LE CHRISTIANISME ET SES ORIGINES — L’HELLÉNISME

 

AVANT-PROPOS

 

 

Quand la Préface qui va suivre ne serait pas datée, on reconnaîtrait aisément, à la tranquillité morale dont elle témoigne, qu’elle était écrite avant les calamités qui viennent de passer sur la France, et dont l’ombre l’enveloppe encore pour longtemps : à cette date de juillet 1870, le livre était imprimé presque tout entier. Pendant cette sinistre année, je n’aurais pas eu assez de liberté d’esprit pour l’écrire ; maintenant qu’il est écrit, je ne sais si on en trouvera pour le lire, et je ne me plaindrai certainement pas si ceux à qui je prétendais l’adresser sont maintenant tout entiers à d’autres pensées. Je ne crains pas de dire cependant que s’il y a des leçons plus pressantes à donner à notre malheureux pays que celles que contient cette Étude, celles-ci ne sont pas non plus inutiles, et répondent aux besoins, sinon du moment même où nous sommes, du moins de l’avenir où nous entrons. Si la France a ses finances à refaire, et ses armées, elle n’a pas moins à se préoccuper de rétablir ses forces morales. De ce côté, toutes ses espérances sont dans la liberté et dans la règle, deux choses qui lui manquent depuis trop longtemps ; car j’ai soixante ans bientôt, et je n’ai jamais vu chez nous que des empêchements et des servitudes qui mettent obstacle à l’action de chacun ou de plusieurs, et tout ensemble des habitudes de laisser-aller et d’anarchie qui rendent le gouvernement, en qui réside l’action publique, souvent aussi impuissant lui-même que les citoyens le sont par le fait du gouvernement. Nous ne nous sauverons que par la liberté, sous ses deux formes essentielles, République et Libre-pensée, et par la règle, je veux dire à la fois celle du dedans et celle du dehors, la Morale et la Discipline. Il faut nous affranchir de toute autorité, de toute tradition qui ne s’appuie pas sur la raison ; et il faut en même temps nous gouverner sévèrement nous-mêmes, dompter toute faiblesse et tout mesquin intérêt, pratiquer le respect et l’obéissance à l’égard de tout commandement régulier. Mais ce que je viens de dire, c’est l’esprit même de la philosophie, et l’histoire de la philosophie n’est autre chose que celle des efforts que les sages et les justes ont faits en tout temps pour établir dans le monde le règne de la vérité et du devoir[1].

 

Septembre 1871.

 

 

 



[1] Je n’ai absolument rien changé, en les publiant aujourd’hui, aux pages qui suivent.