LE PRÊTRE-SOLDAT DANS L'HISTOIRE

 

CHAPITRE X. — XIVe SIÈCLE. - Invasion anglaise. - Evêques, Prêtres et Chanoines défendent la France contre l'Etranger.

 

 

I. Guerre contre l'Angleterre. - Les Rois appellent le Clergé aux armes. - A Crécy, le Roi est sauvé par la milice rémoise, amenée par l'Archevêque. — II. Le Clergé à la bataille de Poitiers (1356). - L'Evêque de Châlons commande la cavalerie. — III. L'invasion anglaise bouleverse notre régime militaire. - Aux contingents diocésains succèdent les Bandes et les Compagnies. — IV. Eliminé de l'armée nouvelle, le Clergé prend part, quand même, à la résistance. - Il guerroie contre les condottieri. - Prouesses de l'Evêque de Troyes, de l'Evêque de Noyon, de l'Archevêque de Reims, du Chanoine de Robersart. - Les Evêques de Coutances, de Bayeux et d'Avranches dirigent le siège de Saint-Sauveur-le-Vicomte. — V. Un Evêque guerrier du parti de Charles de Navarre. - Expédition contre la Flandre commandée par un Evêque anglais, Henry Despenser, Evêque de Norwich.

 

I

 

La postérité des ducs de Normandie ne consentit jamais à renfermer dans l'île conquise sur les Saxons les ardeurs et les convoitises de la race victorieuse. Les compatriotes des épiques coureurs d'aventures qui, depuis trois siècles, ensoleillaient l'Italie et l'Orient de si belles prouesses guerrières, n'étaient pas gens à vivre désormais, comme des gentilshommes campagnards, occupés à vider des pintes d'ale, entre deux parties de chasse. Les cabales de paroisses, les conflits d'influences et les querelles de places peuvent tenter des ambitieux médiocres, friands de domination locale. Mais nos Anglais prétendent moins gouverner un comté que dominer l'Europe. La grandeur du dehors les sollicite beaucoup plus que le jeu des factions nationales. Mais, pour gagner l'empire du monde, il faut commencer par terrasser les compétiteurs possibles de cette hégémonie nécessaire. Au xiv* siècle, la France est la seule puissance rivale, en état de contrecarrer les aspirations britanniques. C'est donc contre nos Rois que l'Angleterre poursuivra, pendant près d'un siècle, une lutte où le génie des plus intrépides capitaines nous infligera désastres sur désastres, amputations sur amputations, jusqu'au jour où Dieu se servira d'une jeune fille pour refouler les Anglais dans leur île et maintenir la France dans le plan de sa destinée.

 

Après la mort de Philippe le Bel et de ses trois fils, — ces derniers décédés sans enfants mâles, — quel Prince avait le droit de s'asseoir sur le trône de saint Louis ? Etait-ce le neveu de Philippe le Bel, Philippe de Valois ? Ou le petit-fils de Philippe le Bel, Edouard III, roi d'Angleterre, fils d'Isabelle de France ? Entre le premier, héritier collatéral, et le second, héritier direct des Capétiens, les consciences pouvaient tergiverser. On tient conseil. Pendant que les juristes laïques hésitent, les théologiens font victorieusement observer que les femmes ne peuvent transmettre à leurs hoirs mâles le droit dont la loi salique les a elle-même frustrées. L'objection termine la controverse.

Si cet argument ravit à Edouard III la Couronne de France, il ne le dépossède ni de ses prétentions ni de son orgueil. La superbe des Plantagenets se cabre contre le veto de l'Eglise. L'Angleterre condamne la France aux horreurs d'une invasion qui la dépeuple de sa jeunesse et la sillonne de ruines : dans cette lutte, que fera l'Eglise ?

Un instinct prophétique avertit en quelque sorte le Clergé que dérober la France au joug de la dynastie anglaise, c'est la soustraire au schisme et la garder à Rome. Clairvoyance rédemptrice ! Le pacte fondamental de notre race ne lie-t-il pas indissolublement les destinées de la France à sa fidélité religieuse ? Sujets de l'Angleterre, les Français répudieraient, ipso facto, les promesses de saint Rémy, abdiqueraient leur rôle, frapperaient d'anathème leur descendance. Les historiens les plus prévenus contre l'Eglise conviennent que, de tous les Corps sociaux, le Clergé, pendant la Guerre de Cent Ans, défendit avec le plus de vigueur les droits de la Maison de France contre les convoitises des Lancastres.

 

Au Moyen Age, le Roi jouit d'une prérogative dont il use, lors de chaque crise nationale : il ne relève de personne, et tout le monde relève du Roi. Suzerain des grands feudataires, des Évêques, des Abbés, des nobles et des non-nobles, véritable Chef de la nation, c'est lui seul qui peut, en cas de péril, appeler la France aux armes. Aussi n'est-ce jamais en vain que, dans tous les carrefours et sur toutes les places, il fait sonner par ses hérauts le buccin de guerre. A la voix du Prince, la population — sans hésiter une minute — vole au secours de la patrie en danger. Sous Philippe-le-Bel, les guerres entreprises pour enlever aux Anglais la Guyenne et réduire la Flandre obligent le Roi à mettre en branle l'institution nationale par excellence — l'Arrière-Ban, c'est-à-dire la levée en masse. En 1302, sur l'ordre de Philippe-le-Bel, les baillis s'empressent de semondre, par arrière-ban, toute manière de gens qui pourront porter armes, assavoir nobles et non nobles, de poeste ou d'autre condition qu'ils soient, à la quinzaine d'aoust, à Arras. Au mois de juin de l'année suivante, l'Évêque d'Auxerre reçoit du même prince, l'avis que le Roi se propose de semondre, par voie d'arrièreban, auquel toute manière de gens, si, comme vous savez, sont tenuz à venir, sans nulle excusation[1]. Atteints par cette semonce, trente Evêques rejoignent l'ost royale, avec autant de gens de pied et à cheval qu'ils peuvent. La même année, à la suite de la défaite de Courtrai, dans une assemblée de prélats et de barons, Philippe-le-Bel étend à tous les gens d'Eglise de son Royaume, l'astreinte jusqu'ici limitée à une élite. Les Communes flamandes ont mis en déroute la chevalerie française : l'extrémité du péril impose les mesures extrêmes.

Scavoir faisons, — déclare une missive royale, — que tous Archevêques, Evêques, Abbés et autres Prélats, Doyens, Chapitres, Collèges, et toute autre manière de personnes d'Eglise, Religieux et Séculiers, exempts et non exempts, Ducs, Comtes, Barons, de quelque condition et état qu'ils soient, nous aydent en la poursuite de la dite guerre, pour quatre mois prochains à venir.

 

En 1304, injonction est faite aux Ecclésiastiques et aux Evêques de se diriger, avec leurs troupes, vers le camp du Roi : Les Prélats, Evesques, Abbez, qui nous doivent service d'ost, qu'ils soient à Arras avec nous, en armes et en chevaux, si suffisamment comme ils doivent et à eux appartient.  Convoqué, en 1340, par Philippe de Valois, Jean VI de Meulant, évêque de Meaux, gagne l'armée avec deux chevaliers bacheliers et dix écuyers, équipés par ce fidèle vassal qui doit à l'Etat le service personnel pour ses fiefs et qui défend, à la bataille de Saint-Omer, la cause nationale avec un courage où revivent les vertus guerrières de son ascendance[2].

Au cour de la même expédition, l'évêque de Valence, Messire Henry de Thoire et de Villars, plus tard archevêque de Lyon, — en compagnie de son père Humbert, sire de Thoire, tous les deux bannerets, — suit le roi Philippe et lui fournit six chevaliers et quatre-vingt-dix écuyers, blanchis sous le harnais. Mais si l'arrière-ban ne dispense aucun Français valide du service obligatoire, l'ignorance technique des recrues et de leurs chefs stérilise trop souvent les avantages de ce soulèvement universel. Pendant que, de l'autre côté de la Manche, Edouard III soumet, en temps de paix, ses troupes à des exercices périodiques qui les initient aux exigences de la guerre, nos levées, dépourvues d'éducateurs, arrivent sur le champ de bataille, pleines d'ardeur sans doute, mais inexpérimentées, sans cohésion comme sans plan, à la merci de toutes les surprises et de toutes les défaillances. Leur premier élan est souvent le dernier, et plus sa violence élève, soudain, les milices au-dessus d'elles-mêmes, plus vite elles retombent, brisées par leur chute. C'est ainsi qu'à Crécy (26 août 1346), malgré la solidité de nos contingents épiscopaux, la folle démence des seigneurs français abandonne la victoire à la calme et savante stratégie des coustiliers anglais. Le roi Philippe VI de Valois, ne doit son salut qu'à la milice rémoise, amenée la veille à Crécy, par l'Archevêque Jean de Vienne, prélat de cour, mais homme de guerre sans rival. La bataille perdue, le prince, pour échapper aux Anglais qui veulent le saisir, prend en toute hâte le chemin de Normandie et se dirige vers Bray, où la prévoyance de ses fidèles sujets lui a préparé un refuge. Une escorte de soixante chevaliers, sous le commandement de l'Archevêque de Reims, et de l'Evêque d'Amiens, assure cette retraite. Le lendemain de la bataille, deux corps de milices normandes, conduits par l'Archevêque de Rouen, cherchent vainement à rejoindre le Roi en fuite : l'ignorance de la débâcle les fait tomber au milieu de l'armée victorieuse qui tue les uns et met en déroute les autres.

 

II

 

Le docte historien du diocèse de Reims, Dom Marlot, nous apprend que l'Archevêque de cette ville devait, en cas de guerre, procurer au Roi le concours militaire de ses vassaux, non seulement comme détenteur d'un franc fief, mais comme pair de France. Le contingent exigé d'un autre pair ecclésiastique, l'évêque de Laon, ne comprend pas moins de trois cents chevaliers. Chaque fois que le roi envoie à l'Archevêque de Reims un ordre d'appel, la coutume veut que, la veille de se rendre à l'ost du roi, les vassaux comparaissent devant les officiers du prélat, pour faire monstre — passer la revue — en armes et en chevaux. C'est à la Porte-Mars que défilent les miliciens épiscopaux, phalange glorieuse de l'armée nationale, associée à toutes les conquêtes de nos rois et secourable à tous leurs malheurs.

 

Dix ans après Crécy, la bataille de Poitiers (18 septembre 1356), accuse dans notre organisme militaire, les mêmes vices ; dans notre commandement la même fougue turbulente, et, chez les Souverains anglais, Edouard III et le Prince Noir, la même heureuse fortune, jointe au même art de combattre et de vaincre, — art qui prolongera pendant des années les sévices de nos ennemis, et les souffrances de nos ancêtres.

Ce ne fut pas la faute de l'Eglise si la France subit cette nouvelle catastrophe de Poitiers, où la fleur de notre chevalerie périt, holocauste vaine, victime des nouvelles mœurs qui viennent d'envahir le monde. chrétien. Le Conseil du roi n'a-t-il pas opposé le plus déplorable refus aux instances du Pape Innocent VI, suppliant Jean le Bon de ne pas souffrir que des soldats, autrefois si fameux par leurs victoires sur les infidèles, s'égorgent aujourd'hui les uns les autres pour assouvir, chrétiens contre chrétiens, les plus criminelles haines ? A la veille et le matin même de la bataille, deux princes de l'Eglise, délégués par Rome, le Cardinal de Talleyrand-Périgord et le cardinal d'Urgel, vont au camp français renouveler les objurgations pontificales, sans réussir à conjurer les fatalités que déchaîne une civilisation qui commence à s'exonérer de l'Evangile.

Le soir, parmi les morts, les Frères Mineurs de Poitiers relèvent le cadavre de Renault Chanteau, évêque de Châlons, tombé sur le champ de bataille, au moment même où il conduisait au combat les escadrons de cavalerie qui firent une fin si tragique dans cette mêlée néfaste à notre patriciat.

Moins cruel fut le sort d'un autre prélat guerrier, l'archevêque de Sens, Guillaume de Melun, fait prisonnier avec son frère Jean, vicomte de Melun, compris, avec le Roi, parmi les nombreux captifs dont la rançon enrichit le Prince Noir.

 

Il y a des défaites qui ne laissent pas plus de traces qu'un orage d'été : dès le lendemain, un ressaut d'énergie remet debout les courages chancelants et répare les ruines. Pareils à un cyclone, les vainqueurs du 16 septembre 1356 avaient fauché, dans notre pays, tout ce qui résistait encore. En rompant devant 8.000 Anglais et en leur abandonnant le roi de France, les 80.000 vaincus de Poitiers, au lieu d'inspirer au pays une de ces résolutions héroïques qui sauvent les Empires, le livrèrent à tous les désordres et à tous les fléaux qu'entraîne la carence d'un Chef.

Jean le Bon à la tête de la France, la nation aurait reconquis son territoire, son prestige et ses vertus. L'exil du Roi nous précipita dans un cloaque de sang et de boue. La révolution parisienne, la sédition d'Etienne Marcel, le massacre des maréchaux de Champagne et de Normandie, la Jacquerie, la trahison de Charles de Navarre, tous ces crimes et toutes ces violences font vaciller les piliers du sanctuaire où l'Eglise veillait, avec une inlassable sollicitude, sur les principes d'ordre, les croyances, les traditions, la discipline, les mœurs qu'elle avait fait prévaloir depuis douze siècles — et ne laissent nos aïeux qu'en face d'un échiquier de décombres.

 

III

 

L'invasion anglaise bouleversa de fond en comble les coutumes, les institutions et les mœurs créées par les Capitulaires de Charlemagne. D'où vint la supériorité de l'armée britannique sur la nôtre ? Pourquoi les journées de Crécy, de Poitiers, et, plus tard, celle d'Azincourt, nous furent-elles si funestes ? Le génie militaire d'Edouard III et du Prince Noir n'aurait pas suffi pour triompher de notre bravoure. La victoire nous fut enlevée par des bandes que n'affaiblissait pas l'institution fatale aux nôtres. Isolés, par la mer, de leur patrie, et sans nefs pour y rentrer, les soldats anglais se séparent d'autant moins de leurs Chefs qu'à quelques pas d'eux, ils se heurtent à un pays hostile, peu disposé à faire grâce aux soudoyers vagabonds. Mais, pendant que, chez nos ennemis, la plus impérieuse nécessité vitale transforme une milice provisoire en une force permanente ; — pendant que les princes de la Maison de Lancastre, afin de parer à l'insuffisance de leurs contingents, utilisent tous les malandrins de l'Europe, la France n'a, pour se défendre, que les masses inexercée et éphémères du Ban et de l'Arrière-ban féodal. En présence de cette disproportion de ressources et devant les désastres qu'elle suscite, les Valois laissent inactives les phalanges paroissiales dont s'étaient contentées les deux premières Races et tâchent, à leur tour, de perpétuer sous les armes, grâce aux taxes que paient les feudataires dispensés, une force toujours docile et toujours disponible. En incorporant dans leur ost les meilleurs soldats des Grandes Compagnies, peu à peu les Rois constituent une armée de mercenaires Suisses, Allemands, Gascons, Bretons, Navarrais, Albanais, etc., avec lesquels, désormais, l'Etat pourra satisfaire toutes ses ambitions et se lancer dans toutes les aventures.

 

Certes, les légions nouvelles, toujours prêtes et toujours sous la main de leurs Chefs, rendent de précieux services, — mais, aussi, quel dangereux concours elles fourniront aux desseins obliques des mauvais princes ! Avec les levées diocésaines, où se coudoyaient les vassaux du clergé, les bourgeois des bonnes villes, les honnêtes laboureurs, les artisans aisés, — l'élévation morale des soldats, d'une part, et, d'autre part, le recrutement régional des hommes, ainsi que le sévère contrôle des chefs, presque tous gens d'Eglise, Evêques, Archidiacres ou curés, maintenaient dans l'armée une discipline impitoyable aux équipées suspectes. En se sécularisant, en perdant ses anciens conducteurs, l'armée perd ses vieilles mœurs, ses coutumes, sa tenue. La présence des Evêques empêchait la guerre de dégénérer en une entreprise de rapine, de destruction et de tuerie. Ne pouvant supprimer la guerre, l'Eglise s'efforçait d'en limiter les ravages. Avant chaque bataille, il arrivait souvent que les prélats de deux partis réclamassent un sursis d'une heure ou deux pour tenter un accommodement ou conclure un armistice. Combien de fois leurs pourparlers n'épargnèrent-ils pas aux belligérants le malheur d'une rencontre mortelle à tous ! Au cours de la guerre de Cent Ans, d'innombrables trêves suspendent les hostilités et, soudain, aux acclamations des soldats en larmes, font tomber des mains le fer du massacreur et la torche de l'incendiaire. Si, malgré les instances des hommes d'Eglise, le choc ne peut être évité, les Evêques, après la bataille, vont trouver le vainqueur, l'intercèdent en faveur des prisonniers, recueillent et soignent les blessés, défendant, contre la soldatesque affamée de butin, la chaumière du pauvre et la charrue du paysan.

Les Evêques, une fois éloignés de l'armée, tout change : le fauve rompt sa chaîne et la Bête écarlate déploie sa fureur. Froissart, dans d'inoubliables pages, nous montre de quels crimes est capable un combattant soustrait, par le désordre de la guerre, à l'autorité de ses maîtres.

 

IV

 

Sur la France démembrée s'abattent, — comme un vol de vautours sur un charnier, — tous les maux qu'enfante la défaite : maraudes, pillages, rapines, échauffourées, émeutes. Accourus de toutes les provinces et levés dans tous les bouges de l'Europe et tous les archipels de l'Océan, les brigands, à la faveur de l'invasion, exploitent, rançonnent, dévastent, incendient la Picardie, l'Ile-de-France, la Normandie, la Bourgogne, la Saintonge, l'Angoumois, le Poitou, la Touraine, l'Auvergne, le Rouergue, le Quercy, sans qu'une force supérieure se révèle et protège contre l'anarchie les populations saignées aux quatre veines. Dévorés par les gens de guerre, les trois quarts du royaume cherchent vainement un vengeur et ne trouvent que des forbans, altérés de vols et insatiables de meurtres. Dans cette détresse, le Régent, — le futur Roi Charles V, — sans armée, sans finances, envoie dans les provinces et dans les villes des commissaires, chargés de visiter les forteresses, d'armer les habitants et de donner à la défensive des chefs capables de disputer les Français aux condottieri qui les rongent. Contre l'Allemand Robert Knolles ; — contre le gentilhomme hennuyer Eustache d'Auberchicourt ; — contre l'Anglais James Pipre ; — contre le Gallois Jacques Vynns ; — contre le Gascon Bertincourt d'Albret ; — contre l'Espagnol Garciot du Castel, quels antagonistes surgissent ? Le Dauphin rallie d'intrépides auxiliaires comme Bertrand Du Guesclin, sur les confins de Bretagne ; — Mouton de Blainville et Le Baudrain de Heuse, dans le Bocage Normand.

Mais l'anarchie où s'effondre la France achèverait de l'engloutir si, aux champions de l'ordre commissionnés en quelque sorte par l'autorité royale, ne se joignaient des preux volontaires, presque tous fournis par l'Eglise ; — tels l'Archevêque de Reims, Jehan de Craon ; — l'Evêque de Troyes, Henri-Jehan de Poitiers ; — l'Evêque de Noyon, Gilles-Robert de Lorris ; — le Chanoine de Robersart, Chefs survivants de l'organisme féodal, héros spontanément jaillis du sol qui souffre et qui réclame à grands cris des libérateurs. Pour anéantir le redoutable flibustier Eustache d'Auberchicourt et sa bande, la Champagne fait appel à l'Evêque de Troyes, appert et hardi gherrieur, dit Froissart, non moins hostile au désordre qu'inclément à l'hérésie. L'Evêque de Troyes, les comtes de Vaudemont et de Joigny et Jehan de Châlons rassemblent un corps de mille lances et de quinze cents soldats, armés de la brigandine, que renforce la bande commandée par Bockars de Fenetrange, chevalier lorrain à la solde du Régent. Les Anglo-Navarrais occupent, depuis un an et demi, la forteresse de Hans, en Champagne, La troupe de Mgr de Troyes emporte, au troisième assaut, cette bastille et passe la garnison par les armes.

Auprès de Nogent-sur-Seine, autre exploit, autre bataille qui donne à Messire Henri-Jean de Poitiers l'allure d'un preux de Chanson de Geste. Ce combat (23 juin 1359), où Eustache d'Auberchicourt et ses principaux officiers tombent entre les mains de notre Evêque, est un de ceux que le bon chroniqueur raconte avec le plus de verve, et nous regrettons que l'archaïsme de la langue nous oblige à ne donner du récit de Froissart qu'une version décolorée. A la nouvelle que l'Evêque de Troyes et messire Bockars doivent lui livrer assaut, le condottiere, au lieu de se renfermer dans sa forteresse, court à la rencontre de la troupe française, avec quatre cents lances et deux cents archers qui se jettent, à corps perdu, dans la bataille. Bockars et Jean de Châlons commandent la première colonne de la bande royale ; les comtes de Vaude mont et de Janville la deuxième ; l'Evêque de Troyes la troisième. Eustache d'Auberchicourt aboute successivement les deux premiers agresseurs. Vient le tour de Mgr Henri de Poitiers et de ses hommes. Là y eut mainte belle apertise d'armes, mainte prise et mainte rescousse. Un moment, les Anglais et les Navarrais du forban gagnent la partie. Mais Messire Jehan de Châlons et l'Esvesque de Troies, très bon chevalier se comportent avec tant de vaillance que, finalement, ils obtinrent la plache et fut li journée y aux (à eux). Et y fut pris messire Usdasses d'Aubrecicourt et fu fianchés prisons d'un chevalier qui eut moult de painne pour lui sauver, car li commun (le peuple) de Troies, le volloient tuer.

 

Un autre batteur d'estrade, Jehan de Segur, eut une fin tragique. Depuis longtemps, les laboureurs, opprimés par les malandrins que commande cet aventurier, leur dressent des embuscades qui les déciment. Voyant sa guérilla à peu près détruite, le Navarrais Jehan de Segur cède à l'évêque de Troyes la ville de Nogent-sur-Seine qu'il ne peut plus défendre et, moyennant cet accord, messire Henri de Poitiers emmène Ségur dans la cité épiscopale où il le loge en son hôtel. Vous resterez ici deux ou trois jours, jusqu'à ce que je m'acquitte de ma dette, dit le prélat au condottiere. Mise au courant de cette convention, la plèbe s'en irrite, court chez l'Evêque et réclame le trahiteur navarrois au prélat, naturellement réfractaire. Ce refus ne calme pas la populace qui, depuis trop longtemps, rançonnée, ne peut réfréner sa colère et massacre Jehan de Ségur sous les yeux même de l'Evêque (4 avril 1360), impuissant contre cette violence. Tout meurtre accompli dans une enceinte que sacre le droit d'asile exige un châtiment exemplaire. A la requête de l'évêque de Troyes, le Régent, — le futur roi Charles V, — confie à des Commissaires royaux la recherche et la punition des coupables. Une onéreuse amende frappe les uns et la peine de mort fait justice des autres.

Cet Evêque qui, le combat clos, après avoir vainement négocié la reddition du condottiere vaincu, tâche de le disputer à la sauvagerie de la foule et qui, l'attentat consommé, réclame la punition des massacreurs, ne représente-t-il pas la discipline supérieure de l'Eglise ?

 

L'Archevêque de Reims, messire Jehan de Craon, réussit, en revanche, à soustraire le chef de bande Hannekin François aux coups de la foule, non moins avide de son sang que de ses florins. La ville et le château de Roussy, assiégés par l'Archevêque et les chevaliers d'alentour, viennent de se rendre, après trois semaines de luttes. Si le traité accorde à Hannekin et à ses hommes la vie sauve, les gens des Communes, justiciers expéditifs, non contents d'avoir tué la plupart des prisonniers, veulent infliger le même sort à leur chef. La communauté de Rains et cil dou pays environ, — dit Froissart, — en occirent et moudrirent la plus grant partie. De quoi le seigneur fut durement courrouciet, mès amender ne le peut. A grand meschief peurent-ils sauver li chapitaine Hannekin François.

 

La fortune des armes favorise moins Mgr Gilles de Lorris, Evêque de Noyon, capitaine du Noyonnais, seigneur du bon pays de Vermandois, féal serviteur de l'Eglise Romaine et non moins loyal vassal du Roi de France. Par ordre du Régent, Mgr l'Evêque de Noyon, le baron Raoul de Coucy et autres seigneurs vont mettre le siège devant Mauconseil, la forteresse noyonnaise, et comptent la prendre, quand les assiégés appellent à leurs secours le chef de bande, Jehan de Picquigny, commandant du château d'Hérielle, Picard et bon Navarrois. Après avoir chevauché toute la nuit, les Anglo-Navarrois d'Hérielle tombent à l'improviste, dès la pointe jour, sur les troupes de l'Evêque de Noyon, et les taillent en pièces. C'est entre Noyon, Ourscamps et Pont-l'Évêque que le combat se déroule et déçoit la bravoure du parti français. Les tenants de la cause nationale laissent quinze cents morts sur le champ de bataille et de nombreux prisonniers. L'Evêque Gilles de Lorris et les chevaliers qui l'accompagnent, emmenés à Creil, ne reconquièrent la liberté qu'après avoir comblé Picquigny de copieuses rançons qui achèvent d'enrichir le condottière et d'effarer la province.

Parmi les Evêques du Languedoc et du Quercy, les Anglais ne rencontrent également que des adversaires ardemment dévoués à la cause française. En 1370, l'un d'eux, Bec de Castelnau, Evêque de Cahors, joint ses efforts à ceux de l'Archevêque de Toulouse pour faire armer la province contre les ennemis du Roi de France.

 

Entre tous les prélats batailleurs que la lutte passionne et que la haine de l'étranger enrégimente parmi les défenseurs les plus valeureux du sol national, Froissart exalte un homme d'Eglise, membre d'un Corps que sa placidité professionnelle ne prédispose pas aux aventures guerrières. Emule du légendaire Turpin, le chanoine Robersart a pris congé de son chapitre et déposé son aumusse pour revêtir le haubert et s'installer dans une forteresse du Vermandois, à Pierrepont, d'où, la hache d'armes à la main, notre belliqueux prébendé fond sur l'ennemi, aussitôt exterminé que découvert. Un jour, — raconte notre bon chroniqueur —, le sire de Pinon et ses gens d'armes, surpris non loin de Craonne, par une nombreuse bande de Navarrois, n'ont d'autre ressource, pour échapper à la défaite et au massacre, que de se retrancher dans un fossé plein d'eau, enclos de fortes haies. Mieux vaux, — dit le brave champion du Dauphin, — attendre ici la fortune que s'évader et périr. Pendant que les hommes se mettent en état de défense, un écuyer, homme de grand sens, dit à son varlet :

Monte sur mon coursier et ne l'espargne point et chevauce devers la garnison de Pierrepont. Tu trouveras là le Chanonne de Robersart : se li contes en quel parti tu nous as laissiés et li di qu'il nous vienque secourir. Il est bien si gentils chevaliers que il le fera volontiers.

Ha, Sire, respondi li variés, or prendres que je le trœuvre. Comment y pora-t-il venir à temps ? Il y a bien V grans liewes de ci.

Li escuiers respondit :

Fay-en ton devoir.

Le varlet chevauça tant sans cesser car il estoit bien montés que il vint à Pierrepont, en Laonnois, et jusques au Chanonne de Robersart, et li dist l'affaire tout ensi comment qu'il aloit. Li Chanonne dist que iroit jusques sus le place où cils les avoit laissiés et fist tantos sonner se trompète et monter toutes manières de compagnons à cheval et issi de Pierrepont. Si povient estre environ VIxx[3]. Li dis Chanonnes chevauça toudis les grans galos là où il pensoit à trouver les ennemis et tant fist que ils et toute sa route y vinrent. Si trouvèrent leurs compagnons moult lassés et ne leur vint onques secours si à point, car ils n'eussent peu durer longement.

Sitost que li Chanonnes de Robersart fu venus en la place où li sires de Pinon et li Navarrois se combatoient, il abaissa son glave et se féri eus de grant volenté et en abati de premières venues, ne scai II ou III. Ils et ses gens qui estoient frès et nouviaus, reculèrent tantost les compagnons qui estoient tout le jour combattu, et reboutèrent bien avant sus les comps, et en ruèrent tamaint par terre. Là fu li dis Chanonnes très bons chevaliers et y fist tamainte apertise d'armes et tenoit une espée à II mains dont il donnoit les horions si grans et si durs que nuls ne les osoit attendre. Que vous feroi-je lonch recort ? Il desconfi là ces pillars, et en y ot mors là sus le place plus de C et L, et cil qui peurent escaper, furent encores rencontré de Chiaus de Laon qui les partuèrent, et croy bien que il n'en escapèrent mies de C C C qu'il estoient, non plus de XV, que tout ne fuissent mort ou pris.

Pendant que ces improvisations de la défense individuelle intimident l'ennemi, ralentissent ses progrès, empêchent ses concentrations, le Dauphin, devenu Roi, sous le nom de Charles V, s'occupe d'enlever aux Anglais les forteresses qui les ravitaillent et d'où ils nous harcèlent. Nommé lieutenant du roi en Basse-Normandie, l'amiral de France, Jean de Vienne, reçoit, le 1er août 1374, l'ordre de faire rassembler les habitants des diocèses de Coutances, d'Avranches, de Seez, de Lisieux, tant personnes d'Eglise, religieux et séculiers, comme clercs et autres nobles de nos bonnes villes, à l'effet d'assiéger ou de bloquer le château de Saint-Sauveur le Vicomte, sis dans le Cotentin, à l'orée du val de Saire. En vertu de la même Lettre royale, les Evêques de Bayeux et de Coutances se voient intimer l'ordre de prendre les mesures nécessaires pour réduire la place. Sans hésiter, l'Evêque de Coutances, Sylvestre de la Cervelle, originaire de Saint-James de Beuvron, et l'Evêque de Bayeux, Milon de Dormans, fils du Chancelier de France, obéissent au devoir féodal qui leur incombe comme vassaux de la Couronne. Les pièces d'archives où se déroule l'histoire du siège nous montrent les deux prélats ainsi sommés, s associant de tout leur cœur aux opérations de l'amiral et partageant avec lui le succès à u blocus. Pendant plusieurs semaines, trente-deux bouches à feu font pleuvoir sur le château de Saint-Sàuveur une telle averse de boulets que, sous cette rafale, le capitaine anglais arbore le drapeau blanc et demande à se rendre. A qui revient le mérite de ce bombardement et de cette victoire ? A Jean de Vienne, sans doute, mais à ses auxiliaires ecclésiastiques aussi. Une missive royale, en date du 16 octobre 1375, décerne l'hommage suivant à l'Evêque de Coutances : Le dict évêque s'est si bien et si diligeamment porté au dict siège et à faire faire et enforcier les places d'environ le dict lieu de Saint-Sauveure le Vicomte que sa peine et sa diligeance ont assez valu à avoir et recouvrer la dite forteresse et la mettre hors de la main de nos ennemis. En vertu de quoi, le roi alloue à Sylvestre de la Cervelle une récompense de mille francs d'or, sur lesquels l'Evêque est tenu de consacrer environ les deux tiers, soit 700 francs, à l'allégement du peuple du païs[4].

 

V

 

Si, dans les temps dé troubles, il est souvent moins aisé de discerner son devoir que de l'accomplir, à quelles cruelles perplexités les conflits du XIVe siècle ne soumettent-ils pas les consciences les plus droites ! L'ennemi le plus obstiné du Roi de France, Charles de Navarre, réussit à s'attacher, non seulement des capitaines, des juristes, mais quelques hommes d'Eglise, crédules à la légitimité d'une cause que les complexités du droit féodal rendaient obscure.

Parmi ces ecclésiastiques et ces prélats, l'évêque d'Avranches, Robert Porte, ne sut pas se défendre contre les marques d'amitié dont le comblèrent Edouard III et son allié navarrais, intéressés d'ambition et d'orgueil à gagner à leur parti les pasteurs des peuples et les arbitres du devoir. Charles V ne pouvait absoudre l'erreur de Robert Porte. Un de ses édits flétrit l'Evêque d'Avranches, surpris, — déclare l'édit, — faisant assemblée de gens d'armes et chevauchant par plusieurs villes et forteresse de Normandie, au profit du roi de Navarre. Au mois d'avril 1378, quand Charles V charge le duc de Bourgogne d'aller, avec Duguesclin, le duc de Bourbon, l'amiral Jean de Vienne et le comte d'Harcourt, conquérir les places occupées par les lieutenants du roi de Navarre, l'évêque d'Avranches, Robert Porte, rebelle au roi Capétien, n'hésite pas à fermer la cité épiscopale aux mandataires du souverain légitime et soutient contre eux un siège qui n'aboutit, d'ailleurs, qu'au plus misérable échec. Ulcéré de cet outrage, Charles V déclare Robert Porte, faux traître, mauvais parjure, conspirateur, machineur, ordonne de saisir le temporel du prélat et décrète qu'on rase les murailles de la ville.

La justice du Moyen Age ne connaît pas de plus grand crime que l'infidélité du vassal. Un feudataire laïque, surpris dans les rangs de l'ennemi, se rend tributaire de la potence. Seul, le caractère sacré de Robert Porte préserve l'Evêque de la corde.

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Avec cette anarchie politique, où se font face, la lance au poing, les loyaux sujets du monarque français et les fauteurs de la dynastie anglaise, coïncide le schisme qui, pendant près d'un demi-siècle (1378-1418), scindera l'Eglise en deux partis groupant, l'un les catholiques fidèles au Pontife orthodoxe, l'autre les séides d'un antipape, boute feu d'erreurs et de haines. Pendant plus d'un demi-siècle, sous l'influence de cette dissension religieuse, le droit divin des Papes s'obnubile et leur suprématie périclite. Le même coup qui frappe le Pontificat suprême ébranle la société politique et bouleverse le monde moral Désormais, pour retrouver la République chrétienne, il faudra descendre, comme Dante, dans la région des morts.

 

D'où vient cette perturbation intellectuelle ? Des guerres fratricides qui ravagent la France et l'Europe. Inutilement les Papes ont voulu tourner contre l'Islam les ardeurs aventurières des jeunes peuples. La Croisade, que clôt la bataille de Nicopolis, épuise la vigueur d'une Chevalerie qui, plus obstinée et plus enthousiaste, aurait écrasé les Turcs dans les Balkans et préservé Constantinople d'une souillure qu'après plus de cinq cents ans, nous expions encore. Ne respirant que la cupidité et la vengeance, monarques anglais, princes navarrais ou allemands fomentent, contre nous, une lutte où ils embrigadent tous les coupe-jarrets, avides de curée, et lâchent sur les abbayes, les églises, les monastères, une écume militaire, sans foi comme sans drapeau, vraie frairie de crimes et de vices, opprobre et terreur du Royaume qu'elle dévaste et qu'elle souille. Une guerre courte assainit l'atmosphère ; les longues guerres l'empoisonnent. L'accoutumance de la guerre en détruit l'horreur. Sous la tempête des boulets, non seulement les édifices et les vies humaines s'effondrent, mais le Décalogue se démantèle. En même temps que les exhalaisons des champs de bataille éteignent peu à peu la lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde, la flamme des incendies fait reparaître, sur leurs piédestaux, César et les dieux barbares, Teutatès, Odin, Thor, qu'on croyait engloutis dans la nuit éternelle, et qui en sortent, la torche à la main. Le firmament chrétien se vide et l'Olympe se repeuple.

Aux déchirements des Royaumes s'ajoute la scission de l'Eglise en deux obédiences, l'une qui s'incline devant Urbain VI, le Pontife de Rome, et l'autre qui, dans Robert de Genève, le Pontife d' Avignon, élu le 20 septembre 1378, sous le nom de Clément VII, salue son légitime souverain spirituel. L'Italie, l'Angleterre, l'Allemagne, la Flandre se déclarent pour le premier ; Clément VII rallie à sa tiare à peu près toute la France. Délimitation flottante ! En changeant de maîtres ou de titulaires, les Royaumes, les Evêchés, les Comtés, changent de Pape. Certains diocèses ont deux Evêques, l'un urbaniste, l'autre clémenciste. Quelques Ordres religieux reconnaissent deux généraux ; plusieurs Ordres de Chevalerie obéissent à deux Grands-Maîtres. En 1383, Urbain VI appelle ses partisans à la Croisade contre les Clémencistes. Tous les croyants ont hâte d'en finir avec un schisme mortel à l'unité morale de l'Europe. Le Parlement d'Angleterre, enchanté de trouver dans ces conflits un prétexte nouveau pour envahir la France, ourdit contre nous une expédition dont il donne le commandement à Henry Despenser, Evêque de Norwich, moins chargé de nous assujettir au Pontife romain que de soumettre aux Lancastres le littoral flamand. A cette nouvelle, le roi de France, Charles V, concentre, près d'Arras, une armée où affluent les prêtres et les moines, également désireux d'affirmer, tout à la fois, les armes à la main, leur dévouement au Pape national et au monarque capétien. Urbain VI et Clément VII ont, l'un et l'autre, autorisé les ecclésiastiques à se croiser pour leur cause[5]. Après avoir successivement conquis Dunkerque, Bergues, Bourbourg et Cassel, l'Evêque de Norwich met le siège devant Ypres, et, contre l'inexpugnable forteresse, déploie vainement toutes les ressources de l'artillerie britannique. Ypres brise l'effort de l'armée épiscopale.

Avec cet échec se ferme, pour nos adversaires, la brève période de leurs succès. Les Français reprennent Cassel, Bergues, Bourbourg et délogent de Gravelines messire Henry Despenser qui, devant cette série de revers, comprend que le parti le plus sage est de suspendre des opérations si malheureuses et de regagner l'Angleterre, humiliée de tant de mécomptes. La cause que défend l'évêque de Norwich est, certes, la meilleure, mais, en affectant d'obéir aux instances d'Urbain VI, le Parlement anglais a voulu surtout opposer, dans les Flandres, à l'ascendant français l'influence britannique et n'a réussi qu'à populariser la Dynastie capétienne, désormais intangible.

 

 

 



[1] BOUTARIC, Institutions militaires de la France, 228.

[2] LA ROQUE, Traité du Ban et de l'Arrière-ban, 56 et sq.

[3] Six-vingt hommes d'armes, — soit 120.

[4] LÉOPOLD DELISLE, Hist. du Château de Saint-Sauveur le Vicomte, 187, 212 et 291.

[5] LAVISSE, Histoire de France, t. IV, 284-285.