VIII, V et VII.

[13] Voyez la Poliorcétique des Grecs, édition Wescher. Paris, Imprimerie impériale, 1867.

[14] Polybe, VIII, VII.

[15] Polybe, VIII, VII.

[16] Tite-Live, XXVI, XLVII.

[17] Pline, Hist. nat., VIII, XIV. — Silius Italicus, Puniques, VI.

[18] Végèce, Instit. rei militaris, III, XXIV.

[19] Voyez la description de la baliste et de l'onagre ou scorpion dans Ammien Marcellin (XXIII, IV). — Cf. les reliefs de la colonne Trajane, dont le musée de Saint-Germain possède des moulages. Nous avons dit (t. I, Appendice F) que l'appareil névrobalistique de la colonne Trajane pouvait lancer à 300 mètres une flèche du poids d'un kilogramme ; que l'onagre restitué d'après la description d'Ammien Marcellin projetait à 250 mètres des pierres de 2kg.,500. Certaines balistes de campagne comportaient des projectiles d'un poids plus considérable. (Tacite, Hist., III, XXIII.) — Voyez Armandi, Histoire militaire des éléphants, appendice III et passim.

Les batteries névrobalistiques de campagne lançaient des projectiles d'un effet irrésistible. (Végèce, Instit. rei milit., II, XXV.)

[20] Végèce, II, XXV. Tout ce matériel d'artillerie de campagne était placé sous la direction du præfectus castrorum. (Végèce, Instit. rei milit., II, X.)

[21] Végèce, Instit. rei milit., II, XXV, et III, XXIV.

[22] Il est probable que, à l'exemple des Séleucides, Annibal plaçait aussi sur ses éléphants des balistes de petit calibre.

[23] Ammien Marcellin, XXIII, IV, et XXIV, IV. On donnait aussi le nom d'artifices aux ouvriers d'art chargés de la construction et de la réparation du matériel de campagne. (Végèce, Instit. rei milit., II, XI.) — C'est d'artifex, évidemment, que vient notre mot artilleur. — Modestus, Libellus de vocabulis rei militaris, § 12.

[24] Végèce, Instit. ret milit., II, XXV.

[25] Les artilleurs appartenaient vraisemblablement à l'infanterie de ligne, dont ils n'étaient que détachés pour le service des pièces et derrière les rangs de laquelle ils avaient leur place de bataille. (Modestus, loc. cit.) — Végèce, loc. cit.

[26] Polybe, III, XLII et LX. — Appien, De bello Annibalico, IV. — Eutrope, III, VIII. — Vide infra, liv. V, chap. V.

[27] Six jours pour remonter le Drac, c'est-à-dire pour aller de Grenoble à Forest-Saint-Julien, et quinze jours pour franchir le massif proprement dit des Alpes.

[28] L'armée du petit roi Charles VIII était épouvantable à voir. De tous ceux qui se rangeaient sous les enseignes et bandes des capitaines, la plupart étaient gens de sac et de corde, méchants garnements échappés de la justice, et surtout force marqués de la fleur de lys sur l'épaule. (Brantôme, Discours 89 : Sur les colonels généraux.)

[29] Il [le général Bonaparte] avait eu soin d'organiser deux inspections : une première, à Lausanne ; une seconde, à Villeneuve. Là on passait en revue chaque fantassin, chaque cavalier, et, au moyen de magasins improvisés dans chacun de ces lieux, on fournissait aux hommes les souliers, les vêtements, les armes qui leur manquaient. — ... le général Bonaparte, établi à Lausanne, les inspectait toutes [les troupes]. (A. Thiers, Histoire du Consulat et de l'Empire, t. I, liv. IV.)

[30] ... le général Bonaparte leur parlait, les animait du feu dont il était plein. (A. Thiers, loc. cit.)

[31] Tite-Live, XXI, XXIX.

[32] Tite-Live, XXI, XXIX.

[33] Strabon, IV, VI, 12.

[34] Strabon, II, I, 28 et IV, VI, 5.

[35] Pline, Hist. nat., II, LXV. — La précision n'étant pas, comme l'on sait, la qualité maîtresse du style de Pline, on se demande s'il n'a pas entendu mesurer ici le développement total des rampes qui conduisaient au sommet des monts.

[36] Florus, Hist. rom., II, VI.

[37] Silius Italicus, Puniques, III.

[38] Tite-Live, XXI, XXXII.

[39] Silius Italicus, Puniques, III. — Lucain, Pharsale, I et III. — Claudien, Eloge de Stilicon, III.

[40] Silius Italicus, Puniques, III. — Ovide, Les Amours, II, élégie XVI. — Lucain, Pharsale, I.

[41] Silius Italicus, Puniques, III. — Tite-Live, XXVII, XXXVI. — Velleius Paterculus, Hist. rom., II, CV.

[42] Tite-Live, XXI, XXXII. — Silius Italicus, Puniques, III, passim. — Lucain, Pharsale, I. — Florus, Hist. rom. II, VI. — Claudien, Troisième consulat d'Honorius. — Festus Avienus, Ora marit., v. 631. — Tite-Live, XXI, XXXII. — Silius Italicus, Puniques, III. — Lucain, Pharsale, I et II.

[43] Polybe, III, XLVII et XLVIII.

[44] Polybe, III, XLVII et XLVIII.

[45] Polybe, III, XLVII.

[46] Juvénal, Sat. X, v. 166. — Tite-Live, V, XXXIV ; XXI, XXIII. — Pline, Hist. nat., XII, II.

[47] Pline, Hist. nat., XXXVI, I.

[48] Tite-Live, XXI, XLIII.

[49] Silius Italicus, Puniques, III.

[50] La mythologie n'est, on le sait, que la poétique histoire des dernières révolutions géogéniques. La Vénus Anadyomène et, plus généralement, toutes les Aphrodites auxquelles l'art antique donne pour supports des tortues, des dauphins, des sauriens, ne sont que des représentations gracieuses de la terre émergeant des eaux siluriennes avec les dons de sa splendeur native, offrant ainsi aux premiers hommes un refuge contre la dent des monstres paléontologiques de l'Océan. — Pline, Hist. nat., XXXV, XXXVI. — Le mont Éryx en Sicile, le fameux réduit d'Amilcar, est le produit d'une des premières émersions dont les hommes aient gardé le souvenir. Aussi cette terre, cette turris eburnea était-elle l'objet d'un culte tout particulier chez les anciens. Le temple de Vénus Erycine était exceptionnellement célèbre. — Polybe, I, LV ; II, VII. — Strabon, VI, II, 6.

VENERI ERYCINAE V S L M

(Carlo Promis, Storia dell' antica Torino, n° 221.)

Tite-Live, XXII, IX et X. — Suétone, Claude, XXV. — Nombre de ports, et en particulier celui de la Spezzia, furent aussi placés par les anciens sous l'invocation de la Vénus Erycine, offrant aux hommes une anse de salut.

Dans cet ordre d'idées, les populations des Alpes adoraient leurs Matrones sur le sommet des monts. Le christianisme n'a pas suivi d'autres errements : c'est au haut des mêmes pitons abrupts qu'il a bâti ses chapelles à la Vierge, — Notre-Dame-d'Embrun et Notre-Dame-des-Neiges, — qui furent toujours si révérées. — Voyez le psaume de David consacré à la glorification des œuvres du Créateur ; le psalmiste s'y préoccupe souvent des phénomènes de bouleversement des montagnes : Ascendunt montes, et descendunt campi in locum quem fundasti eis. (Psalm. CIII, v. 8.)

[51] Qui respicit terram, et facit eam tremere : qui tangit montes, et fumigant (Psalm. CIII, v. 32.)

[52] C'est sur le mont Olympe que les Grecs avaient assis le trône et la cour de Jupiter ; sur le Parnasse, qu'Apollon conférait avec les Muses ; sur le Sinaï, que Moïse évoquait Jéhovah, etc. On pourrait multiplier les exemples.

[53] Nos expressions topographiques témoignent encore de la profondeur de ce sentiment anthropomorphiste : toutes les parties de la montagne sont assimilées par les langues modernes à des organes corporels. On dit toujours la tête, le pied, le front, le col, la gorge, l'épaule, le flanc, le dos, le bras, l'échine, le coude, la côte, la croupe, le mamelon, le pénis de la montagne. Les mots dent, corne, œil, bec, ombilic, arête, crête, etc. sont aussi fréquemment usités.

[54] Tit' An, l'œil du Puissant, c'est-à-dire le cratère du volcan. Suivant la mythologie, Titan est le fils aîné de la Terre et le chef de la célèbre famille des Titans, que le Temps précipita dans le Tartare (Tara-Tara, lac inférieur). Qui ne reconnaît ici le récit d'une suite de soulèvements suivis d'autant d'affaissements ? Les Géants succèdent aux Titans ; ce sont encore des enfants de la Terre. C'est le volcan Titye ou le volcan Typhée ; c'est Encelade, qui fait trembler le sol, ou Briarée, le mont aux cinquante pics et aux cent contreforts : ces audacieux s'élancent vers le ciel, dont ils ont médité l'assaut. Qui ne voit encore là l'histoire d'un soulèvement ?

Le cyclope qui lance des pierres contre le ciel n'est autre chose que l'image du volcan en éruption ; l'œil rond (κύκλωψ), c'est l'expression du cratère. En serrant étroitement les données de la mythologie, la critique peut refaire en entier l'histoire des derniers temps géogéniques. Consultez, par exemple, à cet effet, Diodore de Sicile (III, LVII et LXX ; IV, XV et XXI ; V, LXXI). — Cff. Lucain, Pharsale, passim ; Claudien, Enlèvement de Proserpine, etc.

Nous nous garderons bien d'entreprendre une digression qui nous conduirait à un hors-d'œuvre. Un exemple seulement. Quelle est l'interprétation rationnelle de l'histoire des amours de Mars et de Vénus, si brutalement troublées par Vulcain ? La Terre, resplendissante de beauté, est unie au volcan, le monstre hideux. Elle est en possession de ses premiers habitants : or ces habitants sont des hommes, c'est-à-dire des êtres qui ne respirent que la guerre. Pendant que ces guerriers reposent sur elle, le volcan les surprend ensemble, les enlace et les engloutit.

[55] Polybe, III, XLIV. — Tite-Live, XXI, XXX.

[56] Polybe, III, XLIV. — Tite-Live, XXI, XXX.

[57] Tite-Live, XXI, XXX. — Cf. Polybe, III, XLIV, XLVII et XLVIII.

[58] Polybe, III, XLIV.

[59] Tite-Live, XXI, XXI et XLV.

[60] Les admirateurs fanatiques des doctrines du transformisme, de l'évolution et de tous autres systèmes matérialistes refusent, comme on le sait, de soutenir aucun débat sur le terrain moral et théologique. Soit. Nous garderons au fourreau nos meilleurs arguments ; mais un seul mot ! Est-il bien admis que le bimane accroupi au dernier degré de l'échelle humaine ait encore une idole, un fétiche, un caillou qui lui inspire une foi ? Oui, sans doute et, cela étant, nous discuterons sérieusement la théorie du transformisme, quand on nous aura laissé entrevoir dans l'instinct animal, si puissant qu'on le suppose, une parcelle de religiosité.

[61] Polybe, III, XLVII et XLVIII.

[62] Scriptum est : Non in solo pane vivit homo, sed in omni verbo quod procedit de ore Dei. (Matthieu, IV, 4.)

[63] Polybe, III, XLIX.

[64] Vizille, à 18 kilomètres de Grenoble, occupe l'emplacement de l'antique Catorissium.

[65] On communique de Briançon à Grenoble par deux différentes routes. La première, appelée grande route, passe sous le feu de Montdauphin, au pont de Saint-Clément, au milieu d'Embrun, à Chorges, à Corps, à la Mure et à Vizille. Elle est bonne pour les voitures à roues. La seconde, appelée petite route, passe par le Monétier, par le col de Lautaret, par le mont de Lens, par le bourg d'Oisans et par Vizille. Celle-ci n'est bonne que pour les chevaux. (De Montannel, Topographie militaire de la frontière des Alpes.)

[66] La grande route de Grenoble à Briançon, qui passe par le col de Saint-Guignes, est regardée comme ouverte pendant toute l'année. (De Montannel, loc. cit.)

[67] On donne le nom de Matasine à tout l'espace compris entre le Drac, la Bonne, la Romanche et le contrefort qui borde la droite de la Valdeins. (De Montannel, loc. cit.)

[68] La Matasine paraît ouverte au nord et au midi. Quant au bas de ladite Matasine, il est aplati dans la majeure partie ; il y a des marécages et quatre lacs, dont les trois plus considérables sont à la file les uns des autres. (De Montannel, loc. cit.) — Les trois lacs dont il est ici question sont ceux de Laffrey, de Petit-Chat et de Pierre-Châtel.

[69] Le contrefort qui borde la droite de la Valdeins est fort élevé ; il s'allonge du nord au sud ; il semble isolé et paraît parallèle à celui qui borde la gauche ; les plus hautes montagnes qui le composent sont celles de Serre, de Chamoussière et du Mouchet. Sur le versant occidental, la Serre ne fait voir qu'un glacis uni, mais des plus rapides et des plus difficiles à gravir. On voit ce glacis de la ville de Grenoble. — La Chamoussière forme une pointe élevée et dominante. — A l'égard de la montagne du Mouchet, c'est l'arête elle-même du contrefort, qui va toujours en s'abaissant, à mesure qu'elle s'avance vers le sud, c'est-à-dire à mesure qu'elle s'approche de la Bonne. (De Montannel, loc. cit.)

[70] La Mure (Mura), ancienne place forte, située à 39 kilomètres de Grenoble et à l'altitude 873 mètres.

[71] La rivière appelée la Bonne prend sa source à la tête du val Jouffrey. — Le vallon dans lequel coule la partie supérieure de la Bonne est appelé le val Jouffrey. — Le bas du vallon dans lequel coule la Bonne présente une petite plaine allongée dans le sens de la rivière. On nomme cette plaine le bassin de Valbonnais. (De Montannel, loc. cit., passim.)

[72] La première route passe par le col de Saint-Guignes, et la seconde par le col d'Ornon, d'où il suit que ces deux routes circonscrivent ensemble toute la masse desdites montagnes. (De Montannel, loc. cit.)

[73] Depuis le pont du Valbonnais jusqu'au Drac, la Bonne s'encaisse à mesure qu'elle descend, en sorte que, vers le village de Ciévez et du Ponthaut, l'encaissement est fort considérable ; aussi, c'est dans cette partie de la Bonne que se trouve une position militaire... — En gardant la position de la Bonne, nous masquons les deux routes qui vont de Briançon à Grenoble. (De Montannel, loc. cit.)

[74] Quand on sut à Grenoble qu'il n'avait pas été possible de devancer Napoléon aux défilés qui séparent le bassin de la Durance de celui de l'Isère, on cita un nouvel endroit où il serait possible de l'arrêter en faisant sauter un pont. Ce pont était celui de Ponthaut, sur une petite rivière, la Bonne, qui se jette dans le Drac, affluent de l'Isère, et barre la route de Gap. (A. Thiers, Hist. du Consulat et de l'Empire, t. XIX, liv. LVII.)

[75] Separa-asif (amazir').

[76] Les Tricorii étaient placés sous la dépendance des Allobroges de l'île ; leurs chefs, que Polybe (III, L) appelle οί κατά μέρος ήγεμόνες τών Άλλοβρίγων, obéissaient au brenn de Grenoble.

[77] Polybe, III, L.

[78] Polybe, III, L.

[79] Aymar du Rivail désigne ce centre de population sous le nom de Corvus. Nous croyons la transcription très-risquée. Ker on Kor a la signification de ville (gaël), et cette racine entre dans le nom même des Tricorii, habitants des villes situées sur le cours de la rivière.

[80] La grande Severaisse est l'un des principaux affluents du Drac ; elle prend sa source au bas de l'Aile Froide et coule au milieu du Val Godemar. — La chaîne qui forme la droite du Val Godemar se termine entre Corps et le village d'Aspre, c'est-à-dire que l'extrémité de cette chaîne vient former sur le Drac le pas d'Aspre. — Au-dessous de l'embouchure de la Severaisse, ledit Drac s'entonne sous le pont Bernard et, par conséquent, dans l'étranglement appelé le pas d'Aspre ou les traverses de Corps. (De Montannel, Topographie militaire de la frontière des Alpes, passim.)

[81] Pour défendre ce pas d'Aspre, il faut occuper toutes les hauteurs qui vont depuis ladite corniche jusqu'au delà du col des Vachers ; dix bataillons peuvent se maintenir sur ses hauteurs contre des forces très-supérieures. — On peut prendre une excellente position sur les derrières du village d'Aspre, que M. de Catinat voulait défendre en 1692. (De Montannel, loc. cit.)

[82] Campus Sauras, suivant Aymar du Rivail ; campus auri, selon d'autres commentateurs. — Le Champsaur, érigé en duché du temps du dauphin Humbert, était l'une des neuf régions dont l'ensemble constituait le haut pays du Dauphiné. Suivant d'Anville, les Tricorii étaient maîtres du Champsaur.

[83] Ce pays a pour capitale Saint-Bonnet. (A. du Rivail, Hist. des Allobroges, trad. Macé.) — Saint-Bonnet, située à 85 kilomètres de Grenoble et à l'altitude 1022 mètres, occupe rentrée de la vallée du haut Drac ou Champsaur. C'est aux environs de Saint-Bonnet qu'il faut quitter le Drac quand on veut passer dans la vallée de la Durance par le col de Saint-Guignes.

[84] Napoléon arriva à Gap, le soir du dimanche 5 mars 1815. Le lundi, 6, de très-bonne heure, il achemina son avant-garde vers le défilé de Saint-Bonnet, par lequel on passe du bassin de la Durance dans celui du Drac, affluent de l'Isère. Le défilé n'étant point gardé, il put aller coucher le soir même à Corps. Le mardi, 7, vers une heure, il était à la Mure, et, quelques pas plus loin, après une scène pathétique que l'effusion des soldats a rendue fameuse, il disait à Drouot : Dans dix jours, nous serons aux Tuileries. Il poursuivit aussitôt sa route par la Frey et Vizille, et, le soir de cette même journée, 7 mars, vers neuf heures, il entrait à Grenoble. (A. Thiers, Hist. du Consulat et de l'Empire, t. XIX, liv. LVII.)

[85] Tite-Live, XXI, XXXI.

[86] Polybe, III, L. — Tite-Live, XXI, XXXII. — le Champsaur, pays ouvert, aplati dans le bas et assez bien cultivé. (De Montannel, Topographie militaire de la frontière des Alpes.)

[87] Tite-Live, XXI, XXXII.

[88] La marche des Carthaginois en pays de montagnes étant, ainsi que nous l'avons vu, réglée à raison de 14 kilomètres 800 mètres par jour, et la distance de Grenoble à Saint-Bonnet étant d'environ 85 kilomètres, Annibal a dû mettre six jours à franchir cette distance. C'est précisément le temps mentionne par les textes. Les Carthaginois marchent, en effet, dix jours le long de l'Isère et du Drac, et quatre jours leur sont évidemment suffisants pour aller de Romans à Grenoble. Restent donc six journées pour monter aux cols (saltus Tricorii), dont la descente ne demanda plus tard que deux jours à Napoléon.

[89] Ce général (Mouton-Duvernet) espérait devancer Napoléon au passage important de Saint-Bonnet. — Les officiers de la garnison d'Embrun... songeaient à occuper le défilé, dit de Saint-Bonnet, qui communique de la vallée de la Durance dans celle du Drac, affluent de l'Isère. Ce défilé commence au sortir de Gap, traverse une haute montagne au col dit de Saint-Guignes, et descend ensuite sur Saint-Bonnet. Napoléon craignait d'être prévenu à un passage aussi dangereux. (A. Thiers, Hist. du Consulat et de l'Empire, t. XIX, liv. LVII.)

[90] Strabon, IV, I, 3.

[91] Polybe, III, L.

[92] Strabon, IV, VI, 6 et Chrest. IV, 26. — Il y en avait [des sentiers] si étroits, joints à des précipices si profonds, qu'ils engendraient le vertige aux hommes et aux chevaux qui n'y étaient accoutumés. (N. Bergier, Hist. des grands chemins de l'Empire, I, XXVIII.)

[93] Strabon, IV, I, 3.

[94] Tite-Live, XXVII, XXXIX.

[95] Les Katoriges étaient les alliés des Taurini et, par conséquent, des Romains. — ... popoli, che ci furon soci di gloria e di sventure, non solo per i cinque e gii otto secoli ne' quali fu risaldata ł' unione loro col Piemonte, ma che sin dalle resistenze all' armi Romane, sin dalla guerra Annibalica, sin dalle antichissime migrazioni, troviamo sempre ostare, vincere o soccombere per noi e con noi. (Carlo Promis, Storia dell' antica Torino, cap. VI.)

[96] Polybe, III, L.

[97] ... de Saint-Bonnet par Ourcières, le col du Haut-Martin, le col de Bonvoisin, Ville-Vallouise. — On met de treize à quatorze heures pour descendre par ce sentier de Pallon à Saint-Bonnet. — Catinat connaissait si bien cette route que, lorsqu'il occupait le Pallon, il tirait par elle plusieurs subsistances du Champsaur et de la vallée d'Ourcières, entre autres choses du fourrage, que les paysans lui portaient sur leur dos. (De Montannel, Topographie militaire de la frontière des Alpes, passim.)

[98] Une autre route, de Réotier à Grenoble, passera par Dourmillouse, le col de Freissinières, Prapic, Saint-Bonnet, etc. Cette dernière communication ne sera bonne que pour les chevaux, et encore faudra-t-il faire un peu travailler d'avance au col de Freissinières. (De Montannel, loc. cit.)

[99] La première communication de Réotier à Grenoble passera par Embrun, Chorges, Brutinel, Corps, la Mure et Vizille. (De Montannel, loc. cit.)

[100] Polybe, III, LIV. — Tite-Live, XXI, XXXV. Les Vergilies, dit Pline, sont les sept étoiles de la queue du Taureau. Leur coucher héliaque annonce l'approche de l'hiver et permet d'en présager la clémence ou les rigueurs. — Pline, Hist. nat., II, XLI et XLVII ; XVIII, XXX et LX.

[101] Si Annibal s'était trouvé au sommet des Alpes après le 1er septembre, il y aurait éprouvé des froids rigoureux qui auraient mis son armée en grand péril. Polybe et Tite-Live, si exacts et si minutieux en leur narration, ne mentionnent rien de pareil. La neige tombe dans les cols des Alpes et y tient, année moyenne, dès le 25 septembre. Les Piémontais, qui quittent leurs chalets le 28 septembre, à la Saint-Michel, m'ont dit qu'ils y laissaient presque toujours la neige. (Extraits d'un manuscrit communiqué par M. Chappuis.)

[102] Al fin di settembre dell' anno 536 scendeva Annibale nei Taurini. (Carlo Promis, Storia dell' antica Torino.)

[103] Maskelyne avait été consulté à ce sujet par le général écossais Melville.

[104] Une analyse de cette réfutation a été donnée par Mgr Rendu, dans le tome IX des Mémoires de la Société royale académique de Savoie.

[105] Voyez Columelle, II, VIII ; XI, II et LXXVIII.

[106] Le calendrier de César place le coucher des Vergilies au VIe des kalendes de novembre, c'est-à-dire au 27 octobre. — Varron (De re rustica, I, XXVIII, 2) compte trente-deux jours de l'équinoxe d'automne au coucher des Pléiades, et cinquante-sept, de ce coucher au solstice d'hiver. Ces observations placeraient l'occasus Vergiliarum au 27 octobre.

[107] Pline, Hist. nat., II, XLVII ; XVIII, LX. — Le 3 des ides de novembre correspond au 11 dudit mois.

[108] Delaunay a bien voulu nous exposer alors toute la série de difficultés qu'oppose à sa réussite l'observation exacte du coucher héliaque d'une constellation. L'état de l'atmosphère, la latitude, le temps (à raison de la précession des équinoxes) peuvent faire singulièrement varier les circonstances du phénomène. Il est fort regrettable que, depuis Biot et Vincent, les astronomes négligent des études archéologiques qui pourraient rendre aux sciences historiques les services les plus signalés.

[109] Polybe, III, L. — Tite-Live, XXI, XXXII.

[110] Ce vallon d'Ancelle ou de la Gravière forme un cul-de-sac, lequel se trouve séparé de la vallée d'Ourcières par un contrefort élevé et dont l'extrémité se termine sur la plaine où l'on voit le village d'Ancelle. Pour ce qui est du revers opposé, je veux dire les penchants qui forment la gauche du vallon d'Ancelle, ils sont en général fort élevés et fort escarpés. (De Montannel, Topographie militaire de la frontière des Alpes, passim.)

[111] On peut garder le vallon d'Ancelle avec une poignée de monde, à une demi-lieue du village de ce nom. Ce seul poste garde les cols de la Pioly, de la Couppa, de Rouanette et de Combeous. (De Montannel, loc. cit.)

[112] Durant la période gallo-romaine, une route mettait Chorges et Grenoble en communication directe. Cette route passait par Ancelle et, de là, par le Champsaur ; on a découvert, suivant ce tracé, nombre de monuments antiques. C'est entre ces limites — Pioly-Chategré — qu'il convient de placer le προσβολή de Polybe.

[113] Polybe donne aux assaillants le nom d'Άλλοβρίγες, et Tite-Live les appelle montani. Ce sont là des dénominations génériques, mais nous avons vu que le pays dont il s'agit était alors soumis aux Katoriges. — Vide supra.

[114] Polybe, III, L. — Tite-Live, XXI, XXXII.

[115] Polybe, III, L. — Tite-Live, XXI, XXXII.

[116] Tite-Live, XXI, XXXII.

[117] Polybe, III, L.

[118] Les officiers du génie attachés à l'avant-garde s'avancèrent et, après une prompte reconnaissance, déclarèrent que le fort obstruait complètement le chemin de la vallée, et qu'on ne pouvait passer sans forcer cette barrière, qui, au premier aspect, semblait à peu près insurmontable. — Berthier reconnut avec effroi combien était difficile à vaincre l'obstacle qui venait de se révéler tout à coup. — Berthier, effrayé, donna contre-ordre sur-le-champ aux colonnes qui arrivaient successivement, fit suspendre partout la marche des hommes et du matériel, pour ne pas laisser engager l'armée davantage, si elle devait rétrograder. — Le premier consul était encore à Martigny. Cette annonce d'un obstacle jugé insurmontable lui causa d'abord une espèce de saisissement ; mais il se remit bientôt et se refusa obstinément à la supposition d'un mouvement rétrograde. Rien au monde ne pouvait lui faire subir une telle extrémité. (A. Thiers, Histoire du Consulat et de l'Empire, t. I, liv. IV.)

[119] C'est aussi par surprise et à la faveur de l'obscurité que notre armée d'Italie eut raison du fort de Bard. — ... Notre artillerie faisait une tentative des plus hardies : c'était de faire passer une pièce sous le feu même du fort, à la faveur de la nuit. — On couvrit la rue de paille et de fumier ; on disposa des étoupes autour des pièces, de manière à empêcher le moindre retentissement de ces masses de métal sur leurs affûts ; on les détela, et de courageux artilleurs, les traînant à bras, se hasardèrent à passer sous les batteries du fort. Bientôt toute la grosse artillerie se trouva transportée au delà du défilé. (A. Thiers, Histoire du Consulat et de l'Empire, t. I, liv. IV.)

[120] Polybe, III, L.

[121] Tite-Live, XXI, XXXII.

[122] Tite-Live, XXI, XXXII.

[123] Polybe, III, L. — Tite-Live, XXI, XXXII.

[124] Polybe, III, L. — Tite-Live, XXI, XXXII.

[125] César, De bello Gallico, VII, III. — C'est ainsi que, aujourd'hui encore, les choses se passent en Kabylie.

[126] Polybe, III, LI.

[127] Polybe, III, LXII.

[128] Clément Marot, Jugement de Minos.

[129] Située à 16 kilomètres d'Ancelle, sur un plateau marécageux, à l'altitude 865 mètres, la ville moderne de Chorges est fréquemment désolée par les débordements du torrent des Moulettes.

[130] Polybe, III, L et LI.

[131] Polybe, III, LI.

[132] Polybe, III, LI. — Tite-Live, XXI, XXXIII.

[133] Polybe, III, LI. — Tite-Live, XXI, XXXIII.

[134] A l'égard des penchants qui forment la droite de la partie de la vallée où se trouve Chorges, ils sont, en général, fort accessibles dans le bas, mais fort rudes et fort difficiles à gravir dans le haut. (De Montannel, Topographie militaire de la frontière des Alpes.)

[135] Polybe, III, LVI.

[136] La gauche du vallon de Touches et la partie inférieure du vallon de Réalon pourraient servir d'une bonne position, dont l'objet serait d'empêcher une armée de remonter la Durance par la rive droite. (De Montannel, loc. cit.)

[137] Les penchants qui bordent la Durance, depuis l'embouchure de la Gironde jusqu'au pont de Savines, sont fort étendus et, en général, fort difficiles à gravir. (De Montannel, loc. cit.)

[138] Embrun, ville située sur une colline, arrosée au midi par la Durance, très-forte par sa position, car les rochers ne permettent d'arriver à cette ville que par un seul passage vers le nord. (Aymar du Rivail, Hist. des Allobroges, I, XX, trad. Macé.) — Embrun est une petite ville assise sur un plateau éloigné d'environ une petite portée de canon de la rive droite de la Durance. Ce plateau est entièrement escarpé dans la partie qui regarde la rivière ; le reste est tout accessible. (De Montannel, Topographie militaire de la frontière des Alpes.)

[139] L'objet d'Embrun est de masquer la route de Grenoble à Briançon. On communique d'Embrun à Montdauphin en trois heures ; d'Embrun à Briançon, en dix heures. (De Montannel, loc. cit.) — La place d'Embrun, située sur le flanc de la route suivie par Napoléon à son retour de l'île d'Elbe, aurait alors pu jouer un rôle important. Il lui eût suffi de faire sortir un détachement qui se fût emparé du col de Saint-Guignes, lequel met Gap et Saint-Bonnet en communication.

[140] Tite-Live, XXI, XXXIV.

[141] Polybe, III, LII.

[142] Polybe, III, LII.

[143] Polybe, III, LIII ; Tite-Live, XXI, XXXIV.

[144] C'est au plan de Phazy que, au VIe siècle de notre ère, furent battus les Lombards par les troupes combinées du patrice Mummol, de l'évêque Salonius d'Embrun et de l'évêque Sagittarius de Gap. — Le plan de Phazy se trouve à l'altitude 910 mètres.

[145] Quant au plateau de Réotier, c'est une position où quinze bataillons peuvent ne maintenir contre des forces fort supérieures... Comme l'extrémité dudit contrefort tombe par escarpements sur la rive droite de la Durance, et que ces escarpements règnent depuis la Biasse jusqu'auprès du pont de Saint-Clément, il se forme à ce pont une espèce d'entonnoir fort aisé à garder au moyen de la position de Réotier... M. le duc de Savoie connut tellement l'avantage de cette position en 1692 qu'il y plaça, pendant son siège d'Embrun, un corps de troupes avec lequel il contint M. de Catinat dans son camp du Pallon. (De Montannel, Topographie militaire de la frontière des Alpes.)

[146] Le plateau sur lequel cette place est assise s'appelait autrefois Malaure ou Malemont. — Ce plateau, dit Montannel (loc. cit.), s'allonge de l'est à l'ouest et se termine, dans les trois quarts de son contour, par un escarpement à pic et fort considérable par sa hauteur, de sorte que ce plateau n'est, rigoureusement parlant, accessible que du côté qui l'attache aux flancs de la montagne de Bachasse, montagne dont le sommet fait l'extrémité de la chaîne. L'idée de fortifier Montdauphin n'est venue qu'à l'occasion du siège d'Embrun, en 1692... Louis XIV fit tracer Montdauphin en 1693 et, quatre ans après, les fortifications furent achevées. — C'est à Vauban qu'on doit la création de ce poste inexpugnable.

[147] Les cols... par lesquels on communique de la vallée de Queyras et du Briançonnais à la plaine du Piémont sont ceux du Viso, surnommé de la Traversette, de Chevalerct, de la Croix, d'Urine, de Bouchier, de Saint-Martin, de la Mayle, d'Esthures, de Chabaud, du Bourgel, de Gimont, du mont Genèvre, des Désertes, de l'Ours, de la Mulatière, de la Chaux, de l'Échelle et du Vallon, surnommé de la Muande. (De Montannel, Topographie militaire de la frontière des Alpes.)

[148] La vallée du Pô proprement dit, avec des passages très-élevés et difficiles (le col des Traversettes, le meilleur qui mène aux sources du Guil, a environ 3.000 mètres d'altitude), à travers la chaîne principale et entre deux contreforts presque impraticables, a bien peu de valeur stratégique. (Colonel Sironi, Géographie stratégique, traduction Selmer.)

[149] La vallée du Pelice trace entre toutes les vallées semblables le plus court chemin du versant alpin à la plaine piémontaise ; elle est en relation avec le Guil par divers passages muletiers, parmi lesquels on remarque celui du col de la Croix, qui est très-fréquenté ; elle est large et productive ; enfin, sa situation par rapport à celle de Fenestrelle, qui converge avec elle vers la plaine de Pignerol, en fait une ligne subsidiaire à celle-ci, qui peut influer sur les résolutions de la défense, en l’invitant à évacuer la vallée de Fenestrelle qu'elle prend de revers. Le chemin de fer (concédé) qui remontera la vallée du Pelice pour descendre ensuite dans celle de la Durance et relier Turin à Marseille accroîtra notablement la valeur militaire de cette vallée. (Colonel Sironi, l. c.) — La route qui longe le Peliez, depuis le col de la Croix jusqu'au-dessous de Mirabouc, est fort bonne pour les chevaux ; dans le reste elle est praticable pour le canon. (De Montannel, loc. cit.) — La vallée du Pelice fut pratiquée par l'armée française en 1795.

[150] Les relations de la vallée du Chisone avec celle du Guil par la vallée latérale de la Germagnasca et le col muletier d'Abriès concourent à en accroître sensiblement la valeur. (Colonel Sironi, Géographie stratégique, trad. Selmer.) — En 1704, M. de la Feuillade, voulant diriger sa marche sur Pignerol par la vallée de Pragelas et craignant avec raison que la communication de son armée avec le mont Genèvre ne fut interrompue par le côté de la vallée de Saint-Martin, détacha d'abord trois bataillons qu'il fil passer par le col de Pis et par Basille, d'où il les envoya dans la branche de Praly. Le chemin qui longe le Germanasque dans la branche de Macello est fort bon pour les chevaux ; c'est par ce chemin que, en 1690, M. de Feuquières fit conduire sur un traîneau une petite pièce d'artillerie... (De Montannel, Topographie militaire de la frontière des Alpes, passim.)

[151] La vallée du Chisone est une des grandes lignes qu'une armée peut suivre pour descendre dans la plaine du Pô. — C'est une des voies suivies depuis les temps les plus reculés, bien qu'elle oblige à franchir deux cols très-élevés, celui du mont Genèvre, sur la crête même, et celui de Sestrières, à plus de 2.000 mètres d'altitude sur le contrefort situé entre le Chisone et la Doire.L'importance de cette ligne d'accès au bassin du Pô fut toujours reconnue. (Colonel Sironi, loc. cit.)

[152] De tous les cols (de la chaîne des Alpes occidentales), il n'y a guère que ceux du mont Genèvre et de l'Argentière par où la grande artillerie puisse passer. On ne doit pas perdre de vue que tous les cols sont couverts de neige huit à neuf mois de l'année ; que les seuls dont on fait quelquefois usage pendant l'hiver sont ceux de Tende, de l'Argentière, du mont Genèvre et du mont Cenis ; encore doit-on choisir le moment que la neige soit capable de porter... De tous les cols qui sont sur la chaîne capitale des Alpes, depuis celui de Tende jusqu'à celui du grand Saint-Bernard, il n'en est point de si aisé à pratiquer que celui du mont Genèvre. (De Montannel, loc. cit.)

[153] On peut arriver l'été sur le mont Genèvre par huit endroits différents... Nous pouvons établir de Réotier à Briançon deux différentes communications, la première passant par le pont de Saint-Clément, par Saint-Crépin et par le pont du Roux ; la seconde, par Chantelouve, par Chancela, par le col de la Posterle, par Ville-Vallouise et par le col de l'Echauda. Nous pouvons encore établir une troisième communication en la faisant passer par le château de Rame. (De Montannel, loc. cit.).

[154] En 1692.

[155] C'est au pied de la montagne de l'Aile Froide et du côté de la Durance que se trouve la Vallouise, petite vallée au milieu de laquelle coule la Gironde. (De Montannel, Topographie militaire de la frontière des Alpes.)

[156] Outre le camp du Pallon, M. de Catinat avait porté, en 1692, cinq mille hommes vers l'Abessée, et il gardait en même temps le plateau de Montdauphin. (De Montannel, loc. cit.)

[157] Le fait de cette astuce est resté proverbial, et les Briançonnais sont toujours renommés pour leur finesse. Il faut, dit-on, trois Juifs pour tromper un Grenoblois, et trois Grenoblois pour tromper un Briançonnais. (Millin, Voyages dans les départements du midi de la France.)

[158] On communique de Montdauphin à Briançon en sept heures. (De Montannel, Topographie militaire de la frontière des Alpes.)

[159] Tite-Live, XXI, XXXIV.

[160] Les Portes de fer de notre Algérie ont été franchies en 1839 par le duc d'Orléans. Voyez le Journal de l'expédition, rédigé par Charles Nodier, Paris, Imprimerie royale, 1844.

[161] Polybe, III, LIII.

[162] ... angustiorem viam ex parte altera subjectam jugo insuper imminenti. (Tite-Live, XXI, XXXIV.) — Comme on le voit, Tite-Live entend parler ici d'un étroit chemin à flanc de coteau, non d'une gorge encaissée par des rochers à pic ; il est ainsi en complet désaccord avec Polybe. Nous ne saurions donc, en l'état, soumettre à la critique l'opinion des commentateurs qui se plaisent à confondre les deux tableaux, au lieu de les disjoindre. Que répondre, par exemple, à M. Chappuis ? — Le pertuis Rostang, dit-il, n'a pas de rapport avec les descriptions que nous ont laissées Polybe et Tite-Live. (Rapport au Ministre de l'instruction publique.)

[163] Cette hypothèse de travaux de main d'homme a été, pour la première fois, formulée par Aymar du Rivail : Là, du midi au nord, s'élèvent comme une muraille d'énormes rochers qui touchent à la Durance, et à travers lesquels on a pratiqué, pour pénétrer dans le Briançonnais, une espèce de porte qu'on appelle vulgairement le pertuis Rostang (foramen Rostagni). (Aymar du Rivail, Hist. des Allobroges, I, XX, trad. Macé.)

[164] Ces deux vers de Claudien nous paraissent peindre assez clairement l'étroit passage et parachever la sobre description de Polybe :

Angustant aditum curvis anfractibus Alpes

Claustraque congestis scopulis durissima tendunt.

(Claudien, Panégyr. de Probinus.)

[165] Cet étranglement du pertuis de Rostan est de la plus grande importance. (De Montannel, Topographie militaire de la frontière des Alpes.)

[166] Un seul homme pourrait facilement y arrêter le passage d'une armée qui se rendrait d'Embrun à Briançon, à cause de la montée que dominent les collines. (Aymar du Rivail, Hist. des Allobroges, I, XX, trad. Macé.)

[167] Sur la croupe qui se développe entre la Gyronde et la Durance, on remarque des ruines de tours et de retranchements qu'on nomme les Murailles des Vaudois. Ces ouvrages étaient destinés, en 1587, à la défense du pertuis. A cette époque, les Briançonnais, sous la conduite d'un nommé La Cazette, avaient retranché ledit étranglement du pertuis de Rostan. Ils avaient compris dans ce retranchement l'église de Queyrières et le château de la Bâtie, qui est de l'autre côté de la rivière. (De Montannel, Topographie militaire de la frontière des Alpes.)

[168] Ce retranchement (du pertuis) fut forcé en 1587 par le gouverneur d'Embrun, selon l'ordre du connétable de Lesdiguières. (De Montannel, loc. cit.)

[169] Tite-Live, XXI, XXXIV.

[170] Tite-Live, XXI, XXXIV.

[171] Tite-Live, XXI, XXXIV. — Polybe, III, LIII.

[172] Polybe, III, LIII. — Tite-Live, XXI, XXXIV.

[173] Polybe, III, LIII.

[174] Polybe, III, LIII. — Silius Italicus, Puniques, III.

[175] Tite-Live, XXI, XXXIV.

[176] Polybe, III, LIII.

[177] Clément Marot, Jugement de Minos.

[178] Polybe, III, LIII. — Tite-Live, XXI, XXXV.

[179] Tite-Live, XXI, XXXIV.

[180] Polybe, III, LIII.

[181] Polybe, III, LIII.

[182] Polybe, III, LIII.

[183] Polybe, III, LIII.

[184] Polybe, III, LIII.

[185] Polybe, III, LIII.

[186] Polybe, III, LIII.

[187] Tite-Live, XXI, XXXV.

[188] Les Carthaginois avaient mis deux jours, les 24 et 25 octobre, à faire la route de Montdauphin à Briançon. C'est une étape qui, du temps de Montannel, se faisait en sept heures, quand il ne survenait point d'accidents. — Vide supra.

[189] Polybe, III, LIII.

[190] Polybe, III, LIII. — Tite-Live, XXI, XXXV.

[191] Polybe, III, LIII. — Tite-Live, XXI, XXXV.

[192] Strabon, IV, V, 2.

[193] Strabon, IV, IV, 3.

[194] Pline, Hist. nat. VIII, IX. — Cf. Sénèque, De ira, II, XII. — Elien, Animal, I, XXXVIII ; VIII, XXVIII ; XVI, XXXVI. — Polyen, Strat. IV, VI, 3 (fragment de Mynoïde-Minas dans le Josèphe de l'édition Didot). — Procope, De bello Gothico, IV, XIV. — Berger de Xivrey, Traditions tératologiques. — Armandi, Hist. milit. des éléphants, etc.

[195] Suivant quelques commentateurs, c'est le cours de la Clarée que les anciens prenaient pour la haute Durance. — ... La vallée de la Clairée, dit M. Ernest Desjardins (Géographie de la Gaule romaine, t. I, ch. I, § 1), que les anciens ont dû considérer comme la vraie Durance. — ... le cours de la Clairée est, en effet, plus long que celui que les modernes ont appelé du nom de Durance. — Telle n'est point cependant l'opinion de la Commission de la carte des Gaules. Strabon, dit-elle, indique très-nettement où la Durance prend sa source. C'est sur le mont Genèvre qu'il faut chercher la véritable source de la Durance, celle au moins que les anciens reconnaissaient et adoraient. — Voyez le Dictionnaire archéologique de la Gaule, au mot Druentia.

[196] Géographie de la Gaule romaine, t. I, ch. I, § 1.

[197] Dictionnaire archéologique de la Gaule : époque celtique, aux mots Druentia et Druentium. Cf. P. Raffæle Garrucci, Dissertazioni archeologiche di vario argomento, Itinerarii di Vicarello, § 82 : Druantium. — L'éminent archéologue s'exprime en ces termes : ... che da Brigantio salivasi alla più alta cima delle Alpi variamente appellata, or monte Matrona, or Alpe Cottia, or summas Alpes e messa alla distanza di sei miglia, nel quai sito per conseguenza dobbiamo fissare Druantiam.

[198] Virgile, Enéide, III, v. 522-524.

[199] Au mois de janvier 1794, le jeune Bonaparte a passa une nuit sur le col de Tende, d'où au soleil levant il découvrit ces belles plaines qui déjà étaient l'objet de ses méditations : Italiam ! Italiam !... (Commentaires de Napoléon Ier, t. I, ch. III.)

[200] Le 14 septembre 1812, l'armée découvrit tout à coup au-dessous d'elle, et à une distance assez rapprochée, une ville immense. — A cet aspect magique, l'imagination, le sentiment de la gloire s'exaltant à la fois, les soldats s'écrièrent tous ensemble : Moscou ! Moscou ! (A. Thiers, Histoire du Consulat et de l'Empire, t. XIV, liv. XLIV.)

[201] Polybe, III, LIV.

[202] Tite-Live, XXI, XXXV.

[203] Polybe, III, LIV.

[204] Filicaja, Sonnets.

Italia, Italia, o tu cui feo la sorte

Dono infelice di belleza !

[205] Lors d'une revue passée en mars 1796. Voyez les Commentaires de Napoléon Ier, t. I, ch. II, § 3.

[206] Polybe, III, LIV. — Tite-Live, XXI, XXXV.

[207] ... Après un moment de repos, on se remit en route... — Arrivé au faîte des monts, on prenait quelque repos. — Le premier consul s'arrêta quelques instants. (A. Thiers, Hist. du Consulat et de l'Empire, t. I, liv. IV.)

[208] Polybe, III, LIII. — Tite-Live, XXI, XXXV.

[209] Polybe, III, LIII. — Tite-Live, XXI, XXXV.

[210] Florus, Hist. rom., II, VI.

[211] Valère-Maxime, I, VII, 1.

[212] Appien, De rebus Punicis, II. — Justin, XXXVIII, IV.

[213] Diodore de Sicile, XXVI, XIII.

[214] Silius Italicus, Puniques, III.

[215] Polybe, II, XIV. Il convient de remarquer l'énergie de l'expression καταλύειν. Annibal se propose de désagréger la nationalité romaine, dont les éléments sont plus fortement cimentés qu'il ne le pense.

[216] Suétone, De illustribus grammaticis, I.

[217] Suétone, De illustribus grammaticis, I.

[218] Horace, Odes, IV, III.

[219] Tite-Live, XXVII, XXXVII.

[220] Ammien Marcellin, XXII, IX.

[221] Suétone, Néron, XXXVIII.

[222] Topographie militaire de la frontière des Alpes.

[223] La route moderne est ainsi kilométrée :

Mont Genèvre

 

 

Césanne

8

kilomètres

Fenestrelle

38

 

Perosa

54

 

Pignerol

69

 

Turin

109

 

 

[224] C'est une limite supérieure qui ressort du rapprochement de ces divers passages du livre de Montannel : On communique de Fenestrelle à Briançon en remontant la vallée de Pragelas et en passant par le col de Sestrières. Il faut onze heures pour parcourir ce chemin ; il est bon pour les chevaux et peut s'accommoder pour le canon. — On communique de Fenestrelle à Pignerol en six heures. Ce chemin passe par le bourg de la Pérouse ; il est bon pour le canon. — On communique de la Pérouse à Pignerol en trois heures et demie. — On communique de Pignerol à Turin en six heures. (De Montannel, Topographie militaire de la frontière des Alpes, passim.)

[225] Ammien Marcellin, XV, X.

[226] Polybe, III, LIV. — Tite-Live, XXI, XXXV.

[227] Tite-Live, XXI, XXXV. — Ammien Marcellin, XV, X.

[228] Tite-Live, XXI, XXXV.

[229] Tite-Live, XXI, XXXV.

[230] Polybe, III, LIV.

[231] Ammien Marcellin, XV, X.

[232] Tite-Live, XXI, XXXV.

[233] Histoire du Consulat et de l'Empire, t. I, liv. IV.

[234] Th. Lavallée, Géographie militaire, chap. V, § 3.

[235] Strabon, IV, VI, 5.

[236] ... Disceso da Monginevra... il fiume. (Durandi, Notizia dell' antico Piemonte traspadano, cap. IV.)

[237] ... il torrente chiamato pur Dora... disbocca nel fiume di Dora Riparia poco di sotto Sezana. (Durandi, loc. cit.)

[238] ... la quale [valle di Sezana] dai monti di Sestrières, che la chiudono a levante, vien declinando inverso le basi di Monginevra. (Durandi, loc. cit.)

[239] Comparez les altitudes du mont Genèvre (1854 mètres) et de Césanne (1358 mètres). La différence est de 496 mètres.

[240] Strabon IV, I, 3.

[241] Strabon IV, I, 3.

[242] Pline, Hist. nat., II, CXII.

[243] Agathemère, Geographiæ informatio, 17.

[244] Géographie de la Gaule romaine, t. I, chap. I, § 1.

[245] Césanne, qui, dans l'antiquité, portait le nom de Scingomagus. (Aymar du Rivail, Histoire des Allobroges, I, XXI, trad. Macé.)

[246] ...qui le circostanze locali e le misure itinerarie tanto prevalgono, che non vi rimane alcun dubbio intorno alia vera positura di Scingomago a Sezana. (Durandi, Notizia dell' antico Piemonte traspadano, cap VI : Scingomagus, etc.)

[247] Aymar tranche une question controversée ; il est cependant très-probable qu'il a raison. (M. A. Macé, Description du Dauphiné.)

[248] Lo stesso nome di Scingomagus indica un luogo situato al varco di un fiume, oppur lungbesso, qual è Sezana. (Durandi, Notizia deli antico Piemonee trapasdano, cap. VI.)

[249] Nous observons que, dans le principe, l'orthographe latine voulait que le nom s'écrivît Cingomagus. — ... la correzione che Hardouin ha fatto nel testo di Plinio in cui sta scrilto Cingomagus. (Durandi, loc. cit.) Or, la racine cing, qu'on retrouve dans les noms gaulois de Cingetorix et Vercingetorix (César, De bello Gallico, V, III, IV ; VIII, IV et passim), implique le sens de chef de guerriers. — Cf. king (gaël). Il convient de remarquer, d'autre part, que la ville de Césanne a conservé, par delà l'antiquité, le caractère de résidence princière. Les dauphins y battaient monnaie. — ... in questo luogo... i principi o delfini di Vienna usavano risedere frequentemente e tenervi lor corte ; talchè il delfino Guigone, conte di Graisivaudan, gli otlenne poi dall' impcrador Frederico 1 nel 1155 il privilegio délia zecca, potestalem cudcndi et fabricancli novam monetam in villa quee dicitur Sezana. (Durandi, loc. cit.) — La petite ville de Césanne fut la capitale d'un marquisat ; mais, par suite d'un crime de lèse-majesté dont un des marquis s'était rendu coupable, ce marquisat fut réuni au Dauphiné. (Aymar du Rivail, Histoire des Allobroges, I, XXI, trad. Macé.) — Aux termes de l'article 4 du traité d'Utrecht (11 avril 1713), Louis XIV dut céder au duc de Savoie, Victor-Amédée II, Césanne et tout ce qui est à l'eau pendante des Alpes du côté du Piémont.

[250] Pare anzi piuttosso che il nome di Sezana sia un avanzo di quello di Scingomago, il qual ne' tempi mezzani in più maniere venne disformandosi... più verisimile l' opinione di chi pretese che in documenti più antichi il nome di questo luogo fosse scritto quando Scinzone, quando Cenzone... (Durandi, loc. cit.)

[251] MUTATIO GESDAONE (Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem) ; GADAONE (Table de Peutinger) ; GESSABONE (Anonyme de Ravenne, IV, XXX).

[252] ... tutti nomi stranieri agli antichi popoli alpini. (Durandi, loc. cit.)

[253] La confrontation des leçons Cœsaone et Gesdaone permet de supposer qu'on se trouve peut-être là en présence d'un Cæsarodunum — Cf. Sézanne (Marne), dont la construction est attribuée à César. Est-il impossible que le conquérant des Gaules ait laissé son nom au castellum qu'il rencontrait sur son passage près de la cime des Alpes ?

[254] GOESAO, GAESAEONE (IIe et IIIe Itinéraires Apollinaires ou de Vicarello). La leçon Gaesaeone est manifestement une préparation du nom définitif de Césanne.

[255] Itinerarii di Vicarello, dans les Dissertazioni archeologiche di vario argomento, du P. Raffæle Garrucci, Rome, 1864.

IV.

A GADIBVS ROMA

. . . . . . . . . . . . . . . . . .

BRIGANTIONE. . . .

DRVANTIO. . . . . . . . VI

TYRIO. . . . . . . . . . V

. . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il est donc avéré que, du temps de Trajan, la station de Césanne portait le nom de Tyrium. L'auteur de la dissertation archéologique le constate explicitement :  ...la stazione appellata Gœsao, Gæsæo negli Itinerarii II, III, Gesdao nel Gerosolimitano, è Tyrio nel IV. f (P. Raffæle Garrucci, loc. cit.)

[256] ... villa quæ dicitur Sezana, quæ sita est ad radicem montis Iani... (Charte de l'empereur Frédéric Ier, conférant au dauphin Guigon le droit de battre monnaie à Césanne [1155], dans les Mémoires pour servir à l'histoire du Dauphiné.)

[257] Sezana... è come in fondo della valle, che porta il suo nome... (Durandi, Notizia dell' antico Piemonte traspadano, cap. IV.)

[258] ... appiè di alta e vasta montagna. (Durandi, loc. cit.)

[259] .... piglia il fiume la direzione da mezzodi a tramontana. (Durandi, loc. cit.)

[260] ... appiè di Monsestrières villa Seguina, o Segovina, come scrivesi a vicenda, ora Champlas Seguin, e nell' antico registro delle terre del Delfinato villa Segoiina. (Durandi, loc. cit.)

[261] ... appiè di monte Sestrières il villagio che piglia lo stesso nome, cioè Porta Sistraria, ed ad Portam Sistrariam, dappoi semplicemente Sistraria, e nell' undecimo secolo Porta, ed a vicenda Petra Sestraria, nome comune a quella villa ed all' imminente giogo del monte, che noi chiamiamo collo di Sestrières, donde sorge il Chisone, e fin dove risale la valle, e di là scendesi nell' altra detta di Sezana. (Durandi, loc. cit.)

[262] Tite-Live, XXI, XXXVI.

[263] Tite-Live, XXI, XXXVI.

[264] Polybe, III, LIV. — Tite-Live, XXI, XXXVI.

[265] Un énorme rocher, récemment détaché des hauteurs voisines, qui, en traversant le chemin, semble défendre de pénétrer au delà. (Poirson, Hist. rom., t. I, p. 369.)

[266] Le sentier étroit, sur la pente de l'abîme, arrivait à un banc de rochers coupé à pic. Ce banc de rochers se prolongeait dans une étendue de trente pas, pour se dérober dans le précipice, et reparaitre quinze pieds plus loin dans une étendue d'une vingtaine de pas. Le chemin creusé sur la première partie,.. Pour se soustraire à la nécessite de creuser le roc dans cet espace intermédiaire de quinze pieds... on apporta un mélèze dépouillé de ses branches ; à l'aide de cordages, on le suspendit sur le précipice et on l'appuya sur l'autre banc de rochers. Bientôt des hommes passent à cheval sur ce tronc ; ils tirent à eux une seconde poutre qu'on leur passe sur la première, puis une troisième, et enfin le pont est achevé. Alors on continue le sentier... (M. Imbert-Desgranges, Mémoire, passim, dans les Notes sur Tite-Live du tome I de l'édition Didot. — Note sur le chapitre XXXVIII du livre XXI.)

[267] Des arbres placés en travers, formèrent une espèce de route solide, sur laquelle on put dès lors marcher sans crainte. (Bourgon, Histoire romaine, p. 209.)

[268] On rencontra, dans un défilé, un glacier recouvert par une neige nouvelle... La gorge était d'ailleurs si étroite. (M. Duruy, Hist. romaine, p. 117.)

[269] Strabon, IV, VI, 6 et Chrest., V, 26.

[270] Polybe, III, LIV.

[271] Tite-Live, XXI, XXXVI.

[272] Histoire romaine, t. II.

[273] Tite-Live, XXI, XXXVI.

[274] Polybe, III, LIV. — Tite-Live, XXI, XXXVI.

[275] Tite-Live, XXI, XXXVI.

[276] Clément Marot, Jugement de Minos.

[277] Silius Italicus, Puniques, III, v. 634.

[278] Polybe, III, LIV.

[279] Polybe, III, LIV.

[280] Polybe, III, LV. — Tite-Live, XXI, XXXVI.

[281] Polybe, III, LV. — Tite-Live, XXI, XXXVII.

[282] Polybe, III, LV. Au lieu de ραχίν, Casaubon a proposé la leçon άρχήν, qu'il traduit par in principio ejus viæ. Il entend ainsi parler des abords de l'amorce de route située en deçà de l'éboulement. — Tite-Live, XXI, XXXVII.

[283] Polybe, III, LV. — Tite-Live, XXI, XXXVII.

[284] Tite-Live, XXI, XXXVII.

[285] Polybe, III, LV.

[286] Tite-Live, XXI, XXXVII.

[287] Polybe, III, LV.

[288] Appien, De bello Annibalico, IV.

[289] Tite-Live, XXVII, XXXIX.

[290] Les obstacles physiques dont la route des Alpes était hérissée consistaient dans des chemins escarpés ou couverts de glace, dans des défilés à forcer ou à tourner ; et ces obstacles, on pouvait les surmonter avec de la patience, de l'opiniâtreté, de l'audace. Napoléon amenait avec lui onze cents hommes capables de tout. (A. Thiers, Hist. du Consulat et de l'Empire, liv. XXXIX.)

[291] Isidore de Séville, De origin. XV.

[292] Chez les anciens, le profil d'une route comprenait : 1° une assise de libages, d'environ 30 centimètres d'épaisseur, posée sur sable et mortier de chaux ; c'était la fondation, ou statumen ; 2° au-dessus du statumen, une couche de 20 centimètres d'épaisseur de pierres concassées mêlées de ciment ; c'était le rudus ; 3° au-dessus du rudus, une bonne épaisseur de terre grasse fortement battue ; c'était la chape, ou nucleus. Parfois même, une croûte de béton (sumnia crusta) recouvrait le nucleus.

[293] Tite-Live, I, XLIII. — Cf. Denys d'Halicarnasse, IV, XVII.

[294] Tite-Live, I, XLIII.

[295] César, De bello Gallico, V, XI.

[296] Végèce, De re militari, II, X, XI et XXV, passim.

[297] Végèce, De re militari, II, X, XI et XXV, passim.

[298] Pline, Hist. nat., XXXV, XLVII.

[299] Végèce, De re militari, II, XI. — Voyez tout le chapitre XI du livre II de Végèce.

[300] Voyez les inscriptions d'Orelli, n° 65, 125, 256, 313, 1740, 2254, 3057, 3426, 3817, 3841, 3856, 3876, 3887, 3899, 3goo, etc., et les inscriptions du Supplément d'Henzen, n° 5120, 5439, 6158, 6632, 6677, 6755, 6776, 7045, 7076, 7084, etc.

[301] PRÆ. KAST. LEG. XIII. G[eminæ]. (Orelli, 3427.)

PRÆF. CASTR. LEG. XX. VICTR[icis]. (Orelli, 3509.)

PRÆF. KAST. LEG. IIII. F[laviæ Felicis], (Henzen, 5713.)

PRÆF. CASTROR. LEG. m. CYR[enaicæ]. (Henzen, 6759.)

[302] Végèce, De re militari, II, X.

[303] Végèce, De re militari, II, X.

[304] Suétone, Vespasien, I. — Voyez les inscriptions d'Orelli, n° 3426, 3449, 3509, 3876 ; et l'inscription du Supplément d'Henzen, n° 6758.

[305] Tite-Live, XXI, XXXVII. - Les outils en fer employés dans les travaux de démolitions furent connus de toute antiquité. (Voyez Victor Place, Ninive et l'Assyrie, t. II, liv. II, chap. II.) — Pline (Hist. nat., VII, LVII) attribue à Cinyra l'invention des tenailles, du marteau, de la pince. Pour entamer la roche, les anciens se servaient de coins et de masses de fer ; celles-ci étaient d'un poids souvent considérable. — Diodore de Sicile, III, XII. — Pline, Hist. nat., XXXIII, XXI.

[306] Polybe, III, LV.

[307] Il est vraisemblable que les ingénieurs carthaginois avaient installé sur place un atelier de réparations d'outils. Ils employaient sans doute, pour refaire les pointes et les tranches, ces pierres à aiguiser que les Gaulois connaissaient sous le nom de passernices. — Pline, Hist. nat., XXXVI, XLVII.

[308] Polybe, III, LV.

[309] Silius Italicus, Puniques, III.

[310] Polybe, III, LV.

[311] Polybe, III, LV.

[312] Varron, De lingua latina, lib. XV.

[313] Voyez N. Bergier, Les grands chemins de l'Empire, passim.

[314] Les éléphants qu'employait Carthage étaient, on le sait, de race africaine (Elephas Capensis de Cuvier) et ne devaient pas mesurer plus de 2m,50 de hauteur. Leur grosseur peut être évaluée à 1 m,30. Voyez d'Armandi, Histoire militaire des éléphants, liv. I, chap. I.

[315] Hujus laboris descriptio varia apud varios scriptores antiquos, recentiorum etiam sententias protulit complures, quas affert Lachmann, 31. (Wijnne, Quœstiones critical.)

[316] Mélanges, Londres, 1796.

[317] Journal des Savants, janvier 1819.

[318] Histoire du passage des Alpes.

[319] Recherches sur l'histoire du passage d'Annibal.

[320] Histoire ancienne, t. I.

[321] Nel qual caso bisogna che Annibale ne avesse moltissime botti per fame uso contro le vaste rupi di quelle montagne... (Guazzesi, Dissertazione ne  Saggi dell' Academia etrusca, t. VI, II.) — Quant au vinaigre, je demande à ceux qui ont visité les montagnes, s'il fallait tracer un chemin avec plusieurs tournants contre la face escarpée d'un rocher de mille pieds de hauteur, ce qui occuperait une largeur de quelques centaines de pieds, je leur demande, dis-je, si tout le vinaigre que l'on pourrait rassembler à plusieurs lieues à la ronde, dans un pays bien peuplé, suffirait pour mouiller une surface de rochers aussi étendue, et pour la pénétrer jusqu'à la profondeur de plusieurs pieds, de manière à pouvoir y tailler un chemin assez large pour que des éléphants pussent y descendre. Or, une armée qui avait perdu presque tous ses bagages par deux attaques différentes des habitants, dans lesquelles elle avait couru risque d'être elle-même détruite en entier, pouvait-elle avoir conservé une quantité de vinaigre bien considérable, en supposant que ce fût la boisson ordinaire des soldats, ce que l'on ignore ? Des soldats qui traversent des montagnes où ils trouvent de d'eau en abondance pour boire et rien à manger ne se chargeraient-ils pas plutôt de provisions que de vinaigre ? (Deluc, loc. cit.) — It is quite improbable that the Carthaginian army should have had any great supply of that acid. (Wickham et Cramer, Dissertation.)

[322] Qual impresa tacendosi dal medesimo Plinio, si nel raccontarci il di lui passo per l' Alpi, si nel descriversi gli effetti, e la natura dell' aceto mi, dà sicura riprova, che egli non lo credesse, come parmi che non lo credesse l'Orosio. (Guazzesi, Dissertazione ne' Saagi dell' Academia etrusca, VI, II.)

[323] It is quite improbable. that it (acid) could produce any effect on primitive rock. (Wickham et Cramer, Dissertation.)

[324] Histoire critique du passage des Alpes par Annibal, Paris, 1826.

[325] Rapport au Ministre de l'instruction publique, Paris, 1860.

[326] Paul Jove, Hist., lib. XV. — ... ayant enfin, par la flamme et le vinaigre, dissous les rochers. (Hist. des Allobroges, I, XXVII, trad. Macé.) — ... l'une desquelles voies on dit avoir été faite par Hannibal, pour passer de la Gaule en Italie : ayant ouvert une roche inaccessible, non tant par le fer, que par le feu et le vinaigre qu'il jeta dessus. (Nicolas Bergier, Hist. des grands chemins de l'Empire, II, XVI.)

[327] Histoire de la guerre des Alpes, préface. —Cf. de Saussure, Voyage dans les Alpes, t. V, ch. VI, §§ 1249-1252.

[328] Encore aujourd'hui, dans les fameuses mines du Hartz, on fend les blocs de rochers en y allumant de grands feux et, quand la pierre est bien échauffée, on y jette de l'eau. Cette opération devait être commune avant l'usage de la poudre. (C. Cantu, Histoire universelle.)

[329] Mémoire inséré dans les notes de Tite-Live, édition Nisard : Paris, Didot, 1864.

[330] Hannibal found bis way obstructed by it in some place, and was obliged to cut through the hardened mass, decomposing it first by the aid of fire, and the percolation of some warm liquid, and thus enabling himself to break it up with greater facility. (Robert Ellis, A treatise on Hannibal's passage of the Alps. — Cambridge, 1853.)

[331] Is the winter campaign of Macdonald in the Rhœtian Alps, the best illustrative parallel to Hannibal's expedition, two cases are mentioned. (Robert Ellis, A treatise on Hannibal's passage of the Alps.)

[332] Au Saint-Zénon, dit Jomini, on fut obligé de tailler un chemin dans la glace vive. Au Splügen, Macdonald fit, suivant Alison (History of Europe, t. IV), ouvrir un massif de glace et de neige : the wast walls of ice and snow were cut throngh.

[333] Végèce, De re militari, III, III. — Spartien, Pescennius Niger, X. — Vulcatius Gallicanus, Avidius Cassius, V.

[334] Plutarque, Caton l'Ancien, I.

[335] Fabretti, ch. IV, n° 315.

D.M.

SYNTROPHO

ATTIANI SER

ACVAKIO VETTIA

.... RESTITVTA

CONIVGI B M FECIT

[336] M. Robert (Épigraphie de la Moselle, fascicule I) se serait, nous dit-on, prononcé pour l'affirmative.

[337] Polybe, III, LV. Quelques commentateurs lisent όξωκοδομεϊ et font ainsi entrer l'όξος dans la composition du mot. Nous ne savons si les hellénistes ratifieront cette hardiesse. (Diodore de Sicile, XXV, XIX.)

[338] C. Nepos, Annibal, III. — Isidore de Séville, De originibus, XIV, VIII.

[339] Végèce, De re militari, III, VI.

[340] Florus, II, VI. — Claudien, De bello Gildonico.

[341] Silius Italicus, Puniques, liv. III. — P. Orose, Hist. IV, XIV.

[342] Juvénal, Sat. X, v. 152-153. — Servius ad Æneid., X, XIII.

[343] Ammien Marcellin, XV, X.

[344] Tite-Live, XXI, XXXVII. — Appien, De bello Annibalico, IV.

[345] Diodore de Sicile, III, XII.

[346] Pline, Hist. nat., XXIII, XXVII, et XXXIII, XXI.

[347] Dion-Cassius, liv. XXXVI.

[348] Apollodore vivait sous le règne d'Adrien, c'est-à-dire à l'époque où florissait la littérature hellénique dite gréco-romaine. M. Wescher a signalé le fait d'un rapport très-frappant, d'un lien étroit entre les écrits des tacticiens grecs de cette époque et les ouvrages des historiens.

[349] Apollodore, Poliorcétique : Περί λιθίνων τειχώνΠερί χυτρίνων.

[350] L'Anonyme de Byzance vivait probablement au Xe siècle de notre ère.

[351] Anonyme de Byzance, Poliorcétique, cap. VI : De murorum lapideorum per urnam combustione. — Cf. cap. VIII : De murorum lateritiorum combustione.

[352] On attribuait, entre autres, à l'acetum le pouvoir de dissoudre les perles et d'éteindre le feu grégeois. — Pline, Hist. nat., IX, LVIII. — Marcus Græcus, Liber ignium ad comburendos hostes, passim. — Albert d'Aix, VI, XVIII.

[353] N'aurait-on pas écrit, à tort, όξος pour όξύς, l'épithète caractéristique de toutes les substances énergiques ? Όξύς est la racine de notre mot oxygène.

[354] Vide supra l'extrait du Liber ignium.

[355] Dion-Cassius, liv. XXXVI. — Albert d'Aix, VI, XVIII.

[356] Voyez M. Jules Marion, Monuments des environs d'Inverness, dans le tome XXXIII des Mémoires de la Société des Antiquaires de France. — Cf. le colonel Prévost, Mémoires sur les anciennes constructions militaires connues sous le nom de forts vitrifiés, 1863. — Dissertation sur les forts vitrifiés dont on trouve les ruines en Ecosse, en France et en Allemagne, 1867. L'art des constructions par voie de vitrification artificielle est à peu près perdu ; aucune des hypothèses qu'on a produites, aucune des expériences qu'on a faites n'a permis de le retrouver. L'éminent M. Daubrée a bien voulu nous déclarer nettement qu'on en est encore à savoir comment opéraient les anciens.

[357] Silius Italicus, Puniques, III. — P. Orose, Hist., IV, XIV. — Ammien Marcellin, XV, X. — Appien, De bello Annibalico, IV.

[358] Appien, De bello Annibalico, IV.

[359] Posidonius (ap. Athénée, VI, IV) rapporte que des flots d'argent sourdaient de terre lorsqu'on brulait des forêts dans les Alpes.

[360] Parmi les munitions de guerre emmagasinées dans le parc du génie carthaginois, il y avait sans doute une certaine quantité d'όξος, comme il se trouve dans les parcs des armées modernes de la poudra de mine ou de la dynamite. Les ingénieurs avaient ainsi sous la main la matière explosible qui leur était nécessaire.

[361] Juvénal, Sat. X. — Servius ad Æneid., X, XIII. — Claudien, De bello Gildonico.

On voit bien à ces expressions qu'il s'agit d'une rupture de roches obtenue par le moyen d'un pétardement.

[362] Tite-Live, XXI, XXXVII.

[363] Appien, De bello Annibalico, IV.

[364] Histoire ancienne, t. I.

[365] C'est sans doute au rapprochement d'un passage de Pline (Hist. nat., IX, LVIII) et du texte d'Ammien Marcellin (XV, X) qu'est due cette interprétation grotesque. Vide supra.

[366] Jugement de Minos. Cette pièce, imitée de Lucien (Dialogue des morts), parut en 1514, à la veille du jour où l'expédition de François Ier allait attirer vers les Alpes les regards de tous les gens de guerre, des érudits et des lettres.

[367] Polybe, III, LV et LVI.

[368] Polybe, III, LV.

[369] Polybe, III, LV. — Tite-Live, XXI, XXXVIII.

[370] Polybe, III, LV.

[371] Polybe, III, LVI.

[372] Polybe, III, LVI.

[373] Polybe, III, LVI. — Tite-Live, XXI, XXXVII.