HISTOIRE D'ANNIBAL

 

LIVRE CINQUIÈME. — LES ALPES.

CHAPITRE PREMIER. — SCIPION AUX BOUCHES DU RHÔNE.

 

 

Les événements qui décident en dernier ressort des destinées d'un peuple passent quelquefois par des phases étranges ; souvent même, ils semblent conspirer pour voiler aux yeux des contemporains le sens et l'étendue de leurs conséquences. Ainsi la deuxième guerre punique, cette guerre d'Annibal[1], dont l'issue va consacrer la toute-puissance de Rome, n'apparaît d'abord à l'austère République que sous le nuage d'une longue suite de revers. Des désastres inouïs doivent préluder à ses succès[2]. Avant d'en venir à s'affirmer ville éternelle et reine de l'Occident, la rude élève de la Louve subira des nécessités redoutables ; elle touchera même plusieurs fois à sa perte... Durant ces crises, l'énergie de ses citoyens sera soumise à de cruelles épreuves, mais sans jamais se démentir. Ses défenseurs seront souvent réduits à combattre avec ce suprême courage qu'inspire un désespoir farouche, mais c'est à des actes de désespoir qu'ils devront leur salut[3].

La campagne de l'an 218 venait de s'ouvrir sous les auspices les plus sombres. Le sénat romain, cette assemblée de patriciens

si bien préparés à la lutte, et que rien, disait-on, ne pouvait ni frapper, ni surprendre, le sénat semblait déroger cette fois à ses habitudes de prudence ; il perdait, avec le calme, sa fermeté de caractère. L'âpreté des angoisses qu'il ne savait plus dissimuler se mesurait trop bien à la violence d'une agitation populaire difficile à contenir.

De sinistres rumeurs se répandirent qui glacèrent l'ardeur des meilleurs esprits et remuèrent profondément les cœurs. On apprit que l'imminence d'une invasion par le nord de la Péninsule n'était plus l'unique source de dangers publics : un autre orage pointait à l'horizon. La marine carthaginoise, qu'on croyait en pleine décadence, sortait de sa léthargie pour appuyer les opérations d'Annibal. A cette nouvelle, l'émotion fut extrême : les clameurs du Forum s'éteignirent ; l'écho de chaque foyer répéta des lamentations.

Nous avons dit[4] quelle était, au temps de la première guerre punique, la puissance maritime de Carthage. La rivale de Rome régnait alors sur les mers[5]. Sa flotte, dont le nom seul imposait le respect[6], ne comprenait pas moins de-trois cent cinquante navires de guerre[7], bien armés, abondamment pourvus de matériel, montés par d'excellents équipages. Mais, au temps d'Annibal, cette situation florissante ne subsistait plus qu'à l'état de souvenir. La guerre avait épuisé les finances de la république[8] ; aussi, lors de rentrée en scène du vainqueur de Sagonte, la belle marine carthaginoise était-elle singulièrement déchue de sa splendeur.

Toutefois, il lui restait un de ces éléments de puissance dont la vitalité défie les grands désastres ; qui, lors de l'écroulement des États, émergent longtemps encore de leurs ruines. Elle avait conservé d'excellents cadres et, par suite, un personnel d'une incontestable valeur. Les constructions navales, le commandement, la timonerie, le service de propulsion, tous les services administratifs, continuaient à fonctionner correctement sous la main intelligente du conseil d'amirauté[9] ; cet ensemble d'organes au jeu harmonique avait permis d'opérer une sorte de renaissance qui déconcertait les Romains.

Nous avons exposé d'une façon sommaire (liv. II, chap. V) l'organisation de la marine de Carthage ; mais il n'est pas hors de propos d'insister à cet égard. Une notice complémentaire doit, en effet, permettre de juger de la valeur de cette marine, de suivre plus sûrement ses opérations au cours de la deuxième guerre punique.

Élevés à bonne école, fidèles observateurs des saines traditions, les ναυπηγοί carthaginois[10] s'attachent, alors plus que jamais, à marcher sur les traces de leurs maîtres ; ils se rappellent, non sans un légitime orgueil, que le génie national a le droit de revendiquer l'invention des transports[11], de la tétrère ou quadrirème[12], des cordages en sparterie[13], de mille engins utiles ; et ce sentiment patriotique leur inspire le désir de faire de nouvelles découvertes.

Ils excellent à construire des tétrères[14] extrêmement remarquables, des pentères[15] perfectionnées qui gagnent de vitesse tous les autres types de navires, des hexères[16] capables de lutter avec avantage contre celles des Romains. Les vaisseaux de tout rang qui sortent des cales de Carthage sont uniformément munis d'éperon[17].

Le personnel du commandement n'est pas moins distingué que celui des constructions navales. Les σίόλαρχοι[18], les έπισίολεΐς[19] ont grande expérience des choses de la mer ; doués de coup d'œil, on les voit prendre rapidement des résolutions rationnelles. Pour l'exécution de leurs ordres, ils disposent d'un corps d'officiers de mérite : les ναύαρχοι[20], les τριήραρχοι[21], les ναύκληροι[22] font le service avec l'intelligence et le dévouement qu'on est en droit d'attendre de leur naissance. Ces fils de l'aristocratie carthaginoise sentent tous battre leur cœur à l'unisson de celui d'Annibal. Les δρομόναχοι[23] rivalisent avec eux de zèle et de sagacité ; parfois même, ils prennent part comme eux aux actions de vigueur.

Outre les officiers de marine placés directement sous ses ordres, le commandant d'un navire de guerre dirige un κυβερνήτης[24] ; mais celui-ci ne relève sans doute que de l'άρχικυβερνήτης τοΰ σύμπαντος σίόλου pour ce qui touche à la partie technique de sa profession. Il peut être dit l'ingénieur du bord, car c'est lui qui est chargé du soin de faire les calculs astronomiques, de relever les côtes, d'étudier les cartes hydrographiques ; c'est aussi lui qui tient la barre et commande la manœuvre. Ces fonctions multiples il les remplit avec une précision remarquable ; élevé à un rang honorable dans la hiérarchie maritime, il est digne de toute la confiance de la Γερουσία. On peut compter sur son patriotisme ; il descend bien de ce vieux timonier punique qui, plutôt que de livrer à l'ennemi le secret de sa route, s'échoua héroïquement sur un haut-fond.

Pour les besoins de son service à bord, le κυβερνήτης dispose de plusieurs agents secondaires : un ωρωράτης[25], un ναυφύλαξ[26], deux τοίχαρχοι[27]. Le ωρωράτης établit son poste sur le gaillard d'avant et, de là, fouillant l'horizon, interrogeant les vents, jugeant de l'état de la mer, il renseigne à chaque instant son chef. En même temps, le ναυφύλαξ, ou garde du matériel, rend compte de l'état du navire ; il en inspecte constamment les œuvres mortes ou vives, veille à leur entretien, s'assure du fait de leur fonctionnement irréprochable. Les τοίχαρχοι sont des maîtres d'équipage surveillant les άρμενισίαί[28], tribordais et bâbordais ; ils font exécuter correctement les manœuvres prescrites par le κυβερνήτης.

Tous ces gens de mer sont parfaitement disciplinés.

Le κυβερνήτης dispose, en outre, du ωλήρωμα[29], c'est-à-dire de  la garnison έρέται[30], dont les efforts combinés[31] ont pour résultante la force motrice que réclame la masse du navire. Le κελευσίής[32], chef immédiat des rameurs, remplit des fonctions analogues à celles du mécanicien d'un de nos modernes vapeurs ; il a pour aide un τριηραύλης[33]. Ce service de propulsion, admirablement organisé, fait le désespoir des Romains[34].

Tandis que le κυβερνήτης mène l'équipage et la rame, conformément aux instructions générales du ναύαρχος, celui-ci commande directement aux έπιβαται[35] ou combattants marins. Le gouvernement de Carthage, toujours à l'étroit dans les limites de son budget, n'a malheureusement pu recruter qu'un petit nombre de ces soldats d'élite[36].

Telle est, sommairement exposée, la situation de la marine dont la coopération active doit si longtemps entrer, pour une large part, dans les combinaisons d'Annibal.

Les observatoires romains établis sur la côte de Sicile[37] avaient signalé au large cinquante-cinq pentères carthaginoises[38]. Le rapport des speculatores exprimait que les troupes embarquées étaient d'un effectif peu considérable ; que chacun des navires ennemis ne portait guère qu'une cinquantaine de combattants[39] ; mais des renseignements précis ne laissaient, en revanche, subsister aucun doute touchant la bonne tenue des équipages et l'habileté singulière des agents du service de propulsion. Mise en mouvement par l'effort musculaire de cent cinquante rameurs[40], chaque pentère évoluait avec une aisance merveilleuse. Il était évident que les marins carthaginois conservaient, en fait de manœuvres, une incontestable supériorité[41] ; on pouvait même prévoir que, le moment de l'action venu, ils mettraient tous leurs soins à éviter l'abordage et persisteraient à s'inspirer des plus féconds secrets de l'art nautique, afin de dérouter et de ruiner leurs adversaires[42].

Les cinquante-cinq pentères que Carthage venait d'armer avaient été formées par elle en deux escadres, ayant mission d'opérer, suivant le cas, séparément ou de concert. La première escadre, forte de deux δεκαναΐαι[43] ou vingt pentères, portait des troupes de débarquement, un millier d'hommes qu'elle se préparait à jeter dans le sud de la Péninsule. La seconde escadre, de trois δεκαναΐαι et demie ou trente-cinq pentères, avait pour objectif Marsala (Lilybée), qu'elle se proposait de surprendre.

Toutes deux furent d'abord battues par une affreuse tempête.

La première put ensuite mouiller partie sous Lipari, partie sous l'île de Vulcain, l'ancienne Thermessa ; mais elle eut trois navires emportés dans le détroit de Messine et capturés par Hiéron, l'allié de Rome. La seconde eut également des pertes à subir : cédant à la violence d'une mer démontée, elle dut chercher refuge sous les îles agates. Là, elle répara ses avaries et vint tenter la surprise ordonnée. Mais le port de Marsala avait été averti en temps utile et se tenait soigneusement sur ses gardes. Un brillant clair de lune révéla, d'ailleurs, aux défenseurs l'approche des voiles carthaginoises[44]. La tentative échoua.

Jugeant qu'ils ne pouvaient compter sur l'effet d'une surprise, les Carthaginois se tinrent jusqu'au lever du soleil en observation, et commencèrent leur branle-bas[45]. A l'aube, ils s'empressèrent de gagner le large pour se donner du champ et permettre à la flotte romaine de venir à leur rencontre[46]. Celle-ci n'hésita point à sortir.

Les Carthaginois avaient, suivant leur coutume, réparti leur escadre en trois divisions ou δεκαναΐαι, obéissant toutes trois aux signaux du ναύαρχος ou vaisseau amiral[47]. La demi-δεκαναΐα disponible formait vraisemblablement réserve, avec les transports, qui, ainsi qu'on le sait, entraient parfois en ligne[48].

Ses voiles carguées et le branle-bas parachevé, le σίόλαρχος carthaginois rectifie sa ligne de bataille et manœuvre de façon à présenter partout l'éperon à la ligne ennemie[49]. A bord de chacun des navires, le τριήραρχος fait répéter par la σάλπιγξ[50] les ordres qu'a notifiés le pavillon amiral. Aussitôt, tous les agents du service de la timonerie sont correctement à leur poste. Le κυβερνήτης est à l'arrière, la barre en main ; son second, le ωρωράτης, se tient debout à lavant. A bâbord, comme à tribord, un τοίχαρχος attend et surveille ; le ναυφύλαξ se multiplie ; on le voit partout, prêt à livrer les rechanges dont on aura besoin tout à l'heure. Le κελενοίής, chef des rameurs, ne quitte plus des yeux le κυβερνήτης. Tout est paré.

Alors, très-brusquement, les vaisseaux romains courent sus aux Carthaginois, pendant que ceux-ci tentent contre leurs adversaires la manœuvre d'enveloppement qui leur est familière, et qu'on nomme ύπερκέρασις[51]. Mais le σίολαρχος carthaginois ne peut parvenir à déborder l'ennemi, tant celui-ci se précipite avec fureur à l'abordage. Il doit remettre en ligne la δεκαναΐα chargée d'opérer le mouvement tournant, et chacun de ses navires reçoit l'ordre de faire face aux Romains.

Le navire carthaginois n'a plus, dès lors, d'autre but tactique que d'éviter adroitement le grappin de l'adversaire qu'il s'est choisi, mais d'évoluer, en même temps, de manière à lui envoyer un coup d'éperon dans les œuvres vives. Le succès de la manœuvre va dépendre uniquement de la sûreté de coup d'œil du κυβερνήτης et du fini d'exécution du κελευσίης, qui ne doit songer qu'à rythmer avec précision, à nuancer, à traduire exactement la pensée du chef de la timonerie. Au commandement : 'ρυππαπαί ! le mouvement commence, et la cadence initiale est donnée par un χειρέμβολον ou battement de mains d'attaque. Le τριηραύλης impose au chant de sa flûte le mouvement indiqué ; dès lors, la baguette à la main, ainsi qu'un chef d'orchestre[52], le κελενοίης se borne à battre la mesure, accélérant ou retardant la marche du navire[53]. Au commandement ώόπ ! franchement enlevé, la rame s'arrête, et le navire ne se meut plus qu'en vertu de la vitesse acquise. On voit que, abstraction faite de la nature du moteur employé, le vaisseau de guerre antique peut être considéré comme le prototype du vapeur moderne.

Dans cette rencontre en vue de Marsala, le sort fut loin d'être favorable aux marins carthaginois. Malgré leur habileté consommée, ils ne parvinrent à donner qu'un seul coup d'éperon suivi de quelque effet utile[54]. Vigoureusement abordés par les Romains[55], ils se laissèrent prendre, en quelques instants, sept navires[56]. Comprenant le danger d'une telle situation, le σίόλαρκος ordonna la retraite.

Les vingt-huit voiles qui abandonnaient ainsi le théâtre de la lutte se réfugièrent sous les iles Lipariennes, où elles rallièrent sans doute les dix-sept bâtiments de la première escadre, sortis sains et saufs de la tempête. Elles formèrent avec celle-ci une flotte encore imposante de quarante-cinq navires de guerre. Ces forces navales mirent aussitôt le cap sur la Calabre, parvinrent à mouiller sans encombre au golfe de Sainte-Euphémie (Lameticus sinus), et y opérèrent un débarquement. Ordre fut donné aux troupes ainsi jetées à terre d'entreprendre méthodiquement le dégât des magnifiques territoires de Bivona et de Monteleone[57]. Les vastardeurs carthaginois étaient passés maîtres en cet art de destruction dont on a trop longtemps préconisé l'usage ; leur œuvre fut promptement menée à bonne fin.

La nouvelle de cet événement jeta dans Rome une terreur profonde[58]. La Péninsule italiote se sentait, en effet, violer au sud au moment où un audacieux ennemi menaçait de l'entamer au nord. Et au nord même, une autre plaie, mal fermée, venait de se rouvrir, apportant aux embarras de la politique romaine des complications aussi terribles qu'inattendues. La Cisalpine était en feu ! Les Gaulois, qui, depuis longtemps, tenaient en échec le Capitole, ces redoutables voisins[59], mal domptés, faisaient cause commune avec les Carthaginois[60] et, le cœur ulcéré, méditaient de sombres vengeances[61].

Cette insurrection des riverains du Pô, si favorable aux intérêts  de Carthage, ne se produisait point, on le comprend, du fait d'une coïncidence fortuite ; elle était le résultat prévu des combinaisons d'Annibal, dont l'habileté politique savait nouer, entretenir, utiliser en temps opportun des relations choisies avec le plus grand tact. Il n'est point, dit Napoléon Ier, de grandes actions suivies qui soient l'œuvre du hasard et de la fortune. Rarement on voit échouer les grands hommes dans leurs entreprises. Regardez Alexandre, César, Annibal ils réussissent toujours. Est-ce parce qu'ils ont du bonheur qu'ils deviennent ainsi de grands hommes ? Non, mais parce que, étant de grands hommes, ils ont su maîtriser le bonheur. Quand on veut étudier les ressorts de leur succès, on est tout étonné de voir qu'ils avaient tout fait pour l'obtenir.

C'est à l'issue de la première guerre punique, et après leur conquête de la Sicile, que les Romains avaient entrepris la soumission de la Circumpadane[62]. Dix ans avant les événements dont nous allons exposer le tableau, Rome, nous l'avons dit[63], avait eu à soutenir le choc d'une vaste coalition gauloise (228). Après une lutte acharnée, les Boïes s'étaient rendus ; leurs villes de Modène et de Casteggio avaient été occupées militairement par le vainqueur (224). Frappés plus durement encore après la prise de Milan, les Insubres avaient vu réunir au domaine de la République (222) la majeure partie du territoire jadis conquis par leurs ancêtres.

Les deux peuples courbaient la tête, mais en frémissant sous le joug : aussi firent-ils le meilleur accueil aux agents d'Annibal (220).

Deux ans après l'ouverture des premières négociations, ils surent que les Carthaginois étaient en marche vers l'Italie. Quand ils apprirent la nouvelle du passage de l'Ebre, ils n'y tinrent plus : la révolte éclata comme si déjà leurs alliés d'Afrique eussent été sur le revers oriental des Alpes[64]. Ils coururent aux armes avec une joie farouche (218).

Quelques détails sont ici nécessaires.

Bien que le moment fût assez mal choisi pour un essai de colonisation, le sénat romain avait, tout récemment, fait procéder à la prise de possession du territoire de la Cisalpine et dirigé sur la vallée du Pô douze mille citoyens, destinés au peuplement des centres de Crémone et de Plaisance. L'opération était appuyée par le préteur L. Manlius, qui disposait, à cet effet, d'une force de 18.000 hommes d'infanterie et 1.600 cavaliers[65].

Les populations gauloises expropriées n'avaient d'abord opposé aucune espèce de résistance à cet envahissement ; elles avaient laissé, sans mot dire, se masser le noyau des colonies que l'administration romaine implantait sur leur sol. Mais, dès que l'arrivée d'un courrier d'Annibal leur eut pleinement confirmé le fait de son approche, leur exaspération, longtemps contenue, éclata.

Au signal de l'insurrection, les Cisalpins se ruent en furieux sur les ouvriers employés aux travaux de fortification des nouveaux centres. Les triumvirs chargés du soin d'allotir les terres ne peuvent résister au choc d'une multitude effarée et se réfugient, avec leurs colons, dans Modène, où bientôt les insurgés les bloquent.

A cette nouvelle, accourt le préteur Manlius : il marche sur Modène, à la tête de quelques détachements en désordre.

La route que le préteur devait suivre était tracée à travers bois. Or les Romains de cette époque ne savaient pas s'éclairer ou dédaignaient de le faire, surtout quand il s'agissait de châtier des barbares. Manlius négligea de faire fouiller les fourrés qui bordaient son chemin : il ne tarda pas à mesurer l'étendue de son imprudence. A peine fut-il entré dans les bois, qu'il tomba dans une embuscade[66], où il perdit 1.400 hommes. Les débris de la quatrième légion qu'il commandait durent battre précipitamment en retraite sur Tenedo, village situé au sud-est de Parme, sur la route de Plaisance à Modène[67]. Ému du fait d'un tel échec, le sénat s'empressa d'expédier des secours à Manlius ; il dirigea à marches forcées, sur Tenedo, un corps de 9.000 hommes d'infanterie, appuyé de 300 chevaux et placé d'urgence sous les ordres du préteur C. Atilius[68].

Ainsi, Rome allait avoir, en Italie, deux ennemis sur les bras[69].

De quelles ressources disposait-elle pour rompre ces efforts combinés, pour se dégager de cette double étreinte ? Sa puissance militaire était considérable ; elle pouvait en effet, en temps normal, mettre sur pied plus de 150.000 hommes d'infanterie et 6.000 hommes de cavalerie[70]. En faisant, d'ailleurs, appel aux alliés, en rassemblant tous les contingents en état de porter les armes, elle arrivait à mettre en ligne plus de 700.000 fantassins et 70.000 chevaux[71]. Tel était le colosse qu'affrontait, sans trembler, la petite armée d'Annibal.

Pour parer aux éventualités de la campagne de l'an 218, le sénat ordonna la levée de six légions formées chacune de 4.000 hommes d'infanterie et 300 hommes de cavalerie, soit ensemble 24.000 fantassins et 1.800 chevaux[72]. A ces troupes nationales furent annexés des alliés, c'est-à-dire 40.000 hommes d'infanterie et 4.400 chevaux. En résumé, l'armée romaine qui allait se mesurer avec celle des Carthaginois comptait 64.000 hommes d'infanterie, 6.200 de cavalerie[73]. La flotte fut en même temps, l'objet des soins du gouvernement de Rome, qui arma deux cent vingt quinquérèmes et vingt bâtiments légers[74].

Telles sont les forces de terre et de mer qui furent mobilisées, au début de la campagne[75] de l'an 218, en vue de la défense de l'Italie.

Depuis le hautain défi de son ambassadeur Fabius, le sénat romain se préparait à la guerre, mais il était loin de supposer que l'ennemi pût songer à opérer hors de l'Espagne, à franchir les Pyrénées, à traverser la Gaule au pas de course, à tenter enfin l'ascension des Alpes pour tomber, comme une avalanche, au cœur de l'Italie[76]. Ne croyant pas surtout que l'ouverture des hostilités dût être brusquée plus vivement que d'ordinaire, il procédait à ses armements avec son calme habituel, quand des espions massaliotes lui apportèrent la nouvelle du passage de l'Èbre par les troupes carthaginoises. L'incertitude et l'hésitation n'étaient plus possibles : l'ennemi s'avançait le gouvernement de Rome s'était laissé surprendre par l'événement[77].

Les consuls élus pour cette année 218 étaient Publius Cornélius Scipion et Tiberius Sempronius Longus. Le sort, suivant l'usage, leur attribua leurs provinces : à Scipion échut l'Espagne ; à Sempronius, l'Afrique et la Sicile[78]. C'était à la Sicile, à l'Afrique, à l'Espagne que devait, dans l'esprit du sénat, se limiter le théâtre de la guerre.

La guerre une fois déclarée,, le fait du passage de l'Èbre par Annibal ne pouvant plus être l'objet d'un doute[79], les deux consuls reçoivent l'ordre de partir, et leurs instructions portent en substance : que l'un, Scipion, doit s'attacher à mener battant le jeune Annibal, un téméraire qui peut-être ose rêver la conquête de la Catalogne ; que l'autre, Sempronius, a pour mission spéciale d'opérer, pendant ce temps, une diversion violente ; de porter la guerre en Afrique et, s'il le faut, d'assiéger Carthage[80], à l'exemple d'Agathocle et de Regulus.

Les deux consuls romains s'empressent d'obéir ; mais, bien qu'ils fassent diligence, leur matériel n'est prêt, leur levées de troupes ne sont terminées qu'au moment où les Carthaginois, déjà maîtres de la Catalogne, et prenant ce pays pour base d'opérations nouvelles, descendent le revers nord des Pyrénées orientales.

Le consul Sempronius était un général d'un mérite très-contestable ; il avait ce caractère arrogant et dur sous les aspérités duquel certaines gens trouvent commode d'abriter leur médiocrité[81]. Ambitieux vulgaire[82], uniquement préoccupé des intérêts de sa gloire personnelle[83], il était dominé par un immense orgueil[84].

Aussi jouait-il, sous l'empire de ce vice, un triste et presque odieux personnage. Il se complaisait à dire que lui seul était capable de relever le moral abattu de l'armée[85] ; qu'il avait le secret de commander à la victoire[86] ; que, si l'on voulait suivre sa méthode et s'en rapporter à lui du soin de terminer la guerre, il aurait bientôt fait[87]. Par malheur, le succès le plus insignifiant faisait déborder de joie ce cœur si plein de lui-même[88]. Alors il ne se possédait plus ; l'ivresse du triomphe faisait bouillir sa tête ; en cet état d'exaltation, il était capable de se jeter sans réflexion dans les entreprises les plus folles[89].

Le gouvernement de Rome avait placé sous les ordres de ce Sempronius deux légions, renforcées des contingents fournis par les alliés ; soit ensemble 24.000 hommes d'infanterie et 2.400 chevaux[90]. Le consul disposait aussi d'une flotte de cent soixante quinquérèmes[91] et de douze bâtiments légers[92].

Investi de ce commandement, Sempronius se rendit à Messine[93], pour y arrêter un plan de campagne, de concert avec le roi Hiéron, dont l'alliance était plus que jamais précieuse. Après une longue conférence, il mit le cap sur Marsala[94], dont il voulait se faire une base d'opérations. On le vit bientôt accumuler dans cette place des approvisionnements de toute espèce ; il y entassait des vivres, des munitions, des rechanges et mille objets divers, venus de tous les points du monde industriel[95]. Son matériel de guerre devint, en peu de temps, considérable.

Pendant que ces armements se poursuivaient en Sicile avec une activité fiévreuse, le consul, qui ne doutait point de la fortune, fit, de sa personne, une pointe sur Malte, alors au pouvoir des Carthaginois[96]. La fortune, en effet, ne manqua pas de lui sourire, et l'île tomba, presque sans coup férir, dans ses mains. Il y fit 2.000 prisonniers, parmi lesquels se trouvaient le gouverneur et quelques membres de l'aristocratie. Le gouvernement de Carthage avait probablement commis la faute de dégarnir de défenseurs cette importante station maritime.

Au retour de cette expédition, l'heureux Sempronius se dirigea sur les îles de Vulcain[97], dans les parages desquelles on lui avait signalé la présence de quelques voiles carthaginoises ; mais il n'y rencontra personne et dut rentrer à Marsala. Là, au lieu d'avoir à adresser un nouveau bulletin de victoire à son gouvernement, il en reçut des contre-ordres fâcheux.

On a vu que, plein de confiance en l'avenir, le sénat romain avait d'abord songé à former le siège de Carthage[98] ; mais ses illusions ne pouvaient durer longtemps. Durement rappelé par l'événement au froid examen des besoins de la guerre, il avait dû décider le rappel de Sempronius. Le consul d'Afrique et de Sicile eut l'ordre de renoncer à toutes ses entreprises et de se porter, au plus tôt, au secours de son collègue[99]. Il n'était plus question d'une descente en Libye ; il fallait songer au salut de l'Italie, menacée par un ennemi qu'on s'était proposé d'aller combattre au delà des mers[100].

A l'ouverture de ces dépêches, Sempronius fut un moment atterré, puis il entra dans une grande colère ; mais ces mouvements désordonnés n'étaient point de nature à modifier la situation. Les ordres du sénat étaient précis : il fallait obéir. Le consul, désappointé, remit le commandement de sa province au préteur M. Æmilius, et lui laissa cinquante navires de guerre pour assurer le service des côtes de la Sicile. Il mit sous les ordres de son lieutenant Sext. Pomponius une escadre de vingt-cinq voiles, destinée à la surveillance du littoral italiote et, spécialement, du golfe de Sainte-Euphémie (Lameticus sinus), d'où les Carthaginois entamaient le territoire de Monteleone. Ces premières dispositions prises, il lui restait quatre-vingt-cinq navires de guerre et douze bâtiments légers, qu'il fit partir pour Ostie, le port de Rome[101]. Quant à ses troupes d'infanterie, il les dirigea sur la Circumpadane, par Rome et Rimini[102]. Lui même, ne gardant que dix vaisseaux d'escorte, il passa dans l'Adriatique et débarqua sans encombre au port de Rimini, qu'il avait choisi pour nouveau quartier général[103].

En ce moment, Rome ne vivait plus. En proie à de mortelles inquiétudes, ses citoyens semblaient frappés de stupeur. Il ne leur restait qu'un espoir : tous les yeux se tournaient avec anxiété vers le théâtre d'opérations de l'autre consul, Publius Cornélius Scipion.

Ce consul, dont le nom brille d'un si vif éclat dans les fastes de l'histoire romaine, était d'une race appelée à de hautes destinées. Aux yeux des Romains, en effet, le sang des Scipion avait reçu des dieux la mission de ruiner Carthage[104]. Ce rôle d'extermination, la gens Cornelia sut glorieusement le remplir[105], et ses brillants succès lui valurent une illustration sans égale[106], que les sévères appréciations de Pescennius Niger furent, plus tard, impuissantes à ternir[107].

Il n'entre point dans le cadre de cette étude de restituer la généalogie de cette gens Cornelia, dont le nom, comme on sait, figure sur de nombreux monuments épigraphiques[108]. Il convient toutefois de dégager nettement l'individualité des différents Scipion qui furent les contemporains d'Annibal. Nous distinguerons donc expressément :

1° Publius Cornelius Scipion, consul en 218 et premier adversaire d'Annibal sur le Rhône, sur le Tessin, sur la Trebbia. Petit-fils de Cornelius Lucius Scipio Barbatus, fils de Cneus Corn. Scipio Calvus, c'est le père du premier Africain. Il périt en Espagne, en 212 ;

2° Cneus Scipion, frère du précédent et par suite oncle du premier Africain. Comme son frère Cornélius, il fut tué en Espagne, en 212 ;

3° Publius Cornelius Spipion, fils de P. Cornélius, consul en 218, et neveu de Cneus. Il fit ses premières armes à la journée du Tessin. Vainqueur d'Annibal à Zama (202), et surnommé pour ce fait premier Africain, il mourut l'an 183, c'est-à-dire la même année qu'Annibal. Né sous d'heureux auspices[109], l'Africain eut la gloire, inappréciable aux yeux de ses compatriotes, de terminer cette deuxième guerre punique[110], qui paraissait devoir s'éterniser.

On comprend dès lors facilement que les Romains de tous les âges se soient plu tout spécialement à célébrer ses exploits[111], ses vertus[112], sa sagesse en l'art de la guerre[113] ; et l'on ne saurait s'étonner du nombre des monuments iconographiques qui furent consacrés à sa mémoire[114] ;

4° P. Cornélius, fils naturel du premier Africain, fait prisonnier par Antiochus, dès le début de la guerre soutenue par ce prince (195-190) ;

5° Lucius Cornelius Scipion, frère du premier Africain. Il eut la gloire de terminer la guerre que les Romains avaient portée chez Antiochus, et obtint, de ce fait, les honneurs du triomphe (190).

Tels sont les cinq personnages historiques qui, au temps d'Annibal, portèrent le grand nom de Scipion.

Annibal professait la plus grande estime pour le mérite du premier adversaire qui lui fut opposé par les Romains[115]. P. Cornelius Scipion était, en effet, la vivante antithèse de son collègue Sempronius. D'un esprit froid et réfléchi, pesant tout, choisissant son temps, ne livrant jamais rien au hasard, on le disait enclin à la temporisation[116]. Il était instruit, plein de bravoure ; mais, Annibal le savait bien, il manquait de coup d'œil militaire. Son âme était fermée à ces éclairs qu'allume l'étincelle du génie ; on le disait, en outre, frappé d'un vice irrémédiable, celui que Napoléon reprochait, avec le plus d'amertume, à certains généraux : il n'était pas heureux !

Le gouvernement de Rome avait, au début de la campagne, placé sous les ordres de Scipion une flotte de soixante quinquérèmes, deux légions d'infanterie de ligne (romanæ) pourvues de leur cavalerie réglementaire (cum justo equitatu) ; plus, 14.000 hommes d'infanterie et 1.600 chevaux pris chez les alliés[117]. Mais ces forces de terre et de mer n'étaient pas restées longtemps entre les mains du consul ; le sénat s'était vu contraint de les lui reprendre en partie pour les envoyer d'urgence au préteur Atilius. Scipion dut, en conséquence, réorganiser son corps et procéder, à cet effet, à de nouvelles levées[118]. Il tira des alliés 10.000 hommes d'infanterie, 700 hommes de cavalerie[119]. Tel est, en définitive, l'effectif restreint qu'il embarqua pour l'Espagne à bord de ses soixante navires[120] ; mais il est essentiel d'observer que ce petit corps d'armée était formé d'excellentes troupes[121].

Sortie du port de Pise[122], la flotte consulaire borda la côte de Ligurie[123] par la riviera di Levante et la riviera di Ponente, ces deux grandes routes symétriques qui convergent au port de Gênes et dont la pratique était si familière aux marins de l'antiquité. Décrivant alors, à l'ouest des Alpes maritimes, toutes les découpures de la côte française, elle doubla la pointe des îles d'Hyères, en vue de la petite chaîne des Maures[124] et fit escale à Marseille[125].

Scipion, nous l'avons dit, se rendait en Espagne[126]. Il ne s'arrêtait chez les Massaliotes, alliés de la République romaine, que pour y prendre des informations touchant les progrès d'Annibal[127], qui, croyait-il savoir, opérait alors en Catalogne. Sa surprise fut extrême quand il apprit, de bonne source, le fait du passage des Pyrénées par l'armée carthaginoise[128]. Frappé de cette étrange nouvelle, il ne put tout d'abord y croire[129] ; mais comment ne point se rendre à l'évidence ? Il devenait impossible de s'y méprendre : c'était bien l'invasion, une invasion qui semblait formidable !

Cependant elle était encore loin sans doute, cette armée qui marchait sur l'Italie[130] ; elle avait à surmonter des obstacles sans nombre ; il n'était point déraisonnable de songer aux moyens de lui couper sa ligne d'opérations. Scipion ne perdit donc point tout espoir et se flatta de pouvoir racheter par de sages dispositions l'infériorité numérique de son corps d'armée. Il résolut de défendre la ligne du Rhône, de la défendre avec une énergie toute romaine. Suivant ce dessein, il remit aussitôt le cap à l'ouest, fit route vers l'embouchure du Rhône et mouilla au golfe de Fos[131], qui s'ouvre à l'est de la bouche orientale du fleuve. Celle-ci, qu'on appelait alors la Massaliote[132], est aujourd'hui connue sous le nom de grau[133] de Pégoulier.

Quel est exactement le point du golfe de Fos où mouilla la flotte consulaire ? Nous ne saurions admettre, avec certains commentateurs, que les navires de Scipion aient remonté le cours du Rhône[134].

Cette hypothèse une fois éliminée, nous en émettrons une autre, qu'autorisent ouvertement les textes. Nous estimons que Scipion a jeté l'ancre, partie au mouillage de Fos et au mouillage du Repos, qu'abritent les theys de Pégoulier et d'Annibal[135], partie au mouillage d'Aigues-Douces et au port de Bouc.

En procédant ainsi, le consul commandait l'embouchure du fleuve et y faisait commodément de l'eau ; d'autre part, en pratiquant Bouc, il avait l'avantage de rester en communication facile avec les Massaliotes ; il accostait la terre ferme et pouvait y opérer dans de bonnes conditions le débarquement qu'il méditait[136].

Bien que la traversée du port de Pise à l'embouchure du Rhône n'eût duré que cinq jours[137], et qu'on fût alors dans la belle saison, les troupes embarquées avaient beaucoup souffert du mal de mer[138]. Pour les remettre de leurs fatigues, Scipion les fait descendre à terre[139] pour camper[140] sur les éminences de la presqu'île située entre le port de Bouc et le mouillage d'Aigues-Douces. Après avoir assuré le repos de ses troupes, le consul, qui se sent placé hors de la sphère d'activité de son adversaire, se met à préparer un plan d'opérations. Il l'étudié minutieusement et avec le plus grand calme, quand, tout à coup, surviennent d'autres nouvelles, et celles-ci sont foudroyantes.

Annibal est déjà sur le Rhône[141] !

Scipion ne peut se défendre d'un profond saisissement. Il veut douter encore, il se dit qu'on ne saurait ajouter foi pleine et entière aux rapports de ces espions massaliotes, qui se laissent si facilement aller à l'hyperbole. Est-il possible d'admettre que les colonnes carthaginoises aient fait une marche aussi prodigieuse[142] ?

Non, sans doute. Le dire des alliés est sans fondement ; ce n'est que l'écho d'une fable inventée par la peur. Mais la nouvelle se confirme ; les preuves à l'appui se pressent, tangibles, irrécusables ; la froide réalité ne permet plus aux Romains de fermer les yeux... il faut enfin qu'on l'envisage.

Annibal est bien sur le Rhône !

Après quelques instants de trouble, le calme se rétablit dans le camp. Scipion s'empresse de convoquer un conseil de guerre[143]. Sur quel point convient-il de porter les forces dont on dispose ? Où peut-on avoir chance de rencontrer l'ennemi ? Où cet audacieux envahisseur va-t-il tenter d'opérer son passage[144] ? Telles sont les questions qui se posent et appellent une prompte solution.

Cependant, avant de rien arrêter de définitif, il faut absolument se rendre un compte exact de la situation. Le conseil décide, en conséquence, qu'une reconnaissance de 300 cavaliers d'élite partira sur-le-champ pour fouiller les bords du Rhône. Ce détachement sera soutenu par quelques auxiliaires gaulois à la solde de Marseille et conduit par des guides massaliote[145]. Les hommes commandés pour ce service de reconnaissance montent immédiatement à cheval ; ils partent de l'embouchure pour remonter la rive gauche du fleuve ; voilà ce que les textes nous apprennent[146].

Est-ce à dire cependant que ces expressions doivent être prises à la lettre ? Faut-il croire que Scipion porte ses cavaliers au grau de Pégoulier pour leur faire suivre de là le tracé tourmenté de la rive gauche à travers les fondrières du grand plan du Bourg ? Peut-on admettre que ce détachement de cavalerie décrit tous les méandres marécageux du fleuve ; qu'il passe par Arles, Tarascon, Avignon, et arrive, par cette voie, au confluent de la Sorgues ? Un tel chemin, qui ne mesure pas moins de 100 kilomètres, devait présenter, à cette époque, des difficultés considérables. Or Scipion savait, approximativement du moins, à quelle hauteur se trouvaient les Carthaginois ; par conséquent, il pouvait prescrire à sa reconnaissance un chemin plus court, assis sur un terrain plus solide. Nous pensons qu'on peut restituer comme il suit le tracé de l'itinéraire de la reconnaissance romaine[147].

Partis du camp de Bouc, les cavaliers romains piquent droit vers le nord, parallèlement aux bords occidentaux de l'étang de Berre (Mastramela stagnum). Suivant cette direction générale, ils contournent la rive orientale des étangs d'Engrenier et de Lavalduc, passent par Rassouen, entre les deux Trigance, font halte au bourg d'Istres (Mastramela) ; de là ils reprennent par le bord occidental de l'étang de l'Olivier, bordent le pied des hauteurs suivant le tracé du canal de Craponne ; coupent, à la station de Miramas, le chemin de fer de Paris à la Méditerranée ; à Merle, la route de Nîmes à Salon. Courant toujours au nord, ils montent vers Lyguières, franchissent la petite chaîne des Alpines au col qui s'ouvre entre le mont Menu et la montagne du Defends, descendent à Roquemartine, suivent le pied du grand plateau des Plaines et arrivent à Orgon sur les bords de la Durance. Ils ont fait environ 48 kilomètres.

Les Romains estimaient que, le passage du Rhône une fois opéré, les Carthaginois ne pouvaient s'avancer que par la vallée de la Durance, laquelle offrait à l'envahisseur son plus court chemin vers l'Italie[148]. Dans cet ordre d'idées, l'officier qui commande la reconnaissance romaine constate, dès son arrivée à Orgon, qu'Annibal n'est pas encore sur la Durance. Il se décide, en conséquence, à pousser à la découverte sur la rive droite du fleuve, qu'il passe, à cet effet, à Cavaillon, ville des Cavares[149]. Il descend cette rive jusqu'à Caumont, gravit les collines de Châteauneuf-de-Gadagne et en suit les crêtes jusqu'à la hauteur de Saint-Saturnin.

Il s'arrête, à l'ouest de ce point, sur un mamelon de 120 mètres d'altitude, dont il fait son observatoire.

Le pays qu'il avait ainsi sous les yeux affecte en plan la forme d'une île triangulaire, dont le Rhône, la Durance et la Sorgues forment, en serpentant, les côtés. Si l'on prend pour base la section fluviale qui court de Bédarrides à l'embouchure de la Durance, on peut dire que le sommet du triangle se dessine en pan coupé de Bompas à Châteauneuf ; cette barrière de hauteurs, de formation tertiaire, émerge, en îlot ovoïde, d'un large terrain d'alluvions, dont le dépôt s'est opéré postérieurement aux dernières dislocations du sol. Au nord, un autre îlot, de même nature géologique, se dresse à l'intérieur de l'angle qui a pour sommet Bédarrides ; les méandres de la Sorgues en arrosent la base. Entre les deux îlots tertiaires se développent la route d'Avignon à Entraigues et l'embranchement de voie ferrée de Sorgues à Carpentras. C'est là, non loin du village de Védènes, que, l'an 121 avant notre ère, les Allobroges furent défaits par le consul romain Domitius Ahenobarbus[150]. C'est aussi là qu'eut lieu, l'an 218, la rencontre des Romains et des Carthaginois.

On se convaincra que Védènes est bien le point de notre sol qui but le premier sang versé par les acteurs du drame punique, si l'on se reporte par la pensée à la marche d'Annibal des Pyrénées au Rhône. On se rappelle que, une fois à Nîmes, loin de songer à poursuivre jusqu'à Beaucaire, le jeune général avait abandonné la via Domitia pour se diriger au nord-est sur Remoulins et, de là, sur Roquemaure. Il avait assis son camp sur les pentes que domine le signal géodésique de ce nom, à l'altitude 176, puis ordonné le mouvement tournant d'Hannon, fils de Bomilcar. Hannon était passé par Saint-Geniès et Orsan, avait franchi la Cèze à Bagnols, en avait remonté la rive gauche jusqu'à Saint-Laurent-des-Carnols et s'était jeté dans la montagne de Valbonne. Gagnant ainsi le col du Lapin, il était descendu, par Carsan, jusqu'à Pont-Saint-Esprit. A 1 kilomètre environ du confluent de l'Ardèche, il avait franchi le Rhône pour suivre la rive gauche de ce fleuve, d'amont en aval, par Montdragon, Mornas, Piolenc et Orange. Il s'était porté au haut de la montagne d'Orange, d'où il avait fait au général en chef les signaux convenus.

La distance de Roquemaure à la montagne d'Orange n'étant guère, à vol d'oiseau, que de 10 kilomètres, Annibal avait sans peine aperçu les feux de son lieutenant et s'était mis immédiatement en mesure d'ébaucher son passage de vive force[151].

Pendant que les premières embarcations carthaginoises fendaient les eaux du Rhône, Hannon s'éloignait silencieusement d'Orange, suivait à peu près, au sud-est de ce point, le tracé du chemin de fer actuel de Paris à la Méditerranée, et descendait jusques à Courthezon. Là, faisant un à-droite, il gravissait les hauteurs qui dominent le Rhône, afin de prendre à revers les positions occupées par les Volkes Arécomikes. Ainsi tourné et mis hors d'état de défense, l'ennemi s'était promptement laissé jeter en pleine déroute. Aussitôt Annibal avait pu parachever le passage de son infanterie et des chevaux. Ce premier résultat obtenu, il avait assis son camp sur la rive gauche[152] ; l'infanterie qui devait marcher à l'avant-garde s'était palissadée[153] dans la plaine aux environs de Caderousse ; la cavalerie à laquelle incombait le service de sûreté des derrières de l'armée[154] s'était établie, pour le temps qu'allait prendre l'opération du passage des éléphants, sur l'emplacement même du camp des Volkes, c'est-à-dire à l'ouest de Courthezon, sur les éminences qui se prononcent au nord de Châteauneuf-Calcernier.

Cependant, le fait de la présence des Romains aux bouches du Rhône ayant été signalé aux patrouilles carthaginoises, Annibal devait nécessairement s'éclairer vers l'aval du fleuve ; il lança donc sans retard, dans cette direction d'aval, une reconnaissance de cavalerie Tamazir't, forte de 500 hommes, tous rompus aux difficultés du service d'exploration.

Ce détachement d'élite eut mission de prendre sur l'ennemi des renseignements détaillés, de se rendre exactement compte de ses dispositions, de fournir des données précises touchant l'effectif de ses forces, d'explorer minutieusement l'emplacement occupé par ses réserves[155].

Les cavaliers Imazir'en partirent au galop. Ils franchirent rapidement les terrains tourmentés qui se poursuivent de Châteauneuf-Calcernier jusqu'à Bédarrides, passèrent la Sorgues et gravirent le mamelon, à l'altitude 112, qui se trouve situé à peu près à égale distance de Bédarrides, de Sorgues et d'Entraigues ; ils avaient fait environ 8 kilomètres[156]. Cette position, où la reconnaissance carthaginoise fit halte pour jeter un premier coup d'œil vers l'aval du Rhône, n'est elle-même éloignée que de 7 kilomètres du mamelon qu'occupaient alors les cavaliers romains et d'où ils interrogeaient attentivement l'horizon.

Les deux partis, qui se sentaient en présence l'un de l'autre, prirent tous deux des dispositions offensives. Chacun des commandants savait, en effet, qu'un bon officier d'avant-garde ne doit pas hésiter à attaquer toutes les fois qu'il en trouve l'occasion ; que la cavalerie légère est, le plus souvent, tenue de se montrer entreprenante et même audacieuse ; qu'un détachement d'éclaireurs munis de bons chevaux ne peut décemment éviter le combat que s'il se trouve devant des forces supérieures. Romains et Carthaginois descendirent donc à fond de train des positions qu'ils occupaient, se jetèrent résolument dans la plaine d'alluvions d'où émergent les deux îlots tertiaires, parvinrent aux environs de Védènes, et là s'abordèrent vigoureusement.

Ce combat de cavalerie fut des plus acharnés[157] : Scipion y perdit de 140 à 160 hommes, Romains ou Gaulois[158] ; Annibal, plus de 200 Imazir'en[159]. De chaque côté, par conséquent, une forte partie de l'effectif engagé se trouvait hors de combat. C'étaient les Romains qui, relativement, avaient le plus souffert. Néanmoins, ils ne manquèrent point de s'attribuer une victoire que Tite-Live célèbre en termes fort pompeux[160], suivant les us des historiens de Rome[161].

L'importance d'un succès d'avant-garde ne saurait cependant se mesurer qu'à celle des résultats obtenus. Quel avantage réel pouvait donc revendiquer le commandant de la reconnaissance romaine ?

Sous le coup de l'échec qu'ils venaient de subir, les cavaliers Imazir'en avaient tourné bride et s'étaient dispersés, conformément à leurs principes tactiques. Les Romains se lancent aussitôt à la poursuite des fuyards, qui ne tentent aucune espèce de retour offensif. Ils les serrent de près et arrivent sur leurs derrières aux retranchements de Châteauneuf-Calcernier, c'est-à-dire à l'enceinte du camp de la cavalerie carthaginoise. Le commandant de la reconnaissance romaine s'approche de ces palissades[162], en examine les abords, en sonde l'intérieur ; il jette aussi un regard vers le Rhône, il en étudie les deux rives, dont l'aspect étrange lui laisse une impression profonde... et il formule en son esprit des conclusions rapides. Puis, faisant demi-tour, il rejoint au galop le camp des bouches du Rhône, pour y rédiger un rapport destiné à être mis sous les yeux du consul.

Or, ainsi que l'événement le prouva, ce rapport, basé sur des données indécises ou mal interprétées, était tissu d'appréciations risquées et aboutissait, par conséquent, à des conclusions dangereuses. Scipion se sentait agité ; on le disait impatient de combattre[163] ; il avait, en tous cas, perdu ce calme inaltérable qui fait la force des généraux d'armée. Dans cette disposition d'esprit, il commit la faute d'accepter sans contrôle des renseignements d'une exactitude contestable, de partager l'erreur d'un officier de cavalerie dont les principes d'exploration n'étaient pas exempts de certaine légèreté. Suivant l'avis de cet officier, dont l'expérience n'avait pas encore mûri le coup d'œil, le consul ne fit aucune difficulté d'admettre qu'Annibal était loin de songer à faire passer sa ligne d'opérations par la vallée de l'Isère[164] ; que la position occupée par la cavalerie carthaginoise sur la rive gauche du Rhône accusait clairement, de la part de l'ennemi, l'intention de se porter en aval du point de passage ; que cet ennemi se dirigeait sur la Durance ; qu'il était, par conséquent, possible de le prendre en flanc, de le détruire, une fois que ses têtes de colonnes seraient engagées dans cette vallée de la Durance, le chemin naturel des envahisseurs de l'Italie[165]. D'ailleurs, se disait Scipion, toute l'armée carthaginoise n'a pas encore franchi le Rhône. Sa cavalerie est, il est vrai, sur la rive gauche ; mais l'infanterie, les éléphants, les impedimenta, demeurent encore sur la rive droite. Le passage est à peine ébauché. l'armée consulaire peut encore arriver à temps pour surprendre Annibal au moment le plus critique de son opération. En tout cas, les Romains ont en perspective une excellente situation et, malgré leur infériorité numérique, il leur est permis d'espérer un succès décisif, soit sur le Rhône, soit sur la Durance.

Sous l'empire de ces idées mal assises, et cédant aux attraits d'un leurre irrésistible, Scipion prit la résolution de marcher en avant. Il s'empressa de procéder au rembarquement de ses bagages, pour s'assurer, en cas de besoin, les moyens d'une prompte retraite à bord ; puis il fit donner à ses troupes l'ordre de remonter la rive gauche du Rhône par le chemin qu'avait suivi la reconnaissance. Sur la Durance, il passa de l'ordre en colonne à l'ordre en bataille[166], se tint prêt à recevoir l'ennemi, ne marcha plus qu'avec des précautions extrêmes Soins superflus ! Les bords de la Durance étaient déserts !

L'armée consulaire poursuivit incontinent son chemin vers le point où les Carthaginois étaient sans doute encore en train d'opérer leur passage du Rhône[167] ; elle approcha du camp de cavalerie signalé par la reconnaissance au nord de Châteauneuf-Calcernier. A l'intérieur de l'enceinte palissadée il n'y avait plus personne[168] !... sur les rives du Rhône, personne !...

Depuis trois jours, Annibal avait décampé[169] !

Tel fut le premier mécompte des légionnaires romains. L'erreur de Scipion provenait, on le sait, de son excès de confiance en la sagacité de l'officier chargé du soin d'explorer les lieux, mais comment expliquer l'étrange illusion dont celui-ci fut le jouet ?

A cet égard, on ne peut faire que des conjectures. Voici les nôtres : Annibal avait formé le dessein de tromper l'ennemi ; il eut, en le trompant, le rare talent de l'induire à une fausse manœuvre afin de lui faire ainsi perdre du temps[170].

Et, en effet, on est en droit de se demander en suite de quelles circonstances l'issue du combat de Védènes fut si favorable aux cavaliers romains. Ceux-ci n'étaient qu'au nombre de 300, tandis que le détachement de leurs adversaires ne comptait pas moins de 500 chevaux. La cavalerie légère d'Annibal était, d'ailleurs, en solidité comme en instruction, de beaucoup supérieure à celle des Romains. D'où vient son prompt désarroi ? N'avait-elle pas reçu l'ordre de plier et de feindre une déroute ? Toujours est-il que, sous le coup de l'échec qu'ils accusent, les cavaliers Imazir'en se laissent facilement poursuivre et, contrairement à leurs habitudes, ne dessinent aucune espèce de retour offensif. Il semble qu'ils entraînent à leur suite les débris de la reconnaissance romaine, qu'ils les conduisent, leur montrent le chemin de leur camp, les invitent à s'en approcher.

Les Romains s'approchent effectivement des palissades de la cavalerie carthaginoise et prennent des notes à leur aise.

Cependant que fait Annibal ? Il sait qu'on l'observe, il voit des officiers romains étudier avec soin la position qu'il occupe il a sous la main de nombreux escadrons frais et dispos. Rien ne lui serait plus facile que de tomber sur les explorateurs, de les envelopper, eux et leurs 150 cavaliers d'escorte, de s'en faire des otages, d'en tirer lui-même de précieux renseignements. D'où vient qu'il demeure immobile, qu'il se garde de troubler dans leurs opérations les agents d'une reconnaissance Imprudente ? Comment expliquer pareille inertie, si l'on n'admet pas que, suivant une mise en scène concertée avec ses adroits Imazir’en, le subtil Annibal jouait, aux yeux des Romains encore naïfs, une haute comédie militaire ?

Pour assurer le succès d'une telle entreprise, il était nécessaire de dissimuler le mieux possible l'effectif des troupes déjà passées sur la rive gauche, et de grossir, au contraire, à l'œil les masses d'hommes et de matériel dont le passage n'était pas encore effectué.

Or, au moment où la reconnaissance romaine examinait le camp de Châteauneuf-Calcernier, l'infanterie et la cavalerie carthaginoises étaient tout entières déjà sur la rive gauche[171] ; il ne restait sur la rive droite que les éléphants, leurs cornacs et quelques détachements d'arrière-garde[172]. L'infanterie, établie au sud de Caderousse, était défilée des vues de Châteauneuf ; on ne pouvait en soupçonner la présence au point qu'elle occupait. Les Romains n'ignoraient pas, d'ailleurs, que les éléphants servaient parfois de masses couvrantes aux troupes carthaginoises ; ils se rappelaient que, à la bataille du Tage, Annibal avait eu l'art de dissimuler, derrière une ligne de ces grands moteurs animés, des troupes d'infanterie, qu'il avait ensuite démasquées au moment du besoin.

Il est donc permis de supposer que le commandant de la reconnaissance, apercevant un troupeau d'éléphants de guerre autour duquel s'agitaient des détachements épars, crut volontiers à un rideau servant à défiler toute l'infanterie carthaginoise. Il n'eut, en somme, égard qu'à la cavalerie campée sur la rive gauche, en aval du point de passage du Rhône.

De là ses conclusions erronées ; de là la fausse manœuvre de l'armée consulaire.

On peut juger du désappointement de Scipion, de sa confusion, de ses regrets. Il fit néanmoins bonne contenance, dissimula l'amertume de ses réflexions et, s'attachant à rassurer les légionnaires, leur fit envisager l'événement sous un jour favorable. Il leur laissa croire que le seul fait de leur approche avait fait prendre la fuite aux Carthaginois ; que, par conséquent, on ne pouvait songer à poursuivre un ennemi prudent, auquel la peur donnait des ailes[173]. Au fond, le consul était frappé d'étonnement. En voyant qu'Annibal marchait sur les Alpes par la vallée de l'Isère[174], il admirait une audace à laquelle il n'avait pas voulu croire[175]. Se sentant, en même temps, saisi de vagues terreurs, entrevoyant, sous les couleurs les plus sombres, les longues péripéties d'une lutte à outrance, il se disait que l'issue en serait longtemps incertaine, que la puissance victorieuse ne payerait son triomphe qu'au prix d'immenses torrents de sang[176].

Les légionnaires romains n'étaient pas, comme on sait, insensibles à la gloire ; c'est par des louanges que leurs consuls les entraînaient. Ceux du corps de Scipion se laissèrent aisément convaincre ; ils oublièrent leur déconvenue et les fatigues de la marche forcée qu'ils venaient de fournir. Mais le consul ne devait point se borner à relever le moral de ses troupes ; il lui fallait, de toute nécessité, prendre un parti. A quelle résolution s'arrêter ?

Il pouvait se jeter à la poursuite des Carthaginois. Il n'eût point tardé, dit Napoléon[177], à atteindre leur arrière-garde ; mais il s'en  garda bien ; Annibal se fût retourné et l'eût battu.

Un autre plan d'opérations s'offrait à son esprit : c'était de franchir aussi les Alpes, en prenant pour chemin une enveloppée de la route d'Annibal. Dans cet ordre d'idées, il lui fallait remonter la Durance, se porter sur le col d'Argentière, s'y faire joindre par l'armée du préteur Manlius, qui était à Plaisance[178], attendre Annibal et l'attaquer, avec ses deux armées réunies, au moment où il descendrait dans la plaine. Ce projet eût sauvé Rome, mais il n'était pas praticable ; les Alpes étaient habitées par une race de barbares, de toute antiquité aussi ennemis du peuple romain que les Gaulois de Milan et de Bologne ; ceux-ci eussent coupé les communications de l'armée de Scipion, si elle se fût portée derrière les Alpes cottiennes[179].

Et Napoléon conclut en ces termes[180] : Il ne lui restait donc qu'un troisième parti à prendre, celui de rejoindre sa flotte à l'embouchure du Rhône et d'y embarquer son armée.

C'est à ce troisième parti que Scipion s'arrêta ; il regagna les bouches du Rhône et y embarqua toutes ses troupes[181], auxquelles il promit d'autres succès dans d'autres zones d'opérations. Quant à l'expédition qu'on venait de faire, si la conception première en était bonne, l'exécution en avait été malheureuse[182] ; on ne devait plus y songer.

La majeure partie des légions consulaires fut aussitôt dirigée sur les ports de la Catalogne, pour y être placée sous les ordres de Cneus Scipion. Le frère du consul eut pour mission de défendre l'Espagne, d'y assurer une protection efficace à tous les anciens alliés de Rome, de s'y créer de nouvelles alliances, de couper les communications d'Annibal ; finalement, de jeter Asdrubal à la mer[183].

Pour lui, Cornélius, il ne garda qu'une escorte[184], prit passage à bord d'une quinquérème[185], et fit voile vers l'Italie, aussitôt qu'il eut vu disparaître à l'ouest les navires de son frère. Après une courte escale à Gênes, pour y prendre des renseignements sur la situation de la Cisalpine[186], il mit le cap sur Pise et arriva sans encombre à l'embouchure de l'Arno[187].

Il traversa l'Étrurie aussi vite que possible, car son dessein était de prendre le commandement des légions qui opéraient alors en Circumpadane[188], pour aller, avec elles, attendre Annibal au débouché des Alpes[189]. Il espérait détruire ou, du moins, couper les colonnes carthaginoises épuisées de fatigues, en tous cas, les empêcher de tomber à l'improviste sur les populations italiotes[190].

Mais, une fois sur le revers septentrional de l'Apennin, Scipion comprit qu'il était déjà trop tard pour se porter vers le pied des Alpes[191]. Dès lors, il ne s'attacha plus qu'à couvrir Rome, à défendre, en arrière de Turin, les grandes lignes fluviales qui tiennent une place si importante sur l'échiquier stratégique de la Circumpadane.

Nous verrons le consul encore une fois déçu. Il n'arrivera pas à temps pour prendre position sur la Sesia, se fera battre sur le Tessin, sur la Trebbia... et la route de Rome s'ouvrira devant Annibal.

 

 

 



[1] Polybe, I, III.

[2] Saint Augustin, De civitate Dei, III, XIX.

[3] P. Orose, Adv. Paganos, IV, XVI.

[4] Livre II, chap. V.

[5] Polybe, I, XVI.

[6] Polybe, I, XXV.

[7] Polybe, I, XXV.

[8] A l'issue de la première guerre punique, Carthage avait dû payer au gouvernement de Rome une contribution de guerre de plus de 18 millions de francs ; après la guerre de Libye, une nouvelle contribution de près de 7 millions ; soit, ensemble, près de 26 millions de francs. (Voyez le livre I, chap. IX.)

[9] La Pentarchie de la marine se composait, ainsi que le nom l'indique, de cinq membres, ayant chacun des attributions déterminées ; les titres officiels de deux de ces hauts fonctionnaires peuvent être l'objet d'une restitution. Nous distinguons, en effet, dans ce conseil d'amirauté un άρχικυβερωήτης τοΰ σύμπαντος σίολου et un έπιμελητής ωαντός δίόλου.

La première de ces fonctions est mentionnée par Diodore de Sicile (XX, L), et Scheffer (De militia navali veterum) la définit ainsi qu'il suit : Imperabat cunctis gubernatoribus navium et totius classis dirigebat cursum : naturam regionum, commoditates portuum longo usu exploratos indicabat totiusque elementi tenebat rationem. L'άρχικυβερνήτης avait ainsi mission de centraliser les documents hydrographiques ; c'est dans ses archives que les officiers de marine allaient puiser des renseignements.

La seconde fonction est indiquée dans une inscription grecque. (Voyez Bœckh, n° 5973.) L'έπιμελητής ωαντός σίόλον était évidemment directeur de tous les services administratifs, ou commissaire général de la marine.

[10] L'art des constructions navales était dit ναυπηγία. — Ναυπεΐσθαι σκέφη exprimait l'ensemble des fonctions des ναυπηγοί ou ingénieurs des constructions navales.

[11] Pline, Hist. nat., VII, LVII. Les transports étaient dits έππηγοί (Polybe, I, XXVI et XXVIII), φορτηγοί (Polybe, I, LII), σιτηγοί, δρόμονες (Cassiodore, V, epist. XVII). Certains transports carthaginois étaient aménagés de façon à recevoir des éléphants. (Polybe, I, XVIII.)

[12] Pline, Hist. nat., VII, LVII.

[13] Pline, Hist. nat., XIX, VII, VIII et IX.

[14] Polybe, I, XLVII.

[15] L'invention de la pentère ou quinquérème était attribuée aux marins de Salamine. (Pline, VII, LVII.) C'était, au dire des Romains, le véritable navire de guerre. Les ingénieurs carthaginois savaient en construire de très-rapides, spécialement employées, dans les batailles navales, pour déborder l'aile de l'ennemi. (Polybe, I, XXVII.)

[16] Les marins de Syracuse passent pour les inventeurs de l'hexère ou sexarème (Pline, Hist. nat., VII, LVII). L'emploi de ce modèle prévalut durant la deuxième guerre punique (Polybe, Fragm. hist. XXXV), et les Carthaginois semblent avoir renoncé, dès lors, aux types d'un rang supérieur.

[17] C'est aux Etrusques, dit Pline (Hist. nat., VII, LVII) qu'est attribuée l'invention de l'έμβολος, dont les Carthaginois faisaient usage dès le temps de la première guerre punique. Voyez Eutrope, II, XX.

[18] Les Grecs désignaient l'office d'amiral sous des dénominations diverses, telles que σίρατηγός, σίόλαρχος ou σίολάρχης ; ωραίφεκτος ou έπαρχος σίόλου ; έπί τής ναυτικής δυνάμεως τεταγρένος ; ναυάρχων. (Voyez Polybe, passim ; cf. Bœckh, 5794 ; Orelli, 3596 ; Mommsen, I. H. N. 2649.) Le vaisseau amiral s'appelait ναυαρχίς ou δίρατηγοΰ ναΰς. (Polybe, I, XXV, et XVI, III.)

[19] Le vice-amiral était dit έπισίολεύς.

[20] Aux fonctions de commandant de navire correspondaient les expressions de ναύαρχος, ναυηγός. (Bœckh, Inscr. 2160.)

[21] Le titre de τριήραρχος est mentionné sur quelques monuments épigraphiques. (Voyez Bœckh, Inscr. 169 et 6182.) En honneur au temps où les flottes étaient uniquement formées de trières, il avait été conservé par l'usage pour désigner spécialement le commandant d'un navire de guerre. (Ulpien, Ad Orat. Contra Leptinem.) L'office de triérarque ne se confiait qu'aux membres de l'aristocratie carthaginoise. (Polybe, I, XXIV. — Tite-Live, XXI, L.)

[22] On donnait le nom de ναύκληρος au commandant d'un navire de petit échantillon. Ce titre se rencontre sur bon nombre de monuments épigraphiques. (Voyez Bœckh, Inscr. 5625, 5830, 5889.)

[23] L'officier de marine qui commandait un transport prenait le titre de δρομόναχος. (Cassiodore, V, epist. XVII.)

[24] Les Grecs donnaient au chef du service de la timonerie, à bord d'un navire de guerre, le nom de κυβερνήτης, qu'on rencontre sur quelques monuments épigraphiques. (Voyez Bœckh, Inscr. 2096 et 2157.) L'art du κυβερνήτης, dit τέχνη κυβερνητική, réclamait de ses adeptes des connaissances étendues et variées, que Scheffer (De militia navali veterum) classe sous trois chefs : Notitia siderum et ventorum ; portuum et loccrum cognitio ; gubernaculorum velorumque administratio justa. Le κυβερνήτης devait avoir une connaissance exacte des parages dans lesquels il naviguait. Gubernatorum solertia est loca in quibus navigatur portusque cognoscere, ut infesta prominentibus vel latentibus scopulis vadosa ac sicca videntur. (Végèce, IV, XLIII.) Pour donner la route, il consultait les cartes hydrographiques et astronomiques qui se trouvaient à bord à sa disposition.

Cogor et e tabula pictos addiscere mundos,

Qualis et hæc docti sit positura Dei ;

Quæ tellus sit lenta gelu, quæ putris ab æstu ;

Ventus in Italiam qui bene vela regat.

(Properce, IV, III, De Arethusa.)

Enfin le κυβερνήτης tenait la barre et commandait les manœuvres. Tenendum est rapiente fluctu gubernaculum, luctandum cum ipso mari, eripienda sunt vela vento. (Sénèque, ep. 108.)

Ipse sedens clavumque regit velisque ministrat.

(Virgile, Eneide, X, v. 218.)

Voyez les gubernatores de la colonne Trajane, n° 155, 156 et 239 de la description de Ciaconi.

[25] Chaque κυβερνήτης avait pour second un πρωρεύς ou ωρωράτης. — Ηρωρείω άρχει ό κυβερνήτης, dit Suidas. C'est ce que semble également exprimer Plaute, qui, on s'en souvient, vivait au temps de la deuxième guerre punique (Plaute, Rudent. act. IV, sc. III, v. 74.)

Scheffer (De militia navali veterum) définit ainsi les fonctions du ωρωράτης : qui in prora et ventos aucupatur et captat et eorum conversiones dicit in flectendis promontoriis gubernatori, quique tænias et brevia, ne navis eis impingatur, prospicit et explorat.

[26] Scheffer (op. cit.) s'exprime ainsi qu'il suit touchant les fonctions des ναυφύλακες : ...quæ ad navem pertinebant, ut sunt armamenta, vela, instrumenta ad militiam pertinentia, in bellicis navigiis [curabant], Nimirum sedulo spectabant ne navis aliquod acciperet, de nocte præsertim... Viam experiri, navemque dirigere. — Pollux (VII, XXXI) donne au ναυφύλαξ les qualifications de δίοψ et εύνόπίης.

[27] Le τοίχαρχος (τοίχων άρχων) était l'agent subalterne chargé d'assurer l'exécution du service sur l'un des flancs du navire. Scheffer (ibid.) dit de ces agents : sunt qui imperabant lateribus navis... Hi laterum custodiam habuere. Deux τοίχαρχοι étaient toujours, sans doute, commandés de service ensemble, et pour le même quart : l'un à tribord, l'autre à bâbord.

[28] Scheffer (op. cit.) définit comme il suit les fonctions des άρμενισίαί ou σχοινβάται : qui malos scandunt, qui per foros cursitant... Alius velis explicandis, alius erigendo malo, alius antennæ suspendendæ, et quæ alia sunt hujus generis.

[29] Les Grecs désignaient sous le nom générique de ωληρώματα l'ensemble du personnel chargé du service de propulsion d'un navire. (Voyez Polybe, I, XXI et XXIX ; X, XVII.)

[30] Considéré comme moteur animé employé à bord d'un navire, l'homme était dit έρέτης. On le nommait aussi ωρόκωπος, έπίκωπος, κωπηλάτης, έκήρετμος. La rame était ordinairement tenue par des citoyens pauvres, des esclaves ou des prisonniers de guerre. (Voyez Polybe, VI, XIX ; Appien, De reb. Pun., I ; Polybe, X, XVII ; Dion-Cassius, fragm. CCIV des livres I-XXXVI, éd. Gros.)

[31] Suivant la place qu'il occupait à bord, le moteur humain était dit θρανίτης, ζυγέτης (alias μεσόνεοις) ou θαλαμίτης. Le θρανίτης avait son banc sur le pont ; le ζυγέτης à l'entrepont ; le θαλαμίτης dans les fonds, non loin des œuvres vives.

[32] Le κελευσίής était le chef immédiat du service de propulsion. (Voyez Polybe, I, XXI.) C'est lui qui présidait aux mouvements des rameurs et en réglait la cadence. Chacun de ses commandements était dit κέλευσμα, κέλευσις, ένδόσιμον.

[33] Le τριηραύλης, ou joueur de flûte, était l'accompagnateur du κελευσίής.

[34] Tite-Live, XXI, L.

[35] Dion-Cassius, L.

[36] Tite-Live, XXI, XLIX. Les Romains embarquaient, au contraire, nombre de combattants, pris non dans la levis armatura, mais dans l'infanterie de ligne. C'étaient des troupes d'élite. Dion-Cassius, XLVIII ; Polybe, I, XXVI ; César, De bello civili, I, LVII.

[37] Tite-Live, XXI, XLIX. — Pline, Hist. nat., VII, XXI.

[38] Tite-Live, XXI, XLIX.

[39] Tite-Live, XXI, L.

[40] C'est un chiffre qui se dégage du texte suivant : Mille et septingenti fuere in [septem] navibus capti, milites nautæque. (Tite-Live, XXI, L.) Ce passage de Tite-Live est important en ce qu'il permet de restituer approximativement la composition du personnel, lequel était de 242 hommes, tous services compris, pour chacun des navires. Si de ce nombre on retranche 50 hommes d'infanterie de marine, il en reste 192 pour l'équipage et la propulsion. En admettant un chiffre de 42 matelots, on obtient net le nombre de 150 rameurs. D'autre part, nous estimons qu'une pentère était mue, sur chaque flanc, par un triple étage de cinq rames, soit, en tout, trente rames. Il suivrait de là que chacune des rames aurait été manœuvrée par cinq hommes agissant de concert.

[41] Polybe, I, XXVII.

[42] Tite-Live, XXI, L.

[43] La δεκαναΐα était, comme le nom l'exprime, une division navale de dix navires ; c'était l'unité tactique navale. (Voyez Polybe, XXIII, VII, et XXV, VII.)

[44] Tite-Live, XXI, XLIX.

[45] Tite-Live, XXI, XLIX.

[46] Tite-Live, XXI, XLIX.

[47] Polybe, I, XXVII.

[48] Polybe, I, XXVI.

[49] Polybe, I, XXVII.

[50] Dion-Cassius, XLIX.

[51] Polybe, I, XXVII.

[52] Les Latins donnaient à ce bâton du κελενοίης le nom de pertica. Scheffer, De militia navali veterum.

[53] Tite-Live, XXI, XLIX.

[54] Tite-Live, XXI, L.

[55] Tite-Live, XXI, L.

[56] Tite-Live, XXI, L.

[57] Tite-Live, XXI, XLIX, L, LI, passim. — Bivona, l'ancienne Hipponium, colonie de Locres, fut nommée par les Romains Vibo Valentia. Elle possédait un port dont la construction était attribuée à Agathocle. Les environs sont admirables ; c'est le paradis des fleurs. (Voyez Strabon, V, I, 5.)

[58] Tite-Live, XXI, LI.

[59] Salluste, De bello Catilinario et De bello Jugurthino. Cf. Cicéron, Oratio de provinciis consularibus, XIII.

[60] Tous les peuples qui habitaient en deçà des Alpes se déclarèrent pour les Carthaginois. Ce n'est pas qu'ils aimassent mieux leur domination que celle des Romains ; mais ils détestaient ceux-ci et préféraient se soumettre à des étrangers qu'ils ne connaissaient pas. Chacun de ces peuples devint donc alors (218) un allié de Carthage contre Rome. (Dion-Cassius, fragm. CLXIX des livres I-XXXVI, éd. Gros.)

[61] Les Gaulois ne pouvaient pardonner aux consuls romains leurs amères et sanglantes railleries. Ainsi Æmilius, vainqueur des Insubres, reçut les honneurs du triomphe. Là figurèrent les prisonniers les plus distingués : il les conduisit tout armés au Capitole et les accabla de sarcasmes, sachant qu'ils avaient juré de ne point dépouiller leurs cuirasses avant d'être montés au Capitole. (Dion-Cassius, fragm. CLXV des livres I-XXXVI, éd. Gros.)

[62] Strabon, VI, IV, 2.

[63] T. I, liv. III, chap. IV.

[64] Tite-Live, XXI, XXV.

[65] Tite-Live, XXI, XXVII.

[66] Il est probable qu'une partie du corps de Manlius périt écrasée sous des arbres dont les Gaulois, suivant leur coutume, avaient habilement préparé la chute. (Voyez, sur cet original emploi des abatis : Frontin, Stratag., I, VI, 4 ; Tite-Live, XXIII, XXIV ; César, De bello Gallico, II.)

[67] Polybe, III, XL ; Tite-Live, XXI, XXV.

[68] Tite-Live, XXI, XXVI.

[69] Strabon, VI, IV, 2.

[70] Polybe, II, XXIV.

[71] Polybe, II, XXIV. L'an 220 avant Jésus-Christ, c'est-à-dire quelques années avant le début de la deuxième guerre punique, Rome, privée de tout secours extérieur, et, notamment, de ses contingents de la Transpadane, était déjà parvenue à mettre en ligne 700.000 hommes d'infanterie et 80.000 hommes de cavalerie. Pline, Hist. nat., III, XXIV.

[72] Tite-Live, XXI, XVII, passim.

[73] Le texte de Tite-Live n'est pas ici en parfaite harmonie avec celui de Polybe (II, XXIV). Polybe ne mentionne, en effet, que quatre légions consulaires, à chacune desquelles il accorde un effectif de 5.200 fantassins et 300 chevaux. Il ajoute que, avec les contingents alliés, le corps de chaque consul comptait 30.000 hommes d'infanterie et 2.000 hommes de cavalerie ; soit, pour les deux armées consulaires, 60.000 fantassins et 4.000 chevaux. Polybe omet ici de tenir compte du corps de Manlius, lequel était fort de deux légions et qui, renforcé des alliés, présentait un effectif de 18.000 hommes d'infanterie et 1.600 cavaliers. La divergence des textes de Polybe et de Tite-Live n'est point considérable et porte, vraisemblablement, tout entière sur le mode d'évaluation des contingents alliés.

[74] Tite-Live, XXI, XVII.

[75] Polybe, III, XLI.

[76] Saint Augustin, De civitate Dei, III, XIX.

[77] Polybe, III, XL.

[78] Tite-Live, XXI, XVII et XLIV.

[79] Polybe, III, XL.

[80] Polybe, III, LXI.

[81] Tite-Live, XXI, LIII.

[82] Polybe, III, LXX.

[83] Tite-Live, XXI, LIII.

[84] Polybe, III, LXX.

[85] Tite-Live, XXI, LIII.

[86] Tite-Live, XXI, LIII.

[87] Polybe, III, LXX.

[88] Polybe, III, LXX.

[89] Tite-Live, XXI, LII et LIII.

[90] Tite-Live, XXI, XVII.

[91] Polybe, III, XLI. — Tite-Live, XXI, XVII.

[92] Tite-Live, XXI, XVII.

[93] Tite-Live, XXI, L.

[94] Tite-Live, XXI, L.

[95] Polybe, III, XLI.

[96] Tite-Live, XXI, LI.

[97] Tite-Live, XXI, LI.

[98] Polybe, III, XLI et LXI. Il est vraisemblable que le consul Sempronius avait fait rédiger un projet d'attaque de Carthage. Les anciens, lorsqu'ils assiégeaient une place, dressaient toujours un plan directeur des attaques. Pline, Hist. nat., XXXV, VII.

[99] Polybe, III, LXI. — Tite-Live, XXI, LI.

[100] Polybe, III, LXI. — Tite-Live, XXI, LI.

[101] Polybe, III, LXI.

[102] Polybe, III, LXI et LXVIII. La version de Tite-Live n'est pas ici conforme à celle de Polybe, car il dit que l'infanterie romaine fut embarquée pour Rimini (XXI, LI.) Nous préférons, à tous égards, la narration de Polybe ; car, en faisant passer par Rome l'infanterie de Sempronius, le sénat se donnait l'avantage de rassurer les esprits, de rendre quelque confiance à une population qui voyait ses foyers menacés. La solution de cette question, très-controversée, est d'ailleurs sans intérêt majeur. Ce qu'il faut retenir, avec l'abréviateur Eutrope, c'est que le consul dirigea sur Rimini les troupes d'infanterie dont il disposait (III, VIII).

[103] Tite-Live, XXI, LI.

[104] Justin, XXXI, VII.

[105] Claudien, Panégyrique de Probinus.

[106] Claudien, Eloge de Sévère.

[107] Bosius, éd. Corn. Nepos, Notæ ad Hannibalem.

[108] On voit à Rome, au musée du Vatican, un sarcophage sommé d'un buste à tête laurée, avec cette inscription :

CORNELIVS•CN•F•SCIPIO

Vingt-sept inscriptions funéraires de la gens Cornelia ont été réunies autour du sarcophage qui porte la désignation suivante :

Monumenta Scipionum in sepulcro gentis

effossa ad portam Capenam in fundo

Saxsiano an. clɔlɔCCLXXXI.

[109] Pline, Hist. nat., VII, VII.

[110] Claudien, Eloge de Stilicon, pref. du livre III.

[111] Voici, à ce propos, une inscription très-curieuse, mentionnant le fait de la restauration de la place de Sagonte, ruinée par Annibal au début de la deuxième guerre punique :

P•SCIPIONI•COS

IMP•OB•RESTITV

TAM•SAGVNTVM

EX•S•C•BELLO•PV

NICO•SECVNDO

(Mommsen, Corpus inscriptions latin, t. I, Elogia.)

Le nom de Scipion se trouve également inscrit sur le tombeau de Syphax, musée du Vatican, salle en croix grecque, n° 590.

[112] Diodore de Sicile, XXVI, XXI.

[113] Végèce, Inst. rei milit., III, XXI.

[114] Voici la liste de ceux qu'on estime authentiques :

1. Florence. Musée des Uffizi. Salle des inscriptions grecques et latines, n° 274, un buste en marbre avec l'inscription : SCIPIONE ;

2. Rome. Musée du Vatican. Corridor Chiaramonti, n° 232, un buste en marbre, la tête en noir antique ;

3. Rome. Musée du Vatican. Salles des bustes, n°366, une tête en marbre blanc ;

4. Rome. Musée du Capitole, un buste avec cette inscription : P•COR•SCIPIO•AFR• ;

5. Naples. Musée national. Salle des bronzes, n° 46, un buste trouvé dans les fouilles d'Herculanum.

Il faut bien se garder, quand on interroge les œuvres d'art, d'opérer une confusion entre le premier et le second Africain, qui, tous deux, furent dits Sauveurs de Rome. (Voy. Justin, XXXVIII, VI.) Le second Africain, l'ami de Polybe, est

Cil qui iadis anichila Carthaige.

Les Romains n'ont pas été non plus avares de louanges envers le second Africain, plus connu sous le nom de Scipion Émilien. Voici l'inscription qui mentionne ses triomphes :

P CORNELIVS•PAVLLI•F•SCIPIO

AFRICANVS•COS•II•CENS

AVGVR•TRIVMPHAVIT•II

(Mommsen, Corpus inscr. lat., t. I, Tituli consulares, n° 607.)

[115] Tite-Live, XXI, XXXIX.

[116] Tite-Live, XXI, LII, passim.

[117] Tite-Live, XXI, XVII.

[118] Polybe, III, XL ; cf. Tite-Live, XXI, XXVI.

[119] Appien, De rebus Hisp., XIV.

[120] Polybe, III, XLI. — Tite-Live, XXI, XXVI. — Appien, De rebus Hisp., XIV.

[121] Ammien Marcellin, XV, X.

[122] Polybe, III, XLI.

[123] Polybe, III, XLI. — Tite-Live, XXI, XXVI.

[124] Tite-Live, XXI, XXVI. La petite chaîne des Maures, qui longe le littoral de Saint-Tropez à Marseille, ne mesure que de six à sept cents mètres d'altitude. Elle formait la limite méridionale du territoire des Salyes, Sallyens ou Salluviens, qui occupaient, au temps d'Annibal, partie de nos départements des Bouches-du-Rhône et du Var. Les Massaliotes étaient alors établis entre cette chaîne des Maures et la mer.

[125] Polybe, III, XLI. — Tite-Live, XXI, XXVI.

[126] Ammien Marcellin, XV, X.

[127] Tite-Live, XXI, XLI.

[128] Polybe, III, XLI.

[129] Tite-Live, XXI, XXVI.

[130] Polybe, III, XLI.

[131] Ce golfe a tiré son nom de celui de la ville de Fos (Fossœ Marianœ).

[132] Polybe, III, XLI. — Tite-Live, XXI, XXVI. — Pline, Hist. nat., III, V. La bouche que les anciens nommaient Massaliote n'est autre chose que l'embouchure du bras oriental du fleuve, bras principal, que nous désignons aujourd'hui sous le nom de grand Rhône, par opposition au petit et au vieux Rhône. L'embouchure du grand Rhône s'épanouit en quatre bras secondaires ou graus, connus sous les dénominations de graus de Pégoulier, du Levant, du Midi, et du Ponent.

[133] Littéralement, le mot grau peut se traduire par enfant de la rivière. Cette désignation convient parfaitement à une communication maritimo-fluviale, issue d'un cours d'eau d'une importance supérieure à la sienne.

[134] M. Maissiat, auteur d'un Annibal en Gaule, laisse entendre que la flotte romaine, loin de mouiller au golfe de Fos, ainsi que le veulent tous les textes, remonta le Rhône assez haut.

L'armée romaine, dit-il, devait être, pour le moins, au-dessus de la Camargue, auprès d'Arles, ou, plus probablement, à Tarascon. Cette hypothèse n'est, malheureusement, appuyée d'aucune espèce d'argument.

[135] Entre le mouillage de Fos et celui du Repos se trouve un they qui porte le nom d'Annibal. Cette coïncidence est au moins bizarre.

[136] On a vu les Anglais mouiller à l'embouchure du Rhône et s'y tenir par les plus gros temps. Ce mouillage les mettait à même de profiter du fleuve pour y faire de l'eau... Le mouillage du Bouc est bon... la passe est très-étroite, mais les vaisseaux de guerre peuvent y entrer. Lorsque le canal d'Arles sera terminé, le Bouc sera le port du Rhône. (Commentaires de Napoléon Ier, Armement des côtes de la Provence, II.)

[137] Polybe, III, XLI.

[138] Tite-Live, XXI, XXVI.

[139] Polybe, III, XLI.

[140] Tite-Live, XXI, XXVI.

[141] Polybe, III, XLI. — Tite-Live, XXI, XXVI.

[142] Polybe, III, XLI.

[143] Polybe, III, XLI.

[144] Polybe, III, XLI.

[145] Tite-Live, XXI, XXVI ; cf. Polybe, III, XLI.

[146] Tite-Live, XXI, XXIX. — Polybe, III, XLV.

[147] Cette restitution ne résulte, il faut le dire, que d'un emploi rationnel des méthodes intuitives. Nos conjectures nous semblent satisfaisantes, mais ce ne sont que des conjectures.

[148] Tite-Live, XXI, XXXI.

[149] Cabellio Cavarum, Καβαλλίων Καουάρων, Kabila des Kaouara.

[150] Strabon, IV, I, 11. Οΰνδαλον, Vindalium. Vindalie occupait, suivant d'Anville et M. Delacroix (Statistique de la Drôme), l'emplacement de la moderne Védènes. Tel n'est point, il faut le dire, l'avis de Scaliger, d'Adrien de Valois, d'Aymar du Rivail et de Ménard, qui placent cette ville à Port-de-Traille, c'est-à-dire au confluent même de la Sorgues et du Rhône. Nous nous rallions franchement à l'opinion de d'Anville.

[151] Voyez le Passage du Rhône, t. I, liv. IV, chap. III.

[152] Polybe, III, XLIV.

[153] Polybe, III, XLV.

[154] Polybe, III, XLVIII.

[155] Polybe, III, XLIV. Il n'est pas sans intérêt de placer, en regard des expressions de Polybe, les termes consacrés par l'Instruction ministérielle sur le service de la cavalerie éclairant une armée, du 27 juin 1876.

[156] Polybe, III, XLV. La distance de 8 kilomètres satisfait bien à la condition ού μακράν.

[157] Polybe, III, XLV. — Tite-Live, XXI, XXIX.

[158] Polybe, III, XLV. — Tite-Live, XXI, XXIX.

[159] Polybe, III, XLV. — Tite-Live, XXI, XXIX.

[160] Voyez Tite-Live, XXI, XXIX, XL et XLI, passim.

[161] Saint Augustin, De civitate Dei, III, XIX.

[162] Polybe, III, XLV.

[163] Polybe, III, XLV. — Tite-Live, XXI, XXXII.

[164] Polybe, III, XLIX.

[165] Tite-Live, XXI, XXXI.

[166] Tite-Live, XXI, XXXII.

[167] Polybe, III, XLIX.

[168] Tite-Live, XXI, XXXII.

[169] Polybe, III, XLIX. Tite-Live, XXI, XXXII.  Suivant Polybe (III, XLV), Annibal met ses troupes en marche le surlendemain du jour où il a tenu conseil avec le chef gaulois Magile, c'est-à-dire le surlendemain du combat de Védènes. Nous admettons que, le jour même de ce combat, la reconnaissance romaine s'avance jusqu'aux palissades du camp de cavalerie de Châteauneuf-Calcernier. Elle est à 90 kilomètres du port de Bouc et, en l'état où elle se trouve, il lui faut plus d'une journée pour franchir cette distance. Elle ne peut arriver à Bouc que le surlendemain, c'est-à-dire au moment même où l'armée d'Annibal décampe. Scipion part sur-le-champ, mais il lui faut trois jours pour faire ces 90 kilomètres, à raison de 30 kilomètres par jour. Ce sont bien là les trois journées d'écart mentionnées par Polybe et par Tite-Live.

[170] Annibal avait le ferme désir de faire perdre du temps à son adversaire et d'arriver avant lui sur les rives du Pô. Polybe, III, LXI.

[171] Polybe, III, XLIV.

[172] Polybe, III, XLV.

[173] Tite-Live, XXI, XXIX, XL et XLI. A ce propos, le général Rogniat ne craint point de prétendre que, à l'heure où il se met en marche pour remonter la rive gauche du Rhône, Scipion sait déjà pertinemment qu'Annibal a parachevé son passage du fleuve, qu'il a décampé, qu'il poursuit sa route vers le confluent de l'Isère. Publius, dit-il, instruit du départ des Carthaginois, en homme d'esprit (sic), qui connaissait la puissance de l'opinion sur les troupes, feint de les poursuivre et s'avance jusqu'à leur ancien camp, où il arrive trois jours après leur départ. Il retourne ensuite, au plus vite, à ses vaisseaux.... Cette appréciation incroyable a été l'objet d'une verte critique de la part de Napoléon. Quel esprit, dit l'empereur, y a-t-il à perdre dix jours en se laissant gagner de temps par son ennemi ? (Voyez les Commentaires de Napoléon Ier, t. VI : Dix-sept Notes sur l'ouvrage intitulé Considérations sur l'art de la guerre, note XVII.)

[174] Appien, De rebus Hisp., XIV.

[175] Polybe, III, XLIV.

[176] Tite-Live, XXI, XXIX.

[177] Commentaires de Napoléon Ier, t. VI : Dix-sept Notes sur l'ouvrage intitulé Considérations sur l'art de la guerre, note XVII.

[178] Le préteur Manlius était alors en retraite sur Tenedo et n'aurait pu, en conséquence, opérer sa jonction avec le consul.

[179] Commentaires de Napoléon Ier, t. VI, Dix-sept Notes sur l'ouvrage intitulé Considérations sur l'art de la guerre, note XVII.

[180] Commentaires de Napoléon Ier, t. VI, Dix-sept Notes sur l'ouvrage intitulé Considérations sur l'art de la guerre, note XVII.

[181] Polybe, III, XLIX. — Tite-Live, XXI, XXXII.

[182] Napoléon résume ainsi qu'il suit cette triste expédition des bords du Rhône : Scipion fit une chose toute simple : il espéra défendre le passage du Rhône ; mais, comme il arriva trop tard, il retourna à sa flotte. (Voyez les Commentaires de Napoléon Ier, t. VI : Dix-sept Notes sur l'ouvrage intitulé Considérations sur l'art de la guerre, note XVII.)

[183] Tite-Live, XXI, XXXII.

[184] Tite-Live, XXI, XXXII.

[185] Appien, De rebus Hisp., XIV.

[186] Tite-Live, XXI, XXXII. — Ammien Marcellin, XV, X.

[187] Appien, De bello Annibalico, V, et De rebus Hisp., XIV. — Polybe, III, LVI.

[188] Tite-Live, XXI, XXXII.

[189] Polybe, III, XLIX. — Tite-Live, XXI, XXXII et XLI. — Ammien Marcellin, XV, X.

[190] Appien, De rebus Hisp., XIV.

[191] On s'est demandé pourquoi, au lieu de remettre son corps d'armée aux mains de Cneus, Cornelius Scipion n'en avait point gardé le commandement ; pourquoi, des bouches du Rhône, il ne s'était pas rendu à Nice, et n'avait pas, de là, gagné le col de Tende ; pourquoi, enfin, il ne s'était pas jeté dans la vallée de la Stura pour se porter au pied du revers oriental des Alpes cottiennes.

D'abord, les Alpes maritimes et le col de Tende étaient alors occupés par des ennemis de Rome ; et puis, il n'était plus temps de procéder ainsi, car l'habileté d'Annibal, ou, si l'on veut, la mauvaise fortune, avait fait faire une fausse manœuvre à Scipion. Des bords de la Durance, témoins de son désappointement, il lui fallait, suivant le calcul de Napoléon, vingt-six jours pour se porter, par le col de Tende, au débouché des Alpes. Or, ainsi que l'événement devait le démontrer, Annibal, partant aussi des bords de la Durance, avait à peine besoin de vingt-six jours pour se rendre à Turin. Il avait, d'ailleurs, distancé son adversaire de trois journées de marche.