LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES — LE JUDAÏSME

 

CHAPITRE VI. — LES DERNIERS PROPHÈTES[1].

 

 

Le principe rationaliste, d’où toute critique doit partir nécessairement, ne permet pas de supposer qu’il y ait jamais eu des prophéties au sens où l’on prend ce mot généralement, c’est-à-dire de véritables prédictions de l’avenir. Ce principe suffit pour faire voir tout de suite combien on doit se défier de la tradition en ce qui regarde les Prophètes. Voici, par exemple, des prophéties attribuées à Isaïe, c’est-à-dire à un prophète du temps d’Ézéchias. Eh bien ! aux chapitres XIII et XIV, au chapitre XXI, et, enfin, dans la dernière partie du livre, qui commence au chapitre XL, on trouve exposé, avec la ruine de Babylone par Cyrus, le retour des Juifs dans la Palestine et le rétablissement de Jérusalem. Tous ces morceaux ne peuvent être d’Isaïe, qui vivait près de deux cents ans avant la chute de l’empire babylonien. Il est donc établi dès à présent, sinon pour tous les livres des Prophètes, du moins pour certaines portions de ces livres, qu’elles ne sont pas l’œuvre des personnages antiques auxquels on les attribue, mais qu’elles ont été composées longtemps après par des écrivains qui ont emprunté ces noms vénérés pour donner plus d’autorité à leurs discours. Les anciens prophètes prêchaient pour les hommes de leur temps ; on les fit prêcher encore pour ceux d’un autre âge. Les anciens passaient pour avoir prophétisé au sens où nous prenons ce mot, c’est-à-dire pour avoir prédit l’avenir ; on le leur fit prédire encore, et rien ne fut plus facile, puisque ce qui avait été pour eux l’avenir était devenu le passé. Dans la réalité, les inspirés qui croient voir l’avenir ne font que l’entrevoir bien vaguement ; ils s’écrient : Jérusalem va périr ; ou bien : Jérusalem sera sauvée ; voilà tout ce que les vrais prophètes avaient pu dire. Ceux qui parlaient sous leur nom pouvaient leur en faire dire bien davantage, et leur faire marquer le temps précis et les circonstances particulières de la ruine ou de la délivrance : c’est ce qu’ils ont fait. Il ne faudrait pas pour cela les accuser de mensonge. Le poète qui voulait épancher son âme sur des événements accomplis et développer ses sentiments et ses espérances ne trouvait rien de plus naturel que de faire parler dans son chant un de ces inspirés du temps passé, comme si celui-ci avait en effet aperçu et annoncé de loin les choses dont l’écrivain avait été le témoin. Il y à là d’abord un grand effet d’imagination, les événements, tristes ou glorieux, paraissant plus extraordinaires et plus divins quand ils sont ainsi comme annoncés à l’avance par une voix d’en haut. Puis, le prophète à qui l’écrivain donne la parole a une bien autre autorité, pour conseiller ou pour condamner, que lui-même n’en aurait pariant en son propre nom. Et enfin, remarquons qu’aucun scrupule ne pouvait arrêter celui qui hasardait cette espèce de prosopopée ; car lui-même est un croyant, pénétré de la grandeur de Iehova et du mystère de ses conseils ; il ne doute pas que ces événements qui agitent Israël ne soient, en effet, l’œuvre de son dieu, et qu’il ne les ait préparés comme autant de leçons ou de consolations pour son peuple. Il pense donc que les prophètes de Iehova ont dû les prédire, et que sans doute ils les ont prédits : si leurs prédictions se sont perdues, ou sont mortes avec eux, il ne s’agit que de les faire revivre par un effort de l’imagination : ce n’est pas mentir, ce n’est pas même feindre ; c’est retrouver et mettre en lumière la vérité : c’est faire à la fois œuvre de piété, de patriotisme et de poésie. Supposons que la tradition prophétique se fût perpétuée pendant les siècles chrétiens du moyen âge, et concevons que cinquante ans après la mort de la Pucelle, vers la fin du règne de Louis XI, un esprit passionné ait voulu parler au nom de Dieu à la France chrétienne, il aurait mis en tête de ses discours : Paroles de Jeanne la voyante. Il lui aurait fait prophétiser avant tout la terre française recouvrant son indépendance et l’Anglais chassé au nord et au midi ; puis sa pensée aurait pu s’envoler vers l’Orient : il aurait peint en vives images les barbares de l’Asie enveloppant la ville de Constantin, et la croix tombant du dôme de la Sainte-Sophie ; il aurait tonné contre la lâche indifférence des chrétiens, oui contre leurs divisions misérables ; il aurait flétri les ligues des grands vassaux contre leur roi, et sommé peut-être ce roi lui-même de se distraire de l’œuvre de sa grandeur et de sa fortune pour se charger de celle du salut de la chrétienté, d’être un saint Louis au lieu d’être un Louis XI. Chacun peut remplir en idée ce cadre, que je ne fais qu’indiquer. Et quel effet eût produit la voix de la bonne Lorraine, sortant en quelque sorte des flammes du bûcher de Rouen, pour faire appel à son pays ! Voilà à peu près ce qu’ont fait les auteurs du livre d’Isaïe et des autres livres semblables. Si la France n’a rien vu de pareil aux temps dont je parle, ce n’est pas la foi qui manquait, ni peut-être l’imagination ; mais on était déjà trop savant ; il y avait trop de livres, trop d’écoles ; l’imprimerie même était née. Les inspirés, d’ailleurs, auraient eu affaire à des pouvoirs réguliers fortement assis, exerçant un contrôle rigoureux sur tout enthousiasme et toute hardiesse particulière, et qui auraient fait demander aux prophètes, ou à ceux qui les auraient fait parler, un compte sévère de leurs prophéties. Il n’y avait rien de cela en Judée au temps des livres prophétiques : ce n’est que plus tard qu’il s’établit dans Jérusalem une discipline religieuse assez forte pour gêner la liberté de l’inspiration.

Malheureusement, le grand événement de la chute de Babylone est à peu près le seul point de repère qui puisse déterminer, sinon la date des prophéties qui en parlent, du moins une limite au-dessus de laquelle ces prophéties ne peuvent remonter. Il s’en faut donc beaucoup que l’on puisse constituer par là une chronologie des Prophètes. Établir cette chronologie est un travail des plus complexes et des plus difficiles, et qui n’a pas encore été fait.

Il semble que je pourrais me dispenser d’aborder même cette question, puisque, n’étudiant les Prophètes qu’au point de vue des origines du christianisme, il me suffirait de les prendre tels que les Juifs les ont donnés au monde hellénique, à la veille des temps chrétiens. Mais pourtant est-il possible de se trouver en présence de ces grands monuments religieux, sans les interroger sur les situations qui les ont inspirés, et d’écouter ces ardentes paroles, sans chercher où elles vont et d’où elles viennent ? Je ferai donc là-dessus d’abord quelques réflexions très générales. Si je ne puis donner la solution d’un si grand problème, j’essayerai de la préparer : je dirai ce qui empêche d’accepter simplement, à ce sujet, les idées reçues ; quels doutes et quelles conjectures s’offrent à l’esprit dans cette recherche, et comment on ne doit rien tenir pour décidé, ni par la tradition de la Synagogue ou de l’Église, ni même par le consentement des savants, s’il n’est pas assez appuyé de preuves, et s’il ne se présente que comme une autre espèce de tradition, à laquelle on n’a pas regardé d’assez près. . Ainsi tout d’abord, dans Isaïe, les savants s’accordent généralement à accepter les douze premiers chapitres comme appartenant en effet à l’époque où l’on place Isaïe lui-même, celle d’Ézéchias et de l’invasion assyrienne. Sur quoi cependant se fondent-ils ? Sur la tradition d’abord ; mais la même tradition donne aussi à Isaïe les prophéties sur Babylone, qu’aucun critique ne peut plus lui attribuer ; ensuite (et cette raison semble meilleure), sur ce que l’auteur des premiers chapitres parle des événements de cette époque comme un homme qui vit au milieu de ces événements et qui en paraît tout occupé ; mais voici une objection bien grave. Au milieu de ces mêmes pages, toutes pleines de l’invasion assyrienne, éclatent tout à coup des prophéties dont on ne peut trouver l’application sans descendre au temps de Nabuchodonosor, et même au temps de Cyrus.

On lit en effet, dès la première page du livre (I, 8) : Sion est demeurée comme une cabane abandonnée dans le vignoble après la vendange... comme un poste de guette isolé dans la campagne. Si Iehova n’avait laissé subsister un misérable reste, nous aurions été comme Sodome...

Un peu après (III, 1) : Iehova a enlevé à Jérusalem et à Juda son soutien... le soldat, le juge, le prophète... Les filles de Sion seront rasées ; on verra leur nudité... Les hommes tomberont par l’épée... Sion, désolée, sera gisante à terre dans son deuil.

Puis (V, 13) : Mon peuple a été emmené prisonnier tout à coup ; les plus grands sont tourmentés de la faim et les plus riches sont consumés par la soif... La colère de Iehova s’est enflammée contre les siens... Il a élevé un signal pour appeler l’étranger ; il le siffle, et le voilà qui arrive du bout de la terre.

Plus loin encore (XI, 11) : Le jour viendra que la main de Iehova recueillera les débris de son peuple, reste d’Assur, de l’Égypte et de l’Éthiopie... Il ramène les exilés d’Israël ; il rassemble les dispersés de Juda des quatre coins de la terre. Il est impossible que de telles paroles aient été prononcées avant le retour à Jérusalem qui suivit l’exil de Babylone.

Pour attribuer de tels passages à l’Isaïe du temps d’Ézéchias, il faut admettre qu’Isaïe a réellement prophétisé l’avenir. Dira-t-on que, sans être prophète, il a pu craindre et pressentir la ruine de son pays et la peindre de loin avec éloquence, pour enrayer et ra mener ceux qui poussaient Juda à sa perte ? Mais comment aurait-il prédit le retour miraculeux ? Non ; cela est écrit par quelqu’un qui a vu réellement Jérusalem désolée et les Juifs dispersés, et surtout par quelqu’un qui les a vus rétablis à la suite d’une révolution extraordinaire et inattendue. Ainsi, ce qu’on appelle le premier Isaïe n’est pas non plus authentique, et la distinction entre deux ou plusieurs Isaïes n’a rien sauvé.

Il reste, il est vrai, à s’expliquer comment un écrivain qui est au plus tôt du temps de Cyrus a pu prendre intérêt à ce qui se passait près de deux cents ans avant lui et s’en montrer si touché. Ici s’offre une explication qui se représentera souvent à nous, qui est que cet intérêt tient à la ressemblance de deux situations pareilles prises dans des époques diverses. Supposons, par exemple, qu’au temps où vivait réellement l’auteur du livre, Jérusalem ait été en danger comme elle l’avait été au temps d’Ézéchias, et qu’ensuite soit venue la délivrance : on comprend que l’écrivain se soit plu à mettre dans la bouche du vieux prophète, sous la figure du passé, le présent même qui le touchait si vivement.

Ce que je dis d’Isaïe, on verra tout à l’heure qu’il faut le dire également d’Osée, de Joël, d’Amos, d’Abdias, de Michée, et qu’ainsi il faudra tirer d’une manière générale cette conclusion, non pas seulement comme probable, mais comme certaine, qu’aucun livre prophétique n’à pu être écrit avant le temps de Cyrus.

Venons maintenant à cette époque même, et voyons si nous pouvons nous y reposer, soit pour les prophètes qu’on faisait remonter jusqu’au VIII siècle, soit pour ceux qu’on plaçait d’un commun accord au VIe, tels que Jérémie et Ézéchiel. Une première difficulté se présente.

Quand on passe des quatre premiers livres du Pentateuque, que j’appellerai, pour abréger, les Quatre livres, à Isaïe, et en général aux Prophètes, on aperçoit dans ceux-ci un autre esprit, un esprit nouveau, le même qui parait dans le Deutéronome. La religion juive s’y montre sous un aspect moins primitif ; elle est plus profonde et plus délicate à la fois, en un mot plus spirituelle ; on dira, si on veut, plus chrétienne. C’est ce que je vais développer tout à l’heure ; mais on le sent même avant tout examen. On reconnaît aussi que le judaïsme a dans les Prophètes, jusqu’au travers de leurs lamentations, un accent de fierté que rien ne fait pressentir dans les Quatre livres, qui montre qu’il se sent fortement établi et considérable en face des Gentils.

Il faut donc admettre que les Prophètes sont postérieurs aux Quatre livres ; mais si les Quatre livres eux-mêmes ne peuvent être placés avec vraisemblance avant le temps d’Esdras, c’est-à-dire avant le milieu du Ve siècle, il faudra faire descendre les Prophètes plus bas encore ; et maintenant où s’arrêter ? On ne peut s’empêcher de se dire qu’une fois la tradition démentie, une fois qu’on est emporté loin de la grande date de la captivité de Babylone, on ne sait plus à quoi se rattacher. Car, entre la restauration de Jérusalem et l’époque des rois macédoniens de Syrie, on ne trouve dans les annales des Juifs qu’un vide de trois siècles, où pas un fait de leur histoire n’a surnagé.

Rappelons ce qu’on nomme le second Isaïe, c’est-à-dire les chapitres XL-LXVI : nous y voyons que Iehova règne ; son Temple reçoit les hommages des nations ; on peut déjà s’écrier : Dieu des Juifs, tu l’emportes ! — Les bords de la mer recevront ta loi (XLII, 4). — Iehova s’est rendu glorieux en Israël (XLIV, 23). — L’Égypte, l’Éthiopie, l’Arabie... se prosterneront devant toi en suppliants et diront : Avec toi seul est le Dieu fort (XLV, 14). — J’en ai fait le serment, dit Iehova... tout genou ploiera devant moi, toute langue jurera par mon nom (XLV, 23). — Les nations accourent à Jérusalem, lui rapportant ses enfants dans leurs bras ; les reines sont leurs nourrices et les rois leurs nourriciers ; tous se prosternent devant Israël et baisent la poussière de ses pieds (XLIX, 23). — Le poète dit à Jérusalem (LIV, 5) : Ton rédempteur, le Saint d’Israël, sera appelé le dieu de toute la terre. — Plus loin (LVI, 6) : Les enfants de la terre étrangère qui se donneront à Iehova pour le servir, qui voudront aimer le nom de Iehova et se faire siens, qui craindront de profaner nies sabbats et observeront mon pacte, je les recevrai aussi sur ma montagne sainte ; je leur ferai fête dans la maison où mon nom est invoqué ; leurs victimes et leurs holocaustes, seront bien reçus sur mon autel ; car ma maison sera appelée la maison de prière de tous les peuples. Et enfin (LX, 4) : Lève les yeux, Jérusalem : voici tes fils et tes filles ; voici les trésors des nations ; les chameaux et les dromadaires apportent de tous côtés l’encens et l’or ; tous chantent les louanges de Iehova... Voici les peuples des bords de la mer ; voici les vaisseaux qui arrivent de Tharsis... Les fils de l’étranger aideront à bâtir tes murailles, et les rois se mettront à ton service... Ceux mêmes qui t’avaient accablée viendront se courber devant toi ; ils salueront la ville de Iehova et Sion aimée du Saint d’Israël.

Quand est-ce que de telles paroles ont été dites ? Je ne prétends pas le déterminer d’une manière précise ; mais on ne peut croire que ce soit dans le siècle qui suivit la chute de Babylone, temps rempli de difficultés, où les annales mêmes des Juifs nous les représentent comme ayant grand’peine à rétablir clandestinement, en quelque sorte, leur ville et leur Temple ; celui-ci ne fut rebâti que cent ans après Cyrus. Où donc faudra-t-il descendre ? Mais je ne sais pourquoi je suis allé chercher dans le second Isaïe ce qui n’éclate pas moins dans le premier. Voyez ces prophéties du chapitre II : il arrivera dans la suite des temps que la montagne de la maison de Iehova sera au-dessus de toutes les montagnes... et toutes les nations s’y rassembleront. Et les peuples y viendront, disant : Allons, montons à la montagne de Iehova, à la maison du dieu de Jacob, pour qu’il lions enseigne ses voies... La doctrine descend de Sion, et la parole de Iehova de Jérusalem. Il jugera entre les nations, il prononcera entre les peuples ; ils échangeront l’épée et la lance contre la faux et la charrue ; un peuple ne lèvera plus le fer contre l’autre ; ils ne se feront plus la guerre. Allons, maison de Jacob, marchons à la lumière de Iehova. — Et plus loin : Pour ce qui est des choses de néant (les idoles), tout périra... L’homme jettera les choses de néant faites de son argent et de son or ; il les laissera aux taupes et aux chauves-souris, au lieu de se prosterner devant elles. — Je m’en rapporte à l’impression du lecteur : croit-il que ce règne de Iehova, dans une Judée paisible et respectée, du milieu de laquelle toutes les idoles auront disparu, ait pu être annoncé avec cette confiance au temps de Zorobabel ? Est-ce dans ce même temps qu’un prophète a pu dire encore : Éphraïm ne sera plus jaloux de Juda et Juda ne fera plus de mal à Éphraïm ; mais ils se jetteront sur le dos des Philistins, vers la mer ; ils feront le ravage ensemble chez les fils de l’Orient ; Édom et Moab seront leur proie, et les fils d’Ammon leur seront assujettis ? — Où donc sommes-nous ?

Au chapitre XIX d’Isaïe, au milieu d’oracles sur l’Égypte qui semblent d’abord se rapporter aux temps anciens, on trouve tout à coup les versets suivants : En ce temps-là, il y aura cinq villes au pays d’Égypte qui parleront la langue de Chanaan et jureront par Iehova Sabaoth[2] ; et l’une d’elles sera appelée la ville du Soleil (suivant la leçon qui paraît la mieux autorisée). En ce jour-là, il y aura un autel à Iehova au milieu de l’Égypte... l’Égypte connaîtra Iehova et lui offrira des sacrifices... En ce temps-là, il y aura chemin ouvert entre Égypte et Assur, et Assur viendra en Égypte et Égypte en Assur, et Égypte et Assur adoreront ensemble ; et Israël fera le tiers avec Égypte et Assur ; et il y aura bénédiction sur cette terre ; car Iehova Sabaoth l’aura bénie par ces paroles : Que béni soit l’Égyptien, mon peuple, et Assur, l’œuvre de mes mains, et Israël, mon héritage.

Au milieu de l’obscurité que ce passage présente à quiconque veut l’interpréter par l’histoire antique d’Israël, un trait de lumière sort d’un passage de Joseph. Après qu’il a raconté comment Onias, dépossédé par le roi de Syrie de la dignité de grand prêtre, à laquelle sa naissance lui donnait droit, se réfugia en Égypte sous la protection de Ptolémée Philométor, et lui demanda la permission de bâtir en Égypte un temple à son dieu pour remplacer celui de Jérusalem, Joseph ajoute : Il était encouragé surtout dans cette demande par le prophète Isaïe, qui avait annoncé plus de six cents ans auparavant qu’il fallait absolument qu’un temple du dieu suprême fût élevé en Égypte par un Juif. Il suffit de ces paroles pour faire soupçonner que les versets qui prophétisent ainsi l’établissement du temple d’Onias n’ont été faits que pour ce temple et après ce temple ; de sorte que ce fragment au moins d’Isaïe se trouverait dater d’une époque étonnamment récente, puisqu’il descendrait jusque vers 130 avant notre ère[3].

Joseph fait dire un peu plus loin à Onias lui-même : Isaïe le prophète l’a prédit en ces termes : Il y aura en Égypte un autel où on sacrifiera au Seigneur notre dieu. Et il a ajouté diverses autres prédictions au sujet du lieu même. Joseph fait sans doute allusion au nom de Ville du soleil, en grec Héliopolis ; c’est en effet dans le nome de ce nom que fut construit le temple d’Égypte. Il est reconnu aussi qu’à cette même date où Onias établit son temple, le roi de Syrie Alexandre fit alliance avec le roi d’Égypte, dont il épousa la fille, et que le grand prêtre des Juifs, le frère de Judas le Machabée, fut convié aux fêtes du mariage et traité en ami par les deux rois. Comment ne pas appliquer à ces événements les derniers versets que j’ai cités, et ne pas reconnaître que le nom d’Assur signifie, en cet endroit, non pas l’antique empire assyrien, mais le royaume macédonien de Syrie, qui en était l’héritier ? Aussi je vois que M. Hitzig a soutenu, il y a longtemps déjà, que ce fragment .de prophétie ne pouvait avoir été écrit qu’à cette date, et on ne peut hésiter à adopter cette conclusion[4].

Il y a dans ce seul fait de quoi avertir la critique et la tenir éveillée ; mais on s’aperçoit bientôt que d’autres passages encore, soit dans Isaïe, soit ailleurs, conduisent l’esprit vers la même date. Non pas qu’il y en ait qui rassemblent des  indications aussi précises ; mais il s’en trouve plusieurs qui, sans contraindre l’esprit comme celui-là, lui donnent cependant la même impression, celle d’un temps qui doit être celui des rois de Syrie et des chefs Asmonées. Dans Isaïe même, je vois qu’un célèbre critique de la fin du XVIIe siècle, Vitringa, rapportait à ce temps les prophéties des chapitres XXIV-XXVIII[5].

Il faut dire que les anciens commentateurs, qui admettaient le surnaturel, ne devaient pas être plus embarrassés de trouver dans un prophète du temps d’Ézéchias les persécutions d’Antiochos que la captivité de Babylone. Tout est également présent aux yeux d’un prophète. C’est ainsi peut-être qu’Hiéronyme, dans la ville de No des livres prophétiques, a cru reconnaître Alexandrie ; si bien qu’en divers endroits de ces livres le nom d’Alexandrie subsiste encore aujourd’hui dans la Vulgate[6].

Cependant sur quoi compter, quand on se sent entraîné à une telle distance de la tradition ? Il est inévitable que l’esprit soit au moins traversé par cette idée, que peut-être on s’est trompé, non pas sur tel ou tel passage des livres prophétiques, mais sur l’ensemble même de ces livres, et qu’ils pourraient être tout entiers d’une date beaucoup plus récente que celle où on s’obstine à les placer. On n’a, après tout, aucune preuve matérielle et positive que ces prophéties, qu’on a crues nées de la grande crise de la destruction des deux royaumes, ne soient pas sorties plutôt d’une autre crise, celle qui a abouti au gouvernement des Asmonées et à l’indépendance des Juifs.

Mais quoi ! est-il possible de s’arrêter à une idée si éloignée des opinions reçues ? Indépendamment de tant d’autorités qui s’accordent à accepter la tradition, deux grandes objections paraissent s’élever tout d’abord contre une semblable hypothèse.

La première est que les livres prophétiques sont remplis des événements des anciens temps, et que les prophètes y paraissent placés au milieu de ces événements, de manière que toutes leurs actions et tous leurs discours s’y rapportent.

La seconde est que l’époque des Asmonées parait avoir elle-même sa littérature (on s’accorde aujourd’hui à regarder comme appartenant à cette littérature des livres tels que celui qui porte le nom de Daniel) ; que ces livres ont leur caractère, sensiblement différent de celui des Prophètes et plus moderne ; et que dès lors, si on les place au temps des Asmonées, les Prophètes doivent nécessairement reculer dans le passé. — Pour cette seconde objection, ce n’est pas encore le moment de la discuter ; ce moment viendra naturellement lorsque j’arriverai à ces livres.

Quant à ce qui regarde la première, il est bien évident que les livres prophétiques en général ont été écrits de manière à paraître contemporains de la chute de Jérusalem ou de la captivité de Babylone ; mais il s’agit précisément de savoir si ce n’était pas là une fiction. Du moment que l’écrivain prend le nom d’un personnage des vieux temps et le met en scène, il est clair qu’il ne peut le placer qu’au milieu des choses et des hommes d’autrefois ; mais je demande s’il n’est pas possible que ces images du passé couvrent en réalité des faits et des sentiments plus récents, sur lesquels le poète s’épanche ainsi avec plus de liberté et avec plus de grandeur. Isaïe, par exemple, dans le livre qui porte ce nom, voit le royaume de Juda menacé et enveloppé par l’invasion assyrienne ; il annonce que d’ici à peu l’ennemi va se retirer et disparaître de la terre d’Israël, et que Jérusalem va se retrouver libre, prospère et même triomphante. Eh bien ! ne se peul-il pas faire que sous ces figures l’écrivain ait en effet dans la pensée, non pas l’invasion assyrienne, mais celle des Syriens ; non pas la retraite de Sennachérib, mais celle d’Antiochos ; l’affranchissement des Juifs par Judas et Jonathas, et enfin le principat glorieux de Simon et d’Hyrcan ?

Il y a une chose qui frappe en général dans les livres prophétiques : c’est le caractère rapide et presque soudain des révolutions auxquelles ils nous font assister. Chaque prophète semble avoir lui-même ressenti, et les angoisses de Jérusalem dans sa ruine, et les joies de sa délivrance et de sa grandeur. Les images de désolation et celles de paix et de gloire se succèdent dans leurs chants comme leur ayant été tour à tour présentes. Or, si l’on considère qu’il s’est passé, d’après la chronologie généralement adoptée, trois quarts de siècle entre la chute de Jérusalem et la chute de Babylone, et qu’à partir de ce dernier événement la restauration de la cité de David a été une œuvre très pénible et très lente, on reconnaîtra qu’à cette époque il n’y a pas eu parmi les Juifs un seul homme qui, ayant vu les calamités, ait pu voir ensuite les jours heureux, ou qui ait pu associer à l’orgueil des temps heureux la mémoire des anciens désastres. Au contraire, au temps des Asmonées, tout va vite : il n’y a pas vingt-cinq ans entre la profanation du Temple par Antiochos et la proclamation de l’indépendance des Juifs par Simon. C’est là seulement que la chronologie est d’accord avec l’impression que les textes nous communiquent.

Ajoutons que certaines difficultés historiques s’évanouissent par ce simple déplacement des prophéties. Jérémie prophétise à plusieurs fois la conquête de l’Égypte par Nabuchodonosor, et il annonce que le roi Éphréé sera prisonnier (XLIV, 30). Ézéchiel (XXX, 10, etc.) a répété les mêmes menaces ; et cependant Nabuchodonosor n’a pas conquis l’Égypte ni fait prisonnier le roi Éphréé, l’Apriès des Grecs[7]. N’est-ce pas que Nabuchodonosor veut dire ici Antiochos l’Épiphane ; qu’Éphréé signifie Ptolémée Philométor, et que le prophète a dans l’esprit la victoire du roi de Syrie, qui s’empara de la personne même du roi d’Égypte, sans le faire précisément prisonnier ? Il a suffi peut-être que Nabuchodonosor eût essayé, quoique en vain, de soumettre l’Égypte, pour qu’on se soit servi de son nom dans une prophétie menaçante, ce nom paraissant assez antique pour pouvoir y figurer[8].

La prophétie de la prise et de la ruine de Tyr par le même Nabuchodonosor est à la fois dans Isaïe, dans Jérémie, dans Ézéchiel, dans plusieurs des Douze. Cependant il est constant que Nabuchodonosor a assiégé Tyr sans pouvoir la prendre[9]. Tyr n’a été réellement emportée d’assaut et mise à sac que par Alexandre ; il est donc à croire que c’est la victoire d’Alexandre qui est célébrée par les prophètes. Remarquons d’ailleurs que la prophétie ne s’arrête pas, du moins dans Isaïe, à la ruine de la riche cité ; elle dit encore qu’après un long abaissement Tyr retrouvera son éclat, et qu’enfin il viendra un temps où à son tour, comme tous les peuples, elle rendra hommage à Iehova et à son Temple.

On peut demander encore comment on s’explique, si on suppose que la prophétie sur la ruine de Babylone par Cyrus n’est pas contemporaine de l’événement, que cette grande chute y soit présentée et étalée avec tant ale chaleur et de passion. Il ne faut pas oublier que la haine des Juifs pour Babylone était sans cesse rajeunie par leurs luttes contre la puissance maîtresse de l’Asie, qu’ils continuaient d’appeler du nom de Babel. Après Cyrus et même après Alexandre, elle reçut plus d’un affront qui put réjouir celle haine, par exemple de la part de Ptolémée Evergète, puis des Romains et des Parthes ; à chacune de ces occasions, la prophétie pouvait se réveiller. Enfin la mémoire des anciennes humiliations de Babylone a pu encore être rappelée comme une insulte et une menace, pour exprimer non pas tant ce que Babylone avait souffert que ce qu’on espérait un jour lui faire souffrir.

Cette dernière considération peut aider à se rendre compte de ce que des critiques ont appelé les prophéties non accomplies. Quand on croit que les prophéties ne sont pas prophéties, mais un simple écho des événements, on a peine à comprendre qu’il y ait des prophéties non accomplies : voici pourtant comment cela peut s’entendre. Il n’y a guère que deux choses dans les livres des Prophètes : les avantages des Juifs, les échecs de leurs ennemis ; et, au sujet des uns comme des autres, une passion toujours prête à exagérer et à dépasser la vérité. Elle le ferait même sous la forme du récit ; car c’est ce que font tous les esprits chez qui l’enthousiasme domine. Elle pouvait le faire encore plus à son aise sous la forme, prophétique, où l’on n’a à répondre de ses paroles que dans l’avenir. Ainsi, qu’une nation ennemie ait été frappée, l’écrivain ne fait que célébrer cette défaite en mettant en scène un prophète qui la prophétise ; mais sous cette forme il peut s’abandonner à sa verve et, au lieu de faire dire au prophète qu’elle sera frappée, lui faire crier qu’elle sera détruite et anéantie, quoique cela ne soit pas encore vrai et peut-être ne doive jamais l’être. Voilà en quel sens sa prophétie peut se trouver en désaccord avec la réalité ; ce n’est pas mensonge ni erreur, c’est hyperbole et poésie.

Peut-être même est-il arrivé quelquefois que le prophète, se laissant entraîner à ses sentiments, n’ait pas attendu les faits et ait composé sa prophétie avec ses espérances ou avec ses vœux ; mais je crois que cela a été rare, si même cela a jamais été.

Je rappelais en commençant que les critiques distinguent généralement deux Isaïes. Ce n’est pas cette distinction que je conteste, mais seulement la supposition que le premier Isaïe soit aussi antique qu’on l’a fait. Rien d’ailleurs n’est plus légitime que de regarder les écrits prophétiques un peu étendus comme des recueils de divers morceaux indépendants les uns des autres. Il n’y a aucune espèce de composition dans ces livres ; ils se présentent comme une suite de chants détachés qu’on a rassemblés sous un même nom. Il est impossible de ne pas sentir, quand on arrive au chapitre XL, qu’on entend tout à coup une voix nouvelle, qui a son accent particulier. Mais je ne crois pas que ce second Isaïe aille lui-même jusqu’à la fin du volume. Je remarque par exemple au chapitre LVI un verset qui contredit formellement un texte du Deutéronome. Celui-ci dit d’une manière expresse (XXIII, 1) : L’eunuque n’aura pas de place dans la république de Iehova. Le prophète dit au contraire (LVI, 3) : Que l’eunuque ne dise point : Je suis un arbre mort. Car voici ce que dit Iehova : Les eunuques qui observeront mes sabbats, qui garderont Ives commandements, qui seront fidèles à mon pacte, je leur donnerai dans ma maison et dans mes murailles une place et une mémoire meilleures que celles que donnent des fils et des filles, une mémoire à toujours et qui ne périra pas. Ces versets, qui marquent déjà, pour ainsi dire, parmi les fidèles, la place de l’eunuque de la reine d’Éthiopie, dont parlent les Actes des apôtres (VIII, 27), appartiennent probablement à des temps plus récents encore que le reste et tout voisins des temps chrétiens.

 

Le livre de Jérémie, qui vient après celui d’Isaïe, ne présente en apparence qu’un tableau d’histoire, de l’histoire des dernières années du VIIe siècle avant notre ère. Le prophète lui-même y est presque toujours en scène, à côté du dernier roi de Juda et en face d’autres prophètes, ennemis de Iehova, dont l’influence lutte contre la sienne ; ces temps désastreux sont là comme présents ; cependant un esprit habitué à la critique ne peut s’empêcher d’être étonné de la couleur générale de ces récits ; l’état des âmes qu’ils lui représentent lui donne une impression autre que ne fait, par exemple, la lecture du livre des Rois : il se demande enfin si les scènes du VIIe siècle ne sont pas là simplement un cadre, dans lequel un écrivain bien plus moderne a placé les choses de son temps. Quand Israël nous est montré comme s’abandonnant tour à tour à Assur et à l’Égypte (II, 18, etc.), s’agit-il bien de l’antique Égypte et de l’antique Assur, ou des royautés rivales des Séleucides et des Lagides ? Est-ce en face de Nabuchodonosor, ou des rois grecs de Syrie, que le prophète nous fait entendre Jérusalem qui dit avec impudence : J’aime les étrangers ; j’irai après eux ? (ibid., 25). Ces temps où les prêtres mêmes sont parmi les souillés, les profanes (XXIII, 11), où ils crient : La paix, la paix, et ce n’est pas la paix (VI, 14), paraissent bien ceux où les grands prêtres sont les créatures des Macédoniens et les servent contre les purs. C’est alors que le fidèle peut se dire : Tes frères mêmes et la maison de ton père te sont ennemis et s’ameutent contre toi (XII, 6) ; et il baisse la tête sous l’outrage et sent la rougeur couvrir son front, parce que l’étranger est entré dans le sanctuaire de la maison de Iehova (II, 51). C’est alors aussi que Juda se relève de son opprobre et retrouve un chef né chez lui, un maître sorti de lui (XXX, 21, et XXIII, 5).

 

Ce qu’on peut conjecturer pour Jérémie, on le peut aussi pour Ézéchiel, et celui-ci, étant placé dans la Bible à la suite de Jérémie, est probablement plus récent encore. On trouvera dans une dissertation de Zunz, traduite et publiée en tête d’Ézéchiel dans la Bible de Cahen, des observations savantes qui appuient cette présomption[10].

Les angoisses décrites au chapitre v et ailleurs, et qu’on rapporte au siège de Jérusalem par les Chaldéens, peuvent aussi bien se rapporter aux épreuves que la ville sainte et la Judée eurent à souffrir sous Judas, sous Jonathas, et au début même du principat d’Hyrcan. Là aussi on voit les frères qui se tournent contre les frères et qui les chassent de Jérusalem (XI, 15).

Maintenant, pour Ézéchiel comme pour Jérémie, si on entre dans la voie conjecturale que j’ai indiquée, si on suppose que ces prophètes appartiennent, non aux temps de l’invasion chaldéenne, mais à ceux de la lutte contre les Syriens, il s’ensuivra que les tableaux qu’ils font de l’idolâtrie dont ils sont témoins se rapportent aussi à ces temps. C’est, comme je l’ai expliqué à propos du Deutéronome, une idolâtrie nouvelle, propagée par la Syrie, et par laquelle la Judée du second siècle avant notre ère vivait encore en plein paganisme. Ô Juda, s’écrie Iehova, il y a chez toi autant de dieux que de villes (Jér. II, 28). Ézéchiel nous représente les anciens d’Israël qui s’enferment dans leurs chambres aux images pour s’y livrer aux pratiques d’un culte secret, et les femmes accroupies dans l’enceinte même du Temple, qui y font le deuil de Tamouz ou d’Adonis (Éz. VIII, 10-I2 et 14). L’idolâtrie ne put être étouffée que par la réaction violente qui suivit la victoire des fidèles, exaspérés dans leur foi par la lutte même[11].

J’arrive aux Douze, dont les premiers, par une complaisance générale pour la tradition, ont été supposés de la plus haute antiquité et reportés jusqu’au VIIIe siècle. Osée, par exemple, étant tout rempli de l’infidélité d’Éphraïm (ou de Samarie) et de la ruine qui en a été le châtiment, on a trouvé tout simple de le regarder comme contemporain de l’invasion assyrienne. J’ose dire qu’il est démontré qu’on s’est trompé. On n’a pas fait attention qu’Osée annonce aussi la ruine de Juda, qu’il prophétise expressément l’exil et la dispersion des Juifs et leur retour dans la Palestine. Les fils de Juda et d’Israël seront ramenés ensemble, et ils n’auront plus qu’une seule tête, et ils remonteront de la terre étrangère (I, 11). — Les fils d’Israël demeureront bien des jours sans roi, sans chef, sans sacrifice.... Puis les fils d’Israël reviendront à Iehova leur dieu et à David leur roi, et ils reconnaîtront Iehova et ses bienfaits à jamais (III, 4-5), etc. Cela évidemment a été écrit, au plus tôt, après la captivité de Babylone. Je dis au plus tôt, car rien ne nous retient à cette date ; les mêmes doutes reviennent, qui sont déjà entrés dans notre esprit, et ces versets peuvent s’appliquer tout aussi bien à des révolutions beaucoup plus récentes. A la suite de la persécution d’Antiochos, les Juifs vraiment Juifs ont vécu longtemps loin de Jérusalem et du Temple ; ils ont été plusieurs années sans grand-prêtre, c’est-à-dire sans prince, aussi bien que sans culte. Et surtout ce n’est véritablement qu’au plus beau temps des Asmonées qu’on a pu voir, selon la parole d’Osée et des autres, Éphraïm et Juda vraiment unis ; c’est-à-dire la Judée entière ne formant qu’un seul peuple, olé tous ensemble servent Iehova et détestent l’étranger. Cela ne s’était pas vu certainement à l’époque de Zorobabel[12].

Les mêmes questions peuvent se poser pour chacun des livres des Douze, mais je ne puis les répéter indéfiniment. Il ne faut pas cependant laisser passer la prophétie d’Abdias, qui se réduit à une page. Cette page est une invective contre Édom ou l’Idumée par quoi a-t-elle été inspirée ? Comment n’être pas tenté de croire que c’est précisément par cette conquête de l’Idumée, qui fut l’action la plus brillante du principat d’Hyrcan ? C’est alors seulement qu’on a pu dire : La maison de Jacob sera le feu, la maison de Joseph sera la flamme, et la maison d’Ésaü (c’est-à-dire Édom) sera la paille ; ils la briseront et la consumeront, et il ne restera rien de la maison d’Esaü.... Les libérateurs siégeront sur la montagne de Sion pour juger la montagne d’Esaü, et l’empire sera à Iehova.

C’est sans doute par une pure fiction que Jonas nous transporte à Ninive. La prière de Jonas dans le corps du poisson ne se rapporte en rien au récit où on l’a placée : c’est le chant de douleur d’un Juif fidèle, exilé de Jérusalem et du Temple. Il ne tient au roman que par les expressions d’abîme de la mer, d’eaux et de vagues, qui sont en réalité de pures métaphores. Ninive n’est probablement qu’une figure pour dire Antioche.

La même prophétie qui se lit au chapitre II d’Isaïe sur la grandeur de Jérusalem et de Sion, paisible et respectée au milieu des peuples, se retrouve au chapitre IV de Michée, sous une forme plus pleine, qui est peut-être sa forme originale. Ces mots du verset à : Chacun alors sera assis sous sa vigne et sous son figuier, ont été employés par le Premier livre des Machabées dans le tableau du principat de Simon (XIV, 12). Le passage de Michée se termine sur cette profession de foi pleine d’assurance : Les autres peuples marchent en invoquant le nom de leurs dieux, et nous, nous marcherons en invoquant le nom de Iehova notre dieu à tout jamais. Le prophète annonce qu’un prince régnera sur Israël par la force de Iehova, et ce sera la paix. Après qu’Assur sera venu sur notre terre et aura foulé aux pieds nos forteresses, nous ferons lever contre lui sept pasteurs du peuple et huit chefs consacrés (c’est-à-dire simplement un grand nombre), et ils ravageront la terre d’Assur avec l’épée... Et pour les restes de Jacob, perdus dans la multitude des nations, ce sera comme une rosée de Iehova et comme l’eau de la pluie sur l’herbe, qui ne dépend pas du travail du cultivateur ni du secours de la main de l’homme... (V, 5-7). En ce temps-là, on viendra à toi d’Assur même et dès villes de l’Égypte, depuis l’Égypte jusqu’au fleuve (l’Euphrate), et d’une mer jusqu’à l’autre, et d’une montagne jusqu’à l’autre... Les nations le verront, et seront confondues dans leur puissance (VII, 12 et 16). Ce n’est qu’au temps des Asmonées que les Juifs ont porté les armes sur la terre d’Assur, c’est-à-dire des Syriens ; ce n’est qu’alors aussi que les yeux des Gentils se sont fixés sur Israël et que tous les peuples ont donné à Iehova des adorateurs.

Il est permis de croire que la peinture de la destruction de Ninive dans Nahum, comme ailleurs celle de la destruction de Babylone, sert à couvrir les vœux et les rêves de vengeance que faisaient les Juifs au sujet d’un ennemi plus moderne, c’est-à-dire le royaume de Syrie. On peut supposer que l’apostrophe : Célèbre tes fêtes, ô Juda ! le méchant n’entrera plus chez toi (II, 1), se rapporte à la délivrance de Jérusalem après la profanation du Temple par Antiochos l’Épiphane, et que le passage sur la grande ville égyptienne qui a été forcée par l’ennemi (III, 8) est un souvenir de l’invasion d’Antiochos en Égypte.

Dans ces Chaldéens d’Habacuc (I, 6), nation méchante et inquiète, qui traverse un pays pour s’emparer des tentes qui ne sont pas les siennes ; dont il est dit qu’ils ont dépouillé des peuples, mais que les restes des peuples les dépouilleront à leur tour, à cause des hommes qu’ils ont tués et des violences qu’ils ont faites au pays, à la ville et à ses habitants ; qu’enfin une force viendra du Liban pour les accabler (II, 8, 17), j’ai peine encore à ne pas voir les Syriens, punis, par les incursions d’Hyrcan et ses victoires en Syrie, du mal qu’ils avaient fait à Jérusalem.

Sophonie célèbre aussi la délivrance de Juda, mais plus encore peut-être une révolution intérieure, qui n’est venue qu’à la suite de la délivrance, qui a été la victoire définitive de Iehova et de sa Loi, et qui a fait disparaître sans retour les dieux des Gentils et leurs images. Les infidèles, les indifférents même sont confondus ; les purs triomphent, et ils frappent durement leurs ennemis. En ce temps-là, je fouillerai Jérusalem la lampe à la main, et je punirai ces hommes qui reposent tranquillement comme un vin sur sa lie, et qui disent en leur cœur : Iehova ne peut faire ni bien ni mal (I, 12). Les puissants de la ville sont abattus ; ceux qui étaient méprisés prévalent : Jérusalem, il ne restera plus en toi que les humbles et les petits, ceux dont le recours est dans le nom de Iehova... Je les ferai glorieux dans la terre de leur ignominie (III, 12). Pour l’étranger, il est menacé à son tour ; c’est Juda qui porte le ravage tout autour de lui, jusque chez Assur et dans Ninive (II, 13). Ne sont-ce pas là encore les guerres et les conquêtes d’Hyrcan, exagérées par l’hyperbole lyrique ? Alors je donnerai à tous les peuples des lèvres pures, pour que tous invoquent le nom de Iehova (III, 9).

La prophétie d’Aggée est la première qui ne soit pas attribuée à un prophète des temps qui ont précédé la destruction du royaume de Juda : Aggée est censé parler sous Darius, à propos de la reconstruction du Temple. Cela même ne peut guère être accepté par une critique rationaliste : elle n’admettra pas aisément que dans ces temps difficiles on ait pu promettre au nom de Iehova que l’or et l’argent abonderaient dans son Temple, et que ce Temple serait plein de gloire (II, 7 et 8). Elle supposera encore que ce n’est là qu’une fiction, sous le voile de laquelle il est parlé d’un projet de reconstruction du Temple à une époque plus récente. Mais ici on ne saurait s’arrêter à celle des princes Asmonées. Comme ils étaient tout à la fois princes et grands prêtres, on ne peut trouver dans leur histoire, à côté l’un de l’autre, un chef politique et militaire qui serait représenté par le Zorobabel du prophète, et un grand prêtre figuré par son Josué. Faudra-t-il donc descendre jusqu’à Hérode ? Si on se détermine à aller jusque-là, il semble que tout s’éclaire. Hérode a en effet reconstruit et agrandi le Temple, et dans cette entreprise il rencontra d’abord la défiance et l’opposition des Juifs[13] ; c’est à quoi s’applique très bien ce verset (I, 2) : Ce peuple dit : Le temps n’est pas venu de rebâtir le Temple de Iehova. Un peu plus loin Iehova dit que, parce qu’on négligeait son Temple, il a désolé le pays par la famine (I, 6, etc.). Et, en effet, il y avait eu une famine épouvantable en Judée deux ans avant le moment oit Hérode fit commencer les travaux. Enfin Aggée termine en prophétisant un ébranlement général du monde, des royaumes renversés et les hommes tombant sous l’épée de leurs frères (II, 22) : En ce temps-là, dit Iehova, je te prendrai, Zorobabel, mon serviteur... car je t’ai choisi. Ne seraient-ce pas là ces guerres civiles des Romains qui ont enfanté l’empire, et au milieu desquelles s’est établie la grandeur d’Hérode et sa royauté ?

Zacharie est donné par la tradition comme ayant prophétisé précisément en même temps d’Aggée, et si on applique à cette seconde prophétie la conjecture qui a été indiquée pour la première, on trouve qu’elle s’y prête tout aussi bien. C’est encore la reconstruction du temple par Hérode qui peut paraître figurée au chapitre III. Lui-même serait ce serviteur de Iehova, ce rejeton en qui repousse la royauté juive et qui donne des branches à son tour (III, 8, et VI, 12). — Ses mains ont fondé la maison de Iehova, et ses mains l’achèveront (IV, 9) : cela peut être dit de Zorobabel, mais aussi d’Hérode. Les deux fils de l’huile, c’est-à-dire de l’Oint (IV, 14), peuvent bien être ces deux fils d’Hérode, Aristobule et Alexandre, qui reparurent en Judée au moment précisément où le Temple venait d’être achevé, et qui furent si agréables au peuple[14]. On lit plus loin (IV, 13) : Il bâtira le Temple de Iehova, et il régnera sur son siége ; le grand prêtre aussi sera assis sur son siège, et entre ces sièges sera la paix ; et cela s’applique encore à merveille. La prospérité et l’éclat du règne d’Hérode, la grande figure que faisaient alors la Judée et le judaïsme, justifient tout à fait ce verset célèbre (VIII, 23) : En ce temps-là, dix hommes de toute langue s’attacheront au Juif par le pan de sa robe, lui disant : Nous irons avec vous, car nous avons reconnu qu’un dieu est avec vous. Quant aux visions du chapitre II, les quatre cornes sont sans doute les quatre empires qui avaient tenu les Juifs sous leur domination (comme au chapitre VII de Daniel), et les ouvriers qui brisent ces quatre cornes sont les Romains.

Les derniers chapitres (à partir du neuvième), où on a cru voir une prophétie plus antique que la première, peuvent recevoir pourtant la même interprétation, quelle que soit l’obscurité où restent certains détails. Les trois pasteurs retranchés en un mois (XI, 8) ne seraient-ils pas les trois derniers Asmonées ? Le siégé de Jérusalem, décrit au chapitre XII, peut être celui qu’Hérode, appuyé d’une armée romaine, fit subir à la ville sainte, qu’il emporta après cinq mois, en l’année 37 avant notre ère : c’est alors que Juda même (c’est-à-dire les hommes de Juda), était au nombre des assiégeants (XII, 1). Joseph nous apprend[15] que, peu de temps après la prise de la ville, pendant la bataille d’Actium, il y eut en Judée un affreux tremblement de terre, qui tua des milliers d’hommes et beaucoup de bétail ; ce tremblement de terre se retrouve dans la prophétie (XIV, 4-5). Et elle ajoute qu’à partir de là, c’est-à-dire à partir du règne d’Auguste, la Judée sera tranquille (la royauté d’Hérode étant affermie), et Jérusalem reposera en pleine paix.

On remarquera que les deux prophéties qu’on peut supposer écrites sous le règne et à l’honneur d’Hérode l’Iduméen se distinguent en ce qu’elles ne contiennent rien contre Édom ou l’Idumée, si volontiers maudite ou menacée par les prophètes.

La courte prophétie de Malachie ne contient aucune allusion particulière qui puisse servir à en déterminer la date. Seulement, si l’on admet, par une première hypothèse, que ce prophète, venant le dernier dans le recueil des Douze, en est sans doute le plus récent, et si d’autre part on ne recule pas devant l’idée de faire descendre jusqu’au temps d’Hérode les livres d’Aggée et de Zacharie, alors la malédiction contre Édom placée en tête de Malachie conduirait à rejeter celui-ci jusqu’après la mort d’Hérode.

 

Je reviens maintenant à ce qui est mon véritable objet, l’étude de ce que les livres des prophètes ont donné au christianisme. Ce qu’on a appelé le caractère chrétien de ces livres, et qu’il ne faut pas appeler ainsi, puisque ce serait en ôter injustement l’honneur au judaïsme, n’a été méconnu par personne, partisans ou adversaires de la tradition, orthodoxes ou sceptiques. On peut dire seulement que la critique hardie à laquelle je fais appel en rend mieux compte, puisqu’elle met les Prophètes aussi près des Évangiles par la date que par l’esprit.

Si on compare la religion d’Isaïe (pour commencer par celui qui ouvre la liste des Prophètes) avec celle des quatre premiers livres du Pentateuque, on est frappé de voir ici, comme dans le Deutéronome, combien s’est développé cet attachement exclusif à un dieu uniquement servi, ce monothéisme du cœur, déjà si marqué dans les livres mosaïques. Israël dit à Iehova dans Isaïe (XXVI, 13) : Nous avons eu d’autres maîtres que toi, mais nous ne sommes qu’à toi, et n’invoquons que ton nom. Sa grandeur s’est révélée comme incomparable :

Au seul son de sa voix, la mer fuit, le ciel tremble ;

Il voit comme un néant tout l’univers ensemble,

Et les faibles mortels, vains jouets du trépas,

Sont tous devant ses yeux comme s’ils n’étaient pas[16].

Je suis, dit-il, le premier et le dernier ; nul dieu n’a existé avant moi ni n’existera après moi (XLI, 4 ; XLIII, 10) ; c’est-à-dire qu’à la différence d’autres dieux, qui n’ont qu’un règne passager et éphémère, qui commencent et qui finissent, lui au contraire subsiste et règne éternellement. Ou plutôt, hors de moi, dit-il, il n’y a pas de dieu (XLIV, 6). Mais il faut redire ici ce que j’ai dit à propos du Deutéronome : n’exagérons pas la portée de ces paroles, ni de celles qu’on trouvera un peu plus loin (XLV, 5) : Il y a moi, Iehova, et il n’y a que moi ; il n’y a point de dieu hors de moi. Rien ne parait d’abord plus proprement et plus absolument monothéiste. Mais voici que nous entendons ailleurs la ville de Babylone parler absolument de même : Il y a moi, et il n’y a rien autre que moi[17] ; ce qui évidemment ne peut être pris à la lettre et n’est qu’une manière de dire : Je suis hors de toute comparaison. C’est ainsi que, pour les peuples de l’empire du Milieu, il n’y a rien au monde que cet empire, et tout ce qui se rencontre ailleurs de rois et de peuples ne compte pas. Répétons-le, l’antique judaïsme n’a pas été véritablement monothéiste ; mais il est venu un temps où, sous l’influence de la philosophie, les fortes expressions de la Bible, et particulièrement des Prophètes, ont pris une valeur qu’elles n’avaient pas, et elles ont admirablement servi, par la passion dont elles sont pleines, la métaphysique religieuse qui a vaincu le polythéisme.

Les Prophètes sont surtout merveilleusement entraînants dans la guerre qu’ils font, ainsi que le Deutéronome, aux images (en grec les idoles), c’est-à-dire aux dieux étrangers qui ne se manifestaient que sous ces figures. Ils annoncent la victoire de Iehova, devant qui ces choses de néant (c’est ainsi qu’ils aiment à les nommer) disparaîtront toutes (II, 18). L’homme abandonnera aux taupes et aux chauves-souris ces choses de néant faites de son argent et de son or. Et encore (XVII, 7) : En ce temps-là, l’homme regardera vers celui qui l’a fait ; il se retournera vers le Saint d’Israël ; il ne regardera plus les autels élevés à l’œuvre de ses mains ; il ne se souciera plus de ce qui est fabriqué par ses doigts. Voyez encore XXX, 22, et XXXI, 7. Il y a là un mépris dont on chercherait en vain l’expression dans les Quatre livres. Les Juifs avaient pu se laisser pénétrer, avec le temps, de l’esprit de la religion des Perses, de cette religion qui traitait de fous ceux qui représentaient les dieux par des images (Hérod., I, 131). Peut-être aussi que ces véhémentes invectives contre les idoles des Chaldéens, les seules qui soient nommées dans les paroles qu’on prête au vieux prophète, expriment les haines que soulevèrent les dieux des Grecs, au temps de l’oppression macédonienne. On bravait ces dieux régnants en rappelant ce qui était arrivé à d’autres dieux, qui jadis avaient opprimé Israël et qui n’avaient pu tenir contre l’ascendant de Iehova : Elle est tombée, Babylone, elle est tombée, et tous ses dieux sculptés ont été brisés et jetés bas (XXI, 9). Le prophète ne tarit pas en sarcasmes contre ces représentations divines, la veille encore si imposantes et si redoutées, et qui n’ont pu se défendre. Tandis que Iehova, sans image et invisible, renverse par les armes de Cyrus (c’est ainsi que les Juifs voient les choses) le grand empire sous lequel avait succombé sa ville et son Temple, ces dieux, qui semblaient vivants et présents dans leurs statues colossales, paraissent tout à coup anéantis ; ce n’est plus qu’une matière sans sentiment et sans force. Ils se déroberont, dit le prophète (XLII, 17), ils seront couverts de honte, ceux qui mettent leur confiance dans les simulacres, et qui disent à la fonte : Vous êtes nos dieux. Et plus loin (XLIV, 9) : Les fabricateurs d’images sont anéantis ; ces objets bien-aimés ne leur servent de rien... Où est celui qui se fait un dieu et se taille une image, pour ne lui servir de rien ? Alors le poète nous montre le forgeron qui travaille pour fabriquer des outils ; il en est épuisé de fatigue ; puis, avec ces outils, l’ouvrier en bois façonne ses dieux.

On plante un pin (XLIV, 14) et la pluie le fait grandir, et l’on s’en sert pour se chauffer. On en prend du bois, dont on se chauffe ; on en allume le four et on cuit du pain : avec le reste on fait un dieu, et l’on se prosterne pour l’adorer. On prend un morceau pour brûler, un morceau pour cuire la viande ; on la fait rôtir et on s’en régale, ou bien on se chauffe et on dit : Bon, j’ai chaud, voilà du feu. On fait ensuite un dieu avec le reste, une image devant laquelle on se prosterne ; on lui adresse des prières et on lui dit : Sauve-moi, tu es mon dieu. Ils ne savent pas ce qu’ils font ; car leur esprit est aveuglé pour qu’ils ne voient point et leur intelligence est bouchée pour qu’ils n’entendent point. Et leur pensée ne leur rappelle rien, et leur esprit ne les avertit pas ; ils ne se disent pas : J’ai fait du feu avec une portion de ce bois, j’en ai cuit du pain, j’en ai rôti de la viande, que j’ai mangée, et avec le reste vais-je faire une abomination ? vais-je adorer un morceau de bois ? — Tout à coup la verve du poète éclate en insultes (XLVI, 1) : Bel est tombé ; Nabo est couché par terre ; voici leurs images sur les bêtes de somme, lourd fardeau pour elles. Ils sont tombés, ils sont par terre ; ils n’ont pu empêcher qu’on les emporte sur le dos des bêtes ; leur âme s’en va en captivité.

Ce spectacle est celui qui était donné aux Juifs, ou plutôt dont ils se donnaient eux-mêmes la joie, lorsque après la persécution d’Antiochos, ayant repris à leur tour l’avantage sur les Gentils, ils détruisaient leurs temples et leurs autels et faisaient disparaître les images de leurs dieux (I Mach., V, 68 ; XIII, 47, etc.).

Et puis il recommence le tableau de la fabrication des images : Ils tirent l’or du sac. Ils pèsent l’argent dans la balance ; ils font marché avec un fondeur pour qu’il en fasse un dieu, qu’ils adoreront en se prosternant. Ils le chargent sur leurs épaules, ils le transportent, ils le mettent en place, et le voilà immobile ; il ne bouge plus. Ils crient à lui, mais il ne répond pas ; il ne les sauvera pas dans leur détresse[18].

Ces éloquentes invectives, l’Église les répète encore, mais elle les répète sans les comprendre, puisque elle-même (je parle de l’Église catholique) remplit ses propres temples de dieux et de saints qui sont aussi des idoles,

Insensibles et sourds, impuissants, mutilés,

De bois, de marbre ou d’or, comme vous les voulez[19].

Elle triomphe de la chute de Bel et de Nabo, et elle ne croit pas son dieu atteint, si ses images saintes subissent de pareils outrages. Elle trouve bon que le prophète crie aux divinités de Babylone : Défendez-vous, si vous êtes des dieux, et elle ne s’applique pas à elle-même cette ironie. La vérité est qu’il y a dans les véhémentes objurgations des prophètes moins de philosophie que de ressentiment et de haine. Mais la passion étant ici d’accord avec la raison et concourant avec elle, au temps de la révolution chrétienne, elles ont eu ensemble une force terrible et d’un effet réellement prodigieux. Il a été tel, que le christianisme, après avoir détruit les idoles, a vécu lui-même pendant plusieurs siècles sans images ; que la doctrine des iconoclastes ou briseurs d’images a partagé et tenu en balance la chrétienté ; que le monde a pu douter si elle ne prévaudrait pas, et qu’enfin la Réforme protestante a fait disparaître les images dans les temples de la moitié du monde chrétien.

L’âge moderne auquel appartiennent les Prophètes se caractérise encore par un vif esprit d’indépendance, par la protestation de la conscience contre toute espèce d’iniquité : Celui qui marche dans la voie de la justice, dont les paroles sont suivant le droit, qui méprise le gain de la fraude, dont la main se retire devant le présent du corrupteur, qui bouche ses oreilles quand on lui parle de verser le sang, qui ferme les yeux pour ne pas être témoin du mal... ; » celui-là est sous la protection de Iehova (XXXIII, 15). Car Iehova est le recours du faible contre le fort : Iehova notre juge, Iehova notre magistrat, Iehova notre roi ! (ibid., 22) : c’est la liberté que le Juif invoque sous cette forme théocratique. Mais quoi ! l’injuste puissant ne peut-il mettre Iehova de son côté par le culte qu’il lui rend et les offrandes qu’il lui apporte ? C’est ici que les Prophètes sont admirables : nulle part n’a été plus énergiquement condamnée la dévotion qui croit être en règle avec son dieu par des cérémonies et des dépenses ; c’est le dieu lui-même qui prononce cette condamnation.

Quel fruit me revient-il de tous vos sacrifices ?

Ai-je besoin du sang des boucs et des génisses ?[20]

Je n’ai que faire des oblations ; je ne me soucie pas des nouvelles lunes. Vous étendez vos mains vers moi, mais vos mains sont pleines de sang. Levez-vous, nettoyez-vous, ôtez de devant mes yeux l’iniquité de vos actions. Renoncez au mal, essayez le bien ; relevez celui qu’on a mis à terre ; faites justice à l’orphelin et à la veuve[21]. Belles paroles, qui n’impliquaient pas d’ailleurs, dans la pensée de ceux qui les prononçaient, l’abandon des règles et des pratiques extérieures, mais qui ont fait plus qu’elles ne voulaient faire, et qui ont amené l’adoration sans les sacrifices. Ces idées vont se retrouver plus pleinement développées encore dans Jérémie.

Isaïe ajoute qu’au prix de cette réforme des cœurs et des actions, Israël sera blanchi de tous ses péchés. En enseignant ainsi qu’une expiation morale efface le péché, les Prophètes accoutumaient les esprits à considérer le péché lui-même comme étant d’une nature morale ; tandis que dans les Quatre livres le péché n’est qu’une infraction matérielle à la Loi, qui s’expie par des cérémonies et des sacrifices. Ce sentiment nouveau du péché et de l’expiation est ce qu’on appelle encore un sentiment chrétien.

Celui qui recherche les origines du christianisme ne peut trop relire la dernière partie d’Isaïe, depuis le chapitre XL. Le poète ne nous touche pas seulement par l’élévation de ses sentiments, mais aussi par sa tendresse. Dans sa reconnaissance pour la rédemption d’Israël, sauvé par son dieu, il exprime l’amour de ce dieu pour son peuple avec des accents tout pareils à ceux de l’Évangile. C’est le pasteur qui porte ses ouailles dans ses bras (XL, 11), qui ramène lui-même la brebis perdue[22]. Ses entrailles s’émeuvent pour les enfants d’Israël (LXIII, 15) : C’est toi qui es notre père, et non Abraham ou Jacob. Abraham ne nous connaît pas et Jacob ne sait qui nous sommes ; mais toi, tu es notre sauveur, depuis le commencement des temps. — Ce n’est pas assez ; il est une mère, la mère qui soulage la peine de son fils (LXVI, 13). Et ailleurs : Une mère peut-elle oublier son nourrisson ? peut-elle être indifférente au fruit de son ventre ? Mais quand elle pourrait l’oublier, moi, je ne t’oublierai jamais (XLIX, 16). Si Iehova revient habiter Sion, c’est pour être présent au milieu de ceux qui ont été opprimés et affligés, c’est pour rendre aux cœurs brisés la vie et la force[23]. — Iehova n’adressait qu’aux seuls Juifs tous ces discours, à ces Juifs qui venaient d’être proscrits et foulés aux pieds ; mais plus tard tout ce qu’il y avait au monde de misérables a saisi avidement, pour se les appliquer, de telles paroles, et, bien avant Jésus, le dieu des Juifs a été ainsi un père pour les déshérités et les orphelins. Quand on l’écoutait disant (XL, 1) : Consolez, consolez mon peuple ; préparez mes voies ; — ou ailleurs (XLI, 10) : Ne crains point, car je suis avec toi ; — tous ceux qui soutiraient, pauvres vermisseaux (XLI, 14), croyaient déjà entendre du ciel ce qu’on a appelé plus tard la Bonne nouvelle. — Qu’ils sont beaux, les pieds de ceux qui l’apportent (LII, 7) ! c’est encore un mot du prophète, dont l’Église s’est emparée comme de tant d’autres. Quel appel touchant et irrésistible dans ce passage (LV, 1). Vous tous qui avez soif, venez, voici l’eau ; vous qui n’avez pas d’argent, venez, achetez et mangez ; venez, achetez, sans argent et sans payer, le vin et le lait ! Pourquoi dépensez-vous votre argent pour ce qui n’est pas du pain et votre travail pour ce qui ne rassasie pas ? Écoutez, écoutez-moi, et mangez ce qui est bon, et jouissez de mon abondance. Prêtez l’oreille, venez à moi et vous vivrez... Cherchez Iehova, pendant qu’il se trouve ; invoquez-le, pendant qu’il est proche[24]. Que l’impie abandonne sa voie et l’homme d’iniquité ses pensées mauvaises ; qu’il revienne à Iehova, qui aura pitié de lui ; à notre dieu, qui abonde en pardon. — C’est bien là l’original des paroles de l’Évangile : Venez à moi, vous qui êtes fatigués et accablés sous votre fardeau, et je vous reposerai[25].

Il y aurait encore à recueillir bien des paroles édifiantes dans Isaïe, mais il faut s’arracher au charme de ces détails. Je relèverai pourtant encore ce passage (LI, 6) : Le ciel se dissipera comme une fumée, la terre se déchirera comme une vieille étoffe, et ses habitants périront avec elle. Mais ma protection demeurera à toujours et ma justice ne défaudra pas. Écoutez-moi, vous qui pratiquez la justice, peuple qui as ma loi dans le cœur ; ne craignez pas les affronts des hommes... car ils seront détruits comme une étoffe par la teigne, comme la laine -par les mites ; mais ma justice demeurera à toujours... Pourquoi craindrais-tu l’homme qui mourra, le fils de l’homme qui passe comme l’herbe ? — Ces mots de Jésus dans l’Évangile (Marc, XIII, 31) : Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas, ne sont évidemment qu’un écho de ces versets d’Isaïe[26].

Jérémie a le même enthousiasme, la même exaltation de piété qui nous a frappés dans Isaïe. Comme lui, il met le dieu d’Israël à une immense distance de tous les autres. Comme lui, il s’exprime sur les dieux des étrangers en des termes si vifs, qu’il faut prendre garde de s’y méprendre et d’y supposer plus de philosophie qu’ils n’en contiennent (II, 11) : Où est le peuple qui ait abandonné ses dieux ? et pourtant ce ne sont pas des dieux. Il veut dire : Ce ne sont pas des dieux qui comptent, en comparaison de Iehova. Je me suis assez expliqué là-dessus à propos du Deutéronome et d’Isaïe.

Jérémie répète les invectives d’Isaïe contre les images ou idoles ; je ne m’y arrêterai pas. Il condamne comme lui le culte purement extérieur et l’hypocrisie des sacrifices ; nais il s’emporte sur ce sujet jusqu’à d’étranges libertés (VII, 21) : Voici ce que dit Iehova Sabaoth, dieu d’Israël : Vous pouvez faire de vos holocaustes comme de vos sacrifices, et en manger les viandes. Car au jour où j’ai fait sortir les miens du pays d’Égypte, je n’ai rien dit, je n’ai rien demandé en fait d’holocaustes ou de sacrifices ; mais voici le commandement que je leur ai fait : Écoutez ma voix, et je serai votre dieu et vous serez mon peuple, et vous marcherez dans le chemin de mes ordonnances. Rien de plus curieux que ce passage : il montre qu’on était bien loin alors de l’Exode, du Lévitique et des Nombres ; il donne un démenti formel à ces livres, si remplis des plus minutieuses prescriptions sur les holocaustes et les sacrifices. On les avait oubliés, et quand on invoquait la Loi, c’était en la prenant dans le Deutéronome, auquel le prophète pense évidemment ici (voy. Deutér., XXIX, 13), et il est vrai que le Deutéronome parle à peine des holocaustes et des sacrifices et développe surtout la religion intérieure[27].

De même, un peu plus loin (VIII, 8) : Comment pouvez-vous dire : Nous sommes des sages ; la Loi de Iehova est avec nous ? Non, la plume menteuse des scribes n’a fait qu’une œuvre de mensonge.

On est étonné, quand on vient de lire de tels passages, d’entendre ailleurs le prophète réclamer si impérieusement l’observation du sabbat (XVII, 19) ; mais le respect du sabbat était le signe extérieur qui distinguait tout d’abord le Juif du Gentil, le fidèle de l’infidèle ; violer le sabbat, c’était en quelque sorte renier son dieu et son peuple.

Jérémie suit encore en d’autres points le Deutéronome : ainsi il ne se contente pas de la circoncision du corps ; c’est celle du cœur qu’il demande (IV, 4 ; Deutér., X, 16). Comme le Deutéronome (XXIV, 26), il ne veut plus que les enfants soient punis pour leurs pères (XXXI, 30) : On disait autrefois : Les pères ont mangé le verjus, et les dents des enfants en sont agacées ; maintenant chacun mourra pour son péché ; celui qui aura mangé le verjus, celui-là aura les dents agacées. C’est-à-dire, je crois, qu’en même temps qu’on expliquait à Israël que ses souffrances sous la domination macédonienne avaient été l’expiation des péchés de ses aïeux, on le rassurait pour l’avenir en déclarant que le dieu avait renoncé à cette justice rétroactive, si largement satisfaite, et que son peuple n’aurait plus rien à craindre désormais, pourvu qu’il restât fidèle.

On a signalé l’astrolâtrie dans le Deutéronome comme une chose nouvelle : elle tient dans Jérémie une grande place. Ce livre du Deutéronome était particulièrement présent à l’esprit de Jérémie. Les premiers versets du chapitre XI y font évidemment allusion[28].

Jérémie a osé s’attaquer à la superstition même du Temple. Rien n’est plus beau que la manière dont il répond à l’étonnement des fils de Juda, qui ne comprennent pas qu’ils aient pu succomber quand ils possédaient le Temple (VII, 4) : Ne vous fiez pas aux paroles vaines ; n’allez pas disant : Nous avons le Temple de Iehova ! le Temple de Iehova ! le Temple de Iehova ! Si vous redressez tout de bon vos voies et vos couvres ; si vous vous appliquez à faire bonne justice entre celui-ci et celui-là ; si vous ne faites pas de tort à l’étranger, à l’orphelin et à la veuve ; si vous ne répandez pas ici même le sang innocent ; si vous ne suivez pas les dieux étrangers pour votre ruine, alors je vous ferai demeurer en ce lieu jusqu’à la fin des temps, sur la terre que j’ai donnée à vos pères. Mais vous mettez votre confiance en des paroles vaines et stériles ; vous dérobez, vous tuez, vous commettez l’adultère ; vous vous parjurez ; vous encensez Baal ; vous servez des dieux étrangers et nouveaux ; et puis vous venez vous présenter devant moi en cette maison sur laquelle mon nom est invoqué, et vous dites : Nous sommes sauvés... Ainsi donc cette maison, sur laquelle mon nom est invoqué, vous en faites une caverne de brigands ! — Voilà les paroles que Jésus rappelait aux peuples, si l’on en croit l’Évangile[29] ; mais le prophète les a dites bien longtemps avant Jésus, et elles sont plus belles ici que dans l’Évangile. Une caverne de brigands ! ce sont de bien gros mots, et bien peu proportionnés, pour les petits trafiquants que Jésus, dit-on, chassait du Temple ; mais quoi de plus grand que Iehova lui-même désavouant sa demeure sacrée, quand elle recouvre de son ombre et semble protéger l’injustice, et expliquant ainsi la catastrophe qui a livré à l’ennemi cette maison sainte, au grand scandale du peuple élu !

La tradition orthodoxe rapporte naturellement ces paroles au premier Temple, à celui qui fut détruit par les Chaldéens ; mais la critique rationaliste n’y peut pas songer, puisque la prétendue prophétie est nécessairement postérieure à la prise de Babylone. C’est bien du premier Temple que le prophète est censé parler, mais c’est le second Temple qui l’inspire, à une époque où ce Temple, consacré déjà par le temps et pas le respect des peuples, semblait être, sur la montagne sainte, à l’abri de toute entreprise insolente ; où il paraissait à la nation des Juifs un sûr rempart de son indépendance, et était l’objet d’une confiance, ou plutôt d’une foi, qui fut cruellement trompée par l’invasion d’Antiochos.

Il faut rapprocher de ce passage des paroles qu’on lit tout à la fin d’Isaïe (LXVI, 1), placées dans la bouche de Iehova : Le ciel est mon siége, et la terre mon escabeau : à quoi bon me bâtir une maison et une résidence ? Tout ce qui existe est l’œuvre de ma main ; c’est moi qui l’ai fait. Il n’y a qu’une chose qui nie touche : c’est un cœur abattu et contristé et qui obéit en tremblant à ma parole. La même pensée se retrouve dans la prière de Salomon, au premier livre des Rois (VIII, 27), où l’on s’est appliqué à la concilier avec l’acte même pour lequel Salomon est censé faire cette prière, c’est-à-dire précisément la consécration d’une maison de Iehova. Mais ici rien ne corrige l’impression des versets que j’ai cités, et il semble que le pieux écrivain est prêt à se passer du Temple. On se demande si cette protestation n’est pas échappée, pendant la persécution des Macédoniens et des macédonisants, à un fidèle proscrit, réduits à vivre loin de Sion et de la montagne sainte, et qui se disait cependant avec confiance que son dieu était avec lui. Quoi qu’il en soit, cette parole n’a pas été perdue ; l’indépendance qui l’inspire s’est rencontrée avec la critique hellénique, et elle a servi à autoriser, après que fut tombé le nouveau Temple, ceux qui prêchaient plus hardiment que Dieu n’habite pas dans des temples bâtis par l’homme (Act., VII, 48) ; si bien que le christianisme, en même temps qu’il a fait fermer ou démolir les temples des dieux, a vécu lui-même pendant plusieurs siècles sans temples aussi bien que sans images.

Un passage curieux de Jérémie est le verset où il est dit (III, 16) qu’on ne parlera plus de l’Arche du pacte de Iehova ; qu’on n’y pensera plus, qu’on ne s’en souviendra plus, qu’on ne la rétablira pas. L’histoire de l’Arche est obscure, et on ne sait précisément ni quand ni comment elle a disparu de la religion des Juifs. On peut croire que ce fut sous Antiochos.

A ce renouvellement national et religieux se rattache une expression que Jérémie emploie le premier, et qui a pris dans la religion chrétienne une bien grande place ; c’est celle par laquelle il annonce ce qu’il appelle le patté nouveau. Déjà, dans le dernier Isaïe, Iehova dit à son peuple qu’en le rétablissant sur la terre d’Israël, il lui en assure la possession pour toujours ; il lui promet que cette possession ne sera plus troublée, comme il avait promis à Noé qu’il n’y aurait plus de déluge : Le pacte de paix que je fais avec toi ne sera pas rompu[30]. Mais Jérémie le premier oppose ce pacte nouveau à celui que Iehova avait fait avec son peuple au temps de Moyse (XXXI, 31) : Voici venir le temps où je ferai un nouveau pacte avec la maison d’Israël et la maison de Juda. Non plus comme le pacte que j’ai fait avec leurs pères, quand je les ai pris par la main pour les faire sortir d’Égypte, et qui a été violé par eux... Voici le pacte que je ferai en ce temps-là avec la maison d’Israël. Je mettrai ma Loi en eux-mêmes et je la leur écrirai dans le cœur, et je serai leur dieu, et eux mon peuple. Alors ce ne sera plus un homme qui enseignera à son prochain et qui prêchera à son frère, disant : Connais Iehova[31]. Car tous me connaîtront, depuis les plus petits jusqu’aux plus grands, dit Iehova, parce que j’aurai pardonné leur péché et n’aurai plus souvenance de leur faute. Si l’on néglige ces derniers mots, si l’on s’en tient à des traits comme ceux-ci : Je mettrai ma Loi en eux-mêmes, je la leur écrirai dans le cœur... Ce ne sera plus un homme qui enseignera... ; on comprend qu’un Israélite s’écrie : Tout l’avenir du genre humain est contenu dans ces magnifiques versets[32]. Ce sont de ces paroles inspirées, qui contiennent plus, à ce qu’il semble, que celui qui les a prononcées n’a eu dans l’esprit. On a cru y voir l’annonce d’une religion universelle, où s’effacent les révélations particulières. Sans aller si loin, disons que l’opposition que présente ce texte entre l’ancien pacte et le nouveau a été reprise par le christianisme, qui en a fait la formule de l’opposition entre la religion chrétienne et la juive. Ainsi parle Paul, ainsi parlent les Évangiles, et un monument plus récent, l’Épître aux Hébreux, cite et commente, en le détournant, le texte même de Jérémie. Ajoutons-y le verset d’Ézéchiel (XI, 19) : Je vous donnerai un même cœur ; je mettrai en vous un esprit nouveau ; j’ôterai de votre chair le cœur de pierre, et je vous donnerai un cœur de chair[33].

C’est sous l’impression, je le crois encore, des souffrances et des ressentiments de ces temps mauvais, lorsqu’il y avait dans Israël même des infidèles et des traîtres, par qui les justes étaient opprimés, que le prophète a été conduit à soulever ce grand problème (le même qui est développé dans le poème de Job), de l’affliction des bons et de la prospérité des méchants. Mais il ne s’en tient pas à la plainte, il s’emporte jusqu’à la malédiction ; car s’il y a dans les prophètes des élans de fraternité et d’amour, il y a aussi des paroles irritées, et elles ont contribué d’une autre manière au succès de la propagande juive, en donnant une voix aux ressentiments de tous ceux qui souffraient par l’injustice. Jérémie demande pourquoi les méchants prospèrent, pourquoi l’injuste demeure en paix (XII, 1). Tu les as plantés et ils ont pris racine, ils croissent et ils portent des fruits... Toi cependant, Iehova, tu me connais, tu me vois, tu sais quel est mon cœur envers toi. Mène-les égorger comme des moutons ; marque-les pour le jour de la tuerie. A qui s’adressent ces cris féroces ?

Ces méchants, qui sont-ils ?[34]

On le devine sans peine : ce sont ceux qui tuent les fils d’Israël et qui dévastent leurs villes et leur terre sainte ; tout le reste du chapitre le dit clairement. Il n’y a pas d’autres méchants pour ce patriotisme enflammé que les envahisseurs, les oppresseurs, et aussi ces Israélites infidèles, qui pactisaient avec l’ennemi et se soulevaient contre les fidèles interprètes de Iehova (XVIII, 18).

Je ne me suis pas assis dans le cercle des insulteurs, je ne me suis pas égayé avec eux ; je me suis tenu seul, sous le coup de ta main, qui m’a rempli d’amertume. Ces insulteurs sont les infidèles ; celui qui se tient à l’écart est le Juif ; la suite encore le fait assez voir (XV, 17). Et ailleurs (XVII, 5) : Ainsi a dit Iehova : Maudit soit celui qui se fie en l’homme, qui prend pour appui un bras de chair et qui détourne son cœur de Iehova. Il sera comme l’épine qui pousse toute seule dans le désert ; il ne verra rien venir qui le réjouisse ; il demeurera dans la solitude aride, sur une terre salée et inhabitable. Mais béni soit celui qui se fie en Iehova et dont Iehova est l’espérance. Il sera comme l’arbre planté près des eaux et qui étend le long du ruisseau ses racines ; la chaleur viendra et il ne la sentira point, et sa feuille restera verte ; il ne souffrira point au temps de la sécheresse, et il donnera des fruits. Et plus loin : Les voilà qui me disent : Où est la parole de Iehova ? qu’elle s’accomplisse donc ! Et il supplie son dieu de ne pas tromper son espérance : Que ceux qui me persécutent soient confondus,’et non pas moi ! Qu’ils soient consternés, et non pas moi ! Amène sur eux le jour du malheur ; frappe-les et frappe-les encore. — Les oppresseurs d’alors ont passé, mais l’oppression est revenue et s’est perpétuée, et ces cris passionnés se sont perpétués avec elle. Tout cela s’est répété depuis contre les Romains, et enfin les opprimés de toutes les sortes et de tous les temps, les persécutés surtout, qui souffraient pour leur dieu et pour leur foi, Juifs, chrétiens, protestants, jansénistes, victimes de toutes les orthodoxies intolérantes, ont trouvé dans ces ardentes invocations une consolation et une force[35].

C’est sous le coup de ces douleurs qu’il a trouvé ces accents de tristesse qui le caractérisent entre les prophètes. : Maudit soit le jour où je suis né... et celui qui porta la nouvelle à mon père, disant : Il t’est né un fils ![36]Que mes yeux ne sont-ils une fontaine de larmes pour pleurer jour et nuit les morts de la fille de mon peuple (IX, 1, c’est-à-dire de Jérusalem) ! Et l’admirable passage sur le deuil de Rachel (XXXI, 15) : Ainsi dit Iehova : Une voix est entendue dans Rama, une lamentation, des pleurs amers ; Rachel gémissant sur ses enfants : elle ne veut pas être consolée de ses enfants, car elle ne les a plus. Ainsi dit Iehova Épargne à ta voix les lamentations et les pleurs à tes yeux... ; car ils reviendront. Ce cri maternel a été bien des fois admiré et imité, mais les imitations n’en ont point conservé la grandeur. La mère qui pleure ici, c’est la mère des Juifs ; c’est Israël qui a disparu, et Rachel, du fond de son tombeau (ce tombeau était à Rama), fait le deuil de tout un peuple. Ceux qui ont mené un deuil semblable, le deuil de la dignité de leur patrie et de ses membres arrachés, sentiront tout ce qu’il y a dans ces paroles. Mais voici que ce peuple va reparaître, et les gémissements de l’antique aïeule vont être apaisés. Je ne connais rien de plus touchant et de plus auguste. Eh bien ! je ne crois pas que cela ait été trouvé au temps de Sédécias et de Nabuchodonosor. Les hommes d’alors ont souffert sans doute, comme ceux du temps d’Antiochos, mais je ne crois pas qu’ils aient senti d’une manière si délicate et si profonde.

 

Ézéchiel est le plus étrange des prophètes. Ses visions d’animaux fantastiques, de roues lumineuses, sont bizarres. Elles font leur impression pourtant, parce qu’elles sont naïves, et elles laissent un éblouissement dans les yeux. Tout le monde connaît ses crudités de toute espèce : ici, ces images qu’il s’applique à faire dégoûtantes pour mieux rendre l’opprobre et l’abjection[37] ; là, ces invectives contre Samarie et Juda, représentés sous la figure de deux prostituées ; des pages que notre délicatesse moderne ne peut lire tout haut ; des traits d’une audacieuse impudeur, et qui pourtant n’impriment pas de taches au lecteur, comme font les obscénités de Juvénal ; admirables pour peindre ce qu’on peut appeler en effet les prostitutions de l’âme, la dépravation et la dégradation des multitudes qui s’abandonnent.

Mais il n’a rien de plus fameux que cette image du champ des ossements, expression si puissante, non pas de ce qu’on appelle la résurrection des morts (c’était une idée inconnue des Juifs d’alors), mais de la résurrection d’un peuple (XXXVI, 1-12) : Fils de l’homme[38], ces os que voici peuvent-ils revivre ? Et je dis : Seigneur Iehova, toi seul le sais. Et il me dit : Prophète, crie et fais appel à ces os ; dis-leur : Os desséchés, écoutez la parole de Iehova... Alors je criai ainsi qu’il m’avait été ordonné... et il y eut un bruit et une secousse... et les os se rapprochèrent, un os de celui qui le touchait, et je vis qu’il y eut des tendons et que la chair se reforma, et sur la chair s’étendit la peau, mais le souffle de vie n’y était pas. Et il me dit : Prophète, crie et fais appel au souffle de vie, et dis : Ainsi dit Iehova : Souffle de vie, viens des quatre vents, et souffle sur ces morts pour qu’ils revivent. Et je criai... et le souffle de vie vint sur eux, et ils revécurent, et ils furent debout sur leurs pieds, et ce fut une grande, grande multitude. Et il me dit : Fils de l’homme, ces os, c’est toute la maison d’Israël. Ils disent : les os sont desséchés, notre espérance est anéantie ; nous sommes disparus ; c’est fini pour nous. Prophète, crie et dis-leur : Ainsi dit le seigneur Iehova : voici que je vais ouvrir vos tombeaux, et que je vais vous faire sortir de vos tombeaux, et vous faire rentrer dans la terre d’Israël. — Telle est cette grande parabole, qui a entretenu dans l’âme des Juifs une indestructible espérance ; elle les a soutenus jusqu’au delà de la ruine définitive de leur pays, et peut-être que d’autres peuples morts l’ont murmurée aussi dans leurs sépulcres.

C’est une idée qu’on est bien tenté d’appeler chrétienne, que celle du ministère du prêtre au milieu des hommes pécheurs, envoyé pour les détourner du mal et pour les appeler au salut, ayant, comme on dit, charge d’âmes et responsable pour celles qu’il laisse perdre. C’est ainsi précisément qu’Ézéchiel exprime la mission du prophète (III, 18) : Fils de l’homme, je t’ai établi comme un avertisseur pour la maison d’Israël ; tu écouteras les paroles de ma bouche, et tu les avertiras en mon nom. Quand j’aurai dit au méchant : Tu mourras ; alors, si tu ne l’avertis pas..., afin qu’il vive, le méchant mourra en son péché, mais je te réclamerai son sang. Mais si tu avertis le méchant, et s’il ne se détourne pas de son péché..., il mourra de son péché ; mais toi, tu seras sauvé. — On voit là d’ailleurs, ainsi qu’en bien d’autres occasions, comment tel sentiment, qui est devenu plus tard intérieur et tout spirituel, était à son origine plus extérieur et plus populaire. Le péché ici, c’est l’infidélité du Juif qui trahit son dieu, et en son dieu sa patrie, et c’est cette trahison que la voix du prophète doit prévenir, sous peine d’en être complice.

Mais la page moralement la plus élevée d’Ézéchiel est celle où il reprend, après Jérémie, l’idée que les enfants ne doivent pas être chargés du crime des pères (XVIII, 2) : Pourquoi dites-vous : Les pères ont mangé le verjus, et les dents des enfants en sont agacées ?... Toute vie est à moi, celle du père comme celle du fils, mais c’est celui qui a péché qui mourra. Celui qui est juste, celui qui pratique le droit et l’équité, qui ne mange pas le festin de fête sur les Hauts-Lieux, qui n’invoque pas les idoles, abominations d’Israël ; celui qui ne souille pas la femme de son prochain, qui n’approche pas de la femme pendant les jours de séparation ; celui qui n’opprime personne, qui laisse au débiteur son gage, qui ne ravit pas le bien d’autrui, qui donne de son pain à l’affamé et habille celui qui est nu, qui ne prête pas à intérêt, qui retire sa main de l’injustice et prononce suivant le droit entre celui-ci et celui-là, qui marche suivant mes règles et garde mes ordonnances en toute vérité ; c’est un juste, il vivra, dit le Seigneur Iehova. — Et il ajoute que si cet homme a un fils qui fasse tout le contraire de son père, ce fils ne vivra pas pour les mérites de son père, mais il mourra pour son péché ; et si ce fils à son tour a lui-même un fils qui se garde des crimes de son père, celui-ci ne mourra pas pour les crimes de son père, mais il vivra ; le père mourra seul.

J’abrége, mais ce que je viens de dire en une phrase tient dans le texte onze versets entiers, le prophète répétant sans se lasser les mêmes formules. Il prévient, dit Michelet, toute équivoque, reprend par trois fois la chose, s’arrête avec une force, une lenteur, une gravité dignes des juristes romains. On voit qu’il sent l’importance de la pierre sacrée qu’il fonde, scelle à chaux et à ciment[39].

Et vous dites : Pourquoi le fils ne porte-t-il pas le péché du père ? Mais le fils a fait ce qui est juste et équitable, il a gardé mes ordonnances et les a pratiquées ; il vivra. Celui qui a péché est celui qui mourra ; le fils ne portera pas le crime du père et le père ne portera pas le crime du fils ; il sera fait au juste selon sa justice, et au méchant selon sa méchanceté.

Michelet a rendu hommage à ces belles nouveautés. Il stigmatise d’abord de son sarcasme l’idée que la vieille foi se faisait de la justice de son dieu : Quand il punit le coupable, il est contraint de le faire ; il ne peut faire autrement. Mais quand il frappe l’innocent, le fils innocent du coupable, qu’il est grand et qu’il est dieu ! Puis il célèbre le grand et noble effort des deux prophètes, arrachant de leur cœur sanglant ces détestables racines, proclamant enfin le Droit.

Ces belles idées, devons-nous les appeler chrétiennes ? Mais pourquoi ? Où y voit-on particulièrement la marque chrétienne ? Dans l’Évangile, au contraire, Jésus ne reproche-t-il pas aux rabbins d’être les enfants de ceux qui ont tué les prophètes ? Ne les appelle-t-il pas race de vipères ? Ne dit-il pas que sur eux retombera tout le sang innocent versé sur la terre, depuis le meurtre d’Abel[40] ? Ne lui fait-on pas dire que Jérusalem périra, parce qu’elle l’a méconnu à son passage, quoique la ruine de Jérusalem n’ait eu lieu qu’un demi-siècle environ après lui ? Et cette idée n’est-elle pas le fond des sentiments de l’Église à l’égard des Juifs, qu’elle regarde comme expiant encore à l’heure qu’il est, et comme devant expier jusqu’à la fin des temps, ce qu’elle appelle le déicide commis au temps de Pilate ? Mais, parce que nous sommes nés chrétiens, nous donnons trop facilement le nom de chrétien à tout ce qu’il y a de meilleur en nous. Eh bien ! s’il nous plaît de nous servir de ce mot, reconnaissons donc que Jérémie et Ézéchiel ont été ici plus chrétiens que l’Évangile.

On a remarqué sans doute dans la citation d’Ézéchiel ce portrait du Juste dont je n’ai voulu rien retrancher, mais où il y a si peu de chose à effacer pour qu’il soit simplement humain au lieu d’être juif.

Mais outre que le dieu d’Ézéchiel ne sacrifie pas l’innocent, il promet de ne pas frapper le coupable même, pourvu qu’il s’amende ; il fait grâce au repentir. Puis-je prendre plaisir à la mort du méchant ? dit le Seigneur Iehova ; ne veux-je pas plutôt qu’il revienne au bien et qu’il vive ? — Au contraire, si le juste abandonne la justice pour faire le mal, il mourra ; mais si le méchant laisse la voie de la méchanceté pour pratiquer la justice, il vivra. Et la maison d’Israël dit : La voie du Seigneur Iehova n’est pas bien réglée. Maison d’Israël, sont-ce mes voies qui ne sont pas bien réglées, ou plutôt les vôtres ? Je jugerai donc chacun de vous suivant ses voies... Car je ne prends point plaisir à la mort de ceux qui meurent, dit le Seigneur Iehova : revenez donc et vivez. Voilà des paroles bien familières à la prédication chrétienne : on s’imagine qu’on les a lues dans l’Évangile[41].

On sentira d’ailleurs qu’elles ont dans l’original un accent particulier. Ces mots de vie et de mort ne sont pas pris ici au sens spirituel où les prend la piété moderne ; il ne s’agit pas de ce que nous appelons un pécheur et de son état moral. Je lé dirai encore une fois : ce n’est que la philosophie, et une philosophie très déliée, qui a appris à l’homme individuel à regarder au dedans de lui et à s’occuper des révolutions intérieures de son âme. Cela n’est pas le fait des hommes simples et qui vivent par l’imagination. Pour eux il n’y a d’intéressant que les grands événements qui frappent tous les regards et qui enveloppent des multitudes. Il s’agit ici d’un peuple entier qui a péri, au sens propre, et qui est demeuré longtemps plongé dans la mort. Le voilà revenu à la vie, mais il demande avec effroi s’il est bien sauvé et s’il ne va pas mourir de nouveau. Le prophète rassure ses frères et les relève : non, leur dieu ne les frappera pas tant qu’ils seront fidèles à sa Loi ; et même, s’ils y manquent, il ne sévira pas encore, pourvu qu’ils se repentent et qu’ils reviennent. Juda est donc bien désormais le maître de ses destinées, et son dieu les remet dans ses mains. Ainsi cette prédication est l’appel et l’encouragement d’un patriote. C’est ainsi que les idées mystiques s’introduisent dans les religions : elles ne sont pas d’abord mystiques ; elles se rapportent à des intérêts présents et aux vives passions qu’ils soulèvent ; de là une chaleur et une véhémence dont ensuite la piété mystique profitera, mais qu’elle n’aurait pas inspirées.

 

On retrouve dans les Douze le même esprit que dans les trois grandes prophéties. Ainsi, dans Osée, Iehova dit : Je te demande la miséricorde, non les sacrifices ; la connaissance de ton dieu, non les holocaustes (VI, 6). Jésus cite deux fois cette pensée dans l’Évangile (Matth., IX, 13, et XII, 7).

Il faut remarquer un verset curieux (XII, 5) sur la rencontre de Jacob avec le personnage mystérieux contre qui il lutte pendant une nuit : elle n’est pas présentée dans Osée comme dans la Genèse (XXXII, 25). Quoique dans la Genèse ce lutteur surnaturel ne vienne à bout de Jacob que par un moyen extraordinaire, cependant il en vient à bout. Dans Osée, Jacob est le plus fort et contraint le dieu (verset 4), ou l’apparition divine (verset 5), à crier et à demander grâce : c’est la véritable interprétation de ce verset. Et il semble que le prophète se figure Iehova, soit comme ayant à se venger de l’audace de Jacob, soit plutôt comme intéressé et subjugué par cette audace. On voit qu’on ne peut pas dire que la mention des Messagers ou Anges de Iehova manque absolument dans les Prophètes, mais il s’en faut de bien peu. Leur nom ne se trouve pas une seule fois dans Jérémie ni Ézéchiel ; il est une fois dans Isaïe (LXIII, 9) et une fois dans Osée ; et, dans l’un comme dans l’autre passage, c’est à l’occasion d’un souvenir des temps antiques, et non à propos du présent. Ils n’apparaissent point au prophète lui-même[42].

C’est seulement dans Zacharie que figurent, au présent, des Messagers ou Anges de Iehova, et cela tient sans doute à la date très récente de ce prophète.

Je ne citerai de Joël que deux passages : l’un qui est dans l’esprit général des prophètes : Déchirez votre cœur, non vos habits (II, 13) ; l’autre qui annonce une époque d’enthousiasme et d’effervescence religieuse et universelle, par des paroles que le christianisme s’est appliquées : Après cela, je répandrai mon esprit sur vous ; vos fils et vos filles seront inspirés... ; même sur les serviteurs et les servantes je répandrai mon esprit. C’est en citant Joël que le livre des Actes (II, 17) explique la scène miraculeuse où il représente les apôtres, au sortir du cénacle, parlant toutes les langues par inspiration divine, devant une foule composée d’hommes de tous les pays. On remarque surtout le trait final, qui fait descendre l’esprit de Iehova jusque sur la tête des esclaves[43].

Amos est entre tous un prophète démocrate. Il n’y a pas de prophète qui ne soit l’interprète de la voix du peuple, et qui par conséquent n’accuse les injustices et la corruption des puissants. Isaïe, Jérémie, Ézéchiel ont tous sur ce thème des paroles sévères ; mais Amos est le plus âpre. Toute sa prophétie n’est qu’un cri de colère contre les grands et les riches, dont les crimes ont irrité Iehova et ont fait la perte de, son peuple. — Ils mettent la tête des petits dans la poussière et foulent leur droit sous leurs pieds. Ils s’attablent devant leurs autels profanes, couchés sur les couvertures du pauvre, qu’ils ont prises en gage ; ils boivent dans la maison de leurs dieux le vin de ceux qu’ils ont dépouillés (II, 7-8) ; ils accumulent dans leurs palais l’exaction et la rapine (III, 10). Le prophète apostrophe aussi leurs femmes, ces vaches grasses qui épuisent les pauvres et les accablent, qui disent à leur maître et seigneur : Apporte, et buvons (IV, 1). Ils réduisent la mesure du blé qu’ils vendent, et font augmenter le poids de l’argent qui le paye ; ils faussent les balances ; ils achètent le pauvre pour un peu d’argent, pour une chaussure (VIII, 5-6). Cependant ils prétendent honorer Iehova ; ils célèbrent des fêtes et offrent des sacrifices. Je hais vos fêtes ; je ne veux pas de l’odeur de vos victimes... Loin de moi le bruit de vos cantiques et le concert de vos instruments. Mais que la justice abonde comme l’eau et que l’équité afflue comme un torrent (V, 21). Mais non : ils changent le jugement en une liqueur amère et répugnante (V, 7) ; ils forcent le pauvre à donner son blé pour bâtir des maisons de pierre de taille, pour planter des vignes de délices : eh bien ! ils n’habiteront pas ces maisons, et ils ne boiront pas le vin de ces vignes (V, 11). Car, tandis qu’ils mangent les moutons les plus gras, couchés sur des lits d’ivoire, qu’aux sons de la musique ils s’enivrent de vins et de parfums, et qu’ils ne s’inquiètent pas des misères d’Israël (VI, 4-7), la vengeance de Iehova est venue ; les cités sont détruites ; les hommes sont jetés en exil ; Iehova renverse la maison d’hiver et la maison d’été (III, 15). — Cependant l’expiation a un terme ; le repentir viendra, et le pardon ; et la prophétie s’achève par des promesses de salut et de prospérité.

Il y a un double intérêt à étudier ces objurgations. Elles servent d’abord à caractériser cette littérature des Juifs, qui est à part comme l’existence de ce peuple est aussi à part. Elle ne pouvait se développer que dans une nation où il y avait une église, c’est-à-dire une société religieuse, aussi forte ou plus forte que l’autorité publique. Et c’est ce qui était chez les Juifs, parce qu’Israël ne cessant jamais d’être ou opprimé ou menacé, les grands et les puissants, toujours ex-posés aux révolutions, étaient affaiblis et sans ascendant. Ils n’avaient de défense contre l’étranger que dans le fanatisme populaire ; il fallait bien laisser jusqu’à un certain point à ce fanatisme ses coudées franches, et reconnaître au-dessus des gouvernements le gouvernement de Iehova, seul inviolable et souverain ; on le priait librement, et la liberté de la prière entraînait celle de la protestation et de la plainte. Cette communauté de la foi était d’ailleurs le lien qui rattachait les Juifs les uns aux autres dans leur dispersion à travers le monde.

Et maintenant, quand ces prédications, consacrées par le nom des antiques prophètes, se perpétuaient dans ces réunions pieuses des synagogues, qui s’étaient naturellement établies partout comme les organes de la communauté juive, combien elles devaient toucher en tout pays le cœur des petits ! comme elles répondaient, au dehors aussi bien qu’au dedans de la Judée, aux souffrances et aux ressentiments de la foule ! et quelle puissante propagande elles devaient faire, sous tous les gouvernements du monde, en faveur de cette grande association de mécontents !

Je n’ai rien à dire d’Abdias.

La prophétie de Jonas ne ressemble à aucune autre : ce n’est pas même une prophétie, c’est une histoire de prophète, une sorte de nouvelle édifiante, d’une invention naïve et enfantine, mais qui aboutit à une idée originale et touchante.

La première partie du récit est très connue ; la seconde l’est moins et elle mériterait plus de l’être. Quand Jonas a parcouru le tiers seulement de la grande cité en criant : Encore quarante jours, et Ninive sera détruite 1 le peuple et le roi s’humilient devant Iehova et demandent grâce, et il leur est fait grâce en effet. Le prophète est indigné de cette impunité (sans doute parce qu’ainsi il a prophétisé en vain) ; il adresse à Iehova des plaintes amères. Cependant, tandis qu’il est étendu par terre dans la campagne, Iehova fait pousser au-dessus de sa tête un arbre aux larges feuilles, qui le protège de son ombre. Mais le lendemain un ver ronge l’arbre, qui en un instant est desséché ; un soleil brillant frappe sur Jonas, et il se plaint avec désespoir. Alors Iehova lui dit : Tu t’intéresses à cet arbre, qui ne t’a coulé aucun travail, que tu n’as pas fait pousser, qu’une nuit a enfanté à la vie et une autre nuit à la mort ; et moi, je ne m’intéresserais pas à Ninive, la grande cité, où il y a plus de cent vingt mille créatures qui ne distinguent pas leur droite de leur gauche, et une multitude de bêtes[44] !

Voilà une indulgence à laquelle la Bible ne nous a pas accoutumés : ici même il est évident que l’écrivain ne la trouve pas autour de lui, et que les Juifs ne pouvaient comprendre que Ninive (disons Antioche, si on veut) ne fût pas détruite. Mais par quelles belles et simples raisons il dissipe le scandale de cette indulgence, et avec combien d’esprit et de sentiment tout ensemble il rappelle l’homme à l’humanité !

Le morceau célèbre de la Genèse (XVIII, 23), où Iehova, qui est prêt à détruire Sodome, consent à faire grâce s’il y trouve cinquante justes, puis s’il en trouve quarante-cinq, quarante, trente, vingt, enfin s’il en trouve seulement dix, doit être rapproché de celui-ci. Tous deux sont conçus en dehors de la Loi, étroite et intolérante. Cependant la Genèse touche moins, parce que le droit de grâce est encore de l’arbitraire : Jonas ne s’inspire que de la nature, égale à tous.

Michée s’élève, comme Amos, contre ceux qui commettent l’injustice et qui accablent les malheureux ; il a des traits qui sont des plus forts (III, 3, 10) ; cependant, en général, son ton est plutôt d’un prédicateur qui proteste contre le mal que d’un mécontent qui gronde et qui menace : au chapitre v11 surtout, ses plaintes sont celles qu’un moraliste peut faire dans toutes les situations et dans tous les temps. Il en veut en particulier aux prophètes menteurs, qui mettent la parole de Iehova au service du mal, qui ont des bénédictions pour ceux qui les payent et des malédictions pour qui ne leur donne rien. Mais il faut citer les belles paroles qu’il trouve à son tour contre la religion du dehors et le culte qui ne vient pas du cœur (VI, 6) : Avec quoi est-ce que je gagnerai Iehova, et que je viendrai me prosterner devant le dieu d’en haut ? Le gagnerai-je avec des holocaustes et des veaux gras ? Iehova prend-il plaisir aux moutons offerts par milliers, à l’huile versée par torrents ? Sacrifierai-je mon premier-né pour mon expiation ? Le fruit de mes entrailles payera-t-il pour moi ? Ô homme ! il t’a dit ce qui est bon, et ce que Iehova réclame de toi : ce n’est que de pratiquer la justice, d’aimer la bonté, et de te soumettre à marcher dans la voie de ton dieu. »

Même situation, mêmes sentiments dans la prophétie d’Habacuc que dans les autres. La Loi est méprisée (I, 4) ; Iehova donc va punir. Il le fera par les Chaldéens (c’est-à-dire saris doute par les Syriens). Mais Iehova sauvera son peuple ; il ne laissera pas l’impie dévorer le juste (I, 13). — Celui qui s’enfle d’orgueil n’est pas assuré de sa vie, mais le juste vivra par la foi (qu’il met en son dieu[45]) (II, 4). Je citerai encore ces traits si vifs contre les idoles (II, 18) : A quoi sert l’image à celui qui l’a taillée ? A quoi sert la figure jetée dans le moule, œuvre de mensonge, et comment celui qui l’a faite se reposerait-il en elle, content d’avoir façonné un simulacre vide et muet ? Malheur à qui dit à la pièce de bois : Réveille-toi ! à la pierre inerte : Lève-toi ! Discours inutile. La voilà recouverte d’or et d’argent, et il n’y a pas de souffle en elle. Mais Iehova réside dans sa demeure, et toute la terre se tait devant lui.

Le relèvement des justes, autrefois humiliés sous les infidèles, étant le thème principal de Sophonie, plusieurs de ses paroles sont faites pour être dans tous les temps une consolation à des âmes tendres, ardentes, méprisées et refoulées par le monde : Cherchez Iehova, tous les humbles de cette terre, tous les amis de la justice (II, 3). — Fille de Sion, il ne te restera plus que les humbles et les petits, qui cherchent leur protection dans le nom de Iehova (III, 12). L’Église chrétienne s’est appliquée ces versets sans doute, et ensuite il n’y a pas eu d’Église dissidente et persécutée qui n’ait dû se les appliquer à son tour.

Les prophètes les plus récents, Aggée, Zacharie, sont plus riches en allusions et en oracles énigmatiques qu’en effusions religieuses. Le petit écrit de Malachie mérite cependant qu’on s’arrête aux deux idées qui le remplissent. D’abord le prophète se plaint de la négligence qui s’est introduite dans les sacrifices, où l’on ne présente plus à Iehova que des offrandes de peu de prix et des victimes inférieures. Par là, il se rattache à un judaïsme matériel et littéral, quoiqu’il semble témoigner en même temps de la décadence du culte extérieur, du culte par la chair et le sang. Mais aussi il annonce ensuite des temps nouveaux, en condamnant avec force le Juif qui répudie la femme de sa jeunesse, Juive comme lui, pour prendre à sa place la fille de l’étranger ou du Gentil. Les gémissements de la femme abandonnée se répandent, dit-il, sur l’autel, et Iehova n’accepte pas l’hommage de celui qui les a causés (II, 13-15). Ce sentiment aboutira, à l’époque chrétienne, à condamner absolument la répudiation.      

Il n’y a rien dans la Bible d’aussi grand que les Prophètes. Quelle que soit l’éloquence religieuse du Deutéronome, le plan de ce livre, où Moyse enseigne et ordonne constamment, exigeait une forme contenue et sévère. Dans les livres prophétiques, l’enthousiasme a pu se déployer plus à l’aise. Si je ne m’arrête pas à développer la sublimité du premier Isaïe, l’éclat et l’onction du second, le pathétique de Jérémie, l’âpreté d’Ézéchiel, tant de verve et d’élan répandu çà et là dans les Douze, c’est que je n’ose m’étendre sur les beautés d’une poésie que je ne peux lire dans la langue où elle est écrite.

Néanmoins notre ignorance ne nous empêche pas, quand nous la lisons traduite, d’être profondément touchés. Au point de vue religieux, les Prophètes sont la source la plus profonde et la plus pure de certains sentiments chrétiens. On ne les a pas lus autant que les Psaumes, parce qu’ayant écrit à travers le tumulte des événements, sous l’impression présente de toutes sortes d’incidents oubliés depuis, ils sont pleins de détails que nous n’entendons plus, ou auxquels nous ne prenons plus d’intérêt. Mais, à certains moments, ils nous enlèvent bien haut, et ils nous donnent l’impression du divin autant qu’aucune poésie l’a jamais pu faire. Ce qui distingue ces livres entre tous les livres sacrés, c’est la liberté de l’inspiration. Ils ont été composés pendant un temps de crise, où il n’existait aucune autorité ni aucune école pour enfermer la pensée dans une obéissance étroite à un texte ou à une tradition. C’est ce qui leur a donné une puissance d’excitation incomparable, et c’est par oit ils ont pu entraîner les génies les plus passionnés et les plus hardis.

 

 

 



[1] Ce sont ceux qu’on appelle simplement d’ordinaire les Prophètes : Isaïe, Jérémie, Ézéchiel et les Douze. On verra plus loin que Daniel ne doit pas être compris parmi les Prophètes.

[2] Cinq villes pour dire simplement plusieurs villes, d’après les hébraïsants.

[3] Antiq., XIII, III, 1, et Guerre des Juifs, VII, X, 7.

[4] M. Édouard Reuss prend le parti de regarder du moins comme interpolé le verset 18.

[5] Voir aussi en général les commentaires des exégètes sur Ézéchiel, XXV, 14, sur les derniers chapitres de Michée, les derniers de Zacharie, etc.

[6] Ce que je viens de dire, qu’un prophète, du moment qu’on le tient pour tel, peut être supposé avoir tout prédit, est vrai en logique pure ; mais la logique pure, quand elle a contre elle le bon sens, trouve toujours une résistance dans l’esprit des hommes, et, en fait, on n’osait pas faire tout prédire à un prophète. Si l’auteur de ce qu’on appelle le second Isaïe nomme Cyrus par son nom, je sais persuadé que c’est parce que Cyrus était déjà pour lui assez antique et assez lointain pour ne pas paraître à une trop grande distance du prophète. Mais quand on fait prophétiser à Isaïe le temple d’Onias, en a soin de ne mettre dans sa bouche que des termes vagues, et on se garde bien de nommer ni Onias ni Philométor. L’auteur du livre de Daniel, dont je parlerai plus tard, qui a moins de souci que les Prophètes de cette vraisemblance, s’abstient cependant de mettre les noms sur les personnages.

Les critiques obéissent aussi à cet instinct. Ceux mêmes qui sont le plus théologiens n’appliquent une poésie supposée antique à des choses très modernes que quand il y a nécessité, pour ainsi dire, et qu’ils trouvent sur tel passage la marque trop visible de tel temps. Bossuet n’a pas observé cette mesure (mais ce grand esprit n’était nullement un critique), quand il s’est avisé de répéter que la Bête de l’Apocalypse était Dioclétien ; il s’est mis ce jour-là trop au niveau des fanatiques qui soutenaient que la Bête de l’Apocalypse était le pape.

[7] Maspero, Histoire ancienne des peuples de l’Orient, page 504.

[8] On peut imaginer bien d’autres applications possibles de cette méthode. Qui sait, par exemple, si le Sebna et l’Éliacim du chapitre XXII ne représentent pas les grands prêtres Ménélas et Alcime ?

[9] Maspero, p. 503.

[10] Il est vrai que Zunz laisse Jérémie au temps où le place la tradition ; mais ses observations restent applicables dans toute hypothèse.

[11] M. Clermont-Ganneau a présenté dans la Revue politique et littéraire, tome VIII, page 942 (3 avril 1875), des développements pleins d’intérêt sur la persistance du paganisme palestinien à travers les âges.

[12] Il m’est impossible d’adopter, pour ces textes d’Osée, les interprétations de M. Éd. Reuss.

[13] Joseph, Ant., XV, XI, I.

[14] Joseph, Ant., XVI, 1, 2.

[15] Ant., XV, V, 2.

[16] Vers d’Esther, d’après Isaïe, XL, 12-17.

[17] Chap. XLVII, 10. Ninive parle de même dans Sophonie (II, 15).

[18] Voyez aussi le chap. X de Jérémie.

[19] Vers de Corneille dans Polyeucte (IV, 3).

[20] Athalie, I, 1. Racine ajoute :

Le sang de vos rois crie et n’est point écoulé ;

et ce beau vers convient à sa tragédie ; mais ce n’est pas du sang des rois qu’il est demandé compte dans le prophète ; c’est du sang du peuple.

[21] Isaïe, I, 11, et LVIII, 3-10.

[22] Voyez aussi Ézéchiel, XXXIV, 4 et 16, etc., et Sirach, XVIII, 13.

[23] Voyez XL, 29 ; XLI, 17 ; LVII, 15.

[24] Jérémie (XXIX, 13) est encore plus prés de l’Évangile : Vous me chercherez et vous me trouverez, quand vous m’aurez cherché de tout votre cœur.

[25] Matthieu, II, 28.

[26] Je ne quitterai pas Isaïe sans inviter mes lecteurs à relire dans les Pensées de Pascal la traduction de quelques-uns des plus beau passages du prophète, traduction faite sur la Vulgate, mais avec un sentiment très vif (XXV, 171, pages 111-180 du manuscrit autographe).

[27] On sait qu’Ézéchiel ne se gêne en rien pour s’écarter des prescriptions du Pentateuque (ch. XL-XLVIII).

[28] Comparer Deutér., IV, 20 ; VI, 5 ; XXVII, 26 ; XXIX, 13.

[29] Marc, XI, 17.

[30] Isaïe, LIV, 9 (et LV, 3).

[31] C’est-à-dire qu’Israël ne sera plus divisé en fidèles et en infidèles, dont les uns ont à convertir les autres.

[32] Note de M. Cahen sur ce passage.

[33] Voy. Gal., IV, 24 ; I, Cor., XI, 25 ; Marc, XIV, 24 ; Hébr., VIII, 6-12. — Pour exprimer ce pacte du dieu des Juifs avec son peuple, la Vulgate emploie trois mots latins, pactum, fœdus et testamentum ; testamentum seulement dans les Épîtres et les Évangiles. C’est ce dernier que nous avons francisé plutôt que traduit l’Ancien et le nouveau Testament.

[34] Hémistiche d’Athalie (II, 7).

[35] Quand l’Apocalypse représente Babylone, la grande prostituée (c’est-à-dire Rome), tenant en sa main une coupe d’or pleine d’infamies (XVII, 4), c’est à Jérémie qu’elle a emprunté cette image. Là, Babel est elle-même la coupe d’or où toutes les nations puisent l’ivresse qui les tue (LI, 7, et XXV, 15).

[36] Ch. XI, 5. Cela se retrouve encore dans le poème de Job.

[37] Pas si dégoûtantes pourtant, comme on sait, que les fait Voltaire. Voir IV, 12, et le chap. XXIII.

[38] Fils de l’homme, ou plutôt Fils d’homme, hébraïsme pour dire simplement homme : c’est un dieu qui parle.

[39] Michelet, Bible de l’humanité, page 378.

[40] Matthieu, XXXIII, 33-35, et Luc, XIX, 44.

[41] Ezéchiel, XVIII, 23, et XXXIII, 11. Dans la seconde Épître attribuée faussement à Pierre, on rappelle assez froidement ces paroles, pour expliquer comment la fin du monde se fait attendre, III, 9.

[42] Il ne faut pas compter le chapitre XXXVII d’Isaïe, qui n’est que la reproduction du chapitre XIX du second livre des Rois.

[43] Joël, II, 28, ou III, 1 ; les chiffres ne sont pas partout les mêmes.

[44] Ces cent vingt mille créatures sont cent vingt mille petits enfants.

[45] Ce verset est célèbre par l’emploi qu’en a fait Paul (Gal., III, 11, etc.) ; mais le mot de foi a dans Paul un sens particulier et nouveau.