HISTOIRE DE LA GRÈCE ANCIENNE

 

CHAPITRE VII. — L'ÉVOLUTION RELIGIEUSE.

 

 

La religion grecque n'est pas de celles dont le caractère peut se résumer en quelques formules. Elle n'a jamais été fixée en dogmes immuables, mais elle s'est au contraire sans cesse adaptée à l'évolution intellectuelle et morale du peuple raisonneur, curieux, ami des nouveautés, qui la pratiquait. C'est ce qui rend particulièrement malaisée l'histoire de ses origines. Les premiers documents écrits qui nous permettent de l'étudier sont les poèmes homériques et la Théogonie d'Hésiode : on y voit figurés des dieux nombreux, aux caractères bien tranchés. Dans ce polythéisme si clair on aurait tort de voir un état primitif de la religion grecque ; il est déjà le résultat d'une longue élaboration. Derrière ces aspects nets et déjà bien ordonnés il en faut supposer d'autres plus anciens et plus obscurs, dont les poèmes homériques n'ont pu éliminer tous les vestiges, que certains auteurs de l'époque classique, comme Eschyle, expriment parfois avec un singulier relief, et qui seuls enfin peuvent expliquer à la fois des représentations figurées, quelquefois très tardives, et des rites qui se sont perpétués jusqu'à une époque avancée de l'hellénisme. On essayera de résumer ici les hypothèses les plus vraisemblables qui ont été faites de nos jours sur ces aspects très anciens de la religion grecque, et sur les modifications successives qui l'ont amenée au point où on la trouve au début de l'époque historique.

 

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On a longtemps contesté, et souvent avec plus d'esprit que de méthode, qu'il pût y avoir rien de commun entre les religions des peuples de l'antiquité classique et celles d'autres groupements humains qui ne sont pas arrivés à un degré de civilisation aussi avancée. Il y avait, pensait-on, un véritable scandale à signaler des éléments semblables dans les croyances des Grecs et dans celles des sauvages. Il semble cependant que le miracle hellénique n'en est que plus merveilleux si, partis-de notions assez peu différentes de celles qu'on retrouve aujourd'hui chez les Cafres et les Indiens d'Amérique, les Grecs ont pu en tirer des conceptions d'une si grande valeur artistique, morale, philosophique, et les abus et les imprudences de la méthode comparative ne doivent pas avoir pour conséquence de faire négliger les rapprochements frappants auxquels elle a conduit. Il est bien probable qu'à une époque très ancienne de leur histoire, et sans doute même avant de pénétrer dans la presqu'île des Balkans, les Grecs croyaient à l'existence d'un être supérieur qui protégeait la tribu dont ils faisaient partie, et dans lequel cette tribu trouvait son expression idéale. L'existence de la tribu et sa prospérité dépendaient de celle de cet être ; mais la réciproque est vraie aussi : ce n'est pas un dieu d'un aspect stable et d'un caractère immuable ; il est en perpétuelle évolution, il peut être enfant, dans la force de l'âge, vieillir, mourir, et même renaître. De là ces dieux-poupons, assimilés plus tard à Zeus, ou à Dionysos, ces dieux ou ces héros qui souffrent, disparaissent et ressuscitent. Le dieu peut s'incarner dans des formes diverses ; le chef de la tribu, le roi, participe de son essence, et le principe de la royauté de droit divin a été formulé à l'aube comme au déclin de l'histoire grecque. Des correspondances mystérieuses s'établissent entre le groupe et son dieu d'une part, et d'autre part tel végétal, ou tel animal familier ou redoutable ; de là, jusqu'à l'époque classique, les clans de Fils du serpent, Όφιογενεΐς, les dieux à forme ou tout au moins à visage d'animaux — Héra au visage de vache, βοώπις, Athéna au visage de chouette, γλαυκώπις —, qui plus tard deviennent des divinités plus décentes, à forme complètement humaine, auxquels un animal, l'aigle de Zeus, la chouette d'Athéna, sert d'attribut.

De ce dieu, incarnation de la tribu, dépend aussi ce que la tribu a de plus précieux : ses troupeaux, ses moissons. Il peut avoir son siège dans la terre qui nourrit les uns et les autres. Dans des fêtes saisonnières, les fidèles l'invoquent et se le rendent propice par des rites magiques, où des symboles, souvent très grossiers, rappelant l'acte de la génération, sont destinés à assurer la fécondité des champs et des bêtes : le rôle du phallus dans le culte d'Hermès, dans celui qui plus tard a été rattaché à Dionysos et aux grandes déesses d'Éleusis, n'a pas d'autre origine. Une physiologie élémentaire se mêle en effet à ces conceptions religieuses : la Terre est imaginée comme une femme, d'abord vierge (Κόρη), puis fécondée par les pluies et les orages et devenant ainsi la Terre-mère (Δη-μήτηρ). Entre elle et les hommes actuels on supposa des générations d'êtres monstrueux nés directement de la Terre, Titans, Géants. L'assimilation avec les rapports humains se poursuivant, le dieu de la tribu en devint l'ancêtre, le héros qu'on se représentera sous une forme de plus en plus précise, serpent d'abord, — l'animal terrestre par excellence — puis homme ; peu à peu on établit son histoire ; à une date plus tardive on montre son tombeau ; de nombreux détails trahissent cependant son origine : à Athènes, le héros Cécrops, civilisateur du pays, a gardé, dans les peintures et les bas-reliefs de l'époque classique, sa queue de serpent.

Nés de la terre, les hommes y retournent après leur mort ; leur personnalité s'y confond avec celle de l'ancêtre de la tribu ; ils deviennent héros comme lui, comme lui objets de respect et de culte. La communication n'est pas interrompue entre les vivants et les morts, et les fêtes agraires se compliquent, comme c'est le cas pour les Anthesthéries athéniennes, de cérémonies où les morts sont évoqués par des rites et des formules magiques, puis, par d'autres rites et formules, renvoyés à leurs demeures souterraines. Car le mort est un être ambigu, respectable et bienfaisant, mais aussi redoutable, surtout s'il souffre ; de là les précautions prises pour assurer son bien-être : embaumement, offrandes, sacrifices sanglants et parfois humains. Les poèmes homériques ont conservé le souvenir plus ou moins précis de toutes ces pratiques, quoiqu'à l'époque de leur rédaction la coutume se fût déjà introduite d'incinérer les morts, sans qu'il ait été possible jusqu'ici de démêler dans quelles circonstances elle a pénétré en Grèce : on peut seulement constater que l'inhumation et l'incinération ont persisté côte à côte jusqu'à l'époque classique.

 

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A cette première couche d'êtres divins, nés de sentiments et d'émotions collectives, et attachés au sol, les progrès de la curiosité et de l'esprit scientifique en ont superposé une seconde, qui tire son origine de l'observation plus désintéressée du monde. Les dernières venues des tribus grecques ne s'étaient pas encore détachées du tronc indo-européen qu'elles avaient déjà fait un dieu suprême de la voûte céleste, qui surplombe l'univers — védique Djaus, ciel ; grec Ζεύς ; latin Diespiter, vocatif Juppiter. Arrivé en Grèce, Zeus est vainqueur des vieilles divinités du sol, Titans et Géants, qui essayent vainement de lui résister et d'escalader les hauts sommets qui supportent sa demeure ; mais il garde longtemps son aspect de parvenu, fier d'un succès récent et mal assuré : c'est ainsi qu'il apparaîtra encore, en plein Ve siècle, dans le Prométhée d'Eschyle. Dieu du ciel, il est aussi dieu des orages ; il brandit la foudre : une déesse-vierge, Pallas, se tient auprès de lui, la lance-éclair dans la main ; elle est la volonté brutale, puis la pensée réfléchie du dieu ; rude Walkyrie dans l'Iliade, elle devient dans l'Odyssée une sage conseillère des dieux et des hommes. Elle protège les cités, en particulier Athènes, d'où lui vient peut-être le surnom d'Athénienne (Άθηναία, Άθηνά), sous lequel elle est déjà connue dans les poèmes homériques. — Le Soleil, fils du ciel, qui, sous son nom trop transparent d'Hélios n'a jamais reçu qu'un culte restreint, devient une des grandes divinités helléniques avec le titre de Φοίβος, le Brillant, et celui, encore mal expliqué, d'Apollon ; son caractère ambigu, à la fois bienfaisant et redoutable, tient aux effets de la lumière et du soleil dans le dur climat de Grèce. A côté de lui, sa sœur la Lune, la Brillante (Φοίβη), porte également le nom, tout aussi obscur que celui de son frère, d'Artémis. Sous la voûte céleste s'étend la surface des terres et des mers, que supporte, qu'agite parfois en mouvements violents un dieu puissant (ΠοτειδάϜων, Poseidon), qui, adoré primitivement dans les régions particulièrement sujettes aux tremblements de terre — Béotie et golfe de Corinthe — conserve son titre de Porteur ou Ébranleur des terres (γαιήοχος, ένοσίχθων), jusque dans les poèmes homériques où cependant son pouvoir est limité à l'empire des mers. Le feu, dont les philosophes grecs feront plus tard un élément essentiel de l'univers, est aussi un être divin, sautillant et boiteux, comme la flamme vacillante — à l'instar du Lôge germanique ; le rôle du feu dans la céramique et la métallurgie naissante fera adorer principalement Héphaistos dans les centres industriels d'Asie Mineure et de Grèce, où il devient le patron mal vêtu des ouvriers forgerons.

La religion des tribus helléniques a dû être influencée par celle des peuples qu'elles ont trouvés établis avant elles en Grèce. On a parfois voulu attribuer aux Grecs indo-européens et pasteurs les divinités du ciel, aux préhellènes, agriculteurs et sédentaires, les divinités agraires et souterraines. Cette hypothèse simple et séduisante n'est pas confirmée, semble-t-il, par les indications de la linguistique et de l'archéologie : Déméter, la déesse agraire par excellence, porte un nom essentiellement indo-européen, et les représentations de phénomènes célestes double hache-tonnerre, lance-éclair, soleil, lune — ne manquent pas chez les populations préhelléniques de Crète et d'Asie Mineure. Il est en réalité très difficile, on a vu pourquoi (cf. II), de démêler ce que la religion grecque doit à la religion égéenne : tout au plus peut-on rappeler que le dieu-taureau crétois se retrouve dans les cultes et les mythes relatifs à Zeus, Dionysos, Poseidon ; que la Britomartis de Crète et d'Asie Mineure, dompteuse d'animaux, s'est identifiée, on ne sait comment, avec Pluché-Artémis, devenue une chasseresse nocturne.

Sur les confins du monde hellénique naissent des divinités dont quelques-unes pénètrent assez tôt en Grèce, tout en conservant longtemps leur caractère exotique. Les peuplades du Nord de la péninsule balkanique, qui faisaient, comme plus tard celles de l'Europe centrale, un grand usage de boissons fortement alcoolisées, adoraient un dieu qui procure l'ivresse, Bacchos-Bromios, fils de Zeus (Δνό-νυσος), et de la Terre, Sémélé, brûlée par l'éclair des orages fécondants. Avec son cortège d'hommes sauvages, Satyres et Silènes, et de femmes possédées do. Dieu, Ménades, il pénètre en Grèce où de buveur de bière il devient, en s'affinant, buveur de vin ; il est encore un nouveau venu dans les poèmes homériques où il ne joue qu'un rôle infime. C'est également du Nord que provient un dieu de nom et de caractère 'obscur, Arès, qui n'est encore dans l'Iliade qu'une brute batailleuse. Il y est uni à Aphrodite, qui, sans être une étrangère, — comme le prouvent, et son nom, qui semble bien hellénique, et l'importance de son culte dans les régions septentrionales de la Grèce, en particulier en Thessalie —, a pris son aspect définitif dans les fies, en particulier à Chypre, sous des influences diverses dont la plus importante est celle de l'Astarté phénicienne, divinité astrale, elle-même apparentée à d'autres déesses de Syrie et de Chaldée, dans le culte et les images desquelles s'expriment, souvent avec grossièreté, les idées de fécondité et de génération : Aphrodite est, jusqu'à l'époque classique, la seule divinité adorée en Grèce qui doive certainement quelque chose aux religions sémitiques.

 

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La religion grecque était donc, au début du premier millénaire, un assemblage très complexe de croyances et de rites d'origine et de nature diverses. C'est cette matière touffue et composite qui s'est peu à peu précisée et organisée grâce à un lent travail qui a abouti vers le VIIIe siècle aux mythologies homériques et hésiodéennes. C'est en ce sens qu'on peut dire avec Hérodote qu'Homère et Hésiode ont fait la Théogonie des Grecs, ont donné leurs noms aux dieux, ont attribué à chacun son domaine et ont fixé son aspect. Au cours de cette nouvelle évolution, les dieux, tout en prenant définitivement et exclusivement forme humaine, se séparent de plus en plus de l'humanité : la religion perd son caractère de communion pleine d'émotion pour devenir matière à des combinaisons érudites, à des développements littéraires, à des créations d'art. Les vicissitudes du dieu deviennent des événements dramatiques, analogues sans doute à ceux qui troublent la vie des hommes, mais qu'on situe dans un passé lointain, ou .dans les demeures inaccessibles de l'Olympe. Les vieilles pratiques destinées à assurer la fécondité sont expliquées par des mariages décents, tout au moins de poétiques amours ou de piquants adultères, comme celui d'Arès et -d'Aphrodite. Des généalogies compliquées s'élaborent. Une hiérarchie s'établit. Les anciens dieux indéterminés de la tribu, attachés au sol, deviennent des héros de caractère humain, qui vivent, souffrent et meurent, et dont le mythe. qui prend un aspect historique, est reconstruit d'après les rites de leur culte ; parfois aussi on essaye de les identifier avec l'une des grandes divinités cosmiques : Agamemnon, dieu thessalien qui avait très anciennement passé dans le Péloponnèse, devient dans l'épopée un roi triomphant, puis malheureux, mais reste adoré en Laconie sous le nom de Zeus Agamemnon. Les grands Olympiens dont la figure s'enrichit ainsi de fonctions, d'attributs et d'anecdotes empruntées, composent une société immortelle, fondée, comme celle des hommes, sur le principe de la famille et de la monarchie : Zeus, qui en est le père et le maître, habite dans son palais de l'Olympe comme Priam dans son palais troyen, et, ainsi que doit le faire un souverain parlementaire, il convoque l'assemblée des dieux, άγορά, quand il s'agit de prendre une résolution.

 

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Cette mythologie lumineuse pouvait répondre au goût de clarté des Grecs ; mais elle ne satisfaisait plus leur curiosité. Les vieilles divinités du groupe social, qu'on se représentait en perpétuel devenir, avaient suffi à expliquer la succession des phénomènes qu'il était donné à l'homme de contempler ; les nouveaux dieux, fixés dans une forme immuable, n'en rendaient plus compte. L'éveil de la pensée scientifique se manifeste par un effort pour enrichir la religion de conceptions philosophiques. Hésiode place au début de sa Théogonie un essai de cosmogonie, où la Terre, le Chaos, et Éros (l'Amour) — sans doute une vieille divinité béotienne de la fécondité — sont considérés comme le principe des choses. Au-dessus des dieux, Homère suppose les Destinées (Μοΐραι), que Zeus lui-même ne peut fléchir et qu'il ne fait que réaliser.

En même temps que la théologie, le culte s'organise. Les Grecs, lorsqu'ils arrivèrent dans la péninsule des Balkans, n'avaient sans doute pas d'autres prêtres que leurs chefs de tribus, qui, participant de l'essence divine, étaient les intermédiaires tout désignés entre le groupe et son dieu. Dans l'Odyssée, Nestor, une des figures les plus archaïques de l'Odyssée, sacrifie lui-même à Athéna, assisté de ses fils, et l'on a déjà vu (chap. IV) qu'après la disparition de la monarchie certaines familles royales conservèrent des fonctions sacerdotales. Mais avant même cette date, semble-t-il, un clergé véritable s'était constitué à côté de la royauté. L'Iliade mentionne déjà des prêtres, hommes et femmes, qui, chose curieuse, ne se rencontrent que du côté troyen, jamais dans l'armée grecque qui n'a amené avec elle que des devins, interprétant les signes où se manifeste la volonté des dieux, en particulier le vol des oiseaux.

Pendant que le clergé se constitue, le rituel se précise et s'épure. Aux rites magiques destinés à assurer l'existence et la prospérité de la tribu et de, son dieu succèdent, à mesure que ce dieu prend une personnalité plus définie et s'éloigne de ses fidèles, des sacrifices qui ont pour but, par une offrande appropriée, de procurer à celui qui le fait la bienveillance, l'aide effective et dans un cas déterminé, de la divinité. Les sacrifices humains, les rites sanglants où la victime est déchirée et dévorée par les fidèles, explicables lorsque la grande affaire était de communiquer, de communier, par l'intermédiaire d'un être bien choisi, avec le dieu, font place à d'innocents substituts, à des sacrifices d'animaux, à des offrandes de gâteaux, de fruits et de vin. Le retour périodique des fêtes, ramenées par les saisons, détermine la création de calendriers sacrés, dont les progrès de la vie urbaine atténuent peu à peu le caractère rustique.

Enfin le culte se concentre dans des édifices qui lui sont réservés. Les Grecs primitifs ne bâtissaient pas de temples à leurs dieux. Ils ne connaissaient que les foyers domestiques où l'on adorait les ancêtres, et des emplacements consacrés, choisis souvent parce qu'un phénomène naturel — source, grands arbres, exhalaisons, chute de la foudre — y manifestait la présence d'un dieu. Quelques-uns de ces lieux saints se sont maintenus jusqu'à l'époque classique : une enceinte de pierres et une inscription les protégeaient contre toute profanation. Il est possible que, les Grecs aient emprunté aux Crétois, et leurs idoles, et leurs chapelles, où l'on plaçait les images et symboles qui représentaient les dieux. Dès le VIIIe siècle, les progrès de l'anthropomorphisme, attribuant à la divinité l'aspect et les habitudes de ses fidèles, avaient fait de ces images des statues de forme humaine, souvent de grande taille, logées dans des bâtiments analogues à ceux qu'habitaient les hommes, et assez importants pour recevoir, avec le dieu, les offrandes qui lui étaient consacrées. Le temple grec est essentiellement une salle oblongue, comme celle du mégaron du palais mycénien (cf. chap. IV) orientée en général, comme l'église chrétienne, de l'est à l'ouest ; deux rangées de piliers intérieurs y supportent la charpente de la toiture ; une colonnade extérieure l'entoure (cf. chap. VI) et sert d'abri aux fidèles, qui ne pénètrent pas dans la demeure du dieu : les cérémonies auxquelles ils ont le droit d'assister ou de participer ont lieu à l'extérieur, autour de l'autel qui s'élève devant la face orientale. C'est sur ce modèle que sont déjà construits les vieux temples d'Héra à Argos et à Olympie. Pour pouvoir subvenir aux frais du culte, le clergé du dieu possède des domaines sacrés qu'il exploite ; et les offrandes précieuses s'accumulent dans les magasins des temples.

C'est ainsi que se constituent des sanctuaires où affluent les fidèles, d'autant plus que le dieu y fait parfois connaître sa volonté et y révèle l'avenir. A Dodone, au milieu des forêts de l'Épire qui pouvaient rappeler aux Grecs celles qu'ils avaient quittées autrefois dans la région du Danube, les prêtres interprétaient comme un signe de la volonté de Zeus le bruit du vent dans les branches des grands chênes. A Delphes, tout près de la route qui, aujourd'hui encore, mène de la Grèce septentrionale au golfe de Corinthe, Phoibos-Apollon, venu du Nord, remplaça une vieille divinité à forme de serpent, fils de la Terre, dont la présence se manifestait par des exhalaisons qui provoquaient, chez des sujets bien choisis, des crises nerveuses considérées comme prophétiques ; le nouveau dieu chasse l'ancien, mais s'approprie son oracle, et, de tous les points du monde hellénique, les simples particuliers comme les députés des villes viennent consulter la Pythie. A Olympie, Zeus supplante également des divinités locales, et son culte s'y unit à celui d'Héra, une vieille déesse du Péloponnèse. A Délos, les Ioniens des Cyclades se réunissent auprès du temple d'Apollon ; au cap Mycale, ceux d'Asie Mineure près du temple de Poseidon. Centres d'une religion d'où s'élimine peu à peu, on l'a vu, tout élément sentimental, et, l'on pourrait presque dire, religieux — au sens moderne du mot — ces grands sanctuaires ne sont destinés à jouer qu'un faible rôle dans la vie morale de la nation : par contre leur influence politique sera parfois considérable, et leur existence favorisera singulièrement le développement littéraire et artistique de la Grèce.

 

Bibliographie. — J. E. HARRISON. Prolegomena to the study of Greek religion. Cambridge, 1908. — J. E. HARRISON. Themis : a study of the social origins of Greek religion. Cambridge, 1912.