LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES — L’HELLÉNISME

 

CHAPITRE VI. — LES SOCRATIQUES. - XÉNOPHON ET SOCRATE. - L’ÉGYPTE.

 

 

Tandis que Socrate vivant n’était qu’un philosophe parmi beaucoup d’autres, quoique original et singulier, il se trouva, au lendemain de sa mort, une Église socratique, qui, dès ce jour, prit possession d’Athènes et de l’esprit grec. Nous ne pouvons pas lire Socrate, mais nous lisons Xénophon, Isocrate et Platon.

Quatre ans avant la mort de Socrate, Athènes, épuisée par la longue guerre du Péloponnèse, avait été vaincue, assiégée, presque détruite, forcée de subir la domination des Lacédémoniens et un gouvernement imposé par eux. Soixante-dix ans plus tard, elle tombait avec toute la Grèce sous la main des Macédoniens. Et pourtant dans cet intervalle elle fut encore pleine de grandeur et d’éclat ; elle eut bien vite secoué le joug des Trente, et presque aussi vite repris sa puissance ; celle de Lacédémone tomba à son tour, celle de Thèbes ne fit que passer, et Athènes était de nouveau, quand vinrent les Macédoniens, la cité reine de la Grèce. Mais elle régna surtout pendant cette période par l’esprit et la pensée elle recueillit le fruit que tant de génies avaient semé dans l’âge précédent, elle poursuivit et elle étendit leur empire ; la philosophie monta, au lendemain de la mort de Socrate, à la plus grande hauteur qu’elle ait jamais pu atteindre ; cette première moitié du IVe siècle avant notre ère est tout entière remplie de Platon.

Il ne faut pas cependant que ce nom incomparable nous fasse illusion sur l’état général des esprits. Les religions demeurent encore bien puissantes, et portent dans les âmes tous les genres de trouble, folles terreurs ou folies obscènes. Le peuple athénien a deux grandes préoccupations, le respect de la démocratie et le respect des Mystères. La divination est aussi florissante que jamais ; à chaque incident politique, en même temps que les faiseurs de motions montent à la tribune, les interprètes d’oracles se lèvent aussi de tous côtés. Athènes est, remplie de devins, qui ont leurs pratiques et aussi leurs livres contenant les règles du métier. Les orateurs, devant le peuple, allèguent et citent des oracles, ou apportent les révélations qu’ils ont reçues en songe. Ils se gardent soigneusement d’un mot qui serait de mauvais augure. S’il s’est produit un signe dans le ciel, on consulte Delphes, et la Pythie ordonne des prières publiques pour conjurer le présage. S’il arrive que ces oracles trompent celui qui les consulte, c’est qu’il a mérité d’être trompé par les dieux ; car les dieux font bien de donner au scélérat, au lieu de la vérité qui le sauverait, le mensonge qui doit le perdre ; et de confondre ainsi ses pensées et ses conseils.

Daigne, daigne, mon Dieu, sur Mathan et sur elle

Répandre cet esprit d’imprudence et d’erreur.....

Les légendes sacrées étaient la règle, non pas seulement des particuliers, mais des peuples ; on y cherchait, outre des exemples pour la conduite, des autorités et des titres pour le règlement des affaires ; Athènes et Philippe contestant sur la possession d’Amphipolis, les Athéniens font valoir que ce pays avait été donné en dot à Acamante, fils de Thésée ; et le Macédonien, s’il n’est pas touché de cet argument, en écoute à u moins les développements avec patience. Cela a duré autant que l’antiquité païenne, et on voit encore dans Tacite les villes grecques d’Asie débattre leurs intérêts devant le sénat romain en se servant de ces raisons.

Et cependant la conscience, plus forte que la tradition, condamnait la mythologie, quand la mythologie blessait la justice ou l’honnêteté. Heureusement, il n’y avait pas chez les Grecs de livre saint, et on n’avait à désavouer que des poètes. Ces échos naïfs et fidèles des vieilles croyances, on les accusa d’avoir calomnié leurs divinités. On se refusa à croire que les dieux aient jamais souffert parmi eux des crimes ou des scandales que les hommes ne supportent pas. C’est-à-dire que l’humanité, qui paraissait se soumettre encore à la religion, lui commandait déjà en effet, la voulant plus pure. On avait sacrifié Socrate aux dieux, mais on exigeait des dieux qu’ils obéissent à la morale de Socrate. On multipliait les autels, mais on comprenait et on disait que les plus beaux autels et les plus saints sont dans l’âme elle-même.

Sous l’influence de ces sentiments, il semble que plus d’un esprit commença alors à se détourner de la religion de la Grèce vers celle de l’Égypte. Il y avait longtemps déjà que l’Égypte s’était ouverte aux Grecs ; la tradition y faisait voyager Solon et Pythagore. Mais Hérodote est le premier, on n’en peut douter en le lisant, qui l’ait véritablement étudiée. Son livre popularisa parmi les Grecs les merveilles du Nil, les monuments grandioses de l’Égypte, les singularités de ses moeurs, et celles du culte qu’elle rendait aux dieux ; il déclara ses peuples les plus religieux de tous les hommes ; il crut trouver chez eux l’origine des cérémonies sacrées et des oracles. Il signala leur religion de la mort, leurs momies, leurs enfers, leur croyance que l’âme est immortelle et revient à son ancienne demeure après de longues pérégrinations à travers d’autres existences. Il fut frappé, je l’ai dit déjà, de la ressemblance de ces idées avec celles qu’il retrouvait dans les Mystères de Bacchos ou dans les enseignements pythagoriques ou orphiques ; et en effet certaines imaginations au moins, certaines pratiques étaient venues sans doute de l’Égypte : ainsi Hérodote nous apprend que la fève y était impure, et que les prêtres n’en pouvaient même supporter la vue. De jour en jour, il semble que les Grecs accordaient davantage aux exemples de ces aînés du genre humain. On admirait ou on voulait admirer leur sacerdoce, voué sans partage à ses fonctions augustes ; les saints loisirs de leurs prêtres, remplis par des pratiques pieuses ou par la science sacrée ; leurs observances sévères ; leurs dogmes imposés d’autorité, et qui dominaient les âmes par l’espérance ou par la crainte, ne leur faisant, sur les récompenses ou les peines de l’autre vie, des promesses qui allaient peut-être, dit prudemment Isocrate, au-delà de la vérité. On consentait à ne se scandaliser de rien, pas même du culte des animaux ; non qu’on l’interprétât par la critique, car on n’appliquait pas plus la critique aux traditions égyptiennes qu’aux traditions grecques ; mais en disait que ceux qui l’avaient institué avaient voulu habituer les esprits à la soumission et éprouver, par leur docilité dans les actes extérieurs, leur religion intérieure.

Voilà comme parlaient les sages de temps de Platon ; car c’est Platon qui avait rapporté ces pensées des voyages qu’il fit en Égypte à la suite de la mort de son maître ; Isocrate, que je viens de citer, le désigne sans doute quand il parle de ces philosopha renommés dont l’Égypte est l’idéal. Ce sont les idées qu’il avait mises à la mode. Mais quel langage ! et avec quel étonnement on le rapproche de la phrase célèbre de Pascal sur l’eau bénite et les messes : Naturellement même cela vous fera croire et vous abêtira ! Ainsi l’esprit grec à cette date parait en tous sens fatigué de sa liberté, faute de vertu ; et en même temps qu’il va demander tout à l’heure l’ordre et la stabilité à un pouvoir monarchique, il cherche dans des traditions sacrées et des institutions sacerdotales de quoi arrêter aussi la mobilité inquiète de sa pensée.

La réaction, comme nous dirions, fut à la fois religieuse et politique, car l’un et l’autre vont toujours ensemble. A force de redouter le mouvement et le désordre dont on avait tant souffert, on ne cherchait plus que le repos et la règle, et on en vint à les attendre de pouvoir d’un seul (la monarchie), que la Grèce voyait tout autour de soi, mais qu’elle ne voyait que de loin, car les rois de Sparte n’étaient pas des monarques ; ils étaient deux, comme les consuls romains ; ce sont des stratèges héréditaires. Déjà bien avant Philippe, les rois de Macédoine, ces dangereux voisins de la Grèce, attiraient à eux, parleurs faveurs et leurs hommages, d’illustres mécontents. Archélaos appela Euripide, comme Frédéric ou Catherine appelaient Voltaire et ses amis. Bientôt le grand rôle d’Agésilas, l’éclat du jeune Cyrus, la fortune du premier Denys accoutumèrent les esprits au respect de la royauté militaire. Le commerce seul de l’Asie était déjà corrupteur. C’est sans doute la fameuse montée des Dix Mille qui détacha Xénophon de sa patrie en l’attachant à Lacédémone, la grande puissance militaire d’alors. Il se fit exiler, mais il avait appris dans son métier de mercenaire à s’accommoder de l’exil. Et le philosophe fit sans scrupule ce que faisaient alors les exilés (ce que firent encore Condé et Turenne), il combattit contre Athènes à Coronée dans les rangs de ses ennemis. En même temps, dans un livre, il proposait aux esprits un idéal de gouvernement, où se mêlait le despotisme de l’Asie avec le commandement lacédémonien. Ce gouvernement monarchique, tant qu’il n’était qu’en idée, chacun se le figurait à son image ; quand vint la réalité, elle condamna toutes les illusions, et par-dessus toutes celles des philosophes, mais ces illusions avaient contribué à faire la réalité.

L’esprit de conservation qui avait tué Socrate ne céda pas dès le lendemain de sa mort. Il continua de lutter contre la philosophie ; il fut vaincu, mais il n’avoua pas de longtemps sa défaite. Dans cette Athènes où nous ne distinguons plus, pour ainsi dire, que Platon entouré du groupe des socratiques, ni la philosophie, ni la mémoire même de Socrate n’étaient alors en honneur. On sent que Xénophon, le premier de ses disciples qui ait élevé la voix, fait un acte de courage en demandant justice pour son maître ; et qu’il a besoin d’habileté pour plaider sa cause. Isocrate ose à peine le nommer et laisser voir qu’il lui est attaché. Enfin, au bout de soixante ans, l’orateur du parti des honnêtes gens, qui était le parti macédonien, Eschine accusant un ennemi devant les tribunaux et demandant aux juges d’être sévères, ne craignait pas de leur dire : Athéniens ! vous avez bien mis à mort Socrate le sophiste, et de faire valoir au profit de ses haines ce précédent.

Platon disait qu’il y a une misologie (haine du raisonnement), comme il y a une misanthropie. C’est la maladie de ceux qui se sont d’abord confiés, soit à l’humanité, soit à la raison, et qui en viennent à se défier sans mesure. Et puis beaucoup prétendaient avoir peur de la philosophie, qui véritablement n’avaient peur que des dangers auxquels on s’exposait en philosophant. On affectait de dire que la vraie sagesse était celle des Lacédémoniens, gens qui raisonnaient peu (si ce n’est quand des Athéniens leur apprenaient à raisonner) ; mais à cette époque ils avaient la raison du plus fort, qui est la meilleure. La philosophie, dit quelque part Isocrate, l’honnête homme par excellence, est aujourd’hui très mal vue et menacée ; et lui-même, pour se défendre de ces préventions, s’empresse de les détourner sur de moins estimables, ou même sur de moins prudents et de moins réservés que lui. Il est philosophe comme tel homme du monde était chrétien au XVIIe siècle, faisant bon marché du vulgaire des dévots. Il se moque de ces prêcheurs de sagesse qui font fi du misérable or et du misérable argent, tandis que pour un salaire assez mince ils se chargeront, ou à peu près, de faire par leurs leçons un dieu d’un homme. Il censure leurs subtilités, leurs désaccords et leurs disputes ; il raille agréablement leurs paradoxes moraux : qu’il vaut mieux souffrir le mal que de le faire, et subir l’injustice que de la commettre. Enfin, dans le passage où il célèbre la religion de l’Égypte, il avoue que peut-être elle agit sur les hommes en les trompant ; mais il l’excuse en disant qu’elle ne les trompe ainsi que pour leur bien, et non pas comme ces faux sages qui se font passer pour meilleurs qu’ils ne sont et font tort à ceux qu’ils dupent. Il semble qu’il ne condamne les hypocrites de la philosophie qu’au profit du mensonge religieux, auquel il abandonne sans marchander les âmes humaines. Il parle en cela comme Platon lui-même, qui autorise aussi les pasteurs des hommes à leur mentir pour les conduire.

La philosophie dédaignée n’en agissait pas moins sur ceux mêmes qui la méprisaient, et continuait ce travail d’amélioration morale que Socrate et Euripide avaient déjà tant avancé. La ville des philosophes est aussi par excellence la ville de l’humanité (philanthropia), la cité aimée des dieux et amie des hommes, qui n’a rien reçu d’en haut qu’elle ne communique à tous. Heureux les doux, a dit l’Évangile ; les Athéniens étaient reconnus pour les plus doux et les plus miséricordieux de tous les Grecs. Quand leurs orateurs commentent l’humanité de la loi, qui ne permettait pas d’outrager même un esclave, on sent dans leur éloquence la juste fierté inspirée à Athènes par la conscience d’une supériorité morale qui lui fait un titre au respect du genre humain. Au nom des dieux, supposez qu’on porte cette loi chez les Barbares, là d’où on tire pour les Grecs des esclaves, qu’on leur fasse l’éloge de votre cité et qu’on leur dise : Il y a des Grecs si doux et si humains, que, malgré tout le mal que vous leur avez fait et le sentiment héréditaire qui les rend vos ennemis naturels, cependant ils ne permettent pas qu’on outrage les esclaves mêmes dont ils ont payé le prix ; mais ils ont porté une loi de l’État, cette loi que voici, pour l’empêcher ; et déjà plusieurs, pour l’avoir transgressée, ont été punis de mort. Si ce discours pouvait être entendu et compris des Barbares, ne pensez-vous pas que par délibération publique ils vous prendraient tous tant que vous êtes pour patrons ? Paroles qui mesurent à la fois combien il y avait loin alors d’une race d’hommes à une autre, et quel mérite c’est pour Athènes de s’être essayée la première à traverser cette distance avec une pensée d’humanité.

Elle n’accordait pas seulement des droits aux esclaves, elle faisait taire la jalousie de la cité jusqu’à lotir faire part du franc parler des citoyens. Là seulement l’esclave était homme, puisqu’il lui était permis d’avoir se pensée et de la dire. Quatre cents ans après cette date ; Plutarque opposait aussi au service sévère de l’esclave romain, qui ne pouvait même pas ouvrir la bouche devant un maître superbe, le laisser-aller de l’esclave athénien qui, tout en travaillant la terre, causait avec le sien des nouvelles du jour. Un mécontent, car le grand esprit que je veux dire n’est ici qu’un mécontent et non un penseur, Platon reprochait précisément à la cité démocratique, comme le dernier degré de la licence, qu’on y voyait les esclaves mâles et femelles aussi libres que les maigres qui les avaient achetés, et, chose non moins révoltante, les femmes égales à leurs maris. Et pourquoi ne dirais-je pas, continue-t-il, ce qui me vient à la bouche ?Parle à ton aise. — Je parlerai donc, et je dirai que les bêtes rhèmes sont plus libres ici qu’ailleurs, à un point qu’on ne pourrait croire sans l’avoir vu. En vérité, la chienne est comme la maîtresse, suivant le proverbe, et les chevaux et les ânes s’en vont librement et fièrement par les rues et heurtent sans gène celui qui ne se range pas. Même pour les esclaves, même pour les femmes, je crois bien qu’il n’y a que trop à rabattre de ces hyperboles. Ce qui en restera sera encore un précieux témoignage non pas à la charge, mais à l’honneur du peuple athénien. Et ce dont se plaint le philosophe aristocrate, e est précisément la philosophie qui l’avait fait ; ou, si on veut, c’est le même esprit libéral, cet esprit de confiance en la nature et la raison, d’où était sortie la philosophie.

Dans les Économiques, qui se trouvent parmi les livres d’Aristote, et qui sont réellement de Théophraste, on lit ce remarquable passage : On doit faire des sacrifices et des réjouissances plus encore pour les esclaves que pour les libres ; car les premiers éprouvent davantage le besoin en vue duquel ont été établis ces divertissements. Et, en effet, toute institution d’une fête emportait avec elle un congé pour les esclaves aussi bien que pour les écoliers. C’est à peu près la même pensée qui est exprimée dans le Pentateuque au sujet du sabbat. Au septième jour tu te reposeras, afin que ton bœuf et ton âne, et le fils de ta servante, et ton serviteur étranger reprennent des forces.

Le philosophe grec dit encore : Il faut leur marquer à tous un terme. Il est juste et il est bon que la liberté leur soit proposée comme en prix. Ils travaillent volontiers quand ils ont ce prix en vue, et cela dans un temps déterminé. Théophraste ne fait probablement ici que répéter ce qu’avait dit Aristote, qui parlait en particulier des esclaves de la campagne, semblables à nos serfs du moyen âge. Ce qui est certain, c’est que, soit pour cette raison économique, soit pour toute autre, beaucoup d’esclaves devenaient libres, non pas tant, je crois, par un calcul de leurs maîtres que par un sentiment d’humanité, qui n’était pas encore assez vif chez les anciens pour les révolter contre l’esclavage, mais qui avait besoin cependant de se soulager çà et là par l’affranchissement.

 Humanité, équité, mœurs délicates, raison et science, lettres et arts, nous embrassons tout cela dans une expression plus générale, celle de civilisation. Le mot est moderne, mais l’idée a été conçue distinctement à l’époque dont je parle par l’esprit des Athéniens ; ils comprenaient bien que c’étaient eux qui civilisaient le monde. La civilisation est une éducation qui se fait surtout par la parole, mais quelle parole comparable à celle des poètes ou des raisonneurs d’Athènes ! La voix des poètes est celle qui retentit le plus haut et le plus loin. Les orateurs citent des vers d’Euripide et de Sophocle, de Solon et de Tyrtée aussi complaisamment que des vers d’Homère ou d’Hésiode ; ce sont comme des textes sacrés avec lesquels tous sont familiarisés, à force de les entendre réciter dans les solennités publiques. A défaut du théâtre, les maîtres de la prose ont aussi des réunions d’auditeurs qui- viennent entendre la lecture de leurs écrits. D’ailleurs ils tiennent école, et on, y accourt de tous les points du monde grec, même de la Sicile ou du Pont ; ils ont pour élèves des grands personnages et jusqu’à des rois, qui achètent quelquefois à de très grands prix leur sagesse. Ceux mêmes qui ne sont qu’écoliers à Athènes sont reconnus pour maîtres ailleurs ; et sous leur influence, des villes barbares se font amies de la Grèce et prennent les mœurs grecques ; e est ce qui était arrivé à l’île de Cypre entre les mains de deux rois formés par Isocrate, Nicoclès et Evagoras. Grâce à Athènes, le nom d’Hellène ne signifiait plus la race, mais l’esprit, et on disait alors l’hellénisme, comme on dira plus tard la chrétienté.

Dans chaque cité grecque, il y avait un centre, l’asty, ce qu’on peut traduire, le chef-lieu ; eh bien ! Athènes était l’asty, le chef-lieu de la grande cité morale qui embrassait tous les Hellènes ; en langage moderne elle était la capitale du monde ancien. Les cités rivales étaient s celle de Pallas ce qu’étaient aux Grecs les Barbares ; il n’y avait pas de littérature à Sparte, il a’y en avait guère plus à Thèbes ; et chez ces rivaux d’Athènes la rudesse des mœurs répondait à celle des esprits ; aussi certaines gens allaient jusqu’à dire qu’il y avait plus d’agrément à être vexé par un Athénien qu’à être bien traité par la brutalité des autres[1].

Par-dessus tout Athènes était sociable ; si c’est un bien pour les hommes de s’approcher les uns des autres, c’était là son premier bienfait. Les Grecs se rassemblaient sans doute par intervalles et pour quelques jours aux grandes réunions d’Olympie et de Delphes, de Némée ou de Corinthe ; c’était ce qu’on appelait une panégyris ; mais Athènes ne cessait pas d’attirer des visiteurs ; elle en était pleine en tout temps et donnait à la Grèce comme une panégyris sans fin. La grande fête qu’elle offrait à ses hôtes était celle de la pensée et de la parole. Platon raille encore à. ce sujet : Eh quoi ! dit un personnage de ses Dialogues, qui est un sophiste étranger, je ne pourrai donc pas parler tant que je voudrai ? Et Socrate répond : Il serait bien dur pour toi, mon cher ami, étant venu à Athènes, l’endroit de la Grèce où il y a le plus de liberté de parler, d’être seul privé de cet avantage. Mais, en revanche, si te parles trop longtemps, ne serait-il pas bien dur aussi pour moi qu’il ne me fût pas permis de m’en aller ? Cela est joli, mais il faut dire très sérieusement que c’est parce que le premier venu pouvait parer à Athènes, et parler tant qu’il voulait, que toutes les idées nouvelles ont pu se répandre et que le monde a pu devenir philosophe et plus tard chrétien[2]. L’esprit athénien s’était fait une langue pareille à lui-même, tenant le milieu entre la mollesse de certains dialectes et l’âpreté de quelques autres ; qui se prêtait, pour ainsi dire, à la diversité des organes et des intelligences, et qui s’est faite ainsi commune à tous. La langue de Sparte ou de Thèbes ne fut jamais que le lacédémonien ou le béotien ; la langue d’Athènes a été le grec. Elle passa d’Athènes à Alexandrie ; et c’est dans cette langue, ou à peu près, que les Lettres de Paul ont été écrites, ainsi que les Évangiles, de sorte que tous les peuples ont pu être unis par le même enseignement dans une même pensée.

Telle est donc Athènes au moment de la mort de Socrate ; elle n’a plus rien à gagner pour la poésie et pour les arts ; les chefs-d’oeuvre sont faits, mais c’est le temps où s’achève l’éducation des esprits par les chefs-d’oeuvre, tous les jours mieux compris et plus admirés. Le goût du beau et de l’idéal a élevé les âmes, et en même temps le discours et la discussion les délient de plus en plus. Le raisonnement ne peut se rassasier de critiquer et d’interpréter, et l’imagination a besoin de se passionner. Tantôt elle s’éprend des nouveautés, tantôt elle se rejette vers les choses du passé ou vers les exemples du dehors, que son enthousiasme transfigure. Des élans religieux et des accès d’indépendance ; un mouvement irrésistible, et une aspiration inquiète à la paix du dedans et du dehors ; un grand orgueil d’être Grec, et un étonnement respectueux devant le vieil Orient ; par-dessus tout un vif amour de la vertu ainsi qu’un désir impatient de la justice ; la jeunesse d’un peuple qui atteint à la maturité presque avec le feu de l’adolescence ; une plénitude et une ivresse de pensée qui se répand d’elle-même en un dialogue intarissable,

Comme un homme enivré du doux jus du raisin,

Brisant cent fois le fil de ses discours sans fin ;

une liberté qui allait finir bientôt, dont on jouit à l’aise parce que rien ne paraît qui la menace, mais dont on jouit aussi avec une sorte d’avidité et d’abandon, parce qu’on ale sentiment vague qu’elle est fragile ; une ville qui a pour déesse la Pensée active, qui est le rendez-vous du genre humain, qui le reçoit au milieu des merveilles et lui fournit sans cesse des spectacles ; une langue en quelque sorte universelle et qui ne sera jamais oubliée des hommes ; pour tout dire, le soir magnifique, malgré ses ombres ; d’un des plus beaux jours qui aient jamais éclairé la terre : voilà dans quel milieu la philosophie de Platon est née de la cendre de Socrate.

Mais quelle que soit la grandeur de Platon, on ne peut pas oublier les autres Socratiques, et surtout ce Xénophon qui nous a si bien rendu son maître. Ce serait être fort injuste envers lui que de ne pas le reconnaître pour l’héritier légitime de Socrate, fidèle à son génie et à sa cause ; mais il est plus circonspect, autant par inclination que par prudence. C’est un raisonneur très curieux et très vif, mais en même temps un politique, qui tâche de faire goûter aux politiques la philosophie. Il considère la sagesse à peu près, si je ne me trompe, comme le fait Montaigne ; elle est pour lui une force qu’il faut qu’un bon esprit mette à son, service, et avec laquelle il peut même servir les autres, mais en toute prudence et de manière à ne pas scandaliser. Il ne tient pas à lui qu’on ne prenne Socrate lui-même pour orthodoxe ; il soutient qu’il consultait les oracles, et quoique la singulière façon dont il essaie de le prouver nous prouve le contraire, la tentative est à remarquer. Lui-même en prend à son aise avec les oracles et les présages ; il ne leur demande une décision que quand il n’a pas de raison de se décider, à peu près comme il tirerait au sort ; ou bien il sait parfaitement s’arranger dans son armée pour que les dieux ne lui fassent jamais que les réponses dont il a besoin. Mais enfin il les consulte, et offre scrupuleusement sacrifice sur sacrifice. Dans son petit livre sur la chasse, il fait remarquer, pour recommander cet exercice, que les honnêtes gens qui passent le temps à chasser dans leurs terrés sont très pieux, tandis que ceux qui vivent à la ville et dans l’agora sont volontiers des impies. Son roi modèle, l’idéal même du roi, le Cyrus de son roman, professe et pratique la doctrine que nous exprimons par la formule dit trône appuyé sur l’autel. Les sujets suivent son exemple par l’envie d’avoir leur part des prospérités dont les dieux récompensent un prince si dévot, et dans l’espoir aussi de lui plaire. Et lui de son côté il tient à ce qu’ils soient religieux, comptant que les dieux lui en sauront gré, et qu’eux-mêmes en seront plus fidèles. C’est tout à fait déjà la monarchie selon Louis XIV[3].

Xénophon, dans son récit de l’Expédition d’Asie, nous représente les Grecs, dans le premier trouble qui suit la mort du jeune Cyruse délibérant sur ce qu’ils ont à faire ; un certain Phalynos, Grec au service des Barbares, leur adresse des propositions captieuses. Xénophon, qui n’était rien encore, prend la parole, et déjoue la ruse avec un sens si juste et un raisonnement si délié, que la finesse de son argumentation fait sourire Phalynos : jeune homme, dit-il, on voit que tu es philosophe. C’est très bien exprimer l’effet général de cette culture philosophique, dont Xénophon lui-même est en effet l’un des plus remarquables exemples. L’analyse des idées et des sentiments, déjà si avancée dans Euripide, est devenue encore plus délicate, et elle enfante le roman, tel qu’il se produit pour la première fois dans le Cyrus, particulièrement dans l’épisode des amours de Panthéa. C’est là qu’un personnage exprime ainsi la lutte qui se passe en lui entre la passion et le devoir : Je vois bien que j’ai deux âmes ; c’est une philosophie que j’ai apprise d’un terrible sophiste, qui est l’Amour. Il se souvient évidemment de la Médée d’Euripide. Quatre cents ans plus tard, Paul dira la même chose dans sa langue demi barbare : Je me complais dans la loi de Dieu, quant à ce qui est de l’homme du dedans. Mais j’aperçois dans mon corps une autre loi qui combat la loi de mon esprit, et me tient captif sous la loi du péché qui est en mon corps. Et Racine a imité Paul, Xénophon et Euripide tout ensemble :

Mon Dieu, quelle guerre cruelle !

Je trouve deux hommes en moi... etc.

La mutilation qui faisait les eunuques est une des plaies de la société antique. Il ne se faisait d’eunuques qu’en Asie, dans les pays de servitude. Les eunuques étaient les satellites naturels des despotes, et. Xénophon fait honneur à la sagesse de Cyrus de l’avoir, compris. Mais l’Asie vendait ses eunuques partout et même à Athènes ; ainsi un portier, qui parait un moment dans un Dialogue de Platon, est un eunuque ; l’auteur nous le dit en passant. Eh bien ! voici encore que le roman, en s’inspirant du coeur humain, se trouve du côté de l’humanité. Quoique Xénophon soit ce que nous appelons un amateur en fait de moeurs orientales, et qu’il goûte tout ce qui a de la couleur ; quoiqu’il se plaise par exemple à nous peindre ce dévouement en quelque sorte animal des eunuques de Penthéa qui se tuent avec leur maîtresse, cela ne l’empêche pas de nous faire entendre, dans la bouche d’un homme en qui la nature a été outragée ainsi, une plainte touchante, qui n’a pas été perdue, et dont l’avenir a profité, comme il profite de toute bonne parole.

Ce que Socrate avait surtout cultivé, en lui-même et dans les autres, c’est cette force qui fait l’empire sur soi, et c’est ce qui tient aussi le plus au coeur à Xénophon ; c’est le fond de sa morale. L’esprit répandu dans tous ses livres est celui de la fable célèbre qu’il nous a transmise, du jeune Héraclès entre la Vertu et la Corruption. Mais on y trouve aussi des leçons d’humanité, et des pensées charitables et même tendres.

Ce qu’il dit au sujet des femmes et au sujet des esclaves, particulièrement dans son petit traité d’Économie domestique, témoigne à la fois de ce que la constitution de la société avait encore de mauvais, et des habitudes nouvelles de l’esprit qui élevaient les moeurs. La femme, tenue dans une condition dont aujourd’hui même elle n’est pas encore assez relevée, était mariée enfant, sans être consultée, puis enfermée dans sa maison, presque comme en Asie, et menacée de n’y être comptée pour rien dès qu’elle aurait vieilli ; il n’y a guère personne avec qui son mari ait moins de conversation qu’avec elle. La philosophie lui tend la main, comme fera plus tard la religion, et l’appelle à la dignité en l’appelant à la sagesse et à la vertu. Elle la déclare associée à l’homme par les devoirs mêmes que la divinité les invite tous deux à remplir. Ils ont chacun les leurs, mais il en est un qui leur est commun, celui de la pureté des moeurs, et Xénophon ajoute d’une manière bien délicate que celui des deux qui vaudra le mieux est à même de se faire de ce côté-là le plus d’honneur. Et il montre la femme assurée, par ses vertus mêmes, non seulement de l’amour des siens, mais de leur respect. Ce sera ta plus grande joie, de te montrer meilleure que moi, et de faire de moi ton serviteur. Ainsi parle à sa femme un mari d’Athènes dans ce bon et charmant livre, qui méritait d’être analysé et commenté, comme il l’a été récemment, par la plume d’une femme à la fois atticiste et chrétienne[4].

Ce même livre de Xénophon nous met en présence de l’esclavage et de toutes les misères que l’esclavage entraîne avec lui. Le grand nombre des esclaves était des espèces de bêtes de somme, gouvernés par les appétits, qui ne s’accouplaient qu’avec le congé et suivant les convenances du maître, comme les animaux d’un haras. Xénophon est bon, même pour les plus abrutis ; tous les moyens lui paraissent meilleurs que les coups. Il condamne l’usage barbare de tenir les esclaves à la chaîne et d’avoir ainsi un bagne établi dans chaque maison ; il veut que les bons esclaves soient récompensés et même honorés, en hommes libres et en honnêtes gens. Il en est à qui il donne part aux joies et aux chagrins de la famille, devançant la belle formule de Sénèque : Servi, humiles amici. Il fait accepter à la femme, non pas seulement comme un devoir, mais comme le plus doux des devoirs, les soins à donner aux esclaves malades. Il s’élève enfin jusqu’à la justice, qui vaut mieux encore que la bonté, quand il soutient qu’on n’a pas le droit de punir dans les esclaves les vices qu’on se permet à soi-même, et qu’il dit, dans le même style presque que Beaumarchais : Es-tu bien sûr que tu ne mérites pas d’être châtié plus que ton valet ?

Un passage de son Éloge d’Agésilas est bien remarquable. Il recommandait souvent à ses soldats de ne pas exécuter leurs prisonniers comme des criminels, mais de les respecter comme des hommes. Quand l’armée changeait de campements, s’il apprenait que de jeunes enfants de marchands demeuraient abandonnés, car on les vendait souvent faute de pouvoir les emmener ou les nourrir, il prenait soin de les mettre en sûreté quelque part. Et il chargeait les vieux prisonniers qu’on laissait là à cause de leur âge, de veiller sur eux pour les préserver des chiens et des loups. Plus de tels détails éclairent tristement ces temps anciens et cet état de l’humanité, plus ils font honneur aux idées et aux habitudes morales qui élevaient quelques hommes au-dessus de la barbarie de beurs semblables. Xénophon relève dans Agésilas, d’autres traits d’humanité, et aussi de cette continence qui est encore l’humanité sous une autre forme, car elle est le respect de la pudeur, reconnue non  moins sacrée que-la vie.

Un des plus grands monuments de Christianisme primitif, la Lettre de Paul à ceux de Rome, contient ce passage bien souvent cité : L’essence invisible de Dieu est devenue visible depuis la création du monde par ses ouvrages qui la font comprendre. C’est dans Xénophon que nous trouvons pour la première fois ces idées. Tu concevras, Euthydème, que je dis la vérité, si tu n’attends pas que tu aies vu la figure des dieux, et que tu te contentes de voir leurs œuvres pour les honorer et les adorer. Il développe donc tous les biens que les dieux répandent sur les hommes, et en particulier le dieu qui gouverne le monde ; le bienfait seul paraissant, et ne laissant pas apercevoir la main qui donne. Et il conclut : Par ces considérations, tu ne mépriseras plus les choses invisibles, mais reconnaissant la vertu qui est en elles par ce qu’elles produisent, tu rendras hommage à la divinité. Enfin, parmi tant de moralités répandues de tous côtés dans les livres des disciples de Socrate, il me semble qu’il appartient à mon objet de relever ces paroles : Peut-être il est dans les desseins de la divinité d’humilier ceux qui triomphent, à cause de leurs sentiments d’orgueil, tandis que nous, qui nous adressons d’abord aux dieux, elle nous mettra plus haut que nos adversaires. C’est presque le texte d’un verset du cantique connu sous le nom de Magnificat, dans le troisième Évangile : Deposuit potentes de sede et exaltavit humiles.

Isocrate, lui, est moins un philosophe qu’un prédicateur de morale ; mais son défaut même d’originalité, et son éloignement de tout esprit de système et d’école, le rend un excellent témoin de la sagesse moyenne que l’éducation philosophique avait répandue parmi les esprits cultivés. Son discours à Nicoclès de Cypre pourrait être appelé un catéchisme des gouvernants, aussi bien, que le Petit Carême de Massillon. La première recommandation qu’il leur fait est d’aimer les hommes, et quant aux dieux, il s’exprime ainsi : Suis, dans le culte à rendre aux dieux, les traditions des ancêtres ; mais crois que le meilleur sacrifice et le plus beau culte, c’est de leur présenter un coeur droit et juste. C’est par ce moyen, plutôt qu’en abattant devant eux des troupeaux de victimes, qu’on peut espérer d’obtenir d’eux les biens qu’on leur demande.

Il faut savoir commander, non par les châtiments mais par l’autorité morale. — Il faut aspirer, non à conquérir un empire, mais à bien gouverner le sien. — Isocrate parle comme parle la Bible dans Racine :

Un roi sage......

Dans la richesse et l’or ne met point son appui.

Ou comme le choeur d’Esther :

Rois, chassez la calomnie

— Tiens pour amis, non ceux qui te flattent, mais ceux qui reprennent tes fautes. — Commande-toi à toi-même. — Ne sois fier que de ta vertu, car c’est le seul bien qui ne soit pas à portée des moins dignes. — Donne l’exemple ; applique-toi à faire tes sujets meilleurs. — Recherche les véritables sages.

Isocrate a, comme tous les Grecs, le culte de la beauté ; mais là comme ailleurs sa religion est pure. Il a écrit sur la pudeur une phrase qu’il faut citer, malgré les mœurs dont elle conserve la trace : Tel est le pieux respect que nous portons à la beauté, cette essence divine, que si celui à qui elle a été donnée se prostitue et fait un usage indigne de ses charmes, nous ne méprisons plus que ceux-là mêmes qui outragent la pudeur d’autrui ; tandis que s’il conserve religieusement la fleur de sa jeunesse comme chose sacrée et interdite aux profanes, nous l’honorons à toujours, au même titre que ceux qui ont fait quelque chose pour la patrie.

Il promet comme les Chrétiens, à ceux qui observent la piété et la justice, non seulement la paix de cette vie, mais des espérances meilleures pour l’autre. Célébrant Evagoras de Cypre après sa mort, il compte qu’il a obtenu l’immortalité et qu’il est maintenant parmi les dieux. Car ce sermonnaire de la philosophie a inventé aussi l’oraison funèbre. C’est là qu’il entre dans les conseils des dieux tout comme pourrait faire un prêtre. Il dit que ces dieux ont voulu que la grandeur d’Evagoras ne lui coûtât pas de crime ; ils ont fait si bien, que les autres ont commis les crimes et qu’il n’a eu qu’à en profiter. Cela est bizarre, mais non pas plus bizarre que l’assurance de Bossuet, quand il affirme que Dieu a fait la révolution d’Angleterre tout exprès et bouleversé les trois royaumes, pour que la jeune Henriette, étant exilée en France, devint catholique, car il met les âmes à ce prix.

Enfin on reconnaîtra sans doute un accent chrétien dans ces paroles que j’emprunte encore à Isocrate. Ce sont les derniers mots qu’adresse à ses juges un vieux philosophe placé comme Socrate sous la menace d’une accusation calomnieuse : l’accusation n’est d’ailleurs qu’une fiction par laquelle l’orateur lui-même se met en scène, et donne jour à l’expression de ses sentiments réels en se plaçant dans une situation imaginée : Si les dieux ont quelque souci de ce qui se passe ici-bas, je crois qu’ils ne détourneront pas non plus leurs regards de moi en cette circonstance. Je ne tremble donc pas dans l’attente de ce que vous allez faire ; je suis tranquille, et j’ai toute espérance que la fin de ma vie n’arrivera qu’au temps où cela sera bon pour moi ; j’en ai pour marque, que toute ma vie passée, jusqu’à ce jour d’aujourd’hui, a été telle qu’il convient à un homme pieux et aimé des dieux. Maintenant, bien avertis que telle est ma persuasion, et que je tiens votre décision, quelle qu’elle soit, comme devant mètre bonne et avantageuse, suivez chacun votre pensée et prononcez comme il vous plaira.

Il est temps d’aborder Platon.

 

 

 



[1] Henri Heine a écrit dans Lutèce cette boutade : Je suis fermement convaincu qu’un troupier français qui jure est un spectacle plus agréable à la divinité qu’un marchand anglais qui prie.

Disons encore qu’Athènes a légué à ceux qui sont venus après elle l’exemple comme le nom des amnisties.

[2] On a dit d’ailleurs fort bien, à propos de l’excellent esprit qui domine dans le droit public d’Athènes : Athènes avait ses sophistes ; mais elle s’amusait de la sophistique et ne la pratiquait pas. Je prends ces paroles dans un mémoire de M. Ernest Assollant, écrit à l’occasion de l’Essai sur le droit public d’Athènes de M. Perrot.

[3] On sait par Xénophon que les rois mèdes portaient perruque comme Louis XIV. Il nous apprend aussi que l’aigle, qui a fait une si grande fortune, était leur enseigne.

[4] Mme E. E., dans un article anonyme du Journal des jeunes personnes, décembre 1800.