VILLEDIEU-LES-POËLES, SA COMMANDERIE, SA BOURGEOISIE, SES MÉTIERS

PREMIÈRE PARTIE. — L'ANCIEN RÉGIME

 

CHAPITRE IX. — LA PAROISSE AU XVIe SIÈCLE.

 

 

NOTES SUR QUELQUES COMMANDEURS. — Les améliorissements du Commandeur d'Elbène. — Incendie de Villedieu ; reconstruction de la Commanderie, des halles et du moulin par le Commandeur, de la nef de l'église paroissiale par les habitants.

ORGANISATION PAROISSIALE : Règlements du Commandeur de Comenge. — Assemblées paroissiales. — Trésoriers de la Fabrique ; leurs comptes : recettes et dépenses ; fondations, casuel, dons particuliers. — Description de l'église au commencement du XIIIe siècle : Date de ses embellissements successifs.

Personnages remarquables de Villedieu au XVIIe siècle.

 

Bien qu'éloignés le plus souvent de leurs Commanderies, et obligés d'en laisser l'administration temporelle à des régisseurs ou à des fermiers, les Commandeurs ne se désintéressaient pas complètement de leurs devoirs à l'égard de leurs vassaux. Le Manuscrit traditionnel nous a conservé quelques notes-concises sur plusieurs Commandeurs de la seconde moitié du XVIe siècle ou du commencement du XVIIe. Elles nous aideront, avec les documents des Archives de l'Ordre, à faire connaître les relations de ces Chevaliers avec leur Membre de Villedieu-les-Saultchevreuil ou les Poëles, comme on commençait alors à le désigner d'une manière habituelle.

L'un des successeurs de Denis de Vielz-Chastel, CLAUDE DE LA SANGLE, Commandeur de Villedieu-lès-Bailleul en 1542, fut élu Grand-Maître de Malte pendant qu'il était ambassadeur de l'Ordre à Rome, en 1553. On lui doit des additions aux Statuts de Saint-Jean-de-Jérusalem. Ses armes se voyaient au grand-autel de l'église paroissiale de Villedieu-lès-Poëles.

CHARLES ALEXANDRE DE MONTIGNY, qui joignait à son titre de Commandeur celui de capitaine et lieutenant d'une compagnie de 50 hommes d'armes des Ordonnances du Roi, afferma pour 6 ans, en 1573 le nombre de Villedieu de Saultchevreuil[1] à Me Sanson le Souldier, de la paroisse de Courson, Vicomte de Vire, moyennant 400 livres tournois par an, toutes charges supportées par le preneur. Ce Commandeur avait eu à réparer les élides et écluses du moulin. Il fit don à l'église paroissiale des anciennes vitres du chœur ; ses armes se voyaient autrefois à la fenêtre du fond de la sacristie. On lui doit la confection du premier papier terrier (1587).

CHARLES DE GAILLARBOIS-MARCONVILLE (1594) fut ambassadeur de l'Ordre auprès du roi de France en 1603. C'est lui qui fit poser les vitres du rond-point de l'église de Villedieu. Ses armes étaient placées à côté de celles de son prédécesseur.

Le Commandeur ALEXANDRE d'ELBÈNE, receveur général du Commun Trésor de Malte au Grand Prieuré de France, a droit à une reconnaissance particulière de ses vassaux de Villedieu-les-Poëles. Le procès-verbal des améliorissements[2] qu'il avait effectués dans ses différentes Commanderies nous indique les réparations considérables que lui-même, comme les bourgeois, furent amenés à faire à la ville sous son administration.

Lorsqu'un Commandeur avait ainsi amélioré d'une façon notable les possessions qui lui étaient confiées, il demandait au Chapitre Provincial de désigner quelques chevaliers pour venir examiner sur place les diverses transformations qu'il avait effectuées. Le résultat devait être pour lui une réduction dans la redevance à payer au Trésor de l'Ordre, et souvent une élévation à une dignité supérieure.

Voici le résumé substantiel de ce procès-verbal :

La visite du membre de Villedieu-les-Poëles fut faite le 10 mai 1650 par Philippe de Meaux-Rocourt, Commandeur de Villedieu en la Montagne, et le chevalier Guillaume de Cullan Labrosse.

La Chapelle de la Commanderie était en bon état, recouverte à neuf. Des ornements neufs avaient été achetés pour 120 livres. Aucune messe n'y était fondée.

Le Commandeur avait pris possession le 21 juin 1631. Depuis cette époque, l'église paroissiale, les halles et le moulin avaient été brûlés : le moulin entièrement, l'église à la réserve du chœur, et les grandes halles aux deux-tiers ; l'autre tiers en avait été très endommagé, et les petites halles complètement détruites. Le procès-verbal des Élus de Vire[3] de 1632, fait à la demande des bourgeois pour montrer l'impossibilité de payer la taille à laquelle ils étaient cottizés, rapporte que le feu avait éclaté le 27 mai 1632. Outre les monuments publics, plus de 80 maisons avaient été consumées.

La maison seigneuriale n'avait été que légèrement endommagée par le feu. A son arrivée, le Commandeur l'avait trouvée en mauvais état avec des charpentes pourries : il y avait danger à l'habiter. Elle consistait alors en une étable en bas, et au-dessus une chambre sans croisée qui n'avait jour que par de petites fenêtres de 2 pieds de large et 3 de haut ; à côté une petite chambre servant de cuisine, un grenier au-dessus, avec un escalier de pierre pour monter à ces chambres, cuisine et grenier. — A l'époque de la visite, il y avait en bas une belle cuisine, une dépense, un cellier et un petit garde-manger en très bel état ; au-dessus deux telles chambres à larges croisées, avec chacune leur garde-robe, et dégagées l'une de l'autre, et au-dessus un beau grenier. Il ne restait que deux pans de muraille de l'ancienne habitation. — Deux écuries surmontées d'un grenier avaient été également construites à l'extrémité opposée à la chapelle. Le jardin, de 40 à 50 pas en carré, allant jusqu'à la rivière, avait été exhaussé, entouré de murailles et planté de bons arbres fruitiers.

Le moulin avait été fort bien reconstruit depuis l'incendie, et la perrée refaite à neuf. Les eslides et décharges des eaux étaient également en très bon état,

L'église paroissiale, bien réparée depuis le feu, s'était accrue de deux bas-côtés des deux côtés de la nef avec de beaux piliers de belle pierre de taille. Dans le chœur on avait mis un retable qui avait coûté 1.500 livres : preuve de la piété des habitants qui avaient seuls contribué à toutes ces dépenses, le Commandeur n'ayant en rien à subvenir à l'entretien même du chœur, quoiqu'il fût seigneur haut-justicier : de temps immémorial il avait été déchargé de ce soin par l'abandon des droits de la foire Saint-Clément à la fabrique paroissiale.

Les grandes halles, brûlées aux deux-tiers, avaient été reconstruites et accrues pour que le blé se pût mettre à l'un des bouts au lieu des petites halles qu'on avait pu ainsi négliger de rétablir ; des réparations importantes avaient été faites au tiers qui n'avait pas été détruit.

Le Curé était alors fr. Geay Durant, frère d'obédience de l'Ordre : il avait avec lui dix ou douze prêtres. Etaient : Official, Philippe Bataille ; Vice-gérant de l'Officialité, Martin Huet ; promoteur, Jean Obelin ; garde du scel, Philbert Herbin ; greffier, Jacques Huard. — Le maître d'école se nommait Jacques Huard ; et le Custos, ou sacristain de l'église, Jean Navet.

Pour la justice séculière, elle était alors rendue par le bailly Nicolas Leduc, sieur du Rocher, et son lieutenant, Jean Le Monnier. — Tous ces officiers étaient à la nomination du Commandeur. Le tabellionage et le greffe étaient affermés ainsi que la sergenterie, le tout pour 200 livres environ par an.

L'ensemble des réparations faites par le Commandeur s'élevait d'après, les quittances à 5.388 l., 3 s., 6 d. ; le mobilier et les ornements de la Chapelle à 400 et 120 l. ; total 5.908 l., 3 s., 6 d..

Le prédécesseur du Commandeur, le Chevalier Du Breuil, avait affermé tout le membre de Villedieu de Saultchevreuil pour 1.000 l. en 1629 ; à l'expiration du bail[4], le Chevalier d'Elbène l'avait alloué pour 1.600 l., puis actuellement pour 2.2501. L'ensemble du domaine non fieffé mesurait 5 acres 6 perches ; les revenus consistaient donc presque exclusivement dans le paiement des droits seigneuriaux.

Le Commandeur avait fait confectionner un papier terrier de la Commanderie, suivant les formes accoutumées.

Les dépositions des différents officiers rapportées par les Commissaires font foi du zèle qu'il avait déployé pour soutenir toutes les prérogatives de l'Ordre et de l'estime qu'il s'était attirée parmi ses vassaux.

Les Commissaires chargés d'examiner les améliorissements du Commandeur d'Elbène donnent comme une preuve de la piété des bourgeois de Villedieu les réparations, l'accroissement et l'ornementation qu'ils avaient apportés à leur église paroissiale, et cela avec leurs seules ressources. C'était en effet l'usage commun sous l'Ancien Régime que les constructions et réparations, ainsi que l'entretien des églises, fussent à la charge de tous les paroissiens. En Normandie, le chœur était généralement entretenu par le seigneur de la paroisse : le procès-verbal précédent rappelle ce fait, déjà signalé au Chapitre II, que l'abandon au trésor de la fabrique du produit de la foire Saint-Clément dispensait les Commandeurs de cette contribution.

Ces seigneurs n'étaient pas pour cela indifférents à l'administration paroissiale : ils pouvaient présider aux redditions de compte des trésoriers, par eux-mêmes ou par leur Officiai. Le Commandeur d'Elbène, en particulier, avait inspiré une telle confiance à ses vassaux qu'ils l'avaient élu trésorier pendant trois années consécutives (1640-1643).

S'il n'avait pas d'ailleurs contribué à la reconstruction de l'église paroissiale, il lui avait cependant fait don d'un calice et d'un ornement qu'on y voyait encore en 1853.

L'administration paroissiale fut réglée par divers Commandeurs jusque dans ses moindres détails. Il est à propos de reproduire ici les passages les plus importants du règlement définitif composé par le Commandeur DE COMENGE[5], et qui fut en usage jusqu'à l'époque de la Révolution.

 

ART. 21. — Du Trésor et Confrérie.

21. Les trésoriers annuels de nos églises seront choisis, par tous les paroissiens le 1er dimanche après la Saint-Michel. Ils emploieront avec prudence et économie les revenus et deniers de l'église par l'avis du curé et de concert avec lui, conformément à l'art. 8 du règlement du commandeur de Caillemer. Mais dans les empiètes extraordinaires, il sera fait une assemblée de paroisse pour en délibérer et en ordonner, le tout pourtant en présence dudit Curé.

22. — Les trésoriers rendront leurs comptes au plus tard trois mois après leur gestion finie, et le tout dans une assemblée de paroisse tenue devant le Curé, qu'il aura soin d'indiquer au prône de la messe paroissiale.

25.— Les contrats et titres de nos églises, tant du Trésor que des Confréries, s'il y en a, seront soigneusement déposés dans un coffre ou armoire fermante à 3 clefs : l'une desquelles demeurera entre les mains de notre Curé, l'autre sera confiée au trésorier annuel, et la troisième au syndic de la paroisse : le tout pour éviter la substraction ou la perte des dits contrats, desquels nous ordonnons qu'il soit fait un inventaire très exact, et les diligences nécessaires pour obvier aux prescriptions. — Les trois personnes ci-dessus nommées ne pourront jamais confier leurs clefs à une seule des trois ni à un autre particulier.

40. — Défense d'introduire dans les églises, sans la permission de l'official, aucune image peinte ou sculptée qui ne serait pas convenable. Ordre d'enterrer celles qui seraient inconvenantes dans un coin du cimetière.

41. — Les bancs, surtout ceux de Villedieu-les-Poëles, étant en grand désordre, seront remis dans un ordre uniforme ; on n'en doit souffrir aucun qui ne soit acheté ou fieffé. Défense sous peine d'excommunication à tous particuliers d'y en placer de nouveaux sans y être autorisés par un acte public.

 

Si les droits de la fabrique étaient sauvegardés, ceux du clergé n'étaient pas moins respectés ; le règlement devait faire comprendre aux paroissiens que les honoraires qu'ils remettaient à leurs prêtres ne pouvaient être soumis aux conditions qu'on est porté parfois à imposer à de simples mercenaires : il prévoyait notamment les besoins des ecclésiastiques que l'âge ou la maladie mettaient dans l'impuissance de remplir leurs fonctions ; il n'était que juste d'ailleurs de leur appliquer les principes qui avaient inspiré les statuts des confréries de métiers :

17. — Comme il nous a été remontré et qu'il nous a aussi paru que le revenu de la Cure de Villedieu les Poêles était très médiocre, le Curé n'ayant presque que les droits de son église, et que le travail était très grand, notre bourg étant rempli d'un peuple assez nombreux, — nous ordonnons qu'outre les droits du Curé, il lui soit délivré sa double assistance en tous les obits, services, casuels et fondations de notre église : le tout conformément aux usages et coutumes des villes et bourgs des diocèses voisins, aux Édits du Roi sur ce sujet, et aux règlements du commandeur de Caillemer art. 20.

19. — Les Vicaires ont également le double des droits des autres prêtres.

18. — Les Curés et Vicaires sont réputés présents quand leurs devoirs pastoraux les appellent ailleurs.

20. — Défense d'accepter les fondations où ne seraient pas respectés les droits des Curés et Vicaires.

42. — Les anciens prêtres seront toujours préférés aux plus jeunes pour les cérémonies qui n'exigent la présence que d'un nombre restreint d'ecclésiastiques : même lorsqu'ils seront malades, ils seront réputés présents à ces cérémonies.

 

Il serait intéressant de citer en entier les recommandations détaillées données aux membres du clergé, soit pour leur conduite privée, soit pour la direction des âmes ou l'administration des sacrements. Une paroisse dans laquelle un tel règlement eût été constamment appliqué dans son intégrité serait restée le modèle des paroisses chrétiennes.

Ce règlement, qui d'ailleurs sanctionnait des usages précédemment admis, fut lu dans une assemblée générale des bourgeois et universellement approuvé.

Si le rôle du Curé s'y trouve établi, comme il est juste, d'une manière prépondérante, les paroissiens étaient loin de rester étranger à l'administration des intérêts temporels de leur église. Les registres conservés en grande partie à la cure depuis l'année 1626, nous montrent la part sérieuse prise constamment aux élections annuelles des trésoriers et à l'examen de leurs comptes par les nombreux habitants du bourg dont les signatures accompagnent les différentes délibérations. Les formules qui précèdent et qui suivent chacun des comptes, nous donneront une idée du fonctionnement de cette administration.

Compte que rend pour luy et ses filz Pierre Dolé, bourgeois de Villedieu, à Maistre Jean Foubert, Curé et Official de l'Église de Villedieu, et autres ecclésiastiques et bourgeois, ayant été éleu thrésorier par le général[6] pour l'année commençant le premier jour d'octobre 1699 et finissant le dernier de septembre 1770, de tout ce qu'il a reçu en ladite qualité, tant pour le casuel que pour les fondations, comme aussi des emploittes et dépenses qui luy a convenu faire pendant ladite année.

Du dimanche deuxième jour d'août mil six centz quattre vingt-dix-neuf. — Devant Nous, Jean Foubert, Curé et Official de Villedieu, Docteur en Théologie, présence des sieurs prestres, bourgeois et paroissiens dudit lieu, ensuitte des advertissemens par Nous donnés au prosne des messes paroissiales, au son de la cloche, sur le banc des marguilliers, s'est présenté Jean Potrel, fils Thomas, esleu thrésorier pour laditte Eglise pour l'année mil six centz quattre vingt dix huit, à commencer le 1er Octobre 1697 et finir à pareil jour 1698. Lequel nous a mis son compte entre les mains pour estre veu, examiné et calculé. — A quoy nous avons procédé, assisté des cy après nommés... et avons trouvé que ledit Potrel, rendant compte dans tous les chapitres des recettes tant ordinaires que extraordinaires, a receu la somme de 801 livres et 6 soubz, sur laquelle somme il a emploié, tant pour les fondations de laditte église que despenses ordinaires et extraordinaires mentionnées dans son dit compte la somme de 325 livres 2 sols ; et partant la recepte faite par ledit Potrel pendant l'année de son thrésorage surpasse la despense de la somme de 476 livres 3 soubz, dont ledit Potrel est demeuré redevable audit thrésor, au payment de laquelle il soblige promettans en vuider ses mains à la première demande qu'il sera faicte pour les urgentes nécessités de l'église : ce qu'il a signé en présence de... Suivent les noms et signatures d'une trentaine de prêtres et bourgeois de Villedieu, avec la mention et plusieurs autres témoins.

Habituellement, on élisait pour l'examen des comptes un certain nombre d'anciens trésoriers.

Les comptes tardaient quelquefois à être rendus, surtout lorsque la mort surprenait un trésorier dans l'exercice de sa charge : nous en voyons ainsi plusieurs qui ne furent définitivement apurés que près de 20 ans après la date réglementaire.

On trouve mentionné dans les registres paroissiaux un marguillier d'honneur, dont les fonctions paraissent être de donner les ordres pour les dépenses urgentes en l'absence du Curé ou de l'assemblée paroissiale. M. Pierre Huard, sr du Mesnil, fut longtemps chargé de ces fonctions (1660 à 68).

Souvent, quand il s'agissait d'une dépense d'une certaine importance, un marché était conclu par devant les tabellions ou notaires entre les entrepreneurs et l'assemblée générale des bourgeois. Le trésorier restait chargé de la surveillance des travaux et du paiement de la somme déterminée d'avance.

Chacun des comptes est partagé en deux parties : recettes et dépenses. Les recettes sont réparties en plusieurs chapitres qui comprennent le produit : 1° du plat du luminaire de Notre-Dame ; 2° du plat du pain béni — cette double offrande se. percevait chaque dimanche ou jour de fête — ; 3° des sommes payées pour l'ouverture des fosses dans l'église — quelquefois jusqu'à 90 par année — ; 4° du don d'une serviette, en nature ou en monnaie, à l'occasion de la naissance du premier enfant de chaque famille ; 5° des revenus provenant des fondations ou du trésor de la Confrérie de Saint-Nicolas ; 6° des sommes produites chaque année par la foire Saint-Clément ou versées par les plats des trépassés et des différentes Confréries de St-Roch, de St-Sébastien, de St-Honoré, du St-Scapulaire, du St-Rosaire, etc., dont nous parlerons au chapitre suivant ; 7° des dons particuliers.

Les dépenses ordinaires comprenaient les honoraires des prêtres et officiers du chœur pour l'acquit des fondations. Remarquons que tous les offices[7], en dehors de la grand'messe et des vêpres du dimanche, étaient fondés, en sorte que la Fabrique n'avait qu'à appliquer, sans aucune contribution de sa part, les revenus qu'elle touchait dans ce but.

Les dépenses extraordinaires consistaient dans l'entretien des ornements, la refonte des cierges, les gages du prêtre-sacristain et des divers employés ; et surtout dans les réparations ou reconstructions de l'église ou de son mobilier. Les trésoriers ne se contentent pas de donner le montant total d'une réparation ou d'une construction : l'achat des matériaux, les frais de transport, les journées d'ouvriers et de leurs servants, tout est indiqué au jour le jour à mesure que s'effectuent les paiements. Il est ainsi facile de suivre les différents travaux entrepris successivement dans l'église, d'en voir exactement la valeur. Il y aurait là toute une étude à faire sur les usages de chaque métier, qui ne manquerait pas d'intérêt.

Une remarque importante s'impose lorsqu'on parcourt les registres paroissiaux : quelque considérables et impérieuses qu'aient pu être à certains moments les réparations nécessitées par les événements imprévus, bien rares seraient les exemples du déficit dans les comptes annuels : l'excédent habituel permettait sans doute de parer aux besoins les plus urgents ; la générosité des paroissiens ne manquait pas non plus de grandir en proportion de l'accroissement de leurs obligations.

Le Manuscrit traditionnel nous a laissé une description détaillée de l'église paroissiale à l'époque où il a été composé : nous ne pouvons mieux faire connaître le zèle déployé par les curés, trésoriers et bourgeois de Villedieu pour la conservation et l'ornementation de leur temple que par la reproduction de cette description. Nous nous contenterons d'ajouter, lorsqu'il sera nécessaire, certains détails que nous auront révélés les registres de la fabrique.

L'église mérite d'autant plus d'être admirée que, quoique toute construite de pierres de taille très dures et très difficiles à mettre en œuvre, elle est embellie par dehors d'une infinité de figures des plus recherchées et de divers ouvrages ciselés adroitement. Le Rond-point[8] est orné d'une petite promenade dont l'enceinte est garnie de pyramides qui prennent pied jusqu'à terre, et de gargouilles soutenues par différents animaux, par où les eaux dégouttent.

Le Frontispice de la Chapelle du Rosaire, au midi, est agréable à cause de la vitre qui lui donne le jour, des pyramides qui sont à ses côtés, et de la croix qui lui sert de couronnement.

Le Portail[9] est fort simple et ne répond point au corps de l'église.

... La Tour est la partie qui témoigne le plus d'adresse et le génie de l'architecte ; elle est portée au milieu du corps de l'église sur quatre piliers proportionnés à sa grosseur et à son élévation ; elle est carrée, ornée de 12 amples fenêtres croisées dans le milieu, dont 8 servent pour l'ornement, et les 4 autres ouvertes pour laisser passer le son des cloches, qui y sont au nombre de cinq dans un accord, une proportion parfaite. La grosse, qui pèse plus de 5.000, et la seconde à proportion, furent fondues en 1708 par Jonchon, fondeur de ce bourg, aux dépens de la fabrique ; la première fut nommée Françoise par M. le Commandeur François de Comenge et noble Famé Berrier de ce bourg, la deuxième s'appelait Jean-Baptiste. La troisième et la quatrième forent refaites par Clément Le Picard un an après l'incendie de 1632 ; elles furent bénites par M. Durand alors curé et officiai. M. Hector Huard, Procureur fiscal de ce lieu, nomma la troisième Anne. La quatrième fut consacrée à sainte Barbe[10] par les habitants, parce qu'on a recours à cette sainte pour être préservé du tonnerre : on a coutume de sonner cette cloche quand il tonne.

Le Beffroi, qui supporte ces cloches, fut refait également en 1633 par le même Huard, qui fit couvrir, les années suivantes, tout le bas de l'église et le dôme de la tour[11].

On remarque entre les fenêtres différentes armoiries ; les armes de France et du Dauphin sont placées vers l'Orient, et à l'opposite celles de l'Ordre de Malte et de Normandie. Vers le septentrion sont quatre faces de profil, dont deux représentent, dit-on, le duc Guillaume et Mathilde son épouse[12]...

Au-dessus de ces fenêtres paraît une promenade, d'où la vue se perd au loin vers le septentrion, étant bornée de coteaux fort élevées sur les autres côtés. Elle est construite en pierres de taille percées à jour et formant plusieurs figures découpées à la mosaïque[13]. Il y a quatre colonnes à ses angles en forme de vases, avec autant de gargouilles à leur base en gueule de dragon. Un peu plus haut finit le mur qui, suivant la tradition, fut laissé imparfait à cause d'accidents fâcheux.

Sur ce mur est placé un dôme à huit pans, couvert en ardoise : c'est sous ce dôme que l'horloge est renfermée. Enfin au-dessus du dôme est une lanterne composée d'une dizaine de piliers en bois recouverts de plomb et hauts de 15 pieds ; sur ces piliers s'élève encore un dôme plus petit que l'autre et surmonté d'une croix qui porte un coq gros comme un fort mouton.

Si l'extérieur de cette église est admirable, l'intérieur ne l'est pas moins. Elle est fort régulière, ayant deux ailes séparées de la nef et du chœur par deux rangs de piliers qui portent des voûtes de pierre[14].

La chapelle du haut de l'aile droite — épître —, à côté du Maître-Autel, est dédiée à saint Jean-Baptiste, parce que cette église appartient à l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Celle du haut de l'aile gauche est destinée à sainte Anne. Un peu au-dessous de ces deux chapelles se rencontrent celle du Rosaire et celle de St-Hubert, qui forment une croix par leur avancement en dehors.

Cette église est éclairée par 27 grandes vitres : les plus belles sont celles du Rosaire, de St-Hubert et du portail. La sacristie, prise dans le corps de l'église, est placée derrière le maître-autel : on passa en travers en faisant la procession.

— Le meuble en bois de chêne, adossé au maître-autel, fut commandé en 1665 : il devait être de la longueur d'une vieille muraille étant dans la sacristie, et de la hauteur des deux corniches portans deux anges qui sont aux deux costez du grand autel, de la façon et manière de celui qui est dans la sacristie de l'Abbaye de la Luzerne. Il avait deux compartiments, l'un pour serrer les chapes, l'autre pour renfermer les chasubles et tuniques portées sur des jambiers ; avec, au milieu et en arrière, une fenêtre pour aller au tabernacle. — Sur les 160 livres tournois qu'il était estimé, 60 devaient être payées dès la conclusion de l'arrangement avec le menuisier ; sur lesquelles 60 livres, nous dit le compte paroissial, il y eut 40 sols de perte, parce qu'on avait donné des pièces de 60 sols à l'ancien cours. Il y a là une indication de l'altération des monnaies si fréquente sous le règne de Louis XIV de la valeur de 2 francs environ de notre monnaie actuelle qu'elle avait à la fin du règne de Louis XIII, la livre tournois devait s'abaisser jusqu'à 1 fr. 70 en 1692, — 1 fr. 50 en 1701, — 1 fr. 25 en 1715. — Après les perturbations qui résultèrent de la banqueroute de Law, la livre tournois resta à peu près l'équivalent de notre franc.

Les contretables, et particulièrement celles du maitre-autel, de Sainte-Anne et de Saint-Hubert, sont faites de bois doré enrichi d'une jolie sculpture. Il y a plusieurs figures de relief qui ont leur mérite particulier ; on en voit cinq au chœur travaillés avec tant d'art, qu'il ne leur manque que la parole. Celles de la chapelle Sainte-Anne, ci devant saint-Nicolas, y furent placés en 1656 ; et celles de la chapelle du Rosaire y furent données en 1687 par M. Paillast, prêtre de la ville de Saint-Malo. Ces chapelles sont parées avec d'autant plus d'agrément que chaque confrérie à soin d'orner la sienne... Le tableau de l'Assomption de la Sainte Vierge, patronne de l'église, est au milieu de la contretable du chœur. Une statue de Notre-Dame-de-Pitié est au-dessus du portail : les fidèles y vont tous les jours faire leurs prières.

La chaire, assez bien travaillée, fut placée en 1683, le Vendredi Saint.

Nous terminerons ce chapitre en résumant les notices consacrées par le Manuscrit traditionnel aux Curés, prêtres et bourgeois de Villedieu qui se sont distingués dans le cours du XVIIe siècle.

D'abord, les curés DURANT et FOUBERT, qui présidèrent aux nombreux travaux de leur église, sans négliger les besoins spirituels de leurs fidèles ; nous en aurons la preuve au chapitre suivant.

C'est à la prière de M. Foubert, qu'en 1665, Messire FRANÇOIS FOUQUET, archevêque-primat de Narbonne, exilé à Avranches par Louis XIV, s'arrêta à Villedieu, depuis la veille de l'Ascension jusqu'au 25 juillet, et administra pendant ce temps la Confirmation à plus de 30. 000 personnes accourues des paroisses circonvoisines. Ses nombreuses prédications, ses visites aux malades et aux pauvres, jointes à l'exemple de ses vertus, laissèrent un souvenir durable dans le bourg.

Un prêtre de Villedieu, PIERRE DE LA HOGE, Docteur en Théologie de la Faculté de Paris, fit, en 1650, de savantes annotations sur le Concile de Trente : il mérita le degré de Directeur de conscience de Sa Sainteté.

NICOLAS LEDUC, vice gérant de l'Officialité, s'est acquitté pendant vingt ans, des devoirs du sacerdoce avec la plus grande édification : il donna à l'église plusieurs tableaux placés autrefois au haut des piliers du chœur. Sa mort arriva le jour des Rois de l'année 1680.

NICOLAS GILBERT, mort en 1681 à Rouen, où il avait exercé la médecine pendant quinze ans, avec l'applaudissement des savants de cette grande ville. Sa charité pour les pauvres et sa dévotion pour la Sainte-Eucharistie lui ont surtout mérité l'attachement des habitants de Villedieu ; il fut un des premiers confrères et majors de la Confrérie du Saint-Sacrement, pour, laquelle il a composé plusieurs livres. L'un de ses fils est mort Jésuite en Amérique ; l'autre, Mc Jean Claude, devint avocat au Parlement de Rouen.

En 1683, mourut à Villedieu, où il était né, Pierre LHERMITE, conseiller et aumônier du Roi, curé pendant trente ans de Poligny, au diocèse de Sens. C'est lui qui obtint la bulle d'Alexandre VII pour l'érection de la Confrérie du Saint-Sacrement à Villedieu[15]. On lui doit la première croix qui fut placée au haut des halles.

JEAN ENGERRAN, prêtre, helléniste distingué, professa plusieurs années à Paris ; il mourut à la fin du XVIIIe siècle, à l'âge de 78 ans.

MAURILLE HUARD, enlevé tout jeune, en 1707, après huit années d'un ministère accablant : c'est par ses soins, et en partie à ses dépens, que la contretable du chœur fut réparée.

JACQUES HUARD, prêtre, frère aîné du précédent, consacrait au ministère des missions le temps que pouvait lui laisser libre l'enseignement des humanités, de la rhétorique et de la philosophie qu'il professa à Villedieu. A sa mort, le 30 novembre 1708, à l'âge de 66 ans, il demanda par humilité à être inhumé dans le portail de l'église. C'est à lui qu'on devait la voûte du bas du chœur construite en 1698.

JEAN OBLIN, célèbre par ses prédications dans les missions, par sa science théologique et historique : porté pour lui-même aux scrupules, il ne disait la messe qu'aux fêtes solennelles. Il mourut le 14 janvier 1715, à 62 ans, après avoir été directeur perpétuel de la Confrérie de la Trinité, et premier supérieur du Tiers-Ordre de Saint François.

Le souvenir de JEAN GASTEY se présentera de lui-même quand nous parlerons de la fondation de l'Hôpital de Villedieu.

ÉTIENNE ENGERRAN DE LA HAMELIÈRE, d'abord avocat marié ; entré plus tard dans les ordres, il serait resté diacre, si ses amis ne l'avaient sollicité à se laisser ordonner prêtre à l'âge de 60 ans. Sa connaissance de la jurisprudence lui permit de remplir plusieurs années les fonctions de vice-gérant de l'Officialité. Il mourut à 79 ans.

JEAN PICOT, docteur médecin, né près de Vire, exerça son art à Villedieu et aux environs pendant 70 ans, malgré plusieurs maladies contractées au service des malades. Il mourut le 31 août 1726, laissant, avec une fortune considérable, l'exemple de ses vertus à son fils unique, médecin de Vire.

Nous mentionnerons ici, bien qu'il soit d'une époque plus récente, un autre médecin de Villedieu, la Roche-Preville, mort en 1760, qui a laissé les ouvrages suivants : Méthode pour conserver la santé (1752) ; — Traité de la théorie et de la pratique des accouchements, in-8°, (1754) ; — Observations sur les accouchements, in-12, (1756).

 

 

 



[1] Archives Nationales, S. 5049 : Déclaration du 9 juin 1581 au Grand-Prieur de France.

[2] Archives Nationales, S. 5049.

[3] Les Élus, dans chaque Élection, étaient chargés de la répartition des impôts, et du jugement des affaires concernant les Finances royales.

[4] Pour évaluer avec équité cette augmentation du chiffre des revenus de la Commanderie, il ne faut pas oublier que les monnaies subissaient alors une baisse progressive : la livre tournois, qui valait, à poids égal d'argent, 2 francs 92 centimes de notre monnaie en 1602, ne valait plus que 2 fr. 50 en 1633, 2 fr. 02 en 1636, et 2 fr. 01 en 1640.

[5] Terrier de 1710.

[6] Assemblée de tous les paroissiens.

[7] Nous donnons au chapitre suivant la nomenclature de la plupart de ces offices.

[8] Les fenêtres, pignons et gouttières du chœur sont de 1648-9 (Compte de cette année).

[9] A l'ancien portail a succédé celui qui existe aujourd'hui, et qui laisse bien des choses à désirer pour sa perfection. L'ancienne croisée ogivale, que j'ai encore vue, faisait beaucoup mieux avec tout l'ensemble de l'architecture de l'église, et répondait mieux à son antiquité que celle ronde qui existe maintenant. (Note de M. Piédoye).

[10] Cette cloche, aujourd'hui en 1853, est la grosse de la paroisse de Fleury. (Note de M. Piédoye).

[11] L'horloge, fut fondue en 1635, ainsi que la croix de la Tour. — La fausse-porte date aussi de cette époque.

[12] Ces effigies furent détruites en 89 ; moi qui copie en 1853 cette description, j'ai vu marteler ces emblèmes. (Note de M. Piédoye).

[13] Ces différents travaux ont sans doute été composés par les sculpteurs qu'on alla chercher à Caen en 1635. (Comptes de 1635-6).

[14] Ces piliers et ces voûtes furent construits à la suite de l'incendie de 1632 (Cf. les comptes de 1636, 1637, et de 1641 à 1644). Nous verrons au chapitre XIII l'accident qui amena la destruction d'une partie de ce travail.

[15] Voir le chapitre suivant.