LE PRÊTRE-SOLDAT DANS L'HISTOIRE

 

CHAPITRE XXV (XXe SIÈCLE). — Le Prêtre combattant dans la Guerre actuelle.

 

 

I. Caractère imposant de la mobilisation de 1914. - Les Ecclésiastiques n'assistent plus à la lutte comme des témoins, mais comme des combattants. - Les contingents diocésains. - Les exilés. - Les missionnaires. - A Constantinople. - A Jérusalem. — II. Discipline des Prêtres combattants. - Fraternité du Prêtre et du Soldat. - Une confession à plat ventre. - L'abbé Sannié. - Le lieutenant-abbé Monbru. — III. Citation de l'abbé Lamy. - L'abbé Lesage. - Ce que j'aime, c'est de tenir jusqu'au bout. - Le P. Gilbert de Gironde. - C'est la mort ! C'est le devoir ! — IV. Le P. Gaillard de Bancel. - L'abbé capitaine Gaston Millon. - Pensée de Joseph de Maistre. - Les soldats veulent un prêtre avec eux. — V. Tous les Ordres religieux sont au front. - Dominicains, Bénédictins, Barnabites, Frères des Ecoles chrétiennes, etc. - Un Père du Séminaire Français de Rome. - Mélancolique pensée d'un Dominicain. — VI. L'Eglise a deux armées. - Quatre prélats mobilisés. - Paroles de Bossuet. - Les conditions de la victoire.

 

I

 

L'ordre, l'eurythmie, le calme de la mobilisation française, au mois d'août 1914, frappèrent tous les observateurs qu'obsédaient les souvenirs pénibles du branlebas de 1870 et la rancœur de ses saturnales. Parmi ce peuple qui sortait, avec une si mâle allégresse, de ses ateliers, de ses manufactures, de ses bureaux, de ses manoirs, de ses fermes, pour répondre à l'appel de la patrie en péril, une nouveauté, — mais celle-ci prévue, — enchantait le regard. Mêlés aux cinq millions de laboureurs, d'artisans, d'industriels, de fonctionnaires, de châtelains, d'artistes, d'oisifs, de scribes, de professeurs, d'avocats, d'humbles travailleurs, sollicités par le devoir, 25.000 prêtres et religieux, abandonnant, à leur tour, églises, couvents, presbytères, collèges, missions, écoles, etc., se mettaient en marche, avec une égale docilité, vers l'arène où l'ennemi nous avait donné rendez-vous et s'était juré de nous anéantir. Curieuse réminiscence d'un passé qu'on croyait pour toujours enseveli dans le campo santo des choses mortes ! Depuis la deuxième moitié du xiv, siècle, où les bandes et les compagnies supplantèrent les Contingents diocésains et les Milices paroissiales, qu'évêques et curés, à l'époque des invasions, conduisaient à l'ost du Roy, la France n'avait pas vu ces forces jumelles, l'Eglise et l'Etat, défilant côte à côte, à l'ombre des vieux étendards, sous le même harnais de guerre et derrière les mêmes stratèges. Et, singulière ironie de la Providence ! C'est dix ans juste après leur rupture que les deux Puissances, comme aux temps des expéditions féodales, fraternisaient, les mêmes armes à la main, sous la trombe des projectiles et dans le sang des champs de bataille.

Ainsi, survivant aux dix siècles écoulés depuis Charlemagne, les Capitulaires qui soumirent les ecclésiastiques aux exigences du service militaire reprennent vigueur, et, contre cette contrainte, ne chicanent ni les assujettis, ni leurs chefs. Mais, que dis-je ? S'abstenant de critiquer l'ordre qui, contrairement aux prescriptions canoniques, les enlève à leur ministère pour les jeter dans la mêlée, curés, vicaires, religieux, missionnaires, professeurs, non seulement se font un devoir d'accepter cette dérogation violente à leur statut disciplinaire, mais on dirait qu'ils l'accueillent, moins comme une épreuve que comme une heureuse fortune. En permettant aux prêtres d'assister à la lutte, non plus en qualité de témoins, mais de combattants, la loi qui les mobilise ne leur demande-t-elle pas les mêmes sacrifices qu'à leurs frères ? Ne leur fournit-elle pas, surtout, les moyens de résister au mal jusqu'au sang, ainsi que l'enjoint l'Apôtre ?

Sans que l'Eglise éprouve le besoin de le proclamer à haute voix, un geste unanime des Evêques, rapide comme la foudre, suspend les justes immunités qui soustraient le prêtre aux besognes guerrières, et l'envoie au combat et à ses risques. Si le clerc peut toujours mourir, le bras désarmé, sous le toit d'une ambulance, il reçoit, en outre, la faveur de succomber, les armes à la main, dans l'assaut des tranchées en flammes. L'honneur de l'Eglise et le drapeau de la France sont simultanément confiés à sa sollicitude et à sa bravoure.

Forts de ce généreux non obstat, avec quel entrain les prêtres s'acheminent vers les casernes ou vers les gares qui conduisent à la frontière et au sacrifice ! Le tocsin sonne — a dit éloquemment Maurice Barrés, — la patrie est en danger : elle crie au secours ; chacun s'élance avec ses armes, avec son cœur, avec sa foi. D'heure en heure, chaque jour, sort de chaque diocèse une phalange de prêtres, emportant au cœur, ainsi que récrivait l'un d'eux, tout l'idéal de la France, patriotes altérés de dangers et de dévouement, heureux de donner au pays qui les a, parfois, si méconnus, tout ce qu'ils ont reçu de Dieu : jeunesse, fortune, avenir. Agen envoie 150 prêtres ; Amiens, 200 ; Auch, 150 ; Annecy ; 200 ; Arras, 300 ; Autun, 278 ; Avignon, 64 ; Besançon, 450 ; Bourges et Cahors, 200 ; Cambrai, 300 ; Blois, 500 ; Clermont, 300 ; Coutances, 350 ; Dijon, 100 ; Gap, 157 ; Grenoble, 285 ; La Rochelle, 150 ; Le Puy, 200 ; Mende, 144 ; Lille, 300 ; Lyon 1.016 ; Limoges, 200 ; Montpellier, 66 ; Moulins, 100 ; Nevers, 100 ; Orléans, 78 ; Paris, 662 ; Poitiers, 230 ; Rouen, 180 ; Saint-Flour, 160 ; Toulouse, 250 ; Valence, 250 ; Vannes, 350 ; Versailles, 200, etc.[1]. Mais ce n'est pas seulement de la France continentale que débordent les contingents ecclésiastiques, animés d'un si viril entrain. Derrière le clergé diocésain s'avancent les proscrits d'hier : Bénédictins, Chartreux, Dominicains, Franciscains, Capucins, Carmes, Jésuites, Maristes, Rédemptoristes, Eudistes, Assomptionnistes, Frères des Ecoles Chrétiennes, bref tous ceux que la secte a dépouillés et jetés pêle-mêle sur les mille chemins de l'exil. Allemands ! — s'écriait, au mois d'août 1914, M. Clemenceau, — Allemands ! envoyez donc des parlementaires, dont nous débanderons les yeux à la porte de nos bureaux de recrutement... Ils y verront de longues files d'hommes de tout âge et de tous pays. Des moines s'y présentent ! Oui, des moines que nous avions chassés !... L'Amérique, l'Océanie, l'Afrique, l'Asie se dépeuplent de leurs missionnaires au profit de la mère patrie qui souffre. Nulle contrainte ne les a poussés hors de leurs résidences. Les peuples qu'ils évangélisent les supplièrent en vain de ne pas les quitter. Pour délivrer la France envahie, les bannis ont brisé toutes les chaînes et bravé toutes les ingratitudes. Un matin, Grenoble revoit la simarre blanche des Chartreux, hier réfugiés au monastère italien de Farneti, aujourd'hui groupés devant la porte de la caserne Randon, serviteurs incorrigibles de la cause en haine de laquelle on les exila. Si les acclamations populaires touchent les ci-devant proscrits, les fils de saint Bruno connaissent trop la mobilité des foules pour s'imaginer que, la patrie délivrée et le péril conjuré, la multitude se montrera plus accessible aux douceurs de la concorde et moins rebelle aux excitations des sophistes. Voici, encore, 16 Bénédictins, sur les 32 moines qu'abritait, la veille, le monastère espagnol de Besate, qui fut si secourable à leur détresse. L'un des revenants, entré au quartier avec la coule et le scapulaire, sort, une heure après, de la caserne, en tenue de capitaine de hussards. Mais c'est sur notre littoral méditerranéen, à Marseille, que déferle le principal flot du clergé qui représente et étend au dehors nos traditions, notre ascendant, notre prestige. Un rapport de l'Ambassadeur de France à Constantinople, M. Louis Bompard, nous montre les paquebots chargés de religieux qu'enfièvre l'impatience du départ. J'ai encore devant les yeux, — écrit l'éminent diplomate, — un Frère des Ecoles Chrétiennes claironnant toutes les sonneries de la caserne et toutes les marches du régiment, pendant qu'un Lazariste entonne, à pleine voix, les strophes de la Marseillaise. M. Bompard fait observer que le fils de saint Vincent de Paul, en proie à cette agitation, directeur d'un important collège, se distinguait, la veille encore, par une attitude plutôt compassée. La guerre a fondu cette glace.

 

Si Constantinople vit évoluer à travers ses rues et le long de ses quais d'imprévues processions, Jérusalem, — ajoute notre ambassadeur, — offrit aux curieux le spectacle d'une trépidation encore plus insolite. Accourus de tous les coins de la Palestine, les moines forment un si copieux effectif que le Consul Général, afin d'accélérer l'exode, met à la disposition des religieux, enchantés de cet empressement, un train spécial pour Jaffa, la porte de l'Occident. Pèlerinage resté célèbre dans les fastes de la Compagnie et les annales de la Terre Sainte ! Pendant tout le trajet, les vers de Rouget de l'Isle s'envolent, alertes et sonores, des wagons bouillonnant d'enthousiasme. La mobilisation était finie depuis une quinzaine de jours, — conclut M. Bompard, — quand je reçus de notre Consul à Mossoul un télégramme qui me signalait l'arrivée d'un Missionnaire dominicain, depuis douze ans éloigné de la France. La déclaration avait surpris ce religieux sur la frontière de la Turquie et de la Perse, tâchant de conquérir à l'Evangile les féroces montagnards qui fournissent aux pachas turcs leurs derniers janissaires. Vite, l'apôtre enfourche sa monture. Mais, de Mossoul à Beyrouth, quelle pénible odyssée ! Sur la demande du diplomate français, la Sublime Porte invite les gouverneurs de provinces à faciliter le trajet. Mais comme ces démarches vont exiger plusieurs jours, le Dominicain, perdant patience, après un arrêt de vingt-quatre heures, reprend, à ses risques et périls, le chemin de la patrie en deuil. Le régiment qui bat le rappel de ses soldats n'a pas le droit d'attendre.

 

Un Frère des Ecoles Chrétiennes, en train d'instruire les indigènes du Brésil, rivalise d'impatience et d'énergie avec l'apôtre des Kurdes. Quand la nouvelle de la mobilisation l'atteignit, le bateau de Rio-de-Janeiro devait appareiller le lendemain pour l'Europe. Point d'autre paquebot disponible avant le 26 août. Cette longue expectative effraie le disciple de saint Jean-Baptiste de la Salle, résolu à partir, coûte que coûte. Pour brûler les étapes, le Frère s'entend avec quatre Français, et L'accord fait, nos cinq compatriotes décident de traverser la Cordillère des Andes, malgré les quatre mètres de neige qui couvrent, en cette saison, les cimes. Nous enfonçons jusqu'aux épaules, dit le narrateur. La première étape est de vingt kilomètres ; la seconde de cinq ; et la troisième de vingt-cinq. A ce moment, retentit aux oreilles de la caravane le sifflet d'une locomotive haletante. Voici la gare : les futurs soldats sont sauvés. Un train spécial, nolisé pour 3.700 francs, leur fait franchir cent cinquante kilomètres et les conduit à un embarcadère fluvial d'où un bateau les transporte à Montevideo. Coïncidence inespérée ! L'Oriana s'apprête à partir pour le Portugal. Le Frère et ses compagnons se dépêchent de prendre place sur le vapeur, qui, quelques jours plus tard, aborde à Lisbonne et, de Lisbonne, gagne la France.

 

Onze novices assomptionnistes de Limpertsberg (Luxembourg), rencontrent plus d'obstacles pour passer la frontière que les missionnaires du Chili pour traverser l'Atlantique. Quand la déclaration de guerre leur parvient, les Allemands, maîtres de toutes les voies ferrées, occupent les gares, les routes et les ponts. Comment déjouer de tels aguets ? Dépouillés de leurs soutanes, nos jeunes clercs, prennent l'allure d'excursionnistes paisibles, traversent Arlon, Virton, et n'ont plus que cent mètres à parcourir pour atteindre la France quand une sentinelle allemande vocifère le terrible : Werda ? Un dialogue aggraverait le danger. La prudence conseille l'évasion. Tandis que les balles sifflent à travers les halliers, un guide obligeant, tout à coup surgi, dirige les pèlerins vers un sentier obscur, au bout duquel apparaît une ronde de douaniers qui, déjà, met en joue les voyageurs :

Ne tirez pas ! — se hâte de crier le chef de la bande, — nous sommes Français !

Il était temps. Le brigadier interroge les jeunes Assomptionnistes, les reconnaît et les sauve.

 

Pendant tout le mois de septembre, les Marseillais assistent, chaque jour, au débarquement de nos missionnaires, que le souffle de là guerre a précipités vers la France, en même temps que les premiers froids poussaient vers l'Egypte nos oiseaux migrateurs. Le 16 septembre, défile le contingent du Siam ; le 22, arrivent les apôtres de la presqu'île de Malacca ; le 27, les prêtres de la Corée, du Japon, de la Chine, des Indes Anglaises, de la Mandchourie, du Laos. Un autre jour, Haïti, la Trinidad, la Nigeria, le Congo belge, le Sierra-Leone, l'Angola, Zanzibar, nous envoient les ouvriers évangéliques qui les initièrent à une conception idéale de la vie, de ses joies et de ses devoirs. Privés de ces éducateurs, sans doute nombre de peuples retomberont dans la géhenne de leurs superstitions et de leurs vices. Mais ne faut-il pas, avant tout, soustraire à la destruction le foyer même de l'apostolat ? La France éclipsée, le monde ne verrait-il pas peu à peu s'éteindre la plupart des fanaux allumés sur les hauteurs ?

 

II

 

A peine immatriculé dans un régiment, le prêtre s'y sent aussitôt le serviteur d'une volonté générale, postulatrice de la même obéissance et des mêmes immolations que l'autorité de la veille. Consentement de l'âme et du corps à tous les labeurs, à tous les périls, à toutes les blessures et don de soi jusqu'à l'effusion du sang et le sacrifice de la vie, aujourd'hui comme hier, voilà le devoir. Ce devoir, ecclésiastiques séculiers et réguliers l'acquittent avec une soumission qui interdit toute défiance, toute parcimonie de zèle, toute inopportunité de sagesse. Prompte, stricte, complète, leur obéissance s'affirme dans les minutieux cheminements des reconnaissances, comme dans l'impétuosité des assauts ; sous les cataractes des tirs de barrage, comme parmi la boue des boyaux ou s'engagent les retraites. Le prêtre sait que non seulement tout recul injustifié mais toute langueur dans l'attaque lèsent les opérations auxquelles ils collaborent et peuvent conspirer contre la victoire finale. Dans la guerre qui se poursuit, depuis le 2 août 1914, entre les Empires Centraux et l'Entente, la défaillance d'un seul officier ne risque-t-elle pas de déranger, au profit de l'ennemi, l'équilibre des forces rivales et de donner à nos chances une orientation funeste ?

***

Courage religieux chez les soldats, courage guerrier chez les prêtres, toute la noblesse et tout le vieil honneur de la France s'affirment dans ces deux vertus. Mais, qui sait ? Depuis près d'un demi-siècle, est-il sûr que la domination du jacobin et sa stratégie savante n'aient pas, entre les champions de la même patrie, altéré les rapports, faussé les idées, élargi les distances ? Quelques-uns de nos amis se le demandaient. On se demandait si le prêtre et le soldat, ces deux frères germains — comme les appelait Louis Veuillot, — après avoir, pendant des siècles, subi le feu des mêmes batailles, couché sous les mêmes tentes, pris part aux mêmes conquêtes, partagé les angoisses des mêmes périls, gardaient le souvenir de l'ancienne camaraderie et obéissaient aux rythmes des mêmes fanfares. Dieu soit loué ! Il s'est trouvé que la tradition survivait à nos orages et que la France valait mieux que ses maîtres. Naturellement chrétienne, l'âme française ne s'éloigne de Dieu que le jour où, soit la passion, soit l'erreur, la désarment de sa force. Mais le respect humain cesse-t-il d'exercer ses contraintes, l'instinct religieux, imposant silence aux sens, brave leurs appels, et l'âme, comme une plante qui, le matin, s'épanouit du côté de l'aurore, se redresse, dans la mêlée, vers le ciel et vers Dieu.

Au plus fort d'un bombardement, raconte M. Guy de Téramond, un soldat quitte son abri et, rampant avec mille précautions, se dirige vers une tranchée voisine :

Sergent, appelle-t-il, vous êtes là ?

Oui. Mais, reprend le sous-officier, tu vas te faire tuer, si les Boches te voient. Qu'y a-t-il de si pressé ?

Vous êtes curé, n'est-ce pas ?

Certainement.

Alors, voulez-vous me confesser ?

Tout de suite.

C'est que je ne peux pas me mettre à genoux : ils ne me rateraient pas.

Reste à plat ventre.

Et c'est dans cette position que le soldat se confesse ; le sergent, élevant la main au-dessus de la tranchée, l'impose sur la tête de son pénitent et lui donne l'absolution.

Ego te obsolvo, in nomine Domini !

 

Le vague nihilisme dont se contente le passant frivole cesse de suffire quand la cataracte des bombes, parsemant de morts la plaine ensanglantée, n'accorde à l'âme qu'un armistice de quelques minutes pour se libérer de ses doutes et comparaître devant l'ultime Juge. Et comment l'incrédule se déroberait-il au souffle divin, lorsque, sous ses yeux, tant de prêtres-soldats, bataillant sur la ligne du feu, s'y creusent leur tombe, hosties du dévouement et du devoir ? Tel l'abbé Sannié, élève de l'Institut catholique de Toulouse, sous-lieutenant au début de la guerre, promu, presque coup sur coup, lieutenant, puis capitaine, à la suite de l'attaque du 25 septembre 1914, où tous les officiers de sa compagnie disparurent. Le dimanche 31 janvier 1915, à cinq heures du matin, un groupe d'ennemis s'avance, sur les genoux, vers les tranchées françaises et les envahissent. Personne ne les attend ; le bombardement de rigueur n'a pas précédé leur attaque. L'abbé Sannié voit le danger ; avec trois hommes il encombre de sacs de terre le boyau vers lequel les Allemands se dirigent : puis, seul avec son ordonnance, qui, derrière le barrage, lui passe les fusils chargés, le prêtre-soldat tire jusqu'à le dernière cartouche et, les munitions épuisées, harcèle de grenades l'ennemi. Hélas ! voici qu'au milieu de la tourmente une balle, perforant, soudain, la tempe du capitaine, abat l'intrépide tireur sur la brèche ; mais trente morts, trente Allemands, gisent devant la barricade que la défensive d'un chef énergique ne leur a pas permis de franchir. Grâce au sacrifice de l'abbé Sannié, la compagnie, indemne, a le temps de se reformer et peut reprendre les tranchées perdues où elle se ravitaille et se repose.

Tel encore, le lieutenant-abbé Monbru qui, chargé, le 7 septembre, en Alsace, de défendre un carrefour de routes aboutissant à Nancy, se voit tout à coup cerné, tant à droite qu'à gauche, sans qu'un ordre du bataillon lui enjoigne de se replier. Survient un déserteur alsacien :

Comment ! Vous n'êtes qu'une section ? Alors, vous êtes perdus. Des forces considérables vous enveloppent. Vous n'avez que le temps de décamper.

Insensible à cette observation, l'abbé Monbru s'immobilise à son poste, quand, avec ses jumelles, il découvre une compagnie allemande qui s'avance, en effet, vers le carrefour. Cette fois, il faut déménager. Tout en faisant rétrograder sa section, Monbru, pour la sauver, reste avec cinq hommes, et, le fusil à la main, crible l'ennemi de projectiles. Mais les munitions commençant à manquer, l'abbé songe à déguerpir. Trop tard, hélas ! Les Allemands pénètrent dans la tranchée, en même temps que Monbru la quitte, toujours en tirant. Une première balle l'atteint à la cuisse : une deuxième au cœur. La mort seule triomphe de la ténacité de l'officier, mais permet à nos soldats de battre en retraite, sans péril comme sans pertes.

 

III

 

Voici, maintenant, un prêtre de Saint-Sulpice, professeur au Grand Séminaire d'Issy, l'abbé Lamy, qu'un texte officiel, véritable épigraphie triomphale, nous dispense de mieux faire connaître. Citer l'ordre du jour qui commémore ses prouesses, n'est-ce pas ranger notre Sulpicien parmi les proceres de l'armée, destinés à servir d'exemple ?

Légion d'honneur. Sergent Lamy, 366e infanterie, sous-officier d'une haute valeur morale, animé de l'esprit de devoir et de sacrifice poussé jusqu'à l'héroïsme. Blessé cinq fois, au cours du combat du 6 septembre 1914, il conserve le commandement de sa section et la maintient sous le feu le plus violent. Atteint d'une dixième blessure et mis dans l'impossibilité d'assurer son commandement et de faire le coup de feu, il se traîne près des blessés, leur distribuant le contenu de son bidon. Revenu sur le front, à peine guéri, et mis, sur sa demande, à la tête d'un groupe de volontaires, remplit avec la plus grande bravoure plusieurs missions périlleuses. Blessé grièvement, le 12 novembre 1914, a donné à ses hommes l'ordre formel de l'abandonner sur le terrain, en vue de leur éviter de tomber entre les mains de l'ennemi.

 

Un autre ecclésiastique de la même Société, l'abbé Lesage, clerc minoré de Saint-Sulpice, lieutenant aux chasseurs à pied, dirigé sur la Somme, y reçoit l'ordre de protéger la retraite avec une batterie de mitrailleuses. Dès le début de l'action, la batterie se disloque ; le lieutenant renvoie le personnel qui la sert et ne garde avec lui qu'un sergent et un chasseur : c'est assez. Tandis que le soldat prépare les bandes, le lieutenant tire sans relâche. Pour mieux apprécier l'efficacité du feu, Lesage bondit sur le talus, face à l'ennemi. Funeste imprudence. Un tireur tudesque lui décoche deux balles dans le bras gauche. A ces deux balles succède une marmite qui, de ses éclats, meurtrit la hanche gauche de l'officier et risque, un moment, d'asphyxier Lesage. Le blessé veut, du moins, sauver sa mitrailleuse et, malgré le sang qu'il perd, prenant son élan, la saisit et la jette dans un fossé, non sans l'avoir rendue tout d'abord inutilisable. Transporté dans une ambulance, soigné, opéré, guéri, l'abbé repart au front, où ses chefs lui rendent, avec le commandement d'une compagnie, l'emploi de mitrailleur. Ce que j'aime le mieux dans ma fonction, — écrit l'abbé Lesage à sa famille, — c'est qu'en cas de retraite, je dois, pour protéger les autres, tenir jusqu'au bout. Le même soir, un ami reçoit du prêtre le billet suivant : Je vis dans l'attente de la balle ou de l'éclat meurtrier. Deux jours ne sont pas écoulés qu'un obus justifie ce pressentiment funèbre. La plate-forme où joue la mitrailleuse s'effondre, démolie par le projectile, et, dans sa chute, entraîne le lieutenant Lesage qui meurt étouffé sous les débris.

Le prêtre, c'est l'abnégation, la discipline : il ne s'appartient pas ; il appartient à une autorité supérieure qui réclame un dévouement sans discussion et sans borne. Son intérêt propre, ses affections privées se subordonnent à la règle inflexible, qui l'oblige à fouler aux pieds aises, préférences, sens intime, souffrances.

***

Un vicaire savoyard, sous-lieutenant de chasseurs, l'abbé Regat, la veille d'une attaque, va trouver le capitaine auquel incombe la mission de conduire l'affaire :

Vous me connaissez, lui dit-il, je suis tout neuf dans le métier : quel est mon devoir précis ? Que dois-je faire ?

L'opération est très difficile, observe le capitaine. Vous êtes seul officier. Votre devoir est de lancer la première vague ; et, si elle progresse,car, sinon, ce serait inutile,vous partirez avec la seconde.

A ces mots, l'abbé Régat réfléchit un instant :

Mon capitaine, répond-il, je ne suis pas de votre avis. Précisément, parce que je suis seul officier, si je n'accompagne pas la première vague, elle ne décollera pas. Si vous voulez, je partirai en tête ; cela vaudra mieux.

Le capitaine adhère au vœu du lieutenant. Le jour de l'attaque, à l'heure convenue, Régat sort le premier de la tranchée, suivi de la section qui l'emboîte. D'un bond, la sape intermédiaire est atteinte et, dès qu'elle est organisée, la seconde vague se rue à son tour, franchissant les fils barbelés, les chicots d'arbres, les troncs déracinés, les trous d'obus, et s'installe dans la tranchée convoitée d'où elle expulse l'ennemi. Mais qu'est devenu le lieutenant Régat ? Très grièvement blessé, il jonche le sol jusqu'à ce que les brancardiers le ramassent et le portent à l'ambulance où il meurt, à la suite de l'amputation de la cuisse. Le jour même, un officier, après avoir fait le plus grand éloge de Régat, devant l'aumônier du bataillon, ajoutait :

Régat ne connaissait, pourtant, rien du métier militaire.

Puis, se reprenant :

Ah si ! Le devoir ! C'était un prêtre. Les prêtres c'est leur affaire, car le devoir, ils le prêchent. J'en connais deux qui ont fait une demande pour servir au bataillon ; cela n'a pas abouti ; c'est dommage[2].

Guerre bénie où le dévouement du prêtre apprend aux hommes le culte du désintéressement, le mépris du bienêtre, et protège les âmes, moins bien trempées, contre les tentations de l'égoïsme et la peur de la mort.

***

Vicaire à la Saulaie, paroisse ouvrière de l'agglomération lyonnaise, l'abbé Bonnepart, d'abord brancardier, apprenant qu'un bataillon du 23e manque de prêtres, s'y fait recevoir comme combattant. Presque aussitôt, son capitaine lui confie le commandement de la plus mauvaise escouade, afin de dompter les apaches qu'elle encadre. Au bout de quinze jours, les fauves, apprivoisés, deviennent le groupe le plus discipliné de la compagnie et l'orgueil du capitaine. Personne ne creuse mieux les tranchées et ne boude moins la besogne. Le 24 juillet 1915, le général enjoint au bataillon d'enlever une hauteur où s'est déjà brisé l'élan des hommes. Une nouvelle vague d'assaut déferle ; aussitôt, l'ennemi ouvre sur les troupes un tir de barrage qui, dès le début, blesse, à la main, l'abbé Bonnepart. Le lieutenant invite le caporal à rejoindre le poste de secours. Refus énergique du prêtre. Au moment où il franchit le parallèle du départ, un projectile lui laboure le visage. Cette nouvelle blessure ne ralentit pas l'ardeur de Bonnepart : à ceux qui veulent le faire rétrograder : Non, non, c'est mon devoir ! répond le caporal. En même temps, Bonnepart s'élance vers la tranchée ennemie, comme vers un autel. Mais, dès les premières marches, voici qu'il s'écroule, victime expiatoire, terrassé par un troisième obus qui le tue, cette fois, avant l'arrivée de l'escouade, tout à l'heure un peu tiède, peut-être, et maintenant impatiente de venger son chef.

A la suite d'une trop longue période où, contre la société française s'étaient acharnés tous les reptiles du doute et du vice, nous polluant de leurs négations et de leurs souillures, l'heure était vraiment venue qu'au milieu de cette débâcle, apparût la figure du soldat chevalier, esclave du devoir, et seulement épris du Beau éternel.

***

Le même désir de partager les souffrances des combattants et de montrer aux hommes des tranchées que, sur la scène du monde, ne s'agite pas, seul, un vil patriciat, exclusivement sensible aux jouissances et aux vanités terrestres, — ce même désir, dis-je, pousse un jeune religieux de la Compagnie de Jésus, Gilbert de Gironde, à préférer, dès le début de la guerre, au service des brancardiers, le service armé[3]. Au dépôt du 81e territorial, à Montpellier, le ministre de la Guerre demande des volontaires pour le front. Gilbert, aussitôt, se fait enrégimenter parmi cette élite. Caporal le 8 septembre, médaillé le 30, sergent le 26 octobre, une décision intentionnellement bienveillante, l'attache à l'état-major comme secrétaire. Réclamation de Gironde. Après quatre demandes successives, le colonel consent à le replacer parmi les soldats de la ligne de feu. La raison de mes démarches ? — écrit Gilbert à un ami, — l'exemple à donner par un prêtre. Le besoin de décerner au Bien, au Juste, au Vrai le témoignage d'un prêtre-soldat, non seulement en exposant, chaque jour, sa vie à tous les risques où l'engagent les ordres du chef, mais en renchérissant sur les obligations disciplinaires, hante sans cesse Gironde, jamais rassasié de sacrifices et de périls.

Une nuit, — raconte un de ses camarades, — on demande quatre volontaires pour une reconnaissance dans le bois de la Hazelle. Gironde se présente, ainsi que trois soldats. Sur la lisière du bois, les trois soldats refusent d'avancer. J'y vais seul, déclare Gironde.

Les autres veulent l'en dissuader ; ils n'y réussissent pas et font demi-tour. Après avoir battu, toute la nuit, le bois, le prêtre revient, à l'aurore, avec une moisson de renseignements et quatre prisonniers. A son retour, le lieutenant lui fait part d'une mésaventure. Une trousse, remplie de papiers secrets, est perdue.

Où ? demande Gironde.

Là-bas, à cent mètres des Boches, dans la plaine.

J'y vais.

Vous êtes fou, c'est la mort !

C'est le devoir !

Gironde s'en va. Nous le suivons, anxieux, angoissés. Un homme tué, c'est peu de chose à la guerre : mais, dans certaines circonstances, cette fin provoque une émotion profonde.

Gironde avance en rampant. Soudain, les Allemands le voient. Ils ouvrent le feu. Gironde va toujours, d'abord accroupi, puis, sur les genoux, pour arriver plus vite. Le feu redouble. La trousse est recueillie par notre camarade. Maintenant, il revient à reculons. Encore un effort, Gironde est enfin auprès de nous ; il nous parle ; il rentre dans la tranchée. Victoire ! il est indemne et rapporte le précieux fardeau.

 

A force de voir Gironde échapper aux projectiles, ses camarades le jugent invulnérable. Il ne l'était point, hélas ! et Dieu, estimant la vie du jeune religieux assez riche de mérites, l'appelle à la seule récompense qu'envient les héros et les saints. Nous laissons ici la parole à son ami, — un huguenot ! — le lieutenant Grégoire : Le 28 novembre, je recevais, à la quatrième compagnie du 81e, un jeune sous-lieutenant, nouvellement promu, un noble, un vaillant, Gilbert de Gironde. Quelle joie parmi ma compagnie, gradés et soldats, quand nous apprîmes cette nomination ! Gironde ! c'était le courage, la piété. Il devint, sur-le-champ, l'âme de la compagnie.

Nous étions au repos, le 6 décembre, quand nous apprîmes que nous allions prendre les avant-postes dans la nuit. Je confie à la section de Gironde un poste dangereux, Les Prussiens sont là, à sept mètres, également terrés. Je signale à Gironde un boyau où plusieurs Alpins viennent de trouver la mort :

— Ne passez jamais-là, de jour, lui dis-je. Trois chasseurs y ont péri, et le danger est si grand que les amis des victimes n'ont pas encore eu le courage d'aller retirer les cadavres pour leur rendre le suprême devoir.

Voici ce que me répondit Gironde :

J'irai prier près d'eux, dans un moment d'accalmie.

Et, vers 3 heures de l'après-midi, mettant ce pieux désir à exécution, le lieutenant tombait, les mains jointes, sur les cadavres des chasseurs. Une balle l'avait atteint à la tête. La mort fut instantanée. Pauvre Gironde ! C'est égoïste ce que je vais dire. Mais si la mort n'était pas considérée par lui comme un malheur, n'aurait-il pas dû, pour nous, qui avions tant besoin de son exemple et de ses paroles, montrer un peu plus de prudence, attendre, au besoin, la nuit, pour rendre aux chasseurs alpins le pieux devoir ? Peut être l'aurions-nous conservé.

 

Le 23 décembre, dans la cathédrale de Toulouse, où le clergé célébra les obsèques du religieux, si l'assistance pria pour le soldat mort, elle ne put s'empêcher d'invoquer en même temps ses suffrages. A la pensée de l'apostolat qu'aurait exercé le P. de Gironde, les catholiques déploraient cette fin précoce. Mais, pour être sauvée, la France ne demande-t-elle pas précisément l'offrande des existences les plus pures, — et, d'avoir été fauché, dans sa fleur d'espérance, ce héros ne tire-t-il pas une beauté surhumaine qui fascinera les jeunes âmes et les conviera au sacrifice comme au Bien suprême ?

 

IV

 

Avec le P. de Gironde, que de jésuites-soldats répandent, par l'effusion de leur sang, à la spoliation et au bannissement dont un pouvoir indigne les a sigillés ! Ainsi le P. André de Gaillard-Bancel, officier au 252e de ligne, s'exaltant à la pensée de l'appel divin qui le range parmi les privilégiés de l'immolation, laisse échapper ce cri, dès le 1er août 1914 sur le quai de Jersey, au moment où il quitte le Scholasticat des Pères, pour voler aux champs de bataille où se fixera le sort de la Lorraine : Mourir à la fois jésuite et soldat, ce serait trop de bonheur. Souhait exaucé, quatre mois plus tard, lorsque, le 12 décembre, la 19e compagnie, où sert le P. André de Gaillard-Bancel, reçoit l'ordre d'attaquer, entre le village de Saint-Baussant et le bois du Sonnard, les tranchées allemandes. Avant l'assaut, après avoir fait réciter à ses hommes et récité lui-même, à haute voix, l'acte de contrition, André s'élance et, suivi de la troupe, s'approche, par bonds successifs, de l'ennemi, armé de grenades. Vingt mètres, à peine, le séparent des Allemands. Le lieutenant-jésuite, épaule son fusil pour faire feu, quand, soudain, ses camarades le voient s'abaisser. Adieu, Gigoudan ! dit-il à son voisin, et c'est tout. Le jeune jésuite retombe et ne remue plus. Le sacrifice est consommé[4].

***

Professeur, à l'Ecole Fénelon d'Elbeuf, l'abbé Léon Lajule, frappé au champ d'honneur, entrevit, dès le début de sa campagne, la fin qu'exigeait de lui la Providence. Je commencerai ici-bas, écrivait-il à un de ses amis, les Fêtes pascales, et j'irai probablement les clore près du Bon Dieu. Ce serait un vrai charme, pour moi, de paraître devant le Bon Dieu avec quelques amis à qui j'aurais rendu la grâce. Je tiens à vous dire, pendant que j'en ai le temps, que je ne veux pas, si l'on apprend ma mort, un jour, que mes amis soient tristes. Lorsque les cloches carillonnent joyeusement le diem natalem — le décès — d'un prêtre, il ne faut pas qu'elles soient seules à se réjouir. Je demande donc que, ce jour-là, vous donniez aux enfants l'impression très nette que la mort n'est pas une catastrophe pour celui qui croit et qui n'a pas peur de se trouver face à face avec Dieu !

Compagnons d'armes d'un soldat assez affranchi de nos sollicitudes terrestres pour envisager la vie comme un exil et la mort comme une joie, comment les hommes, gagnés par ce haut idéal, redouteraient-ils les aléas d'une lutte qui, s'ils succombent, les libère de leurs défaillances et de leurs misères ?

***

Un autre prêtre, l'abbé capitaine Gaston Millon, professeur à l'Ecole cléricale d'Amplepuis (Rhône), la veille de la Toussaint, au lendemain d'une bataille qui fut chaude, écrit sur son carnet : Quelle armée ! Demain, je vais dire ma messe : je prierai pour nos morts, surtout pour ces pauvres soldats qui ont déjà payé de leur sang. Que tout ce sang répandu profite à notre chère France ! Il faut que, demain, quand la paix sera signée, la France sorte chrétienne de tant d'épreuves. Ô mon Dieu ! acceptez tout ce sang,même s'il ne vous a pas été offert par ceux qui le versent. C'est, quand même, un sacrifice,sacrifice pour les fautes personnelles, comme pour les fautes nationales... Et moi, je me présente aussi, humble, petit, couvert de péchés, pauvre prêtre ! Que mon sang soit le rachat de beaucoup d'âmes, s'il le faut !

La rédemption de la patrie ! En face des égoïsmes qui se disputent l'arène, le prêtre-soldat, presque seul, hélas ! l'œil fixé sur la mission surnaturelle de la France, ne peut détacher son âme de cette cause immortelle. Ambitions légitimes, joies de l'esprit et du cœur, tendresses familiales, il abdique tout, pour que la France renaisse. Sans holocauste, point de rémission des péchés pour un peuple ! dit l'Apôtre. Et Joseph de Maistre, commentant saint Paul, ajoute : Ce fléau terrible (la guerre) sévit avec une violence proportionnelle aux crimes des nations. A débordement de crimes, débordement de sang. Millon connaît cette loi de l'épreuve rémunératrice. Rançon volontaire des mauvais jours d'hier, il sort de son abri pour observer la tranchée allemande et tombe, presque aussitôt, sous un obus qui le foudroie. L'amour réparateur vient d'offrir à la France de demain une victime propitiatoire, appelée à hâter la Pâque future[5].

***

Un autre prêtre combattant, l'abbé Joseph G., dans une lettre intime, nous montre les officiers sollicitant eux-mêmes la présence du prêtre sur la ligne de feu pour rassurer les hommes, pour élever leurs cœurs et gagner la bataille. Vous savez, — écrit, à l'un de ses amis, l'abbé Joseph G., sous-lieutenant au N* d'Infanterie, — vous savez que je deviens adjoint au colonel et, comme tel, fatalement moins libre dans mon ministère. Les officiers sont venus demander au colonel de me laisser tout entier aux âmes et ils ont enlevé le morceau. L'abbé nous appartient, lui ont-ils dit, pour le faire revenir sur sa décision. Nous voulons, au combat, pouvoir nous faire casser gaiement la figure en toute sécurité, parce que nous saurons qu'un prêtre est là[6]. Ainsi, le prêtre tient tout à la fois, dans ses mains, le sort terrestre et le destin éternel de ses frères. Quand le canon gronde ; quand les mitrailleuses crépitent ; quand les shrapnells explosent ; quand les obus tombent en nappes ardentes ; quand les marmites mugissent ; quand, dans les lueurs blafardes des fusées, les âmes, même les plus intrépides, frissonnent de l'horreur sacrée qu'exhale la Mort ; quand, sous le fracas du bombardement, les sollicitudes égoïstes s'évadent et que, devant la grandeur du danger, Dieu apparaît seul, dans le champ nu de la pensée, alors le prêtre, même muet, évocateur des principes éternels, annonce, par sa seule présence, aux héros et aux martyrs la rémunération de leurs supplices, le triomphe de leur cause et l'immortalité de leur destinée. Les incroyants, comme les croyants, s'inclinent devant la seule puissance qui fixe la Mort en face et qui la salue, non comme une fin, mais comme une aurore.

 

V

 

Tous les Ordres et toutes les Congrégations comptent des représentants sur le front, parmi les prêtres, les moines, les religieux, qui, défenseurs armés de la patrie fondée à Reims par saint Remi, lèvent aujourd'hui le bras, sous le ciel sanglant, non seulement pour absoudre leurs compagnons d'armes, mais frapper les adversaires de notre vocation nationale et les ennemis de l'Eglise, notre Mère.

Fils de saint Dominique, le P. de Boissieu, lors de F expulsion de son Ordre, alla donner ses soins aux chrétiens disséminés dans ce sauvage Kurdistan, où le Gouvernement turc embauche les égorgeurs professionnels de l'Arménie. Il fallut l'appel de la France pour arracher le P. de Boissieu à la Mission qu'il fortifiait, depuis douze ans, de ses conseils, de ses lumières et de ses vertus.

L'autorité militaire attache l'apôtre à un régiment de zouaves immobilisé dans la zone parisienne. Mais ce poste, trop tranquille, ne s'assortit pas à la ferveur du moine qui demande et obtient la grâce d'accompagner aux Dardanelles, le Corps expéditionnaire confié au général à Amade. Un mois après, le 12 juillet 1915, le P. de Boissieu expire, auprès de son capitaine, sous le choc d'un projectile qui prive la France et l'Eglise de l'un de ces serviteurs de plus en plus rares, chez lesquels ne brûle d'autre passion que l'oubli d'eux-mêmes et l'amour de leurs frères.

***

Un jeune moine bénédictin, sorti de Saint-Cyr, Dom Pierre Ricard, religieux de l'Abbaye de Saint-Wandrille, exilé, avec son supérieur, Dom Joseph Pothier, le savant musicologue, à Dongelberg (Belgique) venait de conquérir, à l'Université de Louvain (1914), le grade de Docteur en Théologie, quand le décret de mobilisation l'atteignit en pleine invasion allemande. Aux risques de la fusillade y là frontière est franchie et le moine-lieutenant, après avoir pris part aux combats des Eparges, où il est blessé deux fois, assiste à l'offensive de la Champagne, si glorieuse et si meurtrière. C'est le 25 septembre que l'attaque se déclenche. Le 27, l'armée française, enhardie parles brillants succès des premiers jours, déploie toutes ses ressources et tend toutes ses forces. L'ennemi chancelle : il faut précipiter sa chute. Commandant de compagnie, Dom Ricard conduit ses hommes à l'attaque d'une position qu'il a reçu l'ordre d'enlever. Une barrière de fils de fer protège l'ennemi ; il faut enjamber cette haie qui, sur une profondeur de trente mètres, entrecroise et hérisse le rempart de ses inextricables réseaux. Trois vagues d'assaut battent successivement le mur de fer. A la première, le moine-officier est blessé au bras ; à la seconde, à l'épaule ; à la troisième, une balle l'étend sur le sol et le tue. Dans tout le régiment, officiers et soldats, — écrit un témoin, — exaltent l'héroïsme de Dom Ricard. C'était le chef le plus estimé de la compagnie ; il imposait le respect à ses chefs comme à ses subordonnés. On disait communément de lui : C'est un surhomme, il nous domine tous[7].

***

Le même sort 'ravit à l'Ordre de saint Benoît le Père Puyade, au moment où ce docte religieux allait atteindre une tranchée d'où jaillissait une pluie de fer. Professeur des langues orientales au Séminaire de Jérusalem, Dom Puyade, le 1er août 1914, surveillait, à l'Université de Beyrouth, dirigée par les Pères Jésuites, l'impression d'une étude sur les cantilènes de la liturgie syriaque. Sous le prétexte d'achever cet important travail, le religieux exilé aurait peut-être eu le droit de confondre la France envahie avec la faction persécutrice des moines et refuser d'obéir à l'appel de ses proscripteurs pour satisfaire aux desiderata des érudits. Mais ce sophisme n'effleure pas un instant l'âme du Bénédictin, trop Français pour balancer entre la Science qui peut attendre et la Patrie qui ne le peut pas.

Un autre banni, le frère Jules Robinet, de l'Institut des Frères des Ecoles Chrétiennes, n'hésite point davantage à quitter l'Espagne pour affronter, lui aussi, la bataille et y mériter cet ordre du jour révélateur de sa bravoure : Après avoir enlevé une position difficile, près d'un bois, et fait prisonniers les Allemands qui l'occupaient, le lieutenant Robinet a organisé la lisière nord de ce bois et a tenu cette lisière, malgré la canonnade et la fusillade concentrées, jusqu'à ce qu'il tombât mortellement blessé ; avait fait rendre compte de la situation difficile où il se trouvait au commandant du régiment sous la forme suivante : Je n'ai plus que sept ou huit hommes. Je demande des ordres. Si je dois rester, je resterai !

Et le Frère-lieutenant reste sur la brèche qu'il jonche de son cadavre.

***

Converti en dyptiques sacrés, le Bulletin des Armées immortalise, dans des ordres du jour lapidaires, d'innombrables martyrs : le frère Martin, Trappiste d'Aiguebelle ; les RR. PP. de Hartey, Paradis, Billeheust d'Argenton, Gigne, Crépieux, de la Compagnie de Jésus ; le P. Sébastien, Cistercien ; le sergent Lesage, Assomptionniste ; le P. Dirberger, Capucin ; les RR. PP. Beck et Toulemonde, Pères Blancs ; le P. Granger, Religieux du Sacré-Cœur ; le P. Jaumain et le frère Arsène, Rédemptoristes ; les RR. PP. Vignon, Philippe de Commines et Ambroise Perchon, Bénédictins ; le R. P. Hermann, Prémontré ; les RR. PP. Gleonec, Escalère, Crozier, de Congrégation du Saint-Esprit ; le frère Carmoi, Missionnaire d-Afrique ; l'abbé Piédalos, des Missions Africaines de Lyon ; le P. Brangoulo, Missionnaire à Haïti, etc., etc.

Je n'ai de haine contre aucune créature faite à l'image de Dieu et à sa ressemblance, — écrivait, quelques jours avant la bataille de la Marne, à l'un de ses anciens maîtres du Séminaire français de Rome, l'abbé Yves de Joannis, brigadier d'artillerie — mais je ne puis pas ne pas voir un grand péril pour l'Eglise, comme pour la France, dans le colosse luthéro-kantien d'Allemagne. Il faut donc que je parte en Croisé, et que je dresse mon canon contre la fausse philosophie, contre la fausse exégèse, contre la politique pleine de mensonge et d'arrogance qui veut asservir le monde, sans égard pour notre race, pour notre histoire, pour nos traditions, pour notre foi.

Quelques jours plus tard, le 8 septembre, à la Fère-Champenoise, le séminariste canonnier sert une batterie, installée sur le versant d'une colline. Au-dessus, le capitaine, avec la quiétude du chef qui se sent obéi, jette à ses lieutenants, sous la cataracte des obus, les ordres que commandent les péripéties de la bataille :

A 1.600 mètres. Un obus... Débouchez !

Et, sur-le-champ, véloces comme la foudre, jaillissent, des canons, cent projectiles. L'ennemi veut éteindre ce cratère. Un obus s'écrase à 200 mètres de la batterie française.

1.550 mètres ! signifie le capitaine. Tir rapide !

Soupçonnant le péril, les hommes accélèrent les gestes, mais pas assez vite pour empêcher un obus de tomber sur l'un de nos caissons. L'explosion des munitions fauche plusieurs artilleurs. Le versant du coteau n'est plus tenable. Il importe d'aller, plus loin, caler les batteries sur une terrasse inaccessible aux 77 et aux 105 de l'ennemi.

Voix du chef :

Amenez les avant-trains !

Sous la trombe des schrapnels, les canonniers, fléchissant le dos, ne se pressent pas de démarrer. Entre la hauteur qu'il s'agit d'abandonner et la position où il faut se ressaisir, s'espace une zone de mort. Le flottement des hommes peut devenir fatal. Pour mettre fin à cette indécision, le prêtre-brigadier Joannis se précipite vers les avant-trains, prend le cheval de tête par la bride, puis, à coups d'éperon stimulant sa propre bête, enlève l'attelage, que les autres conducteurs, électrisés par l'exemple, se hâtent de suivre. Un instant suffit pour souder les pièces aux caissons. La batterie prête, les chevaux prennent le galop et la sauvent. Mais, dans le trajet, voici que le courageux canonnier s'affaisse tout à coup, la poitrine trouée par une balle. Après avoir couché leur camarade sur une voiture, les artilleurs transportent Joannis à Troyes, où l'hôpital des Jacobins le recueille et le panse. Soins inutiles. Le jeune prêtre expire, le 18 septembre, au moment même où il dit à sa mère, accourue au chevet du moribond, l'allégresse dont le comble une mort offerte à la patrie.

Pour bien mourir, avait dit le prêtre-artilleur, il faut être détaché de tout. Mourir sur un lit d'hôpital, sans rien à moi, pas même la chemise que je porte, quelle faveur de choix ![8] Paroles bien dignes de celui qui, quelques jours auparavant, écrivait : La joie inonde mon âme. Elle est pareille à celle que je ressentis en entrant au séminaire. N'est-ce pas le sacrifice que je fais à Dieu qui me soutient et qui m'entraîne ?[9]

***

L'oubli — écrivait, quelques minutes avant de mourir, sur le champ de bataille, un religieux dominicain, le P. Ambroise Soudée — l'oubli descendra sur notre héroïsme comme les corbeaux du soir sur les cadavres. Jamais un poète ne dira la Geste des Séminaristes de France. Il n'y a d'épopée que la légende, et notre mort sera trop vraie pour être chantée. Notre âme sera seule au monde à savoir le ravin où nous aurons roulé...

Qu'un jeune moine de vingt ans voie approcher de son front l'épervier de la Mort, avec la rancœur d'un adolescent qui n'a pas encore déployé ses ailes et qui se voit, soudain, foudroyé dans son rêve, avant même d'avoir affronté l'espace illimité, on ne comprend que trop cette plainte où s'attestent la grandeur de la tâche entrevue et la douleur des espérances fauchées. Mais le fils de saint Dominique ne se méfie-t-il pas trop des Français qui lui survivent, en les croyant capables d'oublier les holocaustes acquéreurs de la Délivrance ? Sans doute, la longue liste des héros disparus voile d'une lueur indécise leurs noms et disperse nos hommages. Mais, pour ne pas être toujours individuellement présents à notre mémoire, les martyrs de l'Abbaye et des Carmes, par exemple, sont-ils biffés de l'histoire et leur auréole perd-elle son éclat ? Comment, d'ailleurs, les prêtres, tombés au champ d'honneur, laisseraient-ils derrière eux le regret d'un sacrifice méconnu, quand tout crie la générosité de leur offrande et l'ardeur de notre gratitude ? Et, lorsque luira le jour de la victoire, les morts, artisans de notre triomphe, ne seront-ils pas les premiers debout, rangés autour de l'autel, où se chantera le Te Deum de la France, enfin affranchie de l'invasion et de la nuit ?

Sur les temps futurs plane, dès maintenant, le nimbe d'or qui les illuminera d'un rayon triomphal. Les tranchées reverdies exhalent les odeurs saines de la moisson et du pressoir ; — entre les vivants et les disparus s'échange déjà la promesse d'une renaissance dans l'âme de la France purifiée et l'espoir d'une communion dans la gloire de l'impérissable Patrie !

 

VI

 

L'Eglise a, sur le front, deux armées : l'armée de Justice : les prêtres combattants, — et l'armée de Miséricorde : les prêtres brancardiers et les aumôniers. Dans la fumée du combat, l'Eglise ne voit pas que le geste héroïque des guerriers ; elle voit aussi le sang des soldats qui tombent ; l'éclat dont le drapeau s'illustre a pour ombre, elle le sait, le deuil des épouses et des mères. En limitant notre étude aux prêtres qui combattent sur le front ; en nous refusant la satisfaction de signaler les ecclésiastiques consacrés au ministère des âmes, ou chargés de secourir les blessés et d'ensevelir les morts, nous avons cédé, moins au désir de ne pas trop étendre notre cadre qu'à la crainte de ne pas donner à tant d'immolations généreuses toute la déférente attention qu'elles exigent. Mais, sans sortir de notre programme, comment ne pas rendre hommage à ces admirables prêtres qui, dans la boue sanglante des tranchées, ou, sous la pluie des projectiles, disputent les blessés à la mort, ouvrant aux agonisants le Ciel et, parfois, éclaboussés eux-mêmes par un éclat d'obus, roulant dans la même fosse où leurs mains viennent de descendre un mort !

Quatre prélats, Mgr Ruch, coadjuteur de l'évêque de Nancy, évêque de Gerasa ; Mgr de Llobet, évêque de Gap ; Mgr Perros, vicaire apostolique de Siam, évêque de Zoura ; Mgr Maury, évêque de la Côte d'Ivoire, dans les ambulances ou sur la ligne de feu, penchés sur les mourants ou sur les blessés, préparent les uns à la vie éternelle et forment à l'école du sacrifice les autres, — héroïques survivants dont la France aura besoin demain, contrainte, — comme hier hélas ! — de tenir tête aux ennemis de sa vocation et de son idéal.

 

Lutte qui sera facile : déjà l'air, — où nous respirions depuis quarante ans, — ne s'est-il pas assaini ? Sans doute, au milieu de nous, s'agitent des hommes de proie, des sophistes, des histrions, des ambitieux, des incroyants, des blasphémateurs — fœx urbis — que toute société humaine porte à ses flancs, — ulcère qui ronge, surtout, les nations rebelles à la loi divine, et qui nous attira le vautour. Mais, en revanche, combien de chrétiens, que ne sollicitent ni le lucre, ni la vanité, ni les jouissances, ni la gloire, et qui, — volontaire encens, — brûlent pour purifier l'atmosphère et la délivrer, en se consumant, des exhalaisons qui la vicient ! Combien d'intelligences, jour et nuit, au milieu des tempêtes ou parmi les bûchers, sous la pourpre comme sous les haillons, dans la joie et dans la douleur, invinciblement orientées vers le devoir ! Cette âme, plongée dans le corps, dit Bossuet, ne faut-il pas qu'elle ait découvert intérieurement une beauté exquise dans ce qui s'appelle le devoir, pour oser assurer qu'elle doit s'exposer sans crainte, qu'il faut s'exposer même avec joie à des fatigues immenses, à des douleurs incroyables et à une mort assurée, pour la patrie, pour le prince, pour les autels ? Et n'est-ce pas une espèce de miracle que ces maximes constantes de courage, de probité, de justice ne pouvant jamais être abolies, je ne dis pas par le temps, mais par un usage contraire, il y ait, pour le bonheur du genre humain, beaucoup moins de personnes qui les décrient tout à fait qu'il n'y en a qui les pratiquent parfaitement ?

Bossuet a raison : cette majorité de chrétiens qui, depuis la Rédemption, sauve le monde, préserve aussi la France, menacée de mâle mort, tantôt par l'esclave Vindex et tantôt par César. Aujourd'hui, — comme nous le disons dans nos premières pages, — ce n'est plus le Jacobin, c'est l'Empereur, c'est César qui veut anéantir la France, afin d'anéantir la puissance dont elle fut et dont elle reste, malgré tout, la protectrice : le Pontificat Suprême, l'annonciateur des Principes éternels. Si, dans la balance divine, nos vertus et nos sacrifices l'emportent sur nos défaillances et nos crimes ; — si la révolte contre Dieu n'a pas déchaîné les fléaux entrevus par l'Apocalypse ; — si notre ingratitude n'a pas fait sortir de l'Érèbe et descendre sur la terre le Fils de Perdition, la France, n'eût-elle qu'un tronçon à épée à la main, assurera le triomphe de la liberté contre les maléfices de la barbarie.

Mais cette magistrature et cette victoire ne sauraient être l'aboutissement d'un destin fatal.

 

Lorsque le Roi des Rois Nabuchonosor, décida de subjuguer Israël, son généralissime, Holopherne, parti de Ninive avec cent vingt mille fantassins et douze mille archers à cheval après avoir brûlé les temples et rasé les cités, arrive au pied de la montagne de Béthulie, camp retranché du Royaume. Contrairement à l'attente de l'envahisseur, le peuple hébreu, sur ses gardes, occupe les cols et les cimes. Avant d'engager l'attaque, Holopherne consulte ses alliés, les Ammonites, les plus proches voisins d'Israël :

Cette nation — déclare Achior, leur chef, — n'a jamais abandonné son Dieu, sans tomber dans les mains de ses ennemis, et ne lui est jamais revenue sans que le même Dieu ne l'ait promptement délivrée. Informez-vous donc, seigneur, s'ils ont commis quelque iniquité contre leur Dieu, et, alors attaquez-les sans crainte ; vous les vaincrez. Mais s'ils ont gardé la foi, vous n'avez rien à faire ; ils seront invincibles[10].

C'est le même verdict que S. Rémy, dans son Testament, signifie à la Nation française. Refuse-t-elle de se soumettre à Dieu ? La malédiction la frappe. En revanche, la bénédiction divine récompense sa fidélité[11]. Au milieu des ombres qui nous assiègent, — que ce décret, rendu par le créateur de la France, ne cesse d'illuminer, comme une étoile, la route ensanglantée de nos blessures ! Disons-nous bien que Dieu ne garde la vie qu'aux héros qui succombent pour la Vérité éternelle. Toute chair est la proie de la mort. Mais, dans la plaine, que blanchissent les ossuaires des hécatombes, seule se lèvera la Nation qui fut docile à l'appel du Rédempteur.

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] Nous empruntons ces chiffres au livre de M. GUY DE TÉRAMOND, l'Héroïsme en soutane.

[2] Nous empruntons ce trait aux Impressions de guerre de Prêtres-soldats, recueillies par Léonce de Grandmaison, 2e série, 126-137.

[3] PIERRE SUAU, Un héros. Le P. Gilbert de Gironde, sous-lieutenant de réserve. Paris, Beauchesne, 1916, p. 30.

[4] Pierre de la Gorce : Deux Frères : André et Pierre de Gaillard Bancel (Correspondant du 25 janvier 1917, 287-288). A peu de distance, le frère d'André, Pierre, commandant la même compagnie, tombait, presque à la même minute, lui aussi, mortellement frappé. Les deux frères, fils du député catholique de l'Ardèche, ont été tous les deux mis à l'ordre du jour de l'armée pour leur bravoure.

[5] Dans son beau livre, les Diverses familles spirituelles de la France, Maurice Barrés nous raconte que, l'abbé-capitaine Millon tué, son chef de bataillon, le capitaine P..., libre-penseur et franc-maçon, aborda le soldat catholique Joseph Ageorges : La mort de Millon me fait beaucoup de peine, lui dit-il. Si j'étais tombé le premier, il aurait fait dire une messe pour moi. Je ne crois pas ; mais sait-on jamais ? Si l'âme est immortelle, Millon sera content que je pense à lui. Voulez-vous que nous allions demander au curé un service à son intention ? Le service est célébré. Après l'Evangile, le curé parla, et, quand il eut terminé, il vint, par un mouvement du cœur, au banc du capitaine, l'inviter à prendre la parole, Le capitaine libre-penseur monta sur les marches de l'autel et s'adressant à l'auditoire, glorifia le capitaine prêtre.

[6] VICTOR BUCAILLE, Lettres de Prêtres aux armées, p. 93.

[7] Bulletin de Saint-Martin et de Saint-Benoît, janvier 1916, 32-34.

[8] GUY DE TÉRAMOND, 61.

[9] VICTOR BUCAILLE, ouvrage cité, 21. L'abbé Yves de Joannis laisse deux frères : Jean de Joannis, sous-lieutenant d'artillerie et Léon de Joannis, sous-lieutenant d'infanterie, tous les deux honorés d'un ordre du jour.

[10] JUDITH, V, v. 24.

[11] ABBÉ DESSAILLY, Authenticité du Grand Testament de S. Remy, 64 et suivantes.