VILLEDIEU-LES-POËLES, SA COMMANDERIE, SA BOURGEOISIE, SES MÉTIERS

PREMIÈRE PARTIE. — L'ANCIEN RÉGIME

 

CHAPITRE VII. — PROCÈS AU XVe SIÈCLE.

 

 

Union de la Commanderie à celle de Villedieu-lès-Bailleul ; conséquences. — Saisie du temporel par François Ier. — Procès avec les Religieuses de Lisieux devant le Vicomte de Villedieu. — Appels successifs au Bailly de Coutances et au Parlement de Rouen. — Listes des Commandeurs de Villedieu-de-Saultchevreuil, puis de Villedieu-lès-Bailleul.

 

Pendant la seconde moitié du XVe siècle, une réforme importante se produisit dans l'administration du Grand Prieuré de France. La diminution du nombre des chevaliers, les ressources relativement peu considérables des Commanderies en firent de nouveau diminuer le nombre. Un seul chevalier resta à la tête de plusieurs maisons, sans que l'organisation de chacune d'elles parût être modifiée. Villedieu-de-Saultchevreuil fut ainsi réuni à Villedieu-lès-Bailleul (arrondissement d'Argentan, Orne), ainsi que Villedieu-de-Montchevreuil (paroisse Sainte-Scolasse, arrondissement d'Alençon) ; et plus tard Fresneaux (paroisse d'Aunou, près Séez) et Villedieu-sous-Grandvilliers (arrondissement d'Évreux).

L'administration temporelle fut laissée pour ces Membres à un régisseur. Les vassaux ne virent plus leur Commandeur qu'à des intervalles assez éloignés ; les officiers nommés par lui pour les différentes fonctions ecclésiastiques ou civiles, étant presque toujours originaires du pays même, finirent Par rechercher davantage les intérêts de leurs proches que ceux de leur chef : de là des difficultés que nous verrons se traduire, surtout au XVIIIe siècle, par des procès assez nombreux.

Il n'est pas facile d'indiquer exactement la date de l'union de la Commanderie de Villedieu-de-Saultchevreuil à celle de Villedieu-de-Bailleul. Frère LE ROUTIER vivait encore en 1500, d'après des baux de cette époque. Ce fut probablement à sa mort, sous le gouvernement du Chevalier JACQUES DE BOUFFLEURS, nommé à Villedieu-de-Bailleul en 1499, qu'eut lieu cette adjonction. Le Registre des Chapitres Provinciaux de cette époque a disparu ; mais dans le suivant[1] (1509 à 1519) nous trouvons à la date de 1510 frère Jacques (ou Hugues) de Bouffleurs à la tête de la Commanderie de Villedieu-de-Bailleul, avec ses appartenances et appendances, c'est assavoir Montchevreul et Saulchevreul.

La même année, cependant, la Commanderie de Saultchevreuil est encore taxée séparément à la redevance de 5 écus 15 g. 12 d. pour le Trésor de l'Ordre, tandis que Montchevreuil et Villedieu-de-Bailleul sont unis pour l'unique somme de 5 écus 23 g.

L'année suivante, le 17 juin, Hugues de Bouffleurs est toujours Commandeur de Saultchevreuil, et son procureur, Jehan de Clèves, Commandeur de Villedieu-en-Drugezin, chargé de réparer le dommage que les eaux du cours de la rivière ont fait aux chaussées du moulin de la Commanderie, et de faire le nécessaire pour éviter à l'avenir de semblables avaries, tant au Commandeur qu'aux autres héritages.

Le Chevalier JEAN DE MARLE ne paraît au Chapitre avec le titre de Commandeur de Villedieu-de-Bailleul qu'au 20 juillet 1520[2]. Il avait été reçu dans l'Ordre le 18 juin 1512, et désigné en 1516 pour aller comparaître au Chapitre général de Rhodes.

La Commanderie était vacante au moment de la tenue du Chapitre de Juin 1523. Jean de Marle l'avait d'ailleurs affermée pour un long bail passé le 6 mai 1521. Ce bail est déclaré nul ; et l'année du vacant, commençant à la Saint-Jean-Baptiste suivante, mise aux enchères, suivant l'usage, au profit du Trésor de l'Ordre, est adjugée comme au plus offrant au frère ANTHOINE DE WARGNIER (ou Vernier) DIT BLEVILLE, pour la somme de 430 livres tournois, à la condition de poursuivre tous les procès mus et à mouvoir pendant cette année, sauf son recours sur lui-même, si la Commanderie lui reste par nomination, ou contre tout autre qui en sera titulaire à la fin du vacant.

Les comptes de son administration purement temporelle furent examinés au Chapitre de juin 1524. Il continua jusqu'au mois de juin 1525 à gérer les intérêts de la Commanderie de Villedieu-de-Bailleul et de ses membres. Nous verrons bientôt quelles difficultés il rencontra.

A cette époque, il est ordonné par le Chapitre que le revenu de la Commanderie de Villedieu de Sauchevreul et ses membres et appartenances sera mis en main tierce, sans préjudice des droits des prééminences de Mons. le Grant Prieur de la donner de grâce ou retenir pour luy, et aussy sans préjudice des seign. chevaliers de la Langue qui y prétendront droit. Et sont ordonnés commissaires MM. de Somereux et de Baugy. Et les deniers sont mis entre les mains de Coteman, qui les rendra à qui il appartiendra. Et sera affermée lad. Commanderie en ce présent Chapitre au plus offrant. Et touchant certains dégâts fine Mons. le Gd Prieur dict estre informé avoir esté faictz es boys dud. Villedieu, dont il a information devers lui, lesd. Commissaires yront sur les lieus et on enquesteront à la vérité pour en faire le rapport au prochain Chapitre ou Assemblée pour y estre ordonné et pourvu comme de raison. Laquelle Commanderie de Villedieu de Bailleul et ses membres et appartenances sont mis à prix pour 1 an et une despoille[3] à partir de la S. Jean-Baptiste prochain... et après surenchère adjugés à Mons. de Villedieu le Breton à 650 l. tourn.

C'est pendant cette vacance qu'un nouveau procès éclata entre les officiers de la Commanderie et le procureur des Religieuses de Saint-Désir de Lisieux, à l'occasion du partage des coutumes des foires et marchés dont nous avons parlé au Chapitre 1er.

Il n'était pas rare de voir alors des Communautés religieuses ou ecclésiastiques en conflit pour leurs intérêts temporels. Des droits appuyés sur des pièces très anciennes pouvaient ne plus sembler très évidents à la suite des changements apportés peu à peu dans les propriétés intéressées. D'autre part, si les compétitions, les malentendus peuvent s'arranger facilement entre particuliers, il n'en est pas de même entre les sociétés : les hommes qui ont la mission de les représenter, ne se croient pas aussi facilement autorisés à en sacrifier les prétentions qu'ils considèrent comme fondées.

Le moment n'était guère favorable pour soutenir un procès au nom de la Commanderie. François Ier, à bout de ressources, venait d'employer un expédient dont usèrent trop souvent nos anciens monarques pour se procurer de l'argent. : il réclamait aux gens d'Église le paiement des droits d'amortissement et de nouvaux acquêts que, depuis Philippe le Hardi, les rois s'étaient arrogés sur les nouvelles acquisitions des gens de mainmorte[4] pour remplacer les droits de mutation. De plus, il demandait au Clergé de s'imposer extraordinairement pour lui procurer une aide dans sa détresse. La citation suivante, extraite des Lettres[5] par lesquelles le prince acceptait une composition avec les Hospitaliers de France, nous donnera comme un spécimen des procédés employés dans ces circonstances : affirmation hautaine du pouvoir absolu du Roi, emploi de moyens rigoureux, puis transaction facile, dès qu'une proposition, même inférieure au résultat attendu, venait à se Produire :

Requérans à cette cause auxdits Grand Prieur, etc..., que, en ayant égard aux très grands, urgents et nécessaires affaires que, nous avons eu ci-devant à conduire et supporter, et avons encore présentement,... ils nous voulussent faire solution et paiement desdits droits et devoirs, et contribuer auxdits aydes et subventions, comme ont fait les autres de nostre dit Royaume, ou de ce venir envers Nous à Quelque bonne et raisonnable composition : autrement il nous conviendrait faire saisir et mettre en nostre main leurs dites terres et seigneuries, jusqu'à ce que nous fussions payez, satisfaits et contentez des choses dessusdites ; et davantage les contraindrions à vuider leurs mains desdites terres et seigneuries qu'ils tiennent non amorties, ou icelles amortir et payer la finance ou indemnité qu'ils devraient pour raison dudit amortissement qui monterait à une grosse somme de deniers : et à ceste fin eussent esté par Nous décernées nos Lettres de Commission aux Baillifs, Senescbaux et autres Officiers de nostre dict Royaume, pour faire le dict saisissement et contraintes en tel cas requises : lequel affaire néantmoins a esté touiours dilayé et prolongé par iceux Ambassadeurs[6] et Procureurs envoyez devers Nous pour ceste matière, iusques à puis n'aguères ; qu'après plusieurs remontrances par eux à Nous, et à nostre Conseil faictes, mesmement qu'ils pretendoient et prétendent les biens, terres et seigneuries qu'ils tiennent et possèdent en nos dits Royaumes, pays et seigneuries, à cause de leurs dits Prieurés, Commanderies, Temples et bénéfices, estre amorties et indemnez (2)[7], et autres raisons par eux alléguées. Ils ont finalement composé avec Nous pour tous les devoirs par Nous demandez et pretenduz, tant desdits droitz, francs-fiefs et nouveaux acquêts et amortissemens, que desdictes aydes, décimés et subventions dernières, à la somme de 100.000 livres tournois pour une fois.... pour convertir en nosdites affaires de guerre....

..... Sçavoir faisons, que Nous, les choses susdites considérées, et les inestimables pertes et dommages que n'agueres ceux de ladite Religion de S. Jean de Hierusalem ont supportées et soutenues à la prise que le Grand Turc, ennemy denostre tressaincte Foy Catholique, a fait de ladite Cité et Isle de Rodes[8], après qu'ils ont enduré le siege devant icelle, par mer et par terre, et résisté vertueusement à ses grandes forces, batteries, assauts et oppressions qu'il leur a fait par l'espace de six mois, où il est mort grand nombre de Chevaliers de ladicte Religion : Voulans entretenir ladicte composition ainsi faite avec eux, et désirans favorablement les traitter...

 

Le ton relativement adouci de cette lettre n'indique pas que la saisie avait été réellement opérée dans un certain nombre de Commanderies. Les Lettres patentes du 26 du même mois de mars 1523 (1524) pour la levée des saisies faites à cause des francs-fiefs et nouveaux acquêts, ne permettent pas de douter qu'on avait agi ailleurs comme à Villedieu.

Le 7 octobre précédent, Pierre Gaultier[9], bourgeois de la ville, commis à recevoir le revenu de la Commanderie par les officiers du Roi pour adveu ou dénombrement non baillé, s'était engagé à continuer avec les Dames de Lisieux le bail précédemment fait pour le recouvrement de leurs droits, jusques à ce que la main du Roy soit levée de ladite Commanderie.

Le Procureur et Receveur des biens de l'Abbaye de Saint-Désir situés à Saultchevreuil, Jean le Marinier, se prétendant lésé dans la perception de la moitié des droits du marché de Villedieu, qui, d'après les anciens usages, revenait aux religieuses, en avait appelé à la justice par clameur de haro.

Avant que l'affaire eût pu être jugée par le Vicomte de Villedieu, il avait obtenu de Fr. Potier, Lieutenant du Bailly de Coutances, une sentence du 12 octobre 1523 déclarant que : pour cause que la Commanderie, en faulte de serment de fidélité non faict, le revenu dicelle estoit en la main du Roy et traictée soubz lauctorité de Justice, les Dames de Lisieux étaient autorisées à continuer à jouir par provision des droits contestés, sauf au Commandeur à faire valoir ses droits.

Frère Jean Le Routier, alors curé de Villedieu, et Michel de Claremont, procureur du soi-disant Commandeur ANTOINE DE VERNIERS, font assigner Le Marinier pour le 23 mars 1523/4 devant le Vicomte de Villedieu, Étienne Cercel. Celui-ci déclare séquestré, pendant la durée du procès, le produit des droits en litige, et charge Pierre Gaultier, Administrateur royal de la Commanderie, de la régie des différentes Coutumes.

L'affaire traînait en longueur : le soi-disant Commandeur prétextait, disait-on, le droit de porter les débats à Rouen, à Paris, au siège du Grand Prieuré, ou à Viterbe, alors résidence du Grand Maître. Nous savons en réalité que son administration se trouvait terminée.

Une difficulté nouvelle devait encore retarder la solution de ces débats. En vertu de la décision du Chapitre de 1525, que nous avons rapportée plus haut, le Grand Prieur de France avait nommé Commandeur de Villedieu-de-Bailleul LOYS DE DINTEVILLE, déjà Commandeur d'Estrepigny et de Villedieu en Drugezin. Mais en même temps, le Chevalier LOYS DE VALLÉE, dit PASSAY, recevait la collation de cette même Commanderie par bulles émanées du Vénérable Conseil de l'Ordre. Des examinateurs étaient désignés au Chapitre de mai 1526 Pour décider entre les deux, quand une Lettre missive du Révérendissime Grand Maître au Grand Prieur appela auprès de lui, au Couvent de Viterbe, Loys de Vallée et Anthoine de Wargnier.

Nous retrouvons les deux compétiteurs au Chapitre de juin 1528, sans que rien n'ait été décidé entre eux : on attendait pour cela la visite de Monsgr Révérendissime — le Grand Maître.

Enfin, le 2 novembre 1530, Dinteville agit, dans une Assemblée provinciale, comme Commandeur incontesté de Villedieu-de-Bailleul, tout en conservant ses anciens titres d'Estrepigny et de Villedieu en Drugezin.

Pendant ce temps, le procès de Saultchevreuil avait continué. Le Bailly de Cotentin, à qui les Religieuses de Lisieux en avaient appelé, avait rendu d'abord une sentence aux Assises du 10 septembre 1526, requérant le nouveau Commandeur, LOYS DE VALLÉE, de mettre en réparation les ponts, halles et cohues de Villedieu.

Le 2 mars suivant 1526/7, l'ensemble de l'affaire fut jugée par Jean d'Anneville, Lieutenant général du Baillage de Coutances. Des pièces authentiques étaient produites par les deux parties pour soutenir leurs droits. Les Dames de Lisieux, ou plutôt leur procureur, s'appuyaient sur la Charte de Henri II citée au Chapitre I : elles avaient droit à la moitié des coutumes perçues sur toutes les acquisitions faites dans les foires et marchés de Villedieu. Ainsi avait-il toujours été entendu et pratiqué : les baux passés, et du temps du défunt Commandeur Le Routier en 1500, et depuis comme avant cette époque, en faisaient foi.

Le Procureur de la Commanderie, Vybert, répliquait que les conditions étaient changées : le marché de Saultchevreuil ayant été abandonné depuis plusieurs années, la Commanderie perdait la moitié des droits qui lui en revenaient, d'après les mêmes chartes ; le lieu même où se tenait ce marché avait été baillé à fieffe de long temps en totalité, et les Religieuses en gardaient pour elles tout le profit. Il n'était pas juste de les laisser jouir, comme par le passé, de la moitié des droits des foires et marchés de Villedieu. — De plus, les halles, étaux, et autres lieux couverts de Villedieu avaient été faits aux dépens de la seule Commanderie, sans le concours des Religieuses : donc elles n'avaient droit qu'à la coutume des marchandises vendues à découvert. — La sentence de provision, rendue en l'absence et sans convocation du Commandeur, réservait expressément ses droits qu'il pouvait soutenir ; les baux allégués également. — Il proposait auxdites Dames de remettre leur marché en état avec un revenu valable, et alors on leur laisserait la moitié des coutumes de Villedieu, sauf des droits de cohuage et d'étalage.

Le Procureur de l'Abbaye déclare alors s'engager à entretenir par moitié les ponts et passages adjacents dudit Villedieu, et même les Halles et étaux, ainsi qu'il prétend l'avoir toujours offert, et réclame le paiement intégral des droits et coutumes pour le passé, sans préjudice de l'outreplus qu'il pourra demander pour l'avenir, avec le remboursement des dépens et le maintien de la sentence de provision.

Ces explications entendues, le Lieutenant du Bailli accorde aux Dames de Lisieux le remboursement de la moitié du revenu des deniers de coutumes dont Vybert confesse être redevable, mais non de ceux dont il refuse de reconnaître la légitimité. Le Commandeur paiera les frais de cette instance, en punition des retards qu'il a apportés à comparaître. — Les Dames de Lisieux sont éconduites de la provision obtenue pour les droits litigieux non reconnus par Vybert, et condamnées aux dépens pour cette partie de l'instance.

Les procureurs des parties déclarèrent se pourvoir contre cette sentence.

Une copie des débats, obtenue du greffier du Baillage en l'absence du Lieutenant, contenait des allégations injustes à l'égard du Commandeur. Le Procureur de ce dernier en demande la correction, et les Religieuses sont citées pour produire cet acte le 15 avril 1527. Dans leur mécontentement, elles s'adressent au Conseil du Roi, en portant plainte contre Jean d'Anneville ; le Conseil décide (Rouen, 29 avril 1527) que le Lieutenant incriminé sera cité à comparaître au prochain Parlement de Rouen.

Sans attendre les débats, les Religieuses adressent une requête à la Cour. Le Vicomte de Villedieu avait, dans le premier jugement, chargé Pierre Gaultier de recueillir les droits de coutumes en litige pendant la durée du procès. Ce receveur s'était bientôt désisté sans rendre ses comptes. Collard le Sueur, Jean Pépin et Georges Rosey avaient continué à remplir les mêmes fonctions sans autre commission de justice : les Religieuses suppliaient le Parlement d'ordonner que les collecteurs fussent appelés à rendre leurs comptes, sous la foi du serment, par devant le Bailly de Cotentin, et que, pour l'avenir, la perception des droits fût donnée au plus offrant et dernier enchérisseur, avec défense de délivrer aucun denier jusqu'à la décision définitive des juges.

Le 12 août, défaut est prononcé contre le Commandeur et son procureur, Henry Le Gentil, la requête des Religieuses accordée, et signifiée aux absents par huissier. A son tour Loys de Vallée en appelle au Conseil du Roi contre le Conseiller au Parlement Guill. Adoubart, qui avait engagé les Religieuses à présenter la requête précédente, et la leur avait fait adjuger sans attendre la comparution du Commandeur. — Le Conseil fait citer Adoubart devant le Parlement pour correction ; et défense est intimée, en attendant, de rien faire ou entreprendre au Préjudice de l'appel ou de l'appelant.

Cette décision du 13 septembre est signifiée le 17 par sergent royal au Procureur du Couvent de Lisieux, Jean Lambert, curé de Saultchevreuil : il était assigné au prochain jour plaidable après la Saint-Martin d'hiver.

La première affaire à régler, c'était l'appel des Religieuses contre Jean d'Anneville, Lieutenant du Bailly du Cotentin. Après plusieurs remises, la Cour rendit son arrêt le 14 mai 1528. Elle acceptait, sur le fond du débat, les explications données à Coutances par le Commandeur. En conséquence, l'appel était déclaré fait sans cause et à tort ; les parties devaient procéder à nouveau sur le principal de l'affaire, comme l'avait commandé d'Anneville ; les Religieuses étaient condamnées à l'amende, et aux dépens à l'égard du Commandeur.

Quelques jours après, le 13 juin, Loys de Vallée remettait à la Cour l'inventaire des pièces qui pouvaient l'appuyer dans son appel contre Adoubart. A plusieurs reprises, Le Porcher, procureur des Religieuses, cite Le Gentil à venir produire ces pièces devant la Cour. Celui-ci refuse plusieurs fois et obtient plusieurs sursis pour en conférer avec le Commandeur, alors éloigné de Rouen. L'audience était enfin fixée au 14 juillet 1530, lorsque l'administration de la Commanderie de Villedieu échut d'une manière définitive au chevalier LOYS DE DINTEVILLE[10]. Ce dernier, n'ayant pu encore donner aucune procuration pour terminer l'affaire, un nouveau délai devenait nécessaire.

Le 25 février 1530/1, les Religieuses adressent une nouvelle requête à la Cour. Le Commandeur jugea-t-il inutile de continuer un procès, ou plutôt une série de procès déjà trop prolongés ? Aucune pièce ne nous est parvenue datée de sa courte administration. Il habitait d'ailleurs loin de ses Commanderies : il avait obtenu[11] du Grand Prieur la jouissance, sa vie durant, d'une maison avec jardin située à Barbanne, à condition de la reconstruire. Il mourut dans le mois de juin 1532[12].

Quelques rares documents touchant cette affaire nous restent encore, datés des années 1534, 1549 et 1550. Dans plusieurs de ces pièces, il est question d'un accord qui serait intervenu entre les parties : un droit fixe de 15 livres tournois par an aurait été assuré aux Religieuses de Lisieux sur le produit des coutumes de Villedieu. Ce fait ne paraît guère conforme à la solution que nous avons trouvée indiquée dans le Registre Terrier de 1587[13].

Toutes ces difficultés durent enfin lasser le Couvent de Saint-Désir. Citées, le 29 juillet 1550, à comparaître devant le Vicomte de Villedieu, à cause : des ennuis que créait à leur propre fermier, Quesnel, la perception des 15 livres de coutumes spécifiées dans son bail, les Religieuses refusèrent de se présenter, malgré l'arrêt obtenu dans ce but par Quesnel en Conseil Royal (Rouen, 15 juillet 1550). L'opposition faite à ce fermier par les Receveurs de la Commanderie n'impliquaient pas, disaient-elles, l'introduction d'un procès nouveau. D'ailleurs depuis 18 ans Quesnel n'avait jamais refusé que dans ces derniers temps, de payer le montant total de ses baux.

Les possessions de Saultchevreuil coûtaient aux Religieuses plus d'entretien qu'elles ne leur rapportaient : elles jugèrent plus profitable de les donner successivement à fief.

Nous trouvons, par exemple, un acte du Conseil des Dépêches[14] (2 avril 1785) qui accorde les Lettres patentes confirmant à Guillaume Le Goupil la fieffe qui lui a été faite en avril 1779 par les Dames Abbesse et Religieuses de l'Abbaye de Saint-Désir de Lizieux, sous l'autorité et de l'agrément de M. de Condorcet, lors évêque de Lizieux, d'un moulin banal à eau situé dans la paroisse de Saultchevreuil, au lieu dit le Bourg de l'Abbesse, avec un petit terrain attenant et autres dépendances ordinaires, moyennant 300 l. de rente foncière perpétuelle et seigneuriale[15].

Nous transcrirons ici, en la complétant, la liste des Commandeurs de Villedieu de Saultchevreuil avec les dates où ils sont désignés dans les différents titres, telle qu'elle se trouve dans Marinier (opere cit.) ; les noms ou dates en italique sont ceux que nous ajoutons ou modifions. Nous la ferons suivre de la liste des Commandeurs de Villedieu-lès-Bailleul, donnée par le même auteur, à partir de la réunion des deux Commanderies.

COMMANDEURS DE VILLEDIEU DE SAULTCHEVREUIL

1185

frère

Bernard, custos Hospitalis.

1313

»

Pierre de Souchamp, commandeur.

1328

»

Geoffroy de Paris.

1350

»

Jean Lefebvre.

1373

»

Robert de la Rue.

1384

»

Jean Bouquet.

1385

»

Paul Grimont.

1400

»

Gaultier le Gras.

1447

»

Nicolle Leffandroux.

1460

»

Enguerran le Jeune.

1495

»

Jean Le Routier.

COMMANDEURS DE VILLEDIEU-LES-BAILLEUIL

depuis la réunion de Villedieu de Saultchevreuil.

1499

le Chevalier

Hugues de Bouffleurs.

1520

»

Jean de Marle.

1530

»

Loys de Dinteville.

1532

»

Denis de Vielz Chastel.

1542

»

Claude de la Sangle.

1557

»

Jean de Cochefillet,

1562

»

Jean Dache.

1569

»

Edme de Villarceaux.

1571

»

Louis de Mailloc.

1573

»

Charles Alexandre de Montigny.

1594

»

Charles de Gaillarbois-Marconville.

1613

»

Christophe d'Apremont.

1629

»

Anne de Campremy du Breuil.

1631

»

Alexandre François d'Elbene.

1655

»

Jean de Caillemer, prêtre.

1677

»

Jacques de Thienville de Bricquebosc.

1684

»

Charles Sevin de Baudeville.

1691

»

Louis de Rochechouart.

1699

»

Jacques Auguste Mesnard de Bellefontaine, Capitaine des vaisseaux du Roi.

1708

»

Francois de Comenges, Abbé comandataire de N.-D. de Lorroux.

1717

»

Gabriel de Calonne de Courtebonne, Capitaine des galères de France.

1721

»

Henri-Antoine de Villeneuve Trans, Capitaine des Galeres du Roi.

1736

»

Louis Vincent du Bouchet de Sourches de Montsoreau.

1747

»

Paul de Vion de Gaillon.

1763

»

Pierre de Saint-Pol.

1766

»

Alexandre Éléonore le Metayer de la Haye le Comte.

1772

»

Marie Gabriel Louis Le Texier d'Haute-feuille.

1774

»

Marie Jean-Baptiste de Boniface.

 

 



[1] Arch. Nat., MM. 35.

[2] Arch. Nat., MM. 36.

[3] Dépouille, revenu de la fin de l'année courante jusqu'à l'époque du terme.

[4] Les établissements de mainmorte appartenaient à des sociétés ; ils ne pouvaient être transmis par héritage, puisqu'ils la propriété d'aucun membre particulier. Les biens d'Église composaient la plus grande partie de ces établissements.

[5] Mars 1523/4.

[6] L'Ordre de l'Hôpital, considéré par les princes chrétiens comme souveraineté indépendante, entretenait, et entretient encore en certains pays, des ambassadeurs auprès des différentes cours.

[7] D'après la Charte de Richard-Cœur-de-Lion, confirmée par les rois de France, les biens de l'Hôpital étaient réellement en effet exempts de toute redevance envers le gouvernement. De plus, jamais les mesures concernant le Clergé ne les atteignaient ; il fallait une demande spéciale pour leur imposer des charges : c'est là ce qui explique leur résistance en cette occasion. — Le monarque ne paraît céder aucune de ses prétentions, mais se montrer favorable en se contentant des 100.000 livres proposées. Le Clergé de France en avait donné de son côté 1.200.000. — La Commanderie de Villedieu de Bailleul eut à payer pour sa part 210 écus, 17 s. 6 d. (630 livres).

La livre, sous François Ier, étant évaluée, en moyenne, en valeur absolue à 4 fr. 59, les chiffres précédents s'élèvent à 459.000 francs et 5.508.000 francs de notre monnaie. Pour avoir la valeur relative, il faudrait encore multiplier ces deux sommes par 5,60, puisque l'argent a, en réalité, de nos jours, plus de 5 fois moins de valeur qu'à cette époque.

[8] Rhodes capitula le 24 décembre 1522, et fut abandonné le 1er janvier suivant.

[9] Arch. du Calvados : voir pour tout ce procès le Fonds non inventorié de l'Abbaye de Saint-Désir de Lisieux.

[10] Registres des Chapitres provinciaux de Paris. Arch. Nat. MM. 36 : à la date indiquée.

[11] Registres des Chapitres provinciaux de Paris, 12 juin 1531.

[12] Registres des Chapitres provinciaux de Paris, 12 juin 1532.

[13] V. plus haut, ch. II.

[14] Arch. Nat., Q 1. 650.

[15] On conserve aux Archives Nationales deux certificats d'hommages rendus au nom de cette Communauté pour les biens de Saultchevreuil : la première fois (P. 2711 -c. 4611) entre les mains d'Arthur, fils du duc de Bretagne, seigneur de Parthenay, Connétable de France (Montebourg, 18 octobre 1453), par dame Jehanne Paynel, abbesse de Saint-Désir de Lisieux ; — la seconde (P. 2731 -c. 5671) devant le bureau de la Chambre des Comptes, sous François Ier (5 novembre 1538).