LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES — L’HELLÉNISME

 

CHAPITRE VII. — PLATON.

 

 

C’est dans les livres de Platon qu’il faut chercher la religion philosophique tout entière, et c’est là qu’elle a été, en quelque sorte, fixée pour des siècles. Platon n’avait pas cette vertu extraordinaire par laquelle une âme à part commande aux âmes ; mais il avait la plus large et la plus riche intelligence. La pensée de Socrate prit chez lui un développement merveilleux. Ce qui n’était qu’un élan de foi et de réformation morale, devint un système qui embrassa toute l’étendue de l’esprit humain et de la science humaine. Par-dessus l’enseignement de Socrate, Platon met celui de tous les livres, de toutes les écoles, de toutes les religions qu’il a pu connaître. Il a été notamment aussi pythagorique que socratique, mêlant à l’ironie de Socrate l’élévation du sage de Samos. Il s’était inspiré surtout de la doctrine du Pythagorique Philolaos. La suite de ses Dialogues est à peu près le seul monument de philosophie religieuse qui subsiste parmi ce que la Grèce a produit avant le temps des Romains ; mais c’est un trésor en quelque sorte inépuisable. On ferait un livre considérable sur ce seul sujet. Je ne puis donner ici que quelques pages, mais ce que je n’aurai fait qu’ébaucher, on l’achèvera en relisant Platon.

Aucune philosophie n’a été, en un sens, plus ambitieuse et plus puissante ; et pourtant il y a dans son élan, comme plus tard dans celui du Christianisme, quelque chose de triste ; on sent que si l’esprit humain se jette ainsi avec toutes ses forces dans les voies de la spéculation métaphysique, c’est qu’il se trouve trop gêné ailleurs. Cette vaste et incomparable doctrine s’est produite sous l’impression du découragement qui, à cette époque, s’empara d’Athènes. Socrate était bien un réformateur et par conséquent un mécontent ; mais il semble que c’est un mécontent plein d’ardeur, et qu’il travailla toute sa vie avec confiance à remettre en honneur la sagesse et la justice. Né au lendemain des guerres médiques, il était dans la force de l’âge sous le ministère brillant de Périclès ; depuis il vit bien des révolutions et bien des malheurs, mais cette agitation même semblait encore être la vie, et dans les plus mauvais jours on espérait mieux du lendemain. Quand vint la catastrophe de la prise d’Athènes et la servitude, Socrate avait passé l’âge où les événements du dehors déterminent la direction de la pensée ; le mouvement de la sienne ne s’arrêta pas même sous les Trente, ni après les Trente ; jusqu’au dernier moment il se tint pour libre, et pour le faire taire il fallut le tuer. Mais sa mort fut un avertissement à ses disciples plus jeunes ; ils comprirent qu’il ne fallait pas présumer de la puissance de la pensée, et qu’elle se devait résigner au mal. Xénophon et Platon désespèrent également d’une liberté sage et d’un gouvernement selon le coeur des philosophes. La vie de Platon, j’entends sa vie de penseur, la vie pleine et entière de son esprit, s’étend de la mort même de Socrate à la veille du règne de Philippe. C’est-à-dire qu’il a vu de jour en jour Athènes plus mal gouvernée et plus faible, et l’ombre s’étendant sur la ville de Pallas et sur toute la Grèce ; enfin il ne s’en est pas fallu de beaucoup qu’il n’ait eu à subir la journée suprême de Chéronée ; également à plaindre, soit qu’il en eût souffert comme citoyen, ou qu’il s’en fût accommodé comme mécontent. Ces circonstances ont mis dans sa philosophie un esprit qui n’était pas, je crois, celui de Socrate, mais qui est resté jusqu’à la fin celui de la morale antique, parce que le monde antique n’a jamais retrouvé la liberté ni l’espérance ; et c’est le même que l’esprit chrétien.

Le sage, désespérant de satisfaire ici-bas sa passion pour la vertu et la justice, se détache du commerce des autres hommes, qui lui paraissent condamnés à l’erreur et au mal. Trop résigné à se trouver parmi eux isolé et impuissant, il se fait honneur de cette impuissance même ; il a toujours devant les yeux Socrate, ou plutôt Socrate s’est transformé en un idéal, qui est celui de l’anachorète ou du martyr. La seule affaire de la vie étant la vertu intérieure, le philosophe néglige toutes les autres pour celle-là ; il s’en trouvera mal, mais que lui importe ? il s’est mis bien au-dessus de l’iniquité des hommes, et c’est lui qui condamne ceux qui prétendent le condamner. Platon fait dire à Socrate, dans un de ses Dialogues : Les choses étant ainsi, examinons un peu le reproche que tu me fais, et si tu as raison de me dire que je ne suis pas en état de me secourir moi-même, ni aucun de mes amis ou de mes proches, et de me tirer des plus grands dangers ; mais que, pareil aux hommes déclarés infâmes, je suis à la merci du premier venu, soit qu’on veuille me souffleter, car tu es allé jusqu’à ce mot-là, ou me prendre mon bien, ou me bannir, ou enfin me tuer ; et qu’être dans une pareille situation, c’est la chose du monde la plus honteuse. C’était là ton sentiment ; le mien, je rai déjà dit plus d’une fois, mais rien ne m’empêche de le répéter. C’est que le plus honteux, Calliclès, n’est pas d’être souffleté injustement, ni attaqué dans ma peau ou dans ma bourse, mais le plus honteux et le pire est d’attenter injustement sur moi ou sur ce qui est à moi. Et si on me vole, si on me fait esclave, si on perce mon mur, si enfin on commet quelque attentat que ce soit sur moi ou sur ce qui m’appartient, la chose est pire et plus honteuse pour celui qui m’outrage que pour moi qui suis outragé. Et plus loin : Laisse donc les gens te mépriser comme un fou, l’insulter à leur plaisir, et, s’il le faut, te frapper de cette façon ignominieuse que tu as dite ; tu ne t’en trouvera pas plus mal, si tu es vraiment homme de bien et pratiquant la vertu.

Le philosophe poète Parménide, dans son enthousiasme pour les idées, avait vu, ou cru voir, derrière les apparences sensibles, une région supérieure des intelligibles. Platon a repris ces images, mais l’idée morale est celle qui domine dans ses tableaux. Il a enseigné aux hommes, et le Christianisme n’a fait que répéter ses leçons, la distinction du monde visible et du mande spirituel. Ce misérable lieu où la vie se passe ne contient que de fausses apparences du bien, de l’ordre, de la justice ; il est représenté par la fameuse allégorie de la caverne, où des hommes, enchaînés en face d’un mur, sans pouvoir retourner la tête, ne voient que les ombres des choses vraies, qui passent derrière eux dans la lumière. Le véritable bien et la véritable justice subsistent ailleurs, dans le lieu intelligible. C’est ce lieu qu’il décrit dans le Phèdre d’une façon si enthousiaste, où l’esprit pur, sans couleur et sans forme, contemple librement la vérité dans une autre vie. Celui qui s’en souvient dans celle-ci, dégagé des préoccupations humaines, et tout entier au divin, est critiqué par la multitude comme hors de son bon sens, mais la multitude ne sait pas qu’il est possédé d’un dieu. Voilà les hommes partagés dorénavant en deux classes, par une distinction dont les conséquences ont été graves. Il y a eu la vie philosophique et la vie commune ; celle qui a pour objet les choses d’en haut, et celle qui ne dépasse point les choses d’ici-bas. Platon dit de sa République précisément ce qu’on a dit plus tard du royaume de Dieu, qu’elle n’est pas de ce monde : Je ne crois pas, dit Glaucon, qu’elle soit nulle part sur la terre. — Mais, lui dis-je, peut-être qu’il y en a là-haut dans le ciel un modèle poux qui veut la contempler. C’est déjà une cité de Dieu. Le contraste entre les citoyens de cette cité et les autres hommes va jusqu’à la contradiction et jusqu’à la guerre. En continuant son allégorie de la caverne, Platon nous représente ceux qui, après être montés jusqu’à l’intelligence, sont redescendus dans leur prison, comme éblouis et aveuglés de ce qu’ils ont vu, et devenus incapables de discerner les ombres présentes, Ils ne font cas ni de la fortune, ni de la naissance, ni de rien de ce qui touche les autres hommes. Ils paraissent au grand nombre ridicules et insensés ; et s’ils essaient d’arracher le vulgaire à ces illusions pour lui faire gravir le chemin qui conduit au soleil, on se révolte et on s’indigne ; on déclare qu’il faut s’emparer d’eux et les mettre à mort. C’est la même chose à peu près que le discours de Socrate à Calliclès que je citais tout à l’heure.

Ces spirituels ne trouvent d’asile que dans la retraite et la solitude : Le philosophe se cache et se tient dans quelque coin, on il passe sa vie à chuchoter sa doctrine pour trois ou quatre enfants qui l’écoutent. Et dans un autre endroit : Celui qui a goûté et goûte encore tout le charme et le bonheur de ce partage, et qui voit, d’un autre côté, quelle est la folie du grand nombre ; que personne, dans la conduite des cités, ne parait, pour ainsi dire, en son bon sens ; qu’il ne trouvera pas d’auxiliaire avec qui il puisse venir en aide à la justice sans se perdre ; mais que, pareil à un homme tombé parmi des bêtes féroces, ne voulant pas faire mal avec les autres, et ne pouvant pas non plus, à lui seul, tenir tête à la méchanceté de tous, il périra avant d’avoir servi de rien à la république ni à ses amis, également inutile à lui-même et aux autres : celui-là, pénétré de ses réflexions, résolu de se tenir tranquille et de ne poursuivre que ses propres affaires, s’en va à l’écart, comme dans une tempête où le vent roule des tourbillons de poussière et de pluie, chercher abri sous un mur ; d’où voyant le reste des hommes tout remplis d’iniquités, il est content si lui-même peut se conserver pur d’injustices et d’actions coupables jusqu’au bout de cette vie, et en partir, au jour du départ, tranquille et serein, et avec bonne espérance.

La peinture est délicieuse ; rien n’est plus touchant que ce sage persécuté qui se réfugie où il peut. Mais n’est-on pas inquiet déjà en lisant cette page ? N’entrevoit-on pas le moine dans son couvent, ou l’ermite dans son rocher ? Ne pressent-on pas le temps où, même dans la vie commune, les spirituels se mettront à part des profanes, et, sous prétexte de n’avoir plus les mêmes intérêts, n’auront pas non plus les mêmes devoirs ni la même patrie ?

Dans cette exaltation du sentiment moral, ce n’est plus assez de se séparer des hommes ; il faut se détacher même de la nature, même de la vie. Socrate mettait l’âme au-dessus du corps pour le gouverner, et Platon parle souvent comme Socrate. Mais quelquefois il transporte l’âme si haut, qu’elle se désintéresse du corps et qu’elle l’abandonne, ou plutôt qu’elle le condamne et n’aspire qu’à s’en délivrer.

L’âme est une émanation divine tombée dans le corps, et qui souffre d’y être emprisonnée, comme l’huître dans sa coquille. C’est la mort qui l’en délivre, la mort est donc un bien, et toute désirable. Ceux qui sont véritablement philosophes sont préparés à mourir, et ils sont les hommes du monde que cela effraye le moins. rois en effet : ceux qui se sont plaints de leur corps de toute manière, et qui n’ont aspiré qu’à posséder leur âme toute pure et sans mélange, ne seraient-ils pas bien peu raisonnables de s’effrayer et de se fâcher quand cela arrive, et de ne pas aller volontiers là où ils ont l’espoir de trouver ce qui a fait leur amour pendant leur vie, je veux dire la sagesse, dont ils étaient amoureux, et d’être délivrés du commerce de ce qui faisait l’objet de leurs plaintes ?

Il va jusqu’à tracer dans le Phédon l’idéal d’une âme qui se retirera, dit-il, vraiment pure, n’entraînant rien du corps avec elle, parce que dans la vie elle n’a aucun commerce avec lui volontairement, mais qu’elle le fuit pour se ramasser en elle-même, s’exerçant toujours à s’isoler ; et cet exercice n’est autre chose qu’une bonne philosophie, par laquelle elle apprend à mourir sans peine ; car n’est-ce pas véritablement là l’apprentissage de ta mort ? Il est vrai que Socrate va boire la ciguë quand Platon lui fait tenir ce langage ; mais ce qui n’est ici qu’un mouvement d’imagination déterminé par une situation extraordinaire, est devenu chez les disciples un principe, et Cicéron l’a formulé dans une phrase célèbre : La philosophie tout entière n’est que la préparation à la mort, de sorte que, par un coup de surprise qui déconcerte la raison, la mort devient l’objet de la vie[1].

En attendant la mort, il faut vivre le moins qu’il se peut, puisque la vie présente n’est que misère : Il n’est pas possible de détruire le mal, Théodore, ni de le loger chez les dieux ; c’est une nécessité qu’il demeure ici-bas, attaché à la nature mortelle. C’est pourquoi il faut tacher de fuir d’ici là-haut le plus tôt possible.

Platon, le premier, a désavoué ce que nous appelons le moi, et condamné la faiblesse que l’homme a pour lui-même : Le plus grand des maux pour la plupart des hommes est celui qui est né avec eux, que chacun se pardonne, et dont on ne se met pas en peine de se délivrer : c’est ce qu’on dit souvent, que tout homme s’aime naturellement, et qu’il est bon que cela soit nécessairement ainsi. Mais dans la vérité, c’est de là, et de cette trop grande affection pour nous-mêmes, que viennent toutes nos fautes en toute occasion. Car celui qui aime s’aveugle sur ce qu’il aime, de façon qu’il juge mal du juste, du bien et du beau, attachant plus de prix à son intérêt qu’à la vérité. Pascal a cru recommander le Christianisme en disant : Nulle autre religion n’a proposé de se haïr. Platon, en effet, n’est pas allé jusque-là ; mais il a défendu de s’aimer, et l’un a conduit à l’autre.

Une philosophie morale qui fait ainsi violence à la nature dans son enthousiasme, est vouée fatalement au surnaturel. Aussi, en même temps que Platon, comme son maître attaque les croyances populaires, comme son maître aussi il a cependant une religion, et il l’approfondit bien davantage. Socrate est une âme pieuse ; Platon est un théologien, et le père de la théologie.

Socrate ne disait pas en termes exprès : Il n’y a qu’un dieu ; mais il disait, et cette proposition devait mener à l’autre : Il y a une intelligence qui conduit le monde. Après lui, son disciple Antisthène osa prononcer que les dieux des peuples sont en grand nombre, mais que celui de la nature est unique ; c’est Cicéron qui nous a transmis cette phrase. Elle semble bien forte, quoiqu’elle n’aille pas encore jusqu’à dire, d’une manière expresse, que ces dieux des peuples ne sont rien ; mais, toute hardie que la juge Cicéron lui-même, elle ne parait pas avoir produit tout l’effet qu’on pourrait croire. Peut-être que le livre savant où elle se trouvait n’était pas lu du grand nombre ; peut-être aussi qu’Antisthène, le père des Cyniques, était de ces indépendants qu’on laisse dire parce qu’ils ne parlent guère que pour eux, et qu’ils n’ont pas eux-mêmes la prétention d’être suivis de la foule. La même parole aurait eu, sous la plume de Platon, une tout autre force ; mais il ne l’a écrite nulle part. Il a proclamé, comme Anaxagore, comme Socrate et Xénophon, l’esprit qui gouverne la nature ; mais il n’a pas opposé en termes formels l’unité de cet esprit divin à la pluralité des dieux vulgaires. Pour laquelle tiendrons-nous, Protarque, de ces deux opinions : que tous les êtres ; que le tout, comme on l’appelle, est emporté par l’action d’une puissance sans raison et qui va au hasard ; ou, au contraire, ainsi que l’ont dit ceux d’avant nous, qu’il est gouverné par un esprit et une sagesse merveilleuse ?Il y a loin, Socrate, de l’une à l’autre. L’idée que tu exprimais tout à l’heure me parait avoir quelque chose d’irréligieux ; mais la croyance à un esprit qui gouverne tout est digne du spectacle que nous offre le monde, avec le soleil, la lune, les astres et la révolution du ciel ; et je ne voudrais ni parler ni penser autrement sur ce sujet. Dans cette mesure, tous les esprits acceptaient sans difficulté la pensée du sage ; ils y étaient préparés par la langue vulgaire elle-même, qui employait volontiers cette expression, le divin, comme nous disons la divinité.

Il y a un livre où Platon a mis tout ce qu’il a cru pouvoir laisser paraître de sa pensée ; c’est ce fameux Timée, le seul de ses Dialogues où Socrate fasse un autre personnage que celui de maître. Il y est représenté comme recevant lui-même les leçons d’un Pythagoriste, dont le nom doit couvrir les nouveautés que Platon veut hasarder. C’est là que Timée remonte jusqu’à une cause première qui, un jour, a tiré le monde du chaos ; mais quelle est-elle ? Le formateur et le père de ce grand Tout est difficile à découvrir, et, si on l’a découvert, il est impossible de s’en expliquer devant tous. Plus loin, il montre ce Dieu suprême produisant de nouveaux dieux qui sont les astres, dieux visibles et créés ; puis il ajoute : Quant aux autres divinités, expliquer leur naissance est au-dessus de notre portée ; il faut en croire ceux qui en ont parlé avant nous, fils des dieux eux-mêmes, à ce qu’ils disent, et qui devaient savoir à quoi s’en tenir sur leurs auteurs. Ces fils des dieux sont les Orphée et les Musée, personnages mythologiques auxquels on attribuait les poèmes religieux que Platon a ici en vue. Il n’est pas possible de ne pas s’en rapporter aux enfants des dieux, même quand ils n’ont ni raisons ni preuves à l’appui de leurs dires. Puisqu’ils se présentent comme témoignant sur leur famille, il faut les croire, conformément à la loi. Après de tels discours, Platon aurait pu ajouter, comme dans l’Évangile : Celui qui a des oreilles pour entendre entendra. Le voile était transparent ; mais enfin il laissait un voile sur sa pensée. Loin de l’en blâmer, l’auteur chrétien de l’Octavius, à la fin du second siècle de l’ère chrétienne, se servait de son exemple pour autoriser le silence et le mystère dont s’enveloppaient les fidèles ; après l’avoir cité, il ajoutait ces propres paroles : Nous disons presque la même chose ; car nous ne connaissons qu’un seul dieu, que nous appelons le créateur de tout ce qui existe, et nous W en parlons pas en public, à moins que noms n’y soyons forcés. Suis-je bien sûr d’ailleurs que Platon n’ait pas eu des heures où il croyait comme un autre à Apollon on à Pallas ? Et était-il, après tout, bien plus étrange d’y croire qu’aux imaginations auxquelles la plupart des hommes croient ou prétendent croire aujourd’hui ?

Platon parfait habituellement des dieux au pluriel, comme tout le monde. Et, je dors le faire remarquer, c’est par une inadvertance assez grave, quoique très commune, que ses traducteurs, en maintes occasions, ni font dire, Dieu. Ce mot est de notre langue et non de la sienne. Nous l’employons comme un nom propre, et c’est à quoi le monothéisme a abouti ; mais cela ne s’est produit que fort tard. Dans l’antiquité, tout dieu a son nom : Zeus, Jupiter, Iehova ; mais Dieu n’est pas un nom. Platon dit quelquefois le dieu, mais cette expression doit être expliquée.

Elle se prend alors dans un sens général, pareil à celui dans lequel nous prenons l’homme quand nous disons : L’homme est faible, l’homme est misérable, c’est-à-dire les hommes. De même quand Platon dit : Le dieu n’est pas auteur de tout, mais seulement du bien ; ou encore Quand je méprise l’homme, c’est que je considère le dieu ; il veut dire les dieux. C’est pour cela qu’il lui arrive d’employer indifféremment, dans une même phrase, le dieu et les dieux, ce dont Grou s’est étonné mal à propos. Mais l’idée particulière que nous exprimons en disant simplement Dieu, lui est étrangère et inconnue. Si jamais, par cette expression, le dieu, il désigne le dieu par excellence, le dieu suprême, c’est à condition qu’elle soit déterminée à ce sens par l’ensemble du discours. Mais à mesure que par le progrès de la réflexion le dieu suprême a prévalu dans les esprits et qu’il a achevé d’effacer les autres, cette expression, le dieu, s’est accréditée et a fini par se trouver sans cesse sous la plume des philosophes. En la traduisant dans leur langue, les Latins, qui n’ont pas d’article, ont dit nécessairement, deus, et ce mot, s’acheminant de jour en jour vers la signification d’un nom propre, que le Christianisme lui a donnée définitivement, a fini par être ce qu’il est aujourd’hui dans toutes les langues.

Platon ne démontre pas l’existence de Dieu, mais l’existence des dieux, ni la providence de Dieu, mais la providence des dieux ; cependant, malgré ce pluriel de pure forme, les développements qu’il a donnés à ses idées, et qui remplissent en entier un livre des Lois, sont à l’usage de la religion des temps modernes aussi bien que de celle de son temps. Je voudrais pouvoir suivre à loisir ces déductions chaleureuses. Il distingue trois grandes erreurs où on peut tomber sur les dieux : ne pas reconnaître leur existence ; ou prétendre, tout en la reconnaissant, que les dieux ne s’occupent pas des choses de ce monde ; ou croire enfin qu’ils n’y prennent qu’un intérêt grossier, et ne sont touchés que des hommages qu’on leur rend et des sacrifices qui leur sont offerts. Ses réponses sur les deux premiers points, admirables d’élévation et de mouvement, sont de magnifiques homélies, et comme la source où l’éloquence religieuse a puisé et puisera toujours, tant qu’il y aura une éloquence religieuse. Rien n’a été dit de plus entraînant sur ce sujet ; et quel prédicateur s’est jamais montré plus passionné pour ce qu’il prêche ? ou a mieux pris sa parole pour la parole même de son dieu ? Si jamais il nous faut invoquer la divinité, c’est certainement à cette heure. Appelons-les au secours de toutes nos forces pour démontrer leur propre existence. Et plus loin : Si Clinias que voici, et nous autres vieillards, à nous tous, nous pouvons te persuader qu’en parlant des dieux comme tu fais, tu ne sais ce que tu dis, il faudra croire que c’est la divinité elle-même qui sera venue heureusement à ton aide.

Et encore : Comment discourir sans colère pour établir qu’il y a des dieux ? Nous ne pouvons faire autrement que de nous indigner et d’en vouloir à ceux qui ont été ou qui sont cause qu’il nous faille tenir de tels discours. Ils étaient sous l’influence de ces récits que, tout enfants ; et encore à la mamelle, ils entendaient faire à leurs bonnes et à leurs mères, moitié sérieusement, moitié en se jouant, comme si elles disaient des paroles pour faire un charme ; ils les entendaient encore, au milieu des sacrifices et des prières, et ils voyaient en même temps le spectacle le plus touchant qu’on puisse voir ou entendre à cet âge, celui de leurs parents sacrifiant avec dévotion, pour eux aussi bien que pour soi, adressant à des dieux qu’ils tenaient pour bien véritablement existants, leurs prières et leurs supplications ; enfin, au lever ou au coucher du soleil et de la lune, ils voyaient ou ils entendaient raconter les adorations et les prosternements de tous les hommes, Grecs ou Barbares, dans les circonstances heureuses comme dans les accidents malheureux ; tout cela ne permettant pas de croire qu’il n’y ait pas de dieux, mais témoignant qu’il y en a et qu’ils n’ont jamais donné lieu de douter de leur existence. Si, au mépris de ces témoignages et sans aucune raison, suffisante, comme le dira quiconque a le moindre sens, ils viennent nous forcer à discourir comme nous faisons là, comment trouver des paroles douces pour les reprendre, et leur enseigner qu’il y a des dieux ? Il faut y tâcher cependant ; il ne convient pas que nous nous montrions également hors de nous les uns et les autres ; eux par l’emportement de la volupté, et nous par la colère qu’ils nous donnent. Laissons donc tomber sans colère quelques mots de conseil à ceux dont l’esprit est ainsi perverti, et disons doucement, en éteignant notre indignation, comme si nous nous entretenions avec un d’entre eux : Mon fils, tu es jeune ; le temps en avançant changera plusieurs de tes opinions et t’en apportera de toutes contraires. Attends jusque-là pour résoudre les grandes questions. Il n’y en a pas de plus grande que celle que tu tranches comme si ce n’était rien, qui est de se faire sur les dieux une opinion vraie, qui décide si on vivra bien ou mal. Je m’arrête, car il faut bien s’arrêter.

Ceux pour qui le surnaturel n’est qu’une illusion, demanderont comment de tels discours peuvent être éloquents sans être vrais ; mais ceux-là mêmes doivent reconnaître une double vérité qui s’y retrouve. La première consiste dans la sincérité, soit du sentiment particulier de celui qui parle, soit du sentiment général qu’il retrace ; et défi peut-être cela suffirait à l’éloquence. L’autre est la raison de ce sentiment, raison profonde et légitime. Car l’homme a raison d’admirer la grandeur et l’infini de la nature ; il a raison aussi de concevoir la justice, de l’aimer et de la poursuivre. L’incrédule lui-même avouera que c’est sur ces idées vraies que l’imagination travaille quand elle crée des dieux et qu’elle donne un corps, pour ainsi dire, à la nature et à la justice.

De même, l’incrédule dira que Platon se trompe quand il s’imagine que des yeux divins suivent toutes les actions des hommes, que toute vertu est récompensée, que tout crime est puni par une intervention d’en haut, soit ici-bas, soit chez les morts. Mais, sans doute, il ne se trompe pas quand il découvre si éloquemment cette vertu merveilleuse de la conscience dans l’âme honnête, qu’aucune disgrâce et aucune misère ne peut dégoûter de la vertu, comme aucune volupté ni aucune prospérité ne peut faire qu’elle trouve son plaisir dans la dégradation et dans le mal faire. On admirera toujours, comme on l’a toujours admiré, ce tableau du juste idéal, dépouillé de tout excepté de sa justice, passant par toutes les épreuves, calomnié, maltraité et inébranlable. Il est fouetté, mis à la question, jeté aux fers, on lui brille les yeux, et il meurt enfin sur un pieu où il achève de souffrir. En face de lui est un misérable, consommé dans le mal et triomphant, entouré de toutes les faveurs des hommes et de la fortune. Vous voyez bien, dit alors le personnage que Platon a fait parler, vous voyez bien que la vie de celui-ci vaut mieux que celle de l’autre. Et c’est nous alors, par un effet dramatique et profond, c’est nous-même qui prévenons la réponse du Sage et qui nous récrions avant lui, sentant d’an sentiment invincible que nous ne voudrions pas d’un tel bonheur, et que nous envions ou tout au moins que nous glorifions une telle infortune. Les Pères de l’Église ont reconnu le Christ dans le Juste de Platon, ou plutôt il faut dire qu’ils ont fait entrer dans l’idée du Christ les traits de ce grand modèle.

La réponse de Platon sur la troisième question se rattache à un autre aspect de sa théologie. Au lieu de venir en aide à la religion populaire, il la combat et il la condamne, mais ici il faut distinguer. Quelquefois ses protestations contre la superstition n’entament pas les religions elles-mêmes. Quand il dit qu’on n’honore pas les dieux par des dehors ; que les cérémonies n’ont de vertu que si celui qui s’en acquitte a la conscience pure, qu’il sied à l’honnête homme de faire des prières et des sacrifices, mais que cela ne convient ni ne profite au méchant ; il parle comme parlent les prophètes hébreux ; et un prêtre même, s’il élève quelque peu sa pensée, peut consentir à parler ainsi. Mais quand il censure, au nom de la morale et de la justice, les traditions sacrées et toute cette mythologie en dehors de laquelle on peut dire qu’il ne restait plus rien des dieux, il menace la religion publique, et travaille à sa ruine en ne voulant que la réformer. Ce travail ne s’arrêtera plus ; là encore les Pères et les polémistes de l’Église n’ont été que ses continuateurs et ses héritiers.

Mais les Chrétiens doivent être bien plus frappés encore des actes de foi répandus de tons côtés dans Platon. Ainsi il dira : Il faut donc admettre, au sujet de l’homme de bien, s’il se trouve dans la pauvreté ou dans la maladie, ou dans telle autre condition qui passe pour mauvaise, que ces maux mêmes aboutiront à bien pour lui, vivant ou mort. Car jamais celui-là n’est oublié des dieux qui veut s’appliquer à être honnête, et à se faire semblable à la divinité, autant qu’il est permis à l’homme, par la pratique de la vertu.

Il distingue des vertus divines et des vertus humaines ; celles-ci qui se rattachent à l’intérêt bien entendu celles-là qui ne peuvent prendre leur appui que dans la foi. Sa piété a les scrupules les plus délicats. Il ne recommande pas seulement de ne pas outrager le nom des dieux par le parjure, il ajoute : En général, c’est une bonne habitude de ne pas profaner à la légère le nom des dieux, dans la disposition où nous sommes le plus souvent pour la plupart en toutes choses, à l’égard de la pureté et de la sainteté qu’il faudrait apporter à ce qui regarde les dieux. Il a le goût du divin et celui du mystère. Dans le Banquet, il a donné le ton à tous les mystiques par une espèce d’hymne où la prêtresse Diotime célèbre la contemplation idéale et amoureuse de ce bien et de ce beau absolu, dans lequel, huit cents ans après encore, Augustin croyait reconnaître son dieu. Il définit quelque part l’homme, en le distinguant du reste de la nature, l’être religieux par excellence ; il a été, lui-même, par-dessus tous les maîtres de la sagesse grecque, le philosophe religieux.

Il y a une autre doctrine, avec celle d’un gouvernement et d’une providence divine, que la parole de Platon a établie pour longtemps : c’est l’Immortalité de l’âme. C’était déjà, on l’a vu plus haut, une croyance populaire très répandue. Les poètes l’avaient consacrée, et leurs récits étaient commentés par ceux des prêtres et des prêtresses qui avaient à coeur de se montrer capables d’expliquer la religion qu’ils desservaient ; ce sont les expressions de Platon. Ce n’était pas seulement le vulgaire et les petites gens qui avaient foi en une autre vie ; on voit dans Platon un vieillard considérable et honoré, le riche Céphale, qui parle ainsi : Tu sais, Socrate, que quand on est sur le point de se voir mourir, on a des craintes et des inquiétudes pour des choses au sujet desquelles on ne se faisait nulle peine auparavant. Les récits qu’on entend faire de ce qui se passe chez Hadès, où ceux qui ont fait le mal ici-bas doivent être punis, on s’en moquait jusque-là, mais alors on est troublé de la peur qu’ils ne soient la vérité. On a une vue plus vive de ces choses, soit par l’affaiblissement de la vieillesse, soit parce qu’on en est plus près. On se sent plein d’inquiétude et de crainte ; on se met à réfléchir, et à considérer si on n’a pas à se reprocher quelque chose. Celui qui trouve dans sa vie beaucoup de fautes se réveille en sursaut au milieu de son sommeil comme les enfants ; il a peur, et reste dans une attente inquiète. Celui au contraire qui n’a aucun reproche à se faire vit avec une bonne espérance, douce gouvernante de sa vieillesse, comme a dit Pindare. Car ce poète exprime bien heureusement l’état de celui qui a mené une vie juste et sainte :

la douce espérance, dit-il, chatouille son coeur et soutient sa vieillesse, l’espérance qui mène l’esprit flottant des mortels.

C’est bien dit, et d’une façon merveilleusement vive, Mais voici où je trouve la possession de la fortune très précieuse, je ne dis pas pour but homme, mais pour l’homme de bien. Car ne jamais mentir ou tromper volontairement, n’avoir sur la conscience ni vœux dont on ne se soit pas acquitté envers les dieux, ni dettes qu’on n’ait pas payées aux hommes, c’est un avantage que la possession de la fortune contribue beaucoup à nous assurer. Elle en a bien d’autres encore, mais celui-là est le plus précieux de tous à mon avis dans ces circonstances aux yeux d’un sage.

D’un autre côté, voici comme parle Socrate lui-même, dans un autre endroit du même livre : En vérité, lui dis-je, nous n’avons pas développé les plus grandes récompenses et les plus beaux prix proposés à la vertu. — S’il y en a, dit-il, de plus grands que ceux que nous avons dits, ils sont donc bien extraordinaires. — Eh quoi ! lui dis je, dans un temps qui est petit, peut-il y avoir quelque chose de grand ? Et tout ce temps qui sépare l’enfance de la vieillesse n’est-il pas bien petit en comparaison du temps tout entier ?C’est vrai, dit-il. — Eh bien ! ne crois-tu pas que ce qui est immortel doit se préoccuper non de cette courte mesure de temps, mais de toute la durée ?Je le crois, dit-il, mais où veux-tu en venir ?Ne sais-tu pas, dis-je, que notre âme est immortelle et ne s’anéantit jamais ?Et lui, me regardant d’un air étonné : Non vraiment, dit-il ; et toi, est-ce que tu peux faire voir cela ?Oui, si je ne mens, lui dis-je ; et toi aussi, car la chose n’est pas difficile. — Elle l’est pour moi, dit-il ; mais toi, tu me feras plaisir de me montrer cette chose si facile.

Comment concilier ces deux passages, qui semblent se contredire ? sinon par cette pensée que la foi à l’immortalité n’était jusque-là qu’une superstition, suivant Platon ; et que Socrate d’abord, puis ses disciples après lui, et Platon avec plus d’éclat et de puissance qu’aucun autre, en ont fait ce que nous appelons un dogme, d’un mot qui appartient à la philosophie grecque comme tant d’autres de la langue théologique. Un dogme, c’est une opinion raisonnée ; la superstition, une imagination naïve. Mais ces deux choses ne sont pas si aisées à distinguer et à séparer que le voudraient les philosophies religieuses. Platon trouvait mauvais qu’on crût pouvoir se racheter avec de l’argent des menaces d’une autre vie ; il craignait aussi qu’on n’affaiblît les âmes en leur faisant peur de la mort. Mais, d’un autre côté, il lui semblait que de pareilles craintes pouvaient servir à conduire les hommes. Partagé ainsi entre l’esprit de critique et l’esprit de foi, il crut pouvoir remplacer les illusions populaires par une croyance plus haute et véritablement nouvelle, avouée de la raison et de la morale, qui ne fût plus un vague on dit, ni un caprice de l’imagination, un fantôme qui, en se présentant à elle, la trouble ou l’attire ; mais un principe, que l’on pût penser à prendre pour règle. Il l’essaya du moins, et, dans une certaine mesure, voilà ce que fut désormais la croyance à l’âme immortelle parmi les disciples de Platon. M. de Rémusat a écrit : On veut mettre une certaine opposition entre la science et la foi. Je croirais volontiers que la première foi a été l’œuvre de la première science. C’est la réflexion de quelques-uns qui aura éclairé l’inertie intellectuelle des massés. Les révélateurs ont été lez philosophés du temps[2]. Ces paroles profondes seront vraies encore étant retournées, en ce sens que Socrate et son illustre disciple peuvent être justement appelés des révélateurs. C’est la philosophie qui, en ratifiant la croyance à l’immortalité de l’âme, lui a donné autorité. Mais en acceptant de la religion des Mystères ces belles promesses, Platon acceptait malheureusement aussi ce qui en est la conséquence, l’idée d’un privilège des saints et d’un choix qui ne tombe que sur quelques âmes. Il répète un vers orphique qui disait, presque dans les termes de l’Évangile : Il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus. Et il ajoute que ces élus ne peuvent être que ceux qui auront bien philosophé en cette vie.

Platon n’a pas même voulu rejeter entièrement les imaginations dont se composait la foi populaire. Il les a recueillies comme des symboles ; il en a composé une espèce de parabole édifiante par laquelle il couronnait sa morale. Il annonce un jugement des morts, qui plus tard est devenu le jugement dernier des chrétiens. La ressemblance frappe jusque dans certains détails. Chaque homme est amené devant le tribunal par un démon ou génie qui lui a été attaché pendant sa vie, et qui est une espèce d’ange gardien. Les juges, après avoir prononcé, ordonnent aux justes de passer à droite et de monter au ciel, et aux méchants d’aller à gauche et de descendre aux lieux bas. Alors des hommes d’un aspect sauvage, qui paraissaient tout en feu, s’étant présentés et ayant entendu l’ordre, leur attachèrent les mains, les pieds et la tète, les jetèrent sur le sol, leur enlevèrent la peau, et les traînèrent à côté du chemin en les cardant sur les épines, ajoutant qu’ils allaient les précipiter dans le Tartare.

Plus haut, on remarque cette phrase : Sur ceux qui ne faisaient que de naître, et qui n’ont vécu que quelques moments, il disait des choses qui ne valent pas d’être rappelées. Il dit encore ailleurs qu’une fois tombés dans le Tartare, les grands coupables n’en sortiront plus. Enfin il acceptait d’Empédocle et des Orphiques la doctrine qui faisait de cette vie l’expiation d’un péché antérieur à la vie même.

Platon demandait ainsi à la poésie de suppléer au silence de la raison. Car il savait bien que la raison se tait sur les secrets d’une autre vie, et ce grand esprit n’était pas à la merci de son imagination. Il ne croyait qu’à moitié ce qu’il a fait croire au monde. Il est tel endroit où il ne nous promet l’immortalité que dans la mesure où la nature humaine le comporte, c’est-à-dire, apparemment, un prolongement indéfini de l’existence. Ailleurs, il laisse dans le doute, comme il parait que faisait en effet Socrate lui-même, si l’homme survit ou non à la mort. Et ce doute, il le présente d’une façon bien imposante. Voici les paroles qu’il met dans la bouche de Socrate, disant adieu à ses juges qui viennent de le condamner : a Il est temps de nous en aller, moi pour mourir et vous pour vivre. Mais laquelle de ces perspectives est la meilleure, personne ne peut le dire, si ce n’est la divinité. Cela este ce me semble, d’un plus grand effet sur l’imagination qu’une promesse plus explicite et plus hardie.

Platon faisait dire encore à Socrate : Je raisonne ainsi, mon ami, et vois avec quel avantage. Si ce que je dis là se trouve être vrai, j’ai doms bien fait de le croire. Si, au contraire, je n’ai rient à attendre après ma mort, j’y gagnerai encore, pendant ce temps qui me reste avant de mourir, de ne pas ennuyer ceux qui m’entourent de mes plaintes. Et plus loin : Je me risque volontiers sur cette croyance, car c’est un beau risque à courir. Tout le monde a reconnu l’argument du pari, si célèbre dans les Pensées de Pascal. Ce raisonnement souffre des objections même chez Platon, même présenté avec cette réserve pleine de grâce ; mais combien à est plus persuasif que chez le pieux malade qui prétend nous forcer d’être jansénistes, sous le prétexte que nous ne sommes pas sûrs que le paradis et l’enfer du jansénisme ne soient pas des réalités ! Platon doutait donc ; néanmoins on a laissé tomber ses doutes et on .a relevé avec empressement ses espérances, qui sont devenues une foi.

Dans le célèbre dialogue du Phédon, où il a prétendu mettre dans tout leur jour les titres ou les prétentions de l’âme à l’immortalité, et que Caton relut, à ce qu’on dit, avant de mourir, Platon parle ainsi par la bouche d’un de ses personnages : Je crois que sur de telles matières arriver à l’évidence en cette vie est impossible ou très difficile... Il faut pourtant tâcher de savoir ce qui en est, et, si on ne peut y parvenir, on prendra parmi les opinions humaines la meilleure et celle qui résiste le mieux, et on s’y établira comme sur un radeau pour traverser la vie, à moins qu’on ne puisse trouver à s’embarquer sur un vaisseau plus solide et sur une parole divine, qui nous conduise en toute sûreté au terme du voyage. De telles paroles, après l’avènement du Christianisme, prirent une signification toute nouvelle ; les Chrétiens qui les lisaient ont dû croire et ont dit dire que Platon avait eu la conscience de l’insuffisance de la raison et le pressentiment d’une manifestation du Verbe d’en haut, par laquelle seulement l’homme égaré a pu enfin trouver sa route. Qu’y avait-il là en réalité ? D’abord une vive figure pour accuser les ombres qui voileront toujours les choses d’au delà aux esprits mêmes qui croient y atteindre. Ensuite une complaisance secrète, non pour les révélations de l’avenir ; mais pour celles du passé, que l’Égypte prétendait posséder et transmettre.

J’ai montré déjà dans Isocrate l’attrait que la religion de l’Égypte commençait des ce temps-là à exercer sur les âmes. Mais Isocrate ne connaissait l’Égypte que par ouï-dire ; Platon l’avait vue, et c’était Platon. Aussi, quoiqu’il n’en parle que rarement et en passant, en parle-t-il avec une grande force. Il a encore devant les yeux ces figures, peintes ou gravées depuis dix mille ans : Et quand je dis dix mille ans, ce n’est pas par manière de parler, mais tout de bon[3]. Il se souvient d’avoir entendu ces chants sacrés, si vieux qu’on les attribuait à Isis elle-même, et qui n’ont jamais changé. Il y a un mot qu’il met dans la bouche d’un vieux prêtre de Saïs parlant à Solon ; et c’est lui sans doute qui se l’est dit à lui-même, en contemplant les pyramides ou les temples : Vous ne serez jamais que des enfants, il n’y a pas de vieillards parmi les Grecs. Il admirait cette caste sacerdotale sur laquelle il a pris modèle dans sa République, dont les membres employaient leur vie entière à l’accomplissement de leurs saints devoirs. Ces hiéroglyphes, que l’Égypte elle-même lui expliquait, et que nos maîtres, je le crois, comprennent mieux que lui sans qu’elle les leur explique, le faisaient rêver aux origines de l’écriture et aux temps lointains où un dieu apporta à l’humanité ce bienfait, qui, comme tout ce qu’elle acquiert, lui a peut-être coûté quelque chose. Partout nous le voyons comme subjugué par ses souvenirs et ne pouvant se défendre de l’empire de cette antiquité vivante. Il dit encore ailleurs : Les anciens, qui valaient mieux que nous, et qui vivaient plus près des dieux.

La religion de la nature, ce fond premier des religions, à peu près effacé en Grèce sous les fantaisies mythologiques, il le retrouvait dans les formules immuables de l’Égypte, et il pouvait y rattacher sa métaphysique savante. Quand il dit : Nous nous méprenons en parlant de l’éternelle essence ; nous disons qu’elle a été, qu’elle est, qu’elle sera ; elle est, c’est le seul mot qui convienne : ces paroles semblent un commentaire de l’inscription fameuse du temple de Neith : Je suis tout ce qui a été, qui est et qui sera, et aucun mortel n’a encore soulevé mon voile. Et combien il ressemble au dieu du Timée, auteur mystérieux et ineffable de l’univers, celui qui parle ainsi dans les textes hiéroglyphiques ! Je suis Atoun ; qui a fait le ciel, qui a créé tous les êtres, qui est apparu dans l’abîme céleste... Je suis le grand dieu qui s’engendre lui-même... je suis l’abîme, père des dieux... je suis la loi de l’existence et des êtres. C’étaient là comme des oracles, dont Platon s’est fait l’interprète.

L’Égypte était riche en visions sur les secrets des régions souterraines. Sa religion était la religion de la mort. L’intérêt de la vie présente, qui est si courte, semblait peu de chose à ce peuple en comparaison de la longue existence qu’il attendait par delà. Le mort, devenu momie, était toujours présent ; on construisait le tombeau et on le décorait comme la véritable demeure ; enfin on ne croyait pas moins, pour ainsi parler, à la résurrection qu’à la vie même. Les imaginations étaient donc pleines des choses du monde invisible. Dans ce Livre des morts, que les tombeaux de l’Égypte nous ont rendu et que les égyptologues nous déchiffrent, on voit les enfers avec leurs terreurs, leurs supplices et leurs bourreaux. Un chapitre de ce livre contient les aventures du mort, traversant les épreuves des enfers, puis sauvé, reparaissant au jour, prenant toutes des formes qu’il désire, admis enfin dans le domaine de la sagesse. En voici quelques fragments : Sauve-moi de ces gardiens sagaces, à qui le seigneur des esprits a confié la surveillance de ses ennemis, qu’il leur a livrés pour les immoler ; à la garde desquels personne ne peut échapper. Que je ne tombe pas sous leurs glaives ! que je n’entre pas dans leur boucherie ! que je ne tombe pas sur leurs billots ! que je ne me pose pas sur leurs réseaux ! qu’ils ne me soit rien l’ait de ce que détestent les dieux ! Car je suis le justifié. Et il est sauvé en effet ; les dieux sont venus à son aidé et ont aplani sa voie. Isis a effacé ses souillures ; Nephthys a retranché ses péchés. Il est triomphant, il rentre dans son pays ; il est au comble de ses désirs[4].

Si Platon n’avait pas lu ces textes, il avait vu certainement les représentations figurées qui les traduisaient partout aux yeux. Seulement Platon n’était pas dupe de ces images, et sans doute il ne prenait pas à la lettre les discours qu’il fait tenir à son Er de Pamphylie. Mais plus tard les Barbares ont répété ces fables d’un tout autre ton que l’Athénien ne les avait dites, et ils ont fait de sa poésie quelque chose de misérablement sérieux.

Une autre idée a tenu par la suite dans l’esprit des hommes, grâce à Platon, une place hors de proportion avec celle qu’elle tenait dans l’esprit de Platon lui-même. C’est l’idée d’êtres surnaturels, appelés démons, intermédiaires entre les dieux et la race humaine. Il y a déjà quelque chose de cette tradition dans Hésiode ; mais Platon l’a reçue de l’école pythagorique ou orphique telle que nous l’avons rencontrée dans les vers d’Empédocle. Apulée nous dit, en alléguant l’autorité d’Aristote, que les Pythagoristes ne comprenaient pas qu’un homme pût n’avoir jamais vu de démons. C’est à ces démons qu’on rapportait les phénomènes mystérieux de la magie et de l’inspiration prophétique. Il était naturel de leur rapporter aussi la divination ; car, dit Platon, ce n’est pas la nature divine qui peut entrer directement en commerce avec l’homme ; de sorte qu’il se sert de la croyance aux démons pour satisfaire à la fois au besoin que l’imagination a du merveilleux, et aux réclamations de la raison, qui s’est fait une plus haute idée de l’essence divine. Tout cela est dit en passant, en quelques mots placés dans-la bouche inspirée de la prêtresse Diotime. Et tout cela n’est, à vrai dire, qu’une poésie, aboutissant à ce trait, que l’Amour est un grand démon. Mais cette croyance, ainsi autorisée et consacrée par ce maître des choses divines, devait être désormais, et pour des siècles, une partie considérable de la foi religieuse de l’humanité.

Mais il est remarquable que, parmi ces démons, on ne voit pas dans Platon de génie du mal. L’idée orientale de deux principes des choses, l’un auteur du bien, l’autre du mal, se montre à peine dans un coin de ces conversations où il épanche tout ce qui traverse son esprit. Elle n’a jamais prévalu dans la Grèce antique[5]. On croyait à des dieux exécuteurs des justices suprêmes, et ces justices étaient quelquefois terribles ; mais ces dieux pourtant ne voulaient pas le mal pour le mal. Le Grec, plein de résolution et de lumière, ne faisait pas au mal l’honneur de le croire un esprit ; il n’y voyait qu’une résistance aveugle et une impuissance. C’est dans l’Orient esclave et inerte qu- s’est développée la croyance à un dieu du mal, le Satan juif et chrétien. Quant à ces hommes de feu, qui figurent dans les enfers fantastiques de Platon, quoiqu’ils rappellent les diables du moyen âge, ce ne sont pas des puissances spirituelles ; ce ne sont que des geôliers et des bourreaux.

La morale de Platon est nécessairement religieuse, ou plutôt elle est une religion. J’ai déjà cité un passage on il invite l’homme à se faire semblable à la divinité par la vertu ; ce passage n’est pas isolé. L’imitation de la divinité, autant qu’elle est- possible à l’homme, est une idée qui lui est familière. D’ailleurs la divinité est en quelque sorte dans nous-mêmes. Démocrite et Euripide l’avaient dit déjà. L’âme, dit Platon, est, après les dieux, ce qu’il y en a en nous de plus divin, comme elle est ce que nous avons de plus en propre... Si je dis donc qu’après les dieux nos maîtres, et ceux qui viennent à la suite des dieux, c’est elle que nous devins particulièrement honorer, je dirai bien. Et il ajoute qu’on n’honore pas l’âme en lui prodiguant les louanges ni les complaisances coupables, ni l’argent ; mais que celui qui croit l’honorer ainsi traite au contraire cet être divin qui est en lui de la manière la plus déshonorante et la plus outrageuse. C’est de là certainement qu’est née cette formule de la morale par laquelle nous nous reconnaissons des devoirs envers nous-mêmes, De même, s’il nous commande de respecter la vieillesse de nos parents, c’est en consacrant leur personne dans nos pensées comme la représentation des dieux. Les dieux, dit-il, sont touchés des honneurs qu’on rend à leurs images : eh bien, quelles images pouvons-nous avoir d’eux chez nous qui leur soient plus précieuses qu’un père ou un grand-père fléchissant sous la vieillesse, ou des mères ayant les mêmes droits ? Ce sont des figures dont la vertu est merveilleuse, et tout autre que celle des images inanimées. Ces figures vivantes, quand nous les honorons, prient avec nous ; et quand nous les outrageons, au contraire ; les autres n’en font rien. Celui donc qui traite comme il le doit son père, son grand-père, et tous ceux dont il est sorti, a en eux les meilleures de toutes les images pour attirer la bénédiction des dieux.

C’est encore d’après des idées religieuses, je l’ai dit, qu’il a condamné le suicide, comme l’avait fait aussi le philosophe pythagorique Philolaos.

Il obéit de même à une sorte de zèle dévot quand il commence contre le théâtre une guerre que ses disciples ont poursuivie, et après eux les chrétiens. En effet, c’est sur le théâtre que les Comiques bafouaient et dénonçaient les philosophes. Et quant à la tragédie, tel grand maître, qui vivait toujours, et qui avait paru dans son temps le complice de la philosophie, était resté nécessairement en arrière de ses enseignements nouveaux, tandis qu’elle-même, d’ailleurs, était devenue plus exigeante, le théâtre sembla être désormais le foyer de l’esprit païen, et parut élever, pour ainsi dire ; chaire contre chaire[6].

Platon exige de l’homme qu’il marche humble et réglé sur la loi divine. Je dis humble ; le mot que je traduis ainsi est bien le même que le Nouveau Testament emploie.

Il condamne sévèrement la volupté ; il croit qu’elle n’est pas mauvaise seulement par les maux qu’elle peut, traîner à sa suite, mais qu’elle est mauvaise en soi, parce qu’elle nous fait mal jouir. Il prêche une pureté de moeurs qui devait paraître, il le sent bien, chose étrange et impossible. Il conseille hautement à tous la chasteté ; il prescrit tout au moins le respect de la pudeur publique ; et, réformant résolument la loi réelle dans ses Lois, il condamne le mari qui entretient ouvertement une concubine, même quand cette concubine est une esclave.

Il désavoue jusqu’à la richesse. Lui-même cependant n’était pas pauvre ; et il a mis en scène avec complaisance dans un de ses Dialogues un vieillard riche et aimable qui développe les avantages d’une grande existence, principe de dignité comme de bien-être. Mais ailleurs, et s’étant heurté sans doute à quelque opulence grossière et brutale, il écrivait : Être à la fois éminemment bon et éminemment riche est impossible. C’est déjà presque le mot de l’Évangile, qu’il est à peu près impassible au riche d’entrer dans le royaume de. Dieu.

Enfin il défend la vengeance, et établit avec une grande force, contrairement à d’anciens maîtres de sagesse, le grand principe qui est à lui seul une morale entière : qu’il n’est jamais permis de rendre le mal pour le mal. Il ajoute qu’il y aura toujours bien peu d’hommes à qui on puisse faire accepter ce paradoxe ; et cela est demeuré en effet tout aussi difficile pour le Christianisme que pour Platon.

Mais Platon n’a pas seulement fondé une religion intérieure, il a tâché de la constituer extérieurement. Avec, le dogme chrétien, il a préparé aussi le sacerdoce chrétien. Il a quelque chose de l’esprit du prêtre, surtout dans ce livre des Lois, qui est comme le testament qu’il a laissé à ses disciples. Platon en vieillissant était devenu plus dévot. Le grand homme libéral s’était fait conservateur (comme nous dirions en langage moderne) par l’effet de son âge, ou de ses ressentiments, ou de ses craintes. De là le caractère particulièrement édifiant et dogmatique du livre des Lois. C’est le seul où il ne fasse pas figurer le personnage de Socrate, et il n’y a pas non plus conservé son esprit. Les Lois de Platon n’en sont pas moins un grand monument, dont l’influence a dû être considérable ; je ne doute pas qu’il ne soit demeuré le catéchisme des hommes religieux en Grèce jusqu’aux temps chrétiens. D’ailleurs, on peut reconnaître déjà, même dans ses autres livres, les traits de son génie qui se sont exagérés dans celui-ci : les caprices de l’imagination, le despotisme d’une pensée supérieure, le dédain, toujours dangereux, dû commun des hommes ; toutes ces choses le désignaient au métier de fondateur et de chef d’une Église, et c’est en effet ce qu’il a été.

Le véritable caractère de sa République, souvent mal comprise, c’est d’être l’organisation de ce que nous nommons Pouvoir spirituel. Socrate a un secret pour mettre enfin la justice et le bonheur sur la terre ; ce n’est pas petite chose ni chose facile, c’est chose possible pourtant. Il le fait longtemps attendre, enfin le voici : Il faut que les philosophes gouvernent, ou que les gouvernants philosophent. C’est là ce qui depuis longtemps m’embarrasse à dire, car je vois bien qu’il n’y a pas de plus grand paradoxe ; il n’est pas facile de reconnaître que c’est là la condition de tout bonheur public ou particulier. Ainsi, c’est le dernier mot de Platon. On l’a bien mesquinement interprété, quand on n’y a vu que le cri de l’ambition d’un penseur qui voulait conduire un prince ; il a une tout autre portée ; il contient le principe des deux puissances et inaugure l’avènement de la puissance spirituelle : les philosophes sont ceux qui sont occupés des choses d’en haut, et ce langage est celui que l’Église a tenu aux rois et en vertu duquel elle a régné.

Si on en doutait, qu’on se reporte au livre VII de sa République : c’est là que Platon prépare et instruit les philosophes de sa cité idéale ; on verra bien qu’ils constituent un véritable clergé. Ce sont des hommes choisis, parfaitement sains de corps et d’esprit, se recommandant même, s’il se peut, par la beauté. On les préparera par toutes sortes d’exercices qui remplissent une partie de leur vie ; puis, quand ils auront atteint cinquante ans, on les conduira au terme : On les forcera à diriger l’œil de l’âme vers cette essence qui éclaire toutes choses, et de considérer le bien en soi pour s’en servir comme d’un modèle, sur lequel ils régleront et la république, et les particuliers, et eux-mêmes. Ainsi, de la contemplation ils redescendront au gouvernement des hommes. Arrivés au terme de cette existence, ils passeront dans les Îles des Bienheureux, et, si la Pythie le trouve bon, on leur fera des fêtes et des sacrifices. En langage moderne, ce sont des saints ; et on est frappé de leur ressemblance avec ces évêques, ces Pères de l’Église, dont le Christianisme faisait les suprêmes magistrats des peuples, et qu’il finissait par canoniser. Il accomplissait en cela la promesse de Platon. Celui-ci admet aussi des femmes philosophes à cette dignité : ce sont les saintes abbesses du moyen âge. C’est pourtant dans ce même livre que le philosophe était représenté s’abritant sous son mur contre la tempête des passions humaines ; mais tel est l’esprit dévot ; il ne s’isole du monde que pour mieux s’en emparer, et c’est au fond à quoi il aspire.

Platon dit encore ailleurs, en propres termes, qu’un philosophe (il dit cela comme nous dirions, un saint) devient une espèce de dieu après sa mort, et il ajoute même qu’il a déjà du divin en cette vie.

Il y a dans Platon, au sujet des femmes et des enfants des gardiens, ainsi qu’il appelle ceux à qui il confie la conduite de sa République, certaines étrangetés fameuses, dont on fait honte encore tous les jours à la philosophie. Et cependant le sage abbé Fleury, le second et l’ami de Bossuet, a eu le mérite de voir et de dire que ce n’est pas là du libertinage, et que le philosophe ne s’est proposé rien que de sérieux et même de sévère. On sait, d’ailleurs, qu’il n’a pas inventé ces rêveries, et qu’elles ne sont que l’exagération, et pour ainsi dire, l’idéal de ce qu’on nous raconte des institutions de Sparte. Mais il est certain qu’on ne peut essayer, dans un intérêt philosophique ou religieux, de mettre une caste au-dessus de l’humanité, et par conséquent en dehors d’elle, sans faire une violence quelconque à la nature. L’Église l’a fait comme Platon, quoique d’une autre manière. Comme sa loi est venue bien des siècles après celle de philosophe, et que, de plus, elle a été la loi réelle d’un vaste corps et non le caprice d’un génie qui se promène en pleine liberté dans la fantaisie, elle a naturellement été plus pure, plus respectueuse pour la dignité humaine, et elle s’est défiée davantage de ce qui pouvait révolter. Tandis que les gardiens de Platon s’accouplent ouvertement à des femmes sans leur demeurer unis, et en ont pêle-mêle des enfants qu’ils n’avouent ni ne connaissent, l’Église a interdit à ses prêtres l’amour et la famille. Cependant, ce qu’elle a voulu est-il vraiment bon et légitime ? Et de plus, a-t-elle toujours fait ce qu’elle a voulu ? Les choses qui se passaient en pleine lumière et avec une solennité bizarre dans l’utopie de la République, ne se sont-elles pas passées plus d’une fois au fond de l’Église, clandestinement et dans l’ombre ? Elle s’y résignait, pourvu qu’elle obtînt ce grand résultat politique, que ses gardiens, non plus que ceux de Platon, ne connussent pas les intérêts ni les liens des pères de ramille ; et que, quoi qu’ils pussent être comme hommes, ils n’eussent, comme ministres, ni femmes ni enfants.

Mais en constituant cette Église philosophique, Platon rte pouvait oublier qu’il y avait déjà autour de lui une religion et un sacerdoce, et il ne lui en coûtait pas de leur faire leur part. Il accorde beaucoup à toutes les autorités sacrées, et surtout à l’oracle de Delphes, la plus haute de toutes, à laquelle seule il défère le droit de faire des lois sur la religion : Car ces choses, nous ne les savons pas nous-mêmes, et, en fondant une cité nous ne pouvons mieux faire, si nous sommes sages, que de nous en rapporter à l’oracle national. Or, ce dieu est un véritable oracle national pour tous les hommes, siégeant, comme il fait, au centre et à l’ombilic de la terre.

Dans ces passages, Platon demande aux dieux et à leurs mantéons ou sièges prophétiques, des décisions en matière religieuse ; il ne leur demande pas le secret de l’avenir. Croyait-il à la divination Y Il en parle à peine, et c’est assez pour montrer qu’il n’y croyait guère. Il y a pourtant des traces, dans ses Dialogues, d’une illusion qui était alors universelle. Il nous fait voir Socrate qui s’attribue des pressentiments inexplicables et merveilleux. Il semble accorder que l’âme a des lumières extraordinaires dans le rêve, comme dans le délire de la maladie ou de la possession (enthusiasmos). Le livre hippocratique des Rêves présente les mêmes idées. Cependant, si Platon accorde quelque chose au miracle, c’est moins, ce me semble, par une véritable foi que par complaisance d’imagination, ou même par circonspection et prudence. La divination étant une chose établie, il croit devoir la respecter. C’est ainsi encore qu’à propos d’une autre croyance voisine de celle-là, la croyance aux enchantements et aux maléfices, il dira : qu’il est difficile de savoir là-dessus la vérité, et plus difficile encore de la faire entendre aux autres.

Le livre des Lois est un code et un rituel tout ensemble ; mais le caractère sacerdotal s’y montre surtout par ce qu’il a de plus fâcheux comme de plus inévitable, l’intolérance ; et il y est marqué d’une façon triste ment ineffaçable. Platon y promulgue une loi du sacrilège, qui n’a rien laissé à faire après lui. Il en a porte une autre contre toutes les espèces d’impiété ; il condamne ceux qui pensent mal des dieux, c’est-à-dire ceux qui ne, pensent pas, ce qu’il veut qu’on pense ; et la peine qu’il prononce, en cas de récidive, est la mort. Il n’en faut pas davantage pour montrer combien on se trompe quand on croit que l’intolérance est un fait juif. Et Platon, qui parle ainsi, est le même qui a écrit l’Euthyphron, le Criton, l’Apologie, le Phédon, ces quatre actes du drame de la mort de Socrate, tué pour avoir mal pensé des dieux !

Il a aussi l’intolérance morale qui arrête tous les mouvements de l’intelligence, de peur qu’ils ne la portent au mal. Ce grand poète et ce grand artiste condamne l’art et la poésie ; il glorifie l’immobilité du génie égyptien, qui n’a pas changé depuis dix mille ans ; il imagine un art qui ne serait que la décoration d’un tombeau à jamais fermé, bon seulement à envelopper des momies.

Le droit pénal de Platon repose malheureusement sur l’idée religieuse de l’expiation, c’est-à-dire sur une erreur dont les conséquences sont très graves. La source de cette erreur est un principe qui semble d’abord l’évidence même : Il est juste, dit-on, que le mal soit puni. On se trompe, cela n’est juste qu’autant que Geta est utile. Toute punition qui ne servirait à rien ne serait que dureté. Le châtiment n’a pas sa raison seulement dans le mal qui est fait, mais aussi dans celui qui pourrait être fait encore ; et qu’on tâche de détourner par l’exemple. Et c’est ce que Platon avait montré lui-même ailleurs mieux que personne. Autrement, voyez où on se trouve entraîné. Il est juste que je sois puni, mais tout ce qui est juste est un bien ; donc c’est un bien pour moi d’être puni, et c’est un mal de ne pas l’être. Voilà ce que dit Platon : et il ne l’entend pas seulement de la façon dont le sens commun peut l’entendre et l’avouer ; comme quand on dit, par exemple, que c’est un malheur pour un enfant de n’avoir jamais été repris, parce que cela a développé en lui les mauvais penchants. Il l’entend dans ce sens paradoxal, qu’il faut toujours désirer le châtiment, et toujours craindre d’y échapper ; qu’il faut le rechercher et le poursuivre s’il ne vient pas, qu’il faut le procurer à ceux qu’on aime, et n’y soustraire que ceux à qui on veut du mal ; qu’au besoin il faut se l’infliger soi-même, car le châtiment c’est la guérison, c’est le salut.

Voilà le principe de la pénitence chrétienne. Et on peut dire que l’esprit de ce sacrement de l’Église est tout entier dans ce passage du Gorgias : Cette rhétorique qui consiste à se faire absoudre de ses méfaits soi et les siens n’est bonne à rien, mon cher Polos. Croyons au contraire qu’il faut s’accuser tout le premier, et après soi, ses parents ne ses amis, si quelqu’un vient à malfaire ; sans rien dissimuler, mais au contraire en produisant la faute au grand jour pour qu’elle soit punie et que la punition guérisse le coupable. Il faut se forcer, et forcer les autres à ne pas reculer, à se présenter tranquillement et résolument, comme on se présente au médecin pour qu’il coupe ou qu’il bride, n’ayant en vue que le bon et le bien, et ne tenant pas compte de la douleur ; s’offrant aux coups si la faute mérite des coupa, aux fers si ce sont les fers, à l’amende si c’est l’amende, à l’exil si c’est l’exil, et si c’est la mort à la mort, on sera tout le premier son propre accusateur ou celui des siens, et on emploiera sa rhétorique à faire en sorte que les méfaits étant reconnus, le coupable soit délivré de ce qui est le plus grand des maux, je veux dire son péché même. Mais ici on doit distinguer. On respecte nécessairement le principe chez celui qui se l’applique, puisqu’il est inspiré par un sentiment moral exalté jusqu’au sacrifice de la nature. Et pourtant on regrette que ce sacrifice soit si peu raisonnable et si stérile, et que la force que l’âme y dépense ne s’emploie pas plutôt à bien faire qu’à se punir d’avoir mal fait. Mais le grand péril de cette doctrine est de l’appliquer aux autres comme une loi et comme la règle de la justice. Ce n’est plus alors u n petit nombre d’âmes qui en souffrent, mais l’humanité. On fait souffrir les hommes pour leur bien, on les guérit à force de rigueurs et de peines, et quand on n’en est pas venu à bout, on les tue comme incurables. C’est la justice du moyen âge et des temps où l’Église a régné. Platon est d’ailleurs si convaincu, qu’il invite encore le coupable à se frapper lui-même. Voici comme il parle à l’homme qui a laissé entrer en lui des pensées impies : Quand ton esprit est assiégé de pareilles idées, recours aux pèlerinages, va en suppliant aux temples des dieux préservateurs ; adonne-toi au commerce de ceux qu’on appelle gens de bien ; écoute-les quand ils disent, et tâche de dire toi-même avec eux, que tout homme doit s’attacher au bon et au Juste ; fuis sans retour la société des méchants ; et peut-être que ces pratiques te soulageront de ton mal. Sinon, persuade-toi que la mort vaut mieux, et sors de la vie. Encore ces principes arrêteraient du moins tout châtiment à la mort ; mais d’autres idées religieuses exigent davantage. On regarde le crime comme ayant offensé les dieux, et on met la justice humaine au service de leur colère. On proportionne la punition à l’idée qu’on se fait de l’indignation divine. Il y a tel crime pour lequel on suppose qu’elle prépare au delà même de la vie d’épouvantables supplices. Et alors, suivant Platon, la loi humaine devra prendre pour règle cette vengeance divine ; et il faudra qu’elle s’applique à trouver des tortures qui ne le cèdent en rien, s’il est possible, à celles des enfers.

En voilà assez ; on trouvera même peut-être que c’est trop, et que j’ai bien- longuement cité ce que tout le monde peut lire. Mais que pouvais-je faire de mieux que de citer ? Il ne me suffisait pas de dire : Le Christianisme est dans Platon, allez-y voir. J’avais besoin de dire : Le voilà, et de le montrer coulât de ses lèvres.

Si on disait que les subtilités et les curiosités qui abondent dans ses Dialogues ne sont pas selon l’Évangile, on ne pourrait dire pourtant qu’elles ne soient pas chrétiennes, puisqu’elles se retrouvent dans les Pères. Quant à ces sensualités d’esprit, si on peut parler ainsi, qui nous étonnent dans la morale platonique, elles ont pénétré jusque dans le mysticisme chrétien. Il est vrai que tout cela s’étale chez Platon avec une étrange intempérance ; et, par exemple, il n’y a pas un de ses livres où on ne souffre de retrouver, tout près de choses grandes ou charmantes, une sophistique irritante, qu’un esprit droit, à la française (notre XVIIe siècle aurait dit, un esprit chrétien), ne peut supporter. Mais le côté par où Platon s’éloigne le plus du sentiment chrétien est le caractère superbe et aristocratique de sa sagesse. C’est le tort de son époque ; c’est aussi particulièrement le sien. J’ai déjà dit que la sagesse, à cette date, n’était guère comprise que d’une élite, comme le soleil à son lever éclaire d’abord le haut des montagnes. J’ai rappelé aussi comment les vices et les fautes de la démocratie d’Athènes inspiraient à des hommes distingués et mécontents un certain penchant, soit pour un prétende gouvernement des honnêtes gens, soit même pour le pouvoir d’un seul. Mais la démocratie n’a pas eu, parmi les philosophes, d’adversaire plus dédaigneux et plus chagrin que Platon. Il était de ces maîtres des esprits, tellement pleins de leur grandeur, qu’ils regardent tout ce qui est au-dessous d’eux avec une sereine indifférence, et qu’ils n’ont peut-être pas le cœur aussi large que leur génie. Ils ne s’intéressent pas assez à la foule de leurs frères obscurs, et ne ressentent pas comme il faudrait tout ce qui touche l’humanité. Platon sans doute .n’était pas le seul de son temps qui méprisât la multitude ; qui, par exemple, regardât comme misérables et abjects les métiers où l’on travaille de ses mains. Mais il a exprimé ces sentiments plus fortement que personne, parce qu’avec l’orgueil de la richesse et de la naissance, il avait au plus haut degré celui de la science et de l’esprit. Essentiellement dominateur, il veut avant tout que sa pensée règne ; son idéal est la monarchie du sage, ou une espèce de théocratie philosophique. Le scandale même de ses doctrines sur l’amour tient encore à cet orgueil. En général, il est clair que les amours dépravés des Grecs avaient pour principe le mépris de la femme, c’est-à-dire du faible. Les habitudes de la guerre et du gymnase les favorisaient ; de plus, les fils des races aristocratiques, en se liant entre eux par cette passion ; prétendaient se fortifier contre les tyrans ou chefs des races inférieures qui menaçaient leur caste. La philosophie ajouta à ces dispositions le dédain des penseurs pour tout ce qui ne pense pas autant qu’eux, un nouvel esprit de caste, qui avait quelque chose d’ecclésiastique ou de monastique. Quoique Platon ait reconnu dans sa République que des femmes pouvaient atteindre aux plus grandes hauteurs philosophiques (il en avait trouvé sans doute qui le comprenaient et l’admiraient), cette complaisance n’était pas le mouvement naturel et habituel de son esprit. Il professe en effet que l’amour des femmes est un amour inférieur, bon pour les hommes vulgaires, qui ne sont touchés que du corps. L’autre passion est au contraire la marque des âmes d’élite ; elle est faite pour les vrais philosophes, qui ne se soucient pas du mariage, ai d’avoir des enfants, et ne s’y résignent que contraints par la loi. Ainsi cette grande honte de la Grèce a sa source dans ce, qui est en effet le principe du mal en toutes choses un manque de justice, une insulte au faible ; on ne fait violence à la nature que faute de respect pour l’humanité.

On ne peut laver Platon tout à fait de cette tache ; car, indépendamment de ce qui demeure équivoque dans ces passions prétendues idéales d’où est venu la nom d’amour platonique, il y a un de ses livres, un ouvrage de jeunesse il est vrai, où la dépravation grecque est en propres termes, sinon autorisée ; du mors consentie. Mais telle est la vertu purifiante de la pensée et celle de l’apostolat philosophique, que la morale de Platon est venue aboutir enfin, dans ses Lois, à une condamnation de ces amours aussi sévère que celle que le Christianisme a pu prononcer. Lui-même alors, désespérant de venir à bout d’une corruption si invétérée, aurait voulu appeler à son aide une de ces lois antiques et saintes auxquelles on ne demande pas compte de leurs prescriptions ; une loi des dieux, qui rendit ces voluptés abominables comme le sont celles de l’inceste. Trouvait-il cette loi divine chez les Égyptiens ? je l’ignore ; mais quand la Grèce connut les Juifs, elle -la trouva citez eux, et l’austérité d’Israël satisfit au voeu -de Platon.

Néanmoins il demeure vrai que Platon, pour tout ce qui tient au respect de l’humanité dans les faibles, femmes, esclaves, etc., semble rester au-dessous, non pas seulement des sentiments qu’on aura plus tard, mais de ceux mêmes que plusieurs avaient autour de lui ou avant lui. Je doute qu’on puisse rencontrer chez lui une de ces paroles tendres et compatissantes, comme j’en ai recueilli dans Euripide ou dans Xénophon. Il ne se détourne pas volontiers de l’idée de l’homme accompli, telle qu’elle est toujours présente à sa pensée et qu’il la réalisait presque en lui-même : ayant la beauté de la figure comme celle de l’esprit, sachant toutes les sciences, goûtant tous les arts, armé de toutes les forces (y compris la richesse) par lesquelles notre nature peut s’agrandir. Tout ce qui n’atteint pas à cette idée, tout ce qui ne peut pas poursuivre ces hautes perspectives, est sans intérêt pour lui ; il passé au milieu des hommes comme un dieu, et il n’aperçoit guère parmi eux que ceux qui lui font cortège.

Platon par là n’est donc pas chrétien ; il ne l’est pas non plus par ce qui, dépasse en lui le Christianisme, je veux dire la hardiesse même et l’indépendance de sa pensée, et le vol libre de son imagination. Il est ce qu’il a dit qu’est le poète, ce qu’était le génie même de la Grèce, chose légère, ailée, sacrée. C’est ce qui le fait divin, comme on l’appelle ; mais c’est pourquoi aussi il ne saurait être enfermé dans le cadre étroit d’une religion, quand il l’aurait tracé lui-même. C’est une abeille qui construit merveilleusement sa ruche, mais qui en sort à toute heure pour se promener dans l’air, je veux dire dans les régions sans limites de la spéculation et de la fantaisie. Il ne s’est jamais écarté plus librement qu’à la fin de sa vie, dans ce même livre des Lois, ailleurs si rigoureusement dogmatique : Imaginons-nous que chacun des êtres de notre espèce est un automate de fabrique divine, soit que les dieux raient construit pour s’amuser ou pour une fin sérieuse, car c’est ce que nous ne savons pas ; nous savons seulement que ces affections que j’ai dites sont en nous comme des fils ou des cordes qui nous tirent en sens contraire les unes des autres, et nous font faire des actions dont la différence constitue le vice et la vertu. La réflexion nous dit qu’il ne faut obéir qu’à une de ces impulsions, et, en y restant fidèles, résister à toutes les autres. C’est le fil d’or, le fil sacré de la raison, qui, dans l’État, s’appelle la Loi. Les autres sont de fer et ils sont raides ; celui-là est souple, parce qu’il est d’or. Voyez encore cet autre endroit, où, après avoir donné des règles pour célébrer les fêtes des dieux, il s’arrête en citant ces vers d’Homère :

Télémaque, il est des choses que tu trouveras par toi-même, d’autres qu’un esprit t’inspirera. Car apparemment ce n’est pas sans que les dieux soient avec toi que tu es venu au monde, et que tu t’es formé comme te voilà.

Il faut que nos nourrissons aient la même pensée, qu’ils admettent que nous en avons assez dit, et que la divinité, l’esprit céleste, leur inspirera le reste ; c’est-à-dire par quelle espèce de chœurs et de sacrifices et en quelle saison il faudra célébrer chaque fête et chaque dieu et se le rendre propice ; de manière qu’ils conduisent ainsi la vie jusqu’au bout, suivant la loi de leur nature, comme n’était guère que des machines merveilleuses, qui n’ont que bien peu d’existence véritable. — Tu nous rabaisses étrangement la nature humaine, étranger. — Ne t’en étonne pas, Mégille, et pardonne-moi : c’est quand je regarde et que je sens la divinité, que je parle comme j’ai fait tout à l’heure. Mettons que notre nature n’est pas si méprisable, si tu le veux ainsi, et prenons-la au sérieux.

Comme nous voilà loin des religions constituées, et combien elles seraient incapables de supporter cette grande manière de douter ! Quand le Christianisme se demande pourquoi Dieu nous a créés, il ne répond pas qu’il n’en sait rien ; il dit nettement : Pour le connaître, l’aimer et le servir, et par ce moyen obtenir la vie éternelle. Et c’est ce que disaient déjà à peu près les Stoïques. Platon ignore pourquoi nous sommes, et cette ignorance est plus haute que la science des théologiens. L’homme ne peut aller jusqu’au bout de sa pensée sans s’élever au-dessus de toute religion ; disons hardiment, au-dessus même de toute morale. Certes, la morale est obligatoire et souveraine ; elle est un impératif, comme dit la formule de Kant ; mais elle l’est pour l’état dont elle est née, et auquel elle se rapporte, l’état de l’homme dans ses relations avec ses semblables et avec les conditions de la vie. Si on sort par la pensée de ces conditions et de l’humanité même, si on se replonge dans la nature, dans cet infini devant lequel Platon se confond, les lois, les principes, tout disparaît, et il ne reste qu’un vaste inconnu où l’esprit s’abîme.

Je ne devais pas quitter Platon sans le replacer à son élévation naturelle, je veux dire au-dessus de ses systèmes mêmes et de ses dogmes. Il est de ceux qui inspirent les catéchismes, mais qui n’en font pas et n’en subissent pas. Il laisse tomber des oracles qui ne sont pour lui que des vues et des échappées ; ce sont ses disciples qui en font des lois[7].

Ce qui constitue une Église, c’est le gouvernement des âmes : Socrate l’avait fondé sans le savoir, pour ainsi dire ; Platon l’a constitué et l’a fait reconnaître avec éclat. Ce gouvernement s’exerce par la parole ; non pas celle qu’on admirait dans les compositions des maîtres en beau langage, et qui était comme une oeuvre d’art bien ciselée, mais sans vie. C’est, dit Platon, une parole vivante, qui ne traduit pas seulement une pensée, mais qui fait penser à son tour ceux qui l’écoutent et féconde à perpétuité les âmes ; c’est, en un mot, la prédication. Je m’étais serti de ce terme par analogie, pour faire valoir les enseignements du théâtre ; je l’emploie ici dans son sens propre. La prédication est sortie du ministère moral dont s’était chargé Socrate, et ses disciples l’ont développée jusqu’à ce qu’elle devînt ce qu’elle est chez les Chrétiens. La foule des philosophes a distribué par tout l’hellénisme la menue monnaie de la parole ; ils trouvaient dans les Dialogues de Platon comme un trésor magnifique où ils ont pu puiser indéfiniment, ainsi que les prêcheurs chrétiens dans les Pères. Il n’a pas été un apôtre comme Socrate, mais un docteur, et le plus puissant des docteurs, quoiqu’il propose plutôt qu’il n’enseigne.

J’ai indiqué çà et là, dans cette analyse de la doctrine platonique, ce qu’elle contient d’équivoque et de dangereux, mais il faut l’accuser plus fortement. Il faut dire, sans hésiter, que Platon a trahi quelquefois, faute de fermeté d’esprit et de coeur, les intérêts de la raison, et qu’il est responsable en grande partie du mal que des croyances étroites ont fait depuis à l’intelligence humaine.

Socrate, lui-même, cherchant sa voie entre la tradition et les novateurs, entre une foi morte et des révoltes aventureuses, avait peut-être déjà trop accordé à la première. Mais ses disciples, troublés par sa mort, effrayés par la démagogie menaçante, et peut-être aussi par les légitimes hardiesses de la démocratie, se sont rejetés malheureusement vers le passé. Platon crut que c’était assez s’il faisait accepter la philosophie, s’il la faisait régner même, en désavouant les audaces qui l’avaient compromise, et en conciliant ses enseignements avec la foi consacrée. En politique il accepte tout ce qui est établi, y compris l’esclavage ; en physique, il se défend de toute science contraire aux superstitions reçues ; il tient les astres pour des dieux, il laisse la terre au centre du monde ; il fait une place dans sa théologie à la divination, aux démons, aux enfers, tout cela il est vrai, sous forme de poésie ; il n’est pas dupe, non plus que ses disciples ; mais l’humanité se trouvera plus tard emprisonnée dans ses fictions. Il consacre enfin dans ses lois l’intolérance religieuse et l’autorité des prêtres. En un mot il a eu l’orgueil de son génie, il n’a pas eu confiance dans l’esprit humain.

Résumons maintenant les livres de Platon, nous y trouverons la philosophie chrétienne tout entière, et déjà même, sur bien des points, la loi chrétienne. En morale, l’exaltation de l’âme et le mépris des sens ; le détachement de la terre et de l’existence même ; j’opposition des choses spirituelles et des choses sensibles ; la contemplation et la solitude ; la sainte folie de la sagesse ; l’imitation de la divinité. Puis la condamnation du suicide, celle du théâtre, celle des amours contre nature ; la pureté, l’humilité, la défense de rendre le mal pour le mal. Malgré ce dernier trait, on n’y trouve pas assez la charité, je ne dis pas au sens théologique, où ce mot signifie l’amour de Dieu, mais au sens vulgaire, où il exprime un tendre respect de l’homme pour ses semblables, et en particulier pour les plus humbles et les moins heureux.

En théologie, un dieu suprême ou plutôt unique, entouré peut-être d’esprits célestes, ineffable, tout spirituel, en qui le bien et le beau ont leur essence ; une foi raisonnée à la Providence, l’aversion de l’impiété, le dédain des imaginations théologiques populaires, et en même temps l’appel à une révélation d’en haut ; le dogme de l’immortalité de l’âme, et, à sa suite, les idées d’un jugement après la mort qui assigne aux âmes le ciel ou l’enfer, un enfer dont les peines sont éternelles ; la doctrine d’une expiation originelle, et celle des démons. On ne peut dire que Platon ait cru aux démons, et cependant c’est peut-être sur la foi de Platon que les hommes y ont cru et y croient encore. On trouve aussi, dans un de ses Dialogues, la tradition du Déluge considéré comme une punition divine infligée à une race pervertie.

Enfin Platon a conçu une cité fondée sur l’esprit et sur l’idée, en autres termes, une Église ; un clergé sans famille, chargé à la fois de la conduite des âmes et de la direction des grands intérêts. Il a cherché à ramener à l’unité cette religion grecque, en apparence si diverse et si libre ; et cette unité, il l’a trouvée dans l’autorité suprême d’une voix sacrée ;’il contient rigoureusement, sous la loi du dogme, la liberté de l’art et tous les mouvements de l’esprit humain ; il punit de mort la révolte de la pensée ; il veut une justice qui procède de ces deux idées, la conversion et la damnation ; il établit dans la cité des tribunaux d’inquisition, et, dans le for intérieur, un tribunal de pénitence.

Tout cela, c’est le Christianisme, ou du moins tout cela le contient en grande partie. Augustin, celui des Pères qui semble le plus fait pour comprendre toute la vertu de ces doctrines, frappé de l’affinité des pensées de Platon avec les siennes propres, s’est représenté un des auditeurs du philosophe athénien qui, au moment même où il reçoit de lui cet enseignement sublime, se demande si jamais il pourra arriver que de pareilles idées se répandent parmi les peuples et deviennent la foi de tous, et se persuade qu’un tel miracle ne pourra être opéré que par ne dieu. C’est ne pas assez se rendre compte de ce qu’il y a de force dans la pensée et la volonté humaines aidées par le temps. C’est faire comme ferait un homme de maintenant qui, se reportant en esprit jusqu’au XVe siècle ou au delà, et considérant combien on était loin alors de nos idées d’aujourd’hui, se dirait qu’il a fallu sans doute un dieu descendu du ciel et incarné ici-bas pour faire la Révolution française.

Mais il est à remarquer que parmi ces idées, que j’ai recueillies dans Platon, beaucoup sans doute étaient déjà plus anciennes, et il en est qui ne paraissent dater de lui que parce que nous ne pouvons pas lire ce qui avait été écrit avant lui. Nous n’avons ni les poèmes orphiques, ni aucun livre de l’école de Pythagore, ni les enseignements des métaphysiciens comme Héraclite, ou des moralistes comme Prodicos. Si les ouvrages de. Platon lui-même s’étaient perdus, comme se sont perdus en effet tant de monuments philosophiques qui s’étaient produits entre Platon et les Romains, nous ne saurions, pour ainsi dire, rien de l’esprit chrétien avant l’ère chrétienne, et les critiques eux-mêmes seraient tentés de penser que l’un ne s’est montré qu’avec l’autre. On voit combien ils seraient trompés.

Mais non seulement la prédication chrétienne a trouvé ces doctrines déjà en possession des esprits par les livres de Platon et de ses disciples ; il faut ajouter que c’est là seulement qu’elle les a trouvées, et qu’elle n’aurait pu Ies prendre ailleurs. Car si on les cherche dans la Bible, la prétendue source de la morale chrétienne, on verra qu’elles n’y sont pas pour la plupart.

Je parle, bien entendu, de la Bible hébraïque, et je ne comprends ici, sous ce nom de Bible, ni les livres du Nouveau Testament, ni ces livres juifs de date récente, qui, comme le Nouveau Testament, ont été écrits en grec et en pays grec, et que les Juifs n’ont pas reconnus comme sacrés.

Les livres hébreux ignorent absolument un point sans lequel il n’y a plus de Christianisme, la distinction de l’âme et du corps, et la morale spirituelle qui en résulte. Il ne faudrait pas qu’une philosophie hardie, qui se place résolument au-dessus de cette distinction, sût trop de gré à l’ancien judaïsme de l’avoir dédaignée ; il est plus juste de dire qu’il n’y avait pas atteint. Il n’avait pas analysé l’idée morale toute pure, et ne s’était pas non plus passionné pour elle. Il n’a connu ni les illusions de la philosophie platonique ni ses élévations légitimes. La Bible ne s’avise nulle part d’opposer l’esprit à la chair, le monde invisible au monde sensible, la conscience à la loi, la vie intérieure à celle du dehors.

La théologie des Chrétiens ne vient pas non plus de la Bible. Le monde entier, aujourd’hui monothéiste, rapporte aux Hébreux sa croyance. Je n’hésite pas à dire que cet hommage est légitime, sinon quant à l’idée, du moins quant au sentiment ; et combien est grande la part du sentiment dans les religions ! Il est certain que les Juifs sont le seul peuple des temps antiques qui n’ait adoré qu’un dieu ; qu’ils se sont donnés à ce dieu de tout leur caner, de tout leur dire, de toute leur force ; qu’ils ont écrit et répandu la grande formule : Écoute, Israël ; Iehova, notre dieu, est unique, dont celle de l’islamisme n’est que l’écho. Mais tout en servant un seul dieu, qui était leur dieu, ils n’en croyaient pas moins qu’il y avait pour les autres peuples d’autres dieux que le leur ; ils étaient donc, philosophiquement parlant, polythéistes[8]. Leur dieu est, du reste, aussi païen que pas un dieu de l’antiquité. Il n’est pas encore celui qu’appelle la raison et la conscience universelle ; il habite à Jérusalem, et ne peut être visité ailleurs ; on lui sacrifie des boeufs et des moutons ; on n’aurait pas même compris alors ces paroles du catéchisme : Dieu est un esprit. On est bien loin des pensées mystiques. Les légendes sacrées sont encore puériles et grossières ; ce n’est pas la Bible qui pouvait préparer les esprits à tenir les fables païennes pour suspectes ; les fables hébraïques sont moins riches, mais n’en blessent pas moins trop souvent la raison, la justice et l’humanité.

Quant à l’immortalité de l’âme, on ne pouvait la concevoir, puisqu’on n’avait pas même l’idée de l’âme ; on n’imaginait ni jugement des morts, ni paradis, ni enfer ; on n’avait point de mythologie funèbre. Les philosophes négatifs de notre temps verront là un nouveau témoignage de ce qu’a dit Montaigne, que l’ignorance naïve et la science parfaite se rejoignent quelquefois dans la vérité. La bonne foi avec laquelle le génie hébreu prenait simplement la mort pour la mort, comme fait la sagesse de nos sages, doit valoir mieux à leur sens que les imaginations superstitieuses de l’Égypte. Ils devraient même la mettre au-dessus des espérances philosophiques que Cicéron trouvait si belles, et qui ne sont à leurs yeux que des illusions ; si ce n’est que les Juifs ont plutôt ignoré que rejeté ces espérances, et qu’ils ont même fini par s’abandonner, à l’exception des Sadducéens, à un rêve beaucoup moins métaphysique, celui de la résurrection des corps. La résurrection des corps est devenue pourtant un dogme chrétien ; mais rien n’est moins dans la pensée de Platon, qui estime le sage si heureux, dans une autre vie, d’être débarrassé de son corps à tout jamais. Ce qui est certain, c’est que la Bible n’est pas plus chrétienne, au sujet de la mort, que dans le reste. Elle ne connaît pas non plus les démons.

Enfin le Christianisme n’a pas trouvé chez les Juifs, et n’a pu leur prendre, ni son clergé, constitué à part de la famille et de l’État pour conduire suivant l’idée divine les affaires humaines ; ni sa discipline et son gouvernement sévère de la pensée, puisque la pensée indépendante ou philosophique ne s’était pas même produite dans Israël ; ni sa direction des consciences et le travail intérieur par lequel il leur fait faire leur salut, puisque le judaïsme n’exigeait que ce que Paul a appelé les oeuvres, c’est-à-dire l’obéissance à la loi dans les actes du dehors. Le judaïsme peut se féliciter sans doute d’avoir échappé à l’esprit clérical et à l’esprit monastique, qui se sont confondus avec l’esprit chrétien de si bonne heure et pour si longtemps. Cependant tout n’est pas mauvais dans ce double esprit ; et ce qui nous en déplait n’est, après tout, que la corruption d’une grande vérité, qui est que la force doit être subordonnée à l’intelligence, et la politique à la morale. II est vrai que nous ne voulons plus aujourd’hui d’une cité de Dieu qui soit à part de la cité humaine et au-dessus d’elle, et nous faisons bien de n’en plus vouloir ; mais à cette condition, que la cité humaine soit elle-même une cité de Dieu, c’est-à-dire qu’elle soit organisée suivant la raison et la justice. Or, c’est la philosophie et non la Bible qui nous a fait concevoir cet idéal. La théocratie hébraïque n’est pas la même chose, il s’en faut bien ; elle est quelquefois même tout le contraire, puisqu’elle consacre, en la recevant comme loi de Dieu, une loi des hommes qui, par sa date seule, est nécessairement imparfaite et grossière, et qui pourtant ne peut plus changer. La cité biblique obéit à la lettre, qui est fixée. La platonique, et, à son origine, la chrétienne, obéissent à l’esprit, qui a devant lui l’infini.

Qu’on ne prenne pas ces réflexions pour un jugement sur le judaïsme ; il serait aussi injuste qu’incomplet. Je dirai plus tard ce que les Juifs et la Bible ont donné au monde ; je le dirai amplement, et avec tout ce qui leur est dû de reconnaissance et de respect par tout esprit équitable et qui aime l’humanité. J’expliquerai la passion ardente et sainte dont Ies fils d’Israël étaient enflammés, et qu’ils ont communiquée eu reste des hommes ; l’énergie extraordinaire de leurs affections, soit qu’il s’agisse de se dévouer à ce qu’ils aiment ou de résister au mal et de le haïr. Je dirai la majesté de ce Dieu des Juifs, qui, étant le seul auquel s’adresse leur culte ; était si près d’être conçu comme seul existant, et de se confondre avec le dieu un et universel de la religion philosophique ; invisible d’ailleurs et sans image, et qui, en tout autre lieu que Jérusalem, était sans temples et sans sacrifices. Enfin et surtout, je relèverai ce caractère étrange d’une race qui, tout attachée qu’elle frit à sa terre sainte, n’était pas cependant adhérente au sol, et portait partout avec elle sa patrie ; de sorte que ce peuple, alors sans philosophie, a été cependant en un sens le peuple d’une idée. Pour le moment, j’avais seulement à montrer qu’il y a telles choses qui sont presque tout le Christianisme, et qui ne viennent pas des Juifs, mais de Platon.

Pascal a jeté quelque part cette ligne dans ses papiers : Platon, pour disposer au Christianisme. Il entend, je crois, que la lecture de Platon est bonne pour disposer l’esprit à la foi chrétienne. Mais s’il voulait dire que c’est Platon en effet qui a disposé le monde à être chrétien, ce n’est pas à beaucoup près assez dire : Platon n’a pas seulement préparé le Christianisme ; il l’a fait. Non pas tout entier, sans doute ; il y fallait encore quatre cents ans, pendant lesquels la Grèce, l’Asie et la Judée ont concouru pour l’achever. La Grèce poussa plus avant et plus vivement de jour en jour la critique qui devait détruire la religion populaire. En morale, elle développa, principalement par ses Stoïques, le sentiment de nos devoirs envers nos semblables, et de la communauté humaine. L’Asie et la Judée ajoutèrent à la sagesse grecque l’enthousiasme de l’imagination, l’élan qui remue les hommes et qui transforme les choses, la fraternité surtout, qui est la vertu des persécutés ; et le Christianisme fut complet. Mais je devrai d’abord conduire jusqu’au bout le travail de la philosophie grecque, depuis Aristote jusqu’à Sénèque, pendant une période de l’histoire où la vie philosophique a eu une intensité incomparable ; car, dans le déclin des anciennes croyances, qu’aucune autre ne remplaçait encore, les écoles sorties de Socrate furent seules chargées de la conduite du monde moral ; et pendant ces siècles, chez tous les peuples de culture grecque, la philosophie a été véritablement une religion.

 

 

 



[1] On n’a donc pas été juste envers les Grecs quand on a dit : Si comme on peut le soutenir, la préoccupation de la mort est le trait le plus important du Christianisme et du sentiment religieux moderne, la race grecque est la moins religieuse de toutes les races.

[2] Revue du Deux-Mondes, du 1er septembre 1865, page 53.

[3] On sait que les Grecs employaient le nombre de dix mille (en un seul mot, myria) dans le sens indéterminé où nous employons celui de mille : (il m’a fait mille amitiés).

[4] Traduction de M. de Rougé

[5] L’auteur du livre Sur Isis et Osiris avance le contraire ; mais par les passages mêmes qu’il cite de Platon et de Xénocrate, on voit bien qu’il leur prête des pensées qui n’étaient pas les leurs, et qui sont celles de son temps.

[6] On sait que Platon ne condamne pas seulement le théâtre, mais la poésie, mais Homère même. Et déjà Héraclite en avait fait autant avant lui.

[7] M. Renan a dit quelque part, en parlant de la philosophie : En tant que science, nous l’avons fort développée. Mais l’art exquis de jouer de la lyre sur les fibres les plus intimes de l’âme, de poser sans les résoudre les problèmes de l’ordre transcendant ; la philosophie, dis-je, entendue comme la musique sacrée da âmes pensantes, quel chef-d’œuvre produira-t-elle jamais comparable aux dialogues qu’ont entendus les jardins de l’Académie et les bords de l’Ilissus ?

[8] Le monothéisme hébreu à l’origine consiste, non pas dans l’idée qu’il n’existe point d’autre dieu que Jehovab, mais dans la conviction qu’Israël n’a, ne peut avoir, ne doit avoir que Jehovah pour dieu, et qu’il est criminel à un israélite d’en adorer un autre. A parler rigoureusement, c’est une monolâtrie plus encore qu’un monothéisme. M. Albert Réville, Revue des Deux-Mondes du 15 juin 1867.